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  • Jean-Christophe Bailly / Temps réel

    <<Poésie d'un jour

     

     

    La terre ...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     « un temps de novembre la terre gorgée
    fait sous les pas un bruit d’éponge »

    ph. Angèle Paoli

     

     

    …………………………………………………………………………………………

    POUSSIÈRE ON VA DIRE POUSSIÈRE 

     

    temps cassé
    morceaux de temps : des fragments, des grumeaux,
    des îles flottantes
    et nous autres (nosotros)dans la soupe, galériens
    et futures alvéoles : bulles, yeux du bouillon
    nageant noyés
    nageurs aveugles, dedans il y a
    des crawleurs crooners, des brasseurs, des papillons
    et ceux qui font la planche
    oui : faire la planche dans le cours du temps
    serait le mieux : seuls
    -c’était l’invention de l’atomisme-
    poussière dans un rayon comme
    le raconte Lucrèce, agitation perpétuelle
    qui s’évade de la durée, se suspend hors d’elle
    pour former une maison
    pas une boîte étanche mais un agrégat de dispersions plutôt :
    s’en aller s’en aller dedans couché sur la terre
    dans l’herbe humide toutes les gouttes de rosée
    et de pluie pareillement tandis qu’à quelques pas
    un mulot s’évertue à raboter des noix
    petit artisan, il est caché, je lui en procure
    qui est-il ?


    chaque être ici dans le roulé, la pluie
    chaque existence sous la pluie
    le jour se lève le feu prend
    trilles d’oiseaux partout sous les arbres
    prolétaires d’harmonie, petites Parques
    peu de lumière il fait en mai
    un temps de novembre la terre gorgée
    fait sous les pas un bruit d’éponge
    arcatures des spirées bambous qu’on frôle
    receleurs d’eau pas une once de vent
    tout le souffle a été confié à la pluie
    à la respiration de la terre sous la pluie
    tout est vert envahi, puisé au ciel
    un temps d’argent, d’argenture sous les feuilles
    chaque être là-dedans rivé à ses appareils
    étudiant, écoutant, scrutant, « aux aguets »
    rivé au temps, tout le temps qu’il y passe
    comment s’évader d’une évasion ?
    -tout y est, l’illimité, le singulier, l’occasion
    toutes les occasions d’être, les singuliers saisis
    dans l’illimité, les puissances, elles y sont
    ce sont les plis dans des robes
    de petits papiers-brandons attachés aux arbres
    puis détachés, qui volent
    chaque être, parce qu’il n’a rien voulu,
    est un vœu en roue libre, qui s’en va
    est-ce une courbe, une corde, un tissu de mailles fines
    très fines, je ne sais pas
    ça tient
    ça se tient suspendu
    l’impensable est configuré
    la moindre poussière
    le confirme
    ce qui est, nous le prenons avec des cuillers
    des tamis ou des filtres
    jusqu’à ce que ça se sépare de nous
    et s’en aille loin d’ici dans le continué

     

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    Jean-Christophe Bailly, Temps réel, Éditions du Seuil 2024, p.57, 58.

     

    Jcb

     

     

     

     

     

  • Patricia Cottron-Daubigné / Parure pour un sein absent

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    LA GUERRE DES TÉTONS DE LILI SOHN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dessin de  => Lili Sohn 

    source 

     

     

    L’amour défait

    Les petites haines petites colères
    paroles et caresse rancies
    les petits mépris
    s’installent dans le buste défait
    prennent la forme du sein
    perdu
    redoublent l’absence
    le désamour en attente
    a enfin trouvé sa place.

    La couture

    Pour rafistoler
    rapiécer raccourcir
    quand je prends l’aiguille
    vêtements du corps à garder encore
    je vois la main gantée
    ensanglantée
    qui a cousu ma peau
    le sein absent

    quand je prends l’aiguille
    ne pas penser s’empêcher essayer de ne pas penser

    l’aiguille
    grande comment
    mon travail n’avance plus
    je couds les images
    l’une sur l’autre
    le sang se répand
    sur les tissus
    coule dans mon regard

    l’ourlet sur le corps
    le sein tenu dans l’aiguille
    la main ensanglantée

    ne pas penser s’empêcher essayer ne pas penser.

    La trahison des images

    Corolle dessinée
    anémone ocrée
    fleur cousue de l’absence
    téton dit-on
    ceci est un sein
    téton tatoué
    impair passe
    et manque.

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    Patricia Cottron-Daubigné, Parure pour un sein absent, Les parallèles croisées, Les Lieux-Dits, 2024, pp.19, 20, 21.

     

     

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    ■ Patricia Cottron-Daubigné
    sur Terres de femmes ▼

    Femme broussaille, la très vivante, Les Lieux Dits éditions, Collection 2Rives, 2020,  Dessins de Mélissa Fries.  ( Lecture de Gérard Cartier) 
    → Ceux du lointain (lecture d’AP)
    → [Je marche seul avec mon fils](extrait de Ceux du lointain)
    → Visage roman (lecture de Sylvie Fabre G.)

     

  • Gérard Cartier / L’Oca nera / Lecture d’Angèle Paoli

    Gérard Cartier, L’Oca Nera, 
    La Thébaïde, Collection roman, 2019.
    Lecture d'Angèle Paoli

     

     

     

     

     

    Gérard Cartier

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo : Alain Barbero

     

     

     

     

    De la complexité romanesque de L’Oca nera

     

    Roman d’un homme de lettres autant que d’un ingénieur du génie civil, L’Oca Nera de Gérard Cartier est un roman labyrinthique à entrées multiples. Publié en 2019, conçu sur le modèle du jeu de l’oie de nos enfances, le roman à coloration autobiographique de Gérard Cartier déroule de case en case et de neuf en neuf, son long ruban. En 62 chapitres numérotés et titrés. Un coup d’œil sur le triptyque de la table des matières – cependant parfaitement éclairante – rend compte de la complexité combinatoire du tissu romanesque. Répartie en trois volets, la « Table des récits » met en évidence les thématiques du présent (un seul ensemble) et celles du passé (deux ensembles). Elle met aussi en évidence 7 titres en majuscules sous le titre « Récit du fugitif », classés de 9 en 9. Dans une suite 9/18/27/36/45/54. Le chapitre final, détaché des six précédents et intitulé « Le PARADIS », figurant la case 63.

    Il apparaît d’emblée qu’il y a des trous dans la numérotation et qu’il va falloir circuler dans la « Table des récits » pour dénicher les numéros manquants. Soit leur place dans le jeu. Les deux pages finales du PARCOURS rétablissent l’ordre de lecture, numéro après numéro, ainsi que ce que la lectrice suppose figurer l’apparition de l’oie – de 9 en 9 – sous les sept intitulés LA FUITE/ LA PENSION /LA CELLULE/ LE MARIAGE/ L’HISTOIRE/ LE PIÈGE/ LE PARADIS. La tentation est grande, en cours de lecture de sauter par-dessus les trous, de naviguer en fantaisie vers les cases qui nous rappellent les parties enfantines : « Le viaduc » (6) / « L’hôtel » (19) / « Le puits » (31) / « Le labyrinthe » (42) / « La prison » (52), « La mort » (58) / « LE PARADIS » (63). Ce que je crois, j’ai dû faire.

    Mais il est aussi possible de lire le roman autrement, par exemple en regroupant les récits qui évoquent le retour sur les devants de la scène de tel ou tel personnage : Livia et le narrateur/ le narrateur et Raphaëlle/ Mireille Provence/ Joseph et Hélène/. Certains, à l’identité fluctuante, restent très mystérieux. Qui se camouflent, au hasard de leur errance, derrière des noms d’emprunt. De tel ou tel lieu – le Vercors et ses résistants, les Granges où se replie et s’exile le narrateur, les montagnes de la Chartreuse et la ferme familiale de Carrue, le musée de Rambouillet, l’Italie, notamment le Val de Suse, Turin et ses lieux emblématiques. Porta Palazzo, Caffè Pavoni, la Galerie Subalpine, la « librairie du juif » . Et tant d’autres, encore, qui portent l’esprit au voyage. Les thèmes abordés : la Grande Guerre et la résistance, le creusement du tunnel et les manifestations violentes des Black Blocs italiens qui accompagnent le projet, rythmé par le leitmotiv du « No TAV », orchestré par Erri De Luca ; les collections de jeux de l’oie, la mort d’Alice puis celle du père, la disparition non élucidée de l’oncle Marcel; le travail de recherche autour de l’espionne du Vercors… Le travail de mémoire de l’écrivain, qui, pour l’occasion, se fait historien. Gérard Cartier ne cite-t-il pas en épigraphe le poète allemand Heinrich Heine :

    « L’historien est un prophète qui regarde en arrière » ?

    D’où son intérêt inépuisable pour les articles de journaux – locaux et nationaux, les archives, les photos jaunies exhumées de dossiers oubliés, les carnets et prises de notes, les schémas et les cartes… Ce que l’écrivain confirme dans « L’Épeire » :

    « Et depuis que j’ai commencé à rédiger ces pages, le passé malgré moi remonte par bouffées. »

    Toutes ces données constituent une toile d’araignée à laquelle le narrateur prend goût, se laissant prendre à son tour dans les volutes de son propre discours. Ainsi en est-il du parallélisme que G.C établit entre l’araignée et lui-même, dans une page éblouissante de « L’Épeire » :

    « Le beau style, celui des avocats, directement hérité des latins, veut qu’on erre avant d’en venir au fait [je ne peux m’empêcher ici de penser à mon gendre avocat de talent], qui reste longtemps caché, ou plutôt réservé au milieu de la toile que l’orateur tisse dans l’air, entourant son sujet d’une savante arabesque, l’enrichissant d’incises, tout l’auditoire happé dans la spirale de sa pensée, entraîné dans un vertige que tout à coup, au moment où l’on se croit égaré, il suspend dans un souffle, la main levée, avant de décocher le trait qui doit foudroyer l’adversaire. Peine perdue. Piqué au vif, un autre a déjà pris la parole sans attendre l’autorisation de l’architecte. Et lorsque vient mon tour, au lieu de m’en tenir à ce qui fait le génie français, la concision et la clarté (que j’enseigne à mon équipe sous le nom de faire de belles oranges pas chères), il m’arrive à moi aussi, maladroitement, de céder à la magie du verbe. »

    Telle pourrait aussi être la définition de cet ouvrage, car la magie du verbe opère bel et bien en de nombreux passages de ce récit subtilement démultiplié. Auquel un récit final en italiques achève de peaufiner la complexité. Ce texte ultime, signé L, comme le texte d’ouverture auquel il fait écho, est daté de 2012, sans autre précision. Il fait allusion à un journal personnel de l’auteur, retrouvé aux Granges et remis à la lectrice par le même mystérieux messager. Dans ce journal, consigné dans « un carnet à spirales », l’auteur expose les différentes démarches qui ont présidé à la « fabrique du récit ». Il y est fait mention d’un texte intitulé « Vertige », daté lui, du 8 mars 2012. Pour une raison qui m’échappe – (aurais-je laissé passer quelque indice ?) – ce texte, qui aurait dû précéder le premier chapitre de « L’Épeire, » daté du 11 avril 2012, n’a pas été retenu par l’auteur. Dans ce carnet, l’auteur fait aussi allusion à son travail d’écrivain au moment de l’écriture de L’oca nera. Aux références et aux récits auxquels il est attaché – ici l’Adolphe de Benjamin Constant dont il loue le style. Il existait une note datée du 28 juillet 2012 ainsi qu’un chapitre intitulé « La discorde ». Le chapitre « La discorde » existe dans la version finale de L’oca nera, mais rien ne dit qu’il s’agit du même texte. En revanche, la date du 28 juillet 2012 n’a pas été retenue. Ce chapitre-là aurait dû figurer entre le 22 juillet 2012 et le 4 août 2012. Ainsi me suis-je laissé prendre au jeu de l’écrivain, à son goût pour les jeux littéraires qui sont le fondement de son propre récit. Je poursuis à mon gré – moi qui suis incapable de sauter un chapitre en temps normal – mon exploration fantaisiste, à la carte. En regroupant les cases qui renvoient au même sujet.
    Mais il faut aussi à la lectrice une grande patience, sinon de la persévérance pour parvenir jusqu’à l’oca nera, cette oie noire mystérieuse, vers laquelle doivent converger toutes les autres cases. Non pas en suivant un chemin linéaire, un axe temporel bien droit mais bien plutôt un « chemin tournant » qui se plie aux circonvolutions du récit tracé par l’auteur. Comme dans le jeu de l’oie ancestral – certains datent son apparition au XIVe siècle à Florence- le roman déploie son « échelle de corde », dans le temps comme dans l’espace, ménageant, au hasard des rencontres et des recherches, des retours en arrière et quelques bonds en avant. Le passé récent, de loin le plus développé, s’articule autour des années 2012 à 2014 (15 chapitres pour 2012// 23 pour 2013// 2 pour 2014) ; plus éloignée, l’année 1964 est présente par deux fois, l’année 1944, par six fois. Le chapitre d’ouverture, « Les Granges », daté d’une date unique – octobre 2017- est une lettre que le narrateur adresse à Livia depuis sa « Thébaïde ». Cette lettre, qui opère un retour sur un passé défunt, est précédée d’un préambule récapitulatif que l’on doit à la femme aimée, désormais à jamais perdue. Livia est en effet « dépositaire » du manuscrit qu’elle vient de recevoir par l’entremise d’un « messager » (Lorusso, ami du narrateur) ainsi que de la lettre qui l’accompagne, signée « Tuo, per sempre ». Le texte en italiques, outre qu’il y est fait allusion à ce que fut la relation de Livia avec le narrateur, est en lui-même un morceau d’anthologie romanesque. Qui combine en quelques paragraphes toutes les données qui assurent à la « préface » sa qualité de « genre littéraire à part entière ». Signé L, et non daté, la préfacière y atteste de sa fidélité au texte initial, non retouché (mises à part quelques broutilles) ; elle y expose aussi son intérêt de lectrice face à la complexité sur laquelle ce texte est construit, combinant et mêlant histoire personnelle récente et Histoire appartenant déjà au siècle passé, faisant apparaître et disparaitre les acteurs des tragédies dont elle redécouvre les visages. Mais elle s’abstient de révéler à l’éventuel lecteur, ici lectrice, le secret de « l’oca nera » qu’il lui faudra découvrir à son tour, avec la patience que le jeu de l’oie – jeu soumis au hasard des dés – mais qui ménage dans le même temps imagination et analyse – réclame de ses participants.
    En réalité, la lectrice passionnée que je suis démultiplie les approches, lit et relie entre eux les chapitres et les aventures qui se dessinent au fur et à mesure de son avancée, de ses retours en arrière ou de ses anticipations. Et la voilà perdue à nouveau, non sans délice, dans les méandres du labyrinthe qui déroule sous ses yeux ses multiples anneaux.
    Certains de ces anneaux sont déjà connus, sous d’autres formes, parce que présents dans d’autres ouvrages postérieurs à celui-ci. Ils font partie des obsessions du poète-romancier, de ses passions qui innervent son œuvre et la nourrissent sans répit. Ainsi de la recherche ininterrompue qui l’occupe sans faiblir sur « L’espionne du Vercors ». Figure centrale de L’Oca nera, elle réapparaîtra en 2024 dans Le Voyage intérieur. Et sans doute aussi dans le livre actuellement en gestation, suite possible de L’Oca nera.

    Le récit le plus émouvant – selon la lectrice – est celui que livre de lui-même, le narrateur. Collectionneur insatiable – il s’est confectionné une « ocathèque » très personnelle – cet érudit sensible et éclairé, que tout intéresse, les lettres comme les sciences (G.C serait-il un « Pic de la Mirandole » moderne ?) est un être de passion dévoré par le désarroi et le vide abyssal que crée en lui l’abandon – ou la perte – de la femme aimée. Livia. Dans le même temps, il est aussi dévoré par l’idée de la mort, dont la présence se fait de plus en plus insistante. Il n’est qu’à lire ce qu’écrit Olivier Rolin dans Un Chasseur de lions, cité à la date de 2012, juste avant la page signée L, pour s’en convaincre :

    « … les témoins meurent, puis ceux qui ont entendu raconter les histoires, le silence se fait, les vies se dissipent dans l’oubli, le peu qui ne s’en perd pas devient roman, qui a ainsi à voir avec la mort. »

    Ainsi en est-il du narrateur. Et de Gérard Cartier. Comme de nombre d'entre nous.

    Il y aurait encore beaucoup à rajouter au « désordre » ludique de cette recension. Je laisse à d’autres lecteurs – et lectrices- de choisir leur propre piste de jeu et le loisir d’explorer à leur guise textes et paratextes, colonnes et notes, schémas Excel et cryptogramme chiffré. Lequel m’est inaccessible, même avec la meilleure volonté du monde. Je n’ai pas essayé de transformer les chiffres en lettres. J’ai sauté à pieds joints ou presque au-dessus du « Code de Beltham » dont je n’ai retenu que l’idée d’« une organisation cachée » et l’apparition – peut-être – des « figures insolites ». Quant à moi, je cherche en vain à reconnaître dans le dessin de pointillés inclus entre abscisse et ordonnée la forme de l’oie prête à s’envoler vers son lecteur. Mais, au-delà encore, reste le plaisir du texte. Sans cesse renouvelé par une écriture foisonnante.

    Alors ? « Et l’oie noire, qui est-ce ? » – « L’oie noire c’est toi, qui refuses de m’aimer. »

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    CARTIER

    Gérard Cartier, L’Oca NeraLa Thébaïde, Collection roman, 2019.

    Voir sur Tdf =>  Gérard Cartier 

     

  • Nimrod / Anniversaires & Paquets Cadeaux

    << Poésie d'un jour

     
     
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    La planète bleue juste derrière le limbe lunaire,
    photographiée le 12 octobre 2015
    par les caméras de la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter.
    Crédits : NASA/GSFC/Arizona State University

     

     

     

     

                                 L’ÉQUATEUR

     

    Midi sur ton crâne exactement, ton ombre écrasée
    entre tes deux jambes qui souligne ton destin tropical
    à cette heure solennelle où la soif meurt où tu n’es plus

    Il est toujours midi sur ton crâne de terre
    qui prolonge la sphère solaire
    ballet des atomes à l’intérieur de tes os
    Il est toujours midi sur ton crâne exactement
    et les rayons frappent de plein fouet l’équateur

    Je vois une masse noire peut-être un homme
    et à côté le reste d’un feu de veille

    sa médiane universelle

    Ami je te mènerai jusqu’au carrefour équatorial

    Dans tes bagages je mettrai le soleil

    Et dans ton gosier l’eau siégera avec l’amour

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    NIMROD, « VŒUX I » in Anniversaires & Paquets Cadeaux, Gravures de Claire Bianchi, Vignette de Gérard Titus-Carmel, Le Carré des lombes, Obsidiane 2024, pp. 14,  15.

     

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    Source 

     

    Nimrod   sur   =>  Tdf 

     

     

  • Luigi Martellini / Polvere Di Mare (Poesie scelte 1964-1987)

    << Poésie d'un jour

    LUIGI MARTELLINI
    POLVERE DI MARE/ Poussière de mer
    (Poesie scelte 1964-1987) / Poésies choisies
    Traduction inédite de Anna Lo Giudice
    Sur une proposition de = >  Jean Nimis / Université de Toulouse

     

     

     

     

     

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    Photo : Angèle Paoli 

     

     

     

     

    Notturni
     

    1.

    Si spacca la stanza al respiro che sale
    dai vicoli col rumore del mare:
    un delirio che i miei Angeli
    scorgono ogni notte.
    Ricompongo sensazioni disperse
    nei locali e fuori a ridosso
    degli orti riconosco voci di operai
    che giocano a carte e mio padre
    nell’umidità della spiaggia.
    Il terrore smarrisce con la brezza
    che sbatte alle finestre.
    Rientro negli spettri della notte
    e sento i miei sassi in lontananza
    frangersi sulla risacca.

    2.

    Un arenile stamane pieno
    di rami arbusti tronchi
    gettati dal mare…
    si potrebbe accendere un fuoco
    accanto ai morti.
    Giungono brividi
    dal fiato notturno.
    Cerco tra festuche rinsecchite
    cespugli intrecciati arabeschi
    …solo una scheggia di legno
    gonfia di sale.

                            3.

    La gente trascorre la notte
    per le strade: paese di mare
    simile ad altri.
    Negli orti illuminati
    si racconta di anni a venire
    ogni sera è la conclusione
    di un rito che non muta.
    La pioggia degli astri
    ammanta l’ultimo cielo d’agosto
    sagome di barche
    nelle ombre del litorale
    sussurrano al vento
    leggende straordinarie
    di vecchi lupi di mare.

    4.

    Non c’è più spazio all’orizzonte
    nemmeno per lo sguardo
    in un paesaggio spazzato dalla bora
    ultima Thule delle nostre suggestioni.
    Miliardi di stelle a portata di mano
    restringono l’universo.
    Addirittura udivamo il suono
    di una conchiglia gigante.

    5.

    Chi mi toglierà dall’animo
    la pena che percorre le logorate
    sembianze del rito straniero?
    Già conosciamo la distanza
    del vecchio porto
    dove giungemmo
    con l’odore di salmastro
    nelle notti stellate.
    Sappiamo già
    della farsa che ci attende.

    6.

    Gli ultimi alberi
    di un ciclo antichissimo
    respirano l’atmosfera
    immobile della fine.
    Dalla memoria si dileguano
    le parvenze della sorte
    piene di eroi smarriti:
    potremo dunque ritrovare
    nel buio il nostro paese?

     

    Epigrafe

     

    Ho restituito la morte al destino
    preferisco la condizione di allora
    quando conversavo col mare
    raccoglievo pezzetti di vetro
    levigati dalla salsedine
    inventavo pupazzi d’argilla.

    Luigi Martellini, Polvere di Mare (Poesie scelte 1964-1987)
    Poussière de mer / Poésies choisies, Traduction inédite de Anna Lo Giudice

    NOTA: Les poèmes ici rassemblés (et traduits pour la première fois en français avec des variantes) ont été choisis et réorganisés selon un ordre chronologique à partir des recueils suivants, lesquels avaient été datés selon des critères internes :

     

    Quasar (1959-1975), Manduria, Lacaita, 1977, con l’introduzione di Mario Petrucciani.

    Infiniti sassi (1976), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1977, con la presentazione di Giorgio Caproni.

    Mistificato enigma (1964-1980), Caltanisetta-Roma, Salvatore Sciascia Editore, 1982, con una lettera di Mario Luzi.

    Poseidonis (1985), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1986, con una nota critica di Emerico Giachery (poi in Eídola).

    -Eídola (1960-1987), Milano, Marzorati, 1987, con la prefazione di Carlo Bo.

     

     

    Nocturnes

    1.

    Se brise la chambre au soupir qui monte
    des véhicules avec le bruit de la mer:
    un délire perçu chaque nuit
    par mes Anges.
    Je recompose des sensations éparpillées
    dans les cafés et dehors à l’abri
    des potagers je reconnais les voix des ouvriers
    qui jouent aux cartes et sur la plage humide
    mon père.
    La terreur s’égare à la brise
    battant aux fenêtres.
    Je rentre dans les spectres de la nuit
    et entends mes cailloux au loin
    se briser sur le ressac.

    2.

    Ce matin une plage de sable est comble
    de branches arbustes troncs
    jetés par la mer
    on pourrait allumer un feu
    près des morts.
    Frissons lancés
    par l’haleine nocturne.
    Je cherche parmi les fétuques sèches
    buissons entrecroisés arabesques
    … mais il n’y a qu’une écharde de bois
    bouffie de sel.

    3.

    Les gens passent la nuit
    dans la rue: village marin
    comme les autres.
    Dans les jardins éclairés
    on suppose le futur
    chaque soir est la conclusion
    d’un immuable rite.
    La pluie des astres
    recouvre le dernier ciel d’août
    les silhouettes des bateaux
    dans les ombres du littoral
    murmurent au vent
    leurs légendes extraordinaires
    de vieux loups de mer.

    4.

    Il n’y a plus d’espace à l’horizon
    même pas pour le regard
    dans un paysage balayé par la bora
    dernière Thulé* de nos suggestions.
    À pleines mains centaines d’étoiles
    resserrent l’univers.
    On entendait même le son
    d’une coquille gigantesque.

    5.

    Qui pourra arracher de mon âme
    la peine sur les traits
    fanés du rite étranger?
    On connaît déjà la distance
    du vieux port
    où l’on arrive
    avec une odeur saumâtre
    pendant une nuit d’été.
    On connaît déjà
    la force qui nous attend.

    6.

    Les derniers arbres
    d’un très vieux cycle
    respirent l’atmosphère
    immobile de la fin.
    Dans la mémoire s’effacent
    les apparences du sort
    pleines de héros égarés:
    on pourrait donc retrouver
    dans l’obscurité notre pays?

     

    Épigraphe

    J’ai rendu la mort au destin
    préférant ma condition d’antan
    lors des conversations avec la mer
    je ramassais de petits bouts de verre
    polis par la salure
    j’inventais des pantins en argile.

    *N.d.t. Nom latin fabuleux d’une région nordique non précisée, considérée la limite septentrionale extrême du monde.

     

     

    Martellini (1)

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

    Bio-bibliographie de Luigi Martellini :

    Luigi Martellini vive nelle Marche (Fermo). Già docente all’Università di Urbino e poi professore di Letteratura italiana moderna e contemporanea all’Università della Tuscia, ha scritto su D’Annunzio (Ateneo 1975 poi Carabba 2005), Malaparte (Mursia 1977), Matacotta (La Nuova Italia 1981 poi Carabba 2007), la Poesia delle Marche (Forum 1982), Cardarelli (ESI 2003) e su Pasolini (Cappelli 1979, Le Monnier 1983, Laterza 1989 ) fino al Ritratto di Pasolini (Laterza 2006, tradotto in spagnolo dall’Università di Valencia). Ha curato per Mondadori e Leonardo varie opere di Malaparte (Maledetti toscani, Tecnica del colpo di Stato, Il meglio dei racconti, Io, in Russia e in Cina, Mamma marcia, Il sole è cieco) e poi le Opere scelte per “I Meridiani” e per le Edizioni Scientifiche Italiane le opere inedite (Il Cristo proibito e Lotta con l’angelo) e i due volumi: Comete di ghiaccio e Le “Prospettive” di Malaparte.

    Altri saggi su Malaparte sono anche in “Chroniques Italiennes” (Parigi), in “Cuadernos de Filologia Italiana” (Madrid), in Atti di convegni dedicati allo scrittore ed ha collaborato al volume Malaparte (Parigi, Edizioni de L’Herne 2018).

    Inoltre un commento alla Coscienza di Zeno di Svevo è uscito da Carocci e studi su Petrarca, Monti, Leopardi, Ungaretti, Pavese, Tecchi, G. Stuparich, Calvino, P. Levi, Alvaro… sono in Atti di congressi e nei quattro libri saggistici: Modelli, strutture, simboli (Bulzoni 1986), in Nel labirinto delle scritture (Salerno 1996), in Novecento segreto (Studium 2001) e in Altri labirinti (Sette Città 2015).

    Ha collaborato alla terza pagina de “L’Osservatore Romano”, alla Letteratura Italiana di Lucarini, Marzorati, Einaudi Scuola, alla “Rassegna della letteratura italiana” e a “Otto/Novecento”.

    Si segnala anche la sua attività poetica, accolta con favore dalla critica e sulla quale si veda il link: (https: // bombacarta . com  / wp – content / 2022 / 01 / LiV – n.- 49 -                   Martellini. pdf ? x 40999).

     

     

  • Katie Peterson / Douceur en plein visage

                                                                                      << Poésie d'un jour

     

     KATIE PETERSON

     

     

     

     

     

     

    Katie Peterson / source 

     

    Earth

     

    When I was a little girl, all the time,
    people asked me why I was sad
    I befriended a slug the same size
    as my finger, but colder.
    I followed the sound of my mother’s keys.
    When they went dark places, I hid.
    My father brought baby roses
    home for my mother : an anniversary.
    I was sure they were for my teacher,
    who held my hand when I wrote
    the alphabet, but said good work
    like what I did was mine.
    In a warm climate, a longing for rain
    came to me immediately.
    Answering no question,
    I was trying to be what they saw.

     

    Terre

     

    Quand j’étais petite, tout le temps,
    on me demandait pourquoi j’étais triste.
    Je fis d’une limace une amie, la même taille
    que mon doigt, mais plus froide.
    Je suivais le bruit des clefs de ma mère.
    Si elles s’éclipsaient en lieux sombres, je me cachais.
    Mon père rapporta à la maison des roses en boutons
    pour ma mère : un anniversaire.
    J’étais sûre qu’elles étaient pour mon institutrice,
    qui me tenait la main quand j’écrivais
    l’alphabet, mais me disait bon travail
    comme si j’inventais tout.
    Dans des climats chauds, le désir de pluie
    me venait d’instinct.
    Ne répondant à aucune question,
    je tentais d’être ce qu’ils voyaient.

     

     

    Téléchargement (3)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Katie Peterson,  « III Rendre compte » in Douceur en plein visage, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aude Pivin, Préface de Louise Glück,
    Édition bilingue, D’une voix l’autre, Cheyne éditeur 2024,pp.70,71.

     

     

  • Julia Peker / Marelle

    <<Poésie d'un jour

     

    Entre tes poings

    Affolée de ne pas savoir lire
    dans les nuages
    tu t’enroules autour d’un sein
    tari depuis longtemps

    drapée dans sa chevelure
    tu te balances autour de cet axe
    bercée de comptines
    emportée par le poids des caresses

    la pluie pourrait
    laver ces années de larmes
    qui s’écaillent au fond de tes yeux
    mais ton visage hésite
    à se confier au vent

    j’essaie de glisser
    entre tes doigts serrés
    ce qu’il faut de cailloux
    pour semer tes peurs

    la route sera longue
    et la terre tourne sous tes pieds

     

    Peker

     


     

     

     

     

     

     

     

     

    Julia Peker, Marelle, Dessins d’Ena Lindenbaur, Préface de Jean-Louis Giovannoni, L’Ateleier Contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2024, p.47.

     

    Julia Peker

     

    Julia Peker est agrégée de philosophie et psychologue clinicienne. Elle publie aujourd’hui son premier livre de poésie. Un second est en chantier depuis plusieurs mois. Elle a publié des essais : Cet obscur objet du dégoût (Le Bord de l’eau, 2012) et Philosophie de l’art, en collaboration avec Fabienne Brugère (PUF, 2010).

     

     

  • Terres de femmes n° 237 ― Octobre 2024

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    du numéro du mois d'Octobre 2024
     
     
    OCT 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction :  Angèle Paoli
    Coordination éditoriale:  Yves Thomas  († 2021) 
    Direction artistique, mise en images et mise en pages : Guidu Antonietti di Cinarca    (G. AdC) 
     
     
  • TdF sommaire du mois d’Octobre 2024 / N° 237

     

     

    OCT 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS  D'OCTOBRE 2024  ♦

     

    ♦ Cartouche du N°237 de Terres de femmes / octobre 2024 ♦

    Angèle Paoli / Caroline François-Rubino / Mont Ventoux, vues et variations / Lecture de Pierre Dhainaut
    Gérard Cartier / L'Oca Nera
    Audomaro Hidalgo / Les desseins de l'intempérie
    Jacques Réda / Amen
    Pierre Dancot / L'APPARITION
    Maggie Nelson / Bleuets
    Marilyne Bertoncini / L'anneau de Chillida / Lecture de Murielle Compère-Demarcy
    Jennifer Elise Foerster / Leaving Tulsa
    Alexandre Pouchkine / D'amour, d'espoir…
    Arnoldo FEUER /107 DE GOUDRON & POUSSIÈRE
    Jeanne Tsatsos / Lumière dans l'obscurité
    Denise Le Dantec / Aussi bas que les fleurs / Lecture de Michael Bishop
    Jean-Baptiste Pedini / Un monde à nu
    Robert Ganzo / Lespugue
    Esther Tellermann / Selon les sources
    Denise Le Dantec / Aussi bas que les fleurs
    Jacques Réda / Mort du poète

    Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre / Lecture de Pierre Dhainaut

    Gérard Cartier / Le Méridien de Greenwich

    Gabriela Mistral / Essart
    Emmanuel Moses / Le Dictionnaire des sérénités 

     

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                    ♦ Tdf sommaire du mois de septembre 2024 ( N°236)
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de septembre  2024 ( N° 236)  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf
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  • Angèle Paoli / Caroline François-Rubino / Mont Ventoux, vues et variations / Lecture de Pierre Dhainaut

    Angèle Paoli, Mont Ventoux, vues et variations,
    Peintures de Caroline François-Rubino
    Éditions Voix d’Encre 2024

    Lecture de Pierre Dhainaut in Revue Diérèse,
    numéro 91-Automne 2024.

     

     

    CAROLINE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Elles sont deux amies à célébrer dans le même ouvrage le Mont Ventoux : la première, qui est peintre, habite dans son voisinage, la seconde, poète, y séjourne fréquemment, Caroline François-Rubino et Angèle Paoli.

    Caroline François-Rubino, il y a quelques années, a choisi de vivre dans un village des Baronnies (dont le nom est cité parmi d’autres dans un poème d’Angèle Paoli), je suis sûr qu’elle avait déjà plus que l’intuition de se laisser inspirer par le Mont qu’elle peut voir de sa maison. Elle ne s’est pas expliquée, mais sur la quatrième page de couverture de Mont Ventoux, vues et variations, elle a tenu à signer seule une longue dédicace énumérant les peintres que depuis toujours elle admire, en particulier Hokusai, Hiroshige, Monet, Cézanne, Turner, mentionnés d’abord, qui sont associés à des Monts, le Fuji, la Sainte-Victoire, le Rigi… Il fallait pour prendre leur suite une grande ambition : Caroline François-Rubino souhaita consacrer au Ventoux 100 « vues » comme Hokusai au Fuji, elle y parvint : voici un choix de 36 peintures, le même chiffre que dans la première publication du maître japonais. Cette ambition n’altère en rien ce qui caractérise l’art de Caroline François-Rubino, l’état d’esprit qui l’anime, une constante, une profonde modestie.

    Comment rendre présent ? Arbres, nuages, pierres, chemins ne sont pas décrits, définis, mais évoqués, ils ne sont pas détachés de l’ensemble naturel, ils restent intégrés, ils respirent dans la respiration générale : « Tout est sensible », pourrait dire avec Nerval Caroline François-Rubino, tout vibre, terre et ciel, vide et plein, le paysage, un perpétuel passage de souffles – ou de vents. N’est-ce pas la pensée de l’Extrême-Orient que retrouve la peintre ici, en Provence ? Mais son œuvre entière refuse le dualisme. La vue est une faculté de l’esprit, l’attention, qui est d’autant plus intense qu’elle est fluide.

    C’est bien devant le Mont Ventoux que nous sommes, nous en reconnaissons la ligne de crête si particulière, quand on vient du Nord, à la fois puissante, légère, sinueuse, impérieuse : Caroline François-Rubino ne se lasse pas de la dessiner ou d’en moduler le trait, qui devient une sorte d’aura. À la différence d’Hokusai, elle ne change jamais de point de vue. Elle ne tient pas à considérer le motif sous tous les angles, voire à l’imaginer. Est-elle plus proche de Monet face à la cathédrale de Rouen, par exemple, rivalisant avec la lumière pour tenter de la saisir ?

    Elle peint une réalité qui infiniment se transforme selon les saisons et les heures du jour et de la nuit, qui se dérobe, cette réalité qui tient de la pierre et du souffle ne peut être peinte avec la vue seule, qui s’ouvre à la mémoire, celle du peintre, celle du monde. Nous franchissons les frontières : qu’est-ce que le tangible ? qu’est-ce que l’impalpable ? qu’est-ce qui distingue le dehors de l’intime ? Le minéral est aérien. La couleur unifie tout, le bleu essentiellement, dont se multiplient les nuances, du plus clair au plus sombre, que Caroline François-Rubino affectionne, le jaune pâle, l’ocre, le rouge, dans un ordre imprévisible, et ça et là nous identifions des arbres, des pierres, des ravins, des clairières.
    « Vues et variations », le sous-titre du livre est explicite : « vues » est lié grâce à l’allitération à « variations » au sens musical. Tout demeure, tout se métamorphose. Caroline François-Rubino comme en rêve nous révèle la vérité d’un lieu.

    Différente, la participation d’Angèle Paoli. Images et textes se complètent admirablement. Alors que Caroline est immobile, Angèle se déplace, elle va partout. Le mot qui revient fréquemment : « chemin », ou plutôt, en occitan, « draille », dont la sonorité finale se reproduit dans « pierraille » ou « rocaille », eux aussi fréquents. Angèle Paoli, soucieuse d’exactitude géographique, nomme avec précision le calcaire, les saxifrages, les pins d’Alep, les hêtres, les chênes … Elle s’inscrit dans une réalité à laquelle elle adhère de tout son corps, il n’y a pas une page qui ne le dise, et c’est à un voyage qu’elle nous invite. Le Mont Ventoux dès le début est comparé à un navire, il a une « étrave », une « carène », « [i]l file droit », la poète ne cesse ainsi d’aller à travers l’espace comme à travers le temps.
    Angèle Paoli rencontre sur les pentes randonneurs et cyclistes, elle accompagne les poètes qui l’ont précédée, du plus illustre, Pétrarque, le premier à avoir raconté sa randonnée, à René Char au château d’Aulan (il faisait du Ventoux « le miroir des aigles »), à Pierre-Albert Jourdan dont la maison se trouvait à Caromb. Le voyage s’effectue donc à travers les « vignes », la référence à La Chanson de Roland (« Hauts sont les monts, profondes les vallées ») procure aux poèmes une dimension transhistorique.
    Ces poèmes ne sont pas aussi simples, familiers, que nous le pensions, les deux derniers nous mettent en garde. Angèle Paoli cite Pierre-Albert Jourdan : « Tu peux écrire : mais ce n’est pas écrire qu’il faudrait : c’est marcher/marcher où s’échancre la lumière. » Comment ne pas nous rappeler que Jourdan avait fondé une revue intitulée Le Port des singes ? Ceux qui allaient gravir le « Mont analogue » de René Daumal sont partis de ce port. L’ascension n’est pas une conquête matérielle, mais une aventure mystique ou, pour mieux dire, initiatique, sans fin. Le sens du livre de Caroline François-Rubino et d’Angèle Paoli, l’avant-dernier poème l’éclaire justement :

    Le Ventoux
    dans son silence
    habité par les souffles

    libère l’espace
    intérieur 

     

    N°24 retouché (1)

     

     

     

     

     

     

     

    Vue 24

     

    VIGNETTE

     

     

     

     

     

                           

                       Angèle    et    Caroline 
                              Photos : DR 

     

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