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  • Jérôme Nalet / Tangram

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Tangram_carré

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

    TANGRAM

     

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    Je suis étranger à moi-même. Toi, tu vis chaque
    instant du moindre de tes atomes. Pour cela, je
    t’en veux terriblement. Et pour cela je t’aime
    encore plus terriblement.

     

     

    Te rencontrer, je l’ai presque autant craint que
    souhaité : avant d’être beauté tu es lumière,
    vérité profonde, irradiante. Rien ne pouvait m’y
    préparer.

     

     

    Tu dois sauver ce qui peut l’être en moi. Soigner
    l’aveugle et sourd, l’absent, le fait d’ombre… Je
    t’en supplie.

     

     

    Mais tu vas contre mon unicité. Ma solitude est
    toujours plus sédimentaire, alors qu’il faudrait
    la saisir comme un fruit, l’ouvrir, en extraire le
    noyau.

     

     

    Je n’ai pas gémi, hurlé, mordu depuis longtemps.
    Maudit. Je n’ai pas maudit depuis longtemps.

     

     

    Me prend encore, de loin en loin, l’envie de
    t’ingérer. Pour m’approprier ta fraîcheur et ta
    sagacité, l’ondoiement continu de ton intelligence.

     

     

    Je veux tout. Que tu m’apaises et que tu me
    ravages. Être ta victime et ton bourreau. Je veux
    un horizon païen directement issu de ta carnation.

     

    Tangram(1)

     

     


     

     

     

     

     

     

    Jérôme Nalet, « Tangram II », in Tangram, Cheyne Éditeur, Collection Grands Fonds, La voix est libre, 2024, pp. 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48.

    Biographie  de Jérôme Nalet :
    Né en 1977. Il vit actuellement en région parisienne. Antérieurement, il a publié un recueil dans la collection Polder de la revue Décharge (Te léguant mon oeil mort, en 2020), ainsi que quelques poèmes en revues (outre Décharge, le fanzine Traction-Brabant)..

    ♦ Note de l'Éditeur :
    Tangram est à la fois un jeu composé de sept pièces de bois de différentes formes et le titre du premier livre de Jérôme Nalet publié chez Cheyne composé de quatre textes. Pour l’un comme pour l’autre, tous les agencements sont possibles, toutes les imaginations.
    Qui sont les figures évoquées dans ce livre ? Qui est ce père ? Ce fils ? Cet impérial Costa, mystérieux et comminatoire ? Qui sont Pic et Ploc, ces enfants malfaisants, dangereux et sournois dont les présences évoquent peut-être le fascisme ? Chacune, chacun aura ses réponses à ces questions posées dans une écriture incisive, précise et souvent pleine d’humour, qui n’est pas sans rappeler certains récits de Kafka. Le livre se clôt sur des monologues du personnage de la Barbe-Bleue, tout droit sorti du conte. Et c’est tout simplement la littérature qui se réinvente sous nos yeux, dans une langue nouvelle, inédite. Un premier livre remarquable.

     

     

  • Brina Svit / Les cycles de la révolte / Lecture d’Angèle Paoli

    Brina Svit, Les cycles de la révolte, Éditions Gallimard 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

     

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    Gravure  de  Monique Tello :  Source 

     

     

    Boris A. Novak, « porte-parole de la révolte »

    Voilà un roman, Les cycles de la révolte, dont la narratrice est à l’image de sa créatrice. Difficile, pour moi qui connais de longue date la romancière franco-slovène Brina Svit de les dissocier l’une de l’autre, tant elles se ressemblent. Même âge, à peu de choses près, même allure juvénile, même façon d’être et de se déplacer – de préférence à vélo –, même caractère, à la fois rebelle et tendre. Têtu et drôle. Fantaisiste et changeant, capable de faire volte-face en un clin d’œil.

    Dans ce dernier roman, récemment paru aux éditions Gallimard, collection blanche, Brina Svit met l’accent sur plusieurs cycles de la révolte. Révolte intime, sur laquelle s’ouvre le récit de Nastia, la narratrice, révolte plus ample d’un petit pays, la Slovénie. Deux cycles, apparemment disjoints, qui, par touches successives et en l’espace de quelques jours, se trouvent intimement liés. Car Nastia, native de Ljubljana est restée slovène de cœur en dépit de son amour indéfectible pour Paris, sa ville d’adoption.

    Nastia est venue se replier quelques jours dans sa ville natale afin de rompre définitivement avec l’échec amoureux qui la ronge. Un abandon incompréhensible, tout à fait imprévu, qui a mis fin à une relation extra-conjugale avec un amant qui lui déclare tout de go et sans autre explication que sa nouvelle amante se résume à « une attirance ». Une déclaration qui laisse Nastia désemparée et rivée à son téléphone portable, dans l’espoir qu’elle y trouvera la petite phrase magique à laquelle ils étaient tous deux arrimés, depuis tant d’années :

    « Je t’aime, tête dure, comme la mer aime le menu gravier de ses profondeurs. »

     


    Une fois envisagée la rupture avec François, il ne reste que la « tête dure » de Nastia qui s’enferre et ne parvient pas à se libérer de cette emprise. Un fil rouge que cette « tête dure », lui-même inclus dans le fil rouge emprunté à Kafka, dont la petite phrase revient comme un leitmotiv poétique dans le récit pris en charge par Nastia. Il faudra à la narratrice une série d’événements pour qu’elle parvienne à rompre ce fil à la patte qui la mortifie et la laisse vide au bord du gouffre. Parmi les événements perturbateurs, la manifestation hebdomadaire qui réunit à Ljubljana les révoltés contre le gouvernement slovène. Ljubljana, la « bien aimée », qui draine avec elle, dans sa lenteur de belle endormie, la nostalgie de Paris :

    « Et elle ne se lasse jamais de prendre la rue de Rivoli à vélo, de longer la Samaritaine, le Louvre, les Tuileries, et de continuer jusqu’à la Concorde, surtout à la tombée du jour, que les lampadaires s’allument et que la place devient comme une galaxie, puis de descendre sur les quais pour revenir chez elle, passer sous le Pont-Neuf et sentir quelque chose s’élargir dans la poitrine… » Puis « aller s’asseoir aux Tuileries et contempler le monde autour d’elle comme si elle était au cinéma. »

    Ce qui frappe d’emblée dans ce récit conduit avec talent, c’est sa rapidité d’exécution romanesque. Tout en zigzagant dans la narrativité, Brina Svit va droit au but, avec la vivacité et l’énergie qui la caractérisent, jouant de l’élastique sur l’axe temporel où alternent rétrospectives, anticipations et retours au présent, souvenirs et pensées qui tiennent prisonnière la narratrice, retours au mal être actuel qui l’obsède et la tient, vide de désirs, d’occupations, de projets. Laissant tomber sans la prévenir sa sœur Dora qui l’accueille, Nastia s’installe dans un appartement provisoire. Beaucoup trop grand pour elle, dit-elle.

    Outre la maîtrise temporelle, l’art du monologue intérieur et celui du dialogue qui assurent au style toute son efficacité, Brina Svit possède aussi à son arc l’art de brosser des portraits tout en contrastes et en contrepoints. Ainsi de Nastia et de Dora – l’impulsive et la rangée – pourtant sœurs, et si différentes. Dora, presque exclusivement occupée par son métier de médecin et par ses patients ; Nastia, chargée à Paris d’une galerie d’art et férue d’art contemporain. Elle voue une admiration toute particulière à Monique Tello, par exemple. Portraits de famille sur des photos de vacances, père mère et sœurs. Portrait de Zarja, l’amie de toujours, un temps, retrouvée ; Zarja qui la met au courant des événements et l’enjoint de rejoindre la manif :

         – « Trouve-toi un vélo. Ou vas-y à pied. Je ne sais pas si tues au courant. On manifeste à vélo tous les vendredis        depuis un certain temps. A Ljubljana, mais aussi dans les autres villes. On proteste contre la dérive autoritaire         du gouvernement. Contre le fait qu’il se serve de l’épidémie pour interdire toute opposition. Contre a politique       de haine et d’exclusion. Et tu auras remarqué que je ne prononce même pas le nom de notre Premier ministre,         imitateur d’Orbán, admirateur de Trump…Tu devrais y aller pour moi aussi, vu que je ne peux pas bouger               d’ici… »

    Portraits de Marko et de Tobias, le journaliste belge avec qui, contre toute attente, Nastia finit par partager          l’appartement trop grand, propriété de Marko. Tobias, qui s’intéresse à la Slovénie, à ce qui s’y passe en ce temps de pandémie et dont la présence aux côtés de Nastia va bousculer le récit et progressivement changer le cours des choses. Au contact de Tobias et de son engagement, Nastia se déleste peu à peu de son ancienne peau. Elle se dégage de son moi encombrant et autocentré pour s’ouvrir à l’autre, l’accepter jusque dans son projet, s’intéresser à ce qui l’occupe et le préoccupe. Par son humour et son regard décalé Tobias parvient, non sans anicroches, à modifier le regard de Nastia. Sur elle-même, sur son identité, sur sa slovénité. A reprendre en main les rênes de sa vie. Et à rejoindre les milliers de vélos rouges rassemblés pour la manifestation. Premier cycle de la révolte.

    Très cinématographique, l’écriture de Brina Svit s’appuie sur des énumérations et des réitérations syntaxiques qui permettent à la romancière de décliner tout l’éventail des portraits qu’elle va tracer en alternance. Un art d’une grande mobilité, tout en fraîcheur juvénile. Ainsi de Nastia la passionnée, qui n’est pas sans évoquer la romancière, un double, en quelque sorte. Nastia la grande amoureuse blessée, pour qui, ce qui compte avant tout, c’est de tout faire pour vivre. Vivre sa vie à fond selon la devise du poète slovène, Boris A. Novak : La liberté est un verbe. Un verbe d’action dont la romancière possède une clé bien à elle.

    Quant à Ljubljana, qui n’a aucun secret pour elle, la narratrice y cherche son souffle, celui d’une nouvelle vie, d’un nouveau regard. Elle retrouve peu à peu le plaisir de déambuler dans ses rues et dans ses parcs ; elle en retrouve les mystères. Rien n’échappe au regard de la parisienne venue se délester de ses démons. Chemin faisant, au fil des journées qui passent, elle se réapproprie l’architecture de sa ville – qui doit beaucoup au génie de Plečnik -, son Triple Pont sur le fleuve, ses statues de poètes et d’artistes, ses parcs et ses lieux cachés. La beauté de la ville et ses laideurs se livrent avec pudeur, sous les regards de la lectrice ébahie qui superpose à la capitale slovène les souvenirs qu’elle a gardés de Trieste.

    Pour en revenir à Nastia et à cette histoire de manifestations à vélo, la narratrice prend conscience progressivement de l’importance de l’événement. N’est-ce pas déjà un indice de ce qui va se profiler, si elle a choisi, en dépit de ses résistances, un appartement en vis-à-vis d’une usine de cycles désaffectée ? Et si Marko, le propriétaire de cet appartement porte un pull rouge, de ce même rouge dont les murs de la ville, couverts de graffitis de la même couleur, sont tagués ? C’est là, place de la République, devant le Parlement où sont massés policiers et manifestants, qu’elle entend une voix déclamer le poème de Novak sur la liberté :

    « La liberté n’est pas un substantif dans le dictionnaire… la liberté n’est pas un mot creux de politicien… la liberté n’est pas garantie par l’Etat… la liberté est un chemin inconnu… la liberté est un verbe. »

    Poème qui devient le symbole des « protestations à vélo ». Pacifiques et respectueuses du bien public. Avec Novak, porte-parole de la révolte.

    De Tobias et du dénouement du récit, je ne dirai rien. Brina Svit ménage le suspens jusqu’au bout. Et c’est très réussi.

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
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    SVIT

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Brina Svit / Les cycles de la révolte / Éditions Gallimard 2024_

     

    BRINA SVIT

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait par:  G.AdC 

     

    ♦ Brina Svit sur →  Tdf 

     

  • Emma Doude Van Troostwijk / Ceux qui appartiennent au jour

    Lecture

     

     

     

     

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    Emma Doude Van Troostwijk

    Source :  Photo Mathieu Zazzo

     

     

        Le visage   de mon grand-père   est penché   vers le
    bureau en acajou de Mama. Ses genoux sont pliés sur
    la chaise   à roulettes.  Un bout  de cuir noir    déchiré
    fait   apparaître   la mousse   en dessous.   Il coince sa
    langue   entre   les dents.   Il tient un stylo-plume.   Je
    demande,   Opa,  wat doe je, tu fais quoi ?    Il ne lève
    pas la tête.   Je m’approche.  Sur le plateau de la table,
    il grave   des mots    incompréhensibles.   Je pose   ma
    main sur la sienne,   Opa on fait   pause  deux minutes.
    Je te donne une feuille,   d’accord ?    Mon grand-père
    me regarde.  Il ouvre la bouche.   Il dit, je cherche  ma
    femme, vous ne l’auriez pas vue ?

     

        Je ne peux pas.   Les portes claquent.   J’étouffe, tu
    comprends ça ? Bruit de pas dans l’escalier. Nicolaas,
    attends.   Ne pars pas comme ça. La voix de ma mère
    supplie. La porte d’entrée   fait trembler   les murs en
    se fermant. Le chien aboie. Par la fenêtre je vois mon
    frère,   chaussettes   tricotées   à la main    pour seules
    chaussures,   traverser la route   et courir vers la forêt.
    Il trébuche, je serre les dents, il se relève,   reprend sa
    course et disparaît derrière les grands sapins verts.

     

        Le corps de mon père est recroquevillé sous la lumière
    du porche. Enroulé dans la vieille couverture de Nico-
    laas, entouré d’un épais halo de fumée, il est une créa-
    ture d’un autre monde. Papa ? Je l’appelle en murmurant
    pour ne pas l’effrayer. Ses yeux sont vacants. Je m’installe
    en face de lui. Je pose en hésitant, avec la fébrilité d’un
    geste risqué,  ma paume contre son genou.  Il ne réagit
    pas.  Autour de nous,  le soleil monte,   chassant de ses
    premiers rayons le froid de la nuit. On pourrait être un
    tableau. Lui, extraterrestre à la peau laineuse, moi, enfant
    malhabile à ses pieds. On appellerait ça la tendresse ou
    l’étranger. Papa s’essuie les yeux du dos de la main avec
    lenteur. Il renifle. Sa voix fissure le silence. Ik weet niet
    meer wie ik ben. Je voudrais lui dire qu’il est le géant
    sans peur de mes nuits d’angoisse, le héros d’une autre
    terre qui n’attend que lui. Je ne dis rien de tout cela. Dire
    à mon père qui il est ne m’appartient pas.

     

       La lumière    de ma lampe    de chevet.    Mama
    qui me secoue. Papa qui me secoue. Nicolaas n’est
    pas là. Le cerveau qui flotte encore un peu. Les yeux
    collent. Réveille-toi, il n’est pas revenu.

     

    Ceux-qui-appartiennent-au-jour

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emma Doude Van Troostwijk, Ceux qui appartiennent au jour, roman, Les Éditions de Minuit 2024, pp.144, 145, 146, 147.

     

    ♦ Voir aussi  sur En attendant Nadeau

     

     

     

  • Isabelle Baladine Howald / M

                  << Poésie d’un jour

     

     

     

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           Source 

     

                    Dans le m du temps, il y a moi ta prise de guerre

                       mes cheveux ont flotté dans le Danube et ont pris la  
                   couleur ophélie    

                   m est brune comme une sarrazine dit-elle encore une  
                   sornette mais  
                   personne n’a la preuve alors on a tous fait semblant de  
                   croire.  
                   sans doute cela fait jouir de penser qu’un prince un
                   jour autrefois déflora 

     

                  et moi je ressemble à Madeleine la m de père         
                  l’absente la pâle la légère.
                  la morte d’un abcès à la gorge à vingt-trois ans  
                  quel frisson pour les vivants

                     
                  M                                              du roman familial

     

                  jamais rien cru                          soupçon constant d’un faussaire

     

                  m de tête                                   et les os du crâne se descellent       
                                                                   mains patientes les rėajustent régu-    
                                                                   lièrement

                 je dis                                         je vous donne ma tête deux jours et
                                                                  vous remettez tout en place

                comme ça                                  tête ne me fera plus m       mal

     

                nous rions sérieusement 

     

               M          donne à ses filles de rêve ce que je       
                            lui donne dans l’heure qui suit ou dans mon dos  
                           
    c’est toujours une stupéfaction          une petite      
                           dépossession 

                           interloquée et le cœur en bris

                           m         à qui    j’      ai offert plus de paires de boucles     
                          d’oreilles qu’à personne d’autre ne parle que de la boîte  
                          où sont celles offertes par une des filles élue

     

                         c’est plutôt drôle certes mais petite trace reste

     

    M

     

     

     

     

     

     

     

     

                        Isabelle Baladine Howald, M, éditions] Isabelle Sauvage, 2024, pp.24, 25, 26.

     

    Voir aussi sur →Tdf

                                                        

  • Hélène Lanscotte / Ma femme, cette animale / L’espérance

         << Poésie d’un jour

     

     

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    Photo-collage  → G.AdC   source photos: Google 

     

     

     

    L’ESPÉRANCE 

     

    Ma femme espère les êtres dans les êtres, les êtres dans les choses, et parfois les choses dans les êtres.
    Elle dit qu’elle voit le ciel dans l’oiseau, l’arc- en- ciel dans le renard, qu’elle entend la plainte dans l’arbre et le rire dans l’herbe.
    Nous marchons côte à côte sur le sentier du bois.
    Je songe à la souris dans la chauve-souris, au moineau dans le chat, à la grenouille dans le bœuf, à la parole dans le singe.
    Mais ce n’est pas du nom dans le nom, ni du mangé dans le mangeant, ou du petit dans le grand, que ma femme espère.
    Je lui parle des ancestralités gigognes, le lézard dans le geai, la musaraigne dans le marcassin, le poisson dans le serpent.
    Elle répète qu’elle voit le ciel dans l’oiseau, l’arc-en-ciel dans le renard, qu’elle entend la plainte dans l’arbre et le rire dans l’herbe et que cela l’emplît car elle- même ne sait pas très bien ce qu’il y a en elle. 
    Je pense à toutes nos vies dans notre vie, à tous les morts dans les vivants et aux vivants dans le vivant. Je pense à ma femme dans ma vie. 
    Nous contournons le vaste champ, l’air est de plus en plus doux. 
    Dans ses cheveux, je discerne un vent d’inquiétude et sur ses mains, des années de lumière et de nuit; à sa cheville, la course d’un lièvre et sur sa joue, une plaie de fourrure.

    Le silence nous rejoint. Sa marche me devance un peu. Alors je crois distinguer, au lieu de l’écharpe de laine verte et grise qui s’enroule autour de son cou, un long et large serpent recouvert, non d’écailles, mais de plumes aux mêmes teintes vertes et grises. Le mot boa me vient à l’esprit. Il correspond à la taille de l’animal mais non aux plumes légères et frivoles qui lui sont ordinairement associées ; ces dernières s’agencent parfaitement, comme chez n’importe quel oiseau. 
    Quelques pas plus loin, je vois le reptile se desserrer lentement puis se réinstaller plus confortablement sur les épaules de ma femme. 
    Sans se retourner, elle me tend la main pour que je me rapproche d’elle et nous poursuivons notre promenade tous les trois. 

    Ma-femme-cette-animale

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Hélène Lanscotte, Ma femme, cette animale, CHEYNE Éditeur , Collection Grands Fonds, La voix est libre, 2024, pp.9, 10.

     

     

    Performance

     

     

     

     

     

     

    Source

    ♦ Son → site

     

  • Thierry Pérémarti | Un jour plus loin dans le jour

      << Poésie d'un jour

     

    C

               Photo:→ G.AdC 

     

     

     

                                         pas à pas

     

     

                              voué au reliquat
                          des paroles mortes

     

     

           dans l’attente du signe, des signes

     

           malgré la brûlure inépuisée
                                       qui ricane

     

     

               et nos corpuscules
                               du vivre
            au rouvrir de la nuit

     

     

                                              et si
                 nous nous étions tenus
         en retrait, de ce qui prit feu

                            dans nos cœurs

                à la faveur d’un baiser
                                     un espoir
                               à la renverse

     

                                 à quel vécu
                      aurions-nous cédé

                                     peut-être

     

                      un grain de beauté
                                   dans le pli

     

                         du drap peut-être

                                        est écrit
                                    et s’efface

     

          
                                        elle dit
                        qu’il ne pleut pas

     

       tapotis des gouttes derrière la vitre

     

    Livre

     

     

     

     

     

     

     

     

    → Thierry Pérémarti, Un jour plus loin dans le jour,  → Les Carnets du Dessert de Lune 2024, pp. 21, 22, 23.

     

    Peremarti-carre

  • TdF sommaire du mois de février 2024 / N° 229

     

     

     

    Image février 24 tdf

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS DE FÉVRIER 2024  ♦

    ♦ Cartouche du N°229 de Terres de femmes / février 2024

     

     Marilyne Bertoncini & Ghislaine Lejard | À fleur de bitume / Itinéraires urbains
    Nicole Laurent-Catrice in Marie-Hélène Prouteau | 12 poètes contemporaines de Bretagne
    Emmanuel Moses | Poèmes fantômes | Lecture d'Angèle Paoli
    Valérie Canat de Chizy | La Langue des Oiseaux
    Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard | À fleur de bitume-Itinéraires urbain
    Vignale, le jardin partagé | Les ricochets poétiques d'Angèle et de Marie T. | Lettre N° 21
    Sophie Loizeau | Les Moines de la pluie | Lecture d'Angèle Paoli
    Nicolas Pesquès | La face nord de Juliau dix-neuf
    Sanda Voïca | L'ère de santé | Lecture d'Angèle Paoli
    Yannick Haenel | Bleu Bacon
    Marie Darrieussecq | Fabriquer une femme
    Jérôme Sueur | Histoire Naturelle du Silence
    Pierre Bergounioux | François
     Sylvie-E. Saliceti | "LA GRENADE"
    Friedrich Nietzsche | Six chants populaires serbes
    Adeline Baldacchino | Ce que nous sommes lorsque nul ne nous voit
    Romain Fustier | Terre-mer 
    Lydia Padellec | La Maison morcelée
    Claire Gauzente | EXTRASYSTOLES
    Michèle Finck | La voie du large | Lecture d’Angèle Paoli
    Esther Tellermann | Nos racines se ressemblent 

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                    ♦ TdF sommaire du mois de janvier 2024 / ( N°228)
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de janvier 2024 ( N° 228) 

     ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros

  • Terres de femmes n° 229 ―février 2024

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    du numéro du mois de février 2024

     

    TDF FEVRIER 2024

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca:( G. AdC ) 
     
     

     

  • Blandine Merle | Naître et mourir

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    DE LA TOUR

     

     

     

     

     

     La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour (Détail) 

     

     

     

    Il y a quelque part ce tableau
    ou plutôt cette scène : d’une jeune femme
    chaudement vêtue, assise près du feu
    en train de tricoter une layette
    et de dessiner ses pensées à sa mère
    (ou sa grand-mère)
    dont elle tient l’art du maillage,
    dans un fauteuil qui peut-être
    était à bascule – d’où venait sinon
    le mouvement d’ensemble de la scène,
    identique à celui d’un balancier ?

     

    Révolution copernicienne

    La brodeuse n’a peur elle
    que l’existence de son front penché
    dans la lumière du soir ( non plus

    une chandelle,
    comme dans les tableaux de Georges de La Tour,
    mais une lampe de chevet, aussi imparfaite à éclairer
    l’ensemble de l’ouvrage
    que le Soleil l’ensemble de la Terre)

    portant momentanément l’attention de celle
    qui peut mieux travailler ôte parfois ses lunettes
    et se colle presque à la toile
    sur tel pétale ou telle tige,
    et le détail exige
    une si totale exclusivité qu’il fait entrer dans la nuit
    le reste du champ de coquelicots ( dont le tour viendra
    d’être porté au jour).

    Silence, elle tourne.

     

    Songe bleu
    où le corps circule aisément
    comme affranchi de la pesanteur ;

    contre un arbre, une femme d’âge mur
    tient dans ses bras une fillette

    (gros plan sur les cheveux de l’enfant
    que la femme lentement peigne
    comme si elle démêlait un nœud situé ailleurs

    -dans la gorge,
    ou dans une lointaine branche généalogique).

    Quelque chose au réveil a bougé.

    C’est dans l’armoire,
    entre les piles de linge plié au carré,
    une façon plus légère
    de choisir les vêtements du jour.

    Naître et mourir

     

     

     

     

     

     

     

     

    Blandine Merle, « Brodeuses » in Naître et mourir, poèmes, Gallimard 2024,pp. 40, 42, 46.

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    Blandine Merle Ph 2

    ■ Blandine Merle
    sur Terres de femmes ▼

    → Par obole (lecture d’Isabelle Raviolo)
    → [Sanguines : à présent, huitième cercle] (extrait de Par obole)

    ■ Voir aussi ▼

    → le site de Blandine Merle
    → (sur Recours au Poèmecinq poèmes choisis de Blandine Merle

     

     

  • Marilyne Bertoncini & Ghislaine Lejard | À fleur de bitume / Itinéraires urbains

    Marilyne Bertoncini & Ghislaine Lejard
    À fleur de bitume / Itinéraires urbains
    (Préface de Jacques Robinet, collection Duo, Les Lieux-Dits )
    Lecture de Michel Ménassé

    Dessin Ghislaine Lejard  -  Texte Marilyne Bertoncini

    ENSEMBLE ...

     

    D’images en train de se défaire ou de se métamorphoser sur les murailles fissurées et dans les fractures du macadam, jaillissent des poèmes d’aspiration et d’éveil à la beauté et à l’étrangeté captées ou révélées par deux poétesses réunies dans un recueil au titre sensible et rugueux : À fleur de bitume… Le préfacier, Jacques Robinet en retient « la traversée éphémère » d’un « présent ébloui ». Et il tente le lecteur, l’invite au partage de l’enchantement immédiat : « Sous l’œil intrigué d’un oiseau qui se tait, deux voix errantes, à travers les rues d’une ville sans nom, accordent ici leur rêverie et leur chant. Deux voix de sœurs très proches, en quête de lumière. »

    Marilyne Bertoncini découvre des paysages insolites « sous sa semelle », « entre les pavés jointoyés par l’herbe qui s’agrippe / sous le crépi qui se craquèle en surface des murs abandonnés. » L’œil aux ailleurs plutôt qu’aux aguets, elle transfigure la réalité présente : « Là ce n’est pas une fissure mais une île qui se creuse / dans les vagues d‘asphalte d’une mer morte. » Rimbaud n’est jamais loin quand les sens se dérèglent, quand « le réel s’écartèle ». Hommage à tous les grands voyants poètes : « Il pleut sur le trottoir des larmes de mémoire / Il pleut sur la mémoire des souvenirs sans fin. » Une archéologie intime s’ouvre dans les brèches et les lézardes creusées par le temps…

    Ghislaine Lejard scrute le ciel par-delà « le béton la pierre froide » ; elle s’éveille au vol de l’oiseau, aux mystères de l’esprit : « au loin un rayon de lumière irradie / le ciel appelle. » Tension vacillante entre le très proche et l’infini : « La pierre au bord du chemin / perçoit le moindre signe de vie / sait la tendresse de l’herbe / la fraîcheur de l’eau ». Elle aspire aussi à s’accorder à la perception immédiate, à resserrer l’espace au plus près de son être : « des nuages noirs pélerinent / processionnent au-dessus du chemin / pour un dépaysement à portée de main. » Songeant à Henri Michaux, l’autrice qui est aussi artiste pense autant à peindre et écrire, qu’à « se parcourir », « à perdre son chemin / pour se retrouver ».

    Les images et photographies en quadrichromie apportent au plaisir du texte celui de l’œil. Art et poésie, à livre ouvert : « dans la simplicité /accueillir chaque instant / et le ré-enchanter.»

    Michel Ménassé

     

    ♦ Voir aussi sur →  TdF