Blog

  • Jérôme Sueur | Histoire Naturelle du Silence

    Lecture

     

     

     

     

    Foret sur écoute

     

         

     

     

     

     

    Jérome Sueur à l'écoute de la Forêt 

    Source 

     

     

    Personnage habituel des contes, la petite grenouille verte aux doigts adhérents occupe une place de choix dans notre imaginaire. Mais si la reinette coasse beaucoup dans les histoires du soir, peu d’entre nous partent la nuit l’écouter sur le bord d’un chemin détrempé d’une mare. Il est vrai qu’il faut un peu de courage pour éteindre les écrans et sortir dans le noir salir ses bottes dans l’eau boueuse. Et pourtant, le spectacle est tout à la fois attendrissant et enrichissant. Faire un effort, chercher pendant un certain temps entre les herbes, sur les cailloux, ou dans la terre mouillée ce petit animal recroquevillé comme un chat avant sa sieste, et enfin le trouver concentré sur son travail de nuit : appeler, appeler encore, appeler toujours en gonflant sa gorge au risque de la faire éclater pour déclamer sa soif d’amour aux étoiles qui tournent au-dessus de sa petite tête fragile.
        La rainette mâle est un infatigable chanteur. Comme tous les vertébrés, elle chante grâce à la mise en vibration de fines membranes attachées au larynx, l’équivalent de nos cordes vocales. Elle commence par inspirer puis, en contractant ses muscles abdominaux, elle expulse l’air des poumons vers la bouche. L’air passe alors à travers le larynx et force les cordes vocales à vibrer. Tandis que la majeure partie des animaux terrestres chanteurs prennent leur respiration entre deux vocalises, la rainette fonctionne en vase clos. L’air des poumons traverse le larynx et les cordes vocales, passe la glotte et débouche dans la cavité buccale que le mâle maintient totalement close, mâchoires serrées et narines fermées. L’air repart alors en sens inverse vers les poumons, et ainsi de suite selon un va-et-vient permanent. Ce système de ventilation fermé permet à la rainette de chanter longtemps sans changer d’air, évitant des mouvements fatigants d’inspiration et d’expiration avec l’extérieur.
         La rainette ne se dégonfle donc jamais quand elle appelle, l’air dilate en alternance les poumons et la bouche. Le palais de la bouche est percé ventralement de deux petites ouvertures qui débouchent sur une membrane fine et élastique qui forme la gorge. Sous la pression de l’air venant des poumons, cette membrane, le sac vocal, enfle comme une baudruche. Affublée d’un étrange double menton, la grenouille prend des airs aristocratiques bien étranges. Le sac vocal joue en fait un rôle capital dans la production sonore puisqu’il participe à l’amplification en facilitant le passage des vibrations du corps de la grenouille à l’air, au timbre en concentrant l’énergie sonore sur quelques fréquences et au rayonnement acoustique en projetant le son dans toutes les directions. Sans le sac vocal, le son de la rainette serait dénaturé, plus faible, plus difficile à localiser et probablement moins agréable à écouter au bord du chemin.
        Le sac se gonfle, il vibre. Notre œil n’est malheureusement pas assez rapide, mais on pourrait presque voir les vibrations à la surface de la membrane tendue, à l’interface entre le corps amphibien et l’air. C’est là que naît le son aérien, la vague sonore qui nous atteint. Si, par hasard, la rainette est postée dans l’eau, le son peut aussi passer du sac vocal à l’eau et c’est alors que se forment des vaguelettes régulières qui se répandent en figures concentriques. Le son devient visible, il se disperse autour de la grenouille.
    Voir le son dans la gorge blanche d’une rainette assise dans une flaque d’eau et tenter de comprendre la mécanique et la raison d’un son animal. La grenouille gueule, puisque c’est bin sa gueule qui fait le travail, déforme son corps pour déformer l’air, l’eau ou le sol qui l’entourent, en prendre le contrôle pour un temps. Chanter est un sport de compétition.

     

    W453-151971-33193-1932903-k3-k1-4466915-jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jérôme Sueur, « L’essence du son (Chapitre 2) » in Histoire Naturelle du Silence, Préface de Gilles Bœuf, Mondes Sauvages,
    Actes Sud 2023, pp. 25, 26, 27.

     

     

  • Pierre Bergounioux | François

     Lecture

     

     

                                                                                                                                          

    WONDER

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source     

     

     

           J’ai prolongé, la nuit, en rêve, la vie mystérieuse, parfaite, que j’avais eue pour commencer. Lorsque, aux heures mouvementées de l’adolescence, il a fallu partir, quitter la petite ville vieillotte dans l’humide vallon, lorsque rien, comme ça se produisait depuis quelque temps, déjà, n’a plus ressemblé subitement à rien, qu’on s’est demandé si on n’allait pas s’évanouir dans l’extériorité vague, je me souviens d’avoir regardé la clarté des rêves, leurs images ensoleillées comme la seule réalité tangible et les jours sombres, séparés de ces années-là, comme une illusion amère, ce qui m’a permis de les traverser. Au reste, les choses ont-elles bien changé ? Il m’a suffi, voilà peu, de passer par Montcléra, de faire halte, follement – je rentrais sur Paris, je n’avais pas le temps- et ce qu’on appelle une vie, la nôtre à ce qu’il paraît, le pesant édifice qu’on élève, à force, les fins qu’on croit poursuivre, le lest des années, je les ai senti vaciller, frémir ni plus ni moins qu’une toile peinte au vent tiède, léger qui soufflait sur le Causse.
           C’était là ma destination et non pas la grande ville au ciel gris vers laquelle je pensais me hâter. J’ai songé, le plus sérieusement du monde, que si j’attendais un peu, le temps remonterait à la source. L’heure enclose en ce lieu et que le passage sur la route, effarouché, redescendrait, viendrait se poser. Et alors, je les retrouverais tous. J’ai gagné l’ombre bleue de l’auvent accroché aux murs de l’épicerie SPAR, en face du château. Les deux mots ALIMENTATION GÉNÉRALE sont toujours peints au-dessus de la porte, réchampis dans le style partout ailleurs oublié, dûment préservé, nécessaire, justifié, ici, où chaque lettre est munie d’un petit bec, à son sommet. Une bande azurée court à un mètre du sol environ. Sur un placard de tôle rouge, on lit dans un disque blanc WONDER. Il fait beau comme la première fois qu’on s’en est rendu compte et que libre, encore, de ce qui nous arrive par la suite, nous assombrit et nous encombre, on a fait corps avec la gloire du jour et la splendeur du monde.
           C’était le vide brûlant qui sépare, en août, la fin de la matinée des marches où l’après-midi se repeuple. J’ai attendu devant la porte fermée au store baissé. Mais il était un peu trop tard ou un peu trop tôt et puis j’avais six-cents kilomètres à parcourir. J’ai repris mon chemin. Peut-être ne m’étais-je pas encore éloigné que la porte s’est ouverte sur Lise, ses achats terminés, qui se serait attardée à parler sans savoir que j’étais là, que j’attendais. Peut-être que la haute silhouette de grand-père est sortie de l’éblouissement sur la route de Frayssinet.

     

    François Bis

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Pierre Bergounioux, François, Collection Théodore Balmoral, Fario, 2019, pp.36, 37, 38, 39.

     

    Pierre-bergounioux-6718

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 


    ■ Pierre Bergounioux
    sur Terres de femmes ▼

    → 7 novembre 1992 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000
    → 27 mars 1995 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000

     

     

  • Sylvie-E. Saliceti | « LA GRENADE »

    << Lecture 

     

     

     

    Image (1)

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source

     

    LA GRENADE

          Tu es là ! Ce long voyage pour te rencontrer, et tu es venu ! J’ai marché si longtemps, je suis passé par les villages de romanceros, sur les routes en lacets au flanc des vallons au-dessus d’Alfacar, depuis la Huerta de San Vicente où taillis et ronces sont mouchetés de rouge et de noir, jusqu’à Fuente Vaqueros piquetée du parme des baies au printemps, par les bois de chênes et de hêtres, au bord du fleuve planté de figuiers, descendant par le Mirador San Nicolas jusque dans Grenade dont l’ombre des arbres grenat, quand elle s’étend sur le voyageur, semble le faire entrer dans la ville avec un oiseau sur l’épaule.

         Sous un grenadier de l'Alhambra, tu es là ! Comme éclairé par les branches aussi rouges que des flammes, je te vois enfin Sohrâb ! En une vision parfois un homme voit toute sa vie. Dans cet instant si pleinement présent, il est ensoleillé pour toujours. Où qu’il aille désormais, il se révèle. On le découvre. Le bienheureux !

        Bruissement dans les arbres, un oiseau picore une grenade sur la branche. Nous voilà assis autour de toi. Nous formons un cercle, au bord d’un bassin arrosé par les cordillères enneigées d’Andalousie, dans le jardin des princes Nasrides.
    Le cœur est un jardin, mais il arrive qu’il soit un désert. Entre le jardin et le désert, l’écart ne se mesure pas par l’eau, mais par l’homme, c’est-à-dire par la parole. Parle Sohrâb ! Tes mots nous lavent des pieds à la tête ! Parle comme la pluie dans les arbres ! Même si tes phrases tombent sans que je les ramasse, parle-nous de la grâce, Sohrâb.

    — Il existe la possibilité d’une grâce, comme il existe la possibilité de ces petites îles au milieu de la mer. Entre le ciel et l’eau, elles surgissent par surprise. La grâce, c’est la beauté qui arrive sans prévenir, à la façon du bonheur quand il nous attrape, en embuscade. N’importe où, n’importe quand, la grâce survient et change l’ordre du monde. Imprévisible et fugace, la grâce est le don des oiseaux et de la poésie. Lorsque votre pesanteur vous sera devenue légère, vous pourrez écrire à la manière du vent dans les arbres. La noirceur, la bêtise crasse du monde, vos phrases les blanchiront de leurs flocons. Car la grâce est la neige, et le chant de l’oiseau sur le champ de bataille.

       Pour illuminer la nuit, choisissez un mot, un nom, une expression, par exemple sépulcres de Foscolo, cigogne de Primachenko, carnets de Voronej. Tout à coup, la poésie se réduit à cela. Tout se résume en un seul mot qui vaut la parole tout entière. Aussi bien, l’essentiel de nos vies se condense-t-il dans une seule intention. Un verre d’eau, une pomme volée par plus pauvre que moi, un coup de poignard. Et chaque violence verbale signe une atteinte si profonde qu’elle se cristallise dans le corps, physiquement, de celui qui est offensé.

       Chaque chose, petite et grande, qui nous est donnée est toujours une parole, y compris les cadeaux sous forme d’objets, qui parlent à leur façon. La pierre parle de nudité. La lune raconte les ombres. Les dentelles de grappes mûres et de baies rouges disent des mots bienheureux. Un simple regard, une pensée ouvrent un dialogue. Le paysage, la nature, ces montagnes, ces îles vues du ciel qui flottent comme un bouchon de liège à la surface des flots, tous racontent un récit.

       Dieu existe dans le texte pour nous dire ceci : vous êtes assez forts pour vous priver de moi, mais pas de la bonté. Or la bonté la plus juste – la petite bonté sans aucun témoin – est une parole. Avec trois fois rien en poche – du pain, une grenade et un livre – donnez quelque chose qui entre dans le cœur. C’est le plus beau cadeau, et c’est toujours votre voix qui offre ce quelque chose qui ne meurt pas.

       Nous sommes ici ensemble, dans la ville qui s’éteint au bord du fleuve Tartessos. Ce que je vous livre là est le chant profond du Duende ou du Cante Jondo. C’est la voix de l’érudit et du mystère grec. Ce ne sont que des phrases, mais toutes demandent qu’on les écoute. Toutes recèlent un mystère. Les laves du Vésuve, les 317 derniers vers de Leopardi, les ajoncs ocres qui poussent dit-on, sur les pentes de Pompéi, les fruits de Perséphone venus des Enfers, la lande brûlante de Dante Alighieri. Tous ces émerveillements attendent d’être dits et partagés.

       Voyez cette grenade ouverte sur le coin de table, avec sa croûte coriace, craquelée, dont l’intérieur peuplé d’arilles est divisé en loges à la pulpe rouge, douce, aigre. L’esprit de la grâce se trouve exactement là, dans cette chair fendue à l’intérieur de la cosse. J’ouvre cette grenade, et en train de détacher ses graines, je vous dis qu’il serait bon que les graines soient visibles aussi dans le cœur des gens.

        Tout ce que je possède tient dans ce mot : poésie. Elle est ce que j’aime le plus au monde. Je ne la justifie pas. Et si vraiment je devais m’en séparer, tenez : je vous la donne. Prenez ! On ne négocie pas ses passions. On ne vend pas son ombre.

    Haute-Corse, 25 septembre 2023

     

     

    Doucey anthopo

     

    Sylvie-E. Saliceti, «Gracias a la vida » in Grâce… Livre des heures poétiques,
    Anthologie établie par Thierry Renard & Bruno Doucey, Éditions Bruno Doucey, Printemps des poètes 2024,pp.237, 238, 239.

     

     

      SYLVIE-E.  SALICETI

    Sali photo

    © Jean-Baptiste Saliceti

    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes ▼

    → Le batelier
    → [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    → Couteau de lumière (lecture d’AP)
    → La danse de Sakuntala
    → Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    → (dans l’anthologie Terres de femmesLa grenade
    Les papillons de Kracov, Quand nous ne lirons plus les livres sous la mer, Gouache de Sophie Grandval, Éditions du Canoë, 2021

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à cielune lecture de La Voix de l’eau par Jean Palomba
    → (sur La Pierre et le Seld’autres extraits de La Voix de l’eau
    → le site des éditions de l’Aire
    → le site personnel de  Sylvie – E. Saliceti
    https://sylviesaliceti.com/la-grace-et-la-grenade-sylvie-e-saliceti-parution-dune-anthologie-sur-la-grace-aux-editions-bruno-doucey/

     

     

     

     

     

     

     

  • Friedrich Nietzsche | Six chants populaires serbes

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Friedrich-nietzsche

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

     

     

      

     

    ͿΕДНО ДРΑΓО И
    ΤО НΑ ДΑЛЕКО*

    Τавна нοћͷ, ηуна тн ϲн мраκа !
    Ϲрце мοје јοш ηунͷје јада.
    Јад јадујем, нͷκοм не κазујем :
    Мајκе немам, да јοј јаде κажем,
    Ηͷ сестрнце, да јοј се пοтужͷм ;
    Једнο, драгο, и тο на далекο :
    Дοкле дοће, пοла нοћи прοће,
    Дοк прοϭуди, η’јевци запјевају,
    Дοк пοљуϭи, саϭа зοра ϭуде :
    ͵͵Саϭа зοра, ајде, драги, дοма.ʹʹ

     

    DER SÄUMENDE
    FREUND**

    Auf schwarzen Schwingen flieht die nächtge Zeit
    Mein Herz ist voll von Gram und Leid.
    Leid erleid ich ; niemand kann ichs sagen.
    Keine Mutter hab ich, ihr’s zu klagen.
    Hab kein Schwesterlein ; ich möcht’ verzagen.
    Einen Freund, allein in weiter Fern.
    Eh’er kommt, erlischt der helle Stern,
    Eh’er aufwacht, singen die Vögel hell.
    Eh’er küßt, erröthet die Wolkenwell :
    ͵͵Geh nur heim, mein Freund, der Tag naht schnellʹʹ

    *. ßуk Сгефанοвић Карацић, Срneke нарοծне njecмe, kңиѕa I, 1841.Ҍеοград, Прοcвега, 1975,p.230.
    ** Noté I 318 par Talvj.

     

    L’AMI
    RETARDATAIRE

    L’heure nocturne sur ses ailes fuit.
    Et mon cœur est rempli de peine et de douleur.
    J’endure une douleur qu’à nul je ne confie.
    De mère n’ai point non plus ; à rien n’ai plus de cœur.
    Je n’ai qu’un ami, seul dans le vaste lointain.
    Avant son arrivée, le clair astre s’éteint,
    Avant son réveil clair un chant d’oiseaux jaillit.
    Avant ses baisers l’onde des nuées rougit :
    « Ami, rentre chez toi, à grands pas le jour vient. »

     

    Six_chants_populaires_serbes_nietzsche_friedrich_cover

     

     

     

     

     

     

     

    Friedrich Nietzsche, Six chants populaires serbes, Traduits de l’allemand et préfacés par Guillaume Métayer, Centrale/ Poésie, Dirigée par Guillaume Métayer, Rumeurs Libre Éditions, 2023, pp.42,43.

     

  • Adeline Baldacchino | Ce que nous sommes lorsque nul ne nous voit

        <<Poésie d'un jour

     

     

    PAPIER ROUGE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Papier de  →  Michel  Remaud

     

     

     

     

     

    L’étreinte du calamar

    […]

    Rien de ce que j’écris ne m’arrime
    à la terre ferme de la présence
    rien e ce que je suis ne peut durer par-delà cet
    assemblage hétéroclite
    de cellules et d’amour
    et pourtant, à l’instant même où je prononce le prénom
    de l’enfant
    quelque chose en moi s’éternise
    et se pardonne déjà
    de n’être que de passage
    puisque l’escapade (aussi insensée soit-elle)
    aura été plus belle
    qu’il n’était possible de l’imaginer.(35)

    […]

    La promesse des embruns

    Nous voici dans la grande pirogue
    giflés par des étincelles de mer plus grandes que nos
    poings
    ballottés par les éléments nous voici jetés
    dans le temps
    déséquilibrés comme si nous devions apprendre à
    marcher
    sur dix-huit bras
    dépouillés de toute armature
    plus de squelette
    et plus de filet
    plus rien dans la balance
    que l’équilibre du souffle…(47)

     

    Puisque la mer tremble
    et que l’âme trébuche au bord de ce qui la pèse
    un balancier pour la justice
    un amour pour le trébuchet
    un pardon pour le crépuscule
    puisque la terre est en pente
    et s’éboule
    donnez-moi des voiles
    ou bien des ailes
    il est temps d’apprendre à s’évader.(p.58)

     

     

    Balda chino

     

     

     

     

     

     

     

    Adeline Baldacchino, Ce que  nous sommes lorsque nul ne nous voit, Œuvres de l'artiste Michel Remaud,
    Collection Grand Ours, L’Ail des ours/ n°22,pp.35, 47, 58.

     

     

    ADELINE BALDACCHINO

    Adeline_baldacchino octobre 2017
    Source

    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes ▼

    → [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    → Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    → Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    → 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]

    ■ Voir aussi ▼

    → le blog d’Adeline Baldacchino
    → (sur le site des éditions Les Hommes sans Épaules) une notice bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (sur Terre à cielun entretien d’Adeline Baldacchino avec Sabine Huynh (+ 7 poèmes inédits et une notice bio-bibliographique)


  • Romain Fustier | Terre-mer

    <<Poésie d'un jour

                                                                                                                                             

     

                                                                                                                                  

    MONTE DORO EN DECEMBRE(1)

     

     

     

     

     

     

     

    Photo →  G.AdC

     

     

     

     

    les sapins saupoudrés de neige dans la

    montée du col – ces oiseaux chantant ici
    au matin, réveillant notre jardin des

    plaines sous une douceur pas de saison
    rien qui puisse nous laisser augurer le

    paysage que nous avons retrouvé
    là-bas : les os laiteux des gencives du

    massif détachant leurs sommets au-dessus
    des pâturages où la poudreuse semble

    désormais réduite à des plaques ça
    et là, comme si la nature hésitait

    entre le vert et le blanc, l’hiver et le
    printemps – cette année m’a paru revenir

    en arrière alors que nous progressions

    ] sur la route

     

    le feu de bois – elle a su repérer cette

    odeur à la seconde où j’ai entrouvert
    la fenêtre, déplié les battants d’une

    persienne pour relever qu’il neigeait – nous
    dormirons étendus, allongés sur les

    champs alentour, le village cerné par
    les flocons : je voyagerai sous les draps

    à travers le village, au centre du bourg
    où notre hôtel s’assoupit sur la petite

    place, son restaurant déserté par les
    résidents du soir – la nuit sera aussi

    tranquille que les couloirs de cette mai-
    son , je l’espère – les chutes attendues nous

    envelopperont comme d’un édredon

    ] Picherande

     

    c’est le vent qu’on entend – elle le saisit

    y prêtant attention, l’écoutant souffler
    derrière les vitres de la salle de

    restaurant de l’hôtel – défilent en moi
    des projections dès le petit-déjeuner

    e fermes, de villages émiettés sur
    la terre austère comme dans une assiette

    les croûtes de fromage sec – le café
    dans sa tasse n’est guère autre chose que

    ce qu’il est, pas davantage que l’aube à
    l’aube : le fantastique tape pourtant

    aux carreaux, paraît se déplacer au
    voisinage du sol, porté par l’air, mû

    par quelles mains parmi ces habitations

    ] Picherande

     

     

    TERRE MER

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Romain Fustier, Terre-mer, Éditions du Cygne 2023, pp. 23, 24, 25

     

     

    R O M A I N   F U S T I E R

    PORTRAIT

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source

     

    ■ Romain Fustier
    sur Terres de femmes ▼

    → [chambre d’hôte]
    → [la sensation de flotter sur la lagune] (extrait de Bois de peu de poids été-automne partie 1)
    → [un petit air de printemps] (extrait de Jusqu’à très loin)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine) la fiche de l’éditeur sur Bois de peu de poids hiver-printemps de Romain Fustier
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une notice bio-bibliographique sur Romain Fustier
    → (sur le site de la revue & des éditions Contre-alléesune notice bio-bibliographique sur Romain Fustier
    → (sur Terre à cielune page sur Romain Fustier

    → (sur Recours au poème, Terre-mer)

  • Lydia Padellec | La Maison morcelée

     << Poésie d'un jour

     

     

     

                                                                                                                                                                                     

    Mélancolie (2018)  LaOdina

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Lydia Padellec autoportrait  / source 

     

     

     

    L’ampoule de la lampe crépite au bruit du

    tonnerre. Ses motifs de feuilles rouges

    tressaillent, se détachent et se mettent à

    tournoyer dans l pièce. En vérité, ce sont des

    zygaena filipendulae. Ils s’amusent à papillonner

    les nuits d’orage. À se pendre au lustre du salon.

    En laissant sur leur passage des fils transparentes

    et lumineux. (24)

     

    Klogorenn al lamp tredan a zrast gant trouz an
    arneu. Tresadennoù deil ruz a skrij, a zistag hag a
    dro er gambr. E gwir, « zigaena filipendulae »*
    int… C’hoari a reont da droidellañ en nozvezhioù
    arneu. Da vont a-stribilh diouzh lampa ar saloñs.
    En ur lezel war o lerc’h neudennoù treuzwelus ha
    Skedus.

    *Un doare a valafenning anvet « papilhonig noz ». (p. 80)

     

    Des pissenlits dans les cheveux. Une odeur

    forte d’humus. La terre du géranium blanc se

    soulève sous le poids des ongles. L’engrais salé

    n’engraisse pas la plante ni le souvenir. Des

    pissenlits dans les cheveux et dans l’assiette en

    plastique. Des pissenlits au goût amer. (25)

     

    Chwervizon em blev. C’hwezh kreñv an douar.
    didan pouez ma ivinoù e sav douar ar jeraniom
    gwenn. An temz sall ne demz naga r plant nag an
    eñvor. Chwervizon em blev hag en asied plastek.
    Chwervizon blaz c’hwerv dezho. (p.81)

     

    De la chambre émane un parfum d’humus et de

    poussière. Une pièce petite comme celle d’une

    boîte à musique. La ballerine au corps de

    porcelaine ne tourne plus en rond. La flûte

    enchantée n’enchante plus.(31)

     

    Diouzh ar gambr e sav urf rond a zouar hag a
    boultrenn. Bihan ar pezh, heñvel ouzh ur voest-
    muzik. An dañserez he c’horf porselen ne dro mui
    klok. « Ar fleüt strobinellus » ne strobinell mui. (87)

     

    Les courants d’air apportent les battements

    fragiles du dehors. Une musique : Lady sings the

    blues. Elle traverse les pièces de sa robe bleue.

    Sensuelle. Ses pieds nus frôlent à peine le dallage.

    Derrière son passage, les portes claquent. Ne

    reste qu’un parfum discret de gardénia. (50)

     

    Deus an diavez e tigas an avelioù-red
    stlakadennoù tanav. Ur sonenn : « Lady sings the
    blues ». Treuziñ ara pezhioù an ti gant he sae
    c’hlas. Friant. A-boan ma spin he zreid noazh ar
    c’harrelladur. Stlakañ’ra an norioù war he lerc’h.
    Ne chom nemet urf rond gardenia soutil. (p. 106)

     

    La poignée de la porte est moite. Un rayon s’y

    reflète comme un sourire. Un lézard minuscule et

    doré se faufile par la serrure. Vers l’extérieur. Le

    panneau de bois transpire du parfum des fleurs et

    du cri jouissif de la mésange.

    J’ouvre la porte. Le bleu m’envahit. Entièrement. (51)

     

    Mouest dorn an nor. Ur bannad heol a sked
    warnañ evel ur mousc’hoarzh.
    Ur glazard bihan alaouret en em sil dre ar potailh.
    War-zu ar porzh. C’heweziñ a ra ar panell gant
    frond ar bleuñv ha kri friant ar pennduig.
    Digeriñ a ran an nor. Ar glasder a veuz ac’hanon.
    Penn-da-benn. (107)

     

     

    Maison morcelée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Lydia Padellec, « Rez-de-chaussée»/« marée basse »//« Vers le toit »/« marée haute » in La Maison morcelée, Nouvelle édition augmentée
    suivi de An Ti didammet, «Rez-an-douar / Izelvor »/« War-zu an doenn »/« Uhelvor », Traduction en breton par Mai Ewen,
    Éditions Sauvages, Collection Phénix 2023, pp. 24, 80, 25, 81, 31, 87, 50, 106, 51, 107.

     

    L Y D I A    P A D E L L E C

    Lydia Padellec portrait
    Source

    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes ▼

    → [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] (extraits de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
    → Dans la nuit profonde du jour (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)
    → Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    → « Île muette » (extrait de Mélancolie des embruns)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes) La mère [extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]
    → Chambre en ElleEn couverture: Nacer De Nuevo, Remedios Varo,1960, Collection Pour un  ciel désert,
        Éditions Rafael de Surtis, 2022.

    ■ Voir aussi ▼

    → Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique (+ des extraits)
    → le site des éditions Lunatique


     

  • Claire Gauzente | EXTRASYSTOLES

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Peau

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photos → G.AdC 

     

     

     

    Sous ma peau il y a une autre peau
    petite
    bien plus petite – personne de la touche
    personne ne la connait

    ma petite peau n’existe pas aux yeux du monde
    mon corps reste posé dedans il
    n’en sort pas

    placé en ces limites personne ne l’atteint
    car grande-grande est la distance
    entre ma peau-petite et celle qui surface

     

    Il y a trop de bouches dans ta bouche
    trop de voix dans la tienne
    ces yeux multiples au fond des tiens
    comme torpilles

    des pensées vrillent les tiennes leurs odeurs
    masquent la tienne
    tu n’attends que le vent pour disparaître
    enfin

     

    Le vent se lève
    je le sens au pincement de mes extrémités
    parfois la morsure ouvre large la bouche
    elle avale la peau alentour
    les mouvements deviennent plus alertes
    l’esprit même aigu
    les yeux
    plissés dans le soleil

     

    Couverture Extrasystoles

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Claire Gauzente| Encres Benoît Pascaud, EXTRASYSTOLES, Éditions Le Citron Gare, 2023, pp.32,33,34,35.

     

    CLAIRE GAUZENTE

     

     

     

     

     

     

     

    Source   © Ouest-France

    ♦ Voir sur le blog de →  l'Éditeur 

     

     

  • Michèle Finck | La voie du large | Lecture d’Angèle Paoli

    Michèle Finck, La voie du large, Arfuyen 2024,
    couverture de Caroline François-Rubino
    Les Nuages rouges, à Michèle et à
    La voie du large.

    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    Michele_pour_web

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Michèle Finck
    Ph.: source 

     

     

     

     

     

     

    Prière à Santa Reparata

     

    « La voie du large » serait-elle aussi la voix de la musique ? Peut-être. L’une et l’autre – voie et voix – se croisent se frôlent s’épousent dans le dernier recueil de Michèle Finck, toujours portant en elles, quelle que soit la forme poétique choisie, la question fondamentale du doute. Peut-être fondatrice de la poésie. Le titre La voie du large s’est cependant imposé à la poète comme réponse possible au doute, « cigüe sous la langue », qui tenaille. De manière existentielle, spirituelle, métaphysique. « La voie du large » sera-t-elle promesse d’ouverture au bout d’un long et douloureux cheminement ? Peut-être.

    Le parcours poétique s’accomplit en sept étapes. La mer survient dans les poèmes de/à « Santa Reparata » (V). La mer et ses vagues. Toujours recommencées, elles assurent l’osmose entre les morts et les vivants. Voix du large et voix des ondes – Elisabeth Schwarzkopf ou B.H (Billie Holiday) -rendront-elles à la vie apaisée celle que le doute habite en permanence et oblige à questionner? Á chercher. Sans relâche. Peut-être suivre avec la poète le fil du doute.

    « Poème : l’autre nom du doute ? » (in I, « La langue au doute »)

    La vie et la mort, la musique qui engendre l’écriture, le poème et ses différentes manifestations, la peinture et le cinéma – Varda et Bergman -, la photographie – Sabine Weiss – et l’art coexistent dans ce recueil dont l’élaboration est ancrée en pleine détresse, en plein désarroi. Enserré dans les étaux imprévisibles imposés par la pandémie, le recueil oblige la lectrice en dialogue avec la poète à un retour en arrière. Car chaque étape de ce livre dense et puissant porte la marque de cette tragédie contemporaine à laquelle le monde a été soudain confronté et soumis. Tout a basculé en ce temps de misère, une misère qui n’est pas sans ramener à la surface de la mémoire les « Misères » et les noirceurs sanglantes des horreurs évoquées par Agrippa d’Aubigné dans l’épopée des Tragiques.

    « Je veux peindre la France une mère affligée,
    Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée… »

    Ainsi, en 2019, tout a basculé, incisant le doute au premier plan de la pensée de la poète.

    Avec la pandémie, Michèle Finck découvre, comme tout un chacun, la claustration. Ainsi que les multiples contraintes qui en découlent. Dans cette vie nouvelle passée entre quatre murs parisiens, l’écriture reste, avec la radio et donc la musique, la meilleure planche de salut :

    « Écrire : l’unique brèche d’une vie sans échancrure. »

    De cette évidence qui s’affirme dans « L’âpre ébauche », incipit du recueil, naît une sorte d’oratorio – un choral spirituel à voix poétiques de formes multiples. Poèmes élégiaques à coloration liturgique, les « Leçons de ténèbres » appartiennent à un genre emprunté à la littérature funèbre ; récits autobiographiques, poèmes déambulatoires dans Paris revisité à l’issue de l’épreuve – « Besoin de corps et de visages » (in « Intermezzo ») ou « Lettres-poèmes » adressés aux grandes voix du siècle précédent – Rilke, Nelly Sachs et Paul Celan, Ingeborg Bachmann et Paul Celan, Marina Tsvétaiéva, Boris Pasternak et Rainer Maria Rilke, Emily Dickinson – (in « Correspondances stellaires ») ; alternance de poèmes et de récits dans les évocations radiophoniques (in « Radiophilie »)… sont autant d’appuis pour « prendre le large ». Le recueil se clôt sur une sorte de dialogue poétique à deux voix, une psalmodie où alternent, sur la même page, questions et répons. Séparés par un espace, répartis entre italiques et caractères romains. C’est la septième étape, celle de la « Cantillation du doute et de la grâce » :

     

    TEXTES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cependant en ce qui concerne l’assertion première, la poète l’évoque non à son sujet proprement dit mais à propos de l’amie de cœur abandonnée à Strasbourg. Amie tendrement aimée dont la vie s’étiole dans une chambre-cercueil qu’elle ne quittera plus. « Écrire était l’unique activité qui faisait d’elle un être humain », écrit Michèle Finck dans « L’âpre ébauche ». L’amie mourante, poète et musicienne elle aussi, semble être le double d’elle-même, tant toutes deux se ressemblent et s'accordent. Cette « sœur humaine » est source de questionnements. Quel est « le rôle de la souffrance dans la création » ? Il ne s'agit nullement ici d' une douleur solipsiste qui n’aurait d’ouïe que d’elle-même ; mais d'une douleur plus vaste, débordant de l’être lui-même, supérieure à lui.

    « Aurais-tu, sœur humaine, les mêmes trous noirs soudain traversés de lumière éblouissante ? » interroge la poète.

    Mais la vivante – qui va devoir continuer seule la route – poursuit son questionnement :

    « Saurais-tu, malgré tout risquer aussi l’autre face : le large ? »

    La question reste en suspens, qui traverse le recueil investi par le doute. Portée par l’exaltation et par la passion, la poète est une orante, touchée par l’injonction de « l’âpre ébauche » évoquée par son amie. Cette injonction inspire à Michèle Finck, en même temps que les épisodes consacrés au récit de la pandémie, les dix-sept poèmes des « Leçons de Ténèbres ». Poèmes de l’incompréhension et du doloir. Douleur et deuil, de même étymologie. Déploration et lamentation. Qui puisent leur source dans les Lamentations de Jérémie. Ces poèmes de la compassion, au sens étymologique latin de "patior", « souffrir/supporter – avec- », retracent les différents épisodes de la crise sanitaire et rythment les dix-sept stations des « Leçons de Ténèbres. » Avec, en point d’acmé, la mort de l’amie, Gisela Kretz. Dont le nom est lié à la croix. « Kreutz ». Étrange coïncidence, qui fait mourir l’amie un Vendredi saint.

    « Leçons de ténèbres 2020 : Pandémie mondiale.
    Le doute s’accroît. Il crache du sang ».

    « Plorans ploravit in nocte.
    Elle pleurait dans la nuit. »

    « De Paris imaginer à tes pieds la cathédrale
    de Strasbourg en berne : haute Pietà
    pleurant les morts d’Alsace et du monde entier… »

    « Vide, Domine, afflictionem meam !
    Dix avril. Vendredi Saint. Quinze heures…
    Elle est morte à midi… »

    « Seize avril. Seize heures : Faire face
    à ton inhumation. Crier en silence […]
    Ta voix : talisman.
    Tentative de prière. Lecture timbre cassé… »

    Quel regard dès lors, porter sur la « dévastation générale » générée par le « désastre sanitaire », sur ce « carnaval macabre » qui déroule sur les ondes ses litanies ? Michèle Finck cherche des échos à son désarroi dans les Leçons de Ténèbres des compositeurs et des poètes. Cette quête était déjà présente dans le « Musée intérieur » de la poète. Un musée riche en réflexion, où l’on croise le Caravage avec les deux tableaux antithétiques que sont la Vocation de saint Matthieu et L’Incrédulité de saint Thomas, l’un se trouvant à Rome, l’autre à Postdam.

    Le Caravage

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mais aussi le sculpteur Verrocchio de Florence, les maîtres Rembrandt et Dürer. Œuvres de haute tension spirituelle. De la peinture les poèmes se tournent vers la littérature et interrogent. Joyce/ Kafka. Survient alors la figure d’Antigone, qui offre peut-être une définition de ce recueil :

    « Tous les poètes sont des Antigone
    qui veulent donner sépulture

    à leurs morts et aux morts de tous.
    Poèmes : Sépultures pour les aimés. »

    Les poèmes sont autant de tombeaux. Tombeau pour le père et cette promesse brûlante : « j’écrirai tous mes livres au nom du père. » Tombeau pour la tendre sœur, dévorée de solitude. La poète revisite ceux qui l’ont précédée, et compose pour eux des poèmes sépultures – Baudelaire, Trakl, Lorca. Elle n’en oublie pas moins ses compositeurs favoris. Couperin et Bach, Berg, Honegger et Chostakovitch. Il existe entre elle et eux, une telle complicité fusionnelle, qu’elle ne peut se dire et se définir que comme l’« Héritière voûtée de tous ces De profundis…» N’est-ce pas là une amorce de réponse au silence de Dieu ?

    La sourcière de signes poursuit sa quête métaphysique, cherchant des échos à son questionnement – « Mais Dieu     s’il existe    doute-t-il aussi ? ». Elle se tourne vers Ingmar Bergman et l’interroge sur Le Septième sceau, film construit à partir d’un verset biblique de l’Apocalypse selon saint Jean (8,1). Sa demande est claire : « Y a-t-il un contrepoids au doute ? Un contrepoison ? » Mais Bergman ne se livre pas et le final du film garde entier son mystère.

    Ainsi, quelle que soit la forme que prend le poème, quels que soient les appuis sur lesquels compter pour reprendre force, il s’avère que toute affirmation, toute imprécation reste en suspens. Pour la poète qui doute, qui voudrait croire mais n’y parvient pas, la question de Dieu se cache quelque part dans la brèche originelle. « Père mère peur. » C’est là que prend racine le doute, dans l’ébranlement vécu par l’enfant, au cœur de la disjonction soudaine du couple parental. Dans la brèche laissée béante s’enracine l’écriture. « La vocation » de l’écriture n’est-elle pas davantage de questionner que de répondre ? Sans doute. Mais il faut aussi que s’apaisent parfois les tensions, que le miracle parfois surgisse et verse son éblouissement. La musique fait partie du miracle qui accorde la grâce :

    « Elle existe elle existe
                          la grâce en fa mineur

    Schubert
    A
    Ébauché

    Dieu »

     

     

    Pendant tout ce temps passé à lire et à relire La voie du large, j’écoute en boucle la Fantaisie en fa mineur de Schubert. Avec Maria João Pires et Lilit Grigoryan au piano.

     

    Il existe pour Michèle Finck un autre miracle. C’est en Corse, chaque année, que la mer livre une part de réponses. Que se réconcilient en elle le corps et l’âme. C’est là, dans la beauté, qu’elle reprend souffle. Que s’éprouve à nouveau le lien étroit qui relie l’être à une existence absolue.

    « Nous devons     tout     à la mer
    chaque grain de sable         est sacré
    et les mots     au milieu d’eux
    sont sacrés     aussi… »

    L’osmose parfaite tant recherchée se produit alors qui s’exprime dans un désir inversé où s'abolit toute résistance:

    « Ne pas nager      mais être nagée
    ne pas écrire         mais être écrite… » (in « La mer à boire », 2)

    Il suffit aussi que fasse irruption, au détour d’une route sauvage, l'éblouissante modestie de Santa Reparata pour que le cœur apaisé retrouve le chemin de l’humble prière.

    SANTA REPARATA BONIFACIO

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

                                   2

    Santa Reparata
    plus miraculeuse      encore
    d’avoir été juste      rêvée
    pour toujours        songe      allumé
    dans la tête       comme une bougie
    qui ne s’éteint pas
    ici     le doute
    vient boire      et s’apaise
    doute
    debout
    pour      l’éternité
    dans      sa soif
    Santa     Reparata
    chapelle     intérieure
    mot     affranchi      des mots
    silence     dans      le silence
    lien du     tout qui est     rien
    et du     rien      qui est tout
    tu    es
    le souffle     rythmique
    circulant     à jamais
    dans le corps     limpide
    de qui      ne distingue plus
    écrire     et

                                                       prier »

    ____________________________

     

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

     

    ♦ Voir aussi sur  → Tdf 

     

  • Esther Tellermann | Nos racines se ressemblent

     <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    MINIMALISME 15

                                                                                                                                           

     

     

     

     

     

     

     

     

    " …où sommes un parmi les signes… " 

    Aquatinte de →  G.AdC 

     

                                       

    Je vous disais
    ne meurt en moi
    son absence
         plantée
    dans le Livre
         ouvert
    et doit revenir
    l’orage
         bouffées de mots
    me guérissent
    car elle était
    mon alphabet
    un bruissement
    de senteurs et
          de palmes.

    Vous disiez
    en nous respirent
          et durent
          la traversée
    d’un jardin
    l’échange de la
          racine
    et de la loi     quand
    tout commence
    se rassemblent
          l’air     l’espace
    d’un seul mot

           écrit.

    Alors recule
          la soif
    où sommes un
    parmi les signes
    construisons
          la mémoire
    des horizons et des
    cercles
    je voulus
    dénuder
           le centre
    approcher la limite
    où j’invente
           la terre 

     

    TELLERMANN(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Esther Tellermann, Nos racines se ressemblent, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
    Éditions VVV Editions, 2022, pp. 21,22,23.

     

    I would tell you
    there dies not within me
    her absence
          planted
    in the open
          Book
    and there must come
    once more
    the storm
          great bursts of words
    bringing me healing
    for she was
    my alphabet
    a whispering
    of scents and

          palms

    You would say
    within us breathe
            and endure
            the walk made
    through a garden
    the exchange
           of root
    and law     when
    everything begins
    and together gather
           the air    the espace
    of a single word
           written down.

    And then thirst
      where we are one
    amongst the signs
    building
           the memory
    of horizons and
          circles
    I tried
    to strip bare
          the centre
    draw nearer the limit
    at which I invent
         the earth.

    Esther Tellermann, Our roots look alike, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
    Editions VVV Editions, 2022, pp. 44, 45, 46.



    ESTHER TELLERMANN

    Esther tellermann

    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes ▼

    → Carnets à bruire
    → Corps rassemblé (lecture d’AP)
    → [Pour elle il voulut] (extrait de Corps rassemblé)
    → Éternité à coudre (lecture d’AP)
    → [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    → Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    → [Jours firent de toi ma teinture]
    → Première version du monde (lecture d’AP)
    → Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    → Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    → [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    → [Un écho un roman] (extrait d’Éternité à coudre)
    → Voix à rayures
    → [Onde] (poème extrait du recueil Voix à rayures)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Esther Tellermann
    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau RecueilL'indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net) François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d'Esther Tellermann
    → (sur Recours au poèmeune lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP