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Ph., G.AdC ARIDITÉ Le présent rentre sans retour L’aridité faite soif Marcher pour que ça appuie Dedans Ne pas penser Au moment Où le sol deviendra vent L’étreinte libre du vent Ici même au large Myriam Eck D.R. Texte inédit Myriam Eck pour Terres de femmes __________________________________ NOTE d’AP : ce poème a été sélectionné pour l’anthologie pas d’ici, pas d’ailleurs (anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines) publiée par Voix d’encre en juillet 2012. |
| MYRIAM ECK Ph. D.R. ■ Myriam Eck sur Terres de femmes ▼ → Cavité – Ouverte → [Ce qui se vide dans ma tête…] (extrait de Sonder le vide) → [La terre se creuse] (extrait de Calanques) |
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Giovanni Duprè (1817-1882), Le 8 janvier 1337 meurt à Florence le peintre Giotto di Bondone, plus connu sous le nom de Giotto. Né vers 1266, Giotto est originaire de Vespignano, un petit village de la campagne florentine, « à quatorze milles de la cité ». Lange Guglielmo (Toulon, 1839 – Paris, 1914), EXTRAIT I Dans Le Vite… [Vies d’artistes, 1568], Giorgio Vasari consacre quelques pages à Giotto : Cimabue s’arrêta tout émerveillé et lui demanda s’il voulait venir avec lui. L’enfant répondit que, si son père en était d’accord, il viendrait volontiers. Cimabue l’ayant alors demandé à Bondone, celui-ci plein d’empressement y consentit, et accepta qu’il l’emmène à Florence avec lui. Arrivé là, en peu de temps, aidé par la nature et formé par Cimabue, non seulement l’enfant égala la manière de son maître, mais il devint un si bon imitateur de la nature qu’il bannit complètement cette maladroite manière des Grecs, et qu’il ressuscita l’art moderne et beau de la peinture, introduisant la façon de bien représenter au naturel des personnes vivantes, ce qui ne s’était pas fait durant plus de deux cents ans – et si quelqu’un s’y était essayé, […] cela ne lui avait pas réussi, tant s’en faut, aussi bien qu’à Giotto. Celui-ci entre autres représenta, ainsi qu’on le voit aujourd’hui encore, dans la chapelle du palais du podestat de Florence, Dante Alighieri, son contemporain et son ami très cher, et non moins fameux poète que l’était à cette même époque Giotto en tant que peintre, si loué par messire Giovanni Boccace dans la nouvelle de messire Forese de Rabatta et du peintre Giotto. Dans la même chapelle il y a le portrait, de la main de ce dernier, de sire Brunetto Latini, le maître de Dante, et de messire Corso, grand citoyen de ce temps-là.[…] Une fois achevés ces travaux, il se rendit à Assise, ville de l’Ombrie, où il était appelé par son frère Giovanni di Muro della Marca, alors général des frères de Saint-François. Dans l’église supérieure il y peignit à fresque sous la galerie qui longe les fenêtres, des deux côtés de l’église, trente-deux épisodes de la vie et des actes de Saint François, c’est-à-dire seize de chaque côté, avec une perfection telle qu’il en acquit une très grande réputation. Et en vérité, on voit dans cette œuvre une grande variété non seulement dans les gestes et les attitudes de chaque figure, mais encore dans la composition de tous les épisodes. En outre cela fait un fort beau spectacle que de voir la variété des costumes de cette époque, et l’imitation et l’observation des choses de la nature. Un épisode entre autres est très beau : un homme assoiffé et dans lequel on voit une vive envie d’eau, boit penché sur le sol à une source avec un désir très fort et vraiment prodigieux, au point que l’on croirait presque une personne vivante qui se désaltérerait. Il y a aussi nombre d’autres choses fort dignes de considération, sur lesquelles, pour ne pas être trop long, je ne m’étendrai pas autrement. Il suffira de dire que cet ouvrage valut à Giotto une très grande réputation, pour la qualité des figures, comme pour l’ordre, la proportion, la vivacité et la facilité qu’il avait reçus de la nature et que, par l’étude, il avait rendus bien plus grands et qu’il savait clairement montrer en toutes choses. Et parce que Giotto, outre ce qu’il avait reçu de la nature, fut très studieux, et qu’il allait toujours méditant et tirant de la nature des choses nouvelles, il mérita d’être appelé disciple de la nature, et non d’autres hommes […] Giorgio Vasari, Vies d’artistes, Éditions Gallimard, Collection folio bilingue, 2002, pp. 81-83-85. Daniel Arasse, dans Le Détail, évoque une anecdote de la jeunesse du peintre, élève de Cimabue. Anecdote empruntée à Giorgio Vasari : « Giotto, dans sa jeunesse, peignit un jour d’une manière si frappante une mouche sur le nez d’une figure commencée par Cimabue que ce maître, en se remettant au travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s’apercevoir de sa méprise. » L’histoire est plaisante: en plaçant cette mouche sur le nez d’une figure, Vasari fait de la prouesse du peintre l’une de ces plaisanteries dont Giotto était coutumier, et le ton bon enfant du récit suggère une tendresse pour ce « petit jeu » auquel ne se laisserait plus prendre un artiste du Cinquecento, ni pour le provoquer ni pour tomber dans son piège. Pourtant, non content de rapporter l’histoire car elle a « quelque rapport avec l’art », Vasari lui donne une place tactique singulière dans l’économie d’ensemble de la Vie du peintre. Rien ne l’empêchait en effet de la situer au début de cette Vie, quand Giotto fait son apprentissage chez Cimabue. Mais c’eût été, alors, seulement une anecdote montrant que l’élève avait dépassé le maître… Si Vasari ne l’a pas fait, c’est qu’en attribuant ce jeu à Giotto, peintre qui constitue pour lui un palier décisif dans l’histoire de la peinture et son renouveau moderne, il lui donne une résonance particulière. Concluant le récit héroïque de la révolution giottesque, le détail condense le progrès de la peinture: cette mouche peinte est l’emblème de la maîtrise nouvelle des moyens de la représentation mimétique, comme si la conquête de la vérité en peinture était passée par celle de son détail ressemblant. Ce n’est pas une raison. On peut être certain que Giotto n’a jamais peint une telle mouche; la pratique n’était pas de son temps, et Vasari, évidemment, le savait. Mais, au moment où il écrit les Vies, au milieu du XVIe siècle, la mouche était un motif pictural qui avait connu un bon succès entre la moitié du Quattrocento et le début du XVIe siècle. On la retrouve en de nombreux exemplaires : qu’elle soit intégrée à la composition, peinte sur le rebord de l’image ou comme posée à même la surface du tableau, ou encore que ces dispositifs se combinent, la liste des mouches peintes est loin d’être close. Le motif n’est pas florentin d’origine ; il semble qu’il provienne plutôt du Nord, Flandres, Allemagne ou Italie du Nord. En attribuant la paternité de ce motif à Giotto, Vasari travaille, comme ailleurs, pour la plus grande gloire de Florence. Daniel Arasse, Le Détail, Flammarion, 2008, page 120. |
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Aquatinte numérique, G.AdC
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HÉLÈNE SANGUINETTI ![]() Ph. D.R. ■ Hélène Sanguinetti sur Terres de femmes ▼ → Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP) → De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie) → De la main gauche, exploratrice (I) → De la main gauche, exploratrice (II) → De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau) → À celui qui (extrait de Hence this cradle) → Et voici la chanson (note de lecture d’AP) → [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson) → Le Héros (note de lecture d’AP) → [Ma trouvaille de tout à l’heure] (extrait de Domaine des englués) → (dans la galerie Visages de femmes) un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice) ■ Voir | écouter aussi ▼ → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique (+ un extrait sonore issu de Alparegho, Pareil-à-rien) → (sur remue.net) Hélène Sanguinetti disant un extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien |
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(Printemps des poètes 2010 « Couleur femme »)
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LE SOUFFLE DES MONDES
Ph., G.AdC
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| ROSELYNE SIBILLE ■ Roselyne Sibille sur Terres de femmes ▼ → Entre les braises (lecture de Sylvie Fabre G.) → Entre les braises (lecture d’AP) → Les Langages infinis (extrait) → Roselyne Sibille/Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée (note de lecture) → [Pose ton visage dans une brèche] (poème extrait de Lisières des saisons) → Lisières des saisons (lecture de Florence Saint-Roch) → Nuit ou montagne → La tendresse me racine (poème extrait du recueil Versants) → Ombre monde (lecture de Marie Ginet) → [L’ombre est une ligne de crête] (poème extrait d’Ombre monde) → Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait) ■ Voir aussi ▼ → (sur Wikipedia) un article bio-bibliographique sur Roselyne Sibille → (sur le blog de La petite librairie des champs) Roselyne Sibille/Sur l’île de mes mots (poème) |
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Pierre Dubrunquez, Étude pour un gisant, 2007, Huile sur toile, 146 x 114 cm Collection particulière in L’Inachevé de soi, page 31. LE DÉCISIF DE VIVRE C’est peut-être l’arrondi d’un ventre, cercle de blancheur troué en son centre par l’oculus du nombril et, tout autour de cet espace de rondeur, des flammèches folles qui s’échevèlent dans les blancs les gris les mauves. Un œuf chevelu émerge de son nid ou de plus loin encore. D’un sommeil des origines. C’est en réalité ― étrange réalité à dire ― le détail d’une huile sur toile. Étude pour un autoportrait. Avec ce détail, fragment d’une œuvre picturale de Pierre Dubrunquez, le peintre cosigne, en complicité artiste, L’Inachevé de soi, poème épico-intime de Claude Ber. L’ouvrage, pris dans son entier d’œuf primordial recomposé, est un incessant questionnement sur la plénitude perdue. La nécessité de dire pour tenter une percée au-delà du miroir. Le désir d’aller au-devant de ce « quelque chose de plus inquiet que moi qui me dépasse ». Et pour chacun des deux artistes, le poète et le peintre, le désir de mettre en résonance, dans la plus grande exigence, leur interrogation duelle du monde, cet « ennoiement de la terre », sans masque sans grimage, sans faux-semblant. À travers la corporéité du geste, inhérente à l’ouvrage du peintre et avec l’écriture, cette « juste obstination d’écrire qui pousse vers le clavier… ». Alternance et altérité se répondent se joignent, échos de sens et de partage. Une lecture en « vis-à-vis » qui demande au lecteur de cet échange une « posture d’éveil et d’attente. » Entre la matière des mots et la peinture. Indices de présence. De ce travail complice du poète et du peintre, lequel précède l’autre ? Le « Dit » ou le « Voir » ? Il semble, à explorer ce « chantier de l’inachevé de soi », que s’abolisse l’interrogation première. Pour laisser place au regard dialogué des deux artistes, à leur interprétation contrapunctique du monde. Ce que l’un tente d’approcher par le travail tourmenté de la matière, l’autre le sonde à travers le forage des mots. Car le monde toujours se dérobe à nos sens amoindris. Et ce qu’il peut donner à entendre ou à voir ne peut s’appréhender en profondeur sans la médiation de l’art. « L’homme n’est pas sûr de connaître le monde, de le voir, de l’entendre. Sinon il n’y aurait pas de peinture, de poésie, de musique ». Ainsi s’exprime Roger Munier dans l’exergue qui préside à l’ouverture de l’ouvrage partagé de Claude Ber et de Pierre Dubrunquez. Photographiées par Jean-Marc Robion et Alain Hatat, les huiles sur toile de Pierre Dubrunquez sont habitées par les éléments. L’air et l’eau. L’averse bleue. Les Vents. Les toiles sans titre, elles aussi, rendent visibles leurs batailles, leurs mouvements, leurs zones d’incandescence et d’affrontements, leurs flottements dans l’espace. À la fois légère et dense, combative et fluide, la peinture de Pierre Dubrunquez, où joutent les bleus et les gris les blancs et les verts les marrons et les noirs, incite à la rêverie. Une rêverie aérienne menée en sarabande par toute une flottaison de particules, de têtards filandreux follicules fendant la masse liquide des couleurs, se frayant un passage sous les lianes qui zèbrent l’espace. Dans l’air tourbillonnant des tempêtes, au-delà des cercles mouvants d’où elles semblent surgir, les formes ovulaires remontent, ondulantes, vers la surface des eaux et l’en-deçà des airs. Tandis que La grande réserve tient serrés dans sa dure verticalité les éléments en germination. Taches et ovules, filaments drus qui tentent, ascensionnels, une évasion sur la toile. Sans titre, les gouaches aquarellées, ébauches de danseurs ou de lutteurs, ombres en mouvement, hantent l’espace vide. Silhouettes inachevées. D’autres huiles sur toile imposent au regard les combats tourmentés que se livrent les corps. Palpables à l’œil, ils sculptent leurs formes à même la matière, dans l’attente peut-être de s’en dégager pour atteindre une forme accomplie. Les études enfin ― dont seul le titre oriente la lecture ― Étude d’après Poussin, Étude pour un gisant, Étude pour une mise au tombeau ― suggèrent l’inachèvement de l’œuvre davantage que le sujet qu’elle est censée aborder. Le désir de l’œuvre, la recherche qu’elle génère semblent compter davantage que l’œuvre aboutie. Sans doute l’essentiel de ce qui hante le peintre gît-il dans l’inaccompli. Cet inaccompli qui toujours insiste et sans cesse incite le peintre, « homme qui marche dans les images », à forcer son geste, toujours, dans les mêmes « retouches ». Pour se tenir debout. Ne pas s’égarer en elles. L’écriture de Claude Ber, toute de mouvement et de tourbillons, est une écriture magicienne. Exploratrice des hauts-fonds, la langue du poète est comme la vague qui déferle, violente, imprévisible, et ramène sous elle, entre flux et reflux, mille trésors. Qu’elle dépose en offrande sur la page. Ou pique en « talisman ». Tout un théâtre de l’intime, mélange de tendresse et de subtile cruauté, est ramené ainsi, dans « l’herbu » de la langue. Images de l’enfance, lovées dans « l’intensité du détail ». Menues choses, expériences brèves, dont « la simplicité brûle aussi. » Amour : « Tu es l’aimé ou l’aimée le corps de mes mains. ». Évocation de ce qui fut, ces « deux pins jumelés de Philémon et Baucis que nous étions ». Et mort. Incompréhension de l’expérience liée à la mort. « Par exemple tu étais là. Et puis tu n’as plus été. J’écris mort la sachant mais ne sachant quelle syllabe de son nom va me couper la mort pour moi plus jamais dite. » Émotion à lire cet aveu. La mort n’est jamais comme n’est jamais loin. Ailleurs, cosmique, multiple, visionnaire, la langue du poète, « autre version du feu », « court à l’excès ». Attachée en fureur aux éléments, elle « rameute en troupes totémiques » guépards et gazelles, puma, grizzli, tigres du Bengale, loups blancs de Laponie, dont la disparition prochaine signera le désaffection de l’homme : « laissés nous sommes à nos figures humaines dépeuplées. » Pareille à la divinité qui nomme, le poète convoque dans La Ténèbre qui « rassemble dans ses mailles », la multitude des poissons. Formes et noms étranges surgissent « dans le tunnel qui nous relie au rien ». Puis s’éteignent dans le silence. Car le silence existe aussi dans l’écriture de Claude Ber. Ne serait-ce que parce que le poète s’arrête pour interroger la langue, interroger le dire. « Dire est dur, je dis, qui cherche appui sur l’insaisissable ».Vertige à essayer de dire, à s’en tenir à dire : |
| CLAUDE BER PIERRE DUBRUNQUEZ
→ Il y a des choses que non (note de lecture d’AP) → In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve) → La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP) → Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme) → Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues) → Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence) → [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non) → Vues de vaches (note de lecture d’AP) → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) le miel à la bouche ■ Voir aussi ▼ → (sur 7octobre.com) Courant d’art : Pierre Dubrunquez (vidéo) → (sur Atelier Art Actuel) une page sur Pierre Dubrunquez → le site de l’écrivain Claude Ber |
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Le 4 janvier 1747 naît à Givry (aujourd’hui en Saône-et-Loire) Dominique Vivant Denon.
La lettre tue, et l’esprit vivifie. E.D.S.P. 1 J’aimais éperdument la comtesse de *** ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna : et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elle était amie de Madame de T…, qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra, Madame de T… avait des principes de décence, auxquels elle était scrupuleusement attachée. Un jour que j’allais attendre la comtesse dans sa loge, je m’entends appeler de la loge voisine. N’était-ce pas encore la décente Madame de T… ? « Quoi ! Déjà ! me dit-on. Quel désœuvrement ! Venez donc près de moi. » J’étais loin de m’attendre à tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et d’extraordinaire. On va vite avec l’imagination des femmes ; et dans ce moment, celle de Madame de T… fut singulièrement inspirée. « Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d’une pareille solitude ; puisque vous voilà, il faut… L’idée est excellente. Il semble qu’une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir ? Ils seraient vains, je vous en avertis ; point de questions, point de résistance… appelez mes gens. Vous êtes charmant. » Je me prosterne… on me presse de descendre, j’obéis. « Allez chez monsieur, dit-on à un domestique ; avertissez qu’il ne rentrera pas ce soir… » Puis on lui parle à l’oreille, et on le congédie. Je veux hasarder quelques mots, l’opéra commence, on me fait taire : on écoute, ou l’on fait semblant d’écouter. À peine le premier acte est-il fini, que le même domestique rapporte un billet à Madame de T…, en lui disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d’avoir pu m’informer de ce qu’on voulait faire de moi. Chaque fois que je hasardais une question, on répondait par un éclat de rire. Si je n’avais bien su qu’elle était femme à grandes passions, et que dans l’instant même elle avait une inclination, inclination dont elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit, j’aurais été tenté de me croire en bonne fortune. Elle connaissait également la situation de mon cœur, car la comtesse de *** était, comme je l’ai déjà dit, l’amie intime de Madame de T… Je me défendis donc toute idée présomptueuse, et j’attendis les événements. Nous relayâmes, et repartîmes comme l’éclair. Cela commençait à me paraître plus sérieux. Je demandai avec plus d’instance jusqu’où me mènerait cette plaisanterie. « Elle vous mènera dans un très beau séjour ; mais devinez où : oh ! Je vous le donne en mille… chez mon mari. Le connaissez-vous ? ― Pas du tout. ― Je crois que vous en serez content : on nous réconcilie. Il y a six mois que cela se négocie, et il y en a un que nous nous écrivons. Il est, je pense, assez galant à moi d’aller le trouver. ― Oui : mais, s’il vous plaît, que ferai-je là, moi ? À quoi puis-je y être bon ? ― Ce sont mes affaires. J’ai craint l’ennui d’un tête-à-tête ; vous êtes aimable, et je suis bien aise de vous avoir. ― Prendre le jour d’un raccommodement pour me présenter, cela me paraît bizarre. Vous me feriez croire que je suis sans conséquence. Ajoutez à cela l’air d’embarras qu’on apporte à une première entrevue. En vérité, je ne vois rien de plaisant pour tous les trois dans la démarche que vous allez faire. ― Ah ! Point de morale, je vous en conjure ; vous manquez l’objet de votre emploi. Il faut m’amuser, me distraire, et non me prêcher ». Je la vis si décidée, que je pris le parti de l’être autant qu’elle. Je me mis à rire de mon personnage, et nous devînmes très gais. Nous avions changé une seconde fois de chevaux. Le flambeau mystérieux de la nuit éclairait un ciel pur et répandait un demi-jour très voluptueux. Nous approchions du lieu où allait finir le tête-à-tête. On me faisait, par intervalles, admirer la beauté du paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de la nature. Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions à la même portière ; le mouvement de la voiture faisait que le visage de Madame de T… et le mien s’entretouchaient. Dans un choc imprévu, elle me serra la main ; et moi, par le plus grand hasard du monde, je la retins entre mes bras. Dans cette attitude, je ne sais ce que nous cherchions à voir. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les objets se brouillaient à mes yeux, lorsqu’on se débarrassa de moi brusquement, et qu’on se rejeta au fond du carrosse. « Votre projet, dit-on après une rêverie assez profonde, est-il de me convaincre de l’imprudence de ma démarche ? » Je fus embarrassé de la question. « Des projets… avec vous… quelle duperie ! Vous les verriez venir de trop loin : mais un hasard, une surprise… cela se pardonne. ― Vous avez compté là-dessus, à ce qu’il me semble ». Nous en étions là, sans presque nous apercevoir que nous entrions dans l’avant-cour du château. Tout était éclairé, tout annonçait la joie, excepté la figure du maître, qui était rétive à l’exprimer. Un air languissant ne montrait en lui le besoin d’une réconciliation que pour des raisons de famille. La bienséance amène cependant Monsieur de T… jusqu’à la portière. On me présente, il offre la main, et je suis, en rêvant à mon personnage passé, présent, et à venir. Je parcours des salons décorés avec autant de goût que de magnificence, car le maître de la maison raffinait sur toutes les recherches de luxe. Il s’étudiait à ranimer les ressources d’un physique éteint par des images de volupté. Ne sachant que dire, je me sauvai par l’admiration. La déesse s’empresse de faire les honneurs du temple, et d’en recevoir les compliments. « Vous ne voyez rien ; il faut que je vous mène à l’appartement de monsieur. ― Madame, il y a cinq ans que je l’ai fait démolir. ― Ah ! ah ! » dit-elle. À souper, ne voilà-t-il pas qu’elle s’avise d’offrir à monsieur du veau de rivière, et que monsieur lui répond : « Madame, il y a trois ans que je suis au lait. ― Ah ! ah ! » dit-elle encore. Qu’on se peigne une conversation entre trois êtres si étonnés de se trouver ensemble ! Le souper finit. J’imaginais que nous nous coucherions de bonne heure ; mais je n’imaginais bien que pour le mari. En entrant dans le salon : « Je vous sais gré, madame, dit-il, de la précaution que vous avez eue d’amener monsieur. Vous avez jugé que j’étais de méchante ressource pour la veillée, et vous avez bien jugé, car je me retire ». Puis, se tournant de mon côté, il ajouta d’un air ironique : « Monsieur voudra bien me pardonner, et se charger de mes excuses auprès de madame ». Il nous quitta. Nous nous regardâmes, et pour nous distraire de toutes réflexions, Madame de T… me proposa de faire un tour sur la terrasse, en attendant que les gens eussent soupé. La nuit était superbe ; elle laissait entrevoir les objets, et semblait ne les voiler que pour donner plus d’essor à l’imagination. Le château ainsi que les jardins, appuyés contre une montagne, descendaient en terrasse jusque sur les rives de la Seine, et ses sinuosités multipliées formaient de petites îles agrestes et pittoresques, qui variaient les tableaux et augmentaient le charme de ce beau lieu. Ce fut sur la plus longue de ces terrasses que nous nous promenâmes d’abord : elle était couverte d’arbres épais. On s’était remis de l’espèce de persiflage qu’on venait d’essuyer, et tout en se promenant, on me fit quelques confidences. Les confidences s’attirent, j’en faisais à mon tour, elles devenaient toujours plus intimes et plus intéressantes. Il y avait longtemps que nous marchions. Elle m’avait d’abord donné son bras, ensuite ce bras s’était entrelacé, je ne sais comment, tandis que le mien la soulevait et l’empêchait presque de poser à terre. L’attitude était agréable, mais fatigante à la longue, et nous avions encore bien des choses à nous dire. Un banc de gazon se présente ; on s’y assied sans changer d’attitude. Ce fut dans cette position que nous commençâmes à faire l’éloge de la confiance, de son charme, de ses douceurs. « Eh ! me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, avec moins d’effroi ? Je sais trop combien vous tenez au lien que je vous connais, pour avoir rien à redouter auprès de vous ». Peut-être voulait-elle être contrariée ; je n’en fis rien. Nous nous persuadâmes donc mutuellement qu’il était impossible que nous pussions jamais nous être autre chose que ce que nous étions alors. « J’appréhendais cependant, lui dis-je, que la surprise de tantôt n’eût effrayé votre esprit. ― Je ne m’alarme pas si aisément. ― Je crains cependant qu’elle ne vous ait laissé quelques nuages. ― Que faut-il pour vous rassurer ? ― Vous ne devinez pas ? ― Je souhaite d’être éclaircie. ― J’ai besoin d’être sûr que vous me pardonnez. ― Et pour cela il faudrait… ? ― Que vous m’accordassiez ici ce baiser que le hasard… ― Je le veux bien : vous seriez trop fier si je le refusais. Votre amour-propre vous ferait croire que je vous crains ». On voulut prévenir les illusions, et j’eus le baiser. Il en est des baisers comme des confidences : ils s’attirent, ils s’accélèrent, ils s’échauffent les uns par les autres. En effet, le premier ne fut pas plus tôt donné, qu’un second le suivit, puis un autre : ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils la remplaçaient ; à peine enfin laissaient-ils aux soupirs la liberté de s’échapper. Le silence survint ; on l’entendit (car on entend quelquefois le silence) : il effraya. Nous nous levâmes sans mot dire, et recommençâmes à marcher […] 1 : Épîtres de Saint-Paul. La citation en exergue provient de la seconde épître aux Corinthiens. Vivant Denon, Point de lendemain, in Romans libertins du XVIIIe siècle, Éditions Robert Laffont, 1993, pp. 1299 sqq. |
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Rejoints les reflets, les vêpres brunes, veillés les regrets. Choisir. Que tes sillons s’accomplissent, en départs inventés, ici et maintenant, même barbouillés de mousses vigoureuses, de feux sans bannières. Mais vite. Car tu ne recommenceras pas. Dans la maison des débuts il y a de lèvre à lèvre la fêlure délivrée des preuves riveraines. Dans la hutte aux parois de lierre il y a la moiteur dissipée, voyante aux plis opaques dont s’écarte toute voilure. Dans la tour vrillée il y a comme un goût de graines inquiètes, de gaudes dévorées. Aridité et hôtesse enfin confondues. Quelle fuite, alors que le centre est tu ? Routes alors inlassables, captives embuscades, arc équivoque de l’absence qui fit de ton visage ce masque de jeune pharaon à l’heure du plaisir, des alcools incurvés, des rixes de minuit… Icône se tenant sur le seuil, dans l’ombre de l’ombre, vers l’oubli de l’oubli – qui t’enlève les choses sans que tu les perdes ou que tu puisses les garder par l’illusion de les avoir perdues… Faux-pas du désir qui, d’un bond sans pourtour, franchit déjà la ligne, trahie, éperdue… Nous sommes tous des variantes de la même ombre, condamnée à ne coïncider qu’avec son déguisement, alliance du renvoi et de l’envol, du plomb et du vide, de ce qui, en cette heure, n’a ni visière, ni visage, ni orgueil, ni droit à faire valoir, ni ténèbre à expier… Nuits sur le promontoire, fêtes immobiles. L’accueil, puis l’essor séparé, les racines à revendre. À qui sans bris marcha vers cet automne dont la moiteur pourtant lui resta inconnue – de les avoir vues, sœurs, brumeuses, dès l’aube enlacées en un cri élargi, pressenti le silence du blé dans la noire. Il n’aurait pas dû, mais il est resté, comme avant, quand le monde était encore. Pour tout nous dire. Les portes s’ouvrant, lentes sous la paume des archipels, aux réveils, par les mers rabrouées. Entame aux rives enfin soupesées pour que rien, jamais, n’y soit en leurs souches blessé, désemparé, enlevé ou éteint, pour qu’on n’ait plus à monter au temps par autrui, par le bond ou l’énigme, ni par l’essaim souverain, ni par ces feintes qui le dévêtent, l’accroissent ou l’accompagnent, parfois ressaisi, ici et là dépris ou repeint, jamais en vain… Don de chevaucher les creux, les brumes qui affluent sur les contrées des sorts, murailles couvertes de graffitis affûtés par l’instant, délavés par la succession, sourdes parcelles de cet enfer où gît ta réalité féroce, insubornable… André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Image, G.AdC
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| Voir aussi : – (sur le site de Richard Webster) Richard Webster, ‘The Thought Fox’ and the poetry of Ted Hughes, The Critical Quarterly, 1984 ; – Earth-Moon: A Ted Hughes Website ; – (sur le site d’Ann Skea) The Ted Hughes Homepage ; – (sur Poezibao) une note de lecture sur Poèmes 1957-1994 de Ted Hughes, édité par Gallimard en juin 2009 ; – (sur Terres de femmes) Sylvia Plath, La lionne de Dieu (une chronique d’Angèle Paoli). |
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