Blog

  • Sylvie Durbec | Été glacé, Carnet lent

    <<Poésie d'un jour

     

     

    BLEUE DOSTOïEVSKY(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photocollage de → G.AdC 

     

     

     

     

     

    Bleue comme un dimanche
             avec du soleil au fond
                      James Sacré

     

     

    tout le jour s’écrit
    dans le bleu du poème
    au-dessus de la porte

    (que le bleu fait mal
    quand il se lit
    sur le bras
    ou le mollet)

    et sinon ce bleu
    comme la mer ?

     

     

    allant à pas lents à dos de la
    lettre
    A
    nous en venons de ce pays
    sec et chaud et froid et dur

    peupliers agités par le vent

    Anatolie lentement
    à pas comptés Arménie
    en suivant les rides
    du temps sur les visages
    des enfants

    la science et le poète l’affirment
    c’est du A que nous venons

     

     

    sibérie de la déclivité territoriale
    où vas-tu trouver à te lover
    dans la réalité historique
    si étroite

    dostoïevski fond en larmes
    hegel compte sur ses doigts
    földényi tresse leurs noms
    ensemble

    vent gelé souffle disperse
    papiers encre et plumes
    personne pour les ramasser
    que le froid

     

    assise par terre entre
    deux chambres sur le seuil
    je regarde un creux dans
    le lierre du chemin de la grotte où
    se réfugier dans le
    platane

     

     

    écrivain de frontière c’est écrit sur la quatrième
    et je me demande si je n’en suis pas de cette
    famille de frontaliers vivant entre colline
    et mer
    entre les lettres aussi entre une rive et
    l’autre Tunisie Algérie Italie Suisse
    poète de frontière prise entre
    lignes de front et de taille
    brisée
    é/T/A/I/S

     

     

    Eté glacé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Sylvie Durbec, Été glacé, Carnet lent, Cahiers du Loup bleu, Les lieux-Dits, 2023, Dessin de Sylvie Durbec, pp.15, 16, 17, 18.

    _______________________________________________________________________________________________________________

    ______________________________________________________________________________________________________________

    S Y L V I E     D U R B E C

    DURBEC 5
    Source

    ■ Sylvie Durbec
    sur Terres de femmes ▼

    Carrés, éditions Faï fioc, 2020
    → Conte oriental,in La Revue des Archers
    → Sylvie Durbec | Déjanire, Lucetta Frisa | Deianira
    → Marseille, Éclats & quartiers (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Pour García Lorca, te quiero verde
    → (dans la galerie Visages de femmes) un court extrait de Marseille, Éclats & quartiers

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Sylvie Durbec

     

     

  • Christine Duminy-Sauzeau | Il PLEUT debout | Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    Christine Duminy-Sauzeau, Il PLEUT debout, Pensées diurnes & nocturnes
    Atelier du Hanneton 2023
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

    Christine Duminy-Sauzeau

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source image 

     

     

    « Un caillou dans la chaussure »

     

    Impossible de ne pas rire ou du moins sourire en ouvrant au hasard l’ouvrage de Christine Duminy-Sauzeau : 

    Il PLEUT debout.

    Il y a sous sa plume une tonalité toute personnelle et particulière qui tient du décontracté, d’un naturel franc qui s’embarrasse peu du prêt-à-penser, le tout exprimé d’une manière très directe laquelle rechigne à s’étendre sur le pourquoi du comment. Prise au hasard, cette assertion nuancée, tirée des « Pensées diurnes » :
    Moins t’en sais…ou Chant du cygne :
    « Il paraît que le parfum des fleurs exprime la souffrance, annonce leur mort prochaine. Quand tu sais ça… »

    Tout est dans le petit commentaire qui suit la découverte et qui laisse à chaque lecteur / lectrice le choix de l’interprétation ou celui de mettre des mots dans le silence que les points de suspension suggèrent. Tout est de cet ordre dans cette sorte de journal sans chronologie qu’est le recueil Il PLEUT debout, pensées diurnes & nocturnes ; mélange de fantaisie et de sérieux, de vie rêvée et de rêve vécu, d’impertinence et de pertinence ; d’insolence et d’insolite. L’ensemble enrobé d’un humour irrésistible et d’un optimisme qui déteint sur la lectrice. Autant dire que c’est un régal.

    Et déjà le titre ! Son étrangeté. Son côté inattendu, surprenant. Association d’une formule familière et d’un adverbe de manière qui caractérise une position humaine. Il pleut. Debout. Donc, pour moi, une vision s’impose : il pleut DRU. DROIT. RAIDE. Une Drache, en quelque sorte. L’énigmatique Cadeau du ciel ? – casé dans les « Pensées diurnes » – ne me sera d’aucun recours :
    « Clémence du temps en ce lendemain de catastrophe : maintenant il pleut debout ! »

    Me voilà bien avancée ! Je passe. Et laisse infuser en moi le titre.
    Comme l’indique le sous-titre, ce recueil original de pensées se répartit avec la régularité d’un métronome en Pensées diurnes (page de droite) & Pensées nocturnes (page de gauche). Des titres en gras délimitent les paragraphes et les pensées qui s’y expriment, les uns comportant parfois des dates et des lieux, les autres soumis à la rêverie, à la vie intérieure – « Parfois je fais la planche entre rêve et réalité » – à toutes sortes de traversées de pensées, de formulations inattendues, construites sur des contradictions ou des alternatives. Finalement ou Grasse mat’. Des titres fantaisistes –Doriane Gray/ Charlaz Navour– avec jeux de mots, interjections ou interrogations qui ménagent l’attente. C’est selon. Selon la vie qui va, de jour comme de nuit. Pour autant, ces pensées se rejoignent. Rien ne sépare (selon ma lecture) ou ne distingue les pensées diurnes des pensées nocturnes. Elles sont interchangeables car l’esprit qui les mène est le même, qui est celui du sérieux de l’existence assorti d’un puissant zeste de fantaisie. Les menus drames du quotidien sont désamorcés par l’humour et par le regard tendresse. Se laisser aller au fil des paragraphes, au fil du texte pour le plaisir de découvrir où nous mène la narratrice, vers quel rêvouréalité et à quel rythme. Car il y a un rythme, de l’ordre de l’infatigable. Les scènes alertes, souvent brèves, semblent être prises sur le vif par un regard aigu mais drôle. La parole est incisive mais pleine d’humour. Un humour qui frôle parfois l’absurdie. L’impression dominante et émergeante est celle d’un portrait – joyeux et contestataire – de la narratrice. Un portrait qui se dessine au fur et à mesure, par touches successives. Un croqué de la narratrice qui fait resurgir l’enfance et ses petites stratégies, l’adolescence rebelle, les révoltes estudiantines et les bistrots d’Aix-en-Provence avec virées en fin de nuit vers La Ciotat ! les multiples activités d’adulte liées à la carrière d’enseignante, les jongleries qu’elles imposent, les déplacements et les voyages ; les lectures fondatrices (ah, le « premier Petit livre d’or » ! ah, le Club des cinq ! … et même Daniel Rops !!! Mort où est ta victoire pour elle, L’histoire sainte de mes filleuls pour moi, à l’entrée en sixième !) ; la vie quotidienne et les stratagèmes mis au point pour se désennuyer, les engagements de battante et les contestations ; un croqué de caractère (un sacré caractère !), tempétueux, exigeant – « bouillonnant, révolté, impétueux, bravache, mystique, ombrageux, passionné… ». En un mot « romanesque ! ».

    Mais en sourdine, un portrait tout autant généreux et tendre, qui se précise en cours de lecture, au hasard des souvenirs évoqués, des listes de choses à faire et d’oublis qui accompagnent les listes, d’évocations du père et de la mère, des sœurs et des arrière-grand-mères, de la vie dans les pensionnats religieux et des plaisirs liés à la découverte de la sexualité (un moyen efficace de berner la surveillance !) … le tout nimbé d’optimisme et de joie de vivre, l’espièglerie dominant l’ensemble de ces touches rapides et concises. Et si la poète se dit volontiers « ombrageuse », c’est avant tout parce qu’elle aime ce mot qui correspond à son caractère imprévisible, un rien susceptible et sauvage ; voire farouche. Les mots, elle les aime, presque autant que les livres. Elle joue avec les mots de l’enfance, ceux qui ont le pouvoir, parfois, à la manière de la petite madeleine de Proust, de faire remonter à la surface les souvenirs perdus. S’accrocher aux bonbecs – carambar, haribo. Il me serait possible de compléter la liste. Carensac, régalettes, boules cocos, réglisses à dérouler, interminables, avec leur bonbon coloré au centre…Elle joue avec les mots-valises, les apocopes, les cuts intempestifs : « Op-pressée » ; les liaisons « mal-t-à-propos » ; les latinismes et les anglicismes. Les proverbes revisités : Gauchère du matin, chagrin. Les mots et les livres, la lecture, convulsive-complexe, et l’écriture. Tout se tient même si parfois :
    Titre : Je n’écrirai jamais
    « Les strates de ma vie ont du mal à se superposer. Manque de place, chevauchements, bousculements, coincements.
    Le silence, donc. »

    Et pourtant, deux pages plus loin, la poésie fait son apparition, qui passe par l’écriture :

    Écrire, la mer :
    « C’est joli l’intérieur d’une main qui écrit, avec les doigts recourbés, d’un rose nacré, comme le cœur d’un coquillage. Oui, un coquillage. Est-ce pour cela que j’entends la mer lorsque j’écris, pourtant dans le silence. »

    Son idéal d’écriture peut se lire dans Bribes for ever
    « Un " Atelier noir " à la Annie Ernaux, mais avec des bribes qui n’auraient jamais donné lieu à des développements : les développements m’ennuient. »

    Pour les bribes, en effet, Christine Duminy-Sauzeau s’y entend. Elle y excelle. Même lorsqu’il s’agit de se définir elle-même. Ainsi des Présupposés :
    « Ayant toujours été habituée à rater le début de tout, je suis une virtuose du présupposé… »

    Et le féminisme alors ? Christine Duminy-Sauzeau est féministe à ses heures mais avec modération. Pas d’excès dans ce domaine, même si elle dénonce la « violence patriarcale » qui s’est abattue dans sa famille et qu’elle perçoit davantage comme le fait d’un « système » que comme le résultat d’un caractère. Elle rechigne à se soumettre à certains dictats idéologiques, sous prétexte de féminisme. Ainsi dans les Pensées nocturnes, ce paragraphe intitulé Autrice ? c’est laid
    « Quand je lis un livre écrit par une femme, c’est comme quand je joue au ping-pong avec un gaucher : je ne suis pas à mon aise. Je suis pourtant ET une femme ET une gauchère ET une gauchère qui écrit. Je me demande si de là ne vient pas le rejet général de la littérature « féminine » : on n’est pas habitué. C’est comme pour le féminin des noms de métier : la première fois qu’on l’entend, on trouve ça laid.
    Par sa lecture une femme participe de l’homme.
    L’inverse n’est pas vrai, donc. »

    On peut, bien évidemment opposer un autre point de vue à celui-ci, mais ce serait se lancer dans des digressions à n’en plus finir et les « développements », Christine Duminy-Sauzeau affirme ne pas les apprécier. Revenons à sa plume, qui ne s’embarrasse ni de préambules ni d’hésitations.

    Avec une plume aussi libre, la lectrice que je suis est prise dans un mouvement perpétuel. Ça bouge tout le temps ! Et je bouge avec son mouvement à elle. Il est d’ailleurs possible de lire ces pages dans n’importe quel ordre. Il existe cependant un ordre avec des pensées qui se font écho. Ainsi la mite qui exaspère la mère renvoie-t-elle en amont à la mouche qui exaspère la fille. Et toutes deux de se retrouver dans le même geste d’exécution finale avec un même brin de sadisme. Sauf que pour les mouches, la fille se régale à observer les stratégies séductrices de la préparation au coït chez l’insecte volant. Et d’ironiser sur les approches copulatoires. C’est drôle, c’est bien observé et bien senti. Autre leitmotiv, celui du « caillou dans la chaussure », expression qui résume à elle seule le sentiment inconfortable de n’être nulle part à sa place.

    Ainsi la narratrice écrit-elle d’elle même qu’elle a toujours été pour les autres – (pour sa mère, notamment « toi, ça ne va jamais ! » ou pour sa bisaïeule : « toi, il te manque toujours deux liards pour faire un sou ! ») – « un caillou dans la chaussure » ; une sorte d’intruse dans le paysage familial, marqué par le sentiment d’inconfort et de manque. Mais c’est sans doute ce même sentiment d’inconfort et de manque, ce « scrupule » qui gêne la bonne marche dans les allées empierrées du jardin mais pas seulement, qui fait de Christine Duminy-Sauzeau une philosophe de talent. « Différente à tout jamais, mais incontournable ». Irremplaçable, donc, parce que rare. Bizarre, non ? « Je suis quelqu’un de bizarre. Moi seule sais à quel point. »

    Peut-être, et c’est tant mieux !

     

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

    ___________________________________

     

    Il PLEUT debout(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

    Voir aussi sur →Tdf 

     

  • Bernard Sesé | Ivre de l’horizon

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Orion-constellation

     

     

     

     

     

     

     

     " la constellation d’Orion."   Source 

     

     

     

     

    Orion

     

    Au tournant,
    qu’une lueur fait monter ou descendre,
    dans le quadrilatère
    d’avril,
    promesse de joie alentour.

    Il était quatre souvenirs,
    dans la constellation d’Orion.
    La nébuleuse énigmatique
    flottait comme un drapeau hissé
    au soleil du matin.

    Un goût de lendemain
    s’élançait dans le cœur, venait
    à la rencontre avec ses mains
    ouvertes ou ses lignes brisées.
    Tout se réconciliait.

    Les noms, les choses, les oiseaux,
    leurs noms qui se dessinent,
    se dirigent, émigrent,
    vers l’horizon qui les accueille,
    derrière les monts, au-delà des étoiles.

     

    Sesé couv

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Bernard Sesé, « Crépuscule » in Ivre de l’horizon, Dessin de couverture Renaud Allirand, Éditions La tête à l’envers 2023, p. 98.

     

     

  • Pascal Quignard | Les heures heureuses

       << Lecture

     

     

     

                                                PASCAL QUIGNARD PAR VALERIO ADAMI                                                                                                                                       

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Pascal Quignard par →  Valerio Adami 

     

     

     

     

     

                                   CHAPITRE V

                             La plage d’Ischia

     

         On suivait les rouleaux de la mer. L’obscurité enva-
    hissait le ciel.  Avec M.   on avançait    de plus en plus
    lentement parce qu’on ne voyait plus grand-chose. On
    suivait la frange d’écume   qui scintillait    dans la nuit.
    Comme les escargots suivent la trace argentée   de leur
    bave. On retrouvait dans le noir – dans le sable noir du
    volcan- les gargotes aux légumes frits,  aux aubergines
    coupées en si fines lamelles, aux poivrons de toutes les
    couleurs, aux olives de Lucca, les restaurants de poisson
    où on faisait frire les seiches, les calamars, les crevettes,
    les pâtes aux vongole, les petites soles, les anchois frais
    à peine saisis dans l’huile crépitante.
          Heures heureuses, infiniment heureuses.

     

                        CHAPITRE XXXVII

                                 Poèmes

    Les taureaux vivent trente ans et les grenouilles aussi ;
    la tortue cent cinquante ;
    une guêpe cinq.
    Les esturgeons vivent cent ans ; l’éponge quinze ; la
    souris trois ;
    l’homme se situe entre l’oie – ou le cygne- et la
    moule de bouchot.
    Les lions- les rois de la nature – ne vivent pas plus
    de trente- trois ans ; les pigeons trente-cinq ; les vau-
    tours cent vingt. On monte. On s’élève dans le temps
    et dans l’âge.

                                     *

         1879, Maria, huit ans, hissant la tête, cassant la tête,
    regardant le plafond, levant la main, s’écria :
          – Mira, papa ! Bueyes ! (Regarde, papa ! Des bœufs !)
         Altamira apparut mais il fallut des années et des
    années pour s’en convaincre.
    L’art des cavernes est si récent dans la cavité cépha-
    lique, obscure, caverneuse, noirâtre des hommes.

                                  *
          Le roi Arthur n’a jamais vu un hortensia.
         Anne de Bretagne ne connut pas la glycine.
         Le premier   marronnier arriva à Paris, transporté
    d’Asie Mineure sur une caravelle à quatre voiles car-
    rées, dans une caisse en bambou qui avait été placée
    sur la poupe.   Quatre marins la transportent sur une
    charrette tirée par deux bœufs sur les pavés du Havre.
    Nous sommes en 1612.

                                 *

        En 1954, une chamane ouïgoure se mit à tambouriner
    de toutes ses forces sur sa peau de chèvre.
        Une ethnologue, qui se trouvait devant la yourte,
    délaça sa sacoche, l’enregistra aussitôt.
       De retour à Moscou, la jeune ethnologue comprit,
    quand elle fit défiler la bande du magnétophone, que
    la chamane s’adressait à Canxila. Elle transcrivit tout
    ce qu’elle disait.
        La chamane ouïgoure de 1954 était en train de s’en-
    tretenir avec la bru de l’empereur Gengis Khan.
        Quand elle avait commencé à tourner sur elle-
    même à toute allure, sur un seuil pied, en martelant
    la peau de tambour, elle avait grommelé les clés
    rituelles ; « Tout ce qui jaillit des grottes des mo-
    tagnes, tout ce qui dévale en torrent, tout ce qui pré-
    destine les renaissances et les retours. Flaque avant la
    mer, surgeon avant l’arbre, faon avant le cerf, cascade
    sur la roche, grotte dans la montagne, tout de nous
    resurgit du fond de la terre. Les dieux de cristal sont
    dans l’obscurité. »
        Mais après qu’elle avait marmonné ces mots néces-
    saires pour ouvrir les visions, soudain elle avait renversé
    la tête. Ce fut un admirable chant sur le jadis qui monta
    de ses lèvres.
        On ne sait plus qui chante – de la chamane ou de
    la reine.
        Elle fredonne, sept cent cinquante années après sa
    propre mort : « Je suis bien vieille. Je ne sais plus
    rien. Je vais chancelante d’ancêtre en ancêtre. Je
    vais tournoyante de coït en coït, de fissure en fis-
    sure, de crevasse en crevasse, de caverne en caverne.
    l’eau pure que je porte entre mes lèvres rafraîchit
    les visages. »

                               *

         En 1663, on retrouva par hasard le manuscrit de la
    Cena Trimalcionis. Alors Monsieur de Saint-Evremond
    fit de Pétrone le héros de sa vie. Il le traduisit. Il le
    publia. Puis il s’enfuit de l’île de la Cité – pour ne
    pas mourir comme Pétrone était mort sur l’ordre de
    Néron dans la baie de Naples. Il abandonne son cheval
    à Dieppe, il monte dans une péniche de mer, il traverse
    la Manche, cabote le long des côtes anglaises, débarque
    à Hastings, suit la Tamise dans un grand coche d’eau ,
    gagne Londres où il tarde à mourir pendant plus de
    quarante ans.

                           *

         Onze vaisseaux abordèrent les côtes du Massachusetts.
    L’un de ces capitaines s’appelait Dickinson. Il s’installe
    à Amherst.

    Quignard livre

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Pascal Quignard, « Les heures heureuses » in Dernier royaume XII, Éditions Albin Michel, 2023,

    pp. 24, 161, 162, 163, 164.

     

     

    Quignard micro

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    wikipedia

     

    ■ Pascal Quignard
    sur Terres de femmes ▼

    → Cûdapanthaka (extrait de L’Enfant d’Ingolstadt), chap.XXIV (extrait), Dernier royaume X, Éditions Grasset & Fasquelle, 2018,

    Les Kami, L’Origine de la danse, Éditions Galilée, 2013

    → [Lancelot dit] (extrait des Désarçonnés), Dernier royaume VII, Éditions Bernard Grasset, 2012,

    → Medea (lecture d’AP), Éditions Ritournelles, Bordeaux, 2011.

    → Boutès (lecture d’AP), Éditions Galilée, 2008.

     Villa Amalia (lecture d’AP), Gallimard, Collection blanche, 2006.

    23 avril 1948 | Naissance de Pascal Quignard (Villa Amalia, extrait)

    → 28 octobre 2002 | Pascal Quignard, Prix Goncourt 2002 (lecture des Ombres errantes par AP)

     

     

  • Eugenio De Signoribus | Pour Rocco Scotellaro | Traduction de Jean-Charles Vegliante (inédit)

     

       

    Eugeniodesignoribus

     

     

                                                                             

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

                                                                 

     

     

                                                                   [Pour Rocco Scotellaro]

     

     

    Un’eco di Rocco
    (settanta anni dopo)

     

    -La terra dove fremeva
    la mia sconfinata sete
    di verità e giustizia

    ora mi è sopra…
    ma parlano per me, ancora,
    la mia parola accorata

    e il grido mai soffocato…

    col vasto respiro della giovinezza
    ho calcato solchi e macerie
    delle miserie dei miei ultimi

    e da lì, indocile e febrile
    sempre sono stato in ovunque
    con gli atti della dimora tradita

    e la vita che ho dato alla vita
    mi è venuta adosso, presto,
    senza la carità d’un altro giorno

    ma la terra che mi è sopra, ora
    guarda arbusti resistenti ai venti
    e agli occhi ciechi

     

    Peinture(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Peinture de Pietro Tarasco

     

     

     

    Un écho de Rocco
    (soixante-dix ans après)

     

    -La terre où frémissait
    ma soif illimitée
    de vérité et de justice

    est à présent sur moi…
    mais parlent encore pour moi
    ma parole affligée

    et le cri jamais étouffé…

    avec l’ample souffle de la jeunesse
    j’ai parcouru sillons et décombres
    des misères de mes derniers

    et de là, indocile et fiévreux
    toujours j’ai été en tout lieu
    avec les actes de la demeure trahie

    et la vie que j’ai donnée à la vie
    m’est tombée dessus, trop vite,
    sans la charité d’un jour de plus

    mais la terre qui me recouvre, à présent
    regarde les arbustes résistants au vent
    et les yeux aveugles »

     

    Eugenio Da Signoribus, Poème Iinédit, Traduction de Jean-Charles Vegliante

     

    Eugenio Da Signoribus sur → Tdf

    Jean-Charles Vegliante sur → Tdf 

     

     

     

  • Béatrice Bonhomme | Deux paysages pour entre les deux, dormir

    < Poésie d'un jour

     

     

                                                                                                                                                                     

     

                                                                                                                                                              

    Dessin-marelle

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source: Google image 

     

     

    Sauter dans la craie d’une marelle

     

    On avait effondré les dernières illusions, et c’est là qu’on se retrouvait libres,

    ouverts au moindre feuillage, à l’escargot polissant son miroir, à l’araignée

    fourbissant ses pattes fines pour tisser la toile d’un cercle de lumière.

     

    On n’avait plus regardé que le visage de ceux qui rient au soleil et tendent les

    mains vers la chaleur d’une halte.

     

    On avait ramassé des fruits de saison et attendu que la pluie vienne.

     

    On avait dispersé des cendres d’amour sur des rochers face à la mer et faussé

    Compagnie aux tombeaux de toutes sortes. Les tombeaux des mots, ou de

    pierre. Il n’était plus resté que des maisons de feuille et des cris perdus dans le

    vent.

     

    On avait été heureux car on ne tenait plus à rien. On avait dessaisi les matins

    comme les soirs, les fleurs comme les oiseaux s’étaient envolés des mains

    déployées.

     

    Il n’y avait plus de cages, plus de bonjour ni d’adieu.

     

    Il y avait ces risées de vent qui plongent sur les mares et savent les friser, il y

    avait l’eau verte d’un étang qui miroite dans l’éclaircie et le vélo qui habite les

    paysages.

     

    Devant l’école abandonnée restait la craie d’une marelle, le haut d’un cercle, le

    ciel ou l’enfer qu’importe.

     

    Seul le bond d’une case à l’autre gardait la courbe d’une danse et le caillou

    était resté pris entre deux tracés de nuit.

     

    Le caillou, lâché par hasard au milieu entre deux cases, restait là, pour d’autres

    mains d’enfants, un jour, refermées sur lui.

     

    Le lieu semblait attendre de nouveaux cris, des rires d’enfants. Les anciens

    avaient déserté.

     

    Il ne s’agissait plus de coquillage ou de fossile mais d’un simple galet plat qui

    avait nié toutes les empreintes, qui avait perdu les traces.

     

    Le fossile en coquillage, celui en forme de cœur momifié, serait redevenu un

    galet sur lequel était passée la mer, au point d’avoir effacé tous les sillages.

     

    Entre la craie et le galet, s’était renouée une complicité d’enfance, celle des

    objets du monde qui ont retrouvé la force des épaves.

     

    BÉATRICE BONHOMME(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Béatrice Bonhomme, Deux Paysages pour entre les deux dormir, avec Palimpseste pour accompagner , Éditions VVV Éditions, 2018

     

     

    BÉATRICE  BONHOMME

    Béatrice Bonhomme Bourdelas 2
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas

    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes ▼

    → Mutilation d’arbre (lecture d'AP)
    → Le pacte des mots
    → Passage du passereau
    → [Les petits chevaux de Tarquinia]
    → Poumon d'oiseau éphémère
    → Sauvages
    → T’écrire adolescent
    → La terre rouge
    → Tes nuits sont devenues mes jours
    → Variations du visage & de la rose (lecture de France Burghelle Rey)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Un lacis de sang et d'ombre
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Béatrice Bonhomme
         par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d'oiseau éphémère 

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur la site des éditions L’Étoile des limites) la fiche de l'éditeur sur Les Boxeurs de l’absurde
    → (sur Terres de femmesKaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia) une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmesLa rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d'art et de littérature, musique) un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)


     

     

  • Laurent Thinès | Le souffle et la sève

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Détail  d'une aquarelle Qing

                                                                                                                                                                

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo de G.AdC 

     

     

     

     

     

    Que le vent se lève
    et les oiseaux se taisent
    et se figent sur le chant
    chœur suspendu
    à l’infinie portée du branchage

    retiens ton souffle

     

    que les oiseaux chantent
    et le vent s’apaise
    et écoute en sourdine
    amoureux transi niché
    au cœur roux du feuillage

    retiens l’automne

     

    Dans la forêt du Luberon

    là-haut
    sur le plateau
    tu rencontreras des cèdres immenses
    qui hurlent au vent sombre

    certains jours d’automne
    ces cochers hystériques
    fouettent et carrossent par-dessus les sentiers
    le ciel d’orage

    dans la noirceur du sous-bois
    un rouge-gorge

     

    Peu avant l’orage
    le joran pulse au travers des frênes jaunis

    il sème des vortex
    invisibles et éphémères
    où s’engouffrent
    en tourbillonnant les yeux fermés
    les lourds pigeons ramiers

    seras-tu capable d’autant d’audace et de fulgurance
    pour rejoindre une autre dimension
    de ton jardin

     

     

    Le-souffle-et-la-se-ve.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Laurent Thinès, «Vents d’automne » in Le souffle et la sève, Poésie, Création graphique Monique Lucchini, Éditions Musimot, 2023, pp.31, 32, 33

     

     

     

     

     

     

  • Bernard Grasset | Fontaine de Clairvent

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    IMG_9551

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isaure, Fusion, monotype

     

     

    Qui marche au sommet des serres ?
    Châtaigniers et bruyères,
    Rochers, cloches de brumes,
    Si longue, longue aventure.
    (Dimanche 4 décembre 2022 – Cévennes)

     

    Roches rouges, vagues bleues,
    Des falaises au maquis,
    Comme rêve ou brasier,
    Écrire l’autre pays.
    (Vendredi 9 décembre 2022- Saint -Raphaël, Esterel)

     

    Roches blanches, lueurs bleues,
    Pins maritimes, vol gris,
    Quelques marches, l’origine
    Ou la fin de ton voyage.
    (Samedi 10 décembre 2022- Presqu’île, Cap Provence)

     

    Oliviers et orangers,
    Roses blanches, jaunes pensées,
    Et le bleu scintillement,
    Partir, arcades du temps.
    (Dimanche 11 décembre 2022- Nice, Jardins de Cimiez

     

    Et j’attends encore, source
    De silence et d’espérance,
    Vignes et palmiers, mains
    Des saisons, pure transparence.
    (Lundi 12 décembre 2022 – Île de Lérins)

     

     

    Salvart

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Bernard Grasset, Fontaine de Clairvent, Quatrains des saisons, Illustrations d’Isaure,
    Éditions Au Salvart 2023,pp.35,36, 37, 38.

     

     

  • Luce Guilbaud | La perte que j’habite

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    HOLDERLIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " Hölderlin écrivait dans le vieux moulin" 

     

     

     

    Nous     feuilles mortes     savons

    que le printemps sera sans réponse…

    avec

              ce cœur qui bat en moi à mon insu

              ce cœur qui bat en moi sur ordonnance

              ce cœur qui bat en moi sans toi

    les feuilles mortes s’amassent

    sur le parvis de l’église

    parmi les petits os rejetés par la chouette

    c’est sur le temps que je marche

    et

    les grues me prennent dans leurs ailes […]

     

    Hölderlin écrivait dans le vieux moulin

    on vient de traduire sa folie en lettres d’amour.

    jusqu’à quand écrirai-je puisque chaque matin

    avance désormais par soustraction

     

    la question n’est plus du temps qui reste à vivre

    mais ce qui faut garder de ce qui fut vécu […]

     

    Un rayon de soleil très bas

    désigne la poussière sous l’armoire

    les pierres s’effritent

    et préparent leurs ruines

     

    les chats sans message et sans yeux

    font des cercles autour de la maison

    meurent parfois entre les pierres

     

    et le jardin s’étire jusqu’à la mer

    « le seul espace qu’en nous jamais ne fermera l’adieu »*

    *Marina Tsvetaïva.

     

     

    Luce

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Luce Guilbaud, La perte que j’habite, Cahiers du Loup bleu | Les Lieux Dits, Dessin Sylvie Turpin, 2023,pp.18, 20, 22.

     

    ________________________________________________________________________________________________

    ________________________________________________________________________________________________

     


    LUCE GUILBAUD

    Luce Guilbaud
    Source

     

    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes ▼

    Une leçon de présence, Poèmes et dessins de Luce Guilbaud, Al Manar 2023
    →Luce Guilbaud / Sylvie Turpin, Au bord de l’autre, L’Atelier des Noyers, 2021.
    → [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    Demain l’instant du large (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    Mère ou l’autre (lecture d’AP)
    → [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
    → [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    → [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (lecture d’AP)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    → Luce Guilbaud ou « la traversée de l’intime » (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    → Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Le corps penche

     

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud
    → (sur le site de la revue Déchargeune page sur Débordé pourpre de Sylvie Turpin | Luce Guilbaud

     

  • Cathy Jurado | Intérieur nuit

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    SOLITUDE

     

     

     

     

     

     

     

     " la topographie de ma solitude"  Photo de → G.AdC

     

     

     

     

     

    Ici
    je vis dans la maison d’un homme
    un autre que toi

    je m’y repose

    il arrive parfois que
    son amour à bas bruit sans attente
    me loge
    quelque part dans ce monde
    pour un moment

    Il est géographe il connait
    les zones de plissements
    les vallons douloureux
    les chaînes des montagnes
    l’érosion de leurs flancs

    Il sait les rivières nocturnes
    et leur glissement sourd sous l’horizon
    et l’axe synclinal de l’écorce terrestre
    il sait
    la topographie de ma solitude

    Il ne sait rien de toi
    pourtant
    il ne sait rien
    de la géomorphologie de l’amour
    de l’histoire sédimentaire de nos désastres
    dont je suis seule cartographe
    il ne sait rien des limons du cœur et
    de son reflet en moi
    ton dessin parfait et sauvage
    le long d’un tracé de frontière

    Il ne sait rien de toi battant comme un fleuve
    rugissant souterrain au rythme nu des roches
    dans les failles de mes plus hauts sommets

    toi mon synchrone animal

    dans le présent pétrifié

     

     

    Jurado

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cathy Jurado, Intérieur nuit, Peintures de l’artiste Anne Slacik, Collection Grand ours, L’Ail des ours/n°29, 2023, pp.12, 13, 14, 16.


    CATHY  JURADO

    Cathy Jurado portrait Denim
    Source


    ■ Terres de femmes ▼

    Cathy Jurado | [Seul et multiple]


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Musimot) la page de l’éditeur sur Ceux qui brûlent
    → (sur Calaméo) parcourir quelques pages de Ceux qui brûlent