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  • 11 novembre 1516 | La Saint-Martin de Leonardo

    Éphéméride culturelle à rebours



    Leonardo
    Leonardo, La Belle Ferronnière (détail), v. 1495-1497
    Huile sur panneau, 62 × 44 cm
    Paris, Musée du Louvre







    LA SAINT-MARTIN DE LEONARDO





         À la Saint-Martin de novembre ils virent passer dans les faubourgs ceux qui venaient pour la foire, les rues s’emplissaient d’odeurs, de piétinements de bêtes, parfois ils venaient loin, sans rien d’autre que la camelote de leurs paniers, leurs épingles et leurs rubans, ils restaient la semaine et partaient pour d’autres foires, d’autres villes, elle disait que les pauvres couraient par tout le royaume, le monde n’était qu’une longue bande de terre sous le ciel, au bout si l’on marchait longtemps on trouvait un gouffre sans fond, il y en avait qui voulaient aller jusque là, n’avaient pas d’autre endroit où diriger leurs pas, n’en avaient jamais eu, elle en connaissait qui étaient partis et qu’on n’avait jamais revus, ils avaient dit qu’ils allaient prier saint Jacques ou sainte Marie dans de lointaines cathédrales, un jour ils s’étaient arrêtés, avaient crié Sancte Jacobe ! Sancte Jacobe ! et on les avait enterrés sur un talus, à leur tête on avait planté une croix de bois. Elle disait qu’elle venait de voir deux enfants qui n’avaient ensemble qu’un seul corps, ils étaient dans une petite voiture tirée par des chiens, ils allaient prier Notre-Dame de Cléry, le père, un berger marchait près d’eux, regardait droit devant lui, ne quittait pas des yeux l’horizon, elle les avait vus passer le fleuve vers Artigny.

         En prévision de l’hiver il lui fit faire des bottines et commanda pour ses jupes une aune de futaine, 7 sols, à quoi il ajouta, 4 sols, une aune de toile bleue pour deux corsages du dimanche. Il lui demanda si elle avait assez de coiffes et de chaperons, elle dit que tout allait bien comme ça et qu’il ne devait pas se soucier d’elle.
         Il dessinait à nouveau, doigts raidis sur le crayon il reprenait le travail de San Spirito et Santa Maria-Novella, les corps nus, dépouillés, ouverts puis dessinés tout un hiver dans la nuit des caves, arpentant les salles dans le bruit rauque des voix et l’odeur aigre des grabats il était venu les trouver avant qu’ils meurent, il voulait savoir, comprendre, parfois ils dormaient, il les regardait dormir derrière les rideaux de chanvre, déjà dessinant la mort, les instants qui précédaient la mort dans un violent, calme et désespéré suspens du temps, plus tard il les ouvrait par le milieu, hommes, femmes, enfants, (et parfois dans le ventre des femmes l’enfant mort avec elles, recroquevillé comme consentant il les dessinait, il se souvenait d’eux quand ils parlaient, quand ils tendaient la main, il pensait au vieillard mort assis sur le bord du lit tandis qu’ils causaient, à la folle qui la nuit chantait au bord du fleuve ses airs anciens, elle avait perdu la vie si doucement que tous là-bas en avaient rêvé.

         Un soir avant souper elle était sortie chercher du bois, il l’avait vue derrière les remises avec son fagot, avançant d’une marche incertaine, titubante, ni la hanche ni la jambe ne suivaient la foulée, elle boitait à travers les terrasses, elle passa devant lui, puis d’un bruit sec elle cassa du bois, poignée après poignée le glissa sous les bûches. Elle n’avait rien dit, la nuit tombait doucement, bientôt elle recueillerait les braises pour les bassinoires. Quand elle se tourna vers lui, il croisa sur sa poitrine la vieille pelisse et ferma les yeux.


    Michèle Desbordes, La Demande, Éditions Verdier, 1998, pp. 73-74-75.





    ■ Leonard de Vinci
    sur Terres de femmes

    15 avril 1452 | Naissance de Léonard de Vinci
    10 juin 1910 | Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci
    Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel

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  • Corse_3 Speluncatu





    IMPRESSIONS DE BALAGNE PAR ANGELE PAOLI
    Ph., angelepaoli






    Pour Guidu



    SPELUNCATU


         Derrière la vitre du palais, l’église de la grand-place s’absente, noyée doucement derrière la somptuosité baroque plein ciel de la collégiale. Adossée sur l’invisible, son clocher rivalise avec les cimes effacées. C’est la collégiale toujours qui impose le sien. Découpe élancée de courbes, de voussures ouvertes plein soleil sur le beau pays de Balagne.

        La lumière d’automne joue plein feux sur la façade. Arcatures et spirales, enroulements de feuilles de merlons, dépliements d’ombres dans les angles. Plein silence sur la place nouée à ses acteurs absents. Deux hommes en face à face échangent les banalités du jour, regards perdus sur l’horizon, voué à l’abandon des âges.

        La vitre pleure en gouttes vaines la splendeur des ors disparus, renaît en vagabondages dans les ors vibrants des feuillages.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

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  • Circulades

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (5)






    CIRCULADES
    Ph., G.AdC




    CIRCULADES



         Proche est le terme. À tes côtés, la nuit des marécages guettant, arrachant du visage soupçonné la clé des bans, l’enclos piétiné, les crinières baies, l’ombre des lances, les pas multipliés…
         Gauche, oscillante fumée où nous goûtons la durée pliée à l’état pur, ce qu’on appellera bonheur plus tard, avant de tâtonner dans l’encre de seiche, de toucher aux brouillards, de se forger des attitudes…
         Ô brèche ouverte dans tes remparts, devinant et colmatant celles de l’oubli, elle qu’on ne parachève qu’une fois, poreuse aux complots, précieusement précaire, scellant les confins que tu guettas, pétrifiés en une seule béatitude…
         Guet à peine, déni, prélude, rangée de tournesols muets, pal, chaleur blanche, puanteur, poussière à chaque pas soulevée… Ce n’est qu’une heure plus tard, ou demain, ou dans un an, à la prochaine saison des pluies ― le temps, ici, ne compte pas ― que viendront s’ébrécher les murmures aux touffes de gentiane ou de genévrier exhalant leurs dorures d’alchimie, trappes ou rejets, miroirs inachevés dans leur germe, mutilés comme dans l’ombre ultime…
         Ne redouter que cela, l’énigmatique rapport de la créature et du guérisseur, sourde voix mêlée à ses échos, grappes voraces, étrave dernière sur laquelle tu vins courber tes gestes, te resserrant, te figeant avant que la pourriture ne vienne noircir l’air, ternir l’image…
         Tout, là-haut, t’obscurcit, baies, vides, murs fauves, vieilles empreintes… Plus jamais tu ne regagneras la rive, dans le cliquetis des bracelets et des joncs, à l’aube où les soupirs se taisent de part et d’autre, trêves dilapidées, louves, scribes, empailleurs, funambules, barbiers, charmeurs de rats, apprentis-bourreaux…
         Sur le quai, l’enfant jetant des pierres dans l’eau croupie : elles sautent, claquent, font deux ou trois ricochets avant de disparaître. POUR TOUJOURS.
         Un cri bref, puis le silence, lente couche de poussière couvrant le sentier, les feuilles que chaleur tord. Ça et là, fragments de murs, palissades, troncs, glaisières oubliées de l’heure qui fut, celle qui n’extirpe ni t’omet, poids sevré des choses que le réel enfin efface…
         Qui te saisit à la gorge ? Qui te cloue au sol ? Qui te poignarde ? N’est-ce pas cela l’avenir, silence coagulé, pénombre cendrée protégée des solitudes et des créances ?
         Tu flamberas, flétriras, oublieras : les pas, les duels, les fers, les espaliers, les fagots, les prunelles, les terreaux affleurant, le dos effrangé, les galets qu’à chaque reculade tu éboulais avec ce cri séparant tes yeux de l’écume, fucus à jamais démis des liens, heures vouées à l’épine, au ressac, à l’ortie…
         Vaine parole qui te venge des chronologies, te répand dans la distance, enrichi de la milice des ténèbres, des fournaises qui te frôlent, toi et tes rugissements, tes dagues, tes voltiges…


    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier


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  • a mezzanotte



    1. Ailleurs, au chaud de la maison. 2. Surgie du fond des eaux l'hydre ondule vert de grimaces obséquieuses.
    Ph., G.AdC






    A MEZZANOTTE


    Le sanglier blanc ― ou peut-être est-ce un loup ? ― rôde. Il coupe la route et court se perdre dans les griffes serres du maquis. Des ombres longues sortent des tombes le petit pont aux âmes court.

    Un rideau de blé mûr détermine le jour mais c’est la nuit qui tombe. La coupe sombre du soir enveloppe les coques blanches de Navachjeli. Le vaisseau des tombes divague.

    . et tangue entre mer et ciel noir.

    Ailleurs, au chaud de la maison, Amour et Psyché dans leur drapé de gestes s’enroulent caresses de voix nues qui s’effilent se fondent s’aspirent en cônes acoustiques les papillons du soir stella maris glissent sur l’horizon le rideau étire son étole de blé mûr le thé durcit ses velours dans les coupes grenat qu’aucun fruit délicieux n’emplit de formes rondes.

    Le vent tourne pale de rumeurs sombres nomades de la nuit qui vient
    les heures passent d’horloge en horloge qui tangue le temps
    tout l’univers se blottit dans nos mains la barque glisse sur les eaux dures du détroit noir
    et les sons qui s’engouffrent défilé lisse sombre glacis des monts des gorges et des voies
    tissent leurs silences le long des parois nocturnes
    plaintes et pleurs
    clapotis des âmes de la nuit.

    Surgie du fond des eaux
    l’hydre ondule vert de grimaces obséquieuses
    la forêt sombre dans l’à-pic les visages lunes
    éclaboussent de rire
    les abords de minuit.



    Angèle Paoli in Côté Femmes, d’un poème l’autre, poèmes réunis par Zineb Laouedj et Cécile Oumhani, Espace–Libre, Alger-Paris, 2010, pp. 75-76.

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  • Marta Grundwald | je te montrerai comment je traverse la rue



    Une vitre f-l-e dans la fen-tre d-en bas
    Ph., G.AdC






    Pokażę ci kak przechodzę przez jezdnię


    patrz : nie jestem żądną wyrocznią
    pierwszą ani ostatnią instancją
    idę trzeźwa przez miasto
    idę przez zaminowane pole
    jest tak wilgotno [mam zły smak w ustach]
    że nawet nie chce się dziś wpadać do rzeki

    jestem głodna
    jestem głodna
    ale nikt mi w ten głód nie uwierzy
    szyba w oknie na dole pęknięta
    co dzień ktoś przeciska tamtędy
    spore kawałki mięsa

    [mam zły smak w ustach] w nocy:
    boimy się drzew bo są jak palce
    pęka skóra na udach stopy więdną
    jak kwiaty rano: [mam zły smak w ustach]

    Lubiłem stawać na moście
    i wrzucać do wody jabłka.
    wiedziałem, że będziesz się im dziwiła
    patrząc, jak przepływają obok.


    zbieram z poduszek suche płatki skóry
    widać
    widać kto jakim spał drzewem


    Marta Grundwald, aj aj aj, wojewódzka biblioteka publiczna I Centrum animacji kultury w Poznaniu, Poznań [Polska], 2006, s.f.





    je te montrerai comment je traverse la rue


    regarde : je ne suis point un[e] oracle
    ni première ni dernière instance
    sobre je passe par la ville
    sobre par un champ miné
    il fait humide [sale goût dans la bouche]
    je n’ai même pas envie de tomber
    dans le fleuve

    j’ai faim
    j’ai faim
    personne ne le croira
    une vitre fêlée dans la fenêtre d’en bas
    quelqu’un vient arracher là
    chaque jour
    de gros morceaux de viande

    [sale goût dans la bouche] la nuit :
    on a peur des arbres ils ressemblent aux doigts
    la peau des cuisses se fissure les pieds se fanent
    comme les fleurs
    le matin [sale goût dans la bouche]

    J’ai aimé rester sur le pont
    jeter des pommes dans l’eau
    tu les as regardées flotter
    toujours je savais t’étonner.


    je ramasse des pétales de peau
    tout secs sur les oreillers
    ça se voit
    ça se voit qui a dormi sous quel arbre


    Marta Grundwald
    Traduction inédite de Marta Grundwald

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  • 7 novembre 1910 | Mort de Léon Tolstoï

    Éphéméride culturelle à rebours



    RITRATO TOLSTOI
    Ph., G.AdC






         Le 7 novembre 1910 selon le calendrier Julien meurt dans la petite gare d’Astapovo (Gouvernement de Riazan) Lev Nikolaïevitch Tolstoï. Il est enseveli, conformément à ses désirs, dans le domaine familial de Isnaïa Poliana. Au milieu des forêts.
         Considéré comme l’un des écrivains majeurs de la Russie impériale, Tolstoï est connu pour ses grands romans, Les Cosaques (1863), La Guerre et la Paix (1865-1869), Anna Karénine (1873-1877), mais aussi pour ses nouvelles : La Mort d’Ivan Illitch (1886), La Sonate à Kreutzer (1889), Maître et Serviteur (1895), Résurrection (1899).






    LA MORT D’IVAN ILLITCH


    CHAPITRE III



         Telle s’écoulait l’existence d’Ivan Illitch dix-sept ans après son mariage.
         Il était déjà devenu un vieux procureur chevronné, avait décliné plusieurs offres de mutation, dans l’attente d’un poste plus avantageux, quand il se produisit un événement qui mit brutalement fin à sa vie paisible.
         Depuis quelques temps, Ivan Illitch lorgnait une place de président dans un centre universitaire, quand il fut devancé par un nommé Hoppe. Ivan Illitch se fâcha tout rouge, fit de cinglants reproches à son camarade, se brouilla avec lui et avec ses propres supérieurs. Ceux-ci, fortement refroidis à son égard, l’oublièrent de nouveau lors de la promotion suivante.
         Ceci se passait en 1880, l’année la plus pénible de toute l’existence d’Ivan Illitch. Cette année-là il apparut que l’indemnité de procureur était nettement insuffisante pour vivre ; en outre, Ivan Illitch s’aperçut que tout le monde l’avait oublié et que ce qu’il considérait comme la pire injustice passait aux yeux des autres pour un procédé parfaitement normal. Son père ne jugea pas utile de lui venir en aide. Ses anciennes relations ne s’occupaient plus de lui, l’estimant confortablement établi, voire heureux, avec son revenu annuel de trois mille cinq cents roubles. Lui seul se rendait compte qu’avec les injustices dont il avait été victime, les continuelles jérémiades de madame, les dépenses disproportionnées à ses moyens et les dettes qu’il commençait à contracter, sa situation était loin d’être normale !
         Cette année-là, afin d’économiser pendant les vacances, il demanda un congé, l’obtint et s’en alla passer l’été chez son beau-frère.
         À la campagne, loin de son administration, Ivan Illitch, pour la première fois, connut l’ennui, un ennui tellement insupportable qu’il résolut sur l’heure qu’on ne pouvait pas continuer de vivre ainsi et qu’il était urgent de prendre des mesures décisives.
         Après une nuit blanche, passée à faire les cent pas sur la terrasse, il prit le parti de se rendre à Pétersbourg et de solliciter un poste dans un autre département, afin de châtier tous ceux qui n’avaient pas su l’apprécier.
         Le lendemain même, nonobstant les objurgations de sa femme et de son beau-frère, il partit pour Pétersbourg.
         Ivan Illitch n’avait qu’une idée en tête: obtenir une place qui lui rapportât cinq mille roubles par an. Peu lui importaient le département, le poste et le genre d’activité. Tout ce qu’il demandait, c’était un emploi de cinq mille roubles, dans l’administration, les banques d’Etat, les chemins de fer, les organismes placés sous la dépendance de l’impératrice Marie, voire les douanes. Bref, il lui fallait coûte que coûte gagner cinq mille roubles et quitter le ministère où les gens n’avaient pas su l’apprécier à sa juste valeur.
         Par le plus grand des hasards, un succès inouï couronna son entreprise. A Koursk, il vit monter dans son compartiment de première classe un de ses amis, F.S. Iljine, qui lui fit part d’une dépêche récemment parvenue au gouverneur de Koursk : de grands bouleversements allaient se produire dans le ministère auquel était affecté Ivan Illitch ; Ivan Sémionovitch allait être nommé à la place de Piotr Ivanovitch !… Cette révolution, d’une importance inappréciable pour toute l’Administration russe, se révélait particulièrement favorable aux intérêts d’Ivan Illitch, car elle mettait en vedette Piotr Pétrovitch et probablement son ami Zakhar Ivanovitch, avec qui Ivan Illitch était en excellents termes.
         À Moscou, la nouvelle se confirma.
         Arrivé à Pétersbourg, Ivan Illitch s’empressa d’aller trouver Zakhar Ivanovitch et obtint la promesse formelle d’un poste de choix au département de la Justice, celui-là même où il servait déjà
         Huit jours après, il télégraphait à sa femme :

         ZAKHAR REMPLACE MILLER PREMIÈRE PROMOTION REÇOIS AVANCEMENT.

         Grâce à cette perturbation administrative, Ivan Illitch se trouva subitement placé aux échelons au-dessus de ses anciens collègues. Cinq mille roubles par an et trois mille cinq cents pour les frais d’emploi. Oubliant ses rancœurs passées, Ivan Illitch se sentit parfaitement heureux.


    Léon Tolstoï, La Mort d’Ivan Illitch suivi de Maître et serviteur et de Trois morts, Le Livre de Poche, 1976, pp. 28-29-30. Traduction de Michel-R. Hofmann.





    Tolstoï, La Mort d'Ivan Illitch. Le Livre de Poche






    ■ Léon Tolstoï
    sur Terres de femmes


    26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix)
    28 août 1828 | Naissance de Léon Tolstoï

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  • Nelly Roffé | Argia



    Les eaux se brisent- toutes blanches
    Ph., G.AdC







    ARGIA


    Le visage à l’ombre de ton chapeau
    Tu regardes la mouette.
    Nuits sans lunes
    Où tu te baignes
    Légère comme une feuille
    Dans cette mer hors du monde.

    Un bateau
    Fend l’océan gris
    Comme les brise-lames de l’oubli.

    Les eaux se brisent, toutes blanches
    Sur le sable granitique
    Comme une poudre d’or.


    Nelly Roffé
    D.R. Texte inédit
    Nelly Roffé pour Terres de femmes






    NELLY ROFFÉ


    PORTRAIT DE NELLY ROFFE A MONTREAL
    Image, G.AdC



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur
    noches de poesía libre) Élizabeth Robert reçoit Hugh Hazelton et Nelly Roffé dans le cadre de Poesía libre sur les ondes de Radiocentreville (10 décembre 2008)[entretien en espagnol]
    → (sur Terres de femmes)
    la traduction d’un poème de Mercedes Roffé par Nelly Roffé

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  • Béatrice Bonhomme-Villani | Un lacis de sang et d’ombre



    UN LACIS DE SANG ET D’OMBRE
    MAIS SI TU SENTAIS LE POIGNANT DU MONDE
    je ne sais plus peut-être
    te dire où vogue le cœur
    mais si tu sentais
    le poignant du monde
    dans l’artère
    de mon amour

    si je pouvais au moins
    te dire combien
    je ne sais
    à quel point

    je t’aime
    au plus profond
    de l’artère labiale
    des lèvres de mon coeur

    je ne sais te dire
    comme tout
    se résume aux
    larmes d’un désir
    bien plus grand
    que les bras
    ne peuvent l’embrasser

    je ne sais pas
    te dire mon amour
    combien
    je saurai revenir vers toi
    dans la pulsation poignante
    du rythme de mon cœur

    la persienne recompose
    les volets brisés
    écartelés comme les côtes
    que l’on broie
    le poumon bat et se broie
    un oiseau rouge pris en cloître
    dans les lacis de sang et d’ombre

    dans la cage des côtes
    les poumons battent
    leur mollesse sombre
    des oiseaux pris en cage
    le cœur battant le lacis d’ombre

    la stridence d’un oiseau
    vient s’éclater dans la douleur
    le cœur reste pur
    mais la vie effondrée
    sur la lame
    des bateaux de neige

    que je te laisse
    protégé
    du vent des neiges
    par l’amour
    les ailes bleuies marine
    d’un grand manteau de pluie


    Béatrice Bonhomme-Villani
    D.R. Texte inédit
    Béatrice Bonhomme-Villani/Terres de femmes





    BÉATRICE  BONHOMME


    Béatrice Bonhomme
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas




    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes

    Tharros (extrait des Boxeurs de l’absurde)
    Mutilation d’arbre (lecture d’AP)
    Le pacte des mots
    Passage du passereau
    [Les petits chevaux de Tarquinia]
    Poumon d’oiseau éphémère
    Sauvages
    T’écrire adolescent
    La terre rouge
    Tes nuits sont devenues mes jours
    Variations du visage & de la rose (lecture de France Burghelle Rey)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d’oiseau éphémère et l’excipit de Mutilation d’arbre



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Kaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia)
    une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmes)
    La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d’art et de littérature, musique)
    un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)



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  • Cordesse, Notes d’esprit

    «  Poésie d’un jour  »


    NOTES D’ESPRIT




    rejoindre lentement, seule chose positive, le cœur des ténèbres
    Ph., G.AdC



    Sans date


    Comment définir le ciel au crépuscule lorsqu’il s’immobilise et descend, lorsqu’il se fige en mouvement. Impossible de l’observer. Nous ne pouvons le percevoir que par intermittence, par succession d’images qui restent très fugitives comme autant de diapositives. Ses couleurs n’apparaissent pas, aucune couleur ne reste imprimée sur la pellicule transparente de l’horizon. Seul un pastel innommable, sans adjectif, pourrait traduire ces mélanges de couleurs infirmes à la rétine de l’œil humain. De même les nuages, mais faut-il les nommer ainsi, adoptent les formes de notre esprit sans laisser de pose nécessaire à l’impression et s’évadent de l’espace pour fuir un temps qu’ils ne reconnaissent pas, pour rejoindre lentement, seule chose positive, le cœur des ténèbres. Finalement, il faut bien le reconnaître. Seule la nuit, la nuit autorise, les mots à sortir de notre bouche pour dire les beautés de nos jours incertains.






    Il eut fallu tenir le schiste pour ne pas prendre ce bateau pour un gîte.
    Ph., G.AdC






    1001


    Sous une nuit mélancolique d’étoiles, j’ai rejoint la maison du berger. J’ai ôté mon manteau (de laine) et me suis adossé à la porte (fermée), sur le seuil. La fougère, douce, roulait ses étincelles sur le vallon. Il eut fallu tenir le schiste pour ne pas prendre ce bateau pour un gîte. Mais je n’en avais pas la force. Tourné que j’étais vers les fabuleux nuages, à ne rien suivre (qu’elle). L’instant d’éternité semblait tenir sur cette cime, là-bas, dans une immatérialité silencieuse. Par la beauté, je n’ai pas pleuré (je suis demeuré de marbre). Sur une symétrie singulière, le trait venait de toucher la sphère. Elle était là sans que je l’eusse aperçue. La perle du troupeau glissa à l’heure dans mon sac. J’ai fermé les yeux une dernière fois. Je me suis levé. Il était temps que je parte.



    Cordesse, Notes d’esprit, Journal poétique, Les Éditions du Petit Pois, Béziers, 2009, pp. 1 et 14.







    Notes d'esprit
    Ph.© Sarah Foliard






         Professeur et poète, Cordesse a créé cette année sa maison d’édition, sise à Béziers. C’est avec les Notes d’esprit, Journal poétique (dont je donne ci-dessus deux extraits) que Cordesse inaugure Les Éditions du Petit Pois. Ce joli livre ― sous jaquette à double rabat, d’un petit format carré, imprimé sur papier couché d’un fort grammage agréable au toucher, et à l’élégante et sobre mise en pages ― est accompagné d’un CD. On y retrouve, lus par Cordesse, sept textes issus de l’ouvrage. Le poète est accompagné à la guitare et à la guitare basse par Laurent Azelvandre et, au piano et à l’orgue, par Jean-Pierre Numa.
         Ces Notes d’esprit, quinze textes brefs, combinent avec délicatesse ― et parfois fantaisie ― notes de journal et poésie. Des notes à savourer dans le silence et le presque recueillement.

    A.P.

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  • Guillevic, Carnac

    traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo

    «  Poésie d’un jour  »


    Carnac 2







    CARNAC



    Mer au bord du néant,
    Qui se mêle au néant,

    Pour mieux savoir le ciel,
    Les plages, les rochers,

    Pour mieux les recevoir.




    Femme vêtue de peau
    Qui façonnes nos mains,

    Sans la mer dans tes yeux,
    Sans ce goût de la mer que nous prenons en toi,

    Tu n’excéderais pas
    Le volume des chambres.



    La mer comme un néant
    Qui se voudrait la mer,

    Qui voudrait se donner
    Des attributs terrestres

    Et la force qu’elle a
    Par référence au vent.




    J’ai joué sur la pierre
    De mes regards et de mes doigts

    Et mêlées à la mer,
    S’en allant sur la mer,
    Revenant par la mer,

    J’ai cru à des réponses de la pierre.




    Ils ne sont pas tous dans la mer,
    Au bord de la mer,
    Les rochers.

    Mais ceux qui sont au loin,
    Égarés dans les terres,

    Ont un ennui plus bas,
    Presque au bord de l’aveu.




    Ne te fie pas au goémon: la mer
    Y a cherché refuge contre toi,
    Consistance et figure.

    Pourrait s’y dérouler
    Ce qu’enroula la mer.




    Eugène Guillevic, Carnac, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1961, pp. 7-8-9-10-11-12.







    CARNAC



    Mari in taddu di nudda,
    Chì s’abbulighja à a nudda,

    Da sapè meddu u celi,
    I marini ed i scodda,

    Da riceva li meddu.




    Donna vistuta à a peddi
    Chì ci forma i mani,

    Senza u mari in l’ochja,
    Senzu u muscu di mari chì no’ piddemu in tè,

    Ùn tracuddarii micca
    U volumu di i stanzi.




    Mari quant’è una nudda
    Chì vurria essa u mari,

    Chì vurria da sè
    Attributa tarrani

    È quidda forza a soia
    Pà rapportu à u ventu.




    Aghju ghjucatu annant’à a petra
    Cun i sguardi ed i dita.

    È aghju meschju u mari,
    Bughendu annant’à u mari,
    Bulendu subra u mari,

    Aghju cretu ch’iddi fussini i risposti di a petra.




    Ùn si ni stani tutti indrint’à u mari
    O in taddu di mari,
    I scodda.

    Quiddi chì sò luntani,
    Smarsi in mez’ad i terri,

    T’ani una noia bassa,
    Quasi in orlu di labbri.




    Ùn ti fidà di l’alga: u mari
    Contr’à sè stessu ci s’hè trovu agrottu,
    Cunsistenza è figura.

    Ci si pudaria sbucinà
    Ciò chì lu mari imbucinò.




    Eugène Guillevic, Carnac, traduction inédite de François–Michel Durazzo.
    D.R. Texte Francescu-Micheli Durazzo






    ________________________________________
    NOTE d’AP :



    Source



         François-Michel Durazzo, professeur agrégé de lettres classiques, poète de langue corse et traducteur spécialisé dans toutes les langues romanes, m’a tout récemment fait parvenir la traduction qu’il a faite en langue corse des quarante premières pages-strophes du poème Carnac, d’Eugène Guillevic. À l’extrait (les six premières pages-strophes) que j’ai sélectionné ci-dessus, je joins ci-dessous l’avant-propos en langue corse qui accompagnait cette traduction. J’adresse à François-Michel Durazzo tous mes remerciements pour ce bel hommage à Eugène Guillevic et à son épouse Lucia Albertini
    .




    Guillevic da Aiacciu à Carnac



         Eugène Guillevic viaghja à traversu à a midità di u seculu scorsu cù una boci unica. Ghjunghji quandu u surrialisimu t’hà piddatu a suprana è imponi a materia, a rialità pagna, micca quidda di l’imaghjinariu, ma a tarra, u sintimu quasi panteistu di a tuttalità sacra chì ci campa in centru. Senza furia, trapanighja u silenziu, pocu è pocu lu sculpisci, da Terraqué (1946) sin’à a morti in u 1997. Di l’omu natu in Carnac in u 1907, paisaghju stantaratu in a mimoria zitiddesca, sapemu chì mezu da scodda à mari, bosca à machja, stantari à stazzoni, li hè fermu impressu nant’à u marmaruculu u sintimu fundiu di l’itarnità, ghjuntu in a cuntimplazioni di l’uceanu brittonu chì ni licca i scodda è mughja n’u ventu. In quidda tarra sacra di fini di lu mondu, i maestri minavani à i sgaiuffa quand’in iscola li scappaia calchì parolla brittona. À Guillevic ùn li fù imparata issa lingua materna, a sintia è basta, masimu quandu i ghjinitori ùn vuliani chì i fiddoli capissini. A famidda era povara, u babbu era ciandarmu è ci vulia à sfrancisà da pudè finiscia un ghjornu issa vita galiriana. Di issi tempa duri, Guillevic rammenta in Vivre en Poésie i stundi di libartà in paesi incù i pochi ziteddi chì parlaiani francesu, i petri, l’arba è a filetta. S’inveni di i funtani di granitu; in taddu di strada, cù i so cruci, pieni ad alghi ed à catedda.

         À i dodici anni di u fiddolu crisciutu trà i stantari celtichi, u babbu fù trasfiritu dopu à a prima guerra in Ferrette (Alsazia). Altra tarra, altra lingua. Guillevic imparò, in issa tarra francata da pocu di l’Imperu tadescu, l’alimanicu cun i novi cumpagni, mentri chì u francesu firmaia a lingua di scola, una lingua chì li paria sacra, ghjeratica, riservata à l’impiigati è à u sapè. Rammenta chì in iscola dui cosi erani proibiti “parlà brittonu è sputà in tarra,” dui piccati chì dicini assa’ u disprezzu d’una volta. È v’eccu chì i puisii imparati à menti li palisavani un’antra lingua: “u ghjeraticu inde u ghjeraticu. Fù ciò chì mi piacì. […] C’era una lingua vulgari è una lingua da la ghjenti di tonu, u fiori di a sucità. […] È al di là di issu francesu, c’era un’antra lingua, quidda di u puemu. Mi li parsi chì incù una curdetta si facia un fil di farru. […] U versu era una lingua tesa chì ùn si pudia cambià. Una cosa solida. Com’è a petra. Sempri mi piacì a petra. Trà petra è versu, c’era una leia.” Tamanti sforza da ammaistrà la, issa lingua biniditta, chì t’avia da essa un ghjornu a lingua di a litaratura, dopu a lingua di u pani. Più di una volta dissi u pueta chì u francesu sempri li fù stranieru, è chì sinu à a so morti aprì u so Larousse da rileghja u sensu ghjustu di i parolli più semplici: pierre, chanter, aimer…

         Podarsi chì sighi pocu utuli à traducia puisia francesa in corsu! Ma in stu casu quì si tratta di l’iniziu di una puisia scritta in Aiacciu circa u 1960, chì si chjama propriu Carnac, u paesi natali. V’eccu u nosciu pueta chì fighjula u nosciu Miditarraniu, è da u so balconu aiaccinu senti com’iddu tracodda ad empia u volumu di a stanza d’albergu. A prima discrizzioni è propriu quidda di u mari nustrali, un mari universali chì pocu è pocu ammenta l’uceanu brittonu. Com’è dici dinò u stessu Guillevic, in issu chjama è rispondi incù Lucia Albertini, a moglia corsa: “crergu chì u paisaghju internu di u pueta hè filigranatu da i ricorda di zitiddina, parchì hè propiu u locu induva li si palesa u mondu, è ancu quì ebbi i so primi rapporta faciuli, strani o incuriusiti incù a lingua, i parolli.”

         Più in là di quist’incruciu pueticu trà petri è mari, venta è tarri, stantari brittoni o corsi, diriu chì u sguardu di u pueta hè sempri internu, leghji è rileghji u mondu cù l’ochja di a zitidddina, di i primi spirienzi. Ad un trattu affacca in mezu à issa discrizzioni u visu di u prima amori, quiddu di una zitedda brittona morta à l’ità di sedici anni. In a cuntimplazioni di u mari, quant’è u visu di a diletta Marie-Clothilde, ci hè issu viaghju in u sintimu d’infinitu, di cummunioni incù a tutalità chì porsi u nosciu mari à u gran pueta.

         À a so cara Lucia, iddu dicia aspissu “u to mari hè un lavu”. È soca a noscia calma chjamava in stu pettu brittonu u ricordu di u marosu, di u so impulsu viulentu è uceanicu. È sì in mezu à u ricordu chjuccutu di l’uceanu, stu palimspestu ci purghjessi u nosciu mari latinu? In sti versa si riflettani dui mari, dui tarri smimuriati, dui monda stantarati, dui ribbali uccidentali volti à punenti, cusì vicini, cusì luntani in un dialogu chì rinova tramindui.


    Francescu-Micheli Durazzo





    GUILLEVIC


    Guillevic_eugene
    Source



    ■ Eugène Guillevic
    sur Terres de femmes

    5 août 1907 | Naissance d’Eugène Guillevic
    A
    À Denise Le Dantec
    Rites




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