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  • Terres de femmes ― Sommaire du mois de septembre 2009





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    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE SEPTEMBRE 2009


    Terres de femmes ― Sommaire du mois d’août 2009
    Carnets de marche. 18 (Angèle Paoli)
    1er septembre 1940/Naissance d’Annie Ernaux
    Sophie Loizeau/les rêves les mieux ouvrés
    Carnets de marche. 19 (Angèle Paoli)
    Antonella Anedda/11 septembre 2001
    11 septembre 2001/Don DeLillo, L’Homme qui tombe
    Take me away in wonderland (Angèle Paoli)
    Carnets de marche. 20 (Angèle Paoli)
    Gérald Neveu/Rite
    Samira Negrouche/Tes vagues
    Eva Almassy/Des petites filles qui rient dans le soleil (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Guy Goffette/Ainsi nos pas
    Carnets de marche. 21 (Angèle Paoli)
    20 septembre 1971/Mort de Georges Séféris
    Lorand Gaspar/Voici des mains
    Brina Svit, Petit éloge de la rupture (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Carnets de marche. 22 (Angèle Paoli)
    24 septembre 1871/Victor Hugo, Choses vues
    25 septembre 1609/Angélique Arnauld, « la journée du guichet »
    Benjamin Fondane/Ulysse – XXIII
    Vivian Lofiego/Les arbres multiplient leurs branches…
    Carnets de marche. 23 (Angèle Paoli)
    Alessandro Ceni/Mattoni per l’altare del fuoco



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  • Alessandro Ceni | Mattoni per l’altare del fuoco

    «  Poésie d’un jour  »


    Semplicemente, in una radura nel bosco
    Ph., G.AdC





    MATTONI PER L’ALTARE DEL FUOCO



    XI


    Tu che non sei di questo mondo e sei nella polvere
    e siedi alla parte breve del tavolo
    estrai dalla tasca il bosco e dal bosco te stesso,
    coi tuoi pensieri stesi ad asciugare sul greto
    del fiume essiccato come cordicelle annodate
    da un bambino estivo, che raso sull’erba
    scocchi festuche marine alla terra e
    al passo dei tordi proietti la prua di pigne
    del promontorio nel ceduo del mare aperto,
    dove al medesimo intento le cieche aringhe
    migrano e sprofondano.
    Semplicemente, in una radura nel bosco,
    cucita alla fronda più alta la civetta inchioda
    alle loro piume come a peccati falangi d’uccelli,
    schiere di alati perduti, cori di rimprovero e di pianto
    mentre tu avvicinandoti alla nave spaziale
    giunta infine a riprenderti fai il gesto
    di estrarre anche questa cosa dalla tasca.



    XVII


    Io guardo questi alberi un’ultima volta,
    come sempre si guardano le cose, per ultime volte,
    al di fuori dei campi coltivati e
    su un suolo che per tutti era santo:
    dove le bestie tenevano assemblee di fidanzamenti
    all’apparire e al ritrarsi degli animali ibernanti,
    lo sparviero mutato in colombo la volpe in donna,
    e le anime dei defunti che emergevano
    in cerca di uova sessuate sulla fragile costa di un fiume:
    le gazze, allora, i ciuffi di piantaggine, le
    cavallette tra le erbe, d’ogni regione astronomica
    i voli interrotti degli uccelli di passo e le meteore
    nel mucchio di sementi del letto domestico e
    accanto agli altari del suolo e delle messi,
    dove sempre ti sei rivolto ad antenati indistinti
    e hai creduto di sentire le anime dei morti
    fluttuare confusamente nell’angolo oscuro della casa.






    XXVI depuis la cime d'un cyprès mystique
    Ph., G.AdC





    XXVI


    “Presto sarà l’inverno
    e il male che ci donammo
    da lungo tempo non colto
    maturerà appieno nell’ospizio del gelo.
    Forse la funebre uccella siberiana,
    colei nel cui utero già si dibatte e ride
    l’orrendo e sacro implume,
    dalla vetta di una mistica cipressa
    chiamando a raccolta i suoi
    contro il marmo del cielo
    lascerà cadere dal becco anche te
    e in questa mezza luce,
    in questa sospensione o suono
    come di revocata incursione aerea
    darà inizio alla neve”.
    Quando così ti parlo e gli altri
    in un denso fumo si rialzano
    si guardano attorno e lasciano la sala,
    sull’orlo dei tuoi occhi compare
    un glutine di torpida inconsistenza spirituale;
    perdi conoscenza.
    Presto sarà l’inverno e
    tu ancora non capisci che la caduta è eterna.


    Alessandro Ceni, Tre “Passaggi” da Mattoni per l’altare del fuoco, Jaca Book, Milano, 2002, p. 24 (XI), p. 35 (XVII), p. 53 (XXVI).





    BRIQUES POUR L’AUTEL DU FEU


    XI


    Toi qui n’es plus de ce monde
    toi qui es dans la poussière
    toi qui sièges à l’étroit de la table
    tu tires de ta poche le bois et du bois c’est toi que tu extrais
    avec tes pensées étendues à sécher sur la rive
    du fleuve asséché comme cordelettes nouées
    par un gamin l’été, au ras de l’herbe
    tu décoches des fétus de mer à la terre et
    au passage des grives tu projettes la proue des pignes
    du promontoire jusque dans le taillis de la mer ouverte,
    où, dans le même mouvement, migrent et plongent
    les harengs aveugles.
    Simplement, dans une clairière du bois,
    cousue au plus haut du feuillage la chouette cloue
    à leurs plumes comme aux péchés une foule d’oiseaux,
    cohortes de volatiles perdus, chœurs de reproches et de pleurs
    tandis que toi qui te rapproches du vaisseau spatial
    enfin rejoint pour te reprendre tu fais le geste
    d’extraire aussi cette chose de ta poche.






    Je regarde ces arbres une dernière fois
    Ph., G.AdC





    XVII


    Je regarde ces arbres une dernière fois,
    comme l’on regarde toujours les choses pour la dernière fois,
    par-delà les champs cultivés et
    sur un sol qui pour tous était sacré :
    où les bêtes tenaient leurs assemblées de fiançailles
    dans la venue et le repli des animaux hibernants,
    l’épervier changé en pigeon le renard en femme,
    où les âmes des défunts affleuraient
    à la recherche d’œufs sexués sur la fragile rive d’un fleuve :
    les pies alors, les touffes de plantain,
    les sauterelles dans l’herbe, de chaque région astronomique
    les vols interrompus des oiseaux de passage et les météores
    dans l’amas de semences du lit de la maison et
    à côté des autels du sol et des moissons,
    où tu t’es toujours tourné vers de vagues ancêtres
    et tu as cru sentir les âmes des morts
    flottant confusément dans l’angle sombre de la demeure.



    XXVI


    « Bientôt ce sera l’hiver
    et le mal que nous nous sommes faits
    de longue date laissé en friche
    mûrira pleinement dans l’asile du gel.
    Peut-être la funèbre oiselle sibérienne,
    ― dans son utérus déjà se débat et rit
    horrible et sacré l’oison déplumé ―
    depuis la cime d’un cyprès mystique
    battant le rappel des siens
    contre le marbre du ciel
    te laissera-t-elle tomber toi aussi de son bec
    et dans cette semi-lumière,
    dans ce suspens ou dans ce son
    semblable à un raid aérien annulé
    annoncera-t-elle le commencement de la neige. »
    Quand je te parle ainsi et que les autres
    dans un brouillard de fumée se lèvent
    regardent autour d’eux et quittent la salle,
    au bord de tes yeux apparaît
    un gluten de torpide inconsistance spirituelle ;
    tu perds connaissance.
    Bientôt ce sera l’hiver
    et toi tu ne comprends toujours pas que la chute est éternelle.


    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    (gemellaggio poetico con l’Associazione Scriptorium di Marsiglia,
    Pistoia [Toscana], 24 aprile 2009)




    Note d’AP : la traduction que j’ai mise ci-dessus en ligne est celle que j’ai effectuée le vendredi 24 avril 2009 au cours d’un atelier interactif de traduction, dans la Salle Bigongiari de la Bibliothèque San Giorgio de Pistoia, à l’occasion d’un jumelage poétique entre la commune de Pistoia et le Scriptorium de Marseille. La traduction du premier fragment (XI) a été publiée dans Semicerchio, rivista di poesia comparata, XL, Casa editrice Le Lettere, Firenze, dicembre 2009, p. 32. D’autres extraits de Mattoni per l’altare del fuoco, traduits par Valérie Brantôme, ont été publiés dans la revue L’Arsenal, n° 5, mars 2011.






    ALESSANDRO CENI

    ALESSANDRO CENI


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Toscana oggi)
    une notice bio-bibliographique sur Alessandro Ceni
    → (sur Terres de femmes)
    Limon de haut vertige | Limo d’alta vertigine (un de mes poèmes traduit par Alessandro Ceni)


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  • Carnets de marche. 23

       



    CARNET N.23

    23.

         Je pars tard aujourd’hui, malgré la douceur printanière. Les grands froids annoncés pour le début de la semaine se font attendre. Les lauriers sont en fleurs et les mimosas sur le point d’éclore.


         Un parfum de résine guide ma marche au-dehors du hameau. Peut-être cette marche va-t-elle adoucir mon angoisse, celle qui m’a prise au milieu de la nuit dernière et m’a tenue longtemps éveillée au bord de la suffocation. Le soleil voilé tient la mer à distance. Il semble qu’elle se soit provisoirement absentée. Son éloignement m’inquiète. Dans cinquante ans peut-être, l’île ne sera plus que dunes de sable. Ou pire, un vaste paysage de détritus encastrés les uns dans les autres. Une décharge généralisée de Muragellu. Le grand vent de dimanche, encore vif sous ma peau, balaie ces images funestes. Le paysage millénaire du Monte Minerviu surgit au détour d’une courbe. Paysage ancestral qui fait surgir en moi le sublime Kaos de Pirandello. Aucun vol de vautour ne vient cependant lanciner dans les airs. Seules de violentes rafales secouent le vaste plateau d’herbes sèches puis s’engouffrent en tourbillons dans les cavernes qui trouent le piton rocheux. Ici et là, une bergerie abandonnée, un enclos, des murets qui délimitent l’espace et parlent d’un passé défunt, encore habité par ceux de ma famille, il n’y a pas si longtemps. Un maquis serré grimpe le long des pentes, qui m’interdit tout accès aux rochers en surplomb. Vus d’en bas, je les croyais pourtant très accessibles. Seule et inexpérimentée, je suis forcée de renoncer. Les ruines de Ficajola me hantent. Je sens tout proche mais invisible le vieux hameau incendié jadis par les lansquenets d’Andrea Doria. Que cherchait le condottiere dans ces lieux inhospitaliers, livrés au maquis et aux vents ?


         Une houle légère glisse sur la mer, bleu de nuit sous le soleil. Je revois la longue silhouette sèche de mon grand-oncle, « expert en chasse au veau marin ». Une hulotte toute proche lance au-dessus des toits sa note mystérieuse.


         Dépassé Hanging Rock (Australie), l’odeur forte du cochon me saisit tout entière. Je fais halte pour humer pleinement ces effluves. Le petit ruisseau galèje sous le pont. Je me penche au-dessus du muret pour l’entendre. Son murmure d’en bas, assourdi par les lianes, n’a pas la clarté joyeuse qu’il a en bondissant sur la roche rouille. Un coup de feu égaré troue le silence. Une odeur d’humus remué par le passage des bêtes monte de la terre. Le soleil a déserté la route. Je hâte le pas en direction des Petrelle. La Punta de Merchiò émerge dans la lumière, pareille à une dent solitaire. Le mugissement de la mer est effacé par la rumeur grossissante du Furcone, le torrent montueux qui court à la rencontre de la marine écrin d’émeraude. Densité sombre des verts touffus. Le Mulinu di Pendente n’est plus très loin.


         De menus frétillements invisibles secouent les frondaisons. Le torrent se rapproche de moi. Les taillis gagnent en épaisseur. Une humidité pétrifiante m’enveloppe. Les arbres mangés de lierres et de lianes donnent au maquis des allures de jungle. De furtifs froissements d’ailes ébrouent les feuillages. Un dernier cercle de lumière auréole le sommet du Cucaru. Je frissonne au-dessus des eaux du Furcone. Et me penche. Superbes massifs d’Helleborus corsicus.


         Je reprends ma route en sens inverse. Un rouge-gorge gît dans le fossé. Une minuscule fleur mauve pointe sa corolle fragile au-dessus des feuilles. Les premiers crocus. Les jonquilles sauvages, cœur safrané. Le soir tombe, mais pas encore la fraîcheur qui d’ordinaire l’accompagne. Comment, de la route, retenir le moindre détail ? Chaque jour me réserve une surprise. Une anfractuosité mise à nu, un sentier insoupçonné, à garder en mémoire pour le printemps, d’autres marches dans les murets. Rien n’est jamais tout à fait identique. Une forme en dévoile une autre, qui recèle ses propres secrets. Odeur de branches coupées, bruyère et mousse. Elle passe sous Hanging Rock (Australie). Elle était là lorsque la voix l’a appelée. Elles ont parlé de la douleur. Des formes qu’elle prend pour se manifester. C’est par là, par ce talus, qu’elle grimpera jusque là-haut. Un jour ! Cette douleur cuisante qui assaille sa peau, la nuit. Cette brûlure sur son bras gauche, à vif. Ce prurit sous ses ongles. La perle de sang qu’elle devine sous son doigt, dans le noir. Insomnie. Tenter d’oublier ces démangeaisons qui l’assaillent sans relâche. Faire la sourde oreille à leurs sollicitations. Les réduire au silence. Les annihiler par des pensées agréables. Impossible. Ça reprend ici, puis plus haut, sur le lobe de l’oreille, plus bas, au bas du dos. C’est un feu que le vent éparpille, ouvrant des brasiers insolites qui ne s’éteignent que provisoirement et reprennent de plus belle au moment où elle croit qu’ils sont enfin éteints. Une odeur d’urine poivrée monte du rocher où elle s’est installée. Elle sent son ventre se nouer. Peur d’avoir peur de cette angoisse qui la saisit sans crier gare et la pousse hors de raison. Elle a peur de ses éclats qui la prennent à l’improviste, sans qu’elle puisse les contenir. Est-elle en train de perdre la raison ? Elle sent monter en elle des gerbes de folie. Volcan et eau à la fois cratère en fusion feu de sa peau qui crache son venin lacère les pores de sa peau la brûle de mille aiguilles piquantes la nuit est délestée de ses étoiles la beauté du jour achèvera de la consumer.


         Un croissant de lune bleue volette au-dessus d’elle aile d’oiseau blessé lune froide et fidèle qui calme sa brûlure en même temps que l’odeur forte de l’urine des chèvres. Des phosphènes de lumière rousse scintillent à travers les arbres. Une vache blanche broute l’herbe vespérale. Une hulotte lance son cri. L’étoile du berger luit au-dessus de la mer. Il est six heures. Une nuit américaine enveloppe le monde du village. Il fait nuit.


         Posé en équilibre parfait sur une absence de nuages, le croissant de lune claire.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Vivian Lofiego | Les arbres multiplient leurs branches…

    «  Poésie d’un jour  »



    Tu savais que les fleurs me font mal
    Ph., G.AdC





    LOS ÁRBOLES MULTIPLICAN SUS RAMAS


    Los árboles multiplican cada primavera sus ramas,
    hay flores de amenazante fragilidad
    ¿ Cuánto tiempo vive una amapola ?
    ¿ Y la margarita que me enseñaste a deshojar ?
    ¿ Y ya cuántos tréboles arrancaste
    para encontrar cuatro hojas y gritar que la suerte es para vos ?
    Sabías que a mí me duelen las flores,
    siento el ínfimo ruidito que hacen cuando alguien al descuido
    las arranca





    LES ARBRES MULTIPLIENT LEURS BRANCHES


    Les arbres multiplient leurs branches chaque printemps,
    il y a des fleurs d’une fragilité menaçante
    Combien de temps vit un coquelicot ?
    Et la marguerite que tu m’as appris à effeuiller ?
    Combien de trèfles as-tu cueillis jusque-là
    pour trouver quatre feuilles et crier que la chance est avec toi ?
    Tu savais que les fleurs me font mal,
    j’entends l’infime petit bruit qu’elles font quand quelqu’un les arrache
    sans faire attention


    Vivian Lofiego, Desde el bosque in Cinq femmes poètes d’Amérique latine aujourd’hui, édition bilingue, poèmes choisis et présentés par Adélaïde de Chatellus, Le Temps des Cerises, 2009, pp. 64-65. Traduit de l’espagnol dans l’atelier de traduction des universités de Rouen, La Sorbonne et Lausanne. Avec la participation de Claude Couffon.





    L’ARBURI MULTIPLICHEGHJANU I SO RAMI


    L’arburi multiplicheghjanu i so rami ogni veranu,
    ci sò i fiori di una fragilità minacciosa
    Quantu tempu campa un pampasgiolu ?
    È a pratellina ch’è tù mi insignasti à sfuglià ?
    Quanti trifogli cuglisti sin’ad avà
    per truvà quattru foglie è mughjà chì a furtuna hè toia ?
    Sapii ch’elli mi facenu sente i fiori,
    sentu u stridarellu infimu ch’elli facenu quandu omu i sradicheghja
    senza fà casu.


    Traduction inédite en corse de Francesca Graziani






    VIVIAN LOFIEGO

    Vivian Lofiego
    Image, G.AdC


    Voir aussi :

    – (sur Terres de femmes)
    Vivian Lofiego/Elle portait une blessure au front ;
    – (sur Terres de femmes) Vivian Lofiego/
    De l’autre côté du rituel (poème extrait d’Obsidiennes de la nuit + bio-bibliographie) ;
    – (sur Terres de femmes)
    Vivian Lofiego/Un temps que les femmes filent ;
    – (sur Terres de femmes) le
    portrait de Vivian Lofiego dans la galerie Visages de femmes.


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  • Benjamin Fondane | Ulysse – XXIII

    «  Poésie d’un jour  »


    Indiens Anachroniques .jpg
    Diego Rivera
    Le Porteur de fleurs, 1935
    Huile sur toile
    Musée d’art moderne de San Francisco






    ULYSSE – XXIII


    AMÉRIQUE, AMÉRIQUE…


    à Victoria Ocampo



    Amérique, Amérique, merveille noire et rouge,
    que de fois j’ai rêvé de tes chevaux sauvages
    que de fois l’œil plus clair d’être ouvert en dedans
    tes fleuves m’ont porté, humide, dans tes flancs,
    ô vierge, encore nue depuis ta découverte !
    ― Puissé-je être celui qui causera ta perte !
    Puisses-tu arrêter de ne pas finir !
    Que n’y-a-t-il encore un monde à découvrir
    maille après maille !

    Amérique du Sud ouverte en éventail
    dans la paume fermée de la Terre de Feu
    (il suffit d’un regard amoureux sur la mappe)
    j’aime tes plaines pacifiques
    tes nappes inhumaines
    tes grands ports où l’on dort le regard sous l’eau
    tes Indiens anachroniques
    ramant sans bruit le long de tes méditations
    tes plantations où l’homme s’enfonce jusqu’au cou
    tes émeutes soudaines
    tes matinées paresseuses et ta lumière trouble
    tes nuages énormes et tes ombú géants
    ta pampa infinie,
    tes longs serpents mûris par leur venin de mort…
    ― Dans tes ports j’ai flâné longtemps, le rêve au ventre…
    Marchand, marchand qui n’avait rien à vendre
    je trafiquais la destruction,
    je te voyais de loin le visage tranquille,
    tes jeunes seins de vieille fille,
    Amérique du Sud entourée de mers
    continent sans mémoire
    ouvrage improvisé par des soldats cruels
    l’œil fier sur un cheval de pierre dans tes villes ―

    J’ai baisé ton ennui aux cils de tes bordels,
    j’ai partagé vos lourdes tristesses, sang-mêlé,
    et ce mal du pays des gens qui n’en ont plus.
    J’ai foulé tes pavés, j’ai rêvé dans tes rues,
    tes hommes longuement m’émeuvent…
    Que ne puis-je rester un instant sur tes rives,
    enfoncer mes racines dans une terre neuve,
    naviguer tout au long des côtes du connu,
    me lier d’amitié avec ta terre épaisse,
    couvert de tes moutons qui ont la laine lasse.
    ― Amérique, ta terre est vaste !
    Aie pitié de ces pauvres et sales émigrants
    qui se déplacent, lents, avec leurs dieux anciens !
    Je suis un étranger, je le sais.
    Je n’ai pas de patrie collée à mes souliers,
    plus rien qui me retienne à quelque quai du vide…
    Puisses-tu me mener en laisse par la main !
    puisses-tu apaiser mon pauvre cœur d’Asie !
    N’es-tu pas une terre absurde, une oasis,
    un pays de chevaux libres de toute bride ?

    …oubli de tout, de rien… Nuages d’Amérique !



    Benjamin Fondane, Ulysse XXIII, Le Mal des fantômes, Éditions Verdier, Verdier Poche, 2006, pp. 54-55. Liminaire d’Henri Meschonnic.




    ____________________________________
    Note d’AP : j’ai choisi ce poème après la lecture de très belles gnoses inédites (« merveilles noires et rouges ») d’André Jean Nestor.






    BENJAMIN FONDANE



    ■ Voir aussi ▼

    le site de la Société d’études Benjamin Fondane
    → (sur le site des éditions Verdier)
    une chronologie consacrée à Benjamin Fondane
    → (sur Esprits nomades)
    Benjamin Fondane et la révolte existentielle, par Olivier Salazar-Ferrer




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  • 25 septembre 1609/Angélique Arnauld, « la journée du guichet »

    Éphéméride culturelle à rebours





    15
    Philippe de Champaigne (école de)
    Portrait de Jacqueline Marie, dite Angélique Arnauld, 1661
    Huile sur toile, 57 x 47 cm.
    Source





         Le 25 septembre 1609, Angélique Arnauld, abbesse du monastère de Port-Royal-des-Champs, alors âgée de dix-huit ans, poussée par son désir de « rétablir la clôture, selon la demande expresse de la règle de saint Benoît », décide de refuser à sa famille le droit de pénétrer à l’intérieur du monastère. C’est au travers d’un petit volet ― guichet ― ouvert dans la porte qu’elle accueille son père, Antoine Arnauld.
         Appelée depuis « Journée du guichet », cette journée est l’aboutissement de la réforme exigée par le Concile de Trente. Grâce à la détermination qu’elle ose montrer dans son projet de réformer la vie du monastère de Port-Royal, Angélique Arnauld s’impose comme une figure majeure du jansénisme.






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    Source





         « Le 25 septembre 1609, le Parlement étant en congé, Angélique flaire le danger. Ses parents vont arriver. Une guerre de plus aura lieu. Dès les premières heures, toutes les clefs ont été confisquées. Angélique attend. Le soir, vers dix heures, le bruit de carrosse transportant Antoine et Catherine Arnauld, Robert Arnauld d’Andilly alors âgé de vingt ans, la jeune Anne-Eugénie et Catherine Le Maître se fait entendre dans l’allée menant au cloître. Les religieuses rentrent se cacher. Seule Angélique demeure immobile dans la prière.
         D’un saut, Antoine s’approche du porche et frappe à la porte. Angélique quitte alors l’église pour lui ouvrir la petite fenêtre du guichet et lui demande d’entrer au parloir, situé juste à côté. Abasourdi, Antoine Arnauld « menace, insiste, presse, commande, se fâche et frappe de plus en plus. »* Certaines religieuses s’inquiètent. Sont-elles dans le droit chemin ? Catherine Arnauld jure de ne jamais revoir sa fille, Robert traite sa sœur de monstre d’ingratitude et de parricide. « Quelle honte de ne pas ouvrir à Monsieur Arnauld ! » renchérit la sœur Morel. Blême, Angélique se tourne vers sa communauté: « Ils ne m’ont point demandé ma volonté pour me faire religieuse; je ne leur demanderai point la leur pour vivre en religieuse. »
         Apparemment calmé, Antoine Arnauld demande à voir ses deux autres filles, Marie-Claire et Agnès. Il songe, en fait, à s’introduire dans le monastère une fois la porte ouverte. Angélique devine le stratagème et fait sortir les enfants par une autre porte donnant dans l’église. Interrogée par Antoine, Agnès répète sans relâche qu’Angélique ne fait qu’appliquer les décisions du Concile de Trente. Robert devient fou furieux. « Oh ! Pour le coup, s’exclame-t-il, nous en tenons vraiment. En voilà une encore qui se mêle de nous alléguer les conciles et les canons ! »
         Rompu à la malice de sa fille, Arnauld accepte de pénétrer au parloir. De cette voix douce et grave dont il sait si bien user, il parle à son enfant du passé, des heures heureuses passées rue de la Verrerie ou sur les terres d’Andilly. Il lui dit enfin que, l’aimant si fort, il consent à ne plus l’approcher, lui demandant seulement de ne pas ruiner sa santé en abus d’austérités. Devant ce visage décomposé, Angélique s’effondre. « J’eus une telle douleur que je pensai étouffer »**, confia-t-elle.
         Devant sa fille évanouie, Antoine appelle au secours. Les religieuses hésitent. Pas question d’intervenir dans des affaires de famille. À la fin, pourtant, elles se rendent à l’évidence, il ne s’agit plus d’un affrontement, mais d’un réel appel à l’aide. Les moniales accourent, ranimant leur supérieure pour la porter un instant dans sa cellule. Au parloir, on prépare deux couches. L’une pour l’abbesse et l’autre pour son père, auquel, dans un souffle, Angélique a demandé « qu’il veuille bien, pour toute grâce, ne s’en aller pas ce jour-là. »***
         Les parents se rendent au double souhait de leur fille. Ils l’assisteront toute la nuit et ne reparaîtront plus à Port-Royal. Mais on obtiendra vite quelques accommodements. Antoine Arnauld recevra la permission de l’abbé de Cîteaux d’entrer pour inspecter les travaux lorsqu’il y en aura. Et il va y en avoir. Catherine Arnauld campera, elle, sur ses positions pendant près d’un an. Jusqu’au 4 août 1610, où, au couvent des jacobins, elle entend un prédicateur prêcher la nullité d’un serment prononcé dans un moment de colère. Ivre de joie, la mère se précipite à Port-Royal pour retrouver sa fille. La réconciliation générale n’empêche pas Antoine et Robert de prendre à partie le père Kersaillou, responsable, à leurs yeux, de cette réforme aberrante.
         Ébranlée, épuisée, Angélique sait qu’elle a gagné un combat vital pour elle et nécessaire pour l’Église. Une abbesse de dix-sept ans et demi a bravé l’autorité paternelle au nom de la règle de saint Benoît, au nom de la réforme exigée par le concile de Trente et réclamée en toutes lettres dans la carte de visite du supérieur de l’ordre, Nicolas Boucherat, en 1572.
         À ce stade, elle peut devenir un modèle pour beaucoup d’autres supérieures. Si elle avait échoué lors de cette « journée du guichet », c’en était fait du renouveau catholique dans l’enceinte de Port-Royal. »


    Fabian Gastellier, Angélique Arnauld, Librairie Arthème Fayard, 1998, pp. 79-80-81.



    * Sainte-Beuve, Port-Royal
    ** Angélique Arnauld, Relation écrite par la mère Marie-Angélique Arnauld de ce qui et arrivé de plus considérable dans Port-Royal, Port-Royal-des-Champs, à la date du 12 janvier 1655. Édition de Jean Lesaulnier, Chroniques de Port-Royal, 1992.
    *** Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1742.

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  • 24 septembre 1871 | Victor Hugo, Choses vues

    Éphéméride culturelle à rebours



    VICTOR HUGO PAR  OUSMANE SOW
    Source







    24 septembre.



         ― Six première classe, 149 frs. 10.
         ― Nous partons à 6 heures du matin pour Reims par le chemin des Ardennes. Nous avons traversé le champ de bataille de Sedan. Le chef de train nous l’a expliqué. La plaine est couverte de petites éminences couvertes de touffes de chanvre qu’on y a semé. Ce sont ses tombes. Dans une petite île de la Meuse, il y a quinze cents chevaux enterrés. La place est marquée par l’épaisseur de l’herbe. Tout ce pays est sombre et a un air indigné.
         À l’horizon, on voit sur une hauteur, dans un bois, le château où était logé Guillaume, et sur une colline plus basse, dans un autre bois, le château où Bonaparte est venu signer la capitulation. On distingue des faîtes aigus. Ce château, nous dit le chef de train, se compose de quatre tourelles reliées par des ponts. Je vois en effet les toits pointus des quatre pavillons. Les deux châteaux appartiennent aux deux frères. Ces deux autres frères, Guillaume et Bonaparte, y ont signé une paix qui sera la guerre.
         Un peu plus loin, au bord d’une route près de Donchery, nous avons aperçu la maison, une auberge, où Bonaparte a rendu son épée. C’est du moins ce que nous a dit le chef de train. Je crois qu’il se trompe. C’est à cette auberge que Bonaparte a rencontré Bismarck et c’est dans le château qu’il a rendu son épée.
         ― J’ai revu, sans y entrer, Mézières, que j’avais vue, avec elle*, en 1840, il y a trente ans. Nous l’avons revue ensemble. La pauvre ville a été affreusement bombardée.
         ― Arrivée à Reims à trois heures. Nous descendons au Lion d’or, sur la place de la cathédrale. C’est là que nous logeâmes en 1840. C’est la quatrième fois que je vois Reims. La première fois, en 1825, je venais d’être nommé, en même temps que Lamartine, le 16 avril, membre de la Légion d’honneur. J’avais été invité au sacre de Charles X par lettre close du roi. J’étais avec Charles Nodier. Cailleux et Alaux le Romain nous accompagnaient. Nous logions chez Salomé, directeur de théâtre et ami de Taylor. Nous campions. Je partageais presque la chambre d’une jolie actrice, Mlle Florville, qui était la maîtresse de Duponchel.
         La seconde fois, en 1838, je venais de terminer Ruy Blas, le 11 août ; je voyageais pour me reposer avec elle. Le 28 j’étais à Reims. Je visitais les combles de la cathédrale. J’ai entendu là le canon braqué sur la place annoncer la naissance du comte de Paris.
         La troisième fois, en 1840, je reviens vieux dans cette ville qui m’a vu jeune, et au lieu du carrosse de sacre du roi de France, j’y vois la guérite blanche et noire d’un soldat prussien.
         Nous avons tous les quatre été voir l’église. C’est toujours la merveille qui m’a ravi il y a cinquante ans. Cependant une restauration froide lui ôte un peu de ce mystère que le temps lui avait donné. Je ne sais quel archevêque idiot a fait remplacer par une grille le mur de l’archevêché où était adossée une charmante construction de la Renaissance, tout près de la façade de la cathédrale. C’était un bijou près d’un colosse. Rien de plus charmant que le contraste. Il a disparu. C’est un des effets de la restauration peu intelligente à laquelle la cathédrale est en proie. Dans l’intérieur, tapisseries magnifiques du quinzième et du seizième siècle. Les vitraux sont ce que je les ai vus, splendides.
         ― Quand j’ai passé la frontière, j’ai été prévenu que le commissaire de la frontière télégraphiait à Paris mon arrivée.


    Victor Hugo, Choses vues, Souvenirs, Journaux, Cahiers, 1870-1885, Éditions Gallimard, Collection folio, 1972, pp. 231-232-233. Édition établie, présentée et annotée par Hubert Juin.



    * Le 30 août 1840. Avec Juliette Drouet.





    VICTOR HUGO



    ■ Victor Hugo
    sur Terres de femmes

    26 février 1802 | Naissance de Victor Hugo
    8 février 1807 | bataille d’Eylau [Victor Hugo | « Le Cimetière d’Eylau »]
    13 août 1837 | Victor Hugo, En bateau à vapeur sur les bords de Somme
    11 janvier 1849 | Victor Hugo, Choses vues
    14 janvier 1855 | Lettre de Victor Hugo à Émile Deschanel
    Les Misérables


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la BnF)
    Victor Hugo, L’Homme océan (exposition virtuelle)


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  • Carnets de marche. 22

       



    CARNET N.22

    22.

         Et ce vallon qui descend jusqu’à la mer, peut-être pourrais-tu le rendre à sa poésie des origines ? Toi qui sais le pouvoir des images, peut-être pourrais-tu délier par tes mots le Muragellu enfermé au creux de la terre ? Invisible. À moins que de mémoire d’homme, il ne soit englouti ― pour toujours ― sous les monceaux de détritus que chacun persiste à déverser dans sa gorge éventrée. Par dessus le muret qui ceinture le pont du Muragellu, gravats, crachats des maçons lâchés en trombe de poussière du haut des bennes hyper-mobiles.


         Poussière de briques et de ciments carreaux dépareillés machines à laver telluriques téléviseurs implosés matelas vermoulus sommiers et gazinières Delux pourrissantes dans leur gaze de rouille literies défoncées maculées d’urines d’ancêtres, sommiers sommiers encore ondulés décatis épaves de ménageries humaines déménagées jusqu’ici balancées par-dessus le muret du Muragellu maquis dévasté envahi alentour à profusion de déjections diverses quincaillerie en tous genres postes de radio TSF vélos et moteurs armatures de mobylettes carrosseries de voitures chaises dépareillées divans de salons couverture marron à fleurs de chez « Tati corse » tout le mauvais goût du quotidien dévale dans le vallon le quotidien réduit à cette ruine des arbres du maquis dépenaillés effilochés détruits terre à vif décapitée de sa vie.


         Une brume grise, légère et cotonneuse descend des hauteurs, flotte au-dessus du recreux qui m’abrite, franchit la route, recouvre le vallon en contrebas, enveloppe la ferraillerie délestée de son usage quotidien tout terrain vie domestique et convivialité, loisirs pour tous. Les réfrigérateurs évidés s’enfoncent un peu plus dans la terre, rongent les racines des chênes en détresse, sectionnent les branches, émondent les derniers feuillages. Les vallonnements ombreux du Muragellu succombent sous la présence harcelante d’un quotidien défunt, réduit à sa carcasse ferrailleuse et crâne, à sa crasse de gonds disjoints et de verre brisé, roues de bagnoles déjantées pots de chambre, lave-linge et valises, frigidaires encore.


         Des genêts maigrichons s’agrippent vaillamment aux fourneaux d’une cuisinière, un ciste solitaire a pris racine dans la laine pourrie d’un matelas pisseux, un ressort de sommier abrite un entrelacement de lianes. La nature reprendra-t-elle un jour ses droits ?


         Le brouillard se densifie. Il glisse par nappes successives d’un versant de la route à l’autre. Une chape de brume grise recouvre le maquis étouffe le mugissement régulier de la mer. Des rires et des cris soudain trouent le silence, lacèrent l’atmosphère ouatée. Une planche qui roule écorche la route dans un bruit de ferraille.


         Elles sont trois à courir et à s’esclaffer. En noir toutes trois. Pomponnées mode et coiffées dernier cri. Par grandes saccades de rires, elles s’exclament haut et fort, se rapprochent du promontoire que je n’ai pas quitté. Je les vois qui s’agrippent à tour de rôle au plateau d’une table à apéritif version catalogue de Saint-Étienne, montée sur des roulettes, abandonnée à côté de la cahute aux encombrants. Les trois mignonnes hurlent, arrimées dans la descente à leur véhicule de verre. Emballée dans sa course, la table emporte les demoiselles, plus vite, encore plus vite. Et leurs cris percent le silence. Elles s’éloignent toujours davantage et se rapprochent du Muragellu. C’est là, sans doute que la table roulante va finir son premier et ultime parcours de folie. Balancée par dessus bord, désarçonnée. Les roulettes continuent à rouler l’air de roulements imbéciles. Les jeunes filles contemplent, balcon du Muragellu, les armatures brisées. La brume épaisse noie les rumeurs. Les rires se sont dissous dans le vallon. À peine un cri d’oiseau dans les ramées. La mer en contrebas est rendue à son opacité première. Qui, le premier, a jeté la pierre au Muragellu ?

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Brina Svit, Petit éloge de la rupture

    Brina Svit, Petit éloge de la rupture,

    Gallimard, Collection folio, 2009



    Eloge de la rupture 1
    Image, G.AdC






    D’UN PETIT ÉLOGE, L’AUTRE


         D’un petit éloge l’autre, le ton change. Tout change.

         Cela aurait pu donner un diptyque original. Eva Almassy, premier volet, Brina Svit, second volet. Selon les règles de l’ordre alphabétique. Avec deux inédits, deux « Petit éloge de… », menés conjointement. Celui de deux ex-extracommunautaires. L’une d’origine hongroise, l’autre d’origine slovène. Deux femmes, deux amies, l’une et l’autre écrivain. Toutes deux appartenant à la catégorie littéraire des « bernard-l’hermite », écrivains qui se glissent, pour écrire, dans une langue autre que leur langue maternelle. Deux mittle-européennes qui ont choisi le français comme langue d’accueil.

         Lequel des deux petits éloges lire en premier ? Les deux me sont arrivés en même temps, le même jour, remis en mains propres par le même facteur. Même emballage, même format. Même provenance : Gallimard.

         En réalité, je n’en attendais qu’un. Celui de Brina Svit. Petit éloge de la rupture. Un « petit livre » qu’elle m’avait récemment annoncé par courriel. Maintenant qu’il m’arrive, ce petit ouvrage, il me revient en mémoire qu’elle m’en avait déjà parlé lors de notre dernière rencontre parisienne. Il y a deux ans. La rupture ? Rompre ? Tu sais faire ça, toi ? Moi, je savais, je ne sais plus. Peut-être croyais-je savoir et n’ai-je jamais su ? Et le voilà qu’il m’arrive, ce Petit éloge de la rupture, en même temps que le Petit éloge des petites filles d’Eva Almassy. Celui-là, je ne l’attendais pas. Je croyais Eva plongée dans la relecture de son prochain roman. Celui dont elle avait confié le manuscrit à Guy Goffette. Qui lui a dit que… Prendre les lectures dans l’ordre chronologique de la vie. Les petites filles d’abord, la rupture ensuite. Je renonce au diptyque. Cela fera plaisir à Brina et sans doute aussi à Eva.

         Éloge de la rupture ? N’y a-t-il pas là, au cœur de cette expression, une contradiction ? Comment faire l’éloge de ce qui fait souffrir ? Car qui dit rupture dit souffrance ! À moins que… Mais Brina a sa petite idée. Elle en connait long sur le sujet. Pourquoi pas, plutôt, un Petit éloge de la tendresse ? Comme le suggère J.-B. Pontalis à Brina Svit dans les couloirs de la maison Gallimard où ils se croisent de temps à autre. Cela pourrait se comprendre plus aisément. Mais non, Brina se sent mieux dans l’éloge de la rupture que dans celui de la tendresse. Et c’est d’elle que vient la proposition faite à son éditeur, Richard Millet. Installé dans son bureau ― deuxième étage des éditions Gallimard ― « dans sa position habituelle : les pieds sur le bureau, un manuscrit sur les genoux, son chapelet pas très loin », l’auteur de La Confession négative écoute Brina jusqu’au bout, réfléchit, puis dit « oui ». « Il ajoute même que c’est une bonne idée et que ça l’intéresse ». Va pour la rupture, ce mot qu’elle n’aime pas, mais qui n’en constitue pas moins un des « fils rouges » de son histoire personnelle.

         Petit éloge de la rupture ? Ce petit livre de rien, à peine un peu plus d’une centaine de pages, au demeurant fort bien composé, fort bien écrit, très agréable à lire, met le lecteur au cœur de l’une des problématiques fondamentales de l’auteur. La rupture. Une constante chez Brina Svit. Petites et moyennes ruptures, ruptures de moindre importance, ruptures graves et profondes, Brina Svit les connaît toutes. Toutes l’ont mise à l’épreuve. Elle les a toutes éprouvées. Celles qui ont jalonné sa vie de femme et sa vie d’écrivain. Rupture avec la mère, douloureuse mais nécessaire, rupture avec la langue maternelle – des pans entiers de phrases en slovène surgissent toujours à l’improviste, vingt ans après avoir quitté la Slovénie, au beau milieu d’une conversation en français –, rupture plus récente de son disque dur et disparition douloureuse de tout le matériau emmagasiné pour écrire son « petit éloge », onze mois de travail partis en fumée, onze mois d’écriture à reconstituer. Ruptures, sur fond de rivalités littéraires, avec ses amies. Rupture récente – pour cause de crise internationale (?) – avec Delo, le journal slovène auquel Brina Svit est attachée depuis tant d’années ! Et au beau milieu de toute cette tourmente – le récit de Brina Svit fonctionne par superpositions et entrecroisements circulaires, entrelacements judicieux de flash-back sur les œuvres déjà écrites et de réflexions sur les œuvres à venir –, la rupture amoureuse. Celle qui se vit au cœur du récit, en direct. Et qui laisse, du jour au lendemain, sans vie. Sans projet. Sans consistance. Celle qui laisse orpheline de soi et de l’autre.

         C’est autour de cette rupture brutale et du SMS meurtrier qui fait irruption sans crier gare dans le bel amour de la narratrice – « Je ne t’emmènerai pas en forêt. Trop compliqué, tout ça. Je sors de ta vie » – que viennent se greffer les ruptures satellitaires qui animent et aimantent la réflexion de Brina Svit. Avec comme petit fil rouge conducteur des plus ou moins grandes ruptures, les messages de Gil Courtemanche, écrivain québécois et ami, toujours au bord de la rupture lui aussi. Courts messages emplis d’humour qui émaillent le texte central de leurs éclats.

    « J’ai bien hâte de vérifier si tu dis vrai à propos de la douceur de tes jambes. Puis nous rompons, écrit Gil. »

         Mais tout cela peut-il constituer un matériau suffisant pour faire de la rupture un sujet littéraire ? Oui, si l’on a soudain l’illumination, comme Brina Svit, que l’« on ne peut écrire que contre les siens », que l’« on ne peut qu’être extracomunitario dans l’écriture ». Une dissidente de l’écriture. C’est ce qu’est Brina Svit depuis Moreno. Le roman qui lui a permis de faire le grand saut dans le français, sa langue d’accueil. Pour faire de la rupture un sujet littéraire, un éloge, il faut aussi du talent. Un savoir écrire, agencer, organiser, construire. Et une langue agile, souple, légère et enlevée. Une langue qui a du corps, le corps sensuel d’une aficionada du tango. Ce qu’il faut enfin, selon Brina Svit, c’est « faire un texte qui tranche, qui invente, qui expérimente, qui s’ouvre aux autres ». C’est ce projet-là qui emporte l’adhésion de Richard Millet. Pourtant l’écrivain le plus éloigné qui soit de Brina Svit. Celui dont les grandes phrases arborescentes mettent Brina au bord de la suffocation et du vertige. Mais c’est sans doute aussi parce que Richard Millet est un écrivain en rupture – rupture de ban avec l’écriture contemporaine qu’il n’apprécie guère et dont il méprise et la pauvreté et l’approximation grammaticale – que Brina Svit se sent à l’aise avec ce fervent « chevalier de l’imparfait du subjonctif ». Elle qui a déjà tant de mal avec le passé simple ! Au-delà, à lire ce Petit éloge de la rupture, il y a le « plaisir du texte », le bruissement de la langue. Et celui de retrouver Brina. Dont l’écriture, esprit et lettre, ne peut se confondre avec aucune autre.

         En exergue à ce Petit éloge de la rupture, cette phrase de Cioran, auteur vénéré de Brina Svit :

    « Il ne faut écrire et surtout publier que des choses qui fassent mal, c’est-à-dire dont on se souvienne. Un livre doit remuer des plaies, en susciter même. Il doit être à l’origine d’un désarroi fécond, mais par dessus-tout, un livre doit constituer un danger ».

         Voilà qui est. Ce Petit éloge de la rupture ravive tous les feux de la séparation. La brûlure est là, intacte, vivante sous les mots, qui frémit sous la langue. Les textos d’avant la rupture sont là, eux aussi, qui attisent les flammes sous la cendre :

    « Je suis avec toi, en tous sens, amoureux de toi, de ton feu, de tes lèvres, de tes envies, de tes contraires, roc en mer et langueur au soleil… »

         ou cet autre :

    « Viens de courir dans le vent et giboulées. Tu me rends intensément vivant. »

         Restent pour la lectrice les délices d’une subtile « confession impudique ». Et pour Brina Svit le tango. Un sublime antidote pour rompre, le temps d’une langoureuse milonga, avec le désarroi et le chagrin.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    BRINA SVIT


    Brina Svit denim
    Brina Svit,
    photographie de Philippe Matsas





    ■ Brina Svit
    sur Terres de femmes


    Cela s’appelle l’aurore (Coco Dias ou la Porte Dorée) [lecture d’AP]
    Coco ou le désarroi de Brina
    Conversation privée avec Brina Svit
    Le Dieu des obstacles (lecture d’AP)
    Les incertitudes du désir (Une nuit à Reykjavík) [lecture d’AP]
    Turris eburnea (Moreno + bio-bibliographie)[lecture d’AP]
    Nouvelles définitions de l’amour (lecture d’AP)
    Un cœur de trop [lecture d’AP]
    Visage slovène (lecture d’AP)
    Rue des Illusions perdues (Con brio) [lecture d’AP]
    → (en commentaires sur Terres de femmes)
    Mort d’une Prima Donna slovène
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Portrait de Brina Svit (+ extraits de Moreno, Un cœur de trop, Coco Dias ou la Porte Dorée)




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  • Lorand Gaspar | Voici des mains

    «  Poésie d’un jour  »



    Le destin des couleurs en l-absence des yeux.
    Ph., G.AdC







    VOICI DES MAINS



    Voici des mains
    Pose-les dans une brève secousse de ton corps
    avec un pot de basilic
    et l’espace fouillé des oiseaux,
    quand l’aube sur nos corps mouillés
    les doigts sentent encore l’origan.

    Dans ma bouche les mots crèvent de froid
    Dans les grandes chambres inhabitées de ma voix
    Le blond friable des collines
    Personne ne sait
    Le destin des couleurs en l’absence des yeux.

    Tout s’arrête
    décembre désert
    les bras lourds.
    La lumière se cherche sur nos mains
    Et soudain tout est plume
    On s’envole comme une neige à l’envers.

    Je tiens ma vie comme
    Un morceau de pain
    Très fort
    Les cent grammes du prisonnier de guerre
    Et souvent j’ai si faim
    Qu’à peine il en reste
    Et les choses se colorent
    De peurs merveilleuses.







    Ἰδoύ τά χέρια



    δoύ τά χέρια
    Βάλε τα σ’ἓνα σύντομο τράνταγμα τοῦ κορμιοῦ σου
    μέ μιά γλάστρα βασιλικό
    καί τό διάστημα πού σκάβουν τά πουλιά,
    ὅταν αὐγή στά νοτισμένα σώματα μας
    τά δάχτυλα κρατοῦν άκόμη μυρωδιά ρίγανης.

    Στό στόμα μου τά λόγια πεθαίνουν ἀπ’τό κρύο
    Στίς μεγάλες κάμαρες τῆς φωνῆς μου τίς ἀκατοίκητες
    Тό ψαφαρό ξανθό τῶν λόφων
    Κανείς δέν ξέρει
    Τή μοίρα τῶν χρωμάτων ὃταν λείπουν τά μάτια.

    Ὃλα σταματοῦν
    ἔρημος Δεκέμβρης
    βαριά τά μπράτσα.
    Τό φῶς πάνω στά χερια μας ἀπόζητά τόν έαμυτό του
    Καί ξαφνιχά τά πάντα εῖναι φτερό
    Пετάει χανείς άνάστροφα σάν τό χιόνι.

    Κρατῶ τή ζωή μου ὠσαν
    ἓνα χομμάτι ψωμί
    Πολύ δυνατά
    Τά ἑκατό γραμμαρια τοῦ αἰχμαλωτου
    Συγνά τόσο πεινῶ
    Пού μόλις ἓνα ψύχουλο ἀπομένει
    Кαί τά πράγματα χρωματίζουναι
    Ἀπό φόβους ἐξαίσιους.



    Traduit en grec par Georges Séféris



    Lorand Gaspar, Le Quatrième État de la matière (extraits), in Lorand Gaspar, éditions Le Temps qu’il fait, Cahier seize, sous la direction de Daniel Lançon, avril 2004, pp. 72-73.





    LORAND GASPAR


    Lorand Gaspar
    Ph. Lorand Gaspar. Editions Jean-Michel Place
    Source






    ■ Lorand Gaspar
    sur Terres de femmes


    [Le jour enflé de fatigue cherche nos failles] (extrait de Sol absolu)
    Linaria
    Lorand Gaspar| Depuis tant d’années…
    James Sacré, Lorand Gaspar | Dans les yeux d’une femme bédouine qui regarde




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’IMEC)
    une notice bio-bibliographique sur Lorand Gaspar



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