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  • 20 septembre 1971 | Mort de Georges Séféris

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 20 septembre 1971 meurt à Athènes le poète grec Georges Séféris [Γιώργος Σεφέρης].






         Portrait de Georges Séféris
         Image, G.AdC






         Né à Smyrne le 29 février 1900, de son vrai nom Giorgios Stylianou Seferiades, prix Nobel de littérature en 1963, ambassadeur à Londres de 1957 à 1962, Georges Séféris est considéré comme l’un des plus grands représentants de la poésie contemporaine. Ses Essais, traduits en français sous le titre Essais : Hellénisme et création réunissent l’ensemble de ses conférences et publications sur la création poétique. Le poème La Citerne, publié en 1932, sera suivi d’un silence de trois années. Avec Mythologie, recueil publié en 1935, s’ouvre une nouvelle voie, consacrée à la « Nouvelle Poésie » en Grèce.

         Au cours des années itinérantes en Méditerranée, Georges Séféris, marqué par le drame qui se joue dans l’île de Chypre, poursuit l’écriture du Journal de bord, entrepris dès les années 1940-1945 (I et II). Le troisième tome paraît en 1955. Après les Trois poèmes secrets, publiés en 1966, Georges Séféris, en rupture de ban avec le régime dictatorial en place, se refuse à publier d’autres œuvres. Sur les Aspalathes est son ultime poème. Il a été retrouvé trois jours après la mort de Séféris et est daté du 31 mars 1971. Une copie du manuscrit original est reproduite dans L’Été grec de Jacques Lacarrière.






    Au loin les colonnes du Temple
    Ph., G.AdC





    « SUR LES ASPALATHES » *


    Il faisait beau à Sounion ce jour de l’Annonciation
    De nouveau le printemps.
    De rares feuilles vertes
    autour des pierres couleur de rouille,
    la terre rouge et les genêts épineux,
    leurs grandes aiguilles et leurs fleurs jaunes.
    Au loin les colonnes du Temple
    cordes d’une harpe, elles résonnent encore…
    Tranquillité.
    Qu’est-ce donc qui m’a rappelé cet Ardiée de la légende ?
    Un mot dans Platon, je crois,
    Égaré dans les creusets de l’esprit :
    le nom du buisson jaune n’a pas changé depuis ces temps-là.
    Ce soir j’ai retrouvé :
    « Mains et pieds,
    ils l’enchaînèrent, nous dit-il, le jetèrent à terre
    et l’écorchèrent. Ils le tirèrent de côté
    le long du chemin et le cardant sur les genêts épineux
    le précipitèrent dans le Tartare : une loque. »
    C’est ainsi qu’aux Enfers il payait ses crimes,
    Ardiée de Pamphilie, le misérable tyran.




    « Ἐπὶ Ἀσπαλάθων…… »
    (Πολιτεία, 616)


    Ἦταν ὡραῖο τὸ Σούνιο τὴ μέρα ἐκείνη τοῦ Εὐαγγελισμοῦ
    πάλι με την ἄνοιξη.
    Λιγοστὰ πράσινα φύλλα γύρω στὶς σκουριασμένες πέτρες
    τὸ κόκκινο χῶμα καὶ οἱ ἀσπάλαθοι
    δείχνοντας ἕτοιμα τὰ μεγάλα τους βελόνια
    καὶ τοὺς κίτρινους ἀνθούς.
    Ἀπόμερα οἱ ἀρχαῖες κολόνες, χορδὲς μιᾶς ἅρπας ποὺ ἀντηχοῦν
    ἀκόμη…
    Γαλήνη
    – Τί μπορεῖ νὰ μοῦ θύμισε τὸν Ἀρδιαῖο ἐκεῖνον;
    Μιὰ λέξη στὸν Πλάτωνα θαρρῶ, χαμένη στοῦ μυαλοῦ
    τ᾿ αὐλάκια.
    Τ᾿ ὄνομα τοῦ κίτρινου θάμνου
    δὲν ἄλλαξε ἀπὸ κείνους τοὺς καιρούς.
    Τὸ βράδυ βρῆκα τὴν περικοπή:
    «τὸν ἔδεσαν χειροπόδαρα» μᾶς λέει
    «τὸν ἔριξαν χάμω καὶ τὸν ἔγδαραν
    τὸν ἔσυραν παράμερα τὸν καταξέσκισαν
    ἀπάνω στοὺς ἀγκαθεροὺς ἀσπάλαθους
    καὶ πῆγαν καὶ τὸν πέταξαν στὸν Τάρταρο κουρέλι».
    Ἔτσι στὸν κάτω κόσμο πλέρωνε τὰ κρίματά του
    Ὁ Παμφύλιος ὁ Ἀρδιαῖος ὁ πανάθλιος Τύραννος.

    31 του Μάρτη 1971



    Georges Séféris, Sur les Aspalathes in Jacques Lacarrière, L’Été grec, Plon, Collection Pocket, 1975, pp. 396-397-398.



    * Les aspalathes sont des genêts épineux. Ce poème, écrit sous le régime fasciste des colonels, est une claire allusion au sort que le poète espère pour les nouveaux tyrans de la Grèce. Il a été inspiré par un passage de Platon, La République 616a.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    17 septembre 2005 | Mort de Jacques Lacarrière

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  • Carnets de marche. 21

       



    CARNET N.21

    21.

         Première marche dans le maquis depuis le retour de Paris. Première rencontre au sortir du hameau, le berger et son fils, chacun dans son véhicule. Échange de paroles, sourires. « Alors, on profite ? » Oui, on profite. De la douceur de l’air, de sa tiédeur. De l’éclat jaune or des belles-de-jour en fleurs dans les talus. La mer est grosse encore de sa tempête de la veille. La clarté du ciel m’incite à pousser jusqu’aux Petrelle, esplanade naturelle d’où le regard embrasse le paysage. Je ne me sens disciple de personne. Je me laisse porter par la première sensation de pierre chaude sous le frisson argenté des chênes. Les troncs des arbres grincent. Une page a été tournée qui m’emmène vers d’autres saisons et, au-delà, vers un univers de sensations dont je ne parviens pas à soupçonner la teneur. Mon état d’esprit a changé sans que je puisse vraiment dire en quoi. Le temps de novembre me semble loin derrière. La mer d’un vert pétrole aujourd’hui ne m’apporte pas de réponse sur l’élasticité du temps.


         Plein soleil sur Hanging Rock (Australie), pris dans la houle mouvante de la chênaie. Des trouées de lumière filtrent au travers du maquis. Les cris des bergers venus rassembler leurs chèvres roulent d’une pente à l’autre. Seuil. La chasse est fermée depuis quelques jours déjà. Le temps a basculé vers d’autres rives. Absence de sensations propres à ressentir l’absence. Bonheur d’être là, dans la lumière et dans le vent. Tourbillons d’air qui giclent et virevoltent, et m’enveloppent de leur présence invisible et pourtant palpable. Promontoire d’où je domine l’anse de la marine. Turbulences des flots qui s’engouffrent dans le resserrement des roches. Les mugissements du vent enflent dans le labyrinthe de mes oreilles, camouflant provisoirement le grondement des vagues en contrebas. Je savoure ma solitude ― illusoire solitude ― au milieu des pics et de la rocaille. Les pierres oscillent sous mon pied. Mes cheveux volent en tous sens. J’aspire le soleil, sa douceur, les effluves de lumière caressante.


         Tu t’allonges sur un rocher plat grêlé de trous. Surtout, ne jamais décider à l’avance de ce que « tu-vas-faire » ni de « jusqu’où-tu-iras ». Suivre ton penchant du moment.


         Elle a emporté un roman, offert par son frère à Noël. Retrouvé ce matin au milieu de la pile des ouvrages en attente de lecteur. Elle ne connaît pas l’auteur, son nom ne lui dit rien. Il est corse, pourtant. Sur quelle phrase s’ouvre cet autrefois féminin ?


         Elle surveille du coin de l’œil les ondulations des arbres, masses festives mouvantes, signe tangible de la présence du vent.


         En exergue, une phrase de Faulkner, en anglais. « Parce que la mémoire, le souvenir était sur le point de s’amorcer et de claquer ». C’est quelque chose comme ça. Le Bruit et la Fureur peut-être. Penser à vérifier, penser à chercher. Pas de table des matières mais des chapitres numérotés en toutes lettres. De un à ? Neuf ! Pas dix, non ! Un à neuf, peut-être à cause de 1959, année de naissance de l’auteur. 1959, n’est-ce pas aussi l’année de naissance de son frère ? À moins que ce ne soit 58. Elle ne sait jamais. Est-ce elle qui bouge ou le rocher grêlé de trous sur lequel elle est allongée ? Une histoire de bibliothèque ancienne à ranger. Un récit autour d’une femme corse, noble et célèbre. Diana Petri. Une discussion houleuse entre mère et fils.


         Les bergers lancent leurs hululements à travers la montagne, insensibles à sa présence et à ce qui l’occupe, elle. Ignorants de sa lecture, de sa présence insolite dans le paysage. En est-elle bien sûre ? De là-haut, ils dominent et ils l’ont sans doute vue, allongée sur la roche plate grêlée de toutes parts, ou accroupie derrière un buisson de ciste. « Aou, aou, aië ». Modulations étranges, indistinctes, imprévisibles. Le vent souffle par rafales qui la bousculent et la refroidissent. Elle change de place, abandonne un instant ses feuillets au vent. Les pages claquent comme de petits drapeaux. Elle se cale dans un creux de roche, plus à l’abri. De là, à travers ce trou de rocaille, « il y a une photo à faire ». Le tintement plus clair des sonnailles lui dit que le troupeau se rapproche. Hululements et mélopées des bergers. Le silence existe-t-il vraiment, un silence en soi ? Quel silence au moment de mourir ? Un silence glacial ? De ce même froid que celui qui fige la peau du cadavre que l’on effleure pour la dernière fois.

         Des sifflements aigus, de plus en plus intenses et rapprochés, lui font lever la tête. Ils sont là-haut, sur les pentes arrondies de la montagne. Sur l’autre versant de Hanging Rock (Australie). Tout un mouvement de houle lumineuse s’étire à l’aplomb de la montagne. Sur la ligne de crête, une silhouette en ombre chinoise s’affaire au rabattage des bêtes. Sifflements. Variations, hululements. « Aou, aïe, aou ». Sur combien de notes ? Combien de temps pour faire dégringoler le troupeau jusqu’à la route ? Les taches moutonnantes s’échelonnent, lumineuses, sur le vert sombre. Modulations, stridulations. « Ffff, ffff ». La silhouette ombre chinoise a disparu, happée sans doute par un pan de rocaille, invisible de l’endroit où elle se trouve. Elle lit quelques pages encore sur Diana. Son esprit est ailleurs, tourné vers ces pâtres d’un autre temps qui continuent à mener leur vie ancestrale avec leurs bêtes. Elle songe à Virgile, aux Bucoliques dont, enfant, elle récitait des chants entiers. Elle pense à la Méditerranée qui conserve encore des modes de vie antiques, invisibles et insoupçonnables l’été, en pleine période de bains de mer et d’effervescence factice. Elle voit en surimpression du visage tanné et hirsute du berger qui lui livre son bois à dos d’âne, le visage de cet autre pâtre grec, annoncé salle Cortot pour interpréter au piano Images de Claude Debussy. Un Ulysse barbu et noir, qu’elle s’était plu à imaginer tombé des Météores ou droit sorti d’un combat en lointaine Colchide. Un jeune pâtre qui n’avait de pâtre que l’apparence rustique. Mais un faune raffiné qui aurait assimilé au plus profond et au plus juste l’élégance très française de la musique de Debussy. Un pianiste et un virtuose, mais aussi un artiste, capable de sentir la musique de l’intérieur. L’élégance d’un pâtre grec, nommé Styros.


         Il serait temps que tu sortes de ta tanière et que tu reprennes la route du village. C’est ce qu’elle se dit tout en rassemblant ses affaires, sac à dos, livre et carnet. Elle saute d’un caillou sur l’autre, en s’agrippant aux branches dégarnies des genêts. Heureusement, la croix n’est pas loin et la bergerie non plus. Elle se dit aussi qu’il lui faut rapporter du bois. Elle sait où s’approvisionner en rondins mais elle ignore s’il en reste encore. Elle grimpe le long d’un talus de terre meuble, recouvert de sciure fraîche. Elle fait sa collecte, emplit son sac à dos à ras bord, le charge sur ses épaules, se laisse glisser dans la sciure et rebondit sur la route. Elle rapporte ses notes de l’après-midi, ses rondins, ses photos. Elle s’arrête et se penche sur le premier hellébore en fleurs. Helleborus corsicus.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Guy Goffette | Ainsi nos pas

    «  Poésie d’un jour  »



    Trouver l'or vif sous les paupières basses de l'horizon
    Ph., G.AdC






    AINSI NOS PAS


    Ainsi nos pas se sont portés longtemps à l’avant des navires
    plus pour le combat des vagues la déchirure des eaux
    que pour l’aventureuse saison des îles
    ― nos pas imaginaires
    mais toujours le poids de la terre nous ramenait
    dans l’île intérieure où piétinent les chevaux du sang
    et la tartine prise à la sauvette
    et la bise au front du paternel bleui, adieu
    adieu père mère famille encalminée, la voile est tendue
    et la mer au fond du potager va larguer nos amarres.
    Les toits déjà les toits encore tournent leur échine
    pour nous barrer la route
    comme ces pauvres requins
    qu’un rien jette au tourment de la chair
    et les vieilles pareillement qui brûlent sous ces toits
    de ne plus brûler
    tandis que nous, amiraux sans terre ni bateaux
    nous coupions tous les ponts
    avec ce monde utile et méprisable
    sûrs comme les grues à la ruée d’automne
    de trouver l’or vif sous les paupières basses de l’horizon.



    Guy Goffette, « Des fenêtres d’abois, 2. Enfances », Éloge pour une cuisine de province, Gallimard, Collection Poésie, 2000, page 65 ; in revue Décharge n° 143, « Dossier Guy Goffette », septembre 2009, page 13.





    GUY GOFFETTE


    Goffette_1
    Ph. D.R. Source



    Voir aussi :

    – (sur Poezibao)
    une fiche bio-bibliographique sur Guy Goffette ;
    – (sur Terres de femmes)
    Guy Goffette/Et si… ;
    – (sur Terres de femmes)
    Guy Goffette/Jalousie;
    – (sur Terres de femmes)
    Guy Goffette/Je me disais aussi… ;
    – (sur Terres de femmes)
    Guy Goffette/L’attente.

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  • Eva Almassy | Des petites filles qui rient dans le soleil

    Eva Almassy, Petit éloge des petites filles,

    Gallimard, Collection folio, 2009



    CAROLINE KENNEDY AVEC SON PERE JOHN PAR RICHARD AVEDON
    Source

    DES PETITES FILLES QUI RIENT DANS LE SOLEIL

         Existe-t-il encore des petites filles ? Cette interrogation surgit à l’improviste parmi les publications de la rentrée, avec la découverte de ce Petit éloge des petites filles, signé Eva Almassy.

         À lire cet « inédit » d’Eva Almassy, bien des images oubliées refont surface qui renvoient la lectrice que je suis à un monde d’un autre temps. Que savons-nous encore des petites filles ? Qui sont-elles au juste ? Quel univers est le leur ? Ma curiosité est doublement attisée. Par l’illustration, d’abord : des petits pieds nus perdus dans des talons aiguilles trop grands. Les petites filles de jadis mettaient leurs pas dans ceux de leur mère. En est-il toujours ainsi ? Par le genre littéraire choisi qui est celui de l’éloge. Les petites filles sont-elles à ce point en voie de disparition qu’il faille les remettre sur le devant de la scène par le biais de l’éloge ?

         Faire l’éloge de ces petites personnes ? Comment s’y prendre pour ne pas « les enfermer dans la cage de la grâce, l’esthétisme, la seule perfection physique » ? Dès la première page de cet opus ― bref mais riche d’analyses inattendues et originales, de références littéraires, de contes et de comptines, de témoignages et de mots d’enfants, de dialogues et de mythes ―, Eva Almassy écrit : « Je me demande si en faisant leur éloge je ne les traite pas moi aussi comme une proie, à trop vouloir les défendre ». Mais la question qui domine, celle à laquelle sont annexées toutes les autres, est la suivante : ces petites filles, qui sont-elles ? Quelle est leur spécificité ? À partir de quand devient-on une petite fille ; et surtout, jusqu’à quel âge le demeure-t-on ? Où se situe le « seuil fatal » ? Celui dont elles vont s’éloigner et d’où viendra l’oubli de ce qu’elles ont été.

         Pour tenter d’approcher l’univers mystérieux de ces étranges petites personnes, c’est l’intime qu’il faut explorer. Car non seulement « l’intime est superlatif mais la petite fille est le superlatif de ce superlatif qu’est l’intime. » Du reste, aux yeux de l’auteur, « la petite fille incarne la plus grande intersubjectivité. » Qui fait d’elle un être qui « comprend les sentiments complexes, les formes presque grammairiennes de la vie quotidienne », et ce, dès son plus jeune âge. Un être à part, pourtant défini comme « à peine plus intelligent que les autres ». Mais aussi, selon l’analyste jungienne Clarissa Pinkola Estès, poète et cantadora, un être à qui l’on apprend, très tôt, « à se soumettre au prédateur. » « Purement et simplement » [souligné en gras par Eva Almassy]

         En cinq chapitres ― ÊTRE/ SAVOIR/VRAIES PRINCESSES/ FILLES D’ÈVE/ INVITÉS, eux-mêmes subdivisés en sous chapitres ―, Eva Almassy se livre avec dextérité et humour à une exploration minutieuse et drôle des champs très divers où règnent ces magiciennes des « cinq continents qui peuplent la terre de rires d’oiseaux en tissant autour de leurs millions de doigts des berceaux de chat avec d’infinies ficelles. » Voilà, poétiquement, ce qu’elles sont. Au-delà, il y a ce qu’elles ont : « de l’être en quantité illimitée, une infinie multiplication ». Car la petite fille détient en elle, dès sa naissance, « la puissance de donner un jour la vie. » « À des enfants des deux sexes. »

         Comment un esprit feu follet comme celui d’Eva, tout imprégné d’enfance et d’espièglerie, aurait-il pu résister longtemps encore au désir de se pencher sur ces « princesses » que sont les petites filles ? Éminente conteuse et passeuse de récits fondateurs, Eva Almassy traverse époques et espaces pour aller au-devant de toutes les petites filles de rêve qui continuent de l’habiter. Sans doute parce que le « manque » d’enfant se confond en elle avec « la nostalgie » qu’elle a de l’enfance. Mais elle le fait avec la grâce de l’enfance, avec cette légèreté touchante, cette souplesse qui caractérise les entrechats des petites filles qui rient dans le soleil.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    EVA ALMASSY

    Portrait_de_eva_almassy
    Image, G.AdC

    Voir aussi :

    – (sur Terres de femmes)
    Eva Almassy, Autobiographie d’un fantôme
    le blog Petit éloge des petites filles


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  • Samira Negrouche | Tes vagues

    «  Poésie d’un jour  »



    Tes vagues
    Ph., G.AdC







    TES VAGUES



    Tes vagues
    voudront-elles de moi
    lorsque mes larmes
                                                   dociles
    s’offriront                             à la mer

    Ton horizon
    s’ouvrira-t-il                         à mon regard
    comme à ta lumière
                                                   mes mains.




    Samira Negrouche, Iridienne, Éditions Color Gang, Collection Luminaires, Lyon, 2005, page 59. Gravures sur calque d’Yves Olry.






    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE


        Samira Negrouche est née le 13 septembre 1980 à Alger, où elle vit. Médecin, poète et traductrice de poésie arabe, Samira Negrouche préside, à Alger, l’association culturelle Cadmos, créée en septembre 1999, qui travaille autour du patrimoine culturel méditerranéen et de la poésie moderne par l’organisation de divers événements littéraires nationaux et internationaux, dans une optique d’édition et de traduction.

         Samira Negrouche a publié plusieurs recueils de poésie, dont :

    Faiblesse n’est pas de dire, éditions Barzakh, Alger, mars 2001 ;
    L’Opéra cosmique, Éditions El Ikhtilef, mars 2003 ; rééd. Éditions des Lettres Char-nues, Blida, octobre 2003 ;
    À l’ombre de Grenade, Éditions A.P l’étoile, Toulouse, novembre 2003 ; rééd. éditions des Lettres Char-nues, Blida, avril 2006 ;
    Iridienne, Color Gang Édition, Collection Luminaires, Lyon, 2005 ;
    Cabinet secret, livre d’artiste avec Enan Burgos, Color Gang Édition, Lyon, 2007 ;
    À chacun sa révolution, édition bilingue français/italien, traduction de Giuseppe Napolitano, édition la stanza del poeta, Naples, 2007 ;
    Le Dernier Diabolo, éditions Chèvre Feuille Étoilée, Montpellier, 2010 ;
    Le Jazz des oliviers, éditions du Tell, Blida, 2010. Illustrations d’Yves Olry ;
    Six arbres de fortune autour de ma baignoire, éditions Mazette, 2017 ;
    Quai 2|1, Partition à trois axes, I, éditions Mazette, 2019 ;
    Alba Rosa, éditions Color Gang, 2019 ;
    Traces, Fidel Anthelme X, Collection “La Motesta”, Marseille, 2021. Photographies de Nathalie Postic.




    SAMIRA NEGROUCHE


    Samira Negrouche Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Samira Negrouche
    sur Terres de femmes


    [Des sillons se creusent](extrait du Jazz des oliviers)
    [J’aborde la plus haute rive](extrait de Quai 2 | 1)
    Six arbres de fortune autour de ma baignoire (lecture d’AP)
    [Tu ne te résignes pas] (extrait de Six arbres de fortune autour de ma baignoire)
    [Un doigt réaligne les fils] (extrait de Traces)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Il se peut




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Artpoésie)
    une sélection de poèmes extraits du recueil À l’ombre de Grenade
    → (sur YouTube)
    Samira Negrouche – Portrait d’une poétesse (Voix de la Méditerranée, Lodève, juillet 2011. Réalisation de Sonia Viel. Propos recueillis par Thierry Renard)



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  • Gérald Neveu | Rite

    «  Poésie d’un jour  »



    POUR G-rald Neveu
    Ph., G.AdC







    RITE



    Le blanc c’est la mer
    la mer velue qui dénombre ses
    cariatides mouvantes

    On a beau crier par-dessus
    l’écho renvoie toujours un coquillage
    rêveur
    légèrement fossilisé

    il faut maintenant passer à l’action
    empêcher à tout prix ce vent de s’incurver
    tendre les draps de lit
    contre ses muqueuses bleuâtres
    le mâter
    et puis d’un geste rayonnant
    extraire de sa pulpe une grande
    et belle porcelaine
    que l’on jettera aux orties.




    Gérald Neveu, Fournaise obscure, Pierre Jean Oswald, Collection « L’aube dissout les monstres », Honfleur, 1967, in Gérald Neveu par Jean Malrieu, Éditions Seghers, Collection Poètes d’aujourd’hui, 1974, page 116.



    GÉRALD NEVEU



    ■ Gérald Neveu
    sur Terres de femmes

    3 mai 1948 | Gérald Neveu, Du même côté



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits nomades)
    Gérald Neveu, une fournaise obscure
    → (sur enjambées fauves)
    Quelques pas encore (poème extrait d’Une solitude essentielle)



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  • Carnets de marche. 20

       



    CARNET N.20

    20.

         Cet après-midi, ton désir de gagner la route est irrépressible. Tu ne sais trop si c’est le désir de marcher ou celui d’écrire, le désir d’être seule aussi. Sans doute les trois désirs conjugués. Tu quittes la terrasse au tilleul, laisses derrière toi le carrughju. Tu es aussitôt face à l’horizon. Vu d’ici, l’arrondi de la terre est déjà parfaitement perceptible. En face, droit devant toi, Nice, visible ces jours derniers, plongée dans un halo de brume aujourd’hui. Phil le marin dit que c’est une illusion d’optique. Une question de réverbération des montagnes dans la mer. Je le crois volontiers, Phil. J’ai confiance en lui et en son savoir, qu’il tient de sa belle expérience. Tu te laisses bercer par la lumière douce qui glisse sur les vallonnements des chênes et des oliviers. Le temps semble mort, inexistant, suspendu. Seule la beauté rend supportable cette immobilité. Une beauté pourtant excessive, crue, dure. Une beauté qui fait mal ! Les sonnailles des chèvres déjà. Le retour des chasseurs. Ils te saluent au passage, l’un après l’autre.


         Tu te penches sur l’à-pic. La mer est là, toute proche, à l’aplomb de la pente. Vert-de-gris, émeraude violine. Sur le muret du premier pont un objet insolite attire ton attention. Posé là sur un angle de pierre, cet arrondi culotté, est-ce un casque de la Grande Guerre ? Que fait-il là, ce casque minuscule, pour tête d’enfant ? Tu le retournes. Ce n’est qu’une casserole, sacrément cabossée. Rongée par l’humidité et la moisissure. Par quel hasard abandonnée là ?


         Tout un dégradé de violine s’étire sur la mer. Elle goûte sa solitude extrême dans cette extrême douceur. En cet instant précis et en ce point précis du paysage, elle aimerait être un oiseau et se propulser vers l’au-delà des monts. Les vagues montent à l’assaut des rochers, lèchent les écailles dures des écueils, puis retombent en lames farouches selon le même rythme. La Punta di Minerviu dresse ses arrondis et ses pics dans la lumière. Elle revoit les chèvres dispersées à flanc de montagne, chaque chèvre installée dans son trou, dans sa grotte, regards tournés vers le large. Leurs cornes dessinant des croissants de lune dans le ciel du soir. Soir de Nativité dans le dernier soleil.


         Hanging Rock (Australie). Pas de changement apparent. Le même persiste ici dans la permanence. Le soleil pourtant s’est éclipsé. Une langue de lumière pâle glisse le long des pentes jusqu’à la route. Tu accélères le pas, tu voudrais aller jusqu’au Mulinu di Pendente. En marchant vite, tu peux y être avant que ne tombe la première fraîcheur du jour.


         Elle arrive à hauteur de l’arbre à gri-gri cra-cra. Les dernières ficelles ont disparu et le chêne ne porte plus la trace de la liane clé de fa qui était enroulée à son tronc. La liane a été arrachée à son tour. Elle traîne un peu plus bas au revers du talus.


         Le mugissement régulier de la mer. Demain, elle prendra le sentier et descendra jusqu’à l’écrin vert émeraude. Le temps stagne, à l’identique d’un jour à l’autre. Elle se sent en état d’apesanteur. Elle flotte entre les deux versants de la route. De chaque côté, c’est le même entrelacement de lianes, le même fouillis de ronces, les mêmes amoncellements de feuilles desséchées, le même abandon de l’âme. Un coup de fusil troue le silence. Puis un autre. Un troisième encore. Un gazouillis d’oiseaux s’ébat dans la feuillée.


         La Tour d’Amour dresse sa silhouette dense, mise à nu par le déboisement. Il y a quelques jours à peine, tu étais là avec ta sœur. Elle n’était jamais montée jusqu’à la tour. C’est ce qu’elle t’a dit.


         Ensemble, elles prennent les sentiers et grimpent dans les sous-bois, longent les anciennes masures en ruines. Elle lui montre les arcades, les restes de cheminées. Elle lui raconte la mise à sac du hameau au XVIe siècle, par les troupes de l’amiral génois. Andrea Doria. L’incendie qui a fait fuir les familles jusqu’aux hameaux proches de Barrettali. Elle ne savait rien de tout cela. Ni elle non plus, d’ailleurs, avant d’habiter son hameau. Elle la suit partout où elle va. Ensemble, elles pourraient monter jusqu’au sommet de la montagne. Elle lui dit son inquiétude ; elle lui dit qu’elle est une aventurière et qu’elle prend des risques. Elle éprouve à son tour la magie du lieu, son « inquiétante étrangeté ». Elle lui reproche son inconscience et lui demande si elle n’a pas peur. Non elle n’a pas peur. De quoi pourrait-elle bien avoir peur ? Elle lui fait jurer de ne pas commettre d’imprudence, de ne pas attiser la curiosité des esprits du lieu. Elle l’emmène du côté des piani à découvert. Elle fait son plein de rondins de bûches comme d’habitude. Elles franchissent les barbelés, elles reprennent la route, heureuses de leur complicité de maquisardes. Elle essaie de contenir la douleur que crée en elle son absence.


         Et cette lumière qui tombe comme une nappe sur le téton du Cucaru, enserre les effleurements de roches ! Arbres défeuillés pris dans le coton de la brume. Ses photos d’Allemagne, prises ces jours derniers. Elle aime leur côté japonisant. Elle entend les explications qu’elle lui a données ; elle s’étonne de ces phénomènes météorologiques qui la subjuguent. Ils lui rappellent des choses vues en Asie, les pains de sucre du Vietnam plongés à mi-parcours dans les nuages, la tête émergeant au-dessus d’une mer floconneuse. Elle pense à elle. Elle sait qu’elle va la voir bientôt. Elle se retient de ne pas souffrir. La nappe de nuages glisse, silencieuse et paisible. Demain sera un autre matin.


         Elle se dit qu’elle aimerait être ailleurs, dans d’autres montagnes, d’autres froids. À Barre-des-Cévennes par exemple. Peut-être à cause de cette barre striée de crevasses parallèles, qu’elle n’avait jamais remarquée jusqu’alors, là-haut, sur la ligne de crête. Une odeur d’humus monte en même temps qu’une vague d’humidité. Elle remarque au passage un sac en plastique qui pendouille, entortillé à une branche. Ce n’est pas un gri-gri. Seulement une marque de chasseur. Un coup de feu troue le mugissement régulier des vagues. La chasse n’est pas terminée. Elle pense aux enfants déguisés dès leur plus jeune âge en chasseurs. Les enfants mâles, bien sûr. Encore un bout de tissu noué dans les branchages. Autant de signes dont le langage lui est inconnu.


         Elle s’habitue au bruit de ses pas sur le goudron de la route. Parfois, elle l’oublie. Elle oublie même qu’elle marche. Peut-être ira-t-elle jusqu’à oublier qui elle est.


         Elle croise Papo, au volant de son dodge, accompagné de son chien. Il la salue d’un geste de la main. Il va « aux cochons ». Odeur de terre remuée. Odeur de lisier. Il a dû ouvrir l’enclos. Elle l’entend qui lance des « Tchou ou ou ou ! » Un cri identique lui répond, qui monte de la mer. Les chèvres sont là, elles aussi, camouflées quelque part dans les taillis. Tous les jours les cochons à nourrir, tous les jours les chèvres à rentrer, à sortir, à traire ! « Tchou ou ou ou ! ». Elle quitte la route et grimpe le long d’un escalier ancré dans la murette. Elle s’agrippe aux branches des arbres, prend appui tantôt sur une pierre tantôt sur une souche. Elle s’arrime aux branches sèches qui se détachent, se rattrape de justesse, s’enroule dans des ronces invisibles qui s’agrippent à ses vêtements, à ses cheveux. Elle n’en revient pas de leur ténacité. Il faudra qu’elle pense à se munir d’une serpette. Elle finit par se hisser en haut du talus et se cache dans les fourrés, guidée par les sonnailles du troupeau. Elle s’assied sur un lit de feuilles. Elle sent la piqûre des bogues. Il va peut-être pleuvoir. Odeur de silence et d’éternité. Elle pense à Azzana, au village perdu au loin dans les montagnes, sous la neige. Elle est seule, loin de tout elle aussi, loin du monde. Elle attend. Elle attend le retour des chèvres et, plus loin encore, celui du printemps. Les chèvres prennent le chemin des écoliers, jamais elles ne se pressent. Elles tardent à se montrer au détour du chemin. Elle tend l’oreille. Des froissements d’ailes, des crépitements d’élytres, des pépiements d’oiseaux. Des battements de becs. Elle est encerclée de menus bruits. Un peu plus tard, tapie à nouveau dans d’autres fourrés, à hauteur de la Croix, elle épiera les cris de Papo rameutant son troupeau de chèvres. « Rra, rra ». Un corbeau lui répond. Les cris se précisent et s’enflent. « Tjgoé, oé, oé, oé… Wéa, éja ! Joé, tjoé ! Aië, aïe aïe ! aoj, aoj ! Waoé… » Deux gouttes de pluie tombent sur sa main. Le moteur du dodge s’éloigne. Les chèvres ne passeront plus. Il est temps qu’elle sorte de sa tanière. Il est temps qu’elle prenne la route du retour.


         Une belle lumière, tout en retenue, inonde le cirque des montagnes. Au sortir d’une courbe, elle traverse un ballet d’insectes qui dansent dans un dernier rai de soleil. Elle repasse sous Linaghje. Les arrondis des murettes viennent à sa rencontre, découvrent leurs marches moussues. Elle marche pour oublier que chaque jour ici ressemble à un dimanche. Elle marche pour oublier l’absence, toutes les absences. Le rythme de ses pas comme une lallation. Une odeur de feu de bois enjambe la route. Il n’y a plus que cela. La lumière, les bruits, les odeurs. Plus rien d’autre ne semble exister. Tout semble loin, comme effacé de l’horizon. Ou enfoui quelque part dans l’invisible de sa chair, sous sa peau, sous ses muscles. Elle se rapproche du ciel et des nuages, parfois, le soir, de la nuit étoilée. Toutes ces étoiles, ces milliers de minuscules lumières qui clignotent impassibles au-dessus de sa tête ! Elle frissonne, d’effroi et d’admiration. Tout tient, à longueur de jour, dans cette beauté insaisissable.


         Elle ne cotillonnera pas ce soir !

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Take me away in wonderland



    Wonderland1.jpg
    Ph. angèlepaoli





    TAKE ME AWAY IN WONDERLAND


    Brooklyn ― ponts des poètes et quais de canicule ― tubulures d’acier ancrées plein ciel
    cheminées d’usine lancées dans la lumière
    immeubles emballés de verre bleu Cristo
    rouleaux de barbelés serpentant sur les murs
    rues offertes aux mammas de couleur tirant caddies et bambins
    joueurs de dominos assis au coin des rues ― sourires et
    quelques mots échangés sur le pouce ―
    femmes édentées usées d’ivresses titubantes
    ouvriers et passants s’engouffrent dans les stores [je les suis]
    pharmacies rayonnages emplis de denrhétéroclites
    passées





    P1010029
    Ph. angèlepaoli





    Brooklyn enchevêtrement de formes vitraux de couleur sertis de black
    chahuants regards écarquillés de vide [je vous vois] rhinocéros briques dardées de piques
    noires
    bric-à-brac de tonneaux empilement de pneus fauteuils-osiers abandonnés pas de portes
    et trottoirs
    métamorphoses antiques de baignoires bacs à fleurs
    Brooklyn escaliers de fer rouge incendie arpentant jusqu’aux nues les façades


    Brooklyn déploie ses murs ondulations de rêves
    Brique qui double la ville prise dans son miroir d’imaginaire


    lubriques les mermaids chevauchent les dragons enroulements de queues sur les anneaux
    décors en superposition « Joe’s auto » livre le visage mutin de sa sirène triste algue vibrante de ses enlacements les pneus montent en colonne caoutchouc à l’assaut du mur de crasse « Joe’s auto »
    un van zèbre l’asphalte playgirl.com l’éphèbe nu bande ses muscles sur fond violine de tôle et
    disparaît


    Surgit dans son sillage de chaleur la sylphide beauté rivée à son pylône
    arrogant du regard la rue passante et ses mystères
    enchaînée fièrement à son pilier de stuc
    la belle à la peau blanche hisse son corps de liane désirante-désirable rutilante moto
    lance d’un coup de reins ses chromes dans l’éther
    des serpents sifflent trouant le cercle de verdure peinte
    phylactère in the darkness
    Friedrich Blitzkrieg in the thunderclouded valley of the deathless gods





    Wonderland3
    Ph. angèlepaoli





    Alice in melancholyland verse sa bile noire dans sa mandorle de paon
    take me away supplie-t-elle regard de braise take me away in wonderland.


    Angèle Paoli, Le Scriptorium, Portrait de groupe en poésie (anthologie poétique), BoD, 2010, pp. 58-59.
    D.R. Texte angèlepaoli

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  • 11 septembre 2001/Don DeLillo, L’Homme qui tombe

    Éphéméride culturelle à rebours





    Ground Zero 1
    Ph. angèlepaoli




    I



         Ce n’était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravats et la boue et des gens le dépassaient en courant, avec des serviettes de toilette contre la figure ou des vestes par-dessus la tête. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures à la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dépassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, désorientés et maladroits, avec les débris qui tombaient autour d’eux, et il y avait des gens qui se réfugiaient sous des voitures.
         Le grondement était encore dans l’air, le fracas de la chute. Voilà ce qu’était le monde à présent. La fumée et la cendre s’engouffraient dans les rues, explosaient au coin des rues, des ondes sismiques de fumée, avec des ramures de papier, des feuillets standard au bord coupant, qui planaient, qui voltigeaient, des choses d’un autre monde dans le linceul du matin.
         Il était en costume et portait une mallette. Il avait du verre dans les cheveux et sur le visage, des éraflures marbrées de sang et de lumière. Il longea le panneau Breakfast Special et ils continuaient à courir alentour, des policiers et des volontaires de la garde nationale qui couraient, la main sur la crosse du revolver pour maintenir l’arme en place.
         À l’intérieur les choses étaient lointaines et immobiles, là où il était censé être. Cela se passait partout autour de lui, une voiture à moitié enfouie sous des débris, les fenêtres fracassées avec des bruits qui en sortaient, des voix radiophoniques qui grésillaient devant le désastre. Il voyait courir des gens qui ruisselaient, le corps et les vêtements trempés d’eau des bouches d’arrosage. Il y avait des chaussures abandonnées dans la rue, des sacs à main et des ordinateurs portables, un homme assis sur le trottoir qui crachait du sang. Des gobelets en carton voletaient étrangement.
         Voilà ce qu’était aussi le monde, des silhouettes aux fenêtres, à trois cents mètres du sol, qui basculaient dans l’espace, et la puanteur du kérosène en feu, et le déchirement ininterrompu des sirènes dans l’air. Le bruit était partout où ils couraient, un bruit stratifié qui s’amassait autour d’eux, et il s’en éloignait et s’en rapprochait en même temps.
         Puis il y eut autre chose, en dehors de tout cela et qui n’en faisait pas partie, séparé, et qu’il regarda descendre. Une chemise descendait des profondeurs de la fumée, une chemise voltigeait et planait dans la lumière chiche puis poursuivait sa chute, en direction du fleuve.
         Ils couraient et ils s’arrêtaient, certains, flageolant là sur leurs jambes, essayant d’aspirer un peu d’air arraché à la fournaise et aux cris d’effroi incrédule, aux jurons et aux hurlements creux, et aux tombereaux de papier dans les airs, contrats, curriculum vitae qui passaient au vol, miettes intactes de business emportées par le vent.


    Don DeLillo, L’Homme qui tombe, Actes Sud, 2008, pp. 11-12. Roman traduit de l’américain par Marianne Véron.





    Ground Zero II
    Ph. angèlepaoli

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  • Antonella Anedda | 11 septembre 2001

    «  Poésie d’un jour  »



    Seguo la scia di luce
    Ph., G.AdC





    11 SETTEMBRE, 2001


    Seguo la scia di luce dentro i mesi, nella cripta autunnale
    ascolto la prima pioggia ampia sulle grondaie.
    Settembre ― dice il calendario a metà consumato con figure
    d’insetti sopra i fogli. Quasi ottobre anticipano i gusci di
    lumaca uno per ogni giorno a disdire con la lentezza la paura.

    Loda queste creature di terra, il volo breve, la mano paziente
    che disegna. Contro il fuoco, il cielo celeste della fede.

    In basso, nell’orto, la raggiante architettura dei lombrichi, un
    velo di formiche sotto il melo. Mi inchino al fango, ai moscerini
    alla lumaca, alla fatica con cui mi sale sulle dita.


    Antonella Anedda, Il catalogo della gioia, Donzelli Poesia, 2003, page 86.





    11 SEPTEMBRE 2001


    Je suis le sillage de la lumière à l’intérieur des mois, dans la crypte automnale
    j’écoute la première pluie, ample, sur la gouttière.
    Septembre ― dit le calendrier à moitié consommé avec ses figures
    d’insectes sur les feuilles. Presque octobre en avance les coquilles
    d’escargots une pour chaque jour comme pour réfuter la peur avec la lenteur.

    Loue ces créatures de la terre, leur vol bref, la main patiente qui dessine.
    Contre le feu, le ciel céleste de la foi.

    En bas, dans le jardin, l’architecture rayonnante des lombrics, un
    voile de fourmis sous le pommier. Je m’incline devant la boue, devant les moucherons
    devant l’escargot, devant la fatigue avec laquelle il grimpe sur mon doigt.


    Antonella Anedda, Il catalogo della gioia, in Po&sie, 1975-2004, numéro 110, « Trente ans de poésie italienne », II, Éditions Belin, 2005, page 402. Traduction de Martin Rueff.






    ANTONELLA ANEDDA


    Antonella_anedda
    Source



    ■ Antonella Anedda
    sur Terres de femmes

    février, nuit
    mars, nuit
    mai, nuit
    octobre, nuit
    novembre, nuit
    13 décembre **** | Fête de sainte Lucie (décembre, nuit)
    Archipel
    Avant l’heure du dîner (+ notice bio-bibliographique)
    Le dit de l’abandon
    Frontières (extrait d’Historiae)
    Per un nuovo inverno
    Ritagliare
    S
    10 février 2013 | Antonella Anedda, Senza nome. Sartiglia (extrait de Salva con nome)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Salva con nome
    → (dans la Galerie « Visages de femmes ») le portrait d’
    Antonella Anedda (+ deux poèmes extraits de Nomi distanti et de Notti di pace occidentale)



    ■ Voir aussi ▼

    → les pages que le site Italian Poetry a consacrées à
    Antonella Anedda
    → (sur Poetry International Web) un dossier
    Antonella Anedda
    → (sur Niederngasse 16, janvier-mars 2006) un entretien (en italien) avec Antonella Anedda
    → (sur Her circle ezine)
    Antonella Anedda: Encounters with Silence, the Page, and the World (7 mars 2008)
    → (sur La dimora del tempo sospeso) de longs extraits (en italien) des différents recueils d’
    Antonella Anedda
    → (sur books.google.com) d’autres larges extraits de
    Notti di pace occidentale
    → (sur Progetto Babele) une interview (en italien) d’
    Antonella Anedda par Pietro Pancamo



    ■ Voir | écouter ▼

    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes extraits de Residenze invernali, de Notti di pace occidentale et de Salva con nome, dits par Antonella Anedda



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