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Carnets de marche. 19» Retour Incipit de Terres de femmes -
Sophie Loizeau | les rêves les mieux ouvrés
Ph., G.AdC
LES RÊVES LES MIEUX OUVRÉS
les rêves les mieux ouvrés ceux en lisière ― orées
elle se manifeste sous la forme approfondie de l’écriture
mon existence en retour tourmente et éblouit l’arbre, le ciel, l’herbe ;
les a frappées
les vieilles voix sont aux sens des hommes, le soir*
par devers elle (recèle
à la nuit qui tombe toujours, ses châtaigneraies agrandies à leur
fonction fictive
en fin d’après-midi
je retourne avant la nuit adorant la basse lumière d’automne
maintenue à ce niveau
avancée dans mon dos de diane forme chinoise
rêver lire écrire, me souvenir, imaginer le tout vient se lier en un corps
rarement diane dressée frisa la représentation phallique et banda l’arc
le plus souvent elle se nymphose au sol dans un cocon léger le faisant
ce qu’elle apporte au centre phosphorescent du mythe par son
activité intime
Sophie Loizeau, La Femme lit, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2009, page 90.
* René Ghil, Finale
SOPHIE LOIZEAU
Ph. © Adrienne Arth
Source
■ Sophie Loizeau
sur Terres de femmes ▼
→ Bergamonstres (note de lecture d’Angèle Paoli sur Bergamonstres, publiée dans la revue Europe d’août-septembre 2008)
→ [L’œil persiste aux lisières] (extrait du Corps saisonnier)
→ vendredi (extrait de Bergamonstres)
→ caudal (extraits)
→ [Moabi quand tout va bien] (extrait de Ma maîtresse forme)
→ (dans l’anthologie Terres de femmes) le bain de diane [extrait du roman de diane, paru en mai 2013 aux éditions Rehauts]
■ Voir aussi ▼
→ le site personnel de Sophie Loizeau
→ (dans Levure littéraire n° 7) un entretien de Sophie Loizeau avec Rodica Draghincescu
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique consacrée à Sophie Loizeau
→ (sur le site de l’écrivain Claude Ber) une bio-bibliographie de Sophie Loizeau
→ (sur le site des éditions L’Amandier) une bio-bibliographie de Sophie Loizeau
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» Retour Incipit de Terres de femmes -
1er septembre 1940 | Naissance d’Annie ErnauxÉphéméride culturelle à reboursLe 1er septembre 1940 naît à Lillebonne (Seine-Maritime) Annie Ernaux.
Après Les Armoires vides, premier roman paru en 1974 et La Femme gelée, publié en 1981, Annie Ernaux, agrégée de lettres modernes, obtient le prix Renaudot avec La Place, en 1984. Les romans récents, Une femme (1988), Passion simple (1992), Journal du dehors (1993) continuent d’explorer, dans une écriture volontairement épurée, les ressorts de la passion, éprouvée par la femme mûre. En 2008, Annie Ernaux a publié Les Années.
PASSION SIMPLE (Extrait)
À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. J’allais au supermarché, au cinéma, je portais des vêtements au pressing, je lisais, je corrigeais des copies, j’agissais exactement comme avant, mais sans une longue accoutumance de ces actes, cela m’aurait été impossible, sauf au prix d’un effort effrayant. C’est surtout en parlant que j’avais l’impression de vivre sur ma lancée. Les mots et les phrases, le rire même se formaient dans ma bouche sans participation réelle de ma réflexion ou de ma volonté. Je n’ai plus d’ailleurs qu’un souvenir vague de mes activités, des films que j’ai vus, des gens que j’ai rencontrés. L’ensemble de ma conduite était factice. Les seules actions où j’engageais ma volonté, mon désir et quelque chose qui doit être l’intelligence humaine (prévoir, évaluer le pour et le contre, les conséquences) avaient toutes un lien avec cet homme :
lire dans le journal les articles sur son pays (il était étranger)
choisir des toilettes et des maquillages
lui écrire des lettres
changer les draps du lit et mettre des fleurs dans la chambre
noter ce que je ne devais pas oublier de lui dire, la prochaine fois,
qui était susceptible de l’intéresser
acheter du whisky, des fruits, diverses petites nourritures pour la soirée ensemble
imaginer dans quelle pièce nous ferions l’amour à son arrivée.
Dans les conversations, les seuls sujets qui perçaient mon indifférence avaient un rapport avec cet homme, sa fonction, le pays d’où il venait, les endroits où il était allé. La personne en train de me parler ne soupçonnait pas que mon intérêt soudain intense pour ses propos n’était pas dû à sa façon de raconter, et très peu au sujet lui-même, mais au fait qu’un jour, dix ans avant que je le rencontre, A., en mission à La Havane, était peut-être entré justement dans ce night-club, le « Fiorendito » que, stimulée par mon attention, elle me décrivait avec un luxe de détails. De même, en lisant, les phrases qui m’arrêtaient avaient trait aux relations entre un homme et une femme. Il me semblait qu’elles m’apprenaient quelque chose sur A. et donnaient un sens certain à ce que je désirais croire. Ainsi, lire dans Vie et destin de Grossman que « lorsqu’on aime on ferme les yeux en embrassant » me portait à imaginer que A. m’aimait puisqu’il m’embrassait ainsi. Le reste du livre, ensuite, redevenait ce que toute activité a été pour moi pendant une année, un moyen d’user le temps entre deux rencontres.
Annie Ernaux, Passion simple, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1991, pp. 13-14-15.
■ Annie Ernaux
sur Terres de femmes ▼
→ 16 janvier 1989 | Annie Ernaux, Se perdre
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Carnets de marche. 18Retour au répertoire de septembre 2009
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TdF n° 58 ― septembre 2009
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SOMMAIRE DU MOIS DE SEPTEMBRE 2009
▪ Terres de femmes ― N° du mois d’août 2009
▪ Carnets de marche. 18 (Angèle Paoli)
▪ 1er septembre 1940/Naissance d’Annie Ernaux
▪ Sophie Loizeau/les rêves les mieux ouvrés
▪ Carnets de marche. 19 (Angèle Paoli)
▪ Antonella Anedda/11 septembre 2001
▪ 11 septembre 2001/Don DeLillo, L’Homme qui tombe
▪ Take me away in wonderland (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 20 (Angèle Paoli)
▪ Gérald Neveu/Rite
▪ Samira Negrouche/Tes vagues
▪ Eva Almassy/Des petites filles qui rient dans le soleil (note de lecture d’Angèle Paoli)
▪ Guy Goffette/Ainsi nos pas
▪ Carnets de marche. 21 (Angèle Paoli)
▪ 20 septembre 1971/Mort de Georges Séféris
▪ Lorand Gaspar/Voici des mains
▪ Brina Svit, Petit éloge de la rupture (note de lecture d’Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 22 (Angèle Paoli)
▪ 24 septembre 1871/Victor Hugo, Choses vues
▪ 25 septembre 1609/Angélique Arnauld, « la journée du guichet »
▪ Benjamin Fondane/Ulysse – XXIII
▪ Vivian Lofiego/Les arbres multiplient leurs branches…
▪ Carnets de marche. 23 (Angèle Paoli)
▪ Alessandro Ceni/Mattoni per l’altare del fuoco
▪ Terres de femmes ― N° du mois d’octobre 2009
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Terres de femmes ― Sommaire du mois d’août 2009
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SOMMAIRE DU MOIS D’AOÛT 2009
▪ Terres de femmes ― Sommaire du mois de juillet 2009
▪ 1er août 1912/Pierre Bonnard à la Galerie Bernheim-Jeune
▪ Carnets de marche. 1 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 2 (Angèle Paoli)
▪ Juan Gelman/el ángel de la tarde
▪ Carnets de marche. 3 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 4 (Angèle Paoli)
▪ Sandra Moussempès/Penny Prose
▪ Carnets de marche. 5 (Angèle Paoli)
▪ 5 août 1850/Naissance de Guy de Maupassant
▪ Bernard Bretonnière/Inoubliables et sans nom
▪ 6 août 2001/Mort de Jorge Amado
▪ Carnets de marche. 6 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 7 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 8 (Angèle Paoli)
▪ 8 août 117/Hadrien, empereur de Rome
▪ Carnets de marche. 9 (Angèle Paoli)
▪ 9 août 1908/Naissance de Tommaso Landolfi
▪ Carnets de marche. 10 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 11 (Angèle Paoli)
▪ Carnets de marche. 12 (Angèle Paoli)
▪ Marc Delouze/Ravello
▪ 18 août 1912/Naissance d’Elsa Morante (note de lecture d’Angèle Paoli sur Récits oubliés)
▪ 19 août 2004/Fabienne Courtade, le cœur bat très vite
▪ 20 août 1878/William Carlos Williams, Paterson
▪ 21 août 1995/Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau
▪ Fabio Pusterla/Arte della fuga
▪ Carnets de marche. 13 (Angèle Paoli)
▪ William Cliff/Cape Cod, 7
▪ Carnets de marche. 14 (Angèle Paoli)
▪ Zéno Bianu/Du plus loin…
▪ Carnets de marche. 15 (Angèle Paoli)
▪ Antoine Emaz/La poésie ?
▪ Ludovic Degroote/Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G. (Chroniques de femmes)
▪ Carnets de marche. 16 (Angèle Paoli)
▪ Michele Tortorici/Vicino al faro
▪ 30 août 1811/Naissance de Théophile Gautier
▪ Maria Luisa Spaziani/Notte marina
▪ Carnets de marche. 17 (Angèle Paoli)
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Carnets de marche. 17Retour au répertoire d’ août 2009
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Maria Luisa Spaziani | Notte marina
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NOTTE MARINA
La mano, quella vergine radice.
L’innocenza del graffio felino.
Mezzaluna di zucchero dei denti
nel rito di una notte senza luna.
Quell’anca, conca di ciliegi in fiore.
Il vento un secco brivido.
Il buio capelvenere, lunetta
sul bianco di una pagina sognata.
(Verso che mi verrà.)
Quel respiro, risacca dell’oceano.
Il mio pietrisco umido scintilla.
Sprofondare da immani scogliere
Sbocciare in zone altissime.
Fulminarsi toccando le stelle
Maria Luisa Spaziani, Geometria del disordine, 1981, in Poesie 1954-2006, Arnoldo Mondadori editore, edizione Oscar Poesia del Novecento, dicembre 2010, pp. 217-218.
NUIT MARINE
La main, cette racine vierge.
L’innocence d’une féline égratignure.
Demi-lune de sucre des dents
dans le rite d’une nuit sans lune.
Cette hanche, ce val de cerisiers en fleurs.
Le vent un bref frisson.
L’obscur chèvrefeuille, petite lune
sur le banc d’une page rêvée.
(Un vers qui me viendra.)
Cette respiration, ressac océanique.
Mon lit de menus cailloux humide étincelle.
Se précipiter de gigantesques rochers.
Ressurgir en de très hautes régions.
Se sentir foudroyé au toucher des étoiles.
Maria Luisa Spaziani, « Geometria del disordine », in Promenades en poésie italienne contemporaine en 33 auteurs, anthologie établie par Hughes Labrusse, Renzo Milani, André Ughetto, Sud Domaine étranger, Marseille, 1984, page 218. Traduction d’André Ughetto.
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Née le 7 décembre 1922 à Turin, Maria Luisa Spaziani a vécu à Rome et a été professeur de langue et de littérature allemande, puis de littérature française à l’Université de Messine. Présidente du Prix Montale et fondatrice en 2005 de l’Universitas Montaliana di Poesia, Maria Luisa Spaziani a publié de nombreux recueils de poésie : Le acque del sabato (1954), Il gong (1962), Utilità della memoria (1966), L’occhio del ciclone (1970), Transito con catene (1977), Geometria del disordine (1981, Prix Viareggio), La stella del libero arbitrio (1986), I fasti dell’ortica (1996), La traversata dell’oasi (2002), La luna è già alta (2006).Auteure du poème-roman Giovanna d’Arco (1990), Maria Luisa Spaziani fut également critique littéraire et traductrice. Parmi ses auteurs de prédilection figurent Ronsard, Racine, Goethe, Shakespeare, Marguerite Yourcenar, Michel Tournier.Maria Luisa Spaziani est morte à Rome le 30 juin 2014.
MARIA LUISA SPAZIANI
Source
■ Maria Luisa Spaziani
sur Terres de femmes ▼
→ Parapsicologia (poème extrait de Transito con catene)
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur repubblica.it) une notice nécrologique sur Maria Luisa Spaziani
→ (sur rainews.it) une interview (en italien) de Maria Luisa Spaziani par Luigia Sorrentino (mai 2011)
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30 août 1811 | Naissance de Théophile Gautier
Le 30 août 1811 naît à Tarbes Pierre-Jules-Théophile Gautier. Il est le fils d’Adélaïde Cocard et de Jean-Pierre Gautier, fonctionnaire des contributions directes.
Poète dans l’âme ― nourri par son amitié avec Gérard de Nerval et son admiration pour Victor Hugo ―, les aspirations et croyances de Théophile Gautier s’affirment dès sa vingtième année et continuent de se ciseler tout au long de sa création littéraire. Amour de l’art et de la liberté de l’artiste, quête de l’absolu et du beau idéal, soif jamais assouvie de « l’impossible unité » caractérisent l’univers du « poète impeccable ».
Écrivain polygraphe, l’auteur de Mademoiselle de Maupin ― publié chez Renduel en 1835 ― et d’Émaux et Camées ― recueil de poèmes marqué du double sceau du souci de la perfection et l’angoisse de la mort, paru chez Eugène Didier en 1853 ― est aussi un brillant journaliste, apprécié pour son goût méticuleux de la précision et son talent d’observateur. Gautier, qui se voit confier de nombreux reportages par les directeurs de journaux, visite la Belgique et la Hollande en 1836, l’Espagne en 1840, l’Italie en 1850, Constantinople en 1852, l’Allemagne en 1854 et en 1858, la Russie en 1858 et en 1861, l’Égypte en 1869.
De son séjour en Italie, effectué de juillet 1850 à novembre de la même année, Théophile Gautier rapporte un carnet intitulé Venise.
Tiziano Vecelli,
Ritratto di giovane donna, v. 1536
Huile sur toile 96 x 75 cm
Musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg
VENISE 1850
« Ce qu’il y a de charmant surtout chez les Vénitiennes, c’est la nuque, l’attache du col et la naissance des épaules. On ne saurait rien imaginer de plus svelte, de plus élégant, de plus fin et de plus rond. Il y a du cygne et de la colombe dans ces cols qui ondulent, se penchent et se rengorgent ; sur les nuques se tordent de petits cheveux follets, de petites boucles rebelles, échappées aux morsures du peigne, avec des jeux de lumière, des pétillements de soleil, des éclairs d’ombre à ravir un coloriste. ― Après une promenade aux jardins publics, on ne s’étonne plus de la splendeur dorée de l’école vénitienne ; ce qu’on croyait un rêve de l’art n’est que la traduction quelquefois inférieure de la réalité. Nous avons suivi bien souvent quelques-unes de ces nuques sans même essayer de voir la tête qu’elles portaient, nous enivrant de ces lignes si pures et de cette chaude blancheur.
Une fois même nous fîmes à travers l’écheveau des ruelles de Venise la promenade la plus embrouillée à la suite d’une belle nuque qui n’y comprenait rien et nous prenait pour un galantin opiniâtre et imbécile.
C’était une grande fille brune, par extraordinaire, ayant beaucoup de ressemblance avec Melle Rachel pour l’élégance longue et fine de son corps et les attaches antiques de son col. Elle avait une dignité si parfaite de mouvements que son grand châle rouge de barège semblait sur elle le manteau de pourpre d’une reine. Jamais la grande tragédienne n’a fait prendre à ses péplums et à ses tuniques des plis plus beaux et plus nobles. Elle marchait si vite, faisant écumer autour d’elle le volant de sa robe bleue, comme les vagues aux pieds de Thétis, avec une aisance et une fierté d’allure dont une grande coquette eût été jalouse. Nous la perdions souvent à travers les masses des promeneurs, mais la rouge étincelle de son châle nous guidait comme l’éclat d’un phare et nous la retrouvions toujours.
Ce pourchas avait commencé sur la place Saint-Marc. Près du pont de la Paille, la belle s’arrêta et causa quelques instants avec un vieil homme basané, gris de barbe et de cheveux, gondolier ou pêcheur qui semblait être son père. Le vieillard lui donna quelque argent, puis elle s’enfonça dans une de ces petites ruelles qui débouchent sur le quai des Esclavons. Après beaucoup de détours dans ce dédale de ruelles, de sotto portico, de canaux, de ponts qui égarent si souvent l’étranger à Venise, elle fit halte, sans doute pour se débarrasser de l’ombre qui la suivait à distance, devant une de ces boutiques de poissons en plein vent où le thon se débite par rouges tranches ; elle marchanda longuement un morceau qu’elle ne prit pas. Elle se remit en marche tournant imperceptiblement la tête sur l’épaule, et roulant sa prunelle dans le coin de l’œil pour voir si elle était débarrassée de son attentif. Quand elle s’aperçut du contraire, elle fit un geste de mauvaise humeur qui la rendit encore plus charmante, et continua sa route par les rues, les places, les ruelles, les passages, les ponts à escaliers, de manière à nous désorienter complètement. Elle nous mena ainsi, de son pas agile et toujours pressé, du côté de l’Arsenal, dans un quartier désert, jusqu’à une place où s’élève une façade d’église non achevée, et là se jeta comme une biche effarée contre une porte qui s’ouvrit et se referma aussitôt.
Entre toutes les suppositions que put faire cette pauvre enfant, attaque galante, séduction, enlèvement, elle ne s’imagina certainement pas qu’elle était saisie par un poète plastique qui donnait une fête à ses yeux et cherchait à graver dans son souvenir comme une belle strophe ou un beau tableau cette nuque charmante qu’il ne devait plus revoir.
Théophile Gautier, Venise, Éditions de l’Amateur, 2008, pp. 93-94-98.
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Michele Tortorici | Vicino al faro
VICINO AL FARO
Attraversa il vento labirinti di nulla, muri bassi
di pietre secche dove sali
di mare e di terra si confondono. Ti sorprendi
che l’immenso cammino dell’aria sotto il cielo
possa tracciare così fini ricami sulle mille
scabre schegge d’arenaria o inanellare
danze su questa arsa isola che dedali
di pazienti fatiche innalza. Vicino al faro
si apre in bassi scogli la piana. Un’altra
isola a occidente segna appena
una pausa dello sguardo ma sai bene
che al vento sottrae soltanto una nascosta
rada con poche sbigottite barche. Al di là
non sapresti se cercare
altre isole ancora o altri mari ; altro da queste
secche pietre che inutilmente chiudono
ombre e forse qualche piccolo rettile
guizzante e si lasciano ingannare
dal vento che le accarezza e intanto
le consuma ; altro da te come una provvisoria
— ma profonda — conoscenza che l’animo investe
con raffiche ineguali e passa, ma intanto
ha trasformato ciò che sei, ciò che pensi.
Ora vicino al faro si condensa
una foschia che fa sentire
acqua salata sulla pelle, che ti fa
animale marino, che ti unisce
a ciò che poco prima per un attimo
ha attraversato la tua mente, che profonda
te nel libero
divenire di ogni cosa e ti dà senso.
Michele Tortorici, La mente irretita, Manni Editori, San Cesario di Lecce, 2008, page 16.
PRÈS DU PHARE
Le vent traverse des labyrinthes de néant, des murs bas
de pierres sèches où les sels
de la mer et de la terre se confondent. Tu es surpris
que l’immense chemin de l’air sous le ciel
puisse tracer de si fines broderies sur les mille
éclats rugueux de grès ou nouer
des danses sur cette île brûlée qui érige
des dédales de patientes fatigues. Près du phare
s’ouvre en bas des récifs la plaine. Une autre
île à l’ouest marque à peine
une pause du regard mais tu sais bien
qu’elle ne fait que soustraire au vent une rade
cachée et quelques barques affolées. Au-delà
tu ne saurais s’il faut chercher encore
d’autres îles ou d’autres mers ; autre chose que ces
pierres sèches qui vainement enferment
des ombres et peut-être quelque petit serpent
frétillant, et se laissent abuser
par le vent qui les caresse et en même temps
les dévore ; autre chose que toi comme une provisoire
— mais profonde — connaissance qui assaille l’esprit
par rafales irrégulières et qui passe, mais en même temps
a transformé ce que tu es, ce que tu penses.
Maintenant près du phare se condense
une brume qui rend sensible
l’eau salée sur la peau, qui fait de toi
un animal marin, qui t’unit
à ce qui juste avant, pour un instant,
a traversé ton esprit, qui te plonge
dans le libre
devenir de toute chose et te donne un sens.
Michele Tortorici, La Pensée prise au piège, éditions vagabonde, 2010, pp. 25-27. Traduction de Danièle Robert.
________________________________________________
NOTE d’AP : début juin 2009 a paru, dans la revue semestrielle marseillaise Il particolare, n° 19/20, une importante anthologie (dix poèmes) du recueil La mente irretita [La Pensée prise au piège] de Michele Tortorici. Dans une traduction de Danièle Robert (voir à ce sujet la recension de Ronald Klapka sur le site de la revue Sitaudis, et le site de Michele Tortorici). La version française (édition bilingue) de La Pensée prise au piège a paru aux éditions vagabonde (13001 Marseille) fin septembre 2010. Traduction et préface de Danièle Robert.
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE (rédigée par Danièle Robert)
Né à Trapani (Sicile) en 1947, Michele Tortorici a d’abord enseigné les lettres dans le secondaire. Il a dirigé et co-écrit une Histoire de la littérature italienne (Storia della letteratura italiana nell’orizzonte europeo) en 1993 ainsi que de nombreux articles et essais sur la littérature, l’art et la culture. Il travaille actuellement à Rome où il s’occupe plus particulièrement de logique hypertextuelle et des moyens de communication numériques.
Son premier recueil de poèmes, La mente irretita (La Pensée prise au piège) a paru aux éditions Manni en 2008 (trad. fr., éd. Vagabonde, septembre 2010) ; il regroupe des textes écrits entre 2002 et 2007, dont l’ensemble se déploie selon trois thèmes directeurs : d’abord La vita dell’isola, évocation de Favignana, la principale des îles Égades situées à l’ouest de la Sicile ; c’est là le berceau familial. À l’opposé, l’évocation par fragments et en touches discrètes de certaines villes qui comptent beaucoup pour lui, à des titres divers : Bologne, Turin, Gênes, La Spezia, Venise, New York : Fermate di città. Entre les deux, un ensemble de rêveries, de souvenirs, de réflexions mettant parfois en scène des êtres ou des objets qui forment la trame de sa vie : Come ogni giorno.
En mai 2009 a été publié aux éditions Campanotto un nouveau recueil de quatre poèmes intitulé : I Segnalibri di Berlino – Berliner Lesezeichen, avec une traduction allemande de Giangaleazzo Bettoni. En 2010, Versi inutili e altre inutilità chez Edicit, et en 2012, Viaggio all’osteria della terra chez Manni Editori.
La musique de Michele Tortorici saisit le lecteur dans une infinie douceur, l’enveloppe, l’entraîne dans ses rythmes, ses ruptures, ses vagabondages joyeux ou mélancoliques, la pureté de son phrasé. Profondeur de la réflexion, poésie de l’intime qui donne à penser avec retenue, élégance et délicatesse. Un mot magnifique de la langue italienne résume l’ensemble de ces qualités : Morbidezza.
■ Michele Tortorici
sur Terres de femmes ▼
→ La Pensée prise au piège (un extrait du recueil éponyme)
→ La cala di Zaccu (poème extrait de Viaggio all’osteria della terra. Traduit de l’italien par AP)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions vagabonde) la préface de La Pensée prise au piège, par Danièle Robert
→ le site personnel de Michele Tortorici
→ (sur Terres de femmes) Ovide, Héroïdes, Lettre de Didon à Énée (extrait de la traduction des Héroïdes par Danièle Robert)
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