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  • Christine Duminy-Sauzeau | il Pleut debout | pensées diurnes & nocturnes

     

                                                                                                                                                                   <<Poésie d'un jour

     

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    Source

     

     

     

    Pensées diurnes

    Il est 19h30, atterrissage à Montréal
    La voix de l’hôtesse nous demande de retarder notre montre de six heures. Nous allons donc revivre les six heures qui nous ont déjà paru si longues. Revivre n’est pas le mot, bien sûr. Ce qu’il faut reprendre c’est le temps, six heures de temps et ça, tu le remplis comme tu veux. Si possible autrement. Quoi de commun en effet entre six heures coincée dans une carlingue et six heures de découverte impatiente… 

    Pensées nocturnes

    Écrire, la mer
    C’est joli l’intérieur d’une main qui écrit, avec les doigts recourbés, d’un rose nacré, comme le cœur d’un coquillage. Oui, un coquillage. Est-ce pour cela que j’entends la mer lorsque j’écris, pourtant dans le silence. 

    Pensées diurnes

    Shoot aux bonbecs
    Un carambar, un haribo, vont-ils me consoler des souvenirs perdus ?

    Tandis qu’on s’éloigne…
    Autour d’un feu, les gens ne sont pas les mêmes : non seulement chacun est différent, mais les relations entre eux changent ; quelque chose se dissout et s’élève comme, avec les escarbilles dans l’air du soir. On se sent différent et on sent bien que l’autre à ses côtés l’est aussi. Mais de tout cela on ne se rend compte que plus tard, dans l’odeur persistante de la fumée, tandis qu’on s’éloigne.

    Oxymore de vie
    Ce qui me frappe, c’est que les choses peuvent marcher TRES bien sur un fond de catastrophe généralisé. 

    Pensées nocturnes

    Dressage mal-t-à propos
    Dresser en femme d’intérieur une future femme d’extérieur, quel ratage !

    Pensées diurnes

    Doriane Gray
    C’est incompréhensible. Avec toutes ces idées noires que j’ai passé ma vie à ruminer, j’ai toujours gardé un air de fraîcheur, le teint rose, l’œil vif, le nez en trompette… Incompréhensible…

    Pensées nocturnes

    Ubiquité rêvée
    Un soir, il m’est arrivé d’avoir ÉGALEMENT envie de lire deux romans achetés ensemble et entamés l’un après l’autre pour la raison anecdotique que l’un se trouvait ici et l’autre là, au gré de mes fréquents changements de cap entre ici et là. Les voyant enfin réunis, l’idée m’a traversé l’esprit un soir, en me couchant un livre dans chaque main, de les lire en même temps. C’était comme un rêve : être emplie, gavée de lecture. Et mes deux héroïnes, qui d’ailleurs avaient à voir l’une avec l’autre, les avoir toutes les deux ENSEMBLE, les faire se rencontrer.
    Mais dans la réalité, tandis que je retrouvais celle que j’avais laissée de côté depuis plus longtemps, l’autre est restée sur mes genoux.

    Rêvouréalité
    Parfois je fais la planche entre rêve et réalité. L’équilibre est difficile à tenir longtemps. Souvent je coule.

    « Un caillou dans la chaussure »
    J’ai toujours eu « un caillou dans la chaussure ». Ma mère me disait « toi, ça ne va jamais ! » et mon arrière-grand-mère (elle qui avait survécu à l’épidémie de cholera ayant décimé sa famille et me racontait l’enterrement de Victor Hugo comme si j’y étais) « toi, il te manque toujours deux liards pour faire un sou ! » et c’était vrai, je ressentais en permanence une gêne, un manque. Je n’étais pas assez mûre pour dire qu’en fait je ne me sentais pas à ma place, je n’étais pas d’ici. Ici j’étais à l’étroit, j’avais soif d’autre chose.

    Un prêté pour un rendu
    J’ai toujours été « un caillou dans la chaussure » pour ma famille, mes chefs d’établissement, mes collègues… je n’ai jamais été incluse, jamais appartenu à, été comme : différente à tout jamais, mais incontournable (ce n’est pas le mot que je cherche) comment le dire autrement : un caillou dans la chaussure. 

    Pensées diurnes

    Cadeau du ciel ?
    Clémence du temps en ce lendemain de catastrophe : maintenant il pleut debout !

     

    Duminy

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Christine Duminy-Sauzeau, il Pleut debout, pensées diurnes & nocturnes, Atelier du Hanneton, 2023,pp.9, 16, 17, 27, 28, 29, 32, 36, 43.

     

    Photo Christine Duminy-Sauzeau_Manolis Bibilis

     

     

     

     

     

     

     

    Christine Duminy-Sauzeau est membre du collectif Écrits/Studio depuis 2017.  Voici  ce que Christine Duminy-Sauzeau écrit d'elle:

    « Je n’ai jamais cessé, dans les marges d’une vie consacrée à la recherche, la formation et la pratique des ateliers d’écriture, en France ou à l’étranger, ainsi qu’à la vie culturelle au sein d’une Maison de poésie, de poursuivre mon activité première, depuis l'enfance, qui est le rêve (au sens classique, qui supposait un travail mental sur le réel ou sur soi). Nourrie de lectures lentes, j'ai toujours été fascinée par les mille et une façons de dire, de cerner paysages, situations, sensations, souvenirs, pour les évoquer le plus justement possible, avec la distance qui permet aussi l’humour et même l'ironie.»

     

     

     

    Duminy Sauzeau

     

    CHRISTINE  DUMINY-SAUZEAU

     

    Sur Terres de femmes

    Des choses simples, Zinzinule Éditions, 69006 Lyon, 2019, s.f. Photographies : Géraldine Dubois.

     

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Encéphalogramme du spectacleun entretien de Pauline Catherinot avec Christine Duminy-Sauzeau
    → le site de Géraldine Dubois
    →En ce petit matin de nuit (Éditions Les Monteils – 2019 – Gravures de Marc Granier)
    →Des choses à faire avant de mourir (Éditions Drosera – 2020 – Collages de C & C Ballaré)
    →Le vert des citrons (Éditions Les Monteils – 2021 – Gravures de Marc Granier)
    →Arbres d’hiver (Zinzinules éditions – 2022 – Photographies de Géraldine Dubois)
    →Pluie (Atelier Catherine Liégeois – 2023 – Gravures de Catherine Liégeois)
    →Mon confinement à moi (Éditions Drosera – 2023)
    →Il pleut debout ! pensées diurnes & nocturnes (Atelier du Hanneton – 2023)
    →Bribes (Atelier Catherine Liégeois – 2023)
    →Lichens (Atelier Isa Slivance – à paraître 2024)

     

  • Terres de femmes n° 226―novembre 2023

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    du numéro du mois de novembre 2023

     

    NOVEMBRE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca:  ( G. AdC ) 
     
     

     

  • Joe Bousquet | Le Tableau noir

    << Lecture

     

     

     

    JoeBousquet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

     

     

    Le Tableau noir (Extraits)

         La tenue de mon journal ne me sert plus qu’à lire utilement Montaigne avec le frein d’articulets pour « l’opinion ». Là est tout le gratuit de ma vie.
        Sur L’ombre est mûre, en donnant le ton des rêves qui nous éveillent, j’écris les pensées qui me paraissent fondamentales et que je précise sur Le Tableau noir. Non, à vrai dire, des pensées, mais des actes rendus à la vie de la conscience. Mon intention est d’éveiller dans l’âme les soins de notre conversation, de faire qu’au lieu de se compromettre étourdiment dans sa familiarité avec le corps, elle ne pense qu’en fonction d’elle-même les actes essentiels de notre vie. Sorte de cette contradiction qui lui fait chasser la mort de nos pensées, mais mesurer ses ambitions sur les avantages d’un corps mortel.
          Cet éveil de l’âme et son progrès hors de nos vues trouve son expression la plus naturelle dans la résurrection féérique du pays de mon enfance : un arbre, dont les racines sont dans L’ombre mûre et Le Tableau noir, le mélange du feuillage et des vents dans La Palme et l’ombrage dans mon journal.

                                                                          *
         C’est en oubliant ce que nous sommes pour autrui que nous concevons ce que nous sommes. Il faut cesser de se voir pour se connaître. Notre instinct de conservation partage notre aveuglement. Il met le salut de notre amour-propre avant celui de notre vie.

                                                                          *

          C’est dans la parole que s’accomplit la pureté du regard qui efface les traces.*

                                                                          *

          J’allègerai ma vie du poids de ma personne. C’est le meilleur moyen d’avoir tout le poids de ma vie.

                                                                          *

          Mon écriture restera dépourvue de force si j’ignore la force qu’elle est. Elle me sert à créer la réalité avec mes impressions…
          Comment en édifiant mon lecteur sur ce que j’ai éprouvé, réussirais-je à l’instruire de ce qu’il est lui-même ?

                                                                          *

         Toucher le lecteur avec ce qui m’a ébranlé, c’est bien mal commencer, la sensation que je lui fais partager est en lui mémoire ou ressemblance d’un fait qui m’échappe.
         Mon rôle est de le retrancher de sa vie afin de le mieux absorber dans la plus haute expression de la mienne.
       D’une aventure où je m’absorbe tout entier je dois, avant tout, vous informer comme si je vous tirais avec elle d’un évanouissement. Vous l’apprendre de façon à vous faire oublier tout le reste, et ne parler d’abord qu’à votre pensée qui se donne toute à chaque appel et vous enlève aux impressions à qui elle ne vous donne pas.

                                                                          *

          La connaissance se perd en essayant de se dépasser. Savoir, c’est ne pas trop savoir.

                                                                          *

          Je suis le fondement de mon néant ; et aussi le fondement de ma naissance.

                                                                          *

          Un homme n’est jamais enterré tant qu’il garde son visage et sa lumière dans le vent. Notre corps n’est pas où nous sommes, il nous devance dans la force de ce qui sera et que nos paroles enfièvrent.

                                                                          *

           La vie est prosaïque parce qu’on ne la voit pas comme elle est. Elle est poésie dans sa vérité.

                                                                          *

           Comment l’homme peut-il chercher à se connaître quand il n’existe que dans le poids de son ignorance ?

                                                                          *

           Tu veux te connaître ? Quelle folie. Tu es l’ignorance, et c’est toi qui forces le jour à naître de lui-même.
           Comme la nuit fait apparaître les étoiles.

     

    *. Les passages en italique sont soulignés dans le manuscrit de Joe Bousquet.

     

     

    Europe  Moi

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Joe Bousquet, « Le Tableau noir » in Europe, revue littéraire mensuelle, novembre-décembre 2023, pp.49, 51, 51.

     

     

    Bousquet_soldat_coloriséJoe Bousquet a fait siens sa vie durant les mots de Franz Kafka : « Je ne quitterai plus ce journal, c’est ici qu’il faut que je m’agrippe, car ce n’est qu’ici que je le puis. » Ses cahiers qui lui tiennent lieu de journal sont l’atelier de son écriture biographique, d’une littérature nue, en son essence la plus risquée, sa naissance, son surgissement. Vers la fin de sa vie, dans les années quarante, essentiellement 1945-1946, quand il écrit Le Tableau noir, Joe Bousquet doute de la fiction, doute de la pensée, doute des mots et du langage. Il lui importe avant tout d’écrire la vie, de vivre l’écriture, dans leur immédiateté l’une à l’autre, comme le fera plus tard Roger Laporte. Le Tableau noir nous fait entrer dans l’atelier de Joe Bousquet, l’atelier incessant du langage entier. On lira ici des extraits de ce manuscrit inédit.
                                                                                                          J.G.C

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    JOË   BOUSQUET

    Joë Bousquet

    ■ Joë Bousquet
    sur Terres de femmes ▼

    → Passer
    → 11 septembre 1937 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    → Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet (lecture d’AP)

    ■ Voir aussi ▼

    → Midis

     

     

  • Éric Sautou | Grand Saint Vincent | Lecture d’Olivier Vossot

    Éric Sautou, Grand Saint Vincent
    Éditions Unes 2023
    Lecture d’Olivier Vossot

     

     

     

     

    SOUTOU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Si la poésie aujourd’hui est en partie ce défi, double, de s’arracher à ses propres poncifs tout en forant au plus près de ce qui la travaille, alors le dernier livre d’Éric Sautou, Grand Saint Vincent, chez Unes, n’est pas seulement son livre le plus accompli, il est aussi son plus ambitieux.

    Trois parties le composent, « Le pont noir », « Intérieur » et « Lazare le fils », chacune ayant une figure particulière pour visage et voix – Jeffrey Dahmer, le peintre Léon Spilliaert et Lazare. Ces figures ne sont pas envisagées comme des personnes ou des personnages, auxquels il faudrait s’arrêter avec défiance ou foi, horreur ou piété, mais comme des miroirs limites, la possibilité d’un reflet enfin, d’un regard diffracté sur l’enfance, la part manquante d’une histoire – un filtre, qui soit la possibilité d’un savoir, sur soi. De l’une à l’autre, le mouvement du livre : celui d’une descente, puis d’une rédemption comme un réveil.

    Du locuteur qui s’exprime dans « Le pont noir », on sait seulement à la fin qu’il s’agit de Jeffrey Dahmer, tueur en série qui a hanté les années 80 (et aujourd’hui la plateforme Netflix où il est froidement, platement spectacularisé). La poésie peut-elle « l’incarner » ? Le roman Les Bienveillantes a eu beau nous plonger pendant un millier de pages dans la tête d’un SS avec le succès littéraire qu’on sait, la poésie a-t-elle aussi ce droit, ou même ce pouvoir ? Est-ce là son territoire, dans ses prérogatives ? Sous ces questions, on mesurerait plutôt déjà ce que le mot même de poème a d’édulcoré, de galvaudé.

    Si « Le pont noir » saisit d’effroi, ce n’est pas en surface, ou du fait de quelque complaisance. Si « effet Dahmer » il y a, c’est que son cas limite crée un effet grossissant et montre quelque chose du fond de chaque être humain, lequel s'obstrue ou échappe de mille autres manières, certes moins horribles, mais d’autant plus asphyxiantes ou sclérosantes qu’elles sont parfois socialement tolérées, inaperçues, voire valorisées. L’horreur existe, mais le « monstre » n'existe pas. Il est le nom qu'on donne à ce dont on a peur en soi, étymologiquement à ce qu’on montre hors de soi, parce qu’on en ignore – ou veut à toute force en taire – le nom, la source en soi.

    L'enfant souffrant, délaissé, on le voit mieux, le ressent mieux à travers « l'enfant-limite » que peut représenter l'enfant Dahmer, son regard appréhendé par le poème comme une loupe. Ce qu'on ressent, ce qu'on habite avec cette voix, dans ces bois, cette maison, cette chambre, c'est une grande peine aveugle et noire, happant le « je » du poème comme si elle le fixait. Le « pont noir » est un œil noir, qui aspire de son vide. Et le tour de force du poète est de faire entendre la nudité de cette voix, tout en faisant sentir l'atmosphère qui poisse autour d'elle, vertige d'une intériorité claustrophobe, à laquelle elle ne peut échapper qu’à travers l'autre.

    Quand cette figure du « Pont noir » cherche à clarifier sa vie, à légitimer ce qu'elle éprouve ou à le savoir simplement, en recherchant des êtres-miroirs, c’est comme ce soleil dans les arbres : « même le soleil / par éclats vient aux arbres ». Elle s'abîme à des éclats, des éclats de son propre rêve (sa propre vie). Tout son soliloque est fait des bribes d’une lettre ou éclats de journal adressés à des absents : hommes qu'il pourrait être, aimés, victimes, morts ou âmes résiduelles ou irréductibles, lecteurs aussi bien, nous qui pourrions être lui.

    Ce soliloque, aussi disloqué qu'il est froidement « organisé », est la traversée lucide d'hallucinations qui accablent, séparent, dévorent. Désespérée, mais pas impuissante (puisque la figure agit, tue). Seul le regard est impuissant, tout dissocié qu'il est. Et l'écriture donne précisément chair à ce regard sur soi. Par elle, nous pouvons le ressentir, nous, dans notre chair, ressentir que c'est nous, de manière essentiellement tragique du fait de l’abîme. Malgré nous, ne sommes-nous pas restés enfants pris dans une toile invisible ?

    Là, ce que réussit précisément la poésie, c'est de rendre l'intimité de l'étrangeté. Le roman, lui (ou le récit en général), aurait peut-être réussi l'inverse, traduire « l'étrangeté d'une intimité », ou disons qu'il en aurait été le territoire tout désigné. C'est ce qui impressionne dans cette première partie, essentielle aussi par sa longueur, et par l’impulsion qu’elle donne à tout le mouvement tripartite du livre.

    Paradoxalement, il faut la partie qui s'appelle « Intérieur » pour servir de pont, tangible celui-ci. Sortir de celle intitulée « Le pont noir » – quitter l'élan aveugle de se chercher, à toute force, violemment, hors de soi, dans l'autre. « Intérieur » est donc un retour en soi sous forme de repli sur soi. Un mouvement de fixation et de résignation, qui trouve miroirs aux tableaux de Léon Spilliaert : escalier, nuit et réverbères, mer, plage, digue. Autant d’éléments de l’univers du peintre, à partir desquels les poèmes, devenus très courts, laissent émerger dans leur sillage une atmosphère, moite, morne, brumeuse. Cette deuxième partie apparaît comme une transition, un purgatoire, après la spirale folle initiale et avant la rémission. C’est aussi là qu’on retrouve Éric Sautou le plus aisément, qu’il est en quelque sorte le moins nouveau.

    « je suis le même homme et je peux vivre ». Ainsi débutent les pages parmi les plus lumineuses et limpides qu’il ait jamais écrites. Cette partie, qui clôt le recueil, fait apparaître la figure de Lazare comme « fils ». La résurrection y opère à partir du vertige de la perte et du vide, et relie, vers une fusion jamais dite, toujours suggérée, le sentiment de disparaître au rêve d’éternisation de la mère (« mer où je m’en vais »). Un abandon premier, à l’élan de s’abandonner.

    On y entrevoit cette blancheur de drap, brodé, cette fois, aux lettres d'un prénom qui tendrement s'efface, à la lumière. Un drap qui peut être le suaire laissé de Lazare, drap aussi dans lequel on enveloppe sa nudité, ou synonyme de pureté recouvrée. Il aura fallu renaître pour libérer l'enfant, aussi bien résurrection de la mère : « est-ce que je peux dormir près de ta voix / et si je te parle à mon tour est-ce que tu m’entends ».

    Si le livre semble être un assemblage de ces trois parties, du fait de titres, de figures « tutélaires » ou tonalités bien distincts et marqués, l’essentiel n’est pas là : il est dans le mouvement qu’elles donnent à sentir, de l’une à l’autre, et où l’écriture d’Éric Sautou trouve un nouvel et franc aboutissement. On ne franchit rien (le pont est noir, d’une peur folle aveugle), pas même soi (« Intérieur ») et l’on erre, hanté. Mais le monstre n’existe pas, l’enfant existe, d’avoir retrouvé nom – non pas de le connaître, mais d’en être appelé.

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    OLIVIER VOSSOT
    Olivier-vossot

    Source

                        

    ▼ Olivier Vossot

    → sur Terres de femmes:

     

    → L’Écart qui existe, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Collection Pleine Lune, 2020, Préface d’Albane Gellé. Illustration de couverture de Pascaline Boura.

    L’Écart qui existe (lecture de Sabine Dewulf)

     

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Les Carnets du Dessert de Lune) la page de l'éditeur sur Olivier Vossot
    → (sur le site de Terre à ciel) une page sur Olivier Vossot
    → (sur le site de Terre à ciel) une lecture de L’Écart qui existe, d'Olivier Vossot par Cécile Guivarch

     

     

  • Angèle Paoli | Glen Coe

                                                                                                                                                          <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    La plage où je me love

                                                                                                                                                              

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     " La mer est mon horizon de vie"
    photo-collage → G.AdC

     

     

     

    Glen Coe

    Je suis fille de la mer.
    Les noces de Thétis
    et de Pélée se sont déroulées
    au large de la Balagne du côté
    de Monte Genovese.
    Mon île est une montagne
    qui flotte sur les eaux.
    La mer est mon horizon de vie
    et la montagne      un permanent appel.

    La montagne d’ici     souvent
    est coiffée d’un nuage
    un nuage qui passe ou se pose
    c’est selon    une caresse qui effleure
    la roche    les pacages     les brûlis
    de l’été précédent.

    De la plage où je me love
    entre galets et posidonies
    je la regarde qui file en sens inverse
    de mon regard
    elle navigue au long cours
    des longues journées d’été
    je la laisse voguer à son aise
    il fait trop chaud pour grimper
    à l’assaut de son téton cendré.

    Pourtant    immobile tantôt naviguant
    dans le bleu     elle semble si proche
    il suffirait de quelques sauts de chèvre
    d’un mouvement de corde lisse
    d’une grimpée prenant appui
    sur les cailloux de berger
    pour atteindre son sommet arrondi
    pour se hisser entre deux mers
    Est/Ouest     Ouest/Est.

    L’œil ébloui scrute à travers clignements de cils
    les passes     les failles sombres où s’engouffrer
    les roches escarpées où prendre appui
    les touffes de maquis à prendre en repères.
    plus sombres      non plus clairs.
    L’œil patient s’égare dans l’éclat
    des cascades éphémères
    sinue dans la lumière changeante
    d’une pente à l’autre ses variations de couleur
    lever du soleil     soleil couchant.

    L’œil parcourt les distances
    franchit les écueils     rebondit
    d’un pan à un autre     et ainsi     sans bouger
    de la plage tu vagabondes     voyages
    imagines en un clin de paupière
    ce qui se cache derrière l’autre versant.

    Tu croises en chemin les pierres écrites
    incisées de striures millénaires
    tu penses aux premières populations
    qui ont arpenté ces plateaux et franchi ces à-pics
    caracolant dans le fouillis des rocailles.

    Tu as en mémoire le Pinzu a a Vergine
    de ton adolescence     les stèles dressées en cercle
    offrandes à la lune    ou au soleil     nul ne sait.

    Et de là     sans crier gare     tu files d’un bond
    vers les montagnes du Glen Coe
    vallées glaciaires et arrondis déboisés
    si lisses si uniformes que tu imagines
    pouvoir gambader parmi les moutons
    moutonnants     et de là     encore
    grimper tout en haut sans effort
    le sommet est si proche.

    Mais la montagne est un leurre
    qui se joue de ton regard
    qui se joue de ton rêve
    il te suffit de te lancer à travers tourbe
    pour comprendre que tu te trompes
    que les efforts pour avancer dans le paysage
    ne sont pas à ta portée
    que l’errance guette si la fantaisie te prend
    de t’aventurer dans la rocaille
    que ton pied va te trahir
    à la première embûche
    toi     la randonneuse     inexpérimentée.

    Tu oublies que la montagne est vivante
    que sa vie lui appartient
    que tu n’es là que de passage
    une intruse parmi tant d’autres
    qui te pliera à elle    et non elle    à ton désir.

    Elle est là     montagne docile
    à portée de regard     animée de cours d’eau
    qui dévalent      sans obstacles
    soudain recouverte de nappes givrantes
    de brumes imprévisibles
    qui masquent ses formes      en sculptent d’autres
    qui t’avaient jusque-là      échappé.

    Soudain interrompue par des lochs verdoyants
    vibrants de chatoyantes couleurs
    dans lesquelles elle se mire
    dupliquant à l’envi dans la plus exacte perfection
    ses arrondis trompeurs.

    Tu voudrais ne pas poursuivre le voyage
    t’arrêter là un moment pour amadouer
    ses courbes    la faire tienne un peu
    la retenir      entre les mailles de ta mémoire
    écrire peut-être     oser quelques mots
    et tu ne peux     tant elle t’obsède
    et t’oppresse    et t’attire    l’inaccessible
    l’indomptable montagne des Glen Coe.

    Tu es là     devant elle     immobile
    loin de tes montagnes aux lacs sublimes
    et tu n’as rien vu d’aussi beau
    d’aussi exaltant que ces Glen Coe
    elles t’ont prise par surprise
    à en couper le souffle    elles déplient et déploient
    à l’infini leurs lignes glaciaires
    aussi impressionnantes par l’âge
    et par la force     que les petites fleurs
    rampantes      si modestes fleurs des montagnes
    qui s’arriment à la pierraille
    résistent vaillantes au froid et à l’âpreté
    du sol et du climat
    petites plantes saxifrages silènes acaules roses
    et lotiers corniculés du même jaune d’or
    que celui des genêts bordant de massifs odorants
    ta route

    et ces champs d’herbe à coton
    qui tremblent sous les souffles d’air
    magie de ces tiges ouatées
    qui ponctuent de leur laine aérienne
    la rigidité de la rocaille
    et la gluance de la tourbe.

    La montagne est vivante
    qui vibre à l’unisson de l’air de l’eau
    de la roche de la sphaigne frisottée
    du climat des oiseaux
    des phoques et des parfums arctiques
    elle est vivante     intensément
    tu n’as qu’à fermer les yeux
    pour la retrouver     intacte et vierge
    de cette virginité millénaire
    qui est la sienne et qui te laisse
    ce sentiment enivrant d’infini
    dans une infinie beauté.

    Canari, le 16 juin 2023

     

    Encres

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Angèle Paoli, « Glen Coe » in Montagnes, chemins d'écriture,
    Une anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, Voix d'Encre 2023, pp.134,135,136, 137.

    ANGÈLE copie

     

    →  Bio-bibliographie 

     

    Glen Voix

     

  • Lo Moulis | La vie blottie dans le désordre

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Sur-ses-cheveux

     

     

     

     

     

     

     

     

    Eau forte de Lo Moulis 

     

     

     

     

    une saison après l’autre
    les heures
    dans la main
    tu crois que tout est nouveau
    la pluie d’hier
    les bougies écarlates
    la beauté de la soie
    ce qui s’en va
    la nuit tombe
    sur nos pieds
    dans un verre d’eau
    savoir ne rien dire
    de l’hiver
    un feuillage de lumière
    dans le jardin enclos
    des miroirs
    quel royaume s’agite
    au fond de tes yeux

                     un murmure secret
                   rampe
                  au creux des songes
                le rêve finit
              où le ciel commence
                tu peux brader ta mémoire
                 en monochrome
                   empreinte de pas
                  sous des jupes floues
                                      se traînent
                                    sur la grâce
                                l’allure éraillée

                            d’un bout de tissu
             

                                     où l’infini peut danser

     

    les brouillards
    que tu laisses traîner
    tu stationnes
    engourdi
    dans les aiguilles de la nuit
    poses la tasse
    sans bruit
    contre le zinc
    des miettes sur les manches
    le poids de ce qui manque
    les passages
    une branche vide
    les corps las
    devant toi
    ce que tu ignores
    le don de la lumière

     

     

     

    Aigrette

     

     

     

     

     

     

     

     

    Lo Moulis, La vie blottie dans le désordre, Éditions de l'Aigrette, 2023

     

    Lo moulis

     

    Voir le site de →  Lo Moulis 

    voir aussi  → Littérature Portes Ouvertes

     

     

     

    Photo: Facebook 

  • Guénane | Ta fleur de l’âge

    <<Poésie d'un jour

     

     

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    Guénane à 30 ans   Source 

     

     

     

     

    Sans rien demander
    dans le noir
    sournoise à l’aise
    la mémoire sort du quai des brouillards
    le passé dépassé rapplique
    rameute ses fourmis appliquées

    Rejetée vers la sortie
    la raison se morfond
    tu rêves de couler dans l’espace
    là où le regard roule
    sans s’arrêter de naviguer
    sur des mots tendres enchaînés
    you can hear the boats go by
    and you want to travel blind
    tu peux entendre les bateaux passer
    et tu veux voyager les yeux fermés
    la mémoire pique surtout la nuit

     

    Ta fleur de l'âge, éditions Rougerie, 2019

    Prouteau-12-poetes-contemporaines-de-Bretagne-couv

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Guénane, « Ta fleur de l’âge », Éditions Rougerie 2019 in Marie-Hélène Prouteau, 12 poètes contemporaines de Bretagne,

    Les Éditions Sauvages 2023, p.40.

  • Serge Prioul | Parler au monde

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

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    Photo Régine Prioul

     

     

     

     

    Tu aimes le mot contre-jour
    Juste comme les choses doivent
    Malgré tout
    Trouver le passage
    De l’ange sur la pleine lune

    *

    Il faut oublier
    Laisser faire la langue
    Tout changer d’un sourire
    Il fait jour

    *

    Il faut beaucoup de silence pour parler
    D’abord se taire
    Dans l’air flotte
    Ta vanité désarçonnée

    *

    Écrire un poème comme une lettre
    Parler au monde
    Presque pas

    *

    Cris
    D’une langue
    Abrégée agrégée
    Outrepassée par elle-même

    *

    Et s’il suffisait
    D’écrire le soir
    Le poème des matins

     

    Prioul

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Serge Prioul, Parler au monde, Le Lys Bleu Éditions, 2023,  Photo de couverture, Régine Prioul, pp.23, 24, 25

     

     

  • Angèle Paoli | Marcher dans l’éphémère | Lecture de Jean-Louis Bernard

    Angèle Paoli | Marcher dans l’éphémère
    Éditions les lieux -Dits, 2022,

    Lecture de Jean-Louis Bernard

    In Diérèse, Poésie & Littérature, n° 88
    Automne 2023,pp. 257, 258.

     

     

     

     

    Angèle Paoli Marcher dans l'éphémère

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    S’il existe une vérité dans la « parole – en – écriture », elle existe dans la sauvagerie originelle des mots et silences qui la composent. Sauvagerie implosante ou explosante, peu importe, du moment qu’elle se conserve indomptée.
    Sauvagerie n’est pas forcément violence, peut juste être liberté. Pourquoi le regard d’Angèle Paoli est-il, avant tout, libre ? Parce qu’il est tension entre ce qui s’affirme et ce qui s’efface, à la fois consumation du présent, dévoration du possible et acceptation du mélancolique. Et aussi parce qu’il instaure une relation avec les lieux et le temps, relation propice à l’habitation poétique du monde dont parle Hölderlin. Les mots du poème se déploient alors dans un espace qui devient corps habitable. Mots dont les plus banals, en leur usage, ouvrent le champ des possibles. Mots dans le deuil impossible des plus élégantes légèretés. Mots-gouffres, mais gouffres d’en haut, plongent vers le ciel. Cailloux épars, au grain lentement écrasé par l’articulation sculpturale de la parole, cette parole qui adviendra par l’accueil des mots perdus, leur apaisement, leur rassemblement.
    Et puis, il y a beaucoup de blancs sur les pages. Beaucoup de lenteurs, de silences, d’échos. Angèle Paoli sélectionne les échos pour mieux nous faire appréhender le silence qui s’ensuit (celui qui, après Mozart, est encore du Mozart). (« Passe la vie qui nous sépare/ et son bruit doux/de pas retenus »). L’éphémère pose son souffle sur nos peaux (ce souffle navigant entre rien et quelque chose), l’éternité n’est pas question de durée mais d’intemporalité. Quant aux lieux, ils ont des résonances si profondes qu’ils semblent dissoudre nos propres frontières, et peuvent ainsi dissiper l’ailleurs en ancrant l’esprit dans le sensible.
    La parole d’Angèle Paoli est ainsi comme un fleuve roulant entre vie et mort, à découvert. La vie, ici aptitude aux chasses subtiles des lieux et des moments, en filiation bachelardienne ( « Ligatures du temps/ air terre et feu/ dans le déclin du jour// les eaux tissent leurs lianes/ sous la roche »), écoute fiévreuse et sereine des bruits (« bris de branches/ froissement d’ailes / rires feutrés »), porosité au monde ( montagne enneigée, fleurs aux noms rares, bêtes en passage). La mort, pas un drame pour la poète. Juste nous rappeler que nous avons perdu le lieu et le sens du tragique, et qu’une redécouverte de la possibilité d’une parole universelle nous aiderait peut-être à la fois à parachever et à transfigurer la tragédie du monde. Et en ce fleuve circule la mémoire au gré d’un savant jeu de signes, puissant flux souterrain voué à exploser dans le présent.
    Livre limpide au contenu secret, ce recueil capture des instants qui, par le fait même, deviennent ce qu’on n’oubliera pas : des sensations. Peut-être est-ce finalement cela, cet indéfinissable, que faute de mieux on appelle beauté.

    Jean-Louis Bernard, pour la revue Diérèse.

     

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