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Carnets de marche. 16» Retour Incipit de Terres de femmes -
Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol,
par Sylvie Fabre G.Chroniques de femmes – EDITO
Note de lecture de Sylvie Fabre G.
Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol,
Éditions Champ Vallon, 2009
Nous n’en finissons pas d’inventer une langue qui puisse parler ce que nous taisons le plus, une langue qui enlace parole et silence en un nouvel espace-temps. Et l’écriture poétique seule lui donnerait sa forme, sa force et sa vérité, suggère Ludovic Degroote dans son dernier livre Un petit viol, Un autre petit viol, en rendant audible à soi-même et aux autres l’imprononçable. Audible mais pas forcément intelligible car l’âme humaine demeure ce mystère où l’homme se perd. À vouloir comprendre, faire entendre le mal, saisir sa cause ou sa conséquence, le mettre en mots pour l’éclairer et partager la douleur, on s’aperçoit avec l’auteur qu’on entre dans « la spirale du texte comme de la vie qui se rapproche sans jamais rien pouvoir toucher ».
Rose des tombes le corps adulte, lieu d’incertitude, de dépossession et de mémoire que l’enfance semble définitivement habiter surtout lorsque celle-ci s’est abîmée physiquement et moralement dans une expérience traumatisante qui a fait s’arrêter le cours de la vie. Après le petit viol, « reste à vivre mort… ce qui permet aujourd’hui d’essayer d’écrire ça » écrit l’auteur. L’intimité fracassée, le corps de l’adolescent instrumentalisé par un ami de la famille, l’amour dans la séparation, le sexe défiguré « mon salaud, tu bandes, dit l’homme sur le canapé, la bouche c’est comme un vagin, tu verras… », l’être entier bascule puis s’immobilise dans l’instant. Mais le temps continue et, trente cinq ans après, la blessure est toujours là, la honte de la jouissance, l’autodénigrement et la culpabilité aussi « j’ai quand même toujours été petit » murmure comme en s’excusant la voix du texte. Le désespoir, la peur et la révolte n’ont trouvé nul exutoire. Et l’on entend, au présent de l’indicatif toujours, la parole perdue de l’enfant en l’adulte qui ironise sur lui-même, sur les autres, et qui, dans son désarroi, met en accusation le monde familial et bourgeois qui n’a pas su voir, sentir, deviner, entendre la plainte muette, qui l’a laissé seul, livré à l’homme pervers : « Sûr que les autres devaient savoir mais se taisaient par crainte des remous ». Des couillus, le surnom ambigu, tout en minuscules comme l’ensemble du récit sans ponctuation signe, dans sa répétition et la continuité, une sidération. Effroi de la contrainte exercée sur l’adolescent de quatorze ans désormais sans moi, sans sexualité à découvrir, sans âge : « ce serait plus simple que tu sois mort, dit la voix qui parle, mélancolie sans fin ».
L’auteur est conscient que cette Confession, ― et on ne peut s’empêcher de penser à Saint-Augustin et à Rousseau dans cette tentative de cerner la place du bourreau et de la victime et le poids de la responsabilité morale ― ne le sauve de rien. Le livre fini, refermé, l’absence de remède persiste : « Le petit Ludovic attend (toujours) ses parents à la cave ». L’écriture permet juste de poser les questions, de retrouver la capacité de réfléchir à ce qui vous a été volé : votre corps, espace mental. La construction du récit en tête-bêche témoigne du vécu de l’enfermement qui n’a jamais pu être rompu et la langue elle-même s’inscrit dans cette clôture. Pour Un petit viol, Ludovic Degroote commence par jouer de l’ordre chronologique pour mieux montrer le dérèglement de la vie « Il y a du temps qui passe et du temps qui s’arrête, nous sommes jonglés » puis pour Un autre petit viol, de l’ordre alphabétique, ultime tentative, fol espoir de retisser peut-être lettre après lettre, de A à Z, la trame déchirée de la vie et de sa parole.
Car la voix qui parle dans Un petit viol et Un autre petit viol, ne peut habiter l’écriture que par effraction, elle en accepte l’errance, refait les comptes par les contes, ― Chaperon rouge ou Barbe bleue sont appelés à l’aide ―, refuse la vengeance ou la jalousie voleuses d’énergie, délimite la zone de non-droit, prévoit l’indignation du bien-pensant et la difficulté d’une morale mais, se heurtant toujours aux mêmes interrogations sans réponses sûres, elle finit par offrir au lecteur le seul don d’incertitude. Sa dernière injonction « sauvons le silence » sonne comme un avertissement et renvoie le lecteur à la lumière de sa nuit.
Sylvie Fabre G.
D.R. Texte Sylvie Fabre G.
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Antoine Emaz | La poésie ?
La poésie résiste à l’enfermement ; elle est ce qui passe
à travers les barres, les grilles
Ph., G.AdC
LA POÉSIE
La poésie ? Un pur travail de langue, une défaite de la pensée, le développement d’une exclamation, une adhésion au monde, une tour d’ivoire, un cœur frappé, un jeu intertextuel, une production sous contrainte… La poésie peut être tout cela, tour à tour, avec plus ou moins de ceci ou de cela selon chaque poète, chaque poème. « Art poétique nuisible à la poésie, dangereux en tout cas pour elle. Nous savons trop bien ce que nous devrions faire » (Jaccottet). La poésie résiste à l’enfermement ; elle est ce qui passe à travers les barres, les grilles. « Le sens ce n’est pas ce que cela veut dire, c’est ce vers quoi ça va ― qui est la raison d’être d’accumuler des livres sans doute, pour que le mouvement reste vif ― on ne sait pas » (B. Noël). La poésie, c’est l’air, le souffle qui passe dans la carcasse des mots morts du poème, et bruit encore un peu, ou sifflote ou chantonne. Rien de plus que de l’air qui passe dans les tuyaux des mots, de l’air frais qui touche. Partant de là, on peut également considérer des démarches qui visent à faire chanter, ou déchanter, ou enchanter… La question est bien moins celle du but à atteindre que celle des moyens : rapports au réel et à la langue, implication de toute la personne (y compris sa mémoire personnelle et culturelle), clarté de la nécessité du poème à travers ses choix d’écriture… Pour autant qu’il y ait « choix », ce que je ne crois guère ; il serait plus juste de dire que nécessité fait choix. On ne peut demander à un poète que d’écrire aussi loin qu’il le peut dans l’espace qu’il s’est taillé dans la langue commune. Ce faisant, il est tout à fait possible qu’il dépasse notre capacité d’écoute, ou même d’entente ; cela n’invalide pas la tentative, si celle-ci était mue par autre chose qu’une pure vanité d’auteur. « Il faut aller jusqu’au bout, même pour ne pas vaincre » (Reverdy).
Antoine Emaz, Lichen, encore, Éditions Rehauts, 2009, pp. 92-93.
ANTOINE EMAZ
D.R. Ph. Dominique Houyet
■ Antoine Emaz
sur Terres de femmes ▼
→ Cambouis
→ Je travaille et je vois, après
→ « Le faiseur »
→ Un lieu, loin, ici (poème extrait de Personne)
→ Plaie, XV
→ Poème des dunes
→ Poème-lettre
→ Soirs
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Carnets de marche. 15Retour au répertoire d’ août 2009
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Zéno Bianu | Du plus loin…
Ph., G.AdC
DU PLUS LOIN…
du plus loin des voix éteintes
les étoiles à nu
blanches de langues
en amont du sans-fin
qui creuse les tempes
un devenu-ciel anéanti
comme on agrippe sa naissance
Zéno Bianu, Fatigue de la lumière, Granit, 1991, page 13.
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Carnets de marche. 14Retour au répertoire d’ août 2009
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William Cliff | Cape Cod, 7
Source
We soon met one of these wreckers
with a bleached and weather-beaten face.
It was like an old sail endowed with
life, ―a hanging cliff of weather-beaten
flesh.
Thoreau dit qu’il a longtemps cheminé
dans le Nauset au long des longues plages
et voyant souvent le sable encombré
de bateaux déchirés par les naufrages
certains humains solitaires et sauvages
vêtus d’affreux manteaux tout rapiécés
erraient dit-il pour ce bois ramasser
et s’en servir aux baraques et aux barques
ce Cap n’ayant pas d’arbres grands assez
l’homme est ainsi à l’homme un loup rapace
William Cliff, « Cape Cod », America, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1983, page 95.
______________________________________
Note d’AP : Cape Cod est un ensemble de dix dizains de décasyllabes (strophes carrées) à la fin du recueil America.
WILLIAM CLIFF
Ph. © Jean Jauniaux
■ William Cliff
sur Terres de femmes ▼
→ Lahore, 7 (extrait d’En Orient)
→ New York (extrait d’Amour perdu)
→ [Réquiem pour l’enfance] (extrait de Matières fermées)
→ Au printemps (extrait du Temps)
→ 30 mai 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien
→ 10 novembre 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien
■ Voir aussi ▼
→ (sur Terres de femmes) 12 juillet 1817 | Naissance de Henry David Thoreau
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Carnets de marche. 13Retour au répertoire d’ août 2009
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Fabio Pusterla | Arte della fuga
Ph., G.AdC
ARTE DELLA FUGA
Resisti a tutto, fuggi. Fallo in nome
di niente. Lasci i nomi
ai nuovi costruttori di bandiere.
Dai, topolino: è ora.
Guarda : questo è un bosco, e questa
una lattina di carne. Questo è un fiume.
Dal ponte vedi una città bianchissima,
una polla di sangue raggrumato. E gli anni,
gli anni sui loro cavalli neri. La città
è fatta di calce e gesso, di silenzio.
Il passo è qui, la fuga un’altra strada.
ART DE LA FUGUE
Résiste à tout, fuis. Fais-le au nom
de rien. Laisse les noms
aux nouveaux constructeurs de drapeaux.
Allez, petit : il est temps.
Regarde : ceci est un bois, et ceci est
une boîte de viande. Ceci est un fleuve.
Du pont tu vois une ville parfaitement blanche,
une source de sang grumelé. Et les années,
les années sur leurs chevaux noirs. La ville
est faite de chaux et de plâtre, de silence.
Ici le passage, la fuite est un autre chemin.
Fabio Pusterla, Une voix pour le noir, Poésies 1985-1999, Éditions d’en bas, Lausanne, 2001, pp. 62-63. Traduit de l’italien par Mathilde Vischer.*
__________________________________________________
* Ce poème figure dans Les Choses sans histoire de Fabio Pusterla, Éditions Empreintes, 2002, pp. 170-171. Traduit de l’italien par Mathilde Vischer.
FABIO PUSTERLA

Source
■ Fabio Pusterla
sur Terres de femmes ▼
→ Au-delà des vagues
→ Caparìca
→ Corps d’étoiles
→ Due rive
→ Entre-deux
→ Esquisse en poudre de gypse, 6
→ La fugitive
→ Une vieille (+ bio-bibliographie)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de culturactif.ch) une bio-bibliographie très complète de Fabio Pusterla
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21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau
Ph., G.AdC
Le 21 août 1995
L’été piétine et frappe la pente. Il sème un jaune blanc de litière, de jonchées de paille. Un foin rare, écrasé dans sa couleur, recuit sous le bétail. Des jetées d’épis concassés mettent au jour, à fleur de peau, la fibre battue de la colline. Un été de tannerie et sa vannée de soleil se répandent en épluchures sous le blanc pâle-sec d’un ciel couvert à force de chaleur.
Les bêtes font le nécessaire, le font à la perfection.
Et nous, qui tentons d’oublier le moins possible, altérons l’énigme par nos œuvres circulaires, douloureuses, mal réminiscentes.
Nous partageons sans doute avec elles l’ineffaçable incrustation des moments puissants qui laissent leur empreinte dans nos mémoires. Souvenirs décisifs, repères comprimés, embolies indécorticables : ils balisent nos existences.
L’écrasante saison, les oiseaux rares, l’amandier en papillotes vert-jaune vif avec ses clochettes de couleurs fraîches, la prairie bottelée.
L’araignée du beau temps a étendu sa toile comme si rien que de l’imprévisible devait venir.
Semblable au poème travaillant à tendre la main à sa famine, au butin cruel de son renouvellement, à la toupie de son complot.
À la préparation de l’orage.
Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, trois, quatre, André Dimanche Éditeur, 2000, page 84.
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