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  • Benoît Conort | De l’ombre et de sa nuit

    «  Poésie d’un jour  »




     la t-te pr-s du creux de l--paule -pouse sa forme.
    Aquatinte numérique originale, G.AdC







    DE L’OMBRE ET DE SA NUIT



    I


    il y a qui l’accompagne

    une ombre d’elle nue elle

    épouse sa forme toute sa forme

    une jambe jetée par-

    dessus le cœur

    et la tête

    près du creux

    de l’épaule épouse

    sa forme toute sa forme

    épouse une

    veine tressaille l’ombre son ob-

    jet aux mouvements liée

    aux mouvements                   l’ob-

    jet

    imperceptible                       &nbsp            de la phrase.




    Benoît Conort, De l’ombre et de sa nuit, Textes inédits, Revue Nu(e) 41, 2009, page 78.






    BENOÎT CONORT


    Benoît Conort
    Source




    ■ Benoît Conort
    sur Terres de femmes

    [sous une claie de roseaux] (extrait de Sortir)



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Benoît Conort
    → (sur remue.net)
    La nuit du rhapsode : Benoît Conort





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    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • Corse_3 Sur la silice des mots


    Agave br-l-e d--pines dures . la vague sculpte ton d-sir
    Diptyque photographique, G.AdC





    SUR LA SILICE DES MOTS


    Une tourterelle dans les tamaris
    le torrent s’aveugle sous le midi
    des pierres

    et son dos nu
    de chair livide qu’étrille le soleil
    élytres sèches de sa peau
    agave brûlée d’épines dures

    tu mords le sable ensommeillé
    la vague sculpte ton désir
    nénuphar rouge
    algue anémone de mer

    tu es celle qui chante
    déraison de ta jeunesse
    couvée sous
    immortelles cendrées

    parfum de poivre vert

    chaleur huile de l’été
    touffeur des palmes
    en cercles immobiles

    tu attends
    que naisse à l’horizon
    une autre forme de lumière

    une puce d’eau traverse
    lichen encore
    traces silencieuses sur
    la silice des mots.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




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  • Claude Esteban | Bleu, bleu surtout

    Topique : Bleu
    «  Poésie d’un jour  »


    Très loin dans mon souvenir- la trace des mots perdus . fen-tre- .bleu- bleu surtout.
    Ph., G.AdC







    BLEU, BLEU SURTOUT



    Ce matin, je ne voudrais écrire que la clarté du ciel et tous les mots qui me viennent en mémoire sont encore lourds de la nuit passée et me trahissent. On imagine les signes verbaux comme une sorte de réserve toujours disponible où l’on puise à son gré et qu’il ne reste donc qu’à les assembler avec plus ou moins de justesse, selon ses goûts et peut-être la force de son génie. Mais c’est ne rien savoir de la nature propre du langage, des énergies qui le traversent, de cette vie mystérieuse dont il est le réceptacle et qui ne s’accorde à nous que par instants. Car les mots, et les plus familiers, dès lors qu’on les sollicite à des fins précises, résistent et parfois se refusent. Ils ont mille façons surprises, et si nous feignons de l’ignorer et de poursuivre, ils nous entraînent alors dans leurs labyrinthes et nous abandonnent aux ports du silence. Je voulais dire seulement cette clarté du ciel, et, sans que je puisse en déterminer le motif, s’interpose, tel un écran, une myriade de notions noires. Et que brouillards, ténèbres, murailles, carapaces prennent le dessus, investissent mon esprit, paralysent mon désir d’écrire simplement la pure luminosité du ciel, et ce n’est que plus tard, quand j’aurai renoncé à ma tâche, que je discernerai, très loin dans mon souvenir, la trace des mots perdus : cristal, fenêtre, arbre, bruyère, bleu, bleu surtout.



    Claude Esteban, La Mort à distance, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2007, page 73.




    _____________________________________
    NOTE : ce 26 juillet est la date anniversaire de la naissance de Claude Esteban (mort à Paris le 10 avril 2006).






    CLAUDE ESTEBAN


    CLAUDE ESTEBAN



    ■ Claude Esteban
    sur Terres de femmes

    Les ronces m’ont déchiré
    un poème extrait du recueil La Mort à distance
    → (sur Semenoir)
    lire au soleil Claude Esteban…







    Yblue
    Source


    ■ Anthologie du bleu
    sur Terres de femmes


    Nicolas Charlet | La Trilogie du bleu
    Michèle Dujardin | Et bleu est je
    Claude Esteban | Bleu, bleu surtout
    Alain Freixe | Bleu plié au noir
    Olav H. Hauge | Le pays bleu
    Valère-Marie Marchand | Le Grand Bleu
    Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu
    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad
    Dominique Sorrente | Je t’envoie ma chanson des jours bleus
    All blues
    → (Série Instables a cappella)
    Bleu plexiglas
    Bleu de Prusse
    → (Série Instables a cappella)
    Blues déjantés
    L’ombre portée du palmier bleu
    Plume de geai bleu
    → (Série Instables a cappella)
    Les sons cris du piano bleu
    2 janvier 1957 | Exposition Yves Klein à Milan





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Guyotat, Ashby

    Pierre Guyotat, Ashby,

    Éditions du Seuil, juin 1964,

    Collection folio, 2005.

    Préface de Bernard Comment.





    Ashby
    Photo de couverture d’Ashby
    © Pigeon Productions SA/Getty Images (détail)

    ELLE, C’EST DRUSILLA


         « Elle prit ce château, cette forêt, elle me prit. »

         Ainsi commence Ashby. Par cette géniale antanaclase qui donne d’emblée la tonalité majeure du roman de Pierre Guyotat. Et le pouvoir absolu à la maîtresse du jeu.
         Elle, c’est Drusilla. Mante, amante et maîtresse, marquée dès l’enfance par le feu. Feu des flammes du château où ont péri ses parents, feu de la passion amoureuse qui brûle en elle et la conduit, dès ses jeunes années, aux rives du mal. Peut-être Drusilla porte-t-elle, à son insu, les stigmates de son homonyme antique, l’incestueuse Drusilla, sœur de Caligula ? Peut-être le désir de destruction qui lui dicte ses actes, lui vient-il de la tragédie dont elle porte la trace, légère mais indélébile ? Lady Drusilla, « cygne sauvage », « insecte puissant et vorace » règne sur le château d’Ashby et sur les âmes qui l’habitent. La première proie à tomber entre les beaux bras blancs de Drusilla, c’est son cousin. Angus. Fils de Lord Ashby et héritier du château, Angus, pris dans les rets de Drusilla, sent pousser en lui « comme une fleur vénéneuse, une plante amère » à laquelle il ne sait ni ne peut résister. Séduit par les pouvoirs de la belle démone, Angus cède aux rituels maléfiques dans lesquels celle-ci l’entraîne. Sous l’emprise l’un de l’autre, les deux enfants se livrent sans retenue à leurs fantaisies érotiques. Viennent tournoyer autour du jeune couple quelques figures satellitaires dont la cruauté de Drusilla vient à bout. Car toute intrusion étrangère dans le château rompt le pacte des deux amants, les éloigne l’un de l’autre, entraînant Drusilla dans le courant d’autres sombres désirs. Avec leur mariage, la relation amoureuse des amants d’Ashby évolue. Drusilla, qui ne se résigne pas à vieillir ne se résigne pas non plus à renoncer aux plaisirs de la séduction. Quant à Angus, il assiste, complice délesté de toute forme de jalousie, aux libertinages amoureux de celle qu’il continue d’aimer passionnément. Loin de délivrer Angus, la mort de Drusilla le plonge dans la voie que Drusilla lui a ouverte. Le château d’Ashby devient le théâtre de mille turpitudes et cruautés auxquelles succombent domestiques et amis. Jusqu’à la mort de lord Angus.

         Roman de formation amoureuse, Ashby est un roman de jeunesse, le second de Pierre Guyotat. Écrit en 1963, au retour de la guerre d’Algérie, et publié en 1964, ce roman de forme brève est un alliage subtil de classicisme et de modernité. Classicisme dans le traitement du décor et le stéréotype de certains personnages ― Lord Ashby et son épouse, mademoiselle Fuhlalba, la gouvernante. Le décor principal est celui du château d’Ashby, livré aux fantasmes des deux enfants et à leur folie. Les courses effrénées dans les landes sauvages du Northumberland évoquent celles d’Heathcliff et de Catherine Earnshaw. Mais les scènes finales font soudain basculer le récit, jusqu’alors empreint d’une grande fraîcheur, dans un univers lourd de cruauté et de désastres, proche de celui de Sade.
         La modernité du roman tient à son écriture. Pierre Guyotat pratique la variation des points de vue et les « décrochements de temps ». Le style, incisif et fort, la prose souvent très poétique, éloignent Ashby des romans noirs anglais dont il est peut-être un ultime surgeon.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    Guyotatpierre2
    Source

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  • Cole Swensen | Une expérience simple…

    «  Poésie d’un jour  »



    Le cours du temps diff-re d-une pi-ce - l-autre.
    Diptyque photographique, G.AdC







    UNE EXPÉRIENCE SIMPLE POUR VOIR
        SI QUELQUE CHOSE N’EST PLUS




    Si, là, maintenant, tu voulais l’atteindre,
    le pourrais-tu ? Le cours du temps diffère
    d’une pièce à l’autre.
    L’objet est là
    ou bien n’est pas
    tributaire de la lumière disponible.
    Aujourd’hui ne fait que répéter la forme.
    Dans le creux calme et chaud de l’heure
    le soir, en parachute ascensionnel.
    Quoiqu’ils disent,
    si seulement tu pressais les mains
    assez fort l’une contre l’autre
    les doigts reliés
    à un point précis du cerveau.




    Cole Swensen, in 49+I Nouveaux poètes américains, Un bureau sur l’Atlantique et Éditions Royaumont, 1991, page 260. Poèmes choisis par Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Journoud. Traduction de Françoise de Laroque.






        Née en 1955 à Kentfield, près de San Francisco (Californie), Cole Swensen s’attache, dans son travail de création poétique, à « créer des ambiguités qui compromettent et/ou transgressent les limites de la signification des mots, du langage et du corps. Ces deux objectifs peuvent fusionner en dissolvant simultanément leurs limites, ouvrant et multipliant ainsi les capacités respectives de sens. »






    COLE SWENSEN


    Portrait de Cole Swensen
    Image, G.AdC




    ■ Cole Swensen
    sur Terres de femmes

    17 août 1427 | Cole Swensen, Première mention des Bohémiens en Europe
    12 octobre 1492 | Cole Swensen, Mort de Piero della Francesca
    L’acte du verre
    Le nôtre (lecture d’AP)
    If a garden of Numbers (extrait de Le nôtre)
    Une trilogie française (lecture de Nicolas Pesquès)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes inédits de Cole Swensen dits par l’auteure
    → (sur Poezibao)
    une notice bio-bibliographique sur Cole Swensen ;
    → (sur en.Wikipedia)
    une notice sur Cole Swensen ;
    → (sur poets.org)
    plusieurs poèmes de Cole Swensen dits par l’auteure ;
    → (sur le site de Poetry Foundation)
    plusieurs poèmes de Cole Swensen dits par l’auteure ;
    → (sur YouTube)
    Cole Swensen : interview in The Continental Review





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  • 23 juillet 1979 | Mort de Joseph Kessel

    Éphéméride culturelle à rebours





    PORTRAIT DE JOSEPH KESSEL
    Image, G.AdC





         Le 23 juillet 1979, meurt à Avernes, dans le Val d’Oise, Joseph Kessel. « Russe de naissance et juif de surcroît » (selon ses propres paroles), Joseph Kessel, aventurier et homme d’action fut aussi journaliste. Homme de lettres, couronné par l’Académie française en 1962, Kessel est l’auteur de nombreux récits « vibrants de vie ». Parmi les titres les plus célèbres figurent L’Équipage (1923), Belle de jour (1928), Vent de sable (1929), Fortune carrée (1930), La Passante du « Sans-Souci » (1936), Mermoz (1938), L’Armée des ombres (1946), Les Bataillons du ciel (1947), Les Amants du Tage (1954), Le Lion (1958) et Les Cavaliers (1968).





    FORTUNE CARRÉE

    EXTRAIT


         ― C’est pourtant simple. Vous voyez bien ces risées à fleur d’eau. C’est la trace du vent. Vous voyez bien qu’elles viennent de plus en plus du Sud. Il n’y a plus aucun doute : le vent change. Avec un bateau très fin, on remonte aisément dans le vent. Avec le mien, non. Il dérive trop fort. Alors, à chaque virement de bord, on perd, pendant la manœuvre, presque tout ce qu’on a péniblement gagné dans la bordée précédente.
         ― Je vois, je vois, dit le bâtard Kirghize. Je suis à cheval, je gravis une piste trop escarpée pour qu’il l’aborde tout droit. Je fais des détours qui ont cette piste pour axe. Le tout est de savoir le temps que je mettrai pour arriver au sommet.
         ― C’est à peu près ça. Maintenant, mettez-vous où vous voudrez, mais dégagez le mât, le palan d’écoute et la barre.
         Déjà le mousse avait renfermé dans leur caisse la marmite et les boîtes de conserve vides qui servaient de verres et de plats. Déjà, les matelots étaient debout, scrutaient attentivement la mer et montraient sur leurs visages mobiles qu’ils comprenaient la signification de cette légère poussière d’eau qui palpitait au ras des vagues et qui venait du Sud.
         Philippe et Igricheff quittèrent l’ombre de la grand-voile et s’allongèrent côte à côte à tribord entre le roof et le bastingage. Ainsi, la bôme dans le va-et-vient de la manœuvre passerait au-dessus d’eux. Le soleil était si cruel que le bâtard kirghize couvrit son torse et sa tête. Mordhom, debout à la barre, nu jusqu’aux reins, exposé pleinement à ce feu terrible et à sa réverbération, sourit. Dans ce domaine, au moins, il avait sur Igricheff l’avantage de l’insensibilité. Mais il oublia vite Igricheff et fut tout à la marche de l’Ibn-el-Rihèh.
         Sa main, qui percevait la moindre réaction du bateau, déplaçait la barre avec une délicatesse extrême. Chacun de ses mouvements réussissait à réduire, dans toute la mesure du possible, et à l’instant nécessaire, l’obstacle mouvant que formait le courant aérien et, par là, à secourir l’effort des voiles qui était toute son espérance. Il sentait l’avance du boutre dans sa chair, dans ses nerfs, depuis la plante des pieds, posés sur le pont ardent, jusqu’à l’épaule où se répercutaient les réflexes du gouvernail. Chaque encablure gagnée était pour lui une victoire physique. Quand la bordée arrivait à sa fin et qu’il hurlait l’ordre de virer de bord, il lui semblait qu’il pouvait compter les secondes que prenait la manœuvre aux battements de ses artères.
         De ses yeux étincelants, de ses cris, il excitait sans cesse l’équipage. Il savait bien que ses matelots n’en avaient pas besoin, qu’ils étaient faits à lui comme il était fait à eux, mais il lui fallait libérer l’acharnement de lutte dont il était plein. Sa fièvre gagna En-Daïré, les frères Ali et Abdi lui-même. Ils ne connaissaient pas les projets exacts de leur maître, car Mordhom avait pour règle de ne jamais rien confier à ses matelots. Mais ils avaient fait assez d’expéditions semblables pour comprendre qu’il fallait gagner le détroit à la nuit, le traverser rapidement et se trouver au matin dans des eaux solitaires. Avant même que Mordhom eût lancé les ordres, ils les devinaient à l’expression que prenait sa bouche. Alors, ils bondissaient ainsi que des démons propices, tous leurs muscles noirs jouant avec une harmonie si parfaite qu’ils paraissaient lissés par le vent. Et chaque fois, ils entonnaient le même chant strident et rompu, comme la peine des hommes sur la vaste mer.


    Joseph Kessel, Fortune carrée, Julliard, Éditions Pocket, Collection « Références » dirigée par Claude Aziza, 1995, pp. 181-182-183.



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  • Luis Mizón | L’exil

    «  Poésie d’un jour  »



    Je suis un murmure de la lumi-re
    Ph., G.AdC






    L’EXIL


    IV


    Je dissimule mon existence
    sous la forme timide du lichen
    de la méduse
    de ce qui pourrait être
    un regret vivant ou son contraire

    je nage dans l’eau profonde d’une grotte
    je suis un battement rouge dans le ciel
    la grossière lumière de l’aube
    me montre les sabres
    d’un tigre d’écume
    je nage dans la mer jusqu’à l’horizon

    je suis un murmure de la lumière
    je le sais
    un tremblement des mots
    une pierre vivante
    un œil à l’affût je le sais

    notre exil
    n’est point différent
    de celui des étoiles
    la parole qui nous sauve tombe
    toujours dans nos mains
    comme une pièce d’argent
    dans la main de l’enfant plongeur
    notre exil se referme
    comme les doigts de ma main sur la tienne.






    Sono  .la grossolana luce dell-alba
    Ph., G.AdC






    L’ESILIO


    IV


    Dissimulo la mia esistenza
    sotto la forma timida del lichene
    della medusa
    di ciò che potrebbe essere
    un rimpianto vivente o il suo contrario

    nuoto nell’ acqua profonda di una grotta
    sono un battito rosso nel cielo
    la grossolana luce dell’alba
    mi mostra le sciabole
    di una tigre di schiuma
    nuoto nel mare fino all’orizzonte

    sono un mormorio di luce
    lo so
    un tremito di parole
    una pietra vivente
    un occhio in agguato lo so

    il nostro esilio
    non è affatto diverso
    da quello delle stelle
    la parola che ci salva cade
    sempre nelle nostre mani
    come una moneta d’argento
    nella mano del bimbo tuffatore
    il nostro esilio si chiude
    come le dita della mano sulla tua.



    Luis Mizón, L’esilio, La casa del respiro [La Maison du souffle], Poesie, La Vita Felice, Milano, 2008, pp. 30-31-32. Traduzione dal francese di Mia Lecomte. Introduzione di Tahar Ben Jelloun.





    LUIS MIZÓN


    Luis Mizón
    Source



    ■ Luis Mizón
    sur Terres de femmes

    [Derrière la garde-robe]
    La Maison du souffle
    Un troupeau de vaguelettes



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Luis Mizón





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  • Anne-Marie Garat, Hongrie

    Anne-Marie Garat, Hongrie,

    éditions Actes Sud,

    Collection Un endroit où aller, 2009.

    Hungarian photo museum
    Source

    QUELQUES RONDS DE SORCIÈRE DANS L’EAU NOIRE

         « Chaque livre est un pays ». Un pays où sédimentent rêves nocturnes et fictions, langues et lectures, photos et visages. Et souvenirs, aussi, ceux que la mémoire invente pour combler les manques, les vides, les oublis. Quel livre-pays Anne-Marie Garat nous invite-t-elle à décrypter sous le blason amoureux de Hongrie ? De quels « oripeaux en filaments de fée », ce petit bijou de Hongrie est-il l’assemblage mystérieux ? De quelle énigme personnelle et familière la pierre précieuse est-elle le sésame ? À quel univers secret « visions et parlements d’amour, de beauté », plus attachants que la réalité elle-même, le nom de ce pays donne-t-il accès ?

         Il suffit que surgisse, tel un diamant de son écrin, le mot de Hongrie, pour que s’ouvre l’espace et que se rassemblent, autour de la pierre diamantaire, mille images mentales, soudain rapatriées dans un même élan en une composition multiple et colorée. Pareil à ces porte-plumes magiques de nos enfances, dont la loupe permet à l’œil de capter une myriade de scènes miniatures lumineuses, Hongrie ouvre sur un puits au fond traversé de « nuages ». Il suffit de quelques « ronds de sorcière » dans l’eau noire pour rameuter à soi « les choses endormies ».

         Au bord de leur « quittement » tout proche, la narratrice de ce « blason », poussée par son compagnon de voyage qui l’interroge ― pourquoi la Hongrie ? ―, se penche vers les nuages qui montent des profondeurs du puits. Surgissent alors, en plein cœur des vignes toscanes et au hasard de l’ultime promenade qui conduit les deux amis jusqu’à « l’arbre là-bas », des « essaims d’images ». Un fourmillement « de choses visibles », photographies anciennes, mais aussi « négatifs brûlés du père », souvenirs fabulés davantage que vécus. Et par dessus tout, ces langues étrangères de l’enfance dans lesquelles s’originent la sororité en même temps que l’écriture. En marge de l’exil. Hongrie commence avec « l’histoire de la petite hongroise perdue ». Car c’est du manque que naît la nécessité de nommer Hongrie. De « cette enfant illisible », absente pour toujours.

         Dès lors, pareille à un « vieux puits des jardins » dont on scrute le fond, Hongrie livre peu à peu les arcanes qui ornent son blason. Le paysage héraldique de Hongrie se précise. Fragment par fragment se dessine la « maison mentale » de la narratrice. Une maison des mots qui résonne de « l’arsenal sonore » des aïeuls de la narratrice en leur langue poétique, héritage de Jaufré Rudel, gascon, comme eux. Mais qui résonne aussi des « sons de tonnerre de langues hongroises ― Kosztolányi, Márai, Petöfi, Lukács, Esterházy, Karinthy, et Konrád, Nádas, Bodor et Lengyel », à quoi rattacher peut-être cette vraie passion de la Hongrie. Une maison de photographe, « lanterne magique » qui s’anime des souvenirs liés au père, à la sœur morte, à l’amie d’enfance ― la petite hongroise de l’impasse ―, à la mère.

         De la mère de l’ami, « fils ingrat », déchiré entre amour et répulsion pour celle que la maladie « a expatriée dans son cimetière psychiatrique », à celle de la narratrice ― qui « pédale à toute vitesse » et exile l’enfant, « loin, si loin », « en longs trains de nuit aux fenêtres éclairées » –, il faut remonter à la « mère de douleur » peinte jadis par Piero della Francesca pour la modeste chapelle de Monterchi. La Madonna del Parto, mère lieuse qui façonne en filigrane le dialogue des deux amis.

         « Sommes-nous liés ? », s’interrogent sans cesse les deux amis. Liés, ils le sont, de multiples façons. Jusque dans la promenade matinale qu’ils viennent d’accomplir avant de se séparer, là-bas, en croisant leurs paroles et leur questionnement. Peut-être l’air gardera-t-il en suspension, au-dessus du vallon, quelques pépites éclatantes des mots échangés, quelques filandres accrochées aux herbes ? De ce voyage en trompe l’œil reste le blason lumineux de Hongrie, récit de voyage intérieur qui se clôt sur le souvenir, toujours émerveillé, des pétales de printemps dans les rues de Rimini : « Le manine ! Le manine ! ». Je me souviens d’Amarcord. N’est-ce pas aussi cela, être lié ?

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

    HONGRIE A.M GARAT



    Voir aussi :
    – (sur Terres de femmes)
    Piero della Francesca/La Madonna del parto (extrait de Nous nous connaissons déjà d’Anne-Marie Garat) ;
    – (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    un extrait de Dans la main du diable d’Anne-Marie Garat ;
    le site Anne-Marie Garat.

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  • 20 juillet 1945 | Mort de Paul Valéry

    Éphéméride culturelle à rebours


    Paul Valéry
    Image, G.AdC






    Le 20 juillet 1945 meurt à Paris Paul Valéry. Après des funérailles nationales, l’auteur de La Jeune Parque (1917) et de Mon Faust (1941) est inhumé à Sète. Dans le lieu même qui lui inspira l’écriture des vers du Cimetière marin (1920).

    Paul Valéry est également connu pour ses travaux de réflexion et de critique littéraire. Essais rassemblés par le poète dans Variétés I, II, III, IV,V.







    PETITE LETTRE SUR LES MYTHES


    (EXTRAIT)



    La lecture me pèse ; il n’y a guère que l’écriture qui excède un peu plus ma patience. Je ne suis bon qu’à inventer ce qu’il me faut sur le moment. Je suis un misérable Robinson dans une île de chair et d’esprit tout environnée d’ignorance, et je me crée grossièrement mes ustensiles et mes arts. Je m’applaudis quelquefois d’être si pauvre et si incapable des trésors de la connaissance accumulée. Je suis pauvre, mais je suis roi ; et sans doute, comme le Robinson, je ne règne que sur mes singes et mes perroquets intérieurs ; mais enfin, c’est régner encore… Je crois, en vérité, que nos pères ont trop lu et que nos cerveaux sont faits d’une pâte grise de livres…

    Je reviens à ma questionneuse que j’ai laissée suspendue un instant à quelque clou de la durée. Cette femme sans visage, dont je ne sais que le parfum de papier (et ce puissant parfum me donne une idée de nausée), met enfin une étonnante insistance à me faire expliquer sur les mythes et sur la science des mythes dont elle veut à tout prix que je lui parle, et dont je ne sais que ce que je veux. Je ne devine pas ce qu’ils lui importent.

    Que si ce fût de vous, ma sage et simple amie, et que votre curiosité sur ce point eût essayé d’irriter ma paresse, jamais vous n’eussiez tiré de ma tête autre chose que de pures plaisanteries, dont la plupart impures, et le reste légères. Entre personnes qui se connaissent par essence, ― comme il arrive de vous et de moi, hélas ! ― rien ne compte que ce rapport mystérieux des êtres mêmes ; les paroles ne comptent pas, les actes ne sont rien… […]

    Je vous confesse tout d’abord qu’au moment d’appliquer mon effort à concevoir le monde des mythes, j’ai senti mon esprit rétif ; je l’ai poussé, j’ai forcé son ennui et ses résistances, et comme il reculait sous ma pression, retournant son regard vers ce qu’il aime, désirant ce qu’il fait le mieux dont il me peignait trop vivement les attraits, je l’ai jeté en fureur au milieu des monstres, dans la confusion de tous les dieux, des démons, des héros, des espèces horribles et de toutes ces créatures des anciens hommes, lesquels mettaient leur philosophie à peupler l’univers aussi ardemment que nous mîmes plus tard la nôtre à le vider de toute vie. Nos ancêtres s’accouplaient dans leurs ténèbres à toute énigme, et lui faisaient d’étranges enfants.

    Je ne savais m’orienter dans mon désordre, à quoi me prendre pour y planter mon commencement et développer les vagues pensées que le tumulte des images et des souvenirs, le nombre des noms, le mélange des hypothèses éveillaient, ruinaient en moi devant mon dessein.

    Ma plume piquait dans le papier, ma main gauche tourmentait mon visage, mes yeux trop nettement se peignaient un objet bien éclairé, et je sentais trop bien que je n’avais aucun besoin d’écrire. Puis cette plume, qui tuait le temps à petits traits, se mit d’elle-même à esquisser des formes baroques, poissons affreux, pieuvres tout échevelées de paraphes trop fluides et faciles…

    Elle engendrait des mythes qui découlaient de mon attente dans la durée, cependant que mon âme, qui ne voyait presque pas ce que ma main créait devant elle, errait comme une somnambule entre les sombres murs imaginaires et les théâtres sous-marins de l’aquarium de Monaco !

    Qui sait, pensai-je, si le réel dans ses formes innombrables n’est pas aussi arbitraire, aussi gratuitement produit que ces arabesques animales ? Quand je rêve et invente sans retour, ne suis-je pas… la nature ? ― Pourvu que la plume touche le papier, qu’elle porte de l’encre, que je m’ennuie, que je m’oublie, ― je crée ! Un mot venu au hasard se fait un sort infini, pousse des organes de phrase, et la phrase en exige une autre, qui eût été avant elle ; elle veut un passé qu’elle enfante pour naître… après qu’elle a déjà paru ! Et ces courbes, ces volutes, ces tentacules, ces palpes, pattes et appendices que je file sur cette page, la nature à sa façon ne fait-elle de même dans ses jeux, quand elle prodigue, transforme, abîme, oublie et retrouve tant de chances et de figures de vie au milieu des rayons et des atomes en quoi foisonne tout le possible et l’inconcevable ?

    L’esprit s’y prend tout de même. Mais encore il renchérit sur la nature ; et non seulement il crée, comme elle a coutume de le faire, mais il y ajoute qu’il fait semblant de créer. Il compose au vrai le mensonge ; et cependant que la vie ou la réalité se borne à proliférer dans l’instant, il s’est forgé le mythe des mythes, l’indéfini du mythe, ― le Temps…



    Paul Valéry, « Petite lettre sur les mythes », Variété II, Éditions Gallimard, Collection Blanche, 1930, pp. 226-230.






    ■ Paul Valéry
    sur Terres de femmes


    [Rime]
    30 octobre 1871 | Naissance de Paul Valéry
    30 mars 1917 | Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire
    23 juin 1927 | Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française




    ■ Voir aussi ▼


    la biographie de Paul Valéry sur le site de l’Académie française





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  • 19 juillet 1957 |
    Henry Miller écrit la préface de Justine de Lawrence Durrell

    Éphéméride culturelle à rebours



    ALEXANDRIA
    Source






    PRÉFACE DE JUSTINE
    (EXTRAIT)



         […] Justine, premier volume d’une œuvre qui en comprend quatre et qui a pour thème Alexandrie, possède toutes les qualités d’une œuvre symphonique. Durrell connaît intimement la ville dont il nous restitue à chaque page la couleur, le rythme et le délire. Et c’est une Alexandrie que seul un anglais volontairement exilé, né dans l’Himalaya et qui a trouvé sa maturité en Grèce, pouvait ressusciter. La ville ne joue pas ici un simple rôle de décor : c’est une entité vivante, un être quelque peu monstrueux fait de chair, de pierre, de crime, de rêve ou de mythe, si vous voulez. Un portrait « héraldique » comme dirait Durrell.
         Dans ce premier volume, il fait chatoyer devant nos yeux une étoffe magique chargée d’allusions sensuelles, une toile d’araignée incrustée de gouttes de rosée qui frissonnent et miroitent dans une atmosphère impalpable. Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le dessin de la toile se précise et s’ordonne selon ses propres lois internes. La substance de ce dessin ténu et complexe est une prose poétique la plus exigeante, la plus riche, le plus contrôlée et la plus évocatrice qui soit. Et je ne peux m’empêcher d’évoquer d’autres potions enivrantes que les maîtres de la réalité nous ont servies dans le passé, le Gaspard de la nuit de Ravel, par exemple, les silhouettes éblouies de soleil de Seurat, les envolées dans le pur espace de Pythagore, la bien-aimée Bible d’Amiens, la mosquée de Cordoue aujourd’hui profanée…
         Les personnages qui peuplent ce roman ont une réalité extraordinaire ; j’ose prédire que le choc qu’ils produiront sur le lecteur européen ne sera rien moins qu’hypnotique. Il y a en eux toute la poussière et le délire du Proche-Orient, et on les accepte implicitement, même si l’on ne s’est jamais trouvé en présence de leurs équivalents. Certains sont aussi ahurissants et déconcertants que les paysages anémiés où ils se meuvent et qui, et c’est encore une des étranges vertus de ce livre, se meuvent aussi à travers eux.
         La lecture de ce livre est une aventure qui marque – par sa forme, sa sonorité, sa couleur. Le récit ne progresse pas selon la démarche habituelle du roman ; il miroite et ondule dans la trame flottante de cette matière sacrée si rarement invoquée par le romancier : la lumière. Une lumière surnaturelle saturée de la lie et des réminiscences du passé.
         Encore une fois, je pense à Ravel et à Seurat, à Pythagore. Et pour faire bonne mesure, j’ajouterai un soupçon démentiel d’Alexandre le Grand, qui, après tout, fut sublime.


    Henry MILLER,
    19 juillet 1957.



    Henry Miller in Lawrence Durrell, Justine, Buchet-Chastel Corrêa, 1959 ; Le Livre de Poche, 1963, pp. 7-8-9. Traduit de l’anglais par Roger Giroux.





    ■ Lawrence Durrell
    sur Terres de femmes

    27 février 1912 | Naissance de Lawrence Durrell (+ extrait de Justine)
    28 mai 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero
    29 septembre 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero
    7 novembre 1990 | Mort de Lawrence Durrell (+ autre extrait de Justine)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    la voix de Lawrence Durrell lisant son poème Alexandria



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