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  • Margherita Guidacci | Cumana

    «  Poésie d’un jour  »



    Michelangelo, La Sibilla Cumana
    Michelangelo Buonarroti, La Sibilla Cumana
    fresque, 375 x 380 cm
    Chapelle Sixtine, Rome
    Source






    CUMANA


    I


    (Deìfobe, si de stessa)
    Del vaticinare con le foglie



           Io nullo scrivo sulle foglie. Vi leggo
          quel che le foglie recano già scritto
          in sé, nelle intricate nervature
          simili a vene sul dorso della mano
          o linee incise nel palmo. Il mio sguardo,
          che segue il biforcarsi di vie segrete,
          coglie ad incroci turgidi di linfa
          i nodi del signifcato. Così
          si fa più chiaro il messaggio.
          Ma quella che tu chiedi, e che tu chiami
          la mia risposta, non è mia, e neppure
          è una risposta. È la vita che parla
          in ogni cosa viva, mentre passa
          verso la morte. Vi pongo di mio
          soltanto un giusto angolo di sguardo.
          E il calmo gesto con cui, dopo averle
          lungamente scrutate, affido al vento
          queste mie foglie, e il vento se le porta,
          esso solo compiendo
          per un diritto immemorabile
          il sussurrante vaticinio.




    Margherita Guidacci, Sibyllae, in Il buio e lo splendore, Milano, Garzanti, 1989; Le poesie, Le Lettere, Firenze, 1999, p. 422. A cura di Maura Del Serra.





    CUMAINE


    I


    De la divination par les feuilles



           Je n’écris rien sur les feuilles. Je lis
          ce qu’en elles déjà elles portent,
          en ces nervures embrouillées pareilles
          aux veines sur le dos de la main
          ou aux lignes gravées dans la paume. Mon regard
          qui suit la fourche de voies secrètes
          saisit aux intersections gonflées de sève
          les nœuds du sens. Ainsi
          le message se fait plus clair.
          Mais ce que tu attends de moi, et que tu nommes
          ma réponse, n’est pas à moi, et pas même
          une réponse. C’est la vie qui parle
          en chaque chose vivante cependant qu’elle s’avance
          vers la mort. De moi je n’y mets
          que l’angle juste du regard.
          Et, quand longuement j’ai scruté ces feuilles,
          le calme geste par lequel je les confie
          au vent, et le vent les emporte,
          lui seul proférant
          par un droit immémorial
          le souffle de la prophétie.




    Margherita Guidacci, Sibylles, suivi de Comment j’ai écrit Sibylles, Arfuyen, 1992, pp. 42-43. Traduit de l’italien par Gérard Pfister.






        ■ Margherita Guidacci
        sur Terres de femmes

    À l’hypothétique lecteur
    In corsa
    Tentation de saint Antoine
    19 juin 1992 | Mort de Margherita Guidacci (notice bio-bibliographique)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Margherita Guidacci (+ un extrait de Neurosuite)






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  • 17 juillet 1900/Isabelle Eberhardt à Marseille

    Éphéméride culturelle à rebours






    Marseille en 1900
    Montage ph., G.AdC






    ISABELLE EBERHARDT À MARSEILLE


         Le 17 juillet 1900, ils avaient marché inconsidérément dans les rues de Marseille. Partis en début d’après-midi, rentrés avec la nuit, Augustin et Isabelle avaient retrouvé les habitudes du temps où ils se rendaient à pied de Vernier à Genève tout en se faisant leurs confidences. Ils étaient allés, côte à côte, jusqu’au quai de la Fraternité et, de là, jusqu’au fort Saint-Nicolas où ils avaient vu « tourner le pont à force de bras d’homme pour laisser passer un voilier grec ». Le capitaine criait: « Vira! Vira! » ; on l’entendait depuis le quai. Puis, ils avaient regardé les petits baigneurs en caleçon « prendre des attitudes ». Heureux enfants, sans souvenirs.
         Ils s’étaient dirigés, ensuite, vers les bassins de la Joliette. Là, ils avaient assisté à l’arrivée et au départ des bateaux d’Afrique. Ils avaient vu débarquer de riches passagers. Ils avaient vu les valets de cabine décharger les lourdes malles métalliques. Ils s’étaient laissé porter par les mugissements des navires et la cohue des idiomes. Ils avaient vu embarquer des gens qui paraissaient tout droit sortis de la vitrine d’un marchand de vêtements pour pays chauds. Les hommes étaient en costume de toile et portaient un panama. Ils avaient vu des enfants en haillons se battre pour des oranges tombées du pont d’une balancelle. Ils avaient vu des portefaix aux bras noueux, des hommes à demi nus, le visage noir de suie qui, sur le quai du Lazaret, chargeaient du charbon dans la cale béante des navires. Ils avaient assisté à des disputes violentes aux portes des bars. Ils avaient vu un ivrogne écraser la jambe d’un soldat. Et des agents intervenir.
         En passant devant Le Bar Idéal, Isabelle s’y arrêta. C’était un zinc pour navigateurs, de ces lieux où l’on ne s’attend guère à voir surgir une femme, à la voir s’attabler et demander du papier pour écrire. Au Bar Idéal, Isabelle adressa deux « lettres de cœur », l’une à Véra, l’autre à Chouchinka, deux lettres d’adieux. Puis, comme elle ne cessait de vouloir à tous les instants savoir ce qui se passait en elle, Isabelle nota, à son usage personnel: « Je me sens attaché à Véra et à Chouchka par un lien plus puissant qu’avant. »


    Edmonde Charles-Roux, Nomade j’étais, Les années africaines d’Isabelle Eberhardt, Éditions Grasset et Fasquelle, 1995 ; Le Livre de Poche, 1997, pp. 273-274.




    Voir aussi :
    – (sur Terres de femmes)
    18 août 1900/Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable ;
    – (sur Terres de femmes)
    27 octobre 1900/Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable.




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  • Myriam Montoya | Je reviens au jardin de l’enfance

    «  Poésie d’un jour  »



    À son cadavre de tulle de danseuse épuisée
    Ph., G.AdC






    VUELVO AL JARDÍN DE LA INFANCIA



    Vuelvo al jardín de la infancia
    Al sexo de las flores

    A sus cavidades y filamentos
    A los secretos adentros
    que exploramos

    La persecución de una luna
    demasiado plena
    sitiaba nuestros pasos

    En la corola abrupta de la flor
    el ojo desmesurado
    capta el vértigo

    Vuelvo a la flor impúdica
    A su parpadear de mariposa
    Al líquido azúcar de su sépalo
    A su cadáver de tul
    de bailarina exhausta

    Vuelvo al celo de la flor
    Al batir de alas de la avispa
    A su veneno inyectado
    en el cerrojo de mi sangre







    JE REVIENS AU JARDIN DE L’ENFANCE



    Je reviens au jardin de l’enfance
    Au sexe des fleurs

    À leurs cavités leurs filaments
    Aux secrets du dedans
    que nous avons explorés

    La persécution d’une lune
    trop pleine
    assiégeait nos pas

    Dans la corolle abrupte de la fleur
    démesuré l’œil
    capte le vertige

    Je reviens à la fleur impudique
    À son clignement de papillon
    Au sucre liquide de son épaule
    À son cadavre de tulle
    de danseuse épuisée

    Je reviens au rut de la fleur
    Au frémissement de la guêpe
    Au venin qu’elle injecte
    dans le verrou de mon sang




    Myriam Montoya, Fleur de refus, Éditions des Forges/Éditions Phi, 2009, pp. 66-67. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Stéphane Chaumet.





    MYRIAM MONTOYA

    MYRIAM Montoya
    D.R. Stéphane Chaumet
    Source



    ■ Myriam Montoya
    sur Terres de femmes

    Myriam Montoya/Bachue (+ notice bio-bibliographique)
    J’irai encore
    Sara
    → (dans la Galerie Visages de femmes) un
    Portrait de Myriam Montoya (+ un autre extrait du recueil Flor de rechazo/Fleur de refus)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Festival Internacional de Poesía de Medellín) une
    note bio-bibliographique sur Myriam Montoya




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  • Judith Chavanne | Un rire quelque part

    «  Poésie d’un jour  »


    Ou dans un arbre
    Ph., G.AdC






    UN RIRE QUELQUE PART…


    Un rire quelque part à l’étage dans l’une des chambres,
    quelque chose de très doux
    comme un oiseau parfois roucoule dans la proximité.
    Plus terne même que la voix d’un oiseau
    logé sous le toit ou dans un arbre, et faible modulation ;
    comme l’écume d’une présence :
    un enfant lit seul dans le silence de l’hiver et d’une maison.
    Ou est-ce l’écume d’une relation ?
    Comme ces rires aussi, menus, échappés au sommeil
    — ainsi la résurgence à la profonde terre —,
    formés en cet autre espace qu’offre le rêve
    à qui peut nouer ici, renouer d’invisibles liens.


    Judith Chavanne, Un seul bruissement suivi de Les aînés, ceux qui les suivent, Le bois d’Orion, 2009, page 68.





    JUDITH CHAVANNE



    ■ Judith Chavanne
    sur Terres de femmes

    L’enfant était à venir
    Une goutte de vie



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poésie maintenant)
    un autre poème de Judith Chavanne extrait d’Un seul bruissement
    → (sur Poezibao)
    une fiche bio-bibliographique






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  • 14 juillet 1997 | Yves Charnet, Notes fantômes (inédit)

    Éphéméride culturelle à rebours



    Yves Charnet et Aldo
    Ph., G.AdC







    NOTRE FRÉROCITÉ



    Nevers, 14 juillet 1997



         Talalala… lalalalalalala… talalala… lala…
         J’écoute « Il Camino » (le thème d’Aldo Romano).
         Aldo ? Aldo ?
         Dans la prime enfance, un autre portrait (je me souviens) ce prénom. Aldo de Decize, en Loire assise.
         C’était mon frère en sauce tomate. Bouille barbouillée d’italien. On aurait dû nous marier. Mon masque noir, son sabre de bois. Notre camaraderie méritait ce sacrement. Ses voitures, mes cyclistes. Pas un jouet qui ne fût à nous. Dans notre HLM en bordure d’une ville minuscule.
         J’ai trois ans. (Comme Aldo.)
         Avec le fils de ma nourrice ritale tout en commun. Dans notre petite commune. Le je est une affaire de jeu. Do, mi, sol, mi, fa. Je me fabrique une tribu fictive. Contre le père en cavale. Je me bricole une généalogie saugrenue. Contre la mère sévère. Je deviens écrivain. Ma fumisterie au fur et à mesure. Je prends mon camarade à témoin.
    Bouffées fraternelles.
         J’invente le frère que je n’ai jamais eu. Mon double fabuleux. Le paradis dure cinq ans. 1962-1967. Le premier départ me coupe en deux. Sanglots secs. Les déménageurs ont perdu Aldo. Entre Decize et Nevers. Comme on perd une horloge.
         Depuis qu’on m’a amputé de ce garçon je cherche des frères d’armes. Mes frères d’âme. (Comme dira plus tard Nougaro. Dans une de mes autres vies.)
         Je repense à mon premier ami. Trente ans après. Quel vent me l’a donc ôté ?
         Nevers, 1967. Le désir cesse de pivoter autour d’un visage. Paradis éparpillé. J’ai mal à l’autre moitié de mon âme. Mal au frère fictif. Je cherche mon autre moi. Mon moi en mieux. Je réclame.
         Notre frérocité.



    Yves Charnet, Notes fantômes (inédit) in Revue Nu(e) Numéro 40, Numéro Yves Charnet coordonné par Philippe Met, 2009, page 17.





    ■ Yves Charnet
    sur Terres de femmes

    Difficile séjour
    La tristesse durera toujours (lecture d’AP)
    4 mars 2004 | Mort de Claude Nougaro (extrait de Quatre boules de jazz | Nougasongs d’Yves Charnet)
    Quatre boules de jazz | Nougasongs (lecture de Michèle Finck)
    10 juin 2012 | Yves Charnet, La tristesse durera toujours (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    J-F. P. | J-B. P./Frères de sang






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  • Livane Pinet | Traces

    «  Poésie d’un jour  »



    Longtemps Pinet
    Ph., G.AdC







    TRACES



    Comme rêver se déchire
    vivre se déchire
    cabri des neiges
    laissant les traces de ses sabots nocturnes
    sous la voûte de la mémoire

    dans la paille plus faible
    le souffle plus court
    l’animal que rongent les vers
    fixe son œil à l’ampoule son étoile

    longtemps je tiens son nom
    de pierre dans mon poing serré

    longtemps
    le givre sur mon cœur
    noircit le jour

    j’attends un signe venu de la terre
    la verte marée du printemps
    pour — dans l’herbe et la lumière —
    laver mes mains — mes yeux — mes pieds —




    Livane Pinet, La Part d’ombre, La Dame d’Onze Heures, Isabelle Raviolo Éditions, 2009, page 41. Encres d’Isabelle Raviolo.



    LIVANE  PINET


    Livane Pinet
    Source




    ■ Livane Pinet
    sur Terres de femmes


    [Le soleil se rapprochait](extrait des Pierres filantes)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Poezibao)
    La Part d’ombre, de Livane Pinet (lecture de Sylvie Fabre G.)






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  • 12 juillet 1972 | Œdipe Roi et Œdipe à Colone au Festival d’Avignon

    Éphéméride culturelle à rebours





         Le 12 juillet 1972 a lieu la création, au Festival d’Avignon, d’Œdipe Roi et d’Œdipe à Colone dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon.



         Avec la contribution artistique de Jacques Lacarrière, Jean-Paul Roussillon met en scène, pour la Comédie Française, les deux grandes tragédies de Sophocle, Œdipe Roi et Œdipe à Colone. La distribution ― éblouissante ― compte de grands noms. François Chaumette interprète Créon, Michel Etcheverry, Tirésias, Georges Aminel, Œdipe, François Beaulieu, Thésée, Jean-Luc Boutté, Polynice, Rosy Varte, Jocaste, Madame Couture, Antigone et Madame Fages, Ismène. Michel Aumont interprète le rôle d’un messager ; Denise Gence, Virginie Pradal et Catherine Ferran, celui de femmes du peuple. Hervé Sand celui d’un habitant de Colone.




    EXTRAIT I


    ŒDIPE ROI


    Une place, à Thèbes, devant le palais des Labdacides.


    PROLOGUE


         ŒDIPE (paraissant sur le seuil de son palais).

         Enfants, rejetons nouveaux de l’ancêtre Cadmos, quelle assemblée tenez-vous donc là, couronnés de rameaux suppliants ? La Ville est pleine du parfum de l’encens, tandis qu’éclatent les péans et les lamentations. Ne voulant point, mes enfants, apprendre d’autrui ce qui vous touche, voyez : moi, Œdipe, — vous savez tous qui je suis, n’est-ce pas ? — j’ai tenu à venir en personne. (Au prêtre.) Eh bien, vieillard, puisque tu as qualité pour parler en leur nom, dis-moi ce qui vous amène : quelle crainte ou quel désir ? Je suis prêt à vous aider en toutes choses. J’aurais le cœur bien dur, si je n’avais pitié de votre assemblée suppliante.

         LE PRÊTRE. — Œdipe, souverain de mon pays, tu nous vois, petits et grands, pressés autour de tes autels domestiques, les uns trop faibles encore pour voler loin, d’autres appesantis par le grand âge — tel je suis, moi, le ministre de Zeus — et ceux-ci, délégués de la jeunesse. Et le peuple tient ses assises suppliantes sur toutes les places publiques, devant les deux temples de Pallas et près du sanctuaire où vaticine la cendre d’Isménos. Car la cité — tu le vois toi-même — toute secouée par la tourmente, peut à peine soulever sa tête hors des gouffres et des remous sanglants. Elle périt dans les semences de la terre, elle périt dans les troupeaux, elle périt dans le ventre des mères. Une plaie tombée du ciel embrase la cité, c’est la Peste maudite : elle fait le vide dans la maison de Cadmos et le noir Hadès thésaurise les gémissements et les pleurs. Ces enfants et moi, prosternés devant ton foyer, nous ne te prenons pas pour un dieu, certes ; mais nous t’élisons entre tous les hommes, à l’heure du péril, pour intercéder auprès des dieux : à peine arrivé devant nos murs, ne nous as-tu pas affranchis du tribut que levait sur nous le monstre aux énigmes ? Oui, sans que nous t’ayons favorisé d’aucun renseignement, sans être au fait de rien, fort seulement de l’appui d’un dieu, tu nous as rendu la vie, chacun le proclame et le pense. Nous voici donc tous de nouveau, ô tout-puissant Œdipe, tournés vers toi : nous te supplions de nous trouver un remède, soit que tu entendes une voix divine, soit que tu écoutes l’avis de quelque sage ; car j’observe que l’expérience est toujours bonne conseillère. Va, ô le meilleur des mortels, redresse la cité qui penche ; va, ta gloire est en jeu. Ce pays t’appelle à l’aide parce que tu t’es déjà dévoué pour lui. Qu’il ne soit pas dit que, sous mon règne, nous ne nous étions relevés que pour retomber ; rends à la cité un aplomb solide. Jadis, avec l’assentiment des dieux, tu as rétabli notre fortune : ne démens pas ton passé. Si tu dois gouverner encore ce pays, il vaut mieux régner sur des hommes que sur un désert : qu’est-ce qu’un rempart sans défenseurs, un navire sans équipage ?

         ŒDIPE. — Mes pauvres enfants, je suis loin d’ignorer quel anxieux espoir vous a conduits jusqu’ici. Je sais votre commune souffrance, et croyez bien que nul d’entre vous ne souffre autant que moi. Alors que chacun n’est atteint que par sa propre douleur, mon cœur gémit tout ensemble sur la ville, sur toi, sur moi… Non, vous ne me réveillez pas d’un sommeil tranquille. J’ai versé bien des larmes, sachez-le, ma pensée a exploré plus d’un chemin. Après mûre réflexion, je n’ai trouvé qu’un remède, et je l’ai appliqué : j’ai dépêché au sanctuaire de Pythô mon beau-frère Créon, le fils de Ménécée, afin qu’il apprenne d’Apollon ce qu’il faut que je fasse ou dise pour nous tirer du péril. Je l’avoue, lorsque je compte les jours, je ne laisse pas d’être inquiet, car son absence excède le temps prévu. Quoi qu’il en soit, dès son retour, je serai bien fautif si je n’exécutais à la lettre les instructions de l’oracle.

         LE PRÊTRE. — Tu ne pouvais parler plus à propos ; on m’annonce à l’instant l’arrivée de Créon.


    Sophocle, Œdipe Roi, GF–Flammarion, 1964, pp. 105-106-107. Traduction par Robert Pignarre.






    Céphise
    Ph. angèlepaoli





    EXTRAIT II


    ŒDIPE À COLONE



    CHANT DU CHŒUR


    C’est au pays des beaux chevaux,
    étranger, que tu es venu,
    dans la plus belle des campagnes,
    l’éblouissant Colone, aimé des rossignols
    qui modulent à voix limpide
    au creux vert de la ravine,
    hôtes du lierre noir comme le vin,
    sous la feuillée impénétrable, au dieu vouée,
    protégeant ses berceaux de fruits
    des feux du plein soleil, du souffle des tempêtes :
    car c’est là qu’exultant du mystique délire
    Dionysos revient toujours
    mener le chœur des nymphes ses nourrices.

    Là chaque jour s’épanouissent,
    sous la sainte rosée, en grappes opulentes,
    le narcisse, des deux déesses très augustes
    antique diadème,
    et l’éclat doré du safran ; là, toujours vives,
    d’un cours toujours égal, les sources du Céphise
    s’épanchent vagabondes ;
    et, chaque jour, leurs eaux pures pénètrent
    l’ample sein de la plainte aussitôt fécondé.
    Là se plaisent les Muses
    pour y danser en chœur, et là se plaît
    Aphrodite menant son char aux rênes d’or.

    Il est, dit-on, un arbre à l’Asie inconnu,
    et qui ne croît point volontiers
    dans la grande île dorienne de Pélops.
    Il naît spontanément, redouté de la lance
    pillarde, il est vraiment un arbre de chez nous :
    c’est le glauque olivier, gardien de nos enfants.
    Ni jeune conquérant ni chef sous le harnois
    blanchi n’en détruira la sève,
    car Zeus, patron de nos enclos,
    veille sur lui d’un œil qui jamais n’a cillé
    et le regard perçant d’Athéna le protège.

    Mais une autre louange, et la plus haute, est due
    aux incomparables trésors
    dont un autre grand dieu fit don à ma patrie :
    nos chevaux, nos poulains et nos coursiers des mers !
    Fils de Cronos, ô roi Posidon, c’est à toi
    qu’elle doit ces titres de gloire,
    puisque, pour la première fois, dan nos campagnes,
    tu essayas le frein qui calme les chevaux.
    Et, légère à la main, qu’il fait bon voir la rame
    sur le flot rebondir, cent filles de Nérée
    plongeant, surgissant alentour !



    Sophocle, Œdipe à Colone, GF–Flammarion, 1964, pp. 280-281. Traduction par Robert Pignarre.




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  • Fabio Pusterla | Au-delà des vagues

    «  Poésie d’un jour  »



    Pusterla 1
    Ph. angèlepaoli





    OLTRE LE ONDE


    a Nina



    La bambina che è andata oltre le onde
    quando si volta non vede più terra, solo onde
    alte più alte di lei che la separano
    da quello che ha lasciato sulla riva.

    E non c’è azzurro, rosa,
    non c’è più cielo o acqua: luce pura
    che stempera ogni schianto in una schiuma
    d’abbaglio o dentro un’ala
    larga come un oceano
    sanguinosa.

    È la sua vita
    che le appare improvvisa dentro il vortice,
    perdifiato e spavento
    nella gola.

    Né padre, ora, né madre, e niente casa.
    Mare estremo dentro il sole.


    Fabio Pusterla, Corpo stellare, III, Milano, Marcos y Marcos, 2010, pagina 111.






    AU-DELÀ DES VAGUES


    à Nina


    La petite fille qui est allée au-delà des vagues
    quand elle se retourne ne voit plus la terre, seulement les hautes vagues
    plus hautes qu’elle et qui la séparent
    de ce qu’elle a laissé sur la rive.

    Et il n’y a plus de bleu ni de rose,
    il n’y a plus de ciel ou d’eau : la lumière pure
    dilue chaque vague qui se brise dans l’éblouissement
    de l’écume ou dans une aile
    large comme un océan
    sanglant.

    C’est sa vie
    qui dans le tourbillon lui apparaît à l’improviste
    perte de souffle et frayeur
    dans la gorge.

    Ni père, désormais, ni mère, et aucune maison.
    La mer dernière dans le soleil.


    Fabio Pusterla, Ultimes paysages, édition bilingue, L’Arrière-Pays, 2009, pp. 16-17. Traduit de l’italien par Éric Dazzan.





    FABIO PUSTERLA

    Pusterla_1
    Source


    ■ Fabio Pusterla
    sur Terres de femmes

    Arte della fuga
    Caparìca
    Due rive
    Entre-deux
    Esquisse en poudre de gypse, 6
    La fugitive
    Une vieille (+ bio-bibliographie)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de culturactif.ch)
    une bio-bibliographie très complète de Fabio Pusterla




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  • 11 juillet 1914 | Lettre de Paul Morand à sa mère

    Éphéméride culturelle à rebours

    Topique : Venise



    Pietro Longhi
    Pietro Longhi (1702 – 1783)
    Ridotto a Venezia, v. 1750
    Huile sur toile, 84 x 115 cm
    Collection particulière
    (vente Sotheby’s New York Jan. 27, 2005)
    Source







    LETTRE DE PAUL MORAND À SA MÈRE



         Je retrouve une lettre écrite de Londres, à ma mère, à la veille de la guerre, le 11 juillet 1914 :

         « Nous eûmes hier soir une fête Longhi du plus bel effet, chez une Mrs. C. Sur la terrasse, au sommet du toit, en pleine ville, on avait aménagé une pièce d’eau où évoluaient des gondoles. Ce lac était enguirlandé de merveilleuses lampes japonaises, comme de grosses oranges lumineuses ; un pont en dos d’âne le traversait, orangé lui aussi, et biscornu, vrai Rialto de Yokohama, rapporté par quelque Marco Polo. Salle à manger rococo vénitien, peinte par J.-M. Sert, dans le goût de son décor or et argent du ballet de Joseph que Diaghilev vient de présenter à Covent Garden. Grande table de cent couverts, en fer à cheval ; chaque convive avait devant soi un plat en argent et une bougie : faisans et paons emplumés, comme pièces montées ; nappe en toile d’or ; au centre du fer à cheval un tapis de peaux d’ours blancs, où évoluaient almées et jongleurs. La livrée était en maillots sombres, à large collerette blanche. Tout le monde portait la bauta, par-dessus le long manteau Longhi ; masque et tricornes obligatoires. J’avais revêtu le cafetan d’un Turc du quai des Esclavons. Le baron de Meyer (le meilleur photographe de notre époque) était en habit Louis XV, lamé d’or, perruque d’argent, et une bauta en point de Venise noir. C’était la première fois que je voyais à Londres un spectacle privé de goût audacieux, et pareil faste. Comme société, on était sur les confins du vrai monde. »

         J’avais découvert Londres en 1902 ou 1903 ; les dernières troupes, démobilisées après la guerre des Boers, revenaient peu à peu d’Afrique du Sud : by Jingo, quelle fière conquête du monde !


    Paul Morand, Venises, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1971, pp. 61-62.






    PAUL MORAND


    Paul Morand
    Source



    ■ Paul Morand
    sur Terres de femmes

    13 mars 1888 | Naissance de Paul Morand
    Baisers



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Académie française) la
    fiche biographique de Paul Morand
    → (sur le site de l’INA)
    un Portrait vidéo de Paul Morand
    → (sur fabula)
    Longévité de Paul Morand, par Patrick Bergeron
    → (sur Terres de femmes) la Topique Venise dans l’Index de mes Topiques






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  • 10 juillet 1914 | Apollinaire, Dessins d’Arthur Rimbaud

    Éphéméride culturelle à rebours



    [10 juillet.]



    DESSINS D’ARTHUR RIMBAUD



         On a déjà publié beaucoup de dessins d’Arthur Rimbaud ; ils sont à la fois très amusants et très singuliers, et rappellent par certains côtés de déformation expressive plutôt que caricaturale les dessins de Gogol dont j’ai vu la reproduction dans une édition de ses œuvres complètes.
         La Nouvelle Revue Française publie la description due à la plume de M. Paterne Berrichon de quelques dessins ornant trois lettres inédites d’Arthur Rimbaud *. J’aurais aimé voir la reproduction des dessins mêmes, mais il faut savoir se contenter.
         « Dessin à la plume.― Dans le ciel, un petit bonhomme avec une bêche en ostensoir et ces mots lui sortant de la bouche : « Ô nature, ô ma soeur. » Par terre, un bonhomme plus grand, en sabots, une pelle à la main, coiffé d’un bonnet de coton, dans un paysage de fleurs, d’herbes, d’arbres. Dans l’herbe, une oie avec des mots lui sortant du bec : « Ô nature, ô ma tante! »









         Voici un autre dessin à la plume :
         « Le hameau de Roche, ou de la maison où a été écrite la Saison en Enfer et où les exemplaires de la brochure livrés par l’imprimeur ont été détruits. En bas du dessin, ces mots : « Laïtou, mon village. »









         Et enfin, ce troisième dessin à la plume :
         « En haut de la lettre, à gauche, une maison de quatre étages protégée par une clôture et entourée d’arbustes ; une voiture d’où sort un petit bonhomme empressé, arrêtée devant ; sous le tout, en biais, ces mots : Wagner verdammt in Ewigkeit  ! Expectorés par un personnage fantastique occupant toute la marge de gauche.
         « Au bas de la lettre, un paysage de ville où se voient, à gauche, des pieux et des bouteilles formant oriflamme, sur lesquels sont écrits ces mots: Riessling, fliegende Blätter ; et, de gauche à droite, une espèce de cirque avec, en dessous, ces mots : vieille ville; puis, des maisons avec des squares, des arbres, un tramway qui roule vers le haut et en tournant, et encore plus haut, des étoiles et un croissant noir. Tout ce fouillis de Riess, Riessling en lettres capitales. »
         Il est à souhaiter qu’on réunisse ces dessins à la plume dans un album qui ne manquera point d’avoir un vif succès auprès des rimbaldiens dont le nombre est de plus en plus grand de par le monde.


    Guillaume Apollinaire, Chroniques d’art, 1902-1918, Éditions Gallimard,1960 ; collection folio essais, 2002, pp. 511-512.



    * Dans la Nouvelle Revue Française du 1er juillet 1914, pp. 49-57. Les deux premiers dessins ornent une lettre à Ernest Delahaye de Roche [Roches dans le dessin de Rimbaud], mai 1873, et le troisième une lettre à Ernest Delahaye de Stuttgart, mars 1875. Aucun fac-similé n’existe de ces dessins, selon les éditeurs des Œuvres complètes de Rimbaud (Bibliothèque de la Pléiade).




    APOLLINAIRE CHRONIQUES D ART




    GUILLAUME APOLLINAIRE


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    ■ Guillaume Apollinaire
    sur Terres de femmes


    26 août 1880 | Naissance de Guillaume Apollinaire
    28 février 1912 | Première exposition de Marie Laurencin (+ poème « Marie » lu par Apollinaire)
    26 avril 1915 | Lettre de Guillaume Apollinaire à Lou
    8 mai 1915 | Lettre de Guillaume Apollinaire à Lou
    17 juin 1915 | Publication de la Case d’Armons d’Apollinaire
    15 avril 1918 | Publication de Calligrammes d’Apollinaire
    9 novembre 1918 | Mort de Guillaume Apollinaire
    Les dicts d’amour à Linda




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur fr.calameo.com)
    Bibliophilie apollinarienne






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