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  • Cristina Campo | Le Tigre Absence

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

    Labyrinthe

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo : G.dC 

     

     

    Ora tu passi lontano, lungo le croci
            del labirinto,
    lungo le notti piovose che io m’accendo
    nel buio delle pupille,
    tu, senza più fanciulla che disperda le voci…

    Strade che l’innocenza vuole ignorare e brucia
    di offrire, chiusa e nuda, senza palpebre o labbra !

    Poiché dove tu passi è Samarcanda,
    e sciolgono i silenzi tappeti di respiri,
    consumano i grani dell’ansia –

    e attento : fra pietra e pietra corre un filo di sangue,
    là dove giunge il tuo piede.

     

    Maintenant tu passes au loin, au long des croix
              du labyrinthe,
    au long des nuits pluvieuses que j’allume pour moi
    dans le noir des pupilles,
    toi, sans plus de jeune fille qui disperse les voix…

    Routes que l’innocence veut ignorer et brûle
    d’offrir, close et nue, sans paupières no lèvres !

    Puisque là où tu passes est Samarcande,
    que les silences déroulent des tapis de souffles,
    et se consument les grains de l’angoisse –

    attention : entre pierre et pierre court un filet de sang,
    là où ton pied arrive.

     

     

     

    CRISTINA CAMPO

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cristina Campo, « Passo d’addio »| « Pas d’adieu », in Le Tigre Absence, Traduit de l’italien et présenté par Monique Baccelli,
    Arfuyen 2023, pp. 26, 27.

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    CRISTINA CAMPO

    Portrait de Cristina Campo
    Image, G.AdC

    ■ Cristina Campo
    sur Terres de femmes ▼

    → 29 avril 1923 | Naissance de Cristina Campo
    → 8 mai 1972 | Cristina Campo, Lettre à Mita
    → (dans la galerie Visages de femmes) Les Impardonnables (extrait)

    ■ Voir aussi ▼

    → le site Cristina Campo, site (en italien) créé par Arturo Donati
    → (sur le site de la Revue Nunc) « Cristina Campo, mystique absolue, ou la recherche de la sprezzatura », par Réginald Gaillard
    → (sur Lettre(s) de la Magdelaine de Ronald Klapka) Cristina Campo, sotto vero nome : sprezzatura (8 mars 2006)
    → (dans Le Monde du 3 mars 2006) Les incendies d'une mystique, par René de Ceccatty [Word, .docx]

     

  • Pascal Commère | On ne voit bien le monde qu’en marchant

       

     

     

    Lecture

     

     


       

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    On ne voit bien le monde qu’en marchant
              Notes buissonnières

    Marchant en bord de route en direction de V., nous surprenons une grosse chenille verte qui se traîne sur le goudron. Aussitôt, Zelle : « Ah non, j’ veux pas qu’elle se fasse écraser ! » Et de lui planter sous le nez le bâton de frêne qu’elle venait d’écorcer. La chenille s’y enroule. Elle restera ainsi durant toute la promenade. Sur le chemin de halage où nous nous reposons au retour, Zelle lui bâtit un petit enclos avec des cailloux. « Ça y est, dit-elle, je l’ai domestiquée. » Nous quittons la berge. Délaissant la baguette, la chenille passe sur une feuille de marronnier, tombe à terre. Zelle la ramasse, prenant soin de ne pas effleurer les poils qui hérissent son abdomen. De retour à la maison, je consulte le Guide des insectes. Nul doute, il s’agit bien de la chenille (mature) du Pavonia pavonia ou Petit-paon-de-nuit.

    Depuis quelque temps à la recherche d’un mot pour dire la lumière rasante de septembre au-dessus des prés secs – disons pour l’approcher, la cerner, la saisir… Mais comment le choisir, ce mot – existe-t-il d’ailleurs ? -, comment l’élire, le faire sien. Sinon en vertu de sa capacité à éclairer à son tour.

    Curieuse impression lorsque, coiffé d’un chapeau, on a marché une journée durant sous le soleil ou la pluie, que de sentir encore la présence de ce galurin alors qu’on l’a retiré depuis quelque temps déjà, au point de porter par intermittence une main sur sa tête pour le remettre en place.

    Zelle, écoutant la radio où l’on annonce une émission autour d’Aragon : « Ça m’embête quand c’est sur les poètes… » Puis, marquant une pause : « Je préfère quand c’est sur les animaux. »

    Écrire pour garder mémoire, certes. Pour oublier, aussi. Pour perdre trace. Comme on lâcherait une bulle, qui monte qui monte… puis disparaît. S’abandonner, voilà le maître mot.

    S’arrêter. Repartir. Plus loin, toujours plus loin. En marche.

    Tenir à quelques gestes ordinaires comme toujours, autant de points dans ma vie dont tu ne sais aujourd’hui – pas plus qu’hier du reste – comment recoudre les morceaux, ni quel sens lui donner, tu ralentis le pas, fais halte. Quand une coccinelle se pose sur ta main. En sait-elle plus que toi ?

    La prose est trop pleine d’elle-même, trop fermée pour prendre place dans l’été. Lui préférer le vers. Qui ouvre.

     

     

     

     

     

    Pascal Commère, « On ne voit bien le monde qu’en marchant », Notes buissonnières in Diérèse, Poésie & Littérature n° 88, automne 2023, pp.166, 167.

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    PASCAL  COMMÈRE

    Commere
    Source

    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes ▼

    → [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    → Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    → Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    → [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)
    → [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    → Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à cielune page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture) Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)

  • Werner Luz | Depuis cet instant jusqu’à l’autre

       <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    ROUGE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " barque multicolore "     

    Aquatinte de G.AdC

     

     

     

    Attendre attendre tout simplement
    jusqu’à ce que
    derrière les senteurs mouillées de pluie
    les jardins reparaissent

                        *

    Comme le vent la nuit me
    métamorphose
    je pourrais être un mur
    et il faudra bien du temps encore
    avant que j’aie de nouveau
    quelque chose à dire

                       *

    Par vagues le silence
    ou peut-être un îlot de varech
    et parfois
    ma voix oiseau noir
    barque multicolore

                     *

    Osé
    cette traversée osé
    ma voix
    le fleuve si large

                    *

    Parfois
    les temps se mêlent
    les sons les odeurs
    et le halo
    d’une lampe soufflée depuis
    longtemps persiste
    comme s’il faisait nuit
    comme si ce n’était qu’hier
    et pas ici

                    *

    Écume éclaboussures tous ces rires aux éclats
    et contre la rive les lumières qui dansent
    entre des mots graves comme de nuit
    ligne après ligne
    d’un poème qui s’écoule et bouillonne
    tracé par un vieux poète
    dans le cours du fleuve.

     

     

     

    Bousquet

    Werber Luz, « Depuis cet instant jusqu’à l’autre » in « Cahier de création », 2023, pp. 247, 248.
    Traduit de l'allemand (Suisse) par Natacha Ruedin-Royon.

    Né en 1930 à Wolfhalden, en Suisse orientale, Werner Luz est le cinquième enfant d’une famille de petits agriculteurs et de tisserands de la soie. Il suit une formation de graphiste à Saint-Gall, puis quitte la région pour s’établir près des rives du Rhin, à Bâle et à Binningen, où il vivra jusqu’à sa mort en 2016.

     

  • Gabriela Mistral | De désolation en tendresse

    << Poésie d'un jour

     

     

     

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    Portrait par   G.AdC

     

    L15 novembre 1945, le Prix Nobel de Littérature est décerné à Gabriela Mistral (1889-1957), de son vrai nom Lucila Godoy y Alcayaga.
    Elle prononce son Discours de réception le 10 décembre 1945. C'est le premier Prix Nobel de littérature décerné à un écrivain hispano-américain.

     

     

     

    Agua

    Hay países que yo recuerdo
    como recuerdo mis infancias.
    Son países de mar o río,
    de pastales, de vegas y aguas.
    Aldea mía sobre el Ródano,
    rendida en río y en cigarras ;
    Antilla en palmas verdi-negras
    que a medio mar está y me llama ;
    !roca ligure de Portofino :
    mar italiana, mar italiana !

    Me han traído a país sin río,
    tierras-Agar, tierras sin agua ;
    Saras blancas y Saras rojas,
    donde pecaron otras razas,
    de pecado rojo de atridas
    que cuentan gredas tajeadas ;
    que no nacieron como un niño
    con unas carnazones grasas,
    cuando las oigo, sin un silbo,
    cuando las cruzo, sin mirada.

    Quiero volver a tierras niñas ;
    llévenme a un blando país de aguas.
    En grandes pastos envejezca
    y haga al río fábula y fábula.
    Tenga una fuente por mi madre
    y en la siesta salga a buscarla,
    un agua dulce, agua y áspera.

    Me venza y pare los alientos
    el agua acérrima y helada.
    ! Rompa mi vaso y al beberla
    me vuelva niña las entrañas !

     

    Eau

    Il est des pays que je me rappelle
    comme je me rappelle mes enfances.
    Ce sont des pays de mer ou de fleuve,
    de pâturages, de plaines et d’eaux.
    Ô mon village sur le Rhône,
    offert parmi fleuves et cigales ;
    Antille* parmi les palmiers vert-foncé
    Qui sise au cœur de la mer m’appelle ;
    roche ligure de Portofino :
    mer italienne, mer italienne !

    J’ai été emmenée dans un pays sans fleuve,
    terre-Agar, terres sans eau ;
    Sarah blanches et Sarah rouges,
    où péchèrent d’autres races,
    du rouge péché des Atrides
    que narrent des argiles fêlées ;
    qui ne naquirent pas comme un enfant
    aux bourrelets bien en chair,
    quand je les entends, sans un sifflement,
    quand je les croise, sans un regard.

    Je veux revenir aux terres enfantines ;
    ramenez-moi à un tendre pays d’eaux.
    Qu’en de grands pâtis je vieillisse
    et change le fleuve en fables et en fables.
    Que j’aie une source pour ma mère
    et que lors de la sieste j’aille la chercher,
    et qu’en des jarres s’écoule d’un rocher
    une eau douce forte et âpre.

    Qu’elle me gagne et me coupe les souffles
    l’eau âcrissime et gelée.
    Qu’elle brise mon verre et en la buvant
    qu’elle rende enfance à mes entrailles !

     

     

     

    Mistral Livre

     

    Gabriela Mistral, « Tala 1938 » in De désolation en tendresse, Anthologie (poésie et prose), T
    Textes traduits de l’espagnol (Chili) par Laëtitia Boussard et Benoît Santini, Éditions Caractères 2018, pp.72, 73,74,75. Collection Planètes.

    *La poétesse employant le singulier pour le mot « Antilla », nous le conservons en français.

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    GABRIELA   MISTRAL

    Gabriela Mistral 1
    Ph. D.R.
    Source

    ■ Gabriela Mistral
    sur Terres de femmes ▼

    → La cendre
    → Cordillera
    → Désolation
    → 15 novembre 1945 | Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmesun autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur books.google.fr) l'intégralité du recueil Tala (en espagnol)

    Pour lire et/ou écouter d'autres poèmes (en espagnol) de Gabriela Mistral, cliquer ICI

  • Stéphane Barsacq | Météores

     

     

     

     

    Meteores

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C

    CAMPS

    La littérature occidentale débute avec les poèmes d’Homère; certains sentiments trouvent chez lui pour la première fois leur expression la plus moderne. Ainsi Homère emploie-t-il à plusieurs reprises l’expression : jouir de sa douleur, dans la prière de Priam à Achille.
    Saint-François d’Assise ira jusqu’çà louer « notre sœur la mort. »
    Mozart dira que la mort est « la meilleure amie de l’homme. »
    Rien, de tel au Goulag, ni à Auschwitz- non plus qu’au Laogai.
    Le mot terrible de Ruysbroeck l’Admirable sur le sort des damnés n’est pas sans faire penser à celui des morts des camps : « Ils moururent pour toujours, sans avoir jamais fini de mourir. »
    Je rêve d’une réflexion sur la littérature du XXe siècle, c’est-à dire sur ce qu’il en restera, sur ses grands écrivains. Je prédis que ceux-là ne seront pas Proust, Joyce ou Faulkner exclusivement. Ce sont Chalamov, Soljenitsyne ou Jabès – ceux qui ont vécu notre temps en face, depuis les camps. Les premiers font de la littérature héritée des pratiques esthétiques du XIXe siècle qu’ils portent à leur terme, là où l’art n’aboutit qu’à l’art quand les seconds dépassent la littérature pour en toucher les fondements qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être esthétiques, mais religieux : ils décrivent l’enfer singulier d’une époque, celle d’Auschwitz ou du Goulag, pour affirmer, malgré tout, le génie de l’homme et sa souffrance ; et cet espoir de plus de poids que la mort même. La littérature à l’origine n’exprime la beauté que dans la mesure où cette beauté est soit tragique – c’est la littérature grecque avec Homère et Sophocle, Eschyle et Euripide – soit prophétique – c’est toute la tradition héritée de la Bible. Dans les deux cas, il y va de la mort et du salut, de l’éternité et de la damnation, d’où une poésie poignante propre à révéler la vérité de l’homme pris entre ces deux infinis.

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    Stéphane Barsacq, MÉTÉORES, Revue Nunc | Éditions de Corlevour 2020, pp. 36, 37.

    Stephane-barsacq

     

     

     

     

     

     

    Voir →  Note de l'éditeur 

     

  • Fabienne Swiatly | L’année de la Caboulotte

    Éphéméride culturelle à rebours
    Fabienne Swiatly, L’année de la Caboulotte,
    La fosse aux ours 2023.

     

    L-annee-de-la-Caboulotte

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Novembre | Extrait

    – Tu n’as pas peur ? La question est récurrente sans que l’on me précise de quoi je devrais avoir peur. Ma vraie peur, et j’en ai déjà parlé, est que l’écriture ne se fasse plus. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Peur de la solitude ? Elle n’est pas un fait de tous les jours, puisque hier encore j’échangeais avec une cinquantaine de bibliothécaires et enseignants à l’Hôtel du département à Privas.
    Peur de la nuit ? De l’obscurité ? Cette peur, je l’apprivoise, par contre je me sens incapable de bivouaquer seule dehors comme cet ami qui chaque année part marcher en montagne et dort dans un hamac. Ce ne sont pas les animaux ou l’obscurité qui m’effraient, mais l’idée de sentir la présence de ma mère.
    Un jour… peut-être. Quand je serai grande.

    Comme il n’y a pas de toilettes dans la Caboulotte, la nuit je me retrouve souvent dehors. Aucun éclairage public. J’ai appris à m’acclimater en réduisant l’usage de la lampe de poche car elle rend l’obscurité plus opaque et, étrangement, plus inquiétante. Et puis, réflexion faite, en cas de danger, on devient stupidement visible à s’éclairer soi-même. J’éteins la lampe et, petit à petit, mes yeux s’habituent. La nuit offre des dégradés de bleu et de gris que je tente obstinément de prendre en photo. Quoi qu’on en dise, la nuit n’est pas noire. Les nuits de haute et pleine lune, le tronc des pins et des chênes est strié par l’ombre des autres arbres, composant un décor hallucinant. Quand j’ouvre la porte à ce moment-là, souvent après minuit, il me semble vivre une expérience surnaturelle. Je suis ailleurs. La nuit peut m’inquiéter quand un cauchemar traverse mon sommeil et qu’ouvrant les yeux j’ai du mal à quitter le trouble. Je dois lutter contre les peurs que nos imaginaires craintifs associent aux ténèbres : sorcellerie, folie humaine, meurtre, contes et légendes. Et aussi aux peurs que ma mère a distillées en moi avec les histoires terrifiantes et soi-disant vraies, prenant le relais du pasteur très inspiré aussi à voir le diable partout. D’ailleurs, j’en veux à ces adultes de jouir du plaisir ravageur de dominer les enfants par la peur, au lieu de les prendre par la main, de les emmener dans la nuit pour leur souffler à l’oreille : Regarde, écoute, c’est la vie !
    Il existe bien sûr des dangers dont il faut apprendre à se protéger. Personnellement j’ai appris que les dangers existent également dans les lieux censés nous mettre à l’abri. Les maisons familiales ne sont pas toujours des havres de paix. Quand le soleil a quitté l’horizon, je m’assois sur les marches de la Caboulotte et laisse la nuit exister en moi.

    Retour tôt le matin en Drôme après une soirée lecture en librairie la veille. Froid et brouillard m’accueillent. Je sais que la période hivernale sera rude à vivre ici. Les nuits plus longues. La nature moins accueillante. On verra. Déjà la brume se lève en début d’après-midi et m’offre d’heureux changements de lumière.
    Je suis hantée par les vingt-sept migrants et migrantes dont les cadavres ont été repêchés au large de Calais ; les médias en font étonnamment l’écho. Pourquoi ces corps-là sont-ils sortis des brumes de l’indifférence pour réapparaître ainsi dans les reportages des journalistes et le discours de nos dirigeants ? La loi des chiffres ? Au-delà de vingt, l’information devient insupportable. En tous cas, ces corps morts sont un enjeu entre deux chefs d’État égocentrés qui se toisent par-dessus la Manche devenue un cimetière encombrant.
    Il y a douze ans, pour mon roman Unité de vie, je rencontrais à Calais des associations militantes déjà au bout du rouleau. Usées par toute cette maltraitance et absurdité administrative. Il reste tant à faire avec si peu de moyens ! Tant de morts noyés, écrasés, brûlés, tués, disparus. Et les femmes, moins nombreuses, encore plus maltraitées, même par leurs compatriotes.
    Alors pourquoi ces vingt-sept corps ont-ils dissipé le brouillard ? Est-ce la présence d’une femme enceinte et d’une fillette parmi les morts ?
    Les hasards de l’actualité viennent m’offrir un contre-champ hasardeux dont je ne parviens pas à me défaire. Grâce aux médias, j’ai appris qu’un animal est mieux défendu par la loi que des humains. La mort d’une ourse, tuée par un chasseur, a enclenché une instruction pour destruction d’espèce en voie de disparition. Tant mieux pour les ours.
    Il est tard. J’ai froid. La brume a disparu. La lumière a disparu aussi. Pas encore la lune. Reste la nuit.

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    Fabienne Swiatly, « Novembre » in L’année de la Caboulotte, Photographie de la couverture, Fabienne Swiatly, La Fosse aux ours 2023, pp.42,43,44, 45,46.

     

     

    FABIENNE    SWIATLY

    Fabienne Swiatly
    Ph. © Fabienne Swiatly

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → le site de Fabienne Swiatly
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) 
    une fiche bio-bibliographique sur Fabienne Swiatly
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey) 
    la fiche de l’éditeur sur Elles sont au service
    → (sur le site de rfi) 
    Fabienne Swiatly, poétesse de services (Vous m'en direz des nouvelles, 29 février 2020)

  • Filippo De Pisis | Mais un peu de ta grâce

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    LEVRES BLEUES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: G.AdC

     

     

    MORIRE

    Finire, morire, balbettavi
    nel fondo dolce di un abisso,
    la bella bocca anelante.
    Io ti tenevo per le mani
    e mi pareva che tutto il sangue
    dalle tue vene uscisse.
    Come a una riva deserta
    Approdati, dopo un profondo mare.
    Finire, morire.
    Ma alle sorgenti della vita
    noi eravamo in quell’istante.

     

     

    MOURIR

    Finir, mourir, balbutiais-tu
    du fond suave d’un abime
    de ta belle bouche soupirante.
    Je te tenais les mains
    et tout ton sang me semblait
    sortir de tes veines.
    Comme à une rive déserte
    Echoués après une mer profonde.
    Finir, mourir.
    Mais aux sources de la vie
    nous puisions en cet instant.

     

     

    De Pisis

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Filippo De Pisis, Mais un peu de ta grâce | Ma un po’ della tua grazia, poèmes traduits par Franck Merger, Préface de Giovanni Raboni, Alidades·Bilingues, 2023, pp. 20, 21.

     

     

  • Emmanuel Venet | Rimbaud in La lumière, l’encre et l’usure du mobilier

    Éphéméride culturelle à rebours

     

     

     

    BATEAU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    10 Novembre 1891 | Mort dArthur Rimbaud

    Image de G.AdC

     

     

     

     

    Emmanuel Venet, « Rimbaud » in La lumière, l’encre et l’usure du mobilier

    Incipit

         « Deux écrivains récents, à l’échelle de l’histoire, ont donné lieu à des sortes de religions laïques : Proust et Rimbaud. L’un se caractérise par une sorte de prolifération littéraire presque envahissante ; l’autre, au contraire, par une telle rareté poétique qu’elle sacralise la moindre parole glanée, que cette parole vienne de lui ou lui soit adressée. De sorte que, si elle n’a guère enregistré que l’incipit d’À la recherche du temps perdu, la mémoire collective roule dans beaucoup de têtes des vers de Rimbaud, du Dormeur du val au Bateau ivre et au-delà.
         Par bribes, ses poèmes de vadrouille m’accompagnent en promenade : Petit Poucet rêveur j’égrenais dans ma course des rimes. Il me semble connaître la serveuse du Cabaret-Vert aux tétons énormes dont on sait que ce n’est pas un baiser qui l’épeure. Et, quand le mois de juin fait refleurir les tilleuls, leur parfum de miel me rappelle qu’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. D’innombrables autres fragments me tournent en tête, l’opéra fabuleux, le dérèglement de tous les sens, trouver le lieu et la formule, Ô saisons, ô châteaux. De sorte que si Proust exerce sur moi l’attraction des planètes lourdes, Rimbaud colonise mon imaginaire comme aucun autre auteur.
        Et pourtant, le poète de Charleville demeure comme une énigme dans le paysage littéraire, une étoile filante qui aurait pu rester d’autant plus inaperçue que, malgré sa brièveté, l’œuvre qu’il nous a laissée n’a rien d’homogène. De ses quelques années de création poétique, il reste des élans d’enfant – Nature, berce le chaudement– et des foudroiements d’homme post-mature – Je fixais des vertiges– qu’il est bien difficile de coudre ensemble pour dresser un portrait. D’autant qu’après l’âge de vingt ans, Rimbaud n’écrit plus un seul vers, et met sa pratique de la langue au service des intérêts les plus prosaïques. A partir de 1874, il erre à Londres, s’engage comme précepteur à Stuttgart, bourlingue entre la Toscane et l’Autriche, s’enrôle dans l’armée hollandaise, part à Sumatra, déserte, rentre par Cork et Liverpool, devient chef de chantier dans une mine à Chypre, part pour Aden, et se fait, pour une décennie, commerçant en Abyssinie. C’est d’Abyssinie qu’il réclame à sa mère, lettre après lettre, les ouvrages et les instruments qui vont lui permettre de se former aux métiers dans lesquels il rêve de se recycler : charpentier, géographe, maçon, ethnologue, serrurier, météorologue, potier, explorateur, menuisier, ingénieur ferroviaire, tanneur, linguiste, chasseur, astronome, briquetier, photographe, mécanicien, minéralogiste ou fabricant de bougies, parmi beaucoup d’autres. Espoirs chaque fois déçus : il reste, et en général avec profit, un négociant. Environné de demi-portions venues faire fortune autour de la mer Rouge, il commerce, troque, se multiplie pour transformer en or des traites émises en monnaie de songe, trafique un peu mais pas autant qu’on l’a dit. Aucune participation à des ventes d’esclaves, et une seule, désastreuse, à une caravane d’armes, en l’occurrence des pétoires antédiluviennes destinées à l’empereur Ménélik – un redoutable mauvais payeur. En revanche, Rimbaud importe en Abyssinie des quantités astronomiques de papèterie, de tissus, de ferblanterie – et même des objets de piété que son correspondant au Choa n’arrive pas à écouler. Rimbaud trafiquant ? Oui, de chapelets et de calepins dans un pays largement analphabète.
    Durant les années abyssines, Vitalie, sa mère, qui l’aime sans doute beaucoup mais mal, se désespère de ses silences : « Heureux ceux qui n’ont pas d’enfants, ou bien heureux ceux qui ne les aiment pas » ! Nous sommes en 1885, au moment où Rimbaud consacre son temps et son énergie à organiser le convoi d’armes qui lui vaudra tant d’avanies… »

     

    Lumière 2

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emmanuel Venet, « Rimbaud » in La lumière, l’encre et l’usure du mobilier, Éditions Gallimard 2023, pp.101, 102, 103.

     

    VENET .JPEG

     

    Né en 1959 à Oullins, Emmanuel Venet soutient une thèse de doctorat de médecine intitulée Approche clinique et métapsychologique de la honte en 1988. La particularité de ses écrits et de son attitude professionnelle résident dans la double figure d'écrivain et de médecin ; et selon ses propres mots « je ne suis jamais l’un sans l’autre ». Wikipédia 

  • Estelle Fenzy | Une saison fragile

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    MANHATTAN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ph;: G.AdC 

     

     

     

    Petite Manhattan
    Sister de pluie sans cesse

    48° 23’ 59’’ nord
    4° 28’ 9’’ ouest

    J’écris sans compas

    l’exacte mesure
    de ton nom

     

     

    J’avais
    laissé sur les trottoirs
    un poème qui s’ignorait

    C’était
    une autre saison
    un autre royaume

    A-t-il
    grandi ou tremblé
    du temps qui a passé

    S’est-il
    réchauffé
    de n’être pas écrit

     

     

    On a fait de toi
    table rase
    tout recommencé

    Je n’en finis pas
    de me consumer
    de t’offrir justice
    d’écrire ta revanche

    Après la pluie
    tes yeux hurlent plus fort
    en bleu

     

    Il faudrait
    découdre l’averse

    avec le ciel nager
    jusqu’à la mer

    Ajuster le poème
    aux rumeurs du large

     

    Fenzy saison

     

     

     

     

     

     

     

     

    Estelle Fenzy, « Après la pluie (Brest m’aime) » in Une saison fragile, Éditions La Part Commune,2023, pp.91, 92, 93, 94.

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    E S T E L L E     F E N Z Y

    Estelle Fenzy portrait
    Ph. Tous droits réservés

    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes ▼

    → [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (extrait de Coda (Ostinato))
    → Man’za (extrait de Gueule noire)
    → La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    → [Un seul pays natal](extrait de La Minute bleue de l’aube)
    → [Rêve silex] [extrait de Chut (le monstre dort)]
    → [Mon tablier déborde de prières](extrait de Mère)
    → [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    → Poèmes Western (lecture d’AP)
    → [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    → Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Rouge vive (lecture d’AP)
    → Sans (lecture d’AP)
    → [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)
    Boîtes noires, Illustrations Gwen Guégan, éditions Le chat polaire (Lecture de Michel Ménaché)
    Eldorado Lampedusa,Traductions Rabiha Alnashi (arabe), Angèle Paoli-Anna Tauzzi (italien),             Photographies Patrick Zachmann,
      Éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, 2021

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature une fiche bio-bibliographique sur Estelle Fenzy

    → le site des éditions L'Ail des ours
    → le site de Colette Reydet

     

  • Martine-Gabrielle Konorski | Je te vois pâle au loin | Ti vedo pallido… … in lontananza

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    Colonne brisée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source : Anne et Patrick Poirier 

     

     

     

    À mon père

    Dans le dévissement du monde
    La paroi du refuge
    s’effondrait lentement

    Les piliers centenaires
    supportaient le chaos

    En laser argenté
    un souffle lumineux
    déchirait notre toit
    aux tuiles essentielles

    Au fond de la chambre
    nous dansions sans pleurer.

     

    A mio padre

    Nel disfascimento del mondo
    La parete del rifugio
    crollava lentamente

    I pilastri centenari
    reggevano il caos

    Di laser argentato
    un soffio luminoso
    strappava il nostro tetto
    con le regole essenziali

    In fondo alla stanza
    ballavano senza piangere.

     

    Téléchargement (1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Martine -Gabrielle Konorski, Je te vois pâle au loin | Ti vedo pallido… … in lontananza, Traduzione di Anna Tauzzi,
    Prefazione di Fabio Scotto, Vita Activa editoria di ACID, 2023, pp.76, 77.

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    MARTINE  KONORSKI

    Martine Konorski NB 2
    Ph. D.R. Pascal Therme
    Source

    ■ Martine Konorski
    sur Terres de femmes

    → Instant de Terres (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
    → Bethani (lecture d’AP)
    → [Les mots cognent] (extrait de Bethani)
    → [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
    → Verticale (extrait d’Une lumière s’accorde)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) [Vissée à la plante des pieds]
    Adesso, Black Herald Press, Lecture de Michel Ménaché, 2022.
    Adesso, Lecture d'Angèle Paoli, 2022.
    → « Poèmes inédits » in Portrait/ Bibliographie/ AnthologieLe Nouvel Athanor, Collection Poètes trop effacés, 2023.
    L'escale de Jeanne Orient avec pour invitée Martine -Gabrielle Konorski

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes) une notice bio-bibliographique sur Martine Konorski
    → le site de Martine Konorski