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  • 10 mai 1950 |
    Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren

    Éphéméride culturelle à rebours



    Nelson Algren
    Source







    10 mai [1950]


         Nelson, mon amour. Je veux vous écrire une lettre d’amour, ce dont je n’abuse pas, non plus que des télégrammes, car je sais que vous ne les aimez pas beaucoup. Mais je n’ai pas oublié quel ange vous avez été l’an dernier quand j’ai désiré aller à Amalfi : « Allons-y pour me faire plaisir. » « Bon, d’accord ! », avez-vous acquiescé, à moitié contrarié mais avec un gentil sourire. Eh bien j’écris pour me faire plaisir. Je vous aime si fort, il faut que je vous le dise. Pourquoi m’interdirais-je un peu de sotte sentimentalité ? Peut-être à cause de la date (10 mai), peut-être à cause du printemps parisien, pareil à ceux d’autrefois, ou de la photo de l’écureuil, peut-être à cause de vos lettres, un peu de folie m’habite, comme parfois dans vos bras par temps orageux, quand je vous aime trop, et que vous dites : « En voilà du propre ! » Oh Nelson, je pleure comme le 10 septembre quand vous avez pris l’avion, est-ce de joie ou de peine, parce que vous vous rapprochez (deux mois, six semaines) ou parce que vous êtes tellement loin ? Ce soir vous dire la force de mon amour paraît essentiel, comme si je devais mourir au matin. Vous pouvez me comprendre, je le sais, bien que soi-disant vous ne perdiez jamais la tête, que vous gardiez soi-disant tête et cœur froids et ordonnés.
         Sottise, bêtise, bien sûr de ma part. Vous avez trop de modestie pour découvrir en vous la moindre justification d’un pareil amour, mais il existe. Quand je vous ai déclaré que je vous « respectais », quel ahurissement vous avez manifesté ! C’était vérité, pourtant, ça l’est toujours. La conscience involontaire et soudaine de qui vous êtes me submerge le cœur, ce soir, d’une sauvage marée. Ne me répondez pas que Mme Roosevelt sait qui vous êtes, que votre éditeur, que votre agent le savent, personne sauf moi ne le sait. Car je suis le seul lieu sur la terre où vous êtes authentiquement vous-même ; vous l’ignorez vous aussi, chéri, sinon vous tourneriez insensiblement à l’odieux. Moi je sais, et à jamais. Vous êtes doux à aimer, Nelson, laissez-moi, sottement, vous remercier.
         Assez d’absurdités. Pleurer de loin est mauvais. S’il vous plaît, Nelson, essayez de sentir, de connaître l’intensité de mon amour. Je souhaite ardemment vous donner quelque chose qui vous rende heureux, qui vous fasse rire. Je vous veux et je veux que vous le sachiez. Que vous sachiez combien merveilleux et beau vous êtes dans mon cœur, et que ça vous fait plaisir. Vous m’avez donné bonheur et amour, jeunesse et vie. Pour vous remercier suffisamment il me faudrait être heureuse, aimante, belle, jeune et vivante pendant dix mille ans. Et tout ce que je peux faire, c’est pleurer dans ma lointaine chambre, mes bras resteront froids, eux qui ont tant besoin de vous communiquer leur chaleur. Ca va être si long avant que je m’abolisse dans vos bras. Personne ne vous a aimé, ni ne vous aimera comme je vous aime, sachez- le. Oh dieu, en voilà du propre ! Oubliez tout si ça vous offense, c’est sûrement la plus belle lettre que je vous aie jamais écrite. Mon cœur souffre ce soir, il souffre, je ne dormirai pas. Après tout, rien dans ces lignes n’est insultant, n’est-ce pas ?
         Nelson, Nelson.

    Votre Simone.



    Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren, Éditions Gallimard, 1997. Collection folio, 2008, pp. 568-569. Texte établi, traduit de l’anglais et annoté par Sylvie Le Bon de Beauvoir.





    Lettres a nelson algren





    SIMONE DE BEAUVOIR


    Beauvoir Elliott Erwitt
    Source



    ■ Simone de Beauvoir
    sur Terres de femmes

    9 janvier 1908 | Naissance de Simone de Beauvoir
    14 avril 1986 | Mort de Simone de Beauvoir
    15 mars **** | Simone de Beauvoir, La Femme rompue
    13 novembre **** | Simone de Beauvoir, La Femme rompue
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un portrait de Simone de Beauvoir (+ un extrait de La Force des choses)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la Société Internationale Simone de Beauvoir (Simone de Beauvoir Society)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    Jean-Louis Servan Schreiber reçoit Simone de Beauvoir (ina. 6 avril 1975)
    → sur
    Radio-Canada, un entretien télévisé (13 novembre 1959) de Simone de Beauvoir avec Wilfrid Lemoine : « Simone de Beauvoir censurée »





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  • Corse_3 Ghjacumu Thiers | Invilippu


    «  Poésie d’un jour  »



    Isse parolle ch'o un ti aghju scrittu
    Ph., G.AdC







    INVILIPPU



    Porghju
    à l’imprubabile distinazione
    a maio parte di u dubitu
    è mi tengu
    a lettera.
    A sgrigita di a carta tagliva
    in punta di a lingua
    inziccata u brusgiulu.
    Cusi mi tengu una stonda
    a sincerità di isse parolle
    ch’o un ti aghju scrittu.






    ENVELOPPE



    Je tends
    à l’improbable destination
    la plus grande part du doute
    et je garde
    la lettre.
    L’éraflure du papier tranchant
    à la pointe de la langue
    un peu blessée.
    Ainsi je retiens un instant
    la sincérité de ces mots
    que je ne t’ai pas écrits.




    Ghjacumu Thiers, Invilippu, « Trois poètes corses » in Revue semestrielle Babel, n° 18, 2e semestre 2008, page 117. Traduit du corse par Francescu Micheli Durazzo. Textes de la revue réunis par André Ughetto.





    Ô BARBARA FORTUNA


         « Depuis le mouvement du riacquistu, véritable lame de fond dont elles furent à la fois l’arme et le mobile, se sont fait entendre [en Corse] des voix majeures comme celles de Ghjacumu Fusina ou de Ghjacumu Thiers, linguistes et poètes de premier plan. On pourrait citer encore parmi les plus récents, François-Michel Durazzo, Marie-Ange Sebasti, Marie-Paule Lavezzi, Pasquale Ottavi, Patrizia Gattaceca, Alanu di Megliu et bien d’autres, sans parler de tous les chanteurs « à texte » qui n’ont pas grand-chose à voir avec Tino. Les premiers cités, parfaitement bilingues il va de soi, auraient pu user de la langue française – ils l’ont d’ailleurs parfois tenté avec succès – mais, courageusement, ils choisirent de s’exprimer dans une langue qui ne s’exporte guère, renonçant par là à une véritable notoriété ailleurs qu’en leur île où elle est grande. Leurs œuvres paraissent également en traductions française et italienne, situation si inextricablement paradoxale qu’il eût mieux valu pour elles être écrites en langue tchouvache comme celle de notre ami Tchingiz Ogonëk qui trouva lui, et c’est heureux, une audience restreinte mais mondiale. Quoi qu’il en soit, je laisse en suspens ce curieux problème – à mon sens exemplaire – mais le soumets, gravement, à vos méditations. »

    Jacques Lovichi (rédacteur en chef de la revue Autre Sud), in « O barbara fortuna ! d’un bilinguisme intérieur », id. supra, page 115.




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  • H.D. (Hilda Doolittle), The Walls Do Not Fall [4]

    «  Poésie d’un jour  »




    Portrait de Hilda Doolittle
    Image, G.AdC






    THE WALLS DO NOT FALL [4]



    There is a spell, for instance,
    in every sea-shell:

    continuous, the seathrust
    is powerless against coral,

    bone stone marble
    hewn from within by that craftsman,

    the shell-fish:
    oyster, clam, mollusc

    is master-mason planning
    the stone marvel:

    yet that flabby, amorphous hermit
    within, like the planet

    senses the finite,
    it limits its orbit

    of being, its house,
    temple, fane, shrine:

    it unlocks the portals
    at stated intervals:

    prompted by hunger,
    it opens to the tide-flow:

    but infinity? no,
    of nothing-too-much:

    I sense my own limit,
    my shell-jaws snap shut

    at invasion of the limitless,
    ocean-weight; infinite water

    can not crack me, egg in egg-shell;
    closed in, complete, immortal

    full-circle, I know the pull
    of the tide, the lull

    as well as the moon;
    the octopus-darkness

    is powerless against
    her cold immortality;

    so I in my own way know
    that the whale

    can not digest me:
    be firm in your own small, static, limited

    orbit and the shark-jaws
    of outer circumstances

    will spit you forth:
    be indigestible, hard, ungiving

    so that, living within,
    you beget, self-out-of-self,

    selfless,
    that pearl-of-great-price.




    H.D., The Walls Do Not Fall, Oxford University Press, London, 1944, in H.D., Trilogy, Oxford University Press, London, 1973 ; New Directions Paperbook, New York, 1998, pp. 8-9.






    TrilogyLES MURS NE CROULENT PAS [4] [Traduction d’Auxeméry]



    Il existe, par exemple, une formule
    en chaque coquillage :

    la mer pousse, continuelle,
    et ne peut rien contre corail,

    os, pierre, marbre
    taraudés du dedans par cet artisan,

    l’hôte de la coque :
    huître, palourde, mollusque,

    c’est un maître-maçon qui façonne
    la merveille de pierre :

    oui, cet ermite amorphe, flasque
    là-dedans, comme la planète

    pressent le fini,
    il limite l’orbite

    de son être, sa maison,
    temple, sanctuaire, lieu saint :

    il délivre les portails
    à intervalles fixes :

    tiraillé par la faim,
    il s’ouvre au flux de la marée :

    mais l’infini ? non,
    de rien-de-trop :

    je ressens ma propre limite,
    les mâchoires de ma coque claquent

    et refusent l’invasion du sans-limite,
    le poids de l’océan ; l’infinité de l’eau

    ne peut me briser, moi œuf dans ma coquille ;
    cercle clos, immortel, complète

    plénitude, je sais la force
    de la marée, et la bonace

    tout autant que la lune ;
    le poulpe et son obscurité

    sont sans pouvoir contre
    sa froide immortalité ;

    de même moi à ma façon, je sais
    que la baleine

    ne peut me digérer :
    tiens bon dans ton orbite limitée, statique,

    toute petite, et les mâchoires de requin
    de ce qui dehors t’entoure

    te recracheront :
    sois indigeste, dur, sans cœur,

    et ainsi vivant en dedans,
    engendre-toi, toi-même de toi-même,

    et sans toi,
    cette perle-de-grand-prix.




    H.D. (Hilda Doolittle), Les murs ne croulent pas, in Siècle 21, n° 14, Printemps-Été 2009, Dossier H.D., pp. 92-93. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Auxeméry.






    Sa froide immortalité
    Ph., G.AdC







    LES MURS NE TOMBENT PAS [4] [Traduction de Bernard Hoepffner]



    Il y a un charme, par exemple,
    dans chaque coquillage :

    continue, la poussée marine
    n’a aucune prise sur le corail,

    os, pierre, marbre
    taillés du dedans par cet artisan,

    le coquillage :
    huître, palourde, mollusque

    est maître-maçon concevant
    la merveille de pierre :

    pourtant cet ermite flasque, amorphe
    en dedans, comme la planète

    ressent le fini,
    il limite l’orbite

    de son être, sa maison,
    temple, fanum, lieu saint :

    il déverrouille les portails
    à intervalles fixes :

    poussé par la faim,
    il s’ouvre au flot de la marée :

    mais l’infinité ? Non,
    de rien-de-trop :

    je sens ma propre limite,
    mes dents de nacre se referment

    devant l’invasion du poids
    illimité de l’océan ; l’eau infinie

    ne peut me briser, œuf en coquille ;
    cercle fermé, complet,

    immortel, je connais la force brutale
    de la marée, de l’étale

    tout autant que la lune ;
    L’obscurité de pieuvre

    est impuissante devant
    sa froide immortalité ;

    ainsi je sais à ma façon
    que la baleine

    ne peut me digérer :
    sois ferme dans ta petite orbite statique,

    limitée, et les dents de requin
    des circonstances externes

    te recracheront:
    sois indigeste, dure, résistante,

    pour que, vivant au-dedans,
    tu engendres, soi-hors-du-soi,

    altruiste,
    cette perle-de-grand-prix.




    H.D. (Hilda Doolittle), Les murs ne tombent pas in Trilogie, José Corti, Série américaine, 2011, pp. 13-14. Traduit par Bernard Hoepffner.






    La mer bis pour HD
    Ph., G.AdC






    H.D. (HILDA DOOLITTLE)


    HildaDoolittle
    Source



    ■ H.D.
    sur Terres de femmes

    At Baia
    [The golden apples of the Hesperides] (extrait de Hermetic Definition)
    Tribute to the Angels [40] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)
    20 mai 1958 | Journal [Fin du tourment] de H.D.
    18 avril 1958 | L’inculpation d’Ezra Pound est levée (+ d’autres extraits du Journal [Fin du tourment] d’H.D.)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait de Trilogy d’H.D. : The Walls Do Not Fall [I] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    H.D. (Hilda Doolittle)
    → (sur books.google.fr)
    de très larges extraits de Trilogy
    → (sur le site de L’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)
    H.D. (Hilda Doolittle) à la lumière d’Ezra Pound. Communication de Georges Thines (9 septembre 2000)
    → (sur Pennsound)
    H.D. lisant Helen in Egypt (37min 52′)






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  • 7 mai 1253 | Lettre de Frère Guillaume de Rubrouck à Louis, roi des Français

    Éphéméride culturelle à rebours





    Guillaume de Rubrouck
    Image, G.AdC





    LA PROVINCE DE GAZARIE



         Votre Sainte Majesté saura donc qu’en l’année du Seigneur 1253, le 7 mai, nous sommes entrés dans la mer du Pont1, que les peuples de là-bas appellent la Grande Mer. Celle-ci s’étend sur 1 400 milles en longitude, comme je l’ai appris par des marchands, et se partage quasiment en deux parties. En son milieu, à peu près, il y a a deux pointes de terre, l’une au nord et l’autre au midi ; si bien qu’il y a 700 milles depuis ces pointes jusqu’à Constantinople, en gagnant à la fois en longitude et en latitude, et 700 en direction de l’orient, c’est-à-dire l’Hybérie2 qui est la province de Géorgie. La pointe qui est au midi s’appelle Sinopolis3 : c’est à la fois une forteresse et un port ; elle appartient au Soudan de Turquie4. Celle qui est au nord est une province que les Latins appellent Cassaria, c’est-à-dire Césarée5. Elle comporte des promontoires qui s’avancent dans la mer, également vers le sud, en face de Sinopolis, et il y a 300 milles entre Sinopolis et Cassaria.
         Nous abordâmes donc en la province de Gasaria ou Cassaria, qui forme comme un triangle : à l’occident de celle-ci se trouve une cité qui s’appelle Kersona6 , où fut martyrisé saint Clément7. Passant en bateau à la hauteur de la ville, nous aperçûmes une île où se dresse un temple qui, dit-on, fut édifié de la main des anges. Au milieu, et comme à la pointe du triangle, vers le sud, il y a une cité du nom de Soldaia8, qui regarde Sinopolis en oblique. C’est là qu’abordent tous les marchands qui viennent de Turquie et vont dans les pays du nord, aussi bien que ceux qui, en sens inverse, viennent de Russie9 ou des pays du nord et veulent passer en Turquie. Ces derniers apportent du vair, du petit-gris10 et d’autres fourrures précieuses ; les autres apportent des toiles de coton ou gambasium11, des pièces de soie et des épices. À l’orient de cette province se trouve une cité du nom de Matrica12, où le fleuve Tanaïs13 se jette en la mer du Pont par une embouchure large de 12 milles.
         Ce fleuve, avant de se jeter dans le Pont, fait au nord une sorte de mer14, de 700 milles en latitude et en longitude, qui n’a nulle part plus de six pas en profondeur : c’est pourquoi les grands bateaux n’y pénètrent pas, mais les marchands qui viennent de Constantinople et abordent à ladite cité de Matrica envoient leurs barques jusqu’au fleuve Tanaïs pour acheter des poissons secs : esturgeons, aloses, barbotes15, et une infinité d’autres sortes.
         La province de Cassaria dont nous venons de parler est donc entourée de mer sur trois côtés : à l’occident où se trouve Kersona, la cité de Clément, au sud où se trouve la cité de Soldaia, où nous abordâmes, et qui est la pointe du pays, et vers l’orient par la mer du Tanaïs, où se trouve la cité de Matrica et l’embouchure de Tanaïs.
         Au-delà de cette embouchure, il y a Ziquia16, qui n’obéit pas aux Tartares, et, à l’orient, les Suènes17 et les Ibères18, qui ne leur obéissant pas non plus. Puis, au midi, Trébizonde19, qui a son propre seigneur, nommé Guido, qui est de la race des empereurs de Constantinople ; il obéit aux Tartares. Puis Sinopolis, qui est au Soudan de Turquie, qui leur obéit également. Puis le pays de Vastace20, dont le fils s’appelle Ascar du nom de son aïeul maternel, qui ne leur obéit pas. Depuis l’embouchure du Tanaïs vers l’occident jusqu’au Danube tout leur appartient, et même au-delà du Danube, vers Constantinople, la Valachie, qui est le pays d’Assan21, et la Petite Bulgarie jusqu’à la Sclavonie22, tous leur paie tribut. Et en plus du tribut convenu, les Tartares ont pris, ces dernières années, dans chaque foyer, une hache et tout le fer qu’ils ont pu trouver.
         Nous abordâmes donc à Soldaia le 21 mai.



    NOTES :

    1. La mer Noire, Pontus, ou Pontus Euxinus, pour les Romains.
    2. Hyberia, ou Hiberia, ou Iberia, et bien le nom donné par les Anciens à ce qui est actuellement la Géorgie.
    3. Sinopolis (Sinope), port de commerce actif, pris par les Turcs en 1215.
    4. Le soudan (sultan) de Turquie, appelé aussi soudan du Rum, royaume seldjouqide, avait pour capitale Ykonium (Konya) ; il comprenait la plus grande partie de l’Asie Mineure et dura jusqu’en 1300.
    5. Gasaria, Cassaria, Cesarea : c’est la Tauride, l’actuelle Crimée. Nom donné à cette région en raison de la présence des Khazars, peuple probablement de souche turque.
    6. Kersona : Sébastopol.
    7. Il s’agit de saint Clément Romain.
    8. Soldaia, actuellement Soudak, dont l’importance était grande au Moyen Âge.
    9. Le texte latin porte Roscia. Bien que ce soit le nom d’une ville à l’embouchure du Don, il y a tout lieu de penser que ce mot est ici pour Ruscia (Russie).
    10. Vair et petit-gris : écureuils.
    11. Wambasium : le nom ancien du coton était bombacium.
    12. Matrica : à l’embouchure de la mer d’Azov, dans la péninsule du Taman.
    13. Tanaïs : Le Don.
    14. Une sorte de mer : Le Palus Maeotis des Anciens, l’actuelle mer d’Azov.
    15. Barbotas : barbote, sorte de lotte.
    16. Le pays des Circassiens de l’ouest.
    17. Sueni : nom d’une peuplade qui a persisté de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Elle fut vaincue par les Mongols en 1239.
    18.Iberi : les Géorgiens furent également vaincus en 1239.
    19. Trapesunda : Trébizonde, dont l’empire fut fondé en 1204 par Alexis Comnène. Rubrouck commet une erreur : lors de son voyage , ce n’est plus Guido (Andronikos Ghidos) qui règne, mais Manuel 1er, le « Grand Capitaine » (1238-1264), d’abord vassal des Seljouqides puis des Mongols.
    20. Vastacius : Iohannes III Doucas Vataces, empereur de Nicée (1222-1255)
    21. Royaume bulgo-valaque des Asanides, fondé à la fin du XIIe siècle par trois frères dont le premier à régner fut Asan.
    22. Sclavonia : vraisemblablement les peuples slaves situés au nord-est de l’Adriatique.



    Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l’Empire Mongol, 1253-1255, Imprimerie Nationale Éditions, Paris, 1997, pp. 71-72.




    Livre



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  • Isles d’Europe à L’Isle-sur-Sorgue






    Isles d-Europe





    À l’occasion de la Fête de l’Europe, les associations de poésie

    LE SCRIPTORIUM & POIEO

    ont le plaisir de vous convier
    le samedi 9 mai 2009 à 17h00

    à la Galerie ESPACE LIBRE, Lieu d’Art contemporain
    (51, rue Carnot, 84800 L’ISLE-SUR-SORGUE)

    à une rencontre-lecture de poésie
    sur le thème « ISLES D’EUROPE »







    Pour en savoir plus, se rendre sur le site du Scriptorium.



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  • Piero Bigongiari | Nice Pisa




    Les ombres  les plus longues
    Aquatinte numérique, G.AdC







    NICE PISA



    Il sole scioglie dai covoni le ombre
    più lunghe e più dorate per ghermirti,
    mia sera pisana, al grave odore
    dei tuoi grani mietuti… Io che attendo
    più nulla ormai, « Tu viens… » mormora appena
    sfiorandomi l’ignota adescatrice
    nizzarda, insiste « Viens… », quasi scandisse
    un altro tempo, mentre sulla baia
    degli Angeli candisce la maretta.

    Ma tu aspetta, tu aspetta, cuore grigio,
    se quest’empito è quello della morte
    le scintille dei fari non l’accendono.




    Piero Bigongiari, Stato di cose, terza parte, in Il Corvo bianco (1952-1954), Edizioni della Meridiana, Milano, 1955, p. 197.






    NICE PISE



    Le soleil détache des gerbes les ombres
    les plus longues et les plus dorées pour te saisir,
    ô mon soir pisan, à l’odeur lourde
    de tes blés moissonnés. Moi qui n’attends
    plus rien désormais, «Tu viens… » murmure à peine
    en me frôlant, la niçoise inconnue,
    tentatrice ; elle insiste : « Viens… », comme la scansion
    d’un autre temps, tandis que sur la baie
    des Anges, la houle cuit à feu doux.

    Mais attends, toi, attends, toi, cœur gris;
    si cet élan, c’est celui de la mort
    l’étincelle des phares ne l’allume pas.




    Piero Bigongiari, Cahiers du Sud n° 323, « La nouvelle poésie italienne », juin 1954, page 46. Traduit de l’italien par Georges Mounin.




    NOTE D’AP : ce poème (qui m’a été aimablement transmis par André Ughetto) est le premier poème de Piero Bigongiari à avoir été traduit en français et publié en France. Ce numéro des Cahiers du Sud consacré à « la nouvelle poésie italienne » comprenait aussi des poèmes de Giuseppe Ungaretti, Umberto Saba, Eugenio Montale, Salvatore Quasimodo, Leonardo Sinisgalli, Roberto Rebora, Giorgio Caproni, Vittorio Sereni, Giorgio Bassani, Mario Luzi, Sandro Penna, Mario Tobino, Alfonso Gatto, Attilio Bertolucci, Aldo Borlenghi et Alessandro Parronchi, présentés par Carlo Bo et Georges Mounin.
         Par ailleurs, le linguiste Georges Mounin (1910-1993) fut le professeur qui me donna mon premier cours – mais aussi mon premier cours de sémiologie – en année de licence sur les bancs de l’Université d’Aix-en-Provence.






    PIERO BIGONGIARI



    ■ Piero Bigongiari
    sur Terres de femmes

    Pescia-Lucca
    27 août 1967 | Piero Bigongiari, Il fanciullo uscito dal mare



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur enjambées fauves)
    plusieurs poèmes extraits de Ni terre ni mer
    → (sur Le Scriptorium)
    trois poèmes extraits des Remparts de Pistoia de Piero Bigongiari
    → (sur CristinaCampo.it)
    une bio-bibliographie de Piero Bigongiari + une sélection de poèmes
    → (sur YouTube)
    rencontre entre les poètes Piero Bigongiari et Maria Luisa Spaziani (3 mars 1989)






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  • Martine Broda | [à tant marcher vers la lumière]

    «  Poésie d’un jour  »




    Anghjula colza lumière
    Ph., G.AdC






    [À TANT MARCHER VERS LA LUMIÈRE]



    à tant marcher vers la lumière
    tu vas vers le dernier verger
    où cendre à la cime les roses
    plus bleus les arbres noirs
    tu vas vers le visage
    pensif et qui retourne
    sous le silence l’herbe
    cueillie de l’autre rive
    à trop marcher vers la lumière
    on perd soi sens et lumière
    au soir




    Martine Broda, Tout ange est terrible, Grand Jour, in Éblouissements, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2003, page 125.



    _____________________________________
    Note d’AP : la première édition de Grand Jour de Martine Broda a été publiée en 1994 dans la collection « L’Extrême contemporain » dirigée par Michel Deguy aux éditions Belin.







    Eblouissements





    ■ Martine Broda
    sur Terres de femmes

    [j’ai mal aux mots] (autre poème extrait de Grand Jour)
    L’aura (extrait de L’Amour du nom)
    23 avril 2009 | Mort de Martine Broda (+ extrait de Lettre d’amour)



    ■ Voir aussi ▼

    Un anniversaire en tête, Martine Broda, par Anne Guérin-Castell (20 mai 2011)
    → (sur Le Nouveau Recueil)
    un dossier Martine Broda mis en ligne en avril-mai 2013
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche consacrée à Martine Broda (+ extrait de Lettre d’amour)






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  • 4 mai 1976 | Mort d’Henri Bosco

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 4 mai 1976 meurt à Nice Henri Bosco.







    Henri bosco mas theotime
    Image, G.AdC







        Henri Bosco est peu connu du grand public. Sans doute en raison de son extrême discrétion et du caractère secret de l’univers dont il se fait le messager. Son œuvre a pourtant été couronnée par de nombreuses distinctions. Parmi lesquelles, le prix Théophraste Renaudot pour son roman Le Mas Théotime, achevé d’écrire à Rabat le samedi 12 juillet 1941, et publié en 1945 aux éditions Charlot à Alger.






    LE MAS THÉOTIME (extrait)


        L’absence des êtres familiers qui hantent notre solitude nous laisse sans secours en face des objets matériels ; et nous découvrons le décor qui les attire, seulement le jour où cet attrait est resté impuissant sur eux. Certes je connaissais tous les coins du vaste grenier que j’habite depuis dix ans, et chacun pour moi offre un charme singulier. Mais justement, du fait que tout y jouit d’une vie secrète, rien ne s’en distingue brutalement ; et le moindre cahier, le plus modeste outil, se fondent dans ce petit monde amoureusement composé sur des lois de méditation et de rêverie qui le font graviter sans bruit autour de ma pensée. Je ne les vois pas ; je les vis. Il n’en est point qui sollicitent indiscrètement mon attention épandue seulement sur ces formes morales qui me les rendent d’un commerce si doux et d’un contact si indéfinissable, quand par hasard ils me viennent sous la main. A ma sauvagerie qui redoute les hommes, conviennent ces mystérieuses relations qui des objets à moi établissent des liens affectueux. Je vis dans une société magique où je ne vois plus la matière mais la seule forme des signes qu’elle me propose, et je tiens si intimement à ce monde amical que je n’y trouve plus jamais d’obstacle au mouvement de mes songes.
        Je fus donc effrayé, cette nuit-là, de ne pouvoir détacher mon regard qu’avec peine des objets sur lesquels se posaient mes yeux. Car tous s’offraient avec une netteté agressive ; et chacun, isolé, offensait ce regard en voulant s’imposer à mon attention. Je ne trouvai pas d’amitié en ces présences matérielles ; mais une sorte d’âpreté à se détacher de l’anonymat. Le moindre godet de métal, soudain prenait une importance inattendue, et plus il s’affirmait en s’imposant à moi, moins je le sentais sociable. Le bois redevenait du bois, le fer, du fer ; et sur ce monde clos, sentimental, secret, où avait toujours circulé une vie si spirituelle, les éléments, détachés de notre unité familière, tout à coup me semblaient inanimés.
        Je me trouvais dans mon grenier, un grand, un confortable grenier ; mais il n’était plus le lieu des rencontres de ma vie invisible. Il y flottait une ancienne odeur de son et de paille qui venait du fond de la pièce, là où, sur le lit de repos, j’avais étendu et cloué, pour cacher une porte, ce vieux tissu dans lequel Madeleine Derivat avait brodé jadis la croix, la rose, et les colombes familiales.
        Derrière cette porte s’étend le reste du grenier, que j’ai coupé d’une cloison de briques pour me ménager en deçà une retraite habitable. Je n’occupe guère qu’un tiers de cette étendue qui s’enfonce fort loin dans les profondeurs de Théotime, où des échelles et des trappes mettent en communication avec les écuries, les étables, et des communs obscurs, aujourd’hui inutilisés. On appelle ce haut « les granges », quoiqu’on n’y entrepose plus de blé depuis dix ans […]
         Je pris une lampe et passai dans les granges.
        Il y faisait très chaud, car on se trouvait sous les tuiles. La lampe n’éclairait qu’à peine les profondeurs de ces combles immenses. On voyait, tout à fait au fond, le bout d’une échelle qui sortait d’une trappe. Par là on descendait aux écuries. Au-dessus, dans le mur, s’ouvrait une porte très basse donnant sur le fenil. Au milieu de la pièce on avait bâti avec des planches une petite chambre que fermait un vieux rideau de cretonne. J’y trouvai une sorte de grabat avec une paillasse. A côté, une malle vide et, pendu à un clou, contre la cloison, un fouet court. Là sans doute avait habité, dans le temps, quelque valet de ferme.
        Je revins chez moi ; et, du mieux que je pus, j’assujettis le battant de la porte, de façon qu’elle restât close, en attendant qu’on remît la gâche au verrou.
        Puis j’allai dormir dans ma chambre. Mais je mis longtemps à trouver le sommeil. Je pensais à ces « granges » dont la présence et la profondeur m’obsédaient.
        Si j’en connaissais déjà l’existence, je n’y avais jamais pénétré au milieu de la nuit. Je venais d’en découvrir l’ombre et les communications oubliées. Où donnaient-elles ?… Cette pensée me hanta si longtemps que je l’emportai dans mon sommeil…


    Henri Bosco, Le Mas Théotime, Éditions Charlot, Alger, 1945, pp. 171-172.






    Henri Bosco, Le Mas Théotime





    HENRI BOSCO


    Henri Bosco
    Source



    ■ Henri Bosco ▼
    sur Terres de femmes

    6 juin 1968 | Henri Bosco, Grand Prix de l’Académie Française





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  • 3 mai 1928 | Création de Siegfried de Jean Giraudoux

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 3 mai 1928 est représenté pour la première fois, à la Comédie des Champs-Élysées, Siegfried de Jean Giraudoux. Dans une mise en scène de Louis Jouvet. Les décors sont de Camille Cipra, les costumes de Camille Cipra et Jeanne Lanvin. Avec Valentine Tessier dans le rôle de Geneviève, Pierre Renoir dans celui de Siegfried, Michel Simon dans celui de Pietri. Et Louis Jouvet dans le rôle du Général De Fontgeloy.






    Giraudoux
    Image, G.AdC






        Alors même que Louis Jouvet s’attendait à l’échec de Siegfried, la pièce connut un véritable succès. Ce fut le début d’une collaboration exemplaire entre le metteur en scène et l’auteur. Cette collaboration dura douze années et ne fut perturbée que par la guerre.
        Réécriture du roman Siegfried et le Limousin, la pièce de théâtre Siegfried reprend l’intrigue contemporaine franco-allemande. Mais le véritable sujet de cette pièce en quatre actes est celui de l’homme sans mémoire. Héros de la pièce éponyme, Siegfried combine à la fois le héros wagnérien et le personnage d’Orphée.
         La scène se passe à Gotha, célèbre ville allemande célèbre proche de Weimar.





    Acte II, scène II
    [Extrait]


    SIEGFRIED : Qui êtes-vous ?
    GENEVIÈVE : Compliquons l’exercice. Devinez : je ne tue pas de grizzly, mais je passe pour couper mes robes moi-même. Je ne fais pas de ski, mais ma cuisine est renommée.
    SIEGFRIED : Vous êtes Française ? Pourquoi le cachez-vous ?
    GENEVIÈVE : Voilà bien des questions !
    SIEGFRIED : Vous avez raison… C’est que je ne suis guère autre chose qu’une machine à questions. Tout ce qui passe d’étrange à ma portée, il n’est rien de moi qui ne s’y agrippe. Je ne suis guère, âme et corps, qu’une main de naufragé… On vous a dit mon histoire ?
    GENEVIÈVE : Quelle histoire ?
    SIEGFRIED : Ils sont rares, les sujets sur lesquels je puisse parler sans poser de questions : les contributions directes allemandes depuis 1848, et le statut personnel dans l’Empire germanique depuis l’an mille, voilà à peu près les deux seuls domaines où je puisse répondre au lieu d’interroger, et je n’ai pas l’impression qu’il faille vous y inviter.
    GENEVIÈVE : Nous verrons, un dimanche !… Alors, questionnez.
    SIEGFRIED : Je n’aurais pas dû vous demander qui vous êtes ! Je vous ai ainsi tout demandé. Un prénom suivi de son nom, il me semble que c’est la réponse à tout. Si jamais je retrouve les miens, je ne répondrai jamais autre chose à ceux qui me questionneront. Oui… et je suis un tel… Oui, c’est l’hiver, mais je suis un tel… Qu’il doit être bon de dire : il neige, mais je suis Geneviève Prat…
    GENEVIÈVE : Je serais cruelle de vous contredire. Mais je suis si peu de votre avis ! Tous les êtres, je les trouve condamnés à un si terrible anonymat. Leurs nom, prénom, surnom, aussi bien que leurs grades et titres, ce sont des étiquettes si factices, si passagères, et qui les révèlent si peu, même à eux-mêmes ! Je vais vous sembler bien peu gaie, mais cette angoisse que l’on éprouve devant le soldat inconnu, je l’éprouve, et accrue encore, devant chaque humain, quel qu’il soit.
    SIEGFRIED : Moi seul peut-être je vous parais avoir un nom en ce bas monde !
    GENEVIÈVE : N’exagérons rien.
    SIEGFRIED : Pardonnez-moi ces plaintes. Dans tout autre moment, j’aurais aimé vous cacher pendant quelques jours les ténèbres où je vis. La plus grande caresse qui puisse me venir des hommes, c’est l’ignorance qu’ils auraient de mon sort. Je vous aurais dit que je descendais vraiment de Siegfried, que ma marraine venait de prendre une entorse, que la tante de ma tante était de passage. Vous l’auriez cru, et nous aurions obtenu ce calme si nécessaire pour l’étude des verbes irréguliers.
    GENEVIÈVE : Nous oublions en effet la leçon. Questionnez-moi, Monsieur le Conseiller d’Etat, puisque vous aimez questionner. Faites-moi ces questions qu’on pose à la fois aux institutrices familières et aux passants inconnus : Qu’est-ce que l’art ? ou : Qu’est-ce que la mort ? Ce sont des exercices de vocabulaire pratique excellents.
    SIEGFRIED : Et la vie, qu’est-ce que c’est ?
    GENEVIÈVE : C’est la question pour princesses russes, celle-là. Mais je peux y répondre : une aventure douteuse pour les vivants, rien que d’agréable pour les morts. […]


    Jean Giraudoux, Siegfried, Théâtre complet, La Pochothèque, 1991, pp. 29-30.



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  • Dominique Sorrente | Je t’envoie ma chanson des jours bleus




    JE T’ENVOIE MA CHANSON DES JOURS BLEUS




    Je t’envoie ma chanson des jours bleus qui est comme une enfance ; elle se perd et se retrouve, et joue ses notes au jour le jour, sans savoir tout à fait qui l’appelle.


    *


    Le corps enterre son ombre sous les pieds.

    Tout s’arrête.

    Puis le vent enlève son chapeau.

    Une autre histoire rejoint le temps.







    Mais que dit-elle, cette femme qui passe, cueillant les papillons de nuit, les libérant dans l’entrebâillé de la fenêtre ?


    *


    Ce monde est une pluie soudaine par où tout réapprend à respirer.

    Les papillons de nuit volètent sous les nervures des feuilles, jonques à l’envers. Le temps d’entrer en scène, la femme aura disparu.


    *


    Dans cette compagnie des cailloux, des écorces, des insectes, on n’est plus seul qu’à hauteur d’homme.

    Mieux que toutes les chimies, le cri d’amour d’un crapaud détend le fil à craqueler de l’angoisse.


    *


    Ma chanson n’est jamais la même, comprenez-vous cela. Elle jette ses mots et ses airs, au gré des heures, accrochant parfois une mélodie aux branchages. Puis elle change de répertoire dans les étiages de la nuit. Elle franchit des seuils ignorés ; plus tard, elle se dissout dans les labyrinthes du vent. Et à Dieu vat !

    Elle laisse aussi des formes de bijoux sur la route, ma chanson. Elle ne sait rien des ramasseurs, ceux qui peut-être un jour récupèreront une de ses devinettes pour nourrir un repas de hasard. Ou qui s’infuseront aux veines pour les tonifier un sang d’encre.


    *


    Que peut-on faire d’une chanson qui écoute ?

    Une stèle mendiante. Un signe de l’index traçant sur l’écritoire d’un ciel.






    Les jours bleus. Ce sont eux qui vivent à reculons, dit la rumeur des anges. Ils se déplacent souvent en diagonale, jouent aux cases manquantes. On ne peut jamais être certain de les revoir comme on les a trouvés. Mais ils gravitent là, c’est sûr, au creux des turbulences de l’origine.

    Et ce destin si proche n’a pas de prix.


    *


    Apprendre à te reconnaître sur le chrome du temps. Délier les figures entravées pour qu’à un moment inspiré surgisse, tout à côté du matin machinal, la science intacte des aimants.

    Comme une enfance qu’on a tirée du puits.


    *


    Trois mots trouvés qui me reviennent. Ils ont le son latin du calme
    d’après le tourment.

    Au baldaquin des jours sans tain,
    parmi les os qui dessinent du vide pour ne plus raconter,
    dona nobis pacem.

    Ils sont comme un temple khmer immobilisé après l’effroi des lanières, des suppliques et des déflagrations, qui attend de nouveau la première pousse.

    Je porte ici
    cette prière rampante qui remonte des herbes.

    C’est lui, sans doute, qui me l’offre. Il ne questionne pas mon nom.
    L’enfant de toujours à son miroir magique ; il écoute la voix qui lui apprend à lire
    entre les lignes.

    Celle qui murmure tout autour de la terre :
    Dona nobis pacem.
    Rien moins que ça.


    *


    Jusqu’au tamis d’un autre jour, nous nous perdons.
    C’est la loi du genre.

    Notre vie, étale dans ses morceaux, tourne les pages de l’égarée.

    Elle joue comme elle peut
    l’hymne égoutté de trop d’alluvions noirs.
    Elle attend d’un geste provisoire que tant de patiences se survivent.

    Puis au détour d’un couloir, sans prévenir, elle se redresse.

    Mon amour de derrière les roseaux, te souviens-tu du fleuve ?



    Dominique Sorrente, « Je t’envoie ma chanson des jours bleus » [extrait], La Revue des Archers N° 10, février 2006.





    Yblue
    Source




    ANTHOLOGIE DU BLEU | TERRES DE FEMMES


    Nicolas Charlet | La Trilogie du bleu
    Michèle Dujardin | Et bleu est je
    Claude Esteban | Bleu, bleu surtout
    Alain Freixe | Bleu plié au noir
    Olav H. Hauge | Le pays bleu
    Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu
    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad
    All blues
    → (Série Instables a cappella)
    Bleu plexiglas
    Bleu de Prusse
    → (Série Instables a cappella)
    Blues déjantés
    L’ombre portée du palmier bleu
    Plume de geai bleu
    → (Série Instables a cappella)
    Les sons cris du piano bleu
    2 janvier 1957 | Exposition Yves Klein à Milan





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