Blog


  • Emmanuel Laugier | Et ce peut être aussi mauve

    «  Poésie d’un jour  »



    MAUVE
    Ph., G.AdC







    ET CE PEUT ÊTRE AUSSI MAUVE



    et ce peut être aussi mauve
    précipité de
    d’aussi exacte clarté
    quand cela passe entre une rue
    le bout qu’un angle arrête des couleurs
    passées et floues sont mêmes choses
    qu’écart par quoi reste en chacun un reste de
    même surface
    et
    un imprescriptible peut-être
    flottement
    vient dans de l’irréductible netteté


    Emmanuel Laugier, Mémoire du mat, Éditions Virgile, Collection Ulysse Fin de Siècle, 2006, page 47.






    Lugier, Mémoires du mat






    EMMANUEL LAUGIER


    EMMANUEL LAUGIER
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poezibao)
    Carte Blanche à Angèle Paoli : du titre et singulièrement de celui d’Emmanuel Laugier, Mémoire du mat
    → (sur Poezibao)
    Mémoire du Mat d’Emmanuel Laugier (lecture de Florence Trocmé)
    → (sur remue.net)
    une note de Jean-Marie Barnaud sur Mémoire du mat






    Retour au répertoire du numéro de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 19 février 1924, sur l’invitation de Pierre de Monaco, Paul Valéry prononce à Monte-Carlo une conférence intitulée « Situation de Baudelaire ».





    Valéry-Baudelaire
    Image, G.AdC







    EXTRAIT


    Baudelaire est au comble de la gloire.

    Ce petit volume des Fleurs du Mal, qui ne compte pas trois cents pages, balance dans l’estime des lettrés les œuvres les plus illustres et les plus vastes. Il a été traduit dans la plupart des langues européennes : c’est un fait sur lequel je m’arrêterai un instant, car il est, je crois, sans exemple dans l’histoire des Lettres françaises […]

    […] Avec Baudelaire, la poésie française sort enfin des frontières de la nation. Elle se fait lire dans le monde ; elle s’impose comme la poésie même de la modernité ; elle engendre l’imitation, elle féconde de nombreux esprits. Des hommes tels que Swinburne, Gabriele D’Annunzio, Stefan George, témoignent magnifiquement de l’influence baudelairienne à l’extérieur.

    Je puis donc dire que s’il est, parmi nos poètes, des poètes plus grands et plus puissamment doués que Baudelaire, il n’en est point de plus important.

    A quoi tient cette importance singulière ? Comment un être aussi particulier, aussi éloigné de la moyenne que Baudelaire l’était, a-t-il pu engendrer un mouvement aussi étendu ?

    Cette grande faveur posthume, cette fécondité spirituelle, cette gloire qui est à son plus haut période, doivent dépendre non seulement de sa valeur propre en tant que poète, mais encore de circonstances exceptionnelles. C’est une circonstance exceptionnelle qu’une intelligence critique associée à la vertu de poésie. Baudelaire doit à cette rare alliance une découverte capitale. Il était né sensuel et précis ; il était d’une sensibilité dont l’exigence le conduisait aux recherches les plus délicates de la forme ; mais ces dons n’eussent fait de lui qu’un émule de Gautier, sans doute, ou un excellent artiste du Parnasse, s’il n’eût, par la curiosité de son esprit, mérité la chance de découvrir dans les ouvrages d’Edgar Poe un nouveau monde intellectuel. Le démon de la lucidité, le génie de l’analyse, et l’inventeur des combinaisons les plus neuves et les plus séduisantes de la logique avec l’imagination, de la mysticité avec le calcul, le psychologue de l’exception, l’ingénieur littéraire qui approfondit et utilise toutes les ressources de l’art, lui apparaissent dans Edgar Poe et l’émerveillent. Tant de vues originales et de promesses extraordinaires l’ensorcellent. Son talent en est transformé, sa destinée en est magnifiquement changée […]

    […] Mais je dois considérer maintenant une seconde circonstance remarquable de la formation de Baudelaire.
         Au moment qu’il arrive à l’âge d’homme, le romantisme est à son apogée ; une éblouissante génération est en possession de l’empire des Lettres : Lamartine, Hugo, Musset, Vigny sont les maîtres de l’instant.

    Plaçons-nous dans la situation d’un jeune homme qui arrive en 1840 à l’âge d’écrire. Il est nourri de ceux que son instinct lui commande impérieusement d’abolir. Son existence littéraire qu’ils ont provoquée et alimentée, que leur gloire a excitée, que leurs ouvrages ont déterminée, toutefois, est nécessairement suspendue à la négation, au renversement, au remplacement de ces hommes qui lui semblent remplir tout l’espace de la renommée et lui interdire, l’un, le monde des formes ; l’autre, celui des sentiments ; un autre, le pittoresque ; un autre, la profondeur.

    Il s’agit de se distinguer à tout prix d’un ensemble de grands poètes exceptionnellement réunis par quelque hasard, dans la même époque, tous en pleine vigueur.

    Le problème de Baudelaire pouvait donc, — devait donc, — se poser ainsi :

    « Être un grand poète, mais n’être ni Lamartine, ni Hugo, ni Musset. » Je ne dis pas que ce propos fût conscient, mais il était nécessairement en Baudelaire, — et même essentiellement Baudelaire. Il était sa raison d’Etat. Dans les domaines de la création, qui sont aussi les domaines de l’orgueil, la nécessité de se distinguer est indivisible de l’existence même. Baudelaire écrit dans son projet de préface aux Fleurs du Mal :

    « Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique, etc. Je ferai donc autre chose… »


    Paul Valéry, Situation de Baudelaire in Variété II, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1930, pp. 129-133.




    ■ Paul Valéry
    sur Terres de femmes


    [Rime]
    30 octobre 1871 | Naissance de Paul Valéry
    30 mars 1917 | Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    23 juin 1927 | Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française
    20 juillet 1945 | Mort de Paul Valéry




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    31 août 1867 | Mort de Charles Baudelaire
    la biographie de Paul Valéry sur le site de l’Académie française






    Retour au répertoire du numéro de février 2009
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sylvie Fabre G., Corps subtil

    «  Poésie d’un jour  »





    Ils dessinent le visage perdu
    Ph., G.AdC




    CORPS SUBTIL


             Tu rassembles les mots qui tournent dans le ciel de ta mort et, tels oiseaux, ils dessinent le visage perdu.

             Le  poème, son  exigence  le  garde  dans  l’écart  :  ce qui tient au cœur de la langue est corps subtil. Tu entrevois la farouche merveille, écrire, comme aimer, est sans rémission. Il n’y a ni trop tôt ni trop tard, laisse aller, voue-toi au muet des mots et de la chair, à l’exil de l’émotion, ce dont tu ne peux pas parler enlace parole et silence.

             Ta  vertu  est  de  rester  ignorante.  L’inconnu des mots se danse dans les mots. Ainsi du visage.



    Sylvie Fabre G., Corps subtil, L’Escampette Éditions, Collection Poèmes, 2009, page 38. Préface de Claude Louis-Combet.




    Corps subtil  Sylvie Fabre G.




    SYLVIE FABRE G.




    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    La demande profonde
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Retournement du chant [hommage à Maurice Benhamou] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Pays perdu d’avance (note de lecture d’AP)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Caroline Boidé, Les Impurs, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Dhainaut, Après, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Angèle Paoli, Lauzes, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Marie de Crozals & Sylvie Fabre G. | [La montagne bascule]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Une terre commune, deux voyages




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.
    → (sur le site des Éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.






    Retour au répertoire du numéro de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean-Pierre Spilmont, Une saison flamande


    Jean-Pierre Spilmont, Une saison flamande,
    L’Amourier éditions, Collection Ex cœtera, 2008.






    Ce sentiment d'appartenance à un même silence
    Ph., G.AdC






    FLÂNERIE AU FIL DU PLAT-PAYS


         Arrière-pays. Arrière-pays baigné de brumes et d’eau, de lumières mouvantes et de formes lointaines. L’arrière-pays de la mémoire de Jean-Pierre Spilmont s’insinue dans la mémoire autre et pareille du promeneur-lecteur touché par l’incantation aérienne, légère, légèrement tremblée, d’Une saison flamande. Mystérieusement dédiée à Clarice Lispector et à L’Heure de l’étoile, œuvre inachevée, cette flânerie en Flandres est une invite à la « réplique ». Réplique de Jean-Pierre Spilmont « au silence de la lumineuse Clarice » ; réplique de la lectrice que je suis au promeneur d’Une saison flamande. Une œuvre en quête de complicité et de compagnonnage. Et le compagnonnage se fait, immédiat et confiant, à travers un même regard et des interrogations identiques. Comment la permanence, si infime soit-elle, peut-elle surgir de l’éphémère et du fugace ? « Pourra-t-on dire, un jour, avec des mots, le poids de la lumière ? »

         Le poids de la lumière se dit, sans pesanteur aucune, au fil des chapitres ― huit en tout ― de ce petit livre précieux. Et l’on chemine ― vers quelle « Compostelle du cœur » ?―, touché par ce sentiment d’appartenance à un même silence, le long des voies d’eau médiévales qui desservaient, aux temps lointains de la navigation hauturière, les villes flamboyantes de la Hanse. Jusqu’aux périodes d’ensablement du Zwyn et d’endormissement des ports, conté par les légendes. De Bruges à Damme, de Damme à Sluis, de Sluis à Ostende, le pays de Flandres est là, contenu dans son histoire et dans ses paysages. Et l’on redécouvre, derrière le nom connu de Thyl Ulenspiegel, héros flamand ― « archétype des Gueux » ―, celui oublié de l’impertinent Poelgier, membre éminent de la Chambre de rhétorique De Fonteine ; mais aussi celui de Chrétien de Troyes à qui le comte Philippe de Flandre fit don, vers 1180, d’un « livre en latin » narrant l’histoire de Perceval, que Chrétien traduisit et mit en vers. Et l’on se prend à rêver, dans les ruelles de Courtrai, au mystère des Béguines. Béguines du Plat-Pays, de Rhénanie et du Nord de la France, communautés laïques cloîtrées derrière leurs remparts ; à Marguerite Porète, auteur du Mirouer des simples âmes anienties et qui seulement demourent en vouloir et désir. « Âme libre » brûlée vive en place de Grèves parce que jugée hérétique et relapse.

         Et l’on s’arrête à Gand, devant L’Agneau mystique, peint par Jan Van Eyck pour l’Église Saint-Bavon. « L’œil écoute », présent à ce « mystère qui a nom beauté », attentif au bruissement que « fait le visage humain à travers les siècles ». De part et d’autre des multiples visages qui animent le polyptyque ― visages humains que rien ne sépare sinon le temps, des visages absorbés dans la contemplation du tableau ― « s’impose l’extraordinaire beauté d’Ève et d’Adam ». Jean-Pierre Spilmont se prend à imaginer que le peintre a représenté le « couple primordial » sous les traits d’êtres désirants, prêts à inventer la vie de leur descendance. Peut-être Van Eyck avait-il en mémoire, lorsqu’il peignit leur visage, les chansons d’aube, empreintes de lucidité et de nostalgie ? De cette nostalgie qui laisse à penser que les amants ont « approché quelque chose de l’éternité ».

         Au cœur du « plus poétique des voyages », bien des mystères subsistent, bien des interrogations demeurent qui ne peuvent être abordées que dans le silence et le presque recueillement des saisons automnales. L’étranger Jean-Pierre Spilmont se promet de revenir à ces terres-miroirs, noyées d’eau et de mémoire. Pour tenter d’approcher une fois encore, aux confins du réel et de l’histoire, « la part de lumière de notre humanité ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    JEAN-PIERRE SPILMONT

    Jean-Pierre Spilmont
    Source


    Voir aussi :

    le site consacré à Jean-Pierre Spilmont ;
    – (sur le site des éditions L’Amourier)
    la fiche consacrée à Une saison flamande ;
    – (sur Terres de femmes)
    Jean-Pierre Spilmont/Ici le soleil finit juste de se lever.




    Retour au répertoire de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Georges-Emmanuel Clancier | [Flaques d’orange lueur]

    «  Poésie d’un jour  »



    [FLAQUES D’ORANGE LUEUR]


    Flaques d’orange lueur
    où rôde le crépuscule…

    Que cherche-t-il ce passant
    solitaire et minuscule

    s’en allant sur l’étendue
    comme si jamais là-bas

    son heure fût attendue
    pour un ultime départ ?



    Georges-Emmanuel Clancier, « Suite marine », in Vive fut l’aventure, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2008, page 60.






    Clancier  Vive fut l'aventure 2






    GEORGES-EMMANUEL  CLANCIER




    ■ Georges-Emmanuel Clancier
    sur Terres de femmes

    Ève noire (autre extrait de Vive fut l’aventure)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Gattivi Ochja)
    un autre poème de Georges-Emmanuel Clancier (extrait du recueil Oscillante parole [Gallimard, 1978] et traduit en corse par Stefanu Cesari)





    Retour au répertoire du numéro de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 17 février 1921 |
    Interdiction de La Ronde d’Arthur Schnitzler

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 17 février 1921, les représentations de La Ronde (Reigen), d’Arthur Schnitzler (1862-1931), sont interdites à Vienne, au lendemain d’une occupation du théâtre par plusieurs centaines de manifestants. La Ronde était à l’affiche depuis le 1er février 1921. Elle avait été créée au Kleines Schauspielhaus de Berlin le 23 décembre 1920, dans une mise en scène de Hubert Reusch, et avait tourné dans plusieurs grandes villes allemandes (Hambourg, Kiel, Munich, Leipzig,…).






    Eggeler
    Stefan Eggeler (1894-1969), Sans titre, 1911
    illustration pour Reigen d’Arthur Schnitzler
    Fusain et craie, 20 x 27 cm.
    Source.






        Jugée licencieuse et décadente, la pièce du dramaturge viennois est accusée d’obscénité et d’atteinte à l’ordre public. Sans doute remet-elle en question, avec trop de lucide cruauté, les déliquescences d’une société viennoise en voie de décomposition ? Mais la réaction du public, elle, porte moins sur le contenu de la pièce, que sur l’auteur lui-même, comme l’attestent les slogans antisémites.
        Écrite en trois mois, entre fin novembre 1896 et fin février 1897, longtemps méditée par son auteur qui disait cette suite de scènes parfaitement impubliables, finalement publiée à compte d’auteur à deux cents exemplaires en 1900, puis officiellement à Vienne en 1903, La Ronde (le titre d’origine, Liebesreigen, ayant entre-temps été transformé en Reigen, sur les conseils du critique Alfred Kerr) n’est ni une pièce sur l’amour, ni même sur le désir ou l’érotisme.
        Cette pièce en dix dialogues met pourtant en scène dix couples qui s’affrontent l’un après l’autre, dans des décors chaque fois différents, sur le thème de la séduction amoureuse et du désir sexuel. Le moyen pour Arthur Schnitzler, « au-delà de la farandole des personnages », d’embarquer le spectateur dans « une exploration de la condition humaine ». À partir de variations et combinaisons sur le duo amoureux et sur l’origine sociale des amants, Schnitzler se joue de ce que les hommes veulent cacher et se cacher. Sont pris ainsi dans le tourbillon de La Ronde, La fille et le soldat, Le soldat et la femme de chambre, La femme de chambre et le jeune homme, Le jeune homme et la jeune femme, La jeune femme, le mari, Le mari et la grisette, La grisette et l’homme de lettres, L’homme de lettres et l’actrice, L’actrice et le comte, Le comte et la fille. C’est avec la fille, Léocadie, que l’on entre dans la danse. C’est avec elle que se ferme la ronde. Au centre de cette pièce cynique et grinçante, mais drôle et traitée avec finesse, le couple légitime de la jeune femme et du mari.
         Cette pièce a inspiré Max Ophuls pour son film La Ronde (1950, avec Gérard Philipe et Simone Signoret).


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Reigen/La Ronde. Vienne, le 16 février 1921
    Reigen/La Ronde : Vienne, 16 février 1921 : occupation du théâtre
    par quelque 600 manifestants.
    Source : Illustriertes Wiener Extrablatt, 18 février 1921
    Collection Gerd K. Schneider.





    EXTRAIT


    V

    LA JEUNE FEMME ET LE MARI



    Une chambre à coucher confortable.

    Il est dix heures et demie
    du soir. ― La jeune femme est couchée
    en train de lire.-
    Le mari entre, en robe de chambre.




    LA JEUNE FEMME, LE MARI



    LA JEUNE FEMME, sans lever les yeux.

         Tu ne travailles plus ?

    LE MARI.

         Non ! Je suis trop fatigué. Et puis…

    LA JEUNE FEMME.

         Et puis ?…

    LE MARI.

         Je me suis senti subitement si seul à ma table de travail… J’ai eu envie de toi.

    LA JEUNE FEMME, levant les yeux.

         Vraiment ?

    LE MARI s’assied près d’elle sur le lit.

         Ne lis pas au lit. Tu t’abîmes les yeux.

    LA JEUNE FEMME, fermant le livre.

         Qu’est-ce que tu as donc ?

    LE MARI.

         Rien, mon petit… Je t’aime, tout simplement.

    LA JEUNE FEMME.

         Ah ? J’en arrive parfois à l’oublier.

    LE MARI.

         Il faut l’oublier parfois.

    LA JEUNE FEMME.

         Pourquoi cela ?

    LE MARI.

         Parce qu’autrement le mariage serait quelque chose d’imparfait.      Il… comment dire… Il y perdrait son caractère sacré.

    LA JEUNE FEMME.

         Oh !…

    LE MARI.

         Crois-moi … c’est la vérité… Si depuis cinq ans que nous sommes mariés nous n’avions pas oublié de temps en temps que nous sommes amoureux l’un de l’autre, nous ne le serions plus à l’heure qu’il est.

    LA JEUNE FEMME.

         C’est trop profond pour moi !

    LE MARI.

         C’est bien simple, cependant ! Nous avons déjà eu, ensemble, une dizaine, une douzaine peut-être de liaisons…Ça ne te fait pas cet effet-là ?

    LA JEUNE FEMME.

         Je ne les ai pas comptées.

    LE MARI.

         Eh bien, si nous avions savouré goulûment notre première liaison, nous en aurions eu une indigestion ; si, dès le début, je m’étais abandonné corps et âmes, à ma passion pour toi, il nous serait arrivé ce qui arrive à des milliers de couples amoureux… ça serait fini, nous deux !

    LA JEUNE FEMME.

         Ah ! C’est ça que tu voulais dire ?

    LE MARI.

         Crois-moi… Emma… dans les premiers jours de notre mariage, j’avais peur que cela n’arrivât.

    LA JEUNE FEMME.

         Moi aussi.

    LE MARI.

         Tu vois ? Est-ce que je n’ai pas raison ? Voilà pourquoi il faut, parfois, vivre ensemble comme de bons amis.

    LA JEUNE FEMME.

         Parfaitement.

    LE MARI.

         De cette façon, nous avons le privilège de vivre de temps à autre quelques semaines d’une nouvelle lune de miel, d’autant plus que je veille à ce que ces semaines…

    LA JEUNE FEMME.

         …ne deviennent pas des mois.

    LE MARI.

         Tu l’as dit.

    LA JEUNE FEMME.

         Et je suppose qu’une période de pure amitié est en train de finir ce soir… ?

    LE MARI, l’attirant à lui, très tendre.

         Je crois que oui.

    LA JEUNE FEMME.

         Mais si, de mon côté… je ne me sentais pas disposée…


    Arthur Schnitzler, La Ronde. Dix dialogues, Stock, Bibliothèque Cosmopolite, 1984, pp. 71-74. Traduits par M. Remon, W. Bauer et S. Clauser.





    ARTHUR SCHNITZLER


    Arthur Schnitzler en 1905
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur books.google.com)
    A Companion to the Works of Arthur Schnitzler, par Dagmar C. G. Lorenz (pour prendre connaissance du contexte historique de la création de La Ronde)
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique)
    Jacques De Decker, Chemin de ronde autour du Reigen de Schnitzler




    Retour au répertoire de février 2009
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • 16 février 2009/Lecture marathon de La Princesse de Clèves devant le Panthéon





    LUNDI 16 FÉVRIER, A EU LIEU, À PARTIR DE 15h00, UNE LECTURE MARATHON
    DE L’INTÉGRALITÉ DE LA PRINCESSE DE CLÈVES
    DEVANT LE PANTHÉON,
    SUR L’INITIATIVE D’ÉTUDIANTS et D’ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
    de PARIS 3 ET D’AILLEURS.









        Voir l’information publiée par fabula et le billet de Pierre Assouline. J’ai noté cette excellente citation d’un commentateur :



    “Illiteratus rex quasi asinus coronatus est”,
    (« Un roi illettré est comme un âne couronné » *).



       Entièrement solidaire de cette lecture, Terres de femmes met en ligne (ci-dessous) un extrait de la Quatrième partie de La Princesse de Clèves. Une autre lecture-marathon aura lieu mercredi à Aix-en-Provence.



    * Citation extraite de Politicratus, ouvrage de Jean de Salisbury (deuxième moitié du XIIe siècle).




    SITÔT QU’IL FUT DANS CE JARDIN…

         « Sitôt qu’il fut dans ce jardin, il n’eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves. Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet ; toutes les fenêtres en étaient ouvertes et, en se glissant le long des palissades, il s’en approcha avec un trouble et une émotion qu’il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servaient de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu’elle était seule ; mais il la vit d’une si admirable beauté qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n’avait rien, sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui Mme de Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M.de Nemours. Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla, proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours ; elle s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
         On ne peut exprimer ce que sentit M. de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait, la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.
         Ce prince était aussi tellement hors de lui-même qu’il demeurait immobile à regarder Mme de Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il pensa qu’il devait attendre à lui parler qu’elle allât dans le jardin ; il crut qu’il pourrait le faire avec plus de sûreté, parce qu’elle serait plus éloignée de ses femmes ; mais, voyant qu’elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d’y entrer. Quand il voulut l’exécuter, quel trouble n’eut-il point ! Quelle crainte de lui déplaire ! Quelle peur de faire changer ce visage où il y avait tant douceur et de le voir devenir plein de sévérité et de colère !
         Il trouva qu’il y avait eu de la folie, non pas à venir voir Mme de Clèves sans en être vu, mais à penser de s’en faire voir ; il vit tout ce qu’il n’avait point encore envisagé. Il lui parut de l’extravagance dans sa hardiesse de venir surprendre, au milieu de la nuit, une personne à qui il n’avait encore jamais parlé de son amour. Il pensa qu’il ne devait pas prétendre qu’elle le voulût écouter, et qu’elle aurait une juste colère du péril où il l’exposait par les accidents qui pourraient arriver. Tout son courage l’abandonna, et il fut prêt plusieurs fois à prendre la résolution de s’en retourner sans se faire voir. Poussé néanmoins par le désir de lui parler, et rassuré par les espérances que lui donnait tout ce qu’il avait vu, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu’une écharpe qu’il avait s’embarrassa dans la fenêtre, en sorte qu’il fit du bruit. Mme de Clèves tourna la tête, et, soit qu’elle eût l’esprit rempli de ce prince, ou qu’il fût dans un lieu où la lumière donnait assez pour qu’elle le pût distinguer, elle crut le reconnaître et sans balancer ni se retourner du côté où il était, elle entra dans le lieu où étaient ses femmes. Elle y entra avec tant de trouble qu’elle fut contrainte, pour le cacher, de dire qu’elle se trouvait mal ; et elle le dit aussi pour occuper tous ses gens et pour donner le temps à M. de Nemours de se retirer. »

    Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, Quatrième partie, Éditions Gallimard, Collection folio, 1972, pp. 281-282-283.





    Voir aussi :
    Sarkozy et la Princesse – De quoi la Princesse de Clèves est-elle le NON ? : Université Stendhal Grenoble 3 – Jeudi 12 février 2009. Conférence-lecture ouverte à tous (étudiants et personnels). Ch. Noille-Clauzade (commentatrice) ; A. Deny et I. Cogitore (lectrices) ;
    – (sur le site de Libération)
    une vidéo-labo sur la lecture marathon du Panthéon du 16 février.



    Retour au répertoire de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Guy Goffette | L’attente

    «  Poésie d’un jour  »




    L'attente photocollage de Guidu
    Photocollage, G.AdC







    L’ATTENTE


    Si tu viens pour rester, dit-elle, ne parle pas.
    Il suffit de la pluie et du vent sur les tuiles,
    il suffit du silence que les meubles entassent
    comme poussière depuis des siècles sans toi.

    Ne parle pas encore. Écoute ce qui fut
    lame dans ma chair : chaque pas, un rire au loin,
    l’aboiement du cabot, la portière qui claque
    et ce train qui n’en finit pas de passer

    sur mes os. Reste sans paroles : il n’y a rien
    à dire. Laisse la pluie redevenir la pluie
    et le vent cette marée sous les tuiles, laisse

    le chien crier son nom dans la nuit, la portière
    claquer, s’en aller l’inconnu en ce lieu nul
    où je mourais. Reste si tu viens pour rester.


    Guy Goffette, L’attente, I, La Vie promise, Éditions Gallimard, 1991 ; in Éloge pour une cuisine de province, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2000, page 237.






    GUY GOFFETTE


    Goffette_1
    Ph. D.R. Source



    ■ Guy Goffette
    sur Terres de femmes

    Ainsi nos pas
    Et si…
    Jalousie
    Je me disais aussi…



    ■ Voir aussi ▼

    30 mars 1844 | Naissance de Paul Verlaine
    → (sur Terres de femmes)
    23 janvier 1947 | Mort de Pierre Bonnard






    Retour au répertoire du numéro de février 2009
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • La revue Nu(e)
    organise une souscription pour son 40e numéro





    Nu(e) 2
    La revue Nu(e), dirigée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, espace éditorial où s’expérimente la poésie, lieu de travail, de correspondance, de critique littéraire, d’art et de création, consacre son 40e numéro à YVES CHARNET.

        Ancien élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), Yves Charnet est responsable des enseignements de culture générale à SUPAERO (Toulouse) depuis 1996. Intervenant comme critique dans différentes revues (Europe, Prétexte, Scherzo), il participe à de nombreux colloques en France et à l’étranger. Il est notamment connu pour ses nombreux travaux sur Baudelaire, et les figures les plus marquantes de la poésie contemporaine.

        Publié aux éditions de La Table Ronde, son travail d’écrivain se situe à la croisée de la poésie et de la prose, de l’autofiction et de la poétique du carnet. Il se compose à ce jour de six ouvrages : Proses du fils (1993 ; édition revue et corrigée en 2002) ; Rien, la vie (1994) ; Cœur furieux (1998) ; Mon amour (2001) ; Petite chambre (2005) ; Lettres à Bautista (2008). Cette œuvre de notre temps fait pour la première fois l’objet d’une mise en perspective d’ensemble.

        Le volume de 200 pages que lui consacre la revue, coordonné par Philippe Met (professeur de lettres et de cinéma à l’Université de Pennsylvanie aux États-Unis), rassemble les contributions suivantes :

       •  Un ensemble de photographies.
       •  Dessins de Sabine Macher et encres de Jean-Claude Pirotte.
       •  Hommage des élèves du « Bistrot Littéraire » de Supaero.
       •  Trois inédits de Yves Charnet.
       •  Créations poétiques, portraits, témoignages et essais critiques de :

                      – Pierre Bergounioux          – Jean-Claude Pinson
                      – Jacques Durand                 – Jean-Claude Pirotte
                      – Francis Wolff                       – Jacques Ancet
                      – Michel Deguy                      – Francis Marmande
                      – Bernard Noël                       – Antoine Emaz
                      – Gil Jouanard                        – Arnaud Rykner
                      – Denis Podalydès                 – Michèle Finck
                      – Jacques Bonnaffé               – Dominique Rabaté
                      – Valérie Rouzeau                 – Michel Collot
                      – Christian Thorel                 – Philippe Met


         Pour ce quarantième numéro, la revue organise une souscription.
    Le volume peut être obtenu au prix promotionnel de 18 euros en renvoyant le talon ci-dessous, avant le 30 mars 2009. Après cette date, la revue sera en vente au prix normal de 20 €.



    ____________________________________________________________

    Mme/M. :

    Adresse :

    Souhaite : …… exemplaire(s) du numéro de la revue Nu(e) sur Yves Charnet
    et paie ce jour le montant de …… x 18 € (+ 2 € de frais de poste), soit au total ……. € à l’ordre de l’Association Nu(e), avec la mention : « Souscription Yves Charnet» :
    • pour la France : par chèque, c/o Béatrice Bonhomme, 29 avenue Primerose, 06000 NICE
    • pour les autres pays : par virement au compte de l’Association Nu(e) – IBAN : FR76 1831 5100 0004 2667 9641 539 – BIC : CEPAFRPP831.
    La réception du paiement donne lieu de réservation.