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  • Parution du n° 4 de la revue Fora !






    Fora Parution du N°4 de la Revue Fora !

    Sommaire du n°4 de la Revue Fora ! => ICI.







    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 12 février 1909 | Naissance de Zoran Mušič

    Éphéméride culturelle à rebours

    article de Fabian Gastellier


    Il y a cent sept ans, le 12 février 1909, naît à Bukovica (hameau de Gorizia, en Dalmatie, aujourd’hui à la frontière italo-slovène) Zoran Anton Mušič.







    ZORAN MUŠIČ
    Source







    L’EXPÉRIENCE DE LA PERTE


    Né dans un village qui était encore une poche de l’empire austro-hongrois, Zoran Mušič voit sa vie basculer un jour d’automne 1944. Arrêté une année plus tôt à Venise, détenu à Trieste et soupçonné d’appartenir à la Résistance slovène, on lui donne le choix : collaboration ou déportation. Il opte pour la seconde solution. La solution dite finale. À Dachau, Mušič devient le prisonnier n° 128231.

    À l’épreuve du camp, les hommes s’effritent, deviennent poupées de chiffon, marionnettes, objets, choses. En pénétrant au cœur de l’indescriptible, ombre parmi les ombres, Zoran rejoint la cohorte des morts en sursis. Sans doute ne voit-il plus au-delà, derrière les barbelés ; mais il voit en dedans. Avec un crayon pour seule arme, il dessine alors le quotidien, son quotidien. Sans relâche. Semaine après semaine, mois après mois. Il saisit en une fraction de seconde les silhouettes en dessiccation, les regards creux, les corps brûlés, les pendaisons de squelettes. Ce qui est et n’est déjà plus. Le passage de l’être au néant. Une esquisse, une urgence. « Je dessine comme en transes, m’accrochant morbidement à mes bouts de papier, dira-t-il. J’étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. »*

    En avril 1945, Dachau est libéré. Mušič est libre. Sans doute ne le sait-il pas encore, mais les années à venir ne seront pas celles de la liberté. Elles seront le processus d’une reconstruction puis, aussi, du retour là-bas : au fond de lui-même. Faire le chemin inverse et, du néant, redevenir un être.






    Toile de Mušič (1970), série « Nous ne sommes pas les derniers »
    Source






    « DANS L’ART, ON NE RACONTE QUE SOI-MÊME »*


    Cela se passe vers 1970. Après ses « paysages dalmates », après les lumières vénitiennes retrouvées, après les multiples « portraits d’Ida », sa femme. Après l’approche de l’abstraction, vécue dans l’échec, car : « Ma vérité ne se trouvait pas là. »* Sa vérité est enfouie avec ses souvenirs ; et de ce ressenti, aucun deuil n’a été possible. On ne s’affranchit pas de l’horreur dont on a été, en même temps, le témoin et l’acteur. « Camarades, je suis le dernier », avait crié un détenu pendu avant la libération d’Auschwitz. Mais l’Histoire bégaie, et Mušič ne peut que répondre : « Nous ne sommes pas les derniers. »**

    Surgissent alors les charniers, les bouches sans souffle et les cris muets. Et c’est Zoran que Mušič traque aussi au travers de ces toiles hantées. Celui dont le prénom signifie « naissance du jour » et qui s’est abîmé dans la nuit. Est-ce un témoignage ? Est-ce un « devoir de mémoire » ?






    Toile de Music, 1972, série « Nous ne sommes pas les derniers »
    Zoran Mušič, Nous ne sommes pas les derniers, 1972
    acrylique sur toile, 113,5 cm x 146 cm
    Musée national d’Art moderne
    Centre Georges-Pompidou, Paris.
    Source






    « CE NE SONT PAS LES YEUX QUI TRAVAILLENT, MAIS CE QU’ON PORTE EN SOI. IL FAUDRAIT POUVOIR TRAVAILLER LES YEUX FERMÉS »*


    En 1982, dans l’atelier près de l’Accademia, je retrouve le peintre. Je le connais et je ne le connais pas. Nous nous retrouvons régulièrement aux côtés de Jean Lescure, Léon Gischia et Ida au restaurant « All’Angelo » quand je me rends à Venise – une semaine tous les deux mois. C’est un géant taiseux, une haute silhouette sombre. Aujourd’hui, il est habillé de gris. Seul au milieu des chevalets de bois, au milieu des multiplications de morts, de déchirés, de squelettes renversés. Sa présence est aussi une absence, comme les momies décharnées gisant au creux de sa peinture. Il ne dit rien. Il laisse voir. Il s’essuie machinalement les mains avec un bout de tissu blanc, observe par l’étroite fenêtre les toits roses et ocres des maisons de Venise. Et comme je fais semblant de ne rien regarder, il souffle : « Voilà ».

    À partir de 1990, Zoran commence à perdre la vue. Je le vois pour la dernière fois à Paris en 1995. L’appartement lambrissé de la rue du Bac l’oblige à courber le dos afin d’échapper aux poutres. « Qu’en est-il de l’espèce humaine ? » Il sourit. Sa moustache et ses cheveux sont poivre et sel comme on dit. Couleur de cendre. Il ne répondra pas.

    Zoran Mušič meurt à Venise le 25 mai 2005. Revenu des morts chez les vivants, le voici reparti. Sous l’île de San Michele, où il est enterré, la mer ronge la terre et emporte les corps. J’aime à penser qu’il erre parmi les flots…


    Fabian Gastellier
    D.R. Texte Fabian Gastellier
    pour Terres de femmes



    ______________________________________________________________
    * Propos recueillis en 1994 par Vanessa Delouya. États Généraux de la psychanalyse.
    ** La série « Nous ne sommes pas les derniers » est comprise entre 1970 et 1984.






    ZORAN MUŠIČ


    Zoran Mušič dans son atelier à Venise en 1983
    Source



    BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE DE ZORAN MUŠIČ

    → Jean Clair, La Barbarie ordinaire : Mušič à Dachau, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2001. ISBN-10: 2070760944
    Zoran Mušič, Nous ne sommes pas les derniers, Éditions Alors Hors du Temps/Musées de Marseille, 2007 (catalogue de l’exposition du 15 janvier au 18 février 2003 à Marseille). ISBN-10: 2951793235
    → Steven Jaron, Voir jusqu’au cœur des choses, Éditions Échoppe, 2008. ISBN-10: 2840682036



    ZORAN MUŠIČ SUR LA TOILE

    → (sur la revue d’art en ligne Art hybris)
    un article d’André Kim (« Anton Zoran Mušič – Autoportraits »)
    → (sur Wikipedia France)
    Zoran Mušič
    → (sur ouvretesyeux)
    Zoran Music dans son atelier parisien, interview par Anne kerner, 1995





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  • 11 février 1996 | Mort d’Amelia Rosselli

    Éphéméride culturelle à rebours
    Invitée du jour : Marie Fabre



    Amelia Rosselli 3
    Source








    PER AMELIA ROSSELLI


    Amelia Rosselli se suicide, dans l’après-midi du dimanche 11 février 1996, du haut d’une mansarde de la via Del Corallo à Rome. Trente-trois ans, jour pour jour, après le suicide de Sylvia Plath (11 février 1963).






    « Ce n’est plus le moi qui est dans l’histoire, mais c’est l’histoire qui est maintenant dans le moi. »


    On range souvent Amelia Rosselli aux côtés de Sylvia Plath, dont elle fut la traductrice italienne, dans la catégorie de la « poésie confessionnelle » féminine. Cette catégorie est pratique, mais un peu facile, puisqu’elle permet, à la faveur de similitudes thématiques et stylistiques certaines, d’éluder au moins deux éléments qui font toute la spécificité d’Amelia Rosselli dans le paysage poétique italien, et au-delà. Ces deux éléments sont intimement liés dans la vie et dans la poésie de Rosselli : ce sont l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et le plurilinguisme. La portée de l’autobiographisme rossellien, les voix, les déchirements et les obsessions qui le traversent, ne peuvent se comprendre qu’à partir de cette histoire, qui est aussi directement celle de la langue du poète.

    Amelia Rosselli est née le 28 mars 1930, à Paris, de Carlo Rosselli, fondateur avec son frère Nello Rosselli du mouvement antifasciste « Giustizia e Libertà », et d’une mère anglaise, Marion Cave. Carlo Rosselli et son frère avaient été obligés de fuir l’Italie fasciste, continuant en France leur activité politique avant de se joindre aux troupes républicaines pendant la guerre d’Espagne, puis de revenir à Paris, Carlo étant blessé. En 1937, les deux frères sont sauvagement assassinés par les fascistes, laissant Marion Cave et ses deux enfants seuls à Paris. C’est le début d’une longue fuite en avant, dans laquelle se passent l’enfance et l’adolescence d’Amelia Rosselli : la famille se réfugie d’abord en Suisse, puis, chassée par l’arrivée des nazis en France, arrive en Angleterre, et va enfin s’installer aux États-Unis en passant par le Canada. De cette naissance en exil et de cette enfance passée sous les bombardements, dans de continuels déplacements, la poésie de Rosselli garde de nombreuses traces – et sa langue en porte définitivement la marque, divisée entre le français, l’anglais et l’italien. Elle récuse ainsi la définition de Pasolini qui parlait à son sujet de cosmopolitisme : « Est cosmopolite qui choisit de l’être. Nous n’étions pas cosmopolites, nous étions des réfugiés », et se définit comme « fille de la Seconde Guerre mondiale ». Comme le dit justement Alessandro Baldacci, « le plurilinguisme rossellien n’est pas le signe d’une festive vitalité de la langue, ce n’est pas un euphorique jeu babélique » : c’est la marque de la persécution, de l’appartenance perdue, dont la poésie d’Amelia Rosselli gardera toujours la trace, la violence et peut-être surtout le rythme.



    Traduire une traductrice


    Le retour d’Amelia en Italie n’advient qu’au début des années 1950, et c’est à ce moment-là que sa passion pour la musique, dont elle possède la pratique et la théorie à un très haut niveau, cède très progressivement le pas à sa seconde passion, la poésie. Elle commence à écrire dans les trois langues, puis livre avec La Libellula, en 1958, son premier long poème composé entièrement en italien. Ses premières tentatives d’écriture dans les trois langues sont marquées par de nombreuses contaminations, glissements d’une langue à l’autre, autotraductions. Mais ce processus de traduction spontanée ne cesse pas avec le passage à l’italien comme langue poétique unique : Rosselli intègre dans le corps de sa Libellula de nombreuses citations, littérales ou altérées, d’auteurs étrangers et italiens qu’elle connaît dans le texte, avec entre autres Lautréamont, Rimbaud, Shakespeare, Montale, Campana, Rilke ou encore Mallarmé. Les Variazioni Belliche, écrites sous le signe de Kafka, comportent elles aussi de nombreuses citations – par exemple un Français reconnaîtra aisément des expressions, des procédés ou des vers entiers empruntés à Rimbaud et retranscrits en italien. Son éducation et ses influences en font déjà un cas particulier en Italie : alors que les poètes italiens sont en dialogue constant avec leur tradition poétique nationale, on sent qu’Amelia Rosselli puise à des sources multiples (poésie anglo-saxonne et française) et que la tradition italienne n’est pas son unique berceau, même si elle l’étudie avec acharnement dès son retour en Italie.

    Ce rapport de semi-étrangère avec la langue italienne est l’une des grandes originalités de sa poésie, où elle conserve volontairement des fautes de grammaire, des éléments de syntaxe française ou anglaise traduits littéralement, ou encore un grand nombre de néologismes – ce qui la rend parfois si difficile à traduire. Mais plus profondément, c’est toute sa poésie qui est marquée par ce travail de la langue italienne comme quelque chose d’« extérieur » : sa manière de saisir et de réutiliser des expressions idiomatiques, d’en court-circuiter le sens, de rapprocher des mots incongrus sur la base de leur sonorité. Pasolini encore, dans son introduction de 1963 à la poésie de Rosselli (dans Il Menabò), avait parlé de « lapsus » à l’intérieur du texte – mais ces altérations des sonorités, ces glissements de sens sont bien un choix poétique conscient.

    Ce rapport à la langue fait d’Amelia Rosselli un cas unique dans la poésie italienne, car si la littérature française a été marquée par plusieurs cas d’auteurs étrangers écrivant en français, si bien que Deleuze a pu théoriser cette spécificité avec le « balbutiement » de Ghérasim Luca, Amelia Rosselli est à ma connaissance le seul écrivain à avoir choisi l’italien parmi d’autres langues, et à l’avoir enrichi par cette approche de plurilingue.



    Variazioni belliche


    Inédits en français*, les poèmes de Variazioni belliche ont probablement été écrits entre 1958 et 1961 ; ils constituent le premier recueil (169 poèmes) complet de l’auteur en italien. Comme dans deux autres de ses recueils, Serie ospedaliera et Impromptu, le titre met en avant un genre musical qui sera exploité comme modèle durant tout le livre. On a déjà dit qu’Amelia Rosselli avait une grande passion pour la musique (surtout pour la musique contemporaine), passion éclatante dans sa poésie, qu’elle semble travailler visuellement et rythmiquement à la manière d’une partition – par ailleurs il suffit d’entendre un enregistrement d’Amelia Rosselli lisant ses poèmes, ou de faire soi-même l’expérience d’une lecture à voix haute, pour savoir à quel point cette poésie se transforme vite en un chant tantôt entraînant, tantôt discordant. N’oublions pas que juste après ce recueil, l’auteur publie Spazi metrici, un article théorique où elle indique la nouvelle méthode de versification et la technique typographique à partir desquelles elle compose ses poèmes. Variazioni belliche est ainsi construit comme une série de « variations » autour de thèmes, expressions, mots, motifs rythmiques qui reviennent de manière récurrente, cyclique, dans tout le livre. Les variations se déploient aussi à l’intérieur même des poèmes, à travers un procédé anaphorique récurrent, dont on pourra se rendre compte dans les traductions. Les thèmes fondamentaux du recueil sont la relation amoureuse, entre méfiance et désir de fusion, la recherche spirituelle et morale, les traces de la guerre. Sa poésie est incroyablement violente, dramatique, parfois mystique, et intègre en même temps des éléments d’ironie, de parodie ou de sarcasme surprenant. Ce mélange de passion torturée, presque innocente, et de distance ironique restera l’un des traits fondamentaux de la poésie de Rosselli.


    Marie Fabre
    D.R. Texte inédit Marie Fabre
    pour Terres de femmes




    ______________________________________________________
    * Note d’AP : depuis la mise en ligne de cet article (février 2009), Marie Fabre a entrepris la traduction en français des Variazioni belliche pour les éditions Ypsilon. Cette traduction est disponible en librairie, sous le titre Variations de guerre, depuis le 3 mai 2012.











    EXTRAITS DE VARIAZIONI d’AMELIA ROSSELLI





    1  Un rebelle défait par sa propre disposition
    Ph., G.AdC





    Negli alberi fruttiferi della vita si
    dibatteva l’ultima mosca. Un ribelle
    disfatto dalla sua propria disposizione
    al bene si sorvegliava ansioso di finirla
    con il male. Il mondo sorvegliava molto
    stanco della prigionia. La sua propria
    disposizione al bene lo imprigionava.


    Amelia Rosselli, Variazioni (1960-1961) in Variazioni Belliche, Le poesie, Garzanti, 1997 ; ried. collana Gli Elefanti, 2007, p. 254. A cura di Emmanuela Tandello. Prefazione di Giovanni Giudici.


    Dans les arbres fruitiers de la vie se
    débattait la dernière mouche. Un rebelle
    défait par sa propre disposition
    au bien se surveillait impatient d’en finir
    avec le mal. Le monde surveillait très
    las de l’emprisonnement. Sa propre
    disposition au bien l’emprisonnait.


    Traduction inédite de Marie Fabre










    2  amères déceptions
    Ph., G.AdC





    Se non è noia è amore. L’intero mondo carpiva da me i suoi
    sensi cari. Se per la notte che mi porta il tuo oblio
    io dimentico di frenarmi, se per le tua evanescenti braccia
    io cerco un’altra foresta, un parco, o un avventura: ―
    se per le strade che conducono al paradiso io perdo la
    tua bellezza : se per i canili ed i vescovadi del prato
    della grande città io cerco la tua ombra: ― se per tutto
    questo io cerco ancora e ancora: ― non è per la tua fierezza,
    non è per la mia povertà: ― è per il tuo sorriso obliquo
    è per la tua maniera di amare. Entro della grande città
    cadevano oblique ancora e ancora le maniere di amare
    le delusioni amare.



    Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 292.



    Si ce n’est ennui c’est amour. Le monde entier m’arrachait ses
    chers sens. Si dans la nuit qui m’apporte ton oubli
    j’oublie de me freiner, si dans tes bras évanescents
    je cherche une autre forêt, un parc, ou une aventure : ―
    si dans les routes qui mènent au paradis je perds
    ta beauté : si dans les chenils et les évêchés du pré
    de la grande ville je cherche ton ombre : ― si dans tout
    cela je cherche encore et encore : ― ce n’est pas pour ta fierté
    ce n’est pas pour ma pauvreté : ― c’est pour ton sourire oblique
    c’est pour ta manière d’aimer. Dedans la grande ville
    tombaient obliques encore et encore les manières d’aimer
    les amères déceptions.


    Traduction inédite de Marie Fabre










    3  tes yeux simulaient le braquage
    Ph., G.AdC





    Per tutto l’inverno che fu come un gelo tra le
    tue braccia io fuggivo desolata per una vasta, grande
    pianura color ambra. Non era per gelosia che sfumavano
    le grandi ombre dei grattacieli; non era per il
    gelo che io disdegnavo l’amico. Disegnavo attentamente
    grandi trionfi che sfumavano anch’essi al primo
    vano apparire del sole. Il sole forse era la tua
    ombra sagace e sadica, la tua mano era piena di ombre
    e i tuoi occhi simulavano la rapina, il sale e
    i trionfi.

    Arrestandomi su dei marciapiedi guardavo attentamente
    muoversi il fiume. Non era chiaro se la città
    si vendicasse!



    Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 321.




    Pendant tout l’hiver qui fut comme un gel entre tes
    bras je fuyais désolée à travers une vaste, grande
    plaine couleur ambre. Ce n’était pas par jalousie que s’estompaient
    les grandes ombres des gratte-ciels ; ce n’était pas à cause du
    gel que je dédaignais l’ami. Je dépeignais attentivement
    de grands triomphes qui s’estompaient eux aussi à la première
    vaine apparition du soleil. Le soleil peut-être était ton
    ombre sagace et sadique, ta main était pleine d’ombres
    et tes yeux simulaient le braquage, le sel et
    les triomphes.

    En m’arrêtant sur des trottoirs je regardais attentivement
    le fleuve se mouvoir. Il n’était pas clair que la ville
    se vengeât !


    Traduction inédite de Marie Fabre










    4  une lanterne pour mes yeux obliques
    Ph., G.AdC





             Tutto il mondo è vedovo se è vero che tu cammini ancora
    tutto il mondo è vedovo se è vero! Tutto il mondo
    è vero se è vero che tu cammini ancora, tutto il
    mondo è vedovo se tu non muori! Tutto il mondo
    è mio se è vero che tu non sei vivo ma solo
    una lanterna per i miei occhi obliqui. Cieca rimasi
    dalla tua nascita e l’importanza del nuovo giorno
    non è che notte per la tua distanza. Cieca sono
    chè tu cammini ancora! Cieca sono che tu cammini
    e il mondo è vedovo e il mondo è cieco se tu cammini
    ancora aggrappato ai miei occhi celestiali.



    Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 333.



             Le monde entier est veuf s’il est vrai que tu marches encore
    le monde entier est veuf si c’est vrai ! Le monde entier
    est vrai s’il est vrai que tu marches encore, le monde
    entier est veuf si tu ne meurs pas ! Le monde entier
    est à moi s’il est vrai que tu n’es pas vivant que tu n’es
    qu’une lanterne pour mes yeux obliques. Je suis restée aveugle
    depuis ta naissance et l’importance d’un jour nouveau
    ne m’est que nuit dans ta distance. Je suis aveugle
    parce que tu marches encore ! Je suis aveugle parce que tu marches
    et le monde est veuf et le monde est aveugle si tu marches
    encore agrippé à mes yeux célestiels.


    Traduction inédite de Marie Fabre


    Photos (4), G.AdC





    ___________________________________________________________
    NOTE d’AP : ancienne élève de l’École normale supérieure (Lettres et Sciences humaines), agrégée d’italien, Marie Fabre est depuis 2013 maître de conférences en études italiennes à l’ENS de Lyon. Après un « master 2 » à l’université de Bologne sur Italo Calvino et Elio Vittorini, elle a soutenu en décembre 2012 (sous la direction de Christophe Mileschi, à l’Université Stendhal – Grenoble 3) une thèse de doctorat sur les rapports entre utopie et littérature chez ces mêmes auteurs. Marie Fabre a aussi participé à un dossier “Amelia Rosselli” pour la revue littéraire Europe (n° 996 | avril 2012) [pp. 216-223] et traduit en français l’intégralité des Variazioni Belliche d’Amelia Rosselli, traduction disponible aux éditions Ypsilon depuis le 3 mai 2012.







    Rosselli






    ■ Amelia Rosselli
    sur Terres de femmes

    Adolescenza (+ bio-bibliographie)
    [Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté] (poème extrait de La libellula)
    [La tua debolezza è la mia vittoria] (poème extrait de Variazioni Belliche + traduction française par Marie Fabre)
    T’aimer et ne rien pouvoir faire d’autre que t’aimer (poème extrait de “Dialogo con i Poeti”, Serie Ospedaliera 1963-1965)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    un extrait du Dossier Amelia Rosselli de la Revue Europe (n° 996, avril 2012, pp. 197-201)[PDF]
    → (sur libr-critique)
    Amelia Rosselli, Variations de guerre, par Jean-Nicolas Clamanges (7 juin 2013)
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    la traduction partielle (en italien) de l’article de Marie Fabre, accompagnée des poèmes de Variazioni belliche
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    deux poèmes d’Amelia Rosselli traduits en corse par Nurbertu Paganelli
    → (sur Poezibao)
    un poème d’Amelia Rosselli (extrait de Documento 1966-1973) traduit par AP
    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    un poème d’Amelia Rosselli traduit par Nathalie Riera
    → (sur Terres de femmes)
    un autre article de Marie Fabre sur L’Art de la joie de Goliarda Sapienza





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  • 10 février 1933 | Exil de Thomas Mann

    Éphéméride culturelle à rebours



         Après l’arrivée de Hitler au pouvoir, de nombreuses personnalités du monde culturel quittent l’Allemagne pour fuir la menace nazie. L’écrivain Thomas Mann, prix Nobel de littérature 1929, quitte Munich le 10 février 1933. Après avoir vécu quelques mois en France, il s’installe à Küssnacht, en Suisse, où il passe cinq années, de 1933 à 1938. Il gagne ensuite les États-Unis. Il s’établit d’abord à Princeton dans le New Jersey puis en Californie où il réside de 1940 à 1952. De retour en Europe, il termine sa vie à Kilchberg, près de Zurich.






    Thomas Mann, prix Nobel 1929
    Image, G.AdC






    JOSEPH ET SES FRÈRES


         De 1933 à 1943, Thomas Mann, pour marquer son opposition au IIIe Reich, rédige Joseph et ses frères [Joseph und seine Brüder], tétralogie romanesque dont l’écriture coïncide avec la montée de l’hitlérisme. Les Histoires de Jacob [Die Geschichten Jaakobs] sont publiées en 1933. Suivent, en 1934, Le Jeune Joseph [Der junge Joseph] ; en 1936, Joseph en Égypte [Joseph in Ägypten] ; en 1943, Joseph le Nourricier [Joseph der Ernährer].





    L'image du Père au sens large et général
    Ph., G.AdC






    EXTRAIT DE JOSEPH EN ÉGYPTE


    Le visage du Père.


         « Ici, l’histoire est muette. C’est-à-dire muette dans sa version et sa représentation de fête actuelle, car elle ne le fut aucunement quand elle se déroula, à l’origine, et se raconta elle-même. Dedans, dans la chambre crépusculaire, elle se continua sous la forme d’un dialogue mouvementé, d’un duo, en ce sens que les deux protagonistes parlaient à la fois, mais sur leur entretien nous jetterons le voile de la délicatesse et du scrupule humain. En ce temps, elle se dévida seule et sans témoin, alors qu’aujourd’hui, elle a une vaste audience, ― distinction considérable du point de vue du tact, nul ne le contestera. Joseph notamment ne se tut pas et ne pouvait se taire : d’un trait et d’une haleine, avec une volubilité et une aisance incroyables, il opposa au désir de Mout *, pour la dissuader, toute la grâce et la sagacité de son esprit. C’est là précisément le motif essentiel de notre réserve : Joseph fut pris dans une contradiction ou plutôt une contradiction se produisit, extrêmement dure et pénible pour la sensibilité humaine : le contraste entre le spirituel et le charnel. En effet, devant les répliques formulées ou muettes par quoi elle rétorquait ses raisonnements, la chair du jeune homme s’insurgea contre l’esprit, tant et si bien que malgré ses discours agiles et sagaces ― il fut changé en âne. Et quelle troublante antinomie que celle-là qui requiert les réticences du narrateur : la sagesse discursive à qui la chair inflige un démenti terrible, et qui présente l’image de l’âne.
         Pour la femme, l’état dans lequel il s’enfuit, analogue à celui du dieu mort (il réussit à s’enfuir, on le sait), fut un motif particulier de désespoir et de furieuse déception. Son désir avait trouvé Joseph prêt virilement, et le cri de douleur et de joie avec lequel la délaissée, dans un paroxysme de souffrance et d’exaltation, déchira et caressa la partie du vêtement restée entre ses mains (on sait aussi qu’il lui abandonna une pièce de son costume), ― ce cri répété de l’Égyptienne fut : « Mé’eni nachtef ! » « J’ai vu sa vigueur ! » Mais ce qui permit à Joseph de s’arracher à elle et de se dérober à l’instant suprême, extrême, ce fut la vision du visage paternel. Toutes les versions les plus précises de l’histoire l’attestent et nous le confirmons. Il en fut ainsi. En dépit de l’agilité des ses discours, il était prêt de succomber quand l’image de son père lui apparut. Quoi, l’image de Jacob ? Certes, la sienne. Mais non une image aux traits définis, personnels, vue à tel ou tel endroit dans l’espace. Il la vit plutôt en esprit et par l’esprit : une vision évocatrice et prémonitoire, l’image du Père au sens large et général, où les traits de Jacob se confondaient avec les traits paternels de Putiphar ; et Mont-Kav aussi, le modeste disparu, était à leur ressemblance. Par-delà ces analogies, ils en offraient une autre encore, plus souveraine. Des yeux paternels, bruns et pétillants, soulignés de glandes délicates, regardaient Joseph avec inquiétude. »


    Thomas Mann, Joseph en Égypte in Joseph et ses frères, III, Éditions Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1980, pp. 492-493.



    * Note d’A.P. : épouse du pharaon Putiphar, Mout-em-enet conçut pour son esclave hébreu Joseph une passion violente. Repoussée par Joseph, elle l’accusa de viol et le fit emprisonner (Genèse 39, 7-20).




    Putiphar
    Guido Reni, Joseph et la femme de Putiphar, 1625-1626
    Huile sur toile, 220 x 188 cm
    Collection vicomte Coke,
    Holkham Hall (Norfolk)
    Fitzwilliam Museum, University of Cambridge, UK





    THOMAS MANN

    Thomas_mann_2



    ■ Thomas Mann
    sur Terres de femmes

    6 juin 1875 | Naissance de Thomas Mann (+ extrait des Histoires de Jacob)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur la revue littéraire et artistique temporel) :
    « La lutte avec l’ange, réaffirmation de l’humain face à la catastrophe, extase existentielle : Thomas Mann (1875-1955), Histoires de Jacob (1933) »



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  • Milo De Angelis, Thème de l’adieu

    «  Poésie d’un jour  »




                                              I


    In te si radunano tutte le morti, tutti
    i vetri spezzati, le pagine secche, gli squilibri
    del pensiero, si radunano in te, colpevole
    di tutte le morti, incompiuta e colpevole,
    nella veglia di tutte le madri, nella tua
    immobile. Si radunano lì, nelle tue
    deboli mani. Sono morte le mele di questo mercato,
    queste poesie tornano nella loro grammatica,
    nella stanza d’albergo, nella baracca
    di ció che non si unisce, anime senza sosta,
    labbra invecchiate, scorza strappata al tronco.
    Sono morte. Si radunano lì. Hanno sbagliato,
    hanno sbagliato l’operazione.



    Milo De Angelis, 1. Vedremo domenica, Tema dell’addio, 2005, in Poesie, Oscar poesia del Novecento, Oscar Mondadori, Milano, 2008, pp. 243-244.







    ces poèmes retournent à leur grammaire
    Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
    développée par G.AdC






    En toi se rassemblent toutes les morts, toutes
    les vitres brisées, les pages sèches, les vertiges
    de la pensée, se rassemblent en toi, coupable
    de toutes les morts, inaboutie et coupable,
    dans la veillée de toutes les mères, dans la tienne
    immobile. Elles se rassemblent là, dans tes
    pauvres mains. Elles sont mortes les pommes de ce marché,
    ces poèmes retournent à leur grammaire,
    dans la chambre d’hôtel, dans la baraque
    de ce qui ne s’unit pas, âmes sans repos,
    lèvres flétries, écorce arrachée du tronc.
    Elles sont mortes. Elles se rassemblent là. Ils n’ont pas réussi,
    ils n’ont pas réussi l’opération.

    Traduction d’Angèle Paoli, février 2009






                                     II


    Sei un lontano passo di danza
    mentre saluti tra i corridoi,
    un ventaglio di grazia che il male
    non ha ucciso, diagonale
    tra i quattro cantoni, silenzio
    di fate e di foglie, finché il giallo
    si fa scuro, si fa minaccia nel cielo,
    il sorriso fragile e la gola
    resta lì, sospesa e selvaggia.



    Milo De Angelis, Trovare la vena, op. cit., page 251.






    Tu es un pas de danse lointain
    toi qui salues dans les couloirs,
    un éventail de délicatesse que le mal
    n’a pas tué, diagonale
    entre les quatre coins, silence
    de fées et de feuilles, jusqu’à ce que le jaune
    s’obscurcisse, se fasse menace dans le ciel,
    le sourire fragile et la gorge
    reste là, suspendue et sauvage.

    Traduction d’Angèle Paoli, février 2009






                                                    III


    Il luogo era immobile, la parola scura. Era quello
    il luogo stabilito. Addio memoria di notti
    lucenti, addio grande sorriso. Il luogo era lì.
    Respirare fu un buio di persiane, uno stare primitivo.
    Silenzio e deserto si scambiavano volto e noi
    parlavamo a una lampada. Il luogo era quello. I tram
    passavano radi. Venere ritornava nella sua baracca.
    Dalla gola guerriera si staccavano episodi. Non abbiamo
    detto più niente. Il luogo era quello. Era lì
    che stavi morendo.



    Milo De Angelis, Vedremo domenica, op. cit., page 244.






    Le lieu était immobile, le mot noir. C’était ce lieu-là
    le lieu arrêté. Adieu mémoire de nuits
    lumineuses, adieu sourire éclatant. Le lieu était là.
    Respirer fut une pénombre de persiennes, un état primal.
    Silence et désert échangeaient leur visage et nous
    nous parlions à une lampe. C’était ce lieu-là. Les trams
    passaient rares. Vénus retournait dans sa baraque.
    De la gueule guerrière se détachaient des épisodes. Nous n’avons
    plus rien dit. C’était ce lieu-là. C’était là
    que tu étais en train de mourir.

    Traduction d’Angèle Paoli, février 2009






                                     IV


    Eri l’ultima
    donna della vita, eri il temporale
    e la quiete, il luogo
    dove la luce è insanguinata
    e il sangue fiorisce : pochi minuti,
    pochi metri, sempre lì,
    nel cemento che parla, nella città
    degli amanti, nel silenzio
    dei lavandini, il bacio
    avvenne
    e noi non abbiamo
    voluto più uscire.

    Si muore così, all’ingresso
    di una scuola, un cerchio perfetto.



    Milo De Angelis, Scena muta, op. cit., page 248.







    3 quelques minutes, quelques mètres, toujours là
    Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
    développée par G.AdC






    Tu étais la dernière
    femme de la vie, tu étais l’orage
    et la quiétude, le lieu
    où la lumière s’ensanglante
    et où le sang fleurit : quelques minutes,
    quelques mètres, toujours là,
    dans le ciment qui parle, dans la ville
    des amants, dans le silence
    des lavabos, le baiser
    survint
    et nous nous n’avons
    plus voulu sortir.

    C’est ainsi qu’on meurt, à l’entrée
    d’une école, un cercle parfait.

    Traduction d’Angèle Paoli, février 2009



    _______________________________________________________
    NOTE d’AP : Tema dell’addio ― recueil dédié à la poète Giovanna Sicari (1954-2003), épouse de Milo De Angelis ― a obtenu le Prix Viareggio 2005. En mai 2010, la première traduction française de ce recueil a paru aux éditions NOUS, suivie d’une postface de Jacques Demarcq. Traduction de Patrizia Atzei et Benoît Casas.






    TEMA DELL’ADDIO


         « Tema dell’addio (Mondadori, 2005) a été immédiatement accueilli comme un authentique chef-d’œuvre appelé à faire date. Ce livre de l’adieu à la femme aimée (l’épouse du poète, Giovanna Sicari, morte en 2003) ne tente pas de saisir le seul moment de l’adieu. L’adieu y est plutôt vécu comme un acte de langage répété dans un récit selon une double temporalité : dire adieu à la malade ― saluer ; dire adieu au passé ―, donner congé. Vivre le passé comme un présent, et le passé dans le présent. On songe à Élégie de la mort violente de Claude Esteban, à Quelque chose noir de Jacques Roubaud (1986) ou À ce qui n’en finit pas de Michel Deguy (1995). Apprendre à se délier en repassant par tous les liens qui repassent par toute une vie qui repasse par toutes les vies. Cet adieu est aussi une forme de congé donné au siècle… Les dons de Milo De Angelis qu’on a pu dire le plus « celanien » des poètes italiens culminent ici : sa densité, son art de l’allusion qui mêle l’histoire du siècle et le détail intime, sa tendresse, son élégance qui dépasse l’élégie et refuse tout nihilisme, sa confiance dans la langue de la poésie qui se mesure au présent des indicateurs (lì) et au caractère impératif de ses futurs. On pense au temps énigmatique du Balcon :

                Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
                Ô toi, tous mes plaisirs! Ô toi, tous mes devoirs!
                Tu te rappelleras la beauté des caresses,
                La douceur du foyer et le charme des soirs,
                Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !… »


    Dossier Poésie italienne réalisé par Martin Rueff et Jean-Patrice Courtois, in Le Nouveau Recueil, n° 81, décembre 2006-février 2007, Champ Vallon, 2006, page 168.





    MILO DE ANGELIS


    Milo De Angelis et Giovanna Sicari




    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [A volte, sull’orlo della notte] (poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, Éditions NOUS)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant plusieurs poèmes extraits de Tema dell’addio
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    d’autres poèmes de Milo De Angelis (extraits de L’ocean intorno a Milano et traduits par Jean-Baptiste Para) et une courte notice bio-bibliographique
    → (sur Sitaudis.fr)
    Thème de l’adieu de Milo De Angelis, par Françoise Clédat
    → (sur YouTube)
    un portrait video (en italien) de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel

    Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel,
    Éditions Verdier, 2008.



    Leonardo da Vinci  et Niccolò Macchiavelli
    Image, G.AdC







    L’ÉNIGME NON ÉLUCIDÉE D’UN SILENCE


        Comment nommer le silence ? Comment nommer un silence qui renvoie à un vide jalousement gardé entre les pages des documents d’archives ? Comment comprendre que ces pièces d’archives ne renferment que si peu de traces des discussions échangées entre deux contemporains de génie ? Entre Léonard de Vinci et Machiavel ? Comment faire parler, en place des nombreuses pièces consignées par l’histoire, ― « contrats notariés », « missives diplomatiques », « registres de comptes » ― les carnets de Léonard, si riches en notations de toutes sortes, et la correspondance de Machiavel si abondante et si prolixe ? Correspondance si prolixe qui ne dit mot, pourtant, des entretiens et des échanges tenus avec Léonard ! Carnets si foisonnants qui ne mentionnent à aucun moment les échanges et entretiens tenus avec Machiavel ? Comment, dès lors, mettre en résonance ces échanges ? Quel mot, d’ailleurs, pourrait convenir pour nommer la réflexion que les deux grands hommes de la Renaissance italienne conduisirent sans doute pour mener à bien les projets communs, dont ils ont, l’un et l’autre, partagé un temps et l’histoire et l’élaboration ? « Collaboration » ?

         Le médiéviste Patrick Boucheron, auteur du fascinant récit Léonard et Machiavel, se résout, faute de mieux, à employer ce terme de « collaboration » pour tenter de cerner et de reconstituer ce que furent les différentes confrontations entre les deux hommes. En historien tenace, que l’énigme non encore élucidée de ce silence exalte, l’auteur poursuit son interrogation : « Pourquoi ne nous disent-ils rien l’un de l’autre ? »

         En même temps qu’il se livre dans ces pages à une enquête minutieuse fondée sur l’étude de nombreux documents et ouvrages, Patrick Boucheron travaille à établir « la connivence intime entre deux mondes, entre deux rêves, entre deux ambitions ». Car, au-delà des divergences, « une même conception de la « qualité du temps » rapproche Léonard et Machiavel. Ils ont en partage d’être contemporains. C’est aussi cette « contemporanéité » que Patrick Boucheron cherche à faire vibrer dans son « petit livre ».


    Divertir le cours de l’Arno

         Ce qui fascine dans ce récit bifrons où se profilent, sur fond d’incertitudes des temps ― la Renaissance est en pleine mutation ―, les visages de deux personnalités aussi différentes que celles de Léonard et de Machiavel, c’est la récurrence du silence qui enveloppe leurs échanges. Au point qu’érudits, chercheurs et lecteurs en viennent à douter de la réalité de ces rencontres. Et pourtant, nul doute. Même si « la chronique éclatée des rencontres entre Léonard et Machiavel est comme un rendez-vous manqué avec l’érudition », la rencontre a réellement eu lieu. La première, et sans doute la plus importante, a lieu à la fin du mois de juin 1502. C’est à Urbino, dans le palais ducal du condottiere Federico da Montefeltro, que Nicolas Machiavel, secrétaire de la Chancellerie florentine, « chargé auprès des Dieci di Balìa des relations diplomatiques de Florence », rencontre, à l’âge de trente-trois ans, Léonard de Vinci, de dix-sept ans son aîné. Tous deux ont suivi César Borgia (et sa cour itinérante), qui vient de s’emparer du palais ducal des Montefeltro, de l’investir et de s’y installer. Que se sont-ils dit tous deux en juin 1502 dans la ville-palais d’Urbino ? Quelle a été la teneur de leur conversation avec le « Valentinois » ? Nul ne le sait, nul n’est en mesure de le dire. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que « Machiavel a trouvé en César Borgia un maître du tempo politique ». Dont l’ambition « bat au rythme de la nouvelle qualité des temps. » Machiavel trouve dans la personne du jeune prince de vingt-sept ans, le seigneur splendide, seul capable avec lui « de repenser de fond en comble, les choses de l’État ». Or cette réflexion politique passe nécessairement par le problème crucial de la dérivation du cours de l’Arno. Il faut dériver l’Arno. Dériver l’Arno pour engloutir Pise. Pise, obstacle majeur à la puissance florentine. Un an plus tard, en juillet 1503, tandis que Machiavel plaide ― rapports et comptes à l’appui ― auprès des Dieci di Balìa, le projet du contournement de l’Arno, Léonard de Vinci se rend au camp de Pise pour étudier les moyens de divertir le cours du fleuve. L’entreprise est de taille. Il s’agit de « creuser un canal en amont de Pise », de « détourner le fleuve », d’« assécher le port ennemi », de « noyer ses environs dans un marais où l’armée rebelle viendra s’embourber ». De cette opération guerrière secrète, Léonard a rendu compte aux Dieci di Balìa. Oralement ― A bocha ― . Il n’en reste, dans les archives, que quelques bribes. Il est cependant indéniable que les deux hommes ont collaboré à l’« entreprise florentine de défense territoriale. » Les dessins de Léonard en témoignent, les multiples lettres de Machiavel également. Mais ni le nom de l’un ni celui de l’autre n’est mentionné dans les carnets de croquis ou dans les missives. « Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel travaillent à la même chose. Mais travaillent-ils ensemble ? » Quel écho la pensée politique de Machiavel avait-elle dans les réflexions techniciennes de Léonard ? « Où se situe la rencontre entre ces deux ambitions ? » Revient, alors, pareille à un refrain, l’inévitable question : « Pourquoi ne se nomment-ils pas l’un l’autre ? »

        Et pendant ce temps-là, alors que les ouvriers subissent les attaques pisanes et que s’enflent les eaux de l’Arno, les digues cèdent. Tous les efforts sont anéantis. Le projet de Léonard et de Machiavel échoue et avec lui les rêves de paix. « La guerre continue ». La collaboration muette de Léonard et de Machiavel, également.





    Croquis Leonardo
    Source





    La Bataille d’Anghiari

         Un autre grand projet florentin, dont les dates s’entremêlent avec les dates du premier, les réunit en effet. Celui de la commande d’une vaste composition murale destinée à orner un mur de la Salle du Conseil du Palais de la Seigneurie, à Florence. La Bataille d’Anghiari (29 juin 1440). En octobre 1503, Léonard passe contrat avec la Seigneurie de Florence. Signe qu’il en accepte le programme de propagande politique qui lui est imposé. Il s’agit en effet d’exalter la victoire des Florentins menés par Giovanni Paolo Orsini contre les Milanais conduits par le condottiere Niccolò Piccinino. Et de dénoncer le « condiotterisme » au profit de la République. La Bataille d’Anghiari se doit donc d’être convaincante. Quel rôle Machiavel a-t-il joué pour appuyer la candidature de Léonard ? Le nom du Secrétaire de la Chancellerie figure au bas du second contrat, daté du 4 mai 1504, confirmant la validité du premier (égaré !!!).

         Or, Léonard de Vinci, rôdé au spectacle en direct de la guerre et des désastres, s’empresse de déroger aux lois et aux règles que l’on attend de lui. Et le peintre, marqué par le souvenir des armées décimées par les combats, résiste à faire l’apologie de la bataille. Refaire une peinture semblable à celle de Paolo Uccello, son prédécesseur, il ne saurait en être question. Même si la « qualità dei tempi est marquée par l’omniprésence de la guerre », la guerre a changé de visage. Léonard transforme à sa guise le programme qui lui a été proposé, modifiant les scènes et leur agencement selon sa propre vision. Si l’artiste se met au travail et s’acharne sur maquettes et cartons ― il songe un moment à abandonner le projet ―, c’est sans précipitation et avec de nombreux atermoiements. À croire que son tempo n’est pas celui de ses commanditaires. Léonard leur oppose lenteur déconcertante et repentirs. Sans parler des défauts matériels qui altèrent sans cesse son travail, en modifient le cours et obligent l’artiste à réfléchir à d’autres techniques de peinture. Et jusque dans les moindres détails. Autant de motifs qui retardent l’élaboration de l’œuvre et son avancée dans les délais imposés par Piero Soderini, gonfalonnier de justice, en qui Machiavel a trouvé son modèle de « Prince républicain ». Autant de motifs, auxquels il faut encore ajouter les obstacles occasionnés par divers événements contraires, qui mettent en péril la réalisation de l’œuvre annoncée. Le vendredi 6 juin 1505, Léonard consigne dans son carnet la catastrophe qui survint ce jour-là et emporta définitivement son travail :
         « Au moment où je donnais le premier coup de pinceau, le temps se gâta ; le tocsin sonna pour appeler les gens à se rassembler. Le carton se déchira, l’eau se renversa et le vase d’eau qu’on apportait se brisa. »
        En définitive, « la bataille d’Anghiari n’aura pas lieu ». La seule scène achevée du vaste ensemble de La Bataille d’Anghiari est la Lutte pour l’étendard.

         Quant à Machiavel, il décrit longuement la campagne d’Anghiari dans son Histoire de Florence. Mais le récit qu’il fait de la bataille défie toute vraisemblance. Ainsi, Machiavel se refuse-t-il à son tour à vanter l’héroïsme des soldats vibrant dans le combat. Sous sa plume cynique, les hauts faits d’armes sont ridiculisés, la mémoire civique bafouée.

        Au cœur de la bataille de leur temps, dans ce « temps commun, qui les fit contemporains », La Bataille d’Anghiari signa la dernière rencontre muette de Léonard et de Machiavel.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel





    ■ Léonard de Vinci
    sur Terres de femmes

    15 avril 1452 | Naissance de Léonard de Vinci
    10 juin 1910 | Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Universal Leonardo)
    The Battle of Anghiari (copy after Leonardo)
    → (sur le site de France Culture)
    La Fabrique de l’Histoire se penche sur Léonard de Vinci (avec Patrick Boucheron et Anna Sconza)[émission du 7 mai 2012]





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 7 février 1934 | Annemarie Schwarzenbach à Bagdad



    Schwarzenbach
    Ph. angèlepaoli






    Bagdad, le 7 février 1934.     



    Il pleut depuis hier soir. Le froid semble avoir reculé, et la pluie fait l’effet d’une averse printanière tiède et prolongée. Hier soir, quand j’ai quitté l’ambassade d’Allemagne en voiture pour rentrer chez moi, le chemin était déjà détrempé ; et ce matin, il est hors de question de monter à cheval. Au lieu d’aller à Tell Asmar, je vais rester coincée quelques jours en ville.

    En Europe, le temps qu’il fait ne joue pas un rôle très important ; ici, on est encore dépendant de l’eau, de la tempête de poussière, du fleuve, ce qui fait que l’on a un rapport étroit avec la nature. On comprend que les hommes, remplis de crainte et d’espoir, adressent des prières à leurs dieux et que le pouvoir de ceux-ci triomphe toujours de notre volonté. Cela inspire une tout autre forme de patience.

    Si nous n’étions pas revenus du sud du pays hier après-midi, juste avant qu’il ne commence à pleuvoir, nous serions probablement, à l’heure qu’il est, embourbés quelque part entre Kut et Ctésiphon. Et que le ciel me préserve d’une seconde nuit à Kut ! Mais l’excursion dans le Sud fut une expérience extraordinaire qui mit en pièces une part de notre orgueil d’Européens.

    J’étais revenue vendredi soir de Babylone avec le professeur Jordan. Quel dommage que ces ruines soient devenues si facilement accessibles ! Des foules de promeneurs, munis de leurs paniers pique-nique et papotant en anglais, arpentent Babel et foulent sans le moindre respect le pavage de la voie processionnelle de Nabuchodonosor. Ils sont tout heureux de reconnaître sur l’ancienne porte d’Ishtar ces magnifiques animaux fabuleux à la démarche si noble, modestes cousins des émaux bleus plus tardifs que l’on a vus auparavant au musée de Bagdad ; et le lion que Miss Bell* a placé sur un socle pour qu’on puisse le photographier plus facilement résiste avec patience à l’assaut quotidien des Kodak et des Leica. Mais je suppose que tout cela lui est parfaitement égal : indifférent, il scrute la plaine, tandis que l’homme en dessous de lui se rebelle désespérément et s’agrippe à sa crinière de ses mains grossières — en vain, on le voit bien.

    On a dit que le « lion de Babylone » était la preuve que ses créateurs avaient un don naturaliste leur faisant défaut par ailleurs. Mais il s’en faut de beaucoup qu’il soit aussi stimulant et réjouissant que les animaux figurant dans les scènes de chasse égyptiennes de l’époque d’Amarna — il en est tout aussi éloigné que du symbole babylonien et des animaux fantastiques (pour lesquels fantaisie et imagination nous manquent généralement). Je crois qu’il est l’œuvre d’un esprit relativement libre au sein d’un monde de contraintes, d’un grand artiste qui n’a cependant pas pu échapper aux lois fondamentales de l’art religieux de la révélation. Au fil du temps, le lion serait peut-être devenu un symbole ; pour nous, il est d’abord une vision, mais qui va bien au-delà du « naturalisme », et qui est tout juste accessible à notre compréhension.


    Annemarie Schwarzenbach, Hiver au Proche-Orient [Tagebuch einer Reise, Rascher Verlag, Zurich, 1934], Éditions Payot & Rivages, 2006 pour la traduction française, pp. 131-132-133. Traduit de l’allemand (Suisse), présenté et annoté par Dominique Laure Miermont.



    ______________
    * [Note de DLM] Grande voyageuse et archéologue, la Britannique Gertrude Bell (1868-1926), amie des Arabes, joua un rôle important dans la fondation de l’État Irakien. Elle persuada ainsi Winston Churchill en 1921 d’installer l’émir Fayçal sur le trône.





    ANNEMARIE SCHWARZENBACH


    Annemarie_schwarzenbach_2
    Source


    ■ Annemarie Schwarzenbach
    sur Terres de femmes

    La Mort en Perse (note de lecture)
    23 mai 1908 | Naissance d’Annemarie Schwarzenbach
    3 décembre 1933 | Annemarie Schwarzenbach, Konya (extrait de Hiver au Proche-Orient)
    19 août 1934 | Annemarie Schwarzenbach, Lettre à Claude Bourdet
    16 décembre 1934 | Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Claude Bourdet
    Melania G. Mazzucco | Lei così amata


    ■ Voir aussi ▼

    → le
    site de l’Association Les amis d’Annemarie Schwarzenbach (association créée à Genève en février 2007 et présidée par Dominique Laure Miermont)
    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    Annemarie Schwarzenbach, La Quête du réel (une lecture de Nathalie Riera)
    L’idée de liberté chez Annemarie Schwarzenbach, par Nicole Le Bris





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  • Jean-Claude Villain | αΒ

    «  Poésie d’un jour  »



    Jean-Claude Villain
    Image, G.AdC




    αΒ

    Vingt-six lettres du monde pour Bernard Noël


    Extraits [g. h. i.]




                        g.
                        droites sont les lignes
                       effacées de nos chemins
                        même si des êtres titubent
                        à la soudure de nos épaules meurtries


                        h.
                        et que serait salive aujourd’hui
                        à nos lèvres ciselées
                        par le murmure des souffles


                        i.
                        ce seront nos yeux
                        les derniers à éteindre
                        les derniers à lâcher
                        un vol d’oiseaux ivres
                        comme futiles phosphènes
                        sous le battement muet
                        de nos cils


    Jean-Claude Villain, In Espace méditerranéen, Autre Sud, Cahiers trimestriels, Décembre 2004 – n° 27, page 52.





        « La poésie de Jean-Claude Villain suit un itinéraire topo sensible qui le conduit des terres froides, terres grasses, alourdies de présences familiales et ancestrales ― Mâcon où il est né ― au rivage méditerranéen, dans le Var, dans cette olivaie où il vit à présent au contact des éléments premiers, avec la mer Méditerranée qui se laisse pressentir derrière la colline chargée de pins et d’oliviers.
        Il effectue un voyage tant mental que géographique qui, comparable à celui que vécut Icare dans son accession à la connaissance, le conduit des ténèbres à la lumière vers ce soleil tantôt malfaisant, entraînant la mort paradoxale du héros, expression du tragique méditerranéen, tantôt bienfaisant par la lucidité qu’il dispense.
        Cheminement langagier aussi de ce poète qui, d’une écriture lyrique, du chant inscrit dans le désert, vient à une plus grande sobriété qui côtoie l’indicible, une rétention du dit qui suspend la parole pour l’engager dans le silence… juste mesure qui met en valeur ce qui a été dit et refuse le risque de pervertir le poème par l’inutile discours. »



    Chantal Danjou, Jean-Claude Villain, damier de silence et parole, Editions L’Harmattan, Paris, 2001, page 11.





    JEAN-CLAUDE VILLAIN


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une fiche bibliographique sur Jean-Claude Villain
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean-Claude Villain
    le site personnel de Jean-Claude Villain
    → (sur Wikipedia)
    une notice sur Jean-Claude Villain





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  • Jacques Roman | Le là embrase son corps

    «  Poésie d’un jour  »



    Abandon et sourire
    Dessin de Menga Dolf
    pour Je vois loin des yeux
    de Jacques Roman,
    Labor et Fides, 2005.







    LE LÀ EMBRASE SON CORPS



    Le là embrase son corps
    joui d’enfant ravi
    à l’écorce toujours tendre
    d’un blanc buisson d’épines
    file en l’œil et hors
    une vive et rousse tache
    tendue en un muet désir


    Il est l’invité
    qui mange sa part de ciel
    un faible battement d’aile
    en sa cage d’os
    ce peu d’une vie en alerte
    enivré d’un envol léger


    Abandon et sourire




    Jacques Roman, D’entente avec oui, Paupières de terre, 2008, s.f. Gravures sur bois de Vincent Ottiger.






    JACQUES  ROMAN



    ■ Jacques Roman ▼
    sur Terres de femmes

    [La rature, accouplée à la jouissance d’écrire] (extrait de le dit du raturé/////le dit du lézardé)
    Proférations (lecture d’Isabelle Lévesque)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le Cultur@ctif Suisse)
    plusieurs pages sur Jacques Roman dont une notice bio-bibliographique
    → (sur Terre à ciel)
    un dossier Jacques Roman
    → (sur letemps.ch)
    un entretien avec Jacques Roman





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  • 5 février 1626 | Naissance de Madame de Sévigné

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 5 février 1626 naît, Place Royale à Paris (aujourd’hui Place des Vosges), Marie de Rabutin-Chantal, future marquise de Sévigné.






    Madame de Sévigné par Françoise Dupuy
    © 2007 Françoise Dupuy
    Source





         « Elle appartenait, du côté paternel, à une très noble et ancienne famille de Bourgogne, mais elle était aussi, par sa mère, la petite-fille d’un homme enrichi dans la ferme des gabelles et tout nouvellement anobli. En épousant la fille de Philippe de Coulanges, Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal, avait fait une mésalliance. Les Rabutins ne la lui pardonnèrent pas et refusèrent d’assister au contrat.
         Le jeune ménage vint donc loger dans l’hôtel que Philippe de Coulanges s’était fait construire sur la Place Royale. C’est là que naquit, le 5 février 1626, Marie de Rabutin-Chantal. Dix-huit mois plus tard, son père, le baron de Chantal, se faisait tuer héroïquement au combat de l’île de Ré (22 juillet 1627). En 1633, sa mère mourait à son tour. L’enfant fut élevée, non par les Rabutins, mais par les Coulanges. Elle eut pour tuteur son grand-père Philippe d’abord, puis, à la mort de celui-ci, un Coulanges, son oncle. Celui-ci possédait à Sucy, à quatre lieues de Paris, un château construit par Philippe de Coulanges. C’est là que l’orpheline passa une bonne partie de sa jeunesse. Elle allait souvent aussi à Livry, dans l’abbaye que gouvernait un autre de ses oncles, le bon abbé Christophe de Coulanges.
         Elle avait dix-huit ans lorsqu’elle fut mariée à un gentilhomme breton, Henri de Sévigné. »

    Antoine Adam, Histoire de la Littérature française du XVIIe siècle, Éditions mondiales, 1968, pp. 138-139.




    PORTRAIT DE LA MARQUISE PAR SON COUSIN BUSSY
    (EXTRAIT)



         « Mme de Sévigné […] a d’ordinaire le plus beau teint du monde, les yeux petits et brillants, la bouche plate, mais de belle couleur ; le front avancé, le nez semblable à soi, ni long ni petit, carré par le bout, la mâchoire comme le bout du nez ; et tout cela, qui en détail n’est pas beau, est, à tout prendre, assez agréable ; elle a la taille belle sans avoir bon air ; elle a la jambe bien faite, la gorge, les bras et les mains mal taillés ; elle a les cheveux blonds, déliés et épais ; elle a bien dansé, et a l’oreille encore juste ; elle a la voix agréable, elle sait un peu chanter. Voilà pour le dehors, à peu près comme elle est faite.
        Il n’y a point de femme qui ait plus d’esprit qu’elle, et fort peu qui en aient autant. Sa manière est divertissante. Il y en a qui disent que, pour une femme de qualité, son caractère est un peu trop badin. Du temps que je la voyais, je trouvais ce jugement-là ridicule, et je sauvais son burlesque sous le nom de gaieté ; aujourd’hui qu’en ne la voyant plus, son grand feu ne m’éblouit pas, je demeure d’accord qu’elle veut être trop plaisante. Si on a de l’esprit, et particulièrement de cette sorte d’esprit qui est enjoué, on n’a qu’à la voir, on ne perd rien avec elle : elle vous entend, elle entre juste à tout ce que vous dites, elle vous devine et vous mène d’ordinaire bien plus loin que vous ne pensez aller ; quelquefois aussi, on lui fait bien voir du pays ; la chaleur de la plaisanterie l’emporte, et, en cet état, elle reçoit avec joie tout ce qu’on veut lui dire de libre, pourvu qu’il soit enveloppé. Elle y répond même avec usure, et croit qu’il irait du sien si elle n’allait pas au-delà de ce qu’on lui a dit. Avec tant de feu, il n’est pas étrange que le discernement soit médiocre, ces deux choses étant d’ordinaire incompatibles, la nature ne peut faire de miracle en sa faveur. Un sot éveillé l’emportera toujours auprès d’elle sur un honnête homme sérieux. La gaieté des gens la préoccupe. Elle ne jugera pas si l’on entend ce qu’elle dit. La plus grande marque d’esprit qu’on lui peut donner, c’est d’avoir de l’admiration pour elle. Elle aime l’encens ; elle aime d’être aimée, et pour cela, elle sème afin de recueillir ; elle donne de la louange pour en recevoir. Elle aime généralement tous les hommes, quelque âge, quelque naissance et quelque mérite qu’ils aient, et de quelque profession qu’ils soient ; tout lui est bon, depuis le manteau royal jusqu’à la soutane, depuis le sceptre jusqu’à l’écritoire. Entre les hommes, elle aime mieux un amant qu’un ami, et parmi les amants, les gais que les tristes. Les mélancoliques flattent sa vanité, les éveillés son inclination. Elle se divertit avec ceux-ci, et se flatte de l’opinion qu’elle a bien du mérite d’avoir pu causer de la langueur à ceux-là.
         Elle est d’un tempérament froid, au moins si on en croit feu son mari : aussi lui avait-il l’obligation de sa vertu, comme il disait ; toute sa chaleur est à l’esprit. À la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament. Si l’on s’en rapporte à ses actions, je crois que la foi conjugale n’a point cette violence ; si l’on regarde l’intention, c’est une autre chose. Pour en parler franchement, je crois que son mari s’est tiré d’affaire devant les hommes, mais je le tiens pour sot devant Dieu.
        Cette belle, qui veut être à tous les plaisirs, a trouvé un moyen sûr, à ce qu’il lui semble, pour se réjouir sans qu’il en coûte rien à sa réputation. Elle s’est faite amie de quatre ou cinq prudes, avec lesquelles elle va en tous les lieux du monde. Elle ne regarde pas tant ce qu’elle fait qu’avec qui elle est. En ce faisant, elle se persuade que la compagnie honnête rectifie toutes ses actions et, pour moi, je pense que l’heure du berger, qui ne se rencontre d’ordinaire que tête à tête avec toutes les femmes, se trouverait plutôt, avec celle-ci, au milieu de sa famille. »


    Bussy-Rabutin*, Histoire amoureuse des Gaules, folio classique, pp. 197-199. Édition de Jacqueline et Roger Duchêne.



    * Roger de Rabutin-Chantal, comte de Bussy (1618-1693), était cousin issu de germain de Celse-Bénigne de Rabutin, père de Mme de Sévigné.





    ■ Madame de Sévigné
    sur Terres de femmes

    6 février 1671 | Lettre de Madame de Sévigné à Françoise de Grignan
    7 août 1675 | Lettre de Madame de Sévigné à Françoise de Grignan
    20 juillet 1694 | Lettre de Madame de Sévigné à la comtesse de Guitaut
    17 avril 1696/Mort de la marquise de Sévigné.



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