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12 février 1909 | Naissance de Zoran MušičIl y a cent sept ans, le 12 février 1909, naît à Bukovica (hameau de Gorizia, en Dalmatie, aujourd’hui à la frontière italo-slovène) Zoran Anton Mušič.
L’EXPÉRIENCE DE LA PERTE
Né dans un village qui était encore une poche de l’empire austro-hongrois, Zoran Mušič voit sa vie basculer un jour d’automne 1944. Arrêté une année plus tôt à Venise, détenu à Trieste et soupçonné d’appartenir à la Résistance slovène, on lui donne le choix : collaboration ou déportation. Il opte pour la seconde solution. La solution dite finale. À Dachau, Mušič devient le prisonnier n° 128231.
À l’épreuve du camp, les hommes s’effritent, deviennent poupées de chiffon, marionnettes, objets, choses. En pénétrant au cœur de l’indescriptible, ombre parmi les ombres, Zoran rejoint la cohorte des morts en sursis. Sans doute ne voit-il plus au-delà, derrière les barbelés ; mais il voit en dedans. Avec un crayon pour seule arme, il dessine alors le quotidien, son quotidien. Sans relâche. Semaine après semaine, mois après mois. Il saisit en une fraction de seconde les silhouettes en dessiccation, les regards creux, les corps brûlés, les pendaisons de squelettes. Ce qui est et n’est déjà plus. Le passage de l’être au néant. Une esquisse, une urgence. « Je dessine comme en transes, m’accrochant morbidement à mes bouts de papier, dira-t-il. J’étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. »*
En avril 1945, Dachau est libéré. Mušič est libre. Sans doute ne le sait-il pas encore, mais les années à venir ne seront pas celles de la liberté. Elles seront le processus d’une reconstruction puis, aussi, du retour là-bas : au fond de lui-même. Faire le chemin inverse et, du néant, redevenir un être.
« DANS L’ART, ON NE RACONTE QUE SOI-MÊME »*
Cela se passe vers 1970. Après ses « paysages dalmates », après les lumières vénitiennes retrouvées, après les multiples « portraits d’Ida », sa femme. Après l’approche de l’abstraction, vécue dans l’échec, car : « Ma vérité ne se trouvait pas là. »* Sa vérité est enfouie avec ses souvenirs ; et de ce ressenti, aucun deuil n’a été possible. On ne s’affranchit pas de l’horreur dont on a été, en même temps, le témoin et l’acteur. « Camarades, je suis le dernier », avait crié un détenu pendu avant la libération d’Auschwitz. Mais l’Histoire bégaie, et Mušič ne peut que répondre : « Nous ne sommes pas les derniers. »**
Surgissent alors les charniers, les bouches sans souffle et les cris muets. Et c’est Zoran que Mušič traque aussi au travers de ces toiles hantées. Celui dont le prénom signifie « naissance du jour » et qui s’est abîmé dans la nuit. Est-ce un témoignage ? Est-ce un « devoir de mémoire » ?
Zoran Mušič, Nous ne sommes pas les derniers, 1972
acrylique sur toile, 113,5 cm x 146 cm
Musée national d’Art moderne
Centre Georges-Pompidou, Paris.
Source
« CE NE SONT PAS LES YEUX QUI TRAVAILLENT, MAIS CE QU’ON PORTE EN SOI. IL FAUDRAIT POUVOIR TRAVAILLER LES YEUX FERMÉS »*
En 1982, dans l’atelier près de l’Accademia, je retrouve le peintre. Je le connais et je ne le connais pas. Nous nous retrouvons régulièrement aux côtés de Jean Lescure, Léon Gischia et Ida au restaurant « All’Angelo » quand je me rends à Venise – une semaine tous les deux mois. C’est un géant taiseux, une haute silhouette sombre. Aujourd’hui, il est habillé de gris. Seul au milieu des chevalets de bois, au milieu des multiplications de morts, de déchirés, de squelettes renversés. Sa présence est aussi une absence, comme les momies décharnées gisant au creux de sa peinture. Il ne dit rien. Il laisse voir. Il s’essuie machinalement les mains avec un bout de tissu blanc, observe par l’étroite fenêtre les toits roses et ocres des maisons de Venise. Et comme je fais semblant de ne rien regarder, il souffle : « Voilà ».
À partir de 1990, Zoran commence à perdre la vue. Je le vois pour la dernière fois à Paris en 1995. L’appartement lambrissé de la rue du Bac l’oblige à courber le dos afin d’échapper aux poutres. « Qu’en est-il de l’espèce humaine ? » Il sourit. Sa moustache et ses cheveux sont poivre et sel comme on dit. Couleur de cendre. Il ne répondra pas.
Zoran Mušič meurt à Venise le 25 mai 2005. Revenu des morts chez les vivants, le voici reparti. Sous l’île de San Michele, où il est enterré, la mer ronge la terre et emporte les corps. J’aime à penser qu’il erre parmi les flots…
Fabian Gastellier
D.R. Texte Fabian Gastellier
pour Terres de femmes
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* Propos recueillis en 1994 par Vanessa Delouya. États Généraux de la psychanalyse.
** La série « Nous ne sommes pas les derniers » est comprise entre 1970 et 1984.
ZORAN MUŠIČ
Source
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE DE ZORAN MUŠIČ
→ Jean Clair, La Barbarie ordinaire : Mušič à Dachau, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2001. ISBN-10: 2070760944
→ Zoran Mušič, Nous ne sommes pas les derniers, Éditions Alors Hors du Temps/Musées de Marseille, 2007 (catalogue de l’exposition du 15 janvier au 18 février 2003 à Marseille). ISBN-10: 2951793235
→ Steven Jaron, Voir jusqu’au cœur des choses, Éditions Échoppe, 2008. ISBN-10: 2840682036
ZORAN MUŠIČ SUR LA TOILE
→ (sur la revue d’art en ligne Art hybris) un article d’André Kim (« Anton Zoran Mušič – Autoportraits »)
→ (sur Wikipedia France) Zoran Mušič
→ (sur ouvretesyeux) Zoran Music dans son atelier parisien, interview par Anne kerner, 1995
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11 février 1996 | Mort d’Amelia RosselliÉphéméride culturelle à rebours
Invitée du jour : Marie Fabre
Source
PER AMELIA ROSSELLI
Amelia Rosselli se suicide, dans l’après-midi du dimanche 11 février 1996, du haut d’une mansarde de la via Del Corallo à Rome. Trente-trois ans, jour pour jour, après le suicide de Sylvia Plath (11 février 1963).
« Ce n’est plus le moi qui est dans l’histoire, mais c’est l’histoire qui est maintenant dans le moi. »
On range souvent Amelia Rosselli aux côtés de Sylvia Plath, dont elle fut la traductrice italienne, dans la catégorie de la « poésie confessionnelle » féminine. Cette catégorie est pratique, mais un peu facile, puisqu’elle permet, à la faveur de similitudes thématiques et stylistiques certaines, d’éluder au moins deux éléments qui font toute la spécificité d’Amelia Rosselli dans le paysage poétique italien, et au-delà. Ces deux éléments sont intimement liés dans la vie et dans la poésie de Rosselli : ce sont l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et le plurilinguisme. La portée de l’autobiographisme rossellien, les voix, les déchirements et les obsessions qui le traversent, ne peuvent se comprendre qu’à partir de cette histoire, qui est aussi directement celle de la langue du poète.
Amelia Rosselli est née le 28 mars 1930, à Paris, de Carlo Rosselli, fondateur avec son frère Nello Rosselli du mouvement antifasciste « Giustizia e Libertà », et d’une mère anglaise, Marion Cave. Carlo Rosselli et son frère avaient été obligés de fuir l’Italie fasciste, continuant en France leur activité politique avant de se joindre aux troupes républicaines pendant la guerre d’Espagne, puis de revenir à Paris, Carlo étant blessé. En 1937, les deux frères sont sauvagement assassinés par les fascistes, laissant Marion Cave et ses deux enfants seuls à Paris. C’est le début d’une longue fuite en avant, dans laquelle se passent l’enfance et l’adolescence d’Amelia Rosselli : la famille se réfugie d’abord en Suisse, puis, chassée par l’arrivée des nazis en France, arrive en Angleterre, et va enfin s’installer aux États-Unis en passant par le Canada. De cette naissance en exil et de cette enfance passée sous les bombardements, dans de continuels déplacements, la poésie de Rosselli garde de nombreuses traces – et sa langue en porte définitivement la marque, divisée entre le français, l’anglais et l’italien. Elle récuse ainsi la définition de Pasolini qui parlait à son sujet de cosmopolitisme : « Est cosmopolite qui choisit de l’être. Nous n’étions pas cosmopolites, nous étions des réfugiés », et se définit comme « fille de la Seconde Guerre mondiale ». Comme le dit justement Alessandro Baldacci, « le plurilinguisme rossellien n’est pas le signe d’une festive vitalité de la langue, ce n’est pas un euphorique jeu babélique » : c’est la marque de la persécution, de l’appartenance perdue, dont la poésie d’Amelia Rosselli gardera toujours la trace, la violence et peut-être surtout le rythme.
Traduire une traductrice
Le retour d’Amelia en Italie n’advient qu’au début des années 1950, et c’est à ce moment-là que sa passion pour la musique, dont elle possède la pratique et la théorie à un très haut niveau, cède très progressivement le pas à sa seconde passion, la poésie. Elle commence à écrire dans les trois langues, puis livre avec La Libellula, en 1958, son premier long poème composé entièrement en italien. Ses premières tentatives d’écriture dans les trois langues sont marquées par de nombreuses contaminations, glissements d’une langue à l’autre, autotraductions. Mais ce processus de traduction spontanée ne cesse pas avec le passage à l’italien comme langue poétique unique : Rosselli intègre dans le corps de sa Libellula de nombreuses citations, littérales ou altérées, d’auteurs étrangers et italiens qu’elle connaît dans le texte, avec entre autres Lautréamont, Rimbaud, Shakespeare, Montale, Campana, Rilke ou encore Mallarmé. Les Variazioni Belliche, écrites sous le signe de Kafka, comportent elles aussi de nombreuses citations – par exemple un Français reconnaîtra aisément des expressions, des procédés ou des vers entiers empruntés à Rimbaud et retranscrits en italien. Son éducation et ses influences en font déjà un cas particulier en Italie : alors que les poètes italiens sont en dialogue constant avec leur tradition poétique nationale, on sent qu’Amelia Rosselli puise à des sources multiples (poésie anglo-saxonne et française) et que la tradition italienne n’est pas son unique berceau, même si elle l’étudie avec acharnement dès son retour en Italie.
Ce rapport de semi-étrangère avec la langue italienne est l’une des grandes originalités de sa poésie, où elle conserve volontairement des fautes de grammaire, des éléments de syntaxe française ou anglaise traduits littéralement, ou encore un grand nombre de néologismes – ce qui la rend parfois si difficile à traduire. Mais plus profondément, c’est toute sa poésie qui est marquée par ce travail de la langue italienne comme quelque chose d’« extérieur » : sa manière de saisir et de réutiliser des expressions idiomatiques, d’en court-circuiter le sens, de rapprocher des mots incongrus sur la base de leur sonorité. Pasolini encore, dans son introduction de 1963 à la poésie de Rosselli (dans Il Menabò), avait parlé de « lapsus » à l’intérieur du texte – mais ces altérations des sonorités, ces glissements de sens sont bien un choix poétique conscient.
Ce rapport à la langue fait d’Amelia Rosselli un cas unique dans la poésie italienne, car si la littérature française a été marquée par plusieurs cas d’auteurs étrangers écrivant en français, si bien que Deleuze a pu théoriser cette spécificité avec le « balbutiement » de Ghérasim Luca, Amelia Rosselli est à ma connaissance le seul écrivain à avoir choisi l’italien parmi d’autres langues, et à l’avoir enrichi par cette approche de plurilingue.
Variazioni belliche
Inédits en français*, les poèmes de Variazioni belliche ont probablement été écrits entre 1958 et 1961 ; ils constituent le premier recueil (169 poèmes) complet de l’auteur en italien. Comme dans deux autres de ses recueils, Serie ospedaliera et Impromptu, le titre met en avant un genre musical qui sera exploité comme modèle durant tout le livre. On a déjà dit qu’Amelia Rosselli avait une grande passion pour la musique (surtout pour la musique contemporaine), passion éclatante dans sa poésie, qu’elle semble travailler visuellement et rythmiquement à la manière d’une partition – par ailleurs il suffit d’entendre un enregistrement d’Amelia Rosselli lisant ses poèmes, ou de faire soi-même l’expérience d’une lecture à voix haute, pour savoir à quel point cette poésie se transforme vite en un chant tantôt entraînant, tantôt discordant. N’oublions pas que juste après ce recueil, l’auteur publie Spazi metrici, un article théorique où elle indique la nouvelle méthode de versification et la technique typographique à partir desquelles elle compose ses poèmes. Variazioni belliche est ainsi construit comme une série de « variations » autour de thèmes, expressions, mots, motifs rythmiques qui reviennent de manière récurrente, cyclique, dans tout le livre. Les variations se déploient aussi à l’intérieur même des poèmes, à travers un procédé anaphorique récurrent, dont on pourra se rendre compte dans les traductions. Les thèmes fondamentaux du recueil sont la relation amoureuse, entre méfiance et désir de fusion, la recherche spirituelle et morale, les traces de la guerre. Sa poésie est incroyablement violente, dramatique, parfois mystique, et intègre en même temps des éléments d’ironie, de parodie ou de sarcasme surprenant. Ce mélange de passion torturée, presque innocente, et de distance ironique restera l’un des traits fondamentaux de la poésie de Rosselli.
Marie Fabre
D.R. Texte inédit Marie Fabre
pour Terres de femmes
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* Note d’AP : depuis la mise en ligne de cet article (février 2009), Marie Fabre a entrepris la traduction en français des Variazioni belliche pour les éditions Ypsilon. Cette traduction est disponible en librairie, sous le titre Variations de guerre, depuis le 3 mai 2012.
EXTRAITS DE VARIAZIONI d’AMELIA ROSSELLI
Negli alberi fruttiferi della vita si
dibatteva l’ultima mosca. Un ribelle
disfatto dalla sua propria disposizione
al bene si sorvegliava ansioso di finirla
con il male. Il mondo sorvegliava molto
stanco della prigionia. La sua propria
disposizione al bene lo imprigionava.
Amelia Rosselli, Variazioni (1960-1961) in Variazioni Belliche, Le poesie, Garzanti, 1997 ; ried. collana Gli Elefanti, 2007, p. 254. A cura di Emmanuela Tandello. Prefazione di Giovanni Giudici.
Dans les arbres fruitiers de la vie se
débattait la dernière mouche. Un rebelle
défait par sa propre disposition
au bien se surveillait impatient d’en finir
avec le mal. Le monde surveillait très
las de l’emprisonnement. Sa propre
disposition au bien l’emprisonnait.
Traduction inédite de Marie Fabre
Se non è noia è amore. L’intero mondo carpiva da me i suoi
sensi cari. Se per la notte che mi porta il tuo oblio
io dimentico di frenarmi, se per le tua evanescenti braccia
io cerco un’altra foresta, un parco, o un avventura: ―
se per le strade che conducono al paradiso io perdo la
tua bellezza : se per i canili ed i vescovadi del prato
della grande città io cerco la tua ombra: ― se per tutto
questo io cerco ancora e ancora: ― non è per la tua fierezza,
non è per la mia povertà: ― è per il tuo sorriso obliquo
è per la tua maniera di amare. Entro della grande città
cadevano oblique ancora e ancora le maniere di amare
le delusioni amare.
Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 292.
Si ce n’est ennui c’est amour. Le monde entier m’arrachait ses
chers sens. Si dans la nuit qui m’apporte ton oubli
j’oublie de me freiner, si dans tes bras évanescents
je cherche une autre forêt, un parc, ou une aventure : ―
si dans les routes qui mènent au paradis je perds
ta beauté : si dans les chenils et les évêchés du pré
de la grande ville je cherche ton ombre : ― si dans tout
cela je cherche encore et encore : ― ce n’est pas pour ta fierté
ce n’est pas pour ma pauvreté : ― c’est pour ton sourire oblique
c’est pour ta manière d’aimer. Dedans la grande ville
tombaient obliques encore et encore les manières d’aimer
les amères déceptions.
Traduction inédite de Marie Fabre
Per tutto l’inverno che fu come un gelo tra le
tue braccia io fuggivo desolata per una vasta, grande
pianura color ambra. Non era per gelosia che sfumavano
le grandi ombre dei grattacieli; non era per il
gelo che io disdegnavo l’amico. Disegnavo attentamente
grandi trionfi che sfumavano anch’essi al primo
vano apparire del sole. Il sole forse era la tua
ombra sagace e sadica, la tua mano era piena di ombre
e i tuoi occhi simulavano la rapina, il sale e
i trionfi.
Arrestandomi su dei marciapiedi guardavo attentamente
muoversi il fiume. Non era chiaro se la città
si vendicasse!
Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 321.
Pendant tout l’hiver qui fut comme un gel entre tes
bras je fuyais désolée à travers une vaste, grande
plaine couleur ambre. Ce n’était pas par jalousie que s’estompaient
les grandes ombres des gratte-ciels ; ce n’était pas à cause du
gel que je dédaignais l’ami. Je dépeignais attentivement
de grands triomphes qui s’estompaient eux aussi à la première
vaine apparition du soleil. Le soleil peut-être était ton
ombre sagace et sadique, ta main était pleine d’ombres
et tes yeux simulaient le braquage, le sel et
les triomphes.
En m’arrêtant sur des trottoirs je regardais attentivement
le fleuve se mouvoir. Il n’était pas clair que la ville
se vengeât !
Traduction inédite de Marie Fabre
Tutto il mondo è vedovo se è vero che tu cammini ancora
tutto il mondo è vedovo se è vero! Tutto il mondo
è vero se è vero che tu cammini ancora, tutto il
mondo è vedovo se tu non muori! Tutto il mondo
è mio se è vero che tu non sei vivo ma solo
una lanterna per i miei occhi obliqui. Cieca rimasi
dalla tua nascita e l’importanza del nuovo giorno
non è che notte per la tua distanza. Cieca sono
chè tu cammini ancora! Cieca sono che tu cammini
e il mondo è vedovo e il mondo è cieco se tu cammini
ancora aggrappato ai miei occhi celestiali.
Amelia Rosselli, Variazioni, op. cit. supra, p. 333.
Le monde entier est veuf s’il est vrai que tu marches encore
le monde entier est veuf si c’est vrai ! Le monde entier
est vrai s’il est vrai que tu marches encore, le monde
entier est veuf si tu ne meurs pas ! Le monde entier
est à moi s’il est vrai que tu n’es pas vivant que tu n’es
qu’une lanterne pour mes yeux obliques. Je suis restée aveugle
depuis ta naissance et l’importance d’un jour nouveau
ne m’est que nuit dans ta distance. Je suis aveugle
parce que tu marches encore ! Je suis aveugle parce que tu marches
et le monde est veuf et le monde est aveugle si tu marches
encore agrippé à mes yeux célestiels.
Traduction inédite de Marie Fabre
Photos (4), G.AdC
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NOTE d’AP : ancienne élève de l’École normale supérieure (Lettres et Sciences humaines), agrégée d’italien, Marie Fabre est depuis 2013 maître de conférences en études italiennes à l’ENS de Lyon. Après un « master 2 » à l’université de Bologne sur Italo Calvino et Elio Vittorini, elle a soutenu en décembre 2012 (sous la direction de Christophe Mileschi, à l’Université Stendhal – Grenoble 3) une thèse de doctorat sur les rapports entre utopie et littérature chez ces mêmes auteurs. Marie Fabre a aussi participé à un dossier “Amelia Rosselli” pour la revue littéraire Europe (n° 996 | avril 2012) [pp. 216-223] et traduit en français l’intégralité des Variazioni Belliche d’Amelia Rosselli, traduction disponible aux éditions Ypsilon depuis le 3 mai 2012.
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10 février 1933 | Exil de Thomas MannÉphéméride culturelle à rebours
THOMAS MANN

■ Thomas Mann
sur Terres de femmes ▼
→ 6 juin 1875 | Naissance de Thomas Mann (+ extrait des Histoires de Jacob)
■ Voir aussi ▼
→ (sur la revue littéraire et artistique temporel) : « La lutte avec l’ange, réaffirmation de l’humain face à la catastrophe, extase existentielle : Thomas Mann (1875-1955), Histoires de Jacob (1933) »
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Milo De Angelis, Thème de l’adieu
I
In te si radunano tutte le morti, tutti
i vetri spezzati, le pagine secche, gli squilibri
del pensiero, si radunano in te, colpevole
di tutte le morti, incompiuta e colpevole,
nella veglia di tutte le madri, nella tua
immobile. Si radunano lì, nelle tue
deboli mani. Sono morte le mele di questo mercato,
queste poesie tornano nella loro grammatica,
nella stanza d’albergo, nella baracca
di ció che non si unisce, anime senza sosta,
labbra invecchiate, scorza strappata al tronco.
Sono morte. Si radunano lì. Hanno sbagliato,
hanno sbagliato l’operazione.
Milo De Angelis, 1. Vedremo domenica, Tema dell’addio, 2005, in Poesie, Oscar poesia del Novecento, Oscar Mondadori, Milano, 2008, pp. 243-244.
Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
développée par G.AdC
En toi se rassemblent toutes les morts, toutes
les vitres brisées, les pages sèches, les vertiges
de la pensée, se rassemblent en toi, coupable
de toutes les morts, inaboutie et coupable,
dans la veillée de toutes les mères, dans la tienne
immobile. Elles se rassemblent là, dans tes
pauvres mains. Elles sont mortes les pommes de ce marché,
ces poèmes retournent à leur grammaire,
dans la chambre d’hôtel, dans la baraque
de ce qui ne s’unit pas, âmes sans repos,
lèvres flétries, écorce arrachée du tronc.
Elles sont mortes. Elles se rassemblent là. Ils n’ont pas réussi,
ils n’ont pas réussi l’opération.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
II
Sei un lontano passo di danza
mentre saluti tra i corridoi,
un ventaglio di grazia che il male
non ha ucciso, diagonale
tra i quattro cantoni, silenzio
di fate e di foglie, finché il giallo
si fa scuro, si fa minaccia nel cielo,
il sorriso fragile e la gola
resta lì, sospesa e selvaggia.
Milo De Angelis, Trovare la vena, op. cit., page 251.
Tu es un pas de danse lointain
toi qui salues dans les couloirs,
un éventail de délicatesse que le mal
n’a pas tué, diagonale
entre les quatre coins, silence
de fées et de feuilles, jusqu’à ce que le jaune
s’obscurcisse, se fasse menace dans le ciel,
le sourire fragile et la gorge
reste là, suspendue et sauvage.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
III
Il luogo era immobile, la parola scura. Era quello
il luogo stabilito. Addio memoria di notti
lucenti, addio grande sorriso. Il luogo era lì.
Respirare fu un buio di persiane, uno stare primitivo.
Silenzio e deserto si scambiavano volto e noi
parlavamo a una lampada. Il luogo era quello. I tram
passavano radi. Venere ritornava nella sua baracca.
Dalla gola guerriera si staccavano episodi. Non abbiamo
detto più niente. Il luogo era quello. Era lì
che stavi morendo.
Milo De Angelis, Vedremo domenica, op. cit., page 244.
Le lieu était immobile, le mot noir. C’était ce lieu-là
le lieu arrêté. Adieu mémoire de nuits
lumineuses, adieu sourire éclatant. Le lieu était là.
Respirer fut une pénombre de persiennes, un état primal.
Silence et désert échangeaient leur visage et nous
nous parlions à une lampe. C’était ce lieu-là. Les trams
passaient rares. Vénus retournait dans sa baraque.
De la gueule guerrière se détachaient des épisodes. Nous n’avons
plus rien dit. C’était ce lieu-là. C’était là
que tu étais en train de mourir.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
IV
Eri l’ultima
donna della vita, eri il temporale
e la quiete, il luogo
dove la luce è insanguinata
e il sangue fiorisce : pochi minuti,
pochi metri, sempre lì,
nel cemento che parla, nella città
degli amanti, nel silenzio
dei lavandini, il bacio
avvenne
e noi non abbiamo
voluto più uscire.
Si muore così, all’ingresso
di una scuola, un cerchio perfetto.
Milo De Angelis, Scena muta, op. cit., page 248.
Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
développée par G.AdC
Tu étais la dernière
femme de la vie, tu étais l’orage
et la quiétude, le lieu
où la lumière s’ensanglante
et où le sang fleurit : quelques minutes,
quelques mètres, toujours là,
dans le ciment qui parle, dans la ville
des amants, dans le silence
des lavabos, le baiser
survint
et nous nous n’avons
plus voulu sortir.
C’est ainsi qu’on meurt, à l’entrée
d’une école, un cercle parfait.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
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NOTE d’AP : Tema dell’addio ― recueil dédié à la poète Giovanna Sicari (1954-2003), épouse de Milo De Angelis ― a obtenu le Prix Viareggio 2005. En mai 2010, la première traduction française de ce recueil a paru aux éditions NOUS, suivie d’une postface de Jacques Demarcq. Traduction de Patrizia Atzei et Benoît Casas.
TEMA DELL’ADDIO
« Tema dell’addio (Mondadori, 2005) a été immédiatement accueilli comme un authentique chef-d’œuvre appelé à faire date. Ce livre de l’adieu à la femme aimée (l’épouse du poète, Giovanna Sicari, morte en 2003) ne tente pas de saisir le seul moment de l’adieu. L’adieu y est plutôt vécu comme un acte de langage répété dans un récit selon une double temporalité : dire adieu à la malade ― saluer ; dire adieu au passé ―, donner congé. Vivre le passé comme un présent, et le passé dans le présent. On songe à Élégie de la mort violente de Claude Esteban, à Quelque chose noir de Jacques Roubaud (1986) ou À ce qui n’en finit pas de Michel Deguy (1995). Apprendre à se délier en repassant par tous les liens qui repassent par toute une vie qui repasse par toutes les vies. Cet adieu est aussi une forme de congé donné au siècle… Les dons de Milo De Angelis qu’on a pu dire le plus « celanien » des poètes italiens culminent ici : sa densité, son art de l’allusion qui mêle l’histoire du siècle et le détail intime, sa tendresse, son élégance qui dépasse l’élégie et refuse tout nihilisme, sa confiance dans la langue de la poésie qui se mesure au présent des indicateurs (lì) et au caractère impératif de ses futurs. On pense au temps énigmatique du Balcon :
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs! Ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !… »
Dossier Poésie italienne réalisé par Martin Rueff et Jean-Patrice Courtois, in Le Nouveau Recueil, n° 81, décembre 2006-février 2007, Champ Vallon, 2006, page 168.
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Patrick Boucheron, Léonard et MachiavelPatrick Boucheron, Léonard et Machiavel,
Éditions Verdier, 2008.
Image, G.AdC
L’ÉNIGME NON ÉLUCIDÉE D’UN SILENCE
Comment nommer le silence ? Comment nommer un silence qui renvoie à un vide jalousement gardé entre les pages des documents d’archives ? Comment comprendre que ces pièces d’archives ne renferment que si peu de traces des discussions échangées entre deux contemporains de génie ? Entre Léonard de Vinci et Machiavel ? Comment faire parler, en place des nombreuses pièces consignées par l’histoire, ― « contrats notariés », « missives diplomatiques », « registres de comptes » ― les carnets de Léonard, si riches en notations de toutes sortes, et la correspondance de Machiavel si abondante et si prolixe ? Correspondance si prolixe qui ne dit mot, pourtant, des entretiens et des échanges tenus avec Léonard ! Carnets si foisonnants qui ne mentionnent à aucun moment les échanges et entretiens tenus avec Machiavel ? Comment, dès lors, mettre en résonance ces échanges ? Quel mot, d’ailleurs, pourrait convenir pour nommer la réflexion que les deux grands hommes de la Renaissance italienne conduisirent sans doute pour mener à bien les projets communs, dont ils ont, l’un et l’autre, partagé un temps et l’histoire et l’élaboration ? « Collaboration » ?
Le médiéviste Patrick Boucheron, auteur du fascinant récit Léonard et Machiavel, se résout, faute de mieux, à employer ce terme de « collaboration » pour tenter de cerner et de reconstituer ce que furent les différentes confrontations entre les deux hommes. En historien tenace, que l’énigme non encore élucidée de ce silence exalte, l’auteur poursuit son interrogation : « Pourquoi ne nous disent-ils rien l’un de l’autre ? »
En même temps qu’il se livre dans ces pages à une enquête minutieuse fondée sur l’étude de nombreux documents et ouvrages, Patrick Boucheron travaille à établir « la connivence intime entre deux mondes, entre deux rêves, entre deux ambitions ». Car, au-delà des divergences, « une même conception de la « qualité du temps » rapproche Léonard et Machiavel. Ils ont en partage d’être contemporains. C’est aussi cette « contemporanéité » que Patrick Boucheron cherche à faire vibrer dans son « petit livre ».
Divertir le cours de l’Arno
Ce qui fascine dans ce récit bifrons où se profilent, sur fond d’incertitudes des temps ― la Renaissance est en pleine mutation ―, les visages de deux personnalités aussi différentes que celles de Léonard et de Machiavel, c’est la récurrence du silence qui enveloppe leurs échanges. Au point qu’érudits, chercheurs et lecteurs en viennent à douter de la réalité de ces rencontres. Et pourtant, nul doute. Même si « la chronique éclatée des rencontres entre Léonard et Machiavel est comme un rendez-vous manqué avec l’érudition », la rencontre a réellement eu lieu. La première, et sans doute la plus importante, a lieu à la fin du mois de juin 1502. C’est à Urbino, dans le palais ducal du condottiere Federico da Montefeltro, que Nicolas Machiavel, secrétaire de la Chancellerie florentine, « chargé auprès des Dieci di Balìa des relations diplomatiques de Florence », rencontre, à l’âge de trente-trois ans, Léonard de Vinci, de dix-sept ans son aîné. Tous deux ont suivi César Borgia (et sa cour itinérante), qui vient de s’emparer du palais ducal des Montefeltro, de l’investir et de s’y installer. Que se sont-ils dit tous deux en juin 1502 dans la ville-palais d’Urbino ? Quelle a été la teneur de leur conversation avec le « Valentinois » ? Nul ne le sait, nul n’est en mesure de le dire. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que « Machiavel a trouvé en César Borgia un maître du tempo politique ». Dont l’ambition « bat au rythme de la nouvelle qualité des temps. » Machiavel trouve dans la personne du jeune prince de vingt-sept ans, le seigneur splendide, seul capable avec lui « de repenser de fond en comble, les choses de l’État ». Or cette réflexion politique passe nécessairement par le problème crucial de la dérivation du cours de l’Arno. Il faut dériver l’Arno. Dériver l’Arno pour engloutir Pise. Pise, obstacle majeur à la puissance florentine. Un an plus tard, en juillet 1503, tandis que Machiavel plaide ― rapports et comptes à l’appui ― auprès des Dieci di Balìa, le projet du contournement de l’Arno, Léonard de Vinci se rend au camp de Pise pour étudier les moyens de divertir le cours du fleuve. L’entreprise est de taille. Il s’agit de « creuser un canal en amont de Pise », de « détourner le fleuve », d’« assécher le port ennemi », de « noyer ses environs dans un marais où l’armée rebelle viendra s’embourber ». De cette opération guerrière secrète, Léonard a rendu compte aux Dieci di Balìa. Oralement ― A bocha ― . Il n’en reste, dans les archives, que quelques bribes. Il est cependant indéniable que les deux hommes ont collaboré à l’« entreprise florentine de défense territoriale. » Les dessins de Léonard en témoignent, les multiples lettres de Machiavel également. Mais ni le nom de l’un ni celui de l’autre n’est mentionné dans les carnets de croquis ou dans les missives. « Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel travaillent à la même chose. Mais travaillent-ils ensemble ? » Quel écho la pensée politique de Machiavel avait-elle dans les réflexions techniciennes de Léonard ? « Où se situe la rencontre entre ces deux ambitions ? » Revient, alors, pareille à un refrain, l’inévitable question : « Pourquoi ne se nomment-ils pas l’un l’autre ? »
Et pendant ce temps-là, alors que les ouvriers subissent les attaques pisanes et que s’enflent les eaux de l’Arno, les digues cèdent. Tous les efforts sont anéantis. Le projet de Léonard et de Machiavel échoue et avec lui les rêves de paix. « La guerre continue ». La collaboration muette de Léonard et de Machiavel, également.
La Bataille d’Anghiari
Un autre grand projet florentin, dont les dates s’entremêlent avec les dates du premier, les réunit en effet. Celui de la commande d’une vaste composition murale destinée à orner un mur de la Salle du Conseil du Palais de la Seigneurie, à Florence. La Bataille d’Anghiari (29 juin 1440). En octobre 1503, Léonard passe contrat avec la Seigneurie de Florence. Signe qu’il en accepte le programme de propagande politique qui lui est imposé. Il s’agit en effet d’exalter la victoire des Florentins menés par Giovanni Paolo Orsini contre les Milanais conduits par le condottiere Niccolò Piccinino. Et de dénoncer le « condiotterisme » au profit de la République. La Bataille d’Anghiari se doit donc d’être convaincante. Quel rôle Machiavel a-t-il joué pour appuyer la candidature de Léonard ? Le nom du Secrétaire de la Chancellerie figure au bas du second contrat, daté du 4 mai 1504, confirmant la validité du premier (égaré !!!).
Or, Léonard de Vinci, rôdé au spectacle en direct de la guerre et des désastres, s’empresse de déroger aux lois et aux règles que l’on attend de lui. Et le peintre, marqué par le souvenir des armées décimées par les combats, résiste à faire l’apologie de la bataille. Refaire une peinture semblable à celle de Paolo Uccello, son prédécesseur, il ne saurait en être question. Même si la « qualità dei tempi est marquée par l’omniprésence de la guerre », la guerre a changé de visage. Léonard transforme à sa guise le programme qui lui a été proposé, modifiant les scènes et leur agencement selon sa propre vision. Si l’artiste se met au travail et s’acharne sur maquettes et cartons ― il songe un moment à abandonner le projet ―, c’est sans précipitation et avec de nombreux atermoiements. À croire que son tempo n’est pas celui de ses commanditaires. Léonard leur oppose lenteur déconcertante et repentirs. Sans parler des défauts matériels qui altèrent sans cesse son travail, en modifient le cours et obligent l’artiste à réfléchir à d’autres techniques de peinture. Et jusque dans les moindres détails. Autant de motifs qui retardent l’élaboration de l’œuvre et son avancée dans les délais imposés par Piero Soderini, gonfalonnier de justice, en qui Machiavel a trouvé son modèle de « Prince républicain ». Autant de motifs, auxquels il faut encore ajouter les obstacles occasionnés par divers événements contraires, qui mettent en péril la réalisation de l’œuvre annoncée. Le vendredi 6 juin 1505, Léonard consigne dans son carnet la catastrophe qui survint ce jour-là et emporta définitivement son travail :
« Au moment où je donnais le premier coup de pinceau, le temps se gâta ; le tocsin sonna pour appeler les gens à se rassembler. Le carton se déchira, l’eau se renversa et le vase d’eau qu’on apportait se brisa. »
En définitive, « la bataille d’Anghiari n’aura pas lieu ». La seule scène achevée du vaste ensemble de La Bataille d’Anghiari est la Lutte pour l’étendard.
Quant à Machiavel, il décrit longuement la campagne d’Anghiari dans son Histoire de Florence. Mais le récit qu’il fait de la bataille défie toute vraisemblance. Ainsi, Machiavel se refuse-t-il à son tour à vanter l’héroïsme des soldats vibrant dans le combat. Sous sa plume cynique, les hauts faits d’armes sont ridiculisés, la mémoire civique bafouée.
Au cœur de la bataille de leur temps, dans ce « temps commun, qui les fit contemporains », La Bataille d’Anghiari signa la dernière rencontre muette de Léonard et de Machiavel.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
■ Léonard de Vinci
sur Terres de femmes ▼
→ 15 avril 1452 | Naissance de Léonard de Vinci
→ 10 juin 1910 | Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur Universal Leonardo) The Battle of Anghiari (copy after Leonardo)
→ (sur le site de France Culture) La Fabrique de l’Histoire se penche sur Léonard de Vinci (avec Patrick Boucheron et Anna Sconza)[émission du 7 mai 2012]
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7 février 1934 | Annemarie Schwarzenbach à Bagdad
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» Retour Incipit de Terres de femmes -
Jean-Claude Villain | αΒ
g.
droites sont les lignes
effacées de nos chemins
même si des êtres titubent
à la soudure de nos épaules meurtries
h.
et que serait salive aujourd’hui
à nos lèvres ciselées
par le murmure des souffles
i.
ce seront nos yeux
les derniers à éteindre
les derniers à lâcher
un vol d’oiseaux ivres
comme futiles phosphènes
sous le battement muet
de nos cils
Jean-Claude Villain, In Espace méditerranéen, Autre Sud, Cahiers trimestriels, Décembre 2004 – n° 27, page 52.
« La poésie de Jean-Claude Villain suit un itinéraire topo sensible qui le conduit des terres froides, terres grasses, alourdies de présences familiales et ancestrales ― Mâcon où il est né ― au rivage méditerranéen, dans le Var, dans cette olivaie où il vit à présent au contact des éléments premiers, avec la mer Méditerranée qui se laisse pressentir derrière la colline chargée de pins et d’oliviers.
Il effectue un voyage tant mental que géographique qui, comparable à celui que vécut Icare dans son accession à la connaissance, le conduit des ténèbres à la lumière vers ce soleil tantôt malfaisant, entraînant la mort paradoxale du héros, expression du tragique méditerranéen, tantôt bienfaisant par la lucidité qu’il dispense.
Cheminement langagier aussi de ce poète qui, d’une écriture lyrique, du chant inscrit dans le désert, vient à une plus grande sobriété qui côtoie l’indicible, une rétention du dit qui suspend la parole pour l’engager dans le silence… juste mesure qui met en valeur ce qui a été dit et refuse le risque de pervertir le poème par l’inutile discours. »
Chantal Danjou, Jean-Claude Villain, damier de silence et parole, Editions L’Harmattan, Paris, 2001, page 11.
JEAN-CLAUDE VILLAIN
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site du cipM) une fiche bibliographique sur Jean-Claude Villain
→ (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Jean-Claude Villain
→ le site personnel de Jean-Claude Villain
→ (sur Wikipedia) une notice sur Jean-Claude Villain
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Jacques Roman | Le là embrase son corps
JACQUES ROMAN
■ Jacques Roman ▼
sur Terres de femmes
→ [La rature, accouplée à la jouissance d’écrire] (extrait de le dit du raturé/////le dit du lézardé)
→ Proférations (lecture d’Isabelle Lévesque)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le Cultur@ctif Suisse) plusieurs pages sur Jacques Roman dont une notice bio-bibliographique
→ (sur Terre à ciel) un dossier Jacques Roman
→ (sur letemps.ch) un entretien avec Jacques Roman
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5 février 1626 | Naissance de Madame de SévignéÉphéméride culturelle à reboursLe 5 février 1626 naît, Place Royale à Paris (aujourd’hui Place des Vosges), Marie de Rabutin-Chantal, future marquise de Sévigné.
© 2007 Françoise Dupuy
Source
« Elle appartenait, du côté paternel, à une très noble et ancienne famille de Bourgogne, mais elle était aussi, par sa mère, la petite-fille d’un homme enrichi dans la ferme des gabelles et tout nouvellement anobli. En épousant la fille de Philippe de Coulanges, Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal, avait fait une mésalliance. Les Rabutins ne la lui pardonnèrent pas et refusèrent d’assister au contrat.
Le jeune ménage vint donc loger dans l’hôtel que Philippe de Coulanges s’était fait construire sur la Place Royale. C’est là que naquit, le 5 février 1626, Marie de Rabutin-Chantal. Dix-huit mois plus tard, son père, le baron de Chantal, se faisait tuer héroïquement au combat de l’île de Ré (22 juillet 1627). En 1633, sa mère mourait à son tour. L’enfant fut élevée, non par les Rabutins, mais par les Coulanges. Elle eut pour tuteur son grand-père Philippe d’abord, puis, à la mort de celui-ci, un Coulanges, son oncle. Celui-ci possédait à Sucy, à quatre lieues de Paris, un château construit par Philippe de Coulanges. C’est là que l’orpheline passa une bonne partie de sa jeunesse. Elle allait souvent aussi à Livry, dans l’abbaye que gouvernait un autre de ses oncles, le bon abbé Christophe de Coulanges.
Elle avait dix-huit ans lorsqu’elle fut mariée à un gentilhomme breton, Henri de Sévigné. »
Antoine Adam, Histoire de la Littérature française du XVIIe siècle, Éditions mondiales, 1968, pp. 138-139.PORTRAIT DE LA MARQUISE PAR SON COUSIN BUSSY
(EXTRAIT)
« Mme de Sévigné […] a d’ordinaire le plus beau teint du monde, les yeux petits et brillants, la bouche plate, mais de belle couleur ; le front avancé, le nez semblable à soi, ni long ni petit, carré par le bout, la mâchoire comme le bout du nez ; et tout cela, qui en détail n’est pas beau, est, à tout prendre, assez agréable ; elle a la taille belle sans avoir bon air ; elle a la jambe bien faite, la gorge, les bras et les mains mal taillés ; elle a les cheveux blonds, déliés et épais ; elle a bien dansé, et a l’oreille encore juste ; elle a la voix agréable, elle sait un peu chanter. Voilà pour le dehors, à peu près comme elle est faite.
Il n’y a point de femme qui ait plus d’esprit qu’elle, et fort peu qui en aient autant. Sa manière est divertissante. Il y en a qui disent que, pour une femme de qualité, son caractère est un peu trop badin. Du temps que je la voyais, je trouvais ce jugement-là ridicule, et je sauvais son burlesque sous le nom de gaieté ; aujourd’hui qu’en ne la voyant plus, son grand feu ne m’éblouit pas, je demeure d’accord qu’elle veut être trop plaisante. Si on a de l’esprit, et particulièrement de cette sorte d’esprit qui est enjoué, on n’a qu’à la voir, on ne perd rien avec elle : elle vous entend, elle entre juste à tout ce que vous dites, elle vous devine et vous mène d’ordinaire bien plus loin que vous ne pensez aller ; quelquefois aussi, on lui fait bien voir du pays ; la chaleur de la plaisanterie l’emporte, et, en cet état, elle reçoit avec joie tout ce qu’on veut lui dire de libre, pourvu qu’il soit enveloppé. Elle y répond même avec usure, et croit qu’il irait du sien si elle n’allait pas au-delà de ce qu’on lui a dit. Avec tant de feu, il n’est pas étrange que le discernement soit médiocre, ces deux choses étant d’ordinaire incompatibles, la nature ne peut faire de miracle en sa faveur. Un sot éveillé l’emportera toujours auprès d’elle sur un honnête homme sérieux. La gaieté des gens la préoccupe. Elle ne jugera pas si l’on entend ce qu’elle dit. La plus grande marque d’esprit qu’on lui peut donner, c’est d’avoir de l’admiration pour elle. Elle aime l’encens ; elle aime d’être aimée, et pour cela, elle sème afin de recueillir ; elle donne de la louange pour en recevoir. Elle aime généralement tous les hommes, quelque âge, quelque naissance et quelque mérite qu’ils aient, et de quelque profession qu’ils soient ; tout lui est bon, depuis le manteau royal jusqu’à la soutane, depuis le sceptre jusqu’à l’écritoire. Entre les hommes, elle aime mieux un amant qu’un ami, et parmi les amants, les gais que les tristes. Les mélancoliques flattent sa vanité, les éveillés son inclination. Elle se divertit avec ceux-ci, et se flatte de l’opinion qu’elle a bien du mérite d’avoir pu causer de la langueur à ceux-là.
Elle est d’un tempérament froid, au moins si on en croit feu son mari : aussi lui avait-il l’obligation de sa vertu, comme il disait ; toute sa chaleur est à l’esprit. À la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament. Si l’on s’en rapporte à ses actions, je crois que la foi conjugale n’a point cette violence ; si l’on regarde l’intention, c’est une autre chose. Pour en parler franchement, je crois que son mari s’est tiré d’affaire devant les hommes, mais je le tiens pour sot devant Dieu.
Cette belle, qui veut être à tous les plaisirs, a trouvé un moyen sûr, à ce qu’il lui semble, pour se réjouir sans qu’il en coûte rien à sa réputation. Elle s’est faite amie de quatre ou cinq prudes, avec lesquelles elle va en tous les lieux du monde. Elle ne regarde pas tant ce qu’elle fait qu’avec qui elle est. En ce faisant, elle se persuade que la compagnie honnête rectifie toutes ses actions et, pour moi, je pense que l’heure du berger, qui ne se rencontre d’ordinaire que tête à tête avec toutes les femmes, se trouverait plutôt, avec celle-ci, au milieu de sa famille. »
Bussy-Rabutin*, Histoire amoureuse des Gaules, folio classique, pp. 197-199. Édition de Jacqueline et Roger Duchêne.
* Roger de Rabutin-Chantal, comte de Bussy (1618-1693), était cousin issu de germain de Celse-Bénigne de Rabutin, père de Mme de Sévigné.
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