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  • Georges Guillain | Que ce lieu pour rester

    «  Poésie d’un jour  »





    TU FUIS L'ÉTROITE NOMENCLATURE DES CHOSES DU PASSÉ
    Ph., G.AdC






    QUE CE LIEU POUR RESTER

                           (EXTRAIT)



    Finalement
    tu réduis tout
    à presque rien

    rien cette poudre qui reste
    sur les doigts

    ce grand savoir dressant dans ton cerveau
    ses murs de cave

    tu as
    de moins en moins besoin
    de ce gros projecteur des livres
    de coller à la lumière enfin tranquille de cet arbre

    sans nom sans âge

    le poids voulu d’une forêt
    le brun verdâtre de ses fruits

    tu fuis
    l’étroite nomenclature des choses du passé
    dont tu ne cherches pas à fixer les lignes chiffonnées

    rapetasser
    tout l’être épars

    pour en sentir juste l’approche
    impalpable sans mots

    *

    Ainsi
    tu n’auras pas à dire

    qui tu es

    à préciser
    qui te manquait ce jour-là à cette heure

    tu n’auras pas à dire
    s’il s’agissait d’une soirée pluvieuse
    où tu avais trop bu

    si tu lisais sans voir un poète chinois …

    tu n’as plus de mémoire pour ces choses
    qui se mêlent pourtant en toi comme toutes les autres

    qui font parfois semblant de te connaître
    et puis t’éclairent

    au fond

    sont ta lanterne sourde

    […]


    Georges Guillain, Avec la Terre, au bout, Atelier La Feugraie, 2011, pp. 87-88.





    LA VIE N'A PLUS ASSEZ DE VIE
    Ph., G.AdC





    GEORGES GUILLAIN


    Georges Guillain  portrait





    ■ Georges Guillain
    sur Terres de femmes

    [Il n’y a pas de poésie descriptive] (extrait de Compris dans le paysage)
    six août | Georges Guillain, Compris dans le paysage
    [Novembrer tout y revient patauger] (autre extrait d’Avec la terre, au bout)
    [Voilà que tu es devenu poreux] (autre extrait d’Avec la terre, au bout)
    Tant que nous sommes (extrait d’Un bouquet pour les morts)
    [Voilà] (extrait de Parmi tout ce qui renverse)




    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des Poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Georges Guillain





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  • 28 janvier 1888 | Lettre de Stéphane Mallarmé à Michel Baronnet


    Éphéméride culturelle à rebours



    Mallarmé
    Image, G.AdC





    Paris, 28 janvier 1888



        Mon cher Baronnet,


         Vous avez cette intuition amicale du plus vieux de mes rêves, manger quelques dattes chaque jour présentées par une main charitable et vivre sans plus de souci. Il me semble un peu que cela ait lieu, mais plus délectablement que je ne l’attendais, n’ayant pratiqué ce fruit que sirupeux et dû à l’épicier. Vraiment, c’est prodigieux de douceur et du luxe de nutrition qu’on sent y sommeiller. Ces dames, qui se guérissent un rhume avec, vous remercient de grand cœur, comme moi.

         Voici une petite plaquette qui fait partie d’une anthologie belge et n’est pas trop mal pour son prix d’impériale d’un omnibus.

         Je n’ai pas l’impression que vous vous ennuyiez trop, là-bas ; car, outre vos besognes, vous savez vivre seul, même je vous envie, ah ! si le fond de la boîte où s’étagent les dattes répandait un peu de désert autour de moi. Mon cher, que c’est difficile de s’isoler autant qu’il le faut, pour un travail même jaloux comme celui qui me captive cet hiver ! Nous en causerons à votre retour. Bien fort votre main


    Stéphane Mallarmé





    Panier de dattes
    Ph., G.AdC






    Paris, le 30 janvier 1888


         Monsieur,

         Je me permets de vous répondre à la place de Monsieur Baronnet, qui n’est pas en état de le faire lui-même, il a été très touché par votre lettre, aussi bien que par votre poème, il l’a relu deux fois et a déclaré qu’il était décidément « impérial » mais pas « omnibus », vous comprendrez sans doute ce que cela veut dire, il était touché encore davantage par les marrons glacés que vous lui avez fait porter en remerciement des dattes dont vous avez fait si grand cas, lorsqu’il a ouvert le joli carton il en a goûté tout de suite, alors il s’en est donné à cœur joie et les a mangés tous les uns après les autres, mon Dieu, vingt-quatre marrons glacés d’un coup, je n’ai jamais vu cela, mais si le cœur y était le foie n’a pas suivi, pas longtemps tout au moins, une demi-heure plus tard je l’ai trouvé effondré sur le divan, j’ai appelé le docteur Faure mais c’était déjà trop tard, quel malheur ! il ne méritait pas cela, il y avait de mauvaises langues qui le traitaient de goinfre ce qui est bête et méchant, c’était simplement qu’il aimait trop la vie, et voilà, il n’en a plus.

         Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments les plus respectueux.


    Mademoiselle Roux-Fouillet Marie-Jeanne
    La gouvernante

    Correspondances Intempestives, à la folie… pas du tout, Triartis, 2008, pp. 92-97.





         Consacré à la correspondance des meilleures plumes de la littérature française, cet ouvrage inattendu, ludique et fort divertissant des éditions Triartis propose la réponse « d’imprévisibles destinataires contemporains. À charge pour eux de répondre dans leur style, leur humeur, en toute liberté d’inspiration, chacun induisant ainsi sa propre règle du jeu. »
         On aime « à la folie… ou pas du tout » !

         Dans le présent échange, la lettre de la gouvernante à Stéphane Mallarmé (ci-dessus) est rédigée par l’écrivain new yorkais Harry Mathews.




    STÉPHANE MALLARMÉ


    Stphane_mallarm
    Image, G.AdC


    ■ Stéphane Mallarmé
    sur Terres de femmes

    Pli selon pli
    Tristesse d’été
    29 mai 1912 | Création de L’Après-midi d’un faune
    21 mars 1914 | Première audition de Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Alliance française)
    La mort de Stéphane Mallarmé (extraits du Journal de Julie Manet en date du 11 septembre 1898)




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  • Joë Bousquet | Passer

    «  Poésie d’un jour  »



    C’est par ton charme qu’une fille D’un corps ébauché par les cieux A formé la larme des villes
    Ph., G.AdC







    PASSER


    Enfance qui fus dans l’espace
    Un vol poursuivi jusqu’au soir
    J’appelle ton ombre à voix basse
    Avec la peur de te revoir

    Sœur en deuil de tes robes claires
    Ta fuite est l’oiseau bleu des jours
    Que de son chant fait la lumière
    Des gestes rêvés par l’amour

    C’est par ton charme qu’une fille
    D’un corps ébauché par les cieux
    A formé la larme des villes
    Qui s’illuminent dans ses yeux

    Et ce fut ton âme de rendre
    Mon doute plus que moi vivant
    Passerose aux ailes de cendre
    Qui m’ouvrais ton cœur dans le vent



    Joë Bousquet, La Connaissance du soir, Éditions Gallimard, 1947 ; Collection Poésie, 1981, page 65.






    JOË BOUSQUET


    Joë Bousquet




    ■ Joë Bousquet
    sur Terres de femmes

    11 septembre 1937 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Décembre 1938 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    André Rougier | Midis





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  • Il parle

    Catégorie Rêves de femmes
    (hommage à Hélène Cixous)





    Il était seul en scène
    Image, G.AdC





    IL PARLE

        La salle pivota sur elle-même. Dans le demi-cercle qu’elle traçait pour laisser entrer l’espace, elle me présenta sa porte. Je m’inclinai et m’avançai. Il était seul en scène, longue silhouette hâve drapée dans son mastic. Se déplaçant à peine, à peine esquissant quelques gestes, il cherchait à prolonger encore l’empreinte de sa présence sur le mur. De l’autre côté du plateau, compacte et indissociée, la foule obscure. Il parle. Sa parole descend en lui-même, en ces zones d’ombre dont il ne sait ce qu’elles sont. Son visage se creuse. Ses traits se tirent. Sa poitrine cherche un souffle d’air pour alimenter les cavités alvéolaires, invisibles. Sa voix plonge dans les cavernes de son ventre, puis plus loin encore, dans des pores inaccessibles. Les yeux renversés vers l’intérieur du crâne, il parle, et sa parole est claire et transparente, limpide comme l’eau cristalline qui court au printemps des talus. Que dit-il ? De quoi parle-t-il ? Nul ne sait. Ils sont là, silencieux, suspendus à ses lèvres, absorbés dans le flot ininterrompu des mots qui les happe dans son flux. Je suis là, parmi eux. J’écoute, fascinée, cette parole qui se dit, qui monte d’un au-delà indiscernable tandis que le regard plonge, mouvement inverse de spirales descendant ascendant descendant à nouveau. Le silence enveloppe le public, le prend dans un étau qui se resserre autour de lui tandis que les mots déroulent leurs volutes sonores. Brusquement, il s’affaisse. Le mastic tombe à ses pieds. Son visage halluciné se recroqueville, se rétrécit, s’engorge en lui-même. Tous se précipitent. L’entourer, le secourir, le relever. Dans la masse indistincte des visages, je reconnais un visage. Le mien. Penché sur celui que sa parole a mis à mort.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




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  • Isabelle Raviolo

    Notre-Dame-de-Pentecôte





    Isabelle Raviolo







    Soleils noirs


    O, suprême Clairon plein de strideurs étranges
    Silences traversés des Mondes et des Anges
    – O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !


    Arthur Rimbaud, « Voyelles »



    *


    11 tableaux, dont :

    Mara
    Lahaï-Roï
    Rephidim
    Sychar



    *


    Encres et poèmes : Les Tourterelles.


    Notre-Dame-de-Pentecôte est située à droite du CNIT lorsqu’on le regarde depuis le parvis de la Défense




  • Isabelle Raviolo





    Rien que le désir, la nécessité de peindre




    Mise en mouvement d’une substance élémentaire
    Correspondances –
    Air et terre
    eau – feu

    Sur le fil – une aile

    Apesanteur –
    Communication élémentaire


    Ni projections ni représentations

    L’acte seul
    Substantiel –

    Le temps est là

    Organiquement.
    Il naît de son espace –

    L’infinité du temps
    Joint le vide et la plénitude

    Comme l’un et l’autre
    Au bout du pinceau

    Le cœur, la pensée
    L’âme et le corps

    Unis dans le geste de peindre –

    Et l’espace monte
    Monte de la feuille

    Lente ascension

    Surnaturelle de

    L’encre épaisse, fluide

    Onctueuse ou sèche :


    L’encre, levain d’espace –



    *



    Lignes et courbes
    Traits ou taches

    Traces évanescentes ou insistantes

    Toutes les formes vibrent, respirent

    A leur degré d’être

    Et le souffle reçu
    Mêle à la vue l’encre du papier –

    Les forces se condensent
    s’adressent à l’instinct sacré

    Elles lui font signe
    et ce faisant éveillent dans l’espace organique
    la sensation du dépouillement du mental
    présence aussi présente qu’insaisissable
    perpétuelle ascension de ce qui monte dans la feuille.

    L’encre
    noir brillant

    immobile

    jaillit du cœur

    Elle va au papier –
    Double action essentielle
    De l’encre et du vide –



    *



    Travail du grand silence des forces intérieures
    Gestation d’éléphant

    Grande poussée de la chair
    Aérienne et pensive

    Qui dans son retour l’origine

    Retrouve

    Forme – mouvement et être

    Matière transfigurée.



    Isabelle Raviolo




  • Isabelle Raviolo





    Isabelle Raviolo, Mara 13





    Isabelle Raviolo, Mara 15





    Isabelle Raviolo, Mara 17



  • Isabelle Raviolo



    La peinture précaire : soleils noirs.






    « Ainsi, mon Dieu, tu es également invisible et visible.
    Invisible tu l’es dans la mesure où tu es.
    Visible, tu l’es dans la mesure où est la créature qui n’est qu’autant qu’elle te voit. »
    Nicolas de Cues,
    Le Tableau, ou la vision de Dieu, chapitre 6.






             Je ne sais pas parler de ce que je peins. La peinture elle-même m’en préserve : elle se donne à moi comme une écriture (non pas contingente, mais nécessaire). Sur le support, je fixe cet autre langage, surgi de la mémoire : réminiscence d’un quelque chose que je ne saurais dire et que je peins. Non pour y échapper, mais pour le reconnaître comme une présence du plus intime – et m’y vouer. J’entre alors en attention à l’invisible du réel, à son en-dedans : autant de soleils noirs – lumières de vie dans la nuit obscure. Si noir il y a, il n’est pas que noir. Il est toujours et avant tout associé au soleil – force fécondante, puissance de vie. Le noir devient couleur de lumière, soleil-foyer de recréation, de transformation, de naissance éternelle.

             C’est une entrée en matière – spirituelle : une disposition intérieure qui me vide des images et me rappelle à l’Image – Origine incréée qui s’ouvre en moi avec une intensité inouïe : visage tout entier concentré sur ce qu’il a d’universel et d’unique. Car à travers toutes les formes, c’est toujours Lui qui est regardé, comme un archétype délivrant tout le possible du réel, figuré et abstrait. Peindre est donc pour moi l’acte par lequel je prends conscience d’un regard qui me précède et me donne naissance, éternellement. Ce qui apparaît sur le papier n’est donc pas « mien », mais « nôtre ». Je ne peux m’en dire le seul « auteur ». Car il est le fruit d’une unité des regards : un regard consentant et un regard agissant. La main n’en est que le prolongement. Elle signe l’abandon au tout autre regard, présence enflammée d’une lumière surnaturelle. L’image surgit comme la trace de cette présence qui me visite, et me requiert. Depuis le commencement.

             L’exigence de peindre « en présence », dans le resserrement de l’attention à cette réalité originelle, nécessite mon abandon, ressenti comme une grâce. Cela se fait sans moi, et en même temps, cela me sollicite pour se faire. Car il faut que j’y adhère. Mais c’est une adhésion ni possédée ni possédante ; c’est un vecteur, un canal à l’énergie créatrice. Et paradoxalement aussi, celle-ci nécessite de ma part une forme de retenue et de lâcher prise.

             J’expérimente ma peinture comme une danse sur le fil – un « se maintenir » en équilibre. Chaque geste est un pas en avant, un risque, un saut dans l’abîme qui dénude : le grand blanc du papier –. Et pourtant ce saut n’est pas aveugle : il connaît et ignore à la fois l’autre rive – le ce vers quoi il va. Quand je peins, j’ai confiance en cette force qui m’habite, en cette présence de lumière qui me pousse en avant. Elle me demande une formidable attention – comme une consécration de tout mon être, dans un temps resserré, vécu dans une grande intensité. Mon énergie ici concentrée ne peut l’être réellement que si elle est avant tout consacrée à cette seule présence intérieure. C’est elle qui détermine la rythmique asymptotique de mon pinceau sur la feuille.

             L’exigence de peindre « en présence » m’apparaît donc essentiellement articulée à l’expérience violente du renoncement. Qu’il faille lutter avec l’Ange, sur la corde raide, et renoncer pour renaître, est une nécessité inhérente à ma peinture. Je n’écris jamais qu’avec mon sang. La souffrance du renoncement pleinement vécue, et dépassée, permet le passage de la joie – celle de créer, détachée de soi. Aussi ma peinture est-elle précaire – essentiellement prière : mains vides, ouvertes sur le monde – l’offrande d’un quelque chose, toujours déjà là, et aussi toujours susceptible d’être retiré, et donc fragile et pauvre. C’est pourquoi, en sa précarité, ma peinture rejoint la poésie : encres et gouaches, aquarelles et acryliques accompagnent les poèmes, entrent avec eux en relation d’amitié – une conversation infinie qui suppose l’écoute généreuse, et le partage.

               Peinture et poésie commencent et s’achèvent en prière, dans la contrée du dénuement : précarité du chant, précarité des choses qui apparaissent sur la toile. Toutes deux se dressent comme les psaumes de la réalité incarnée. Toutes deux sont témoins d’une éternité retrouvée : un seul œil, voyant comme il est vu – pour une seule promesse.

             Je terminerai en citant un extrait du sermon allemand 12, Qui audit me, de Maître Eckhart. Car il me semble dire, mieux que je ne saurais le faire, la destination originelle et mystique de la peinture : « Si mon œil doit voir la couleur, il doit être dégagé de toute couleur. Si je vois une lumière bleue ou blanche, la vision de mon œil qui voit la couleur, cela même qui voit, est identique à ce qui est vu par l’œil. L’œil par lequel je vois Dieu est l’œil même dans lequel Dieu me voit : mon œil et l’œil de Dieu ne sont qu’un œil, et une vision, et une connaissance, et un amour. »


    Isabelle Raviolo




  • Notre-Dame-de-Pentecôte





    Isabelle Raviolo







    Soleils noirs


    O, suprême Clairon plein de strideurs étranges
    Silences traversés des Mondes et des Anges
    – O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !


    Arthur Rimbaud, « Voyelles »



    *


    8 tableaux :

    Sychar
    Mara
    Lahaï-Roï



    *


    Encres et poèmes : Les Tourterelles.



    *




    Du 28 janvier 2009 au 6 mars 2009


    M° La Défense, Grande Arche (ligne 1)



    Notre-Dame-de-Pentecôte est située à droite du CNIT lorsqu’on le regarde depuis le parvis de la Défense