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  • Antoine Carrot | Silence habité

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    LA PLAGE DE NONZA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Sur la plage la vague apporte
    Un mystère d’algues et de vent de mer"

    Ph;: G.AdC

     

     

     

     

     

     

    Je suis en rupture d’idée
    On m’a dit que le fleuve s’en allait vers la mer
    Je ne veux plus croire aux leçons de l’école
    Je veux prendre au passage le grand vent des étoiles
    Fouler au pied les certitudes
    Comme un enfant rageur foule l’herbe du pré.

    À trop suivre la route on se méprend
    Sur sa propre liberté
    On écoute les sirènes qui contraignent sans chaîne
    On entend des angélus condamnés d’avance
    À la disparition du soir.

    Je croise les bras pour ne plus avancer
    Je conjugue les temps oubliés des grammaires
    Je trace sur le sable
    Des circonférences approximatives
    Où j’enferme les mots qui voudraient s’échapper.

    Sur la plage la vague apporte
    Un mystère d’algues et de vent de mer
    À nous de choisir la réponse appropriée
    Qui brûlerait l’odeur en gardant sa présence.

     

    Antoine Carrot, Silence habité, Poèmes, Préface de Marie-Ange Sebasti, Photo de couverture Dominique Daguet, Éditions Cahiers Bleus 2016.

     

     

  • Christel Visée | Les mots d’Adama

     

                                                                                                                                                                                                             <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    Voyelles-les-6-voyelles-de-lalphabet

     

     

     

     

     

     

    mots de pluie qu’on essore
    le déluge des hirondelles
    ça monte

     

    Il est là. Il a écrit toutes les voyelles dans son petit cahier. On
    dirait qu’elles s’envolent. Les mots-oiseaux frappent à la fenêtre.
    La plaie est partie.

    Il redit lentement chaque lettre, comme s’il la prenait dans ses
    bras. J’aimerais être une voyelle. Mais je suis trop vieille, trop
    bossue. Je ne suis plus qu’un T dont le trait a viré totalement sur
    le côté. Vous reprendrez bien un peu de thé ?

    Je garde les apparences, les cérémonies. C’est important pour
    tenir bon. Darjeeling, grève d’une ampleur inédite, ils l’ont dit
    tout à l’heure dans le poste. Il me raconte son pays, la pauvreté.
    Puis il me demande un poème.

    On termine toujours comme ça, par un poème de Miguel. Il
    me propose de lire aussi en castillan. Au début, je refusais. Mais
    quelque chose se passe, il y a comme une fissure, on dirait que
    la cage s’ouvre un peu.

     

     

    Ma bouche réapprend les mots de Miguel. Je ne pensais pas que
    ce serait un jour possible. Mais dans un poème, c’est différent.
    Les mots-oiseaux ne sont plus prisonniers, ils vont et viennent
    en chantant.

    Il y a aussi quelques biscuits qu’on grignote avec le thé. À deux,
    j’ai plus d’appétit. Il rit. Ses dents de neige. Puis il dit au revoir
    madame Adama.

    Je le regarde s’éloigner, légère. Aujourd’hui, je me lève à sa suite.
    Il y a comme un printemps. J’ai des ailes aux jambes. Pas besoin
    de canne. Je vole.

    Crac, quelque chose s’est brisé. Icare ! Non, voilà, je me souviens
    de son prénom, Ishvar. Une belle jambe quand les étoiles filent.

     

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    Christel Visée, Les mots d’Adama, La Crypte (le pays qui grandit) 2022, pp.46,46.

     

    C H R I S T E L    V I S É E

    Visée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source

    Belge d’origine, Christel Visée a vécu en France, en Espagne et aux États-Unis.
    Correctrice pour différents éditeurs, elle a aussi traduit en français la Poet Lauréate amérindienne Joy Harjo :
    (Carte pour le monde à venir, l’Arbre à paroles, 2019.)

     

  • Paul Valéry | Au commencement sera le soleil

     <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    Soleil levant

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source

     

     

     

    AU COMMENCEMENT SERA  LE SOLEIL

     

     

    Animal profondément oublié : tiède et tranquille
    masse mystérieusement isolée ;
    ARCHE close de vie, qui transportes vers un jour qui
          vient
    mon histoire et mes chances,
    tu m’ignores, tu me conserves, ; tu es ma permanence
          unique
    et inexplicable. Ton trésor est mon secret.
    SILENCE, mon Silence… ABSENCE, mon absence,
    ô ma forme fermée,
    je laisse toute pensée pour te contempler de tout mon
         cœur.
    Il n’est pas de plus étrange, de plus pieuse pensée.
    Point de merveille plus proche.
    Je me suis donc fait une ÎLE inconnue.
    Et tu es un temps qui s’est détaché de l’énorme TEMPS
    Où ta durée indéfinie subsiste et s’éternise
    Comme un anneau de fumée.
    Mo, amour devant toi est inépuisable.
    Je me penche sur toi qui es MOI, et il n’y a point d’échan
        -ges
    entre nous.
    Tu m’attends sans me connaître,
    Et je te fais défaut pour me désirer
    Tu es sans défense. Qui te tue me tue.
    Quel mal tu me fais avec le bruit de ton souffle…
    Je me sens le captif du suspens de ton soupir
    Au travers de ce masque abandonné, tu exhales le mur
        -mure
    d’une vie tout égale, à soi-même bornée.
    J’écoute le petit bruit de mon existence, et ma stupidité
    est devant moi…

     

    VALERY

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Paul Valéry, « Poèmes » in « Histoires brisées », La Jeune Parque et poèmes en prose, Préface et commentaires de Jean Levaillant,
    Poésie Gallimard, 1974, pp.126,127.

     

     

     

    Paul-valery

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PAUL VALÉRY – sérigraphie   /  Source

     

     

    PAUL   VALÉRY

    Paul Valéry 3

    ■ Paul Valéry
    sur Terres de femmes ▼

    → [Rime]
    → 30 mars 1917 | Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    → 19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire
    → 23 juin 1927 | Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française
    → 20 juillet 1945 | Mort de Paul Valéry
    →Paul Valéry, « Poèmes » in « Histoires brisées », La Jeune Parque et poèmes en prose, Préface et commentaires de Jean Levaillant,
    Poésie Gallimard, 1974

    ■ Voir aussi ▼

    → la biographie de Paul Valéry sur le site de l’Académie française
    → (sur Terres de femmes) 15 avril 1452 | Naissance de Léonard de Vinci

     

                                       

  • Raluca Maria Hanea | Disparition initiale | Lecture d’Angèle Paoli

    Raluca Maria Hanea, Disparition initiale
    Vignettes de Philippe Favier
    Éditions Unes 2023
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

     

    Constantin-brancusi-la-sagesse-de-la-terre-1(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

          Constantin Brâncuşi  /  La Sagesse de la terre 1908    Source 

     

     

    La sagesse de la terre

     

    La poète est-elle cet oiseau singulier qui disparaîtra pour réapparaître ? Un jour, plus tard, longtemps après, dès que la poésie lui fera signe ? Disparition, réapparition de celle qui, semblable au « Grand Indicateur » de l’exergue, est habitée par le monde ancestral qu’elle porte en héritage. Un rituel du retour qui la conduit, non en Afrique, selon les études menées par les ornithologues, mais en Transylvanie, sa terre initiale. Sa terre naufragée.

    La Disparition initiale de Raluca Maria Hanea se fait « En trois versions », trois chapitres, – « Trois pierres peintes pour tenir l’année » ? – selon des variations. Sur le même. Personnages, thèmes, lieux. Chacune de ces parties est ponctuée par une étrange vignette, signée Philippe Favier, tout comme celle de la première de couverture.
    Si le verbe « apparaitre » survient en premier, dans la mystérieuse phrase introductive du poème initial – « Les choses se ressemblent avant d’apparaître » – le recueil se clôt sur la disparition du père, à qui la poète dédie son œuvre :
    « à mon père, Zaharie, parti deux ans, jour pour jour, avant la parution de ce livre. »
    De sorte qu’il est possible d’interpréter ce recueil comme un travail d’archéologue de la mémoire qui cherche à exhumer les empreintes laissées par les souvenirs. La poète opère d’emblée un retour sur un passé enfui, sans doute bouleversé jadis par un terrible séisme:
    « La terre avait glissé sur elle-même en pleine nuit, les murs ne faisaient plus maison. »
    Au cœur de ce passé bouleversé revient la figure du père, dans les gestes et dans le « nous » qui l’unit à sa fille:

    « [La terre] s’effritait, nous empoussiérait, il nous restait dans les mains des fibres dégagées que mon père enroulait en cordes, qu’il allongeait à terre »

    Ou encore, dans la même page, ce constat paradoxal :

    « Nous avions pris tant d’images, qu’il nous a été impossible d’apparaître. »
    C’est peut-être ce séisme, lequel a fait chavirer « les épidermes du lieu », qui est à l’origine des images étonnantes, inhabituelles, qui habitent la mémoire de Raluca. Miroirs reflets verrière vitrine: tout ce qui se joue de la lumière, bouscule les formes. Les courbes, les orbes, les coins occupent l’espace. Il y a quelque chose de l’instable et du vertige dans la poésie de Raluca. Une géométrie qui défie les lois de l’horizon temporel. Tout semble se dérober. Même les lignes les plus simples. Placer/déplacer/transpercer, tout est mouvant dans l’univers poétique de la poète roumaine. Rien n’est droit ni stable dans les contours, centre/autour. Pas même le paysage hivernal de l’enfance. Pris dans son temps lent gercé de « cicatrices », il échappe aux normes ancestrales:

    « Si on le secoue le paysage retombe comme une peau. »

    Animé de formes mobiles, le monde de la poète l’est aussi d’animaux sculptés dans la pierre, de fossiles, de pelures et de peaux qui se relaient les unes les autres pour former le tissu des images mentales et des rêves, transportant avec elles tout un nuancier de couleurs, ailées, légères. Mais souvent cruelles. La traversée « cursive » des choses, tout comme la solitude, est habitée de monstres, de femmes-oiseaux, d’insectes, de livres « mal rangés ». De souvenirs qui ont mis du temps à réapparaître, à laisser affleurer le passé, à en réorganiser les contours fuyants. À lui restituer une apparence d’équilibre, là où tout est pris dans le chavirement:

    « Par moment notre rue devient un navire, des volumes qui dévalent ordonnés entre un mûrier blanc et un autre noir. »

    Et ce constat : « Comme un remède arrive trop tard: des années à se rappeler les contours absorbés par nos tissus. »

    Tout ce qui est absorbé par l’œil (un œil de photographe ?) est pris dans un jeu de reflets déformés, billes de verre, miroirs en creux, artifices. Tout ce qui capte la lumière, la réfléchit et la transforme par l’entremise d’un champ visuel mouvant et altéré. La vision est celle d’un théâtre et le théâtre est illusion. Illusion de ce qui a été et qui défile, dans une métamorphose inédite:

    « Dans le reflet mon œil qui se voit n’est pas humain.
    C’est autre chose qui me regarde qui n’a ni la forme ni la couleur de mon œil ».

    Tout ce qui faisait la vie, a été froissé ou dépecé. D’où cette mystérieuse formulation:

    « Dans le cri des oiseaux la maison est cette peau retournée. »

    Au cœur de cette tourmente surgissent d’autres silhouettes, d’autres géantes, d’autres contours. Ceux de la mère et de la tante Irina. Toujours reviennent les images du miroir et des cordes, de « la bille de verre soufflé ». Mais le monde n’en demeure pas moins inquiétant avec ces visions « d’organes géants », liés à la mère et aux tubercules qu’elle arrache à la terre.

    « Avec ma mère on déterre des légumes derrière le hangar […]
    Ce qu’on déterre palpite légèrement et devient un enchaînement d’organes géants, plusieurs à la suite, tenus ensemble par de grosses veines ».

    Il semble que ces organes soient ceux de l’enfant en train de naître. Le dernier poème de cette première pierre se clôt sur ce qui semble être une apparition. Une naissance:

    « Je tiens l’origine de toutes les cordes qui sortent d’un sternum immense, renversé contre le fond lointain, du noir et des étoiles.

    Le tout bouge, respire, à la façon d’un inimaginable animal marin. »

    La quête de l’indicible se poursuit dans les deux versions suivantes, qui confirme la poète dans ses démarches:

    « Nous venons ici pour différentes raisons : certains pour bouger, d’autres pour disparaître. »

    Images et mouvements se multiplient, l’œil photographique, aussi, qui s’empare des visions intimes. Qui se saisit de photos anciennes, agrandit les corps, extirpe de « la petite archéologie des placards » nombre d’objets de pacotille et de contes, rend aux femmes d’antan leur chorégraphie de lumière, au temps sa faculté d’allongement. Et toujours cette langue si particulière pour évoquer les gestes d’un quotidien défunt, ces mots du dialecte roumain qui s’immiscent en italique pour dire la tendresse mais aussi le cataclysme qui a tout bouleversé. Un petit lexique, en fin de recueil, donne le sens de ces termes qui surgissent sous la plume de la poète, comme autant de sigils qui ponctuent son existence antérieure, inexorablement meurtrie en une « nuit de fracas ». Or, la vie des hommes continue, qui s’adapte aux nouvelles configurations du paysage et tangue entre rapprochement et éloignement:

    « Les anciens marchaient entre des crevasses […] Ils menaient leurs troupeaux […] D’Autres allaient aux champs […]
    Pourtant, les crevasses s’élargissaient, les colonnes semblaient s’élever, les éloignant les uns des autres. »

    Les pages de Disparition initiale sont un écran sur lequel la poète projette ses visions et se rêves. Images nourries de contes de rituels anciens de rondes de miroirs. De personnages féériques, d’animaux et de corps dont les formes grandissent à partir de contours et d’angles, de cercles et de centres. Tels sont les très beaux poèmes qui composent le dernier recueil de Raluca Maria Hanea, fuyant sans cesse de l’indicible à l’improbable. Un improbable qui prend ses marques se dilue se dérobe et finalement se crée dans la magie des mots. Tout ici est mouvement, tout est animé au long des « trois versions » de déplacements de torsions de lignes de fuite de cadres déformants qui se plient laissent à découvert un milieu et un centre, un entour et un autour. Et aux bords et abords, le pouvoir de moduler à l’infini l’horizon temporel. Le monde de la poète est un monde réduit en poussière. Un monde de sable, de « pierres chaudes, murmurantes », de tombes renversées. Peuplé d’objets hétéroclites et de visages qui se dérobent au gré de ses propres gestes, de sa pensée, de son propre visage. L’espace familier – forêts rochers rivières maisons – change sans cesse. Les couleurs comme les formes, se chevauchent se croisent se mêlent, laissent place à d’autres nuances. La terre bouge, change de place, avale les murs, absorbe le temps et les saisons. Tout dans la circularité de cet espace se dilue. Les sons et les silences, les êtres, leurs danses et leur musique, leur humanité. Ballotée, la poète en survie, cherche à travers les mots de quoi restituer une part de son histoire. « Cette bête en rage qui transperce avec sa corne la joue de sa partenaire », est-ce elle ? Elle a « maintenant mon visage », écrit-elle. Et ce cri, « sorti du corps qui dort » ? Est-ce celui de son être somnambule ? Car le corps chez Raluca Maria Hanea est aussi un être étrange, soumis aux mêmes forces telluriques que la terre. Contradictoires, elles déjectent et ingèrent. Continument. Se métamorphosent au gré du « naufrage ». Ainsi en est-il de la vision :

    « La vision avant qu’elle ne vienne recherche partout son double ».

    Peut-être le double de Raluca Maria Hanea se trouve-t-il dans une statue de pierre sculptée par son compatriote Constantin Brâncuşi?

                                  Un double susceptible de rendre quelque espoir à la poète :

    « La sagesse de la terre retourne cette année dans son calcaire.
    Un grand embryon anonyme sauve ton îlot terrifié. »

     

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    Lire un extrait sur Tdf Raluca Maria Hanea | Disparition initiale

     

  • James Sacré | De la matière autant que du sens

                                                                                                                                                                                            <<Poésie d'un jour

     

     

    Coeurs-à-venise-_Fotor

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PHOTO G.AdC 

     

     

     

                                                  MOTS

     

    Graver dans mes mots que t’as cru
    Ça serait pour l’éternité
    L’éternité pas plus loin
    Que ce poème en train :
    La voilà passée.

                                                     **

    Sur de grandes parois de grès rouge
    (Et pas loin presque toujours
    Le vert des peupliers cottonwoods)
    Des Indiens d’un très ancien temps
    Ont gravé des figures qui sont peut-être des mots.
    Mais le temps parfois fait qu’une plaque de grès s’effondre
    (poussière)
    Des fragments sont maintenant dans les musées :
    On entend la pierre des mots
    Rouler au fond du temps. Et le temps
    C’est là juste à côté, un poème (une fumée).

                                                    **

    Écrire un poème c’est peut-être croire
    À je ne sais quoi qu’on graverait dans les mots
    Dans les mots, ou dans la forme
    Que peu à peu prend le poème.
    Quand le poème est écrit
    Tu fais passer dessus le papier de ta pensée :
    Une lecture comme on dit ; c’est jamais
    La parfaite gravure qu’on voudrait.

     

     

                                                 PENSEE

     

    Poèmes pour accompagner
    Qui ont cru mieux penser
    Et n’ont rien montré.
    Rien de si vivant
    Dans les mots.

                                                       **

     

    Lorsque deux ou trois poèmes me sont venus, donnés
    Autant par des paysages traversés que par avoir pensé
    À des gravures de quelqu’un
    Je me dis qu’il faut remettre à demain
    L’envie d’en écrire d’autres, que sinon
    Je m’en vais rabâcher les mots déjà proposés
    Mais sans doute que j’ai tort, écrire, écrire encore
    Jamais c’est la même gravure de mots.

                                                     **

     

    Poème ou gravure :
    Ne voit-on que de l’encre
    Qui touche à du papier ?

     

     

     

    Sacré matière

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    James Sacré, « Gravures » in De la matière autant que du sens, (En compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch,
    Éditions Al Manar 2022, pp. 42, 43.

     

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    J A M E S   S A C R É

    Sacre-james2

                Source

    ■ James Sacré
    sur Terres de femmes ▼

    → Le paysage est sans légende (lecture de Tristan Hordé)
    → Dans le format de la page (extrait de Le paysage est sans légende)
    → Figure 42 (poème extrait de Figures qui bougent un peu)
    → Le désir échappe à mon poème
    → Je t’aime. On n’entend rien
    → Parfois
    → James Sacré, Lorand Gaspar | Dans les yeux d’une femme bédouine qui regarde
    James Sacré,« Viens, dit quelqu’un » in Une fin d’après-midi continuée, Trois livres « marocains »,

     

     

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) James Sacré/Un paradis de poussières (article de Jacques Josse)
    → (sur Loxias) une bio-bibliographie de James Sacré
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix) un article de James Sacré (« Une boulange de lyrisme critique »),
          texte paru dans la revue Le Nouveau Recueil (éditions Champ Vallon)
    → (sur Terres de femmes| rouge | (Angèle Paoli)

     

  • Étienne Rouziès | La Montée

                                                                                                                                                                                   <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    BRUME

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     "Comme un poumon qui se remplit d’air"
     Photo: G.AdC 

     

     

     

                                              XXVIII

    Nous sommes au cœur du sablier.
    Chemin, temps, troupe s’étirent.
    Nous passons grains à grains.

     

                                              XXIX

    Il y a un grand serre face à nous,
    abrupt, rude, pierreux.
    La grande tour de la forteresse.

    Dans nos bouches, son nom
    prend le temps de ralentir
    pour mieux en dire l’épreuve.

                                              XXX

    L’espace s’ouvre,
    pierre fichée dans la lande.

    L’espace des sphynx et des
    têtes de bélier.

                                              XXXI

    Comme un poumon qui se remplit d’air,
    la montagne se couvre de brebis.

    La montagne prend une grande bouffée de laine.

                                               XXXII

    Au col la brume et sur la route
    quatre bergers qui émergent
    au milieu.

    Ils portent chacun un bout de
    ciel noir sur l’épaule.

    Un bout de ciel à manche de bois.

    Leurs rires annoncent le repas.

    Ni chevaliers ni moines
    mais la fidélité des pastres.

                                                  XXXIII

    La sieste.

    Chacun sous son manteau
    à même la terre
    à écouter la pluie par en -dessous
    et sa respiration,
    à sentir la lande contre soi.

    La sieste.

    Pour un temps pierres
    parmi les pierres du chaos.

     

     

    Rouziès

     

     

     

     

     

     

     

    Étienne Rouziès, « Premier jour » in La Montée, notes de transhumance, La Rumeur libre Éditions, 2023, pp. 40, 41, 42, 43, 44, 45.

  • Christian Viguié | Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

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    Source 

     

     

     

    Lorsqu’un oiseau devient
    un simple point dans le ciel
    la distance entre lui et moi
    se transforme en un bâton
    pour marcher

    Je dis cela
    parce que je ne suis pas
    encore habitué
    aux mille lois du monde

    J’ai planté un bâton
    dans une moitié de ciel
    dans une moitié de terre
    juste pour me retrouver
    et me perdre

     

     

    Viguié

     

    Christian Viguié, Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux,
    Œuvres de l'artiste Cécile A.Holdban, L’Ail des ours /n° 19, Collection Grand ours, 2023, p.44.

    Voir la note de →  L'Éditeur

     

     

  • Claudine Bohi | Anne Slacik |Parfois l’un d’entre nous

    << Poésie d'un jour

     

     

     

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    Peintures d'  → Anne Slacik

     

     

     

    vous le savez peindre c’est disparaître et
    renaître plus grand et renaître plus large
    c’est reprendre la mer rejoindre au fond des yeux
    la grand-mère des humains il y a dans vos peintures
    un souffle d’origine tous nos corps se retrouvent dans
    cette mise au monde oui dans cet interminable balancement
    dans ce roulis étrange et qui n’a pas de nom
    parfois l’un d’entre nous témoigne de nos sources et
    qu’elles n’ont pas de fin et qu’elles n’ont pas de peur
    et parfois l’un de nous vient nous remettre au ventre
    et d’un coup nous libère il y a tant d’espace
    avec tant de couleurs « nous ne sommes pas au monde »
    ouvrez donc vos bras neufs ouvrez votre poitrine
    prenez les yeux du peintre ils sont plus grands que lui
    redevenez vivants
    entrez dans la peinture comme on entre en soi-même

     

    Bohi Slacik

     

     

     

     

     

     

     

    Claudine Bohi | Anne Slacik, Parfois l’un d’entre nous, L’Herbe qui tremble, 2023, pp.42,43.

    Claudine Bohi sur → Tdf

     

  • Vignale, le jardin partagé | Les ricochets poétiques d’Angèle et Marie.T | Lettre N° 17

     

                                           Oubli ??????

     

     

     

     

     

     

      Sur le môle (2)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Canari, le 24 juillet 2023 Photo Angèle Paoli

     

    Ma chère Grande,

     

    Au moment où tu as écrit cette 16è lettre de notre jardin partagé, j’étais en Écosse. Un voyage de plus de trois semaines que j’ai vraiment beaucoup aimé. Aujourd’hui, plus de deux mois plus tard, je relis ton papier et je me lance dans une réponse qui sans doute sera de bric et de broc. Et sans doute en plusieurs étapes temporelles, tant il m’est difficile de me réhabituer à notre temps dévastateur. Pour tout dire, j’ai perdu le fil et ce n’est pas le vent fou de ce soir qui va m’aider à le retrouver. Depuis mon retour, il s’est passé tellement de choses que je ne sais au juste par où ni comment commencer. Il y a eu le Marché de la Poésie – dont je sais le regard distancié que tu portes sur cet événement annuel – avec de très beaux moments de lectures de rencontres de partages. Et de vrais moments d’émotion. Ce temps-là est toujours pour moi une réserve de surprises et de plaisirs. Bien entendu, j’ai rapporté nombre de recueils, dont j’ai fait une mise en lignes (partielle) sur TdF tous ces derniers temps. Avec deux lectures-phare pour moi, dans des genres très différents, bien sûr: Stations de Samira Negrouche et le recueil d’Emmanuel Merle. Avoir lieu. Et Puis il y a eu l’arrivée des Santelli, le retour sur nos photos d’Écosse, la plage quotidienne sous un soleil de plomb. En réalité, je suis cuite, recuite et je n’en peux plus de cette canicule qui colle à la peau et me transforme en limace gluante. Il y a eu le temps avec mes frères et pour moi, un surcroit de travail. Il y a eu aussi de bons moments au village, des soirées musicales, des repas sur la terrasse avec couchers de soleil somptueux. Des rencontres. L’été, qui n’est pas de tout repos, va battre son plein à partir de demain avec l’arrivée des enfants et ados. J’appréhende un peu les ados… et je ne suis pas la seule, mais j’espère que ce temps familial, s’il ne s’annonce pas très paisible, j’espère du moins qu’il sera convivial et détendu. Pour mettre toutes les chances de ce côté-ci de la balance, j’ai fermé TdF et me suis inscrite dans la pause annuelle des « vacances ». J’inaugure ce temps de répit, en venant à ta rencontre. Il est plus que temps.

    Je me souviens avoir été bouleversée en te lisant. C’était sans doute dans l’étape qui a précédé l’île de Skye. Tes souffrances physiques, tes difficultés à te déplacer et cette ligne de mire qu’est l’opération des genoux, m’ont affectée. Néanmoins j’ai pensé à toi, chaque jour, toi immobile et bouclée dans la fournaise de ta ville, moi sillonnant les paysages sublimes d’Écosse. J’ai aussi pensé à quelques-unes de mes amies les plus chères. J’aurais aimé vivre avec toi, avec elles, ce temps miraculeux dans une île dont j’ignorais tout (ou presque) et qui m’a littéralement happée. Mais je n’ai pu réaliser de randonnées dignes de ce nom. La grande balade dans les Cullins, au fin fond d’un loch sur l’île de Skye m’a fait sentir les limites que je ne peux dépasser. En réalité marcher sur des sols tourbeux n’est pas facile et j’ai vite compris que je ne pouvais pas prétendre à grand-chose sur ces terrains apparemment simples mais terriblement accidentés. Quant à la montée vers le château-forteresse d’Edimbourg, elle ne s’est pas faite sans souffrance. Heureusement, j’avais pris la précaution de me munir d’un tube d’Arnigel et les massages quotidiens des genoux m’ont permis d’affronter. La raideur des escaliers séculaires et la chaleur accablante. Et ensuite de poursuivre nos virées sans trop de mal.

    J’ai rapporté des montagnes d’Écosse un poème qui paraîtra dans le prochain numéro de la revue Bacchanales, sans doute à l’automne.
    J’ai découvert en te lisant tout ce que j’ignorais de tes années estudiantines à Paris, tes tribulations, tes exigences et tes déceptions, lesquelles t’ont inoxidablement marquée. J’ai bien aimé le récit que tu fais de ces années-là. Je le trouve très intéressant, très vivant et très riche en même temps d’analyses personnelles et de notations sur le vif. Je n’ai pas bien compris quelles études tu envisageais… Médecine ? Puis tu as été contrainte de bifurquer à cause de ce fichu « numerus clausus » dont la médecine paye aujourd’hui plus que jamais les aberrations. J’ai gardé en mémoire les discussions véhémentes de nos amis médecins de l’époque qui dénonçaient cette extravagance. Mes cousins Santelli, tous deux médecins, l’un à la retraite, l’autre toujours en activité, en parlent très souvent.

    Ma vie d’étudiante à moi, très différente de la tienne, n’a pas été non plus très facile ni très argentée. Mais à la différence de toi, je n’étais pas seule. Yves et moi travaillions ensemble, lui, dans sa chambre d’étudiant en Lettres classiques, moi dans la mienne en Lettres modernes, séparés la nuit par la force des choses (c’était avant les événements de Mai 68), ensemble le jour pour arpenter le Vieux Lille ou les champs des betterave d’Annappes. Ce temps-là a duré deux années. Puis, mon père ayant quitté le Nord et ayant été nommé à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, nous avons fait nos valises – sans regret- et avons rejoint la faculté des lettres d’Aix pour y poursuivre nos études. Là, notre vie a changé, partagée entre les études, les fiestas avec nos nouveaux amis, les soirées interminables, les déambulations nocturnes, les virées sur la côte, les bains de mer improvisés avant de retourner à la ville et au sérieux, tout relatif, de nos études. Il y avait souvent autour de la table de grands maîtres – Raymond Jean ou Paul Veyne, notamment – qu’Yves avait en cours d’Histoire Romaine. C’était un grand intellectuel dont Yves admirait le savoir et le talent, avec qui les discussions inépuisables allaient bon train. Jusque tard dans la nuit. Nous vivions dans une mini-communauté. Nous partagions notre appartement avec deux de nos amis, chacun ayant sa chambre. Yves était Ipessien et, en tant qu’élève-professeur, rémunéré, ce qui était très agréable. Notre amie Jacqueline était ipessienne, elle aussi. Elle était d’extrême gauche et aimait à la folie un pote d’extrême droite. C’était la bagarre permanente. C’était violent. Mais c’était la vie. Une vie violente. De petits bourgeois qui rêvaient de s’encanailler. L’époque était mouvementée – c’était la suite de « l’affaire Gabrielle Russier » -, les tournages de Cayatte dans la ville et sous les fenêtres du Palais de Justice avec banderoles, affiches, charivari. On était tout le temps dehors (ça nous changeait des pluies sur les plaines de Lille et des soirées enfumées dans les locaux de nos résidences) ; on manifestait. Mon père encaissait, sans nous réprimander. Il était avec nous. De notre côté. Nous le retrouvions parfois sur la place du palais, apaisée, en grande discussion avec les ténors du barreau, Me Pollack, Me Lombard. Et d’autres dont j’ai oublié le nom. Nous étions fiers et admiratifs, fiers d’être là, au milieu de ces grandes voix et de les écouter.
    C’était Aix. Nos années aixoises. Colorées, animées, joyeuses, fantaisistes. Assez insouciantes et privilégiées (pas forcément sur le plan pécuniaire mais dans l’état d’esprit du moment, ivresse de notre jeune et « immortelle » liberté.)

    C’est à Aix que nous nous sommes fiancés, puis mariés. Nos deux filles sont nées dans cette ville que j’ai beaucoup aimée. Emmanuelle a partagé dans son jeune temps nos années folklo. Elles ont pris fin en septembre 71. Nous avons dû quitter Aix. Et nous avons repris, le cœur gros, très gros, la route du Nord. Pour nous installer à Amiens où j’ai eu mon vrai premier poste.

    Aujourd’hui je n’ai plus aucune attache à Aix. Notre meilleure amie de cette époque – Jacqueline – est morte du cancer du fumeur (conséquence de ses soirées tabagiques) en juin 2020, un an à trois jours près de la mort d’Yves. Je crois que je ne remettrai pas les pieds dans cette ville. Je préfère désormais arpenter des terrae incognitae, que je n’ai jamais eu l’occasion de parcourir avec Lui. Je suis tentée par le Pays de Galles, par exemple. Ou par des villes d’Italie où je ne suis jamais allée. Tout mon amour de l’Italie se trouve dans mes recueils – Italie Fabulae et Lauzes. Et dans ma mémoire, ce peu de choses qui nous reste de tout ce que nous avons aimé et dont nous pensions que les mots nous garantiraient de la perte. En réalité il ne reste qu’une poignée minuscule de chacun de ces souvenirs. Mais il reste tout de même une empreinte et celle-là, elle est secrète, indicible. Elle s’efface au fur et à mesure que l’on cherche à mettre la main dessus et à lui assigner résidence. Et c’est mieux ainsi.

    Pour répondre à ta question sur le « toboggan » qui nous conduit vers l’inéluctable, bien sûr que j’y pense. Ce n’est pas tant la mort qui m’effraie que la maladie sournoise qui fait soudain irruption sans crier gare et qui nous mène à sa guise. Je suis entourée – comme toi aussi, sans doute- de personnes, amies ou non, qui se réveillent avec une tumeur cérébrale ou un cancer insoignable. Qui modifie totalement le regard que l’on avait jusque-là sur la vie, modifie la vie elle-même, transformée en enfer médicalisé. La longue maladie d’Yves m’a mise à rude épreuve jusqu’à la fin, que je tente de mettre en mots sans réellement y parvenir. Je sais bien que mon tour viendra, sous quelle forme, je ne sais pas. Nous ne saurons jamais ni l’heure ni la forme que prendra le dernier virage. Je peine à comprendre que nous ayons pu être et soudain n’être plus. C’est la seule expérience vitale qui nous échappe totalement ; dont le sens et la compréhension nous échappent vraiment. Pour le moment, je profite de ce temps qui m’est octroyé, je profite de ma santé qui n’est pas si mauvaise – à ce que je crois- ; mais cela aussi peut changer, du jour au lendemain. Et comme toi, je ne m’ennuie jamais. J’ai mon rythme de vie, plage à partir de 17h jusqu’à 20h30, en ce moment. J’ai mes petites-filles (elles sont grandes et me dépassent, et mon petit-fils), ils sont très autonomes et s’activent à fabriquer des trucs auxquels je ne comprends rien. À la plage, je bouquine. Je mène plusieurs lectures à la fois. Danube de Claudio Magris (1990). Mieux qu’un livre d’histoire pour comprendre l’évolution de l’Europe et les dangers qui la minent. De longue date. Ce livre-là (je l’ai déjà lu et je le relis), je le lis l’après-midi (à l’heure de la sieste) ou la nuit, lorsque j’ai une insomnie. Il y a un extrait dans TdF.

    J’en choisirai sans doute un autre pour la rentrée, tant ce livre est passionnant. À la plage, entre deux baignades, je lis D’une seule vague de Patrick Quillier. Une vaste épopée, tant sur le plan de l’écriture que sur la matière dont Patrick Quillier s’est emparé. Pour le moment je prends des notes sur cette œuvre d’envergure, portée par le souffle épique qui est aussi un souffle lyrique. Il y a de très beaux passages, très envoûtants. Quillier poète se distingue des formalistes – dont il n’est pas – pour se consacrer à une forme de poésie qui, je le croyais, n’avait plus cours. Lyrique et épique. Sans doute pas du goût de tout le monde. Mais cette poésie-là, celle de Quillier, embrasse toutes les formes de chants, litanies, motets, symphonies, modulations, voix… Pour ramener sur le devant de la scène et dans un immense filet, tous les poètes disparus, toutes les voix porteuses des dénonciations multiples – poètes rhapsodes aèdes bardes griots musiciens chamans… – depuis les origines jusqu’à nos jours… Ce Quillier-là est du côté des opprimés, tous les opprimés de la terre, depuis les temps bibliques jusqu’aux massacres, désastres, exterminations, meurtres, destructions qui rongent continument notre monde. Il faut prendre son souffle avec lui, il nous y engage, lectrices et lecteurs :

    « craquez craquez fissures dans toutes les murailles du temps
    criquets venez vrombir ici ô criquets de tous les esprits » (p. 17)

    « ô criquets de tous les esprits venez vrombir ici criquets
    dans toues les armures dans tous les murs fissures craquez. » (p.485)

    Tel est le leitmotiv qui court dans cette immense fresque poétique, injonction à prendre part avec lui à l’immense vague qui conduit à la révolte. À se laisser enrouler par elle, et emporter pour rejoindre la non moins immense cohorte de ceux et de celles qui continuent de faire vibrer la poésie par leur chant. Un brin utopique et fou. Mais cette folie-là, comment ne pas la rejoindre ?

    Simine Behbahani Dighenis Akritas Benjamin Fondane Radnóti Miklós Jean Sibelius Nazim Hikmet Siegfried Sassoon Jacques Darras To Huu Loys Masson Dominique Tron…et tant d’autres dont il me faut relire l’épopée ; parmi lesquels Olivier et Roland Jeanne d’Arc Nausicaa Fernando Pessoa Claude Ber René Char Mahmoud Darwich Armand Gatti Serge Pey… Le dernier qui boucle momentanément la vague. Laquelle annonce une suite. Un magnifique et envoûtant Canto General !

    En cet instant où je vais sans doute opter pour la sieste, je sens monter en moi les mots de l’émotion et le désir d’entrer dans la geste du poète. Je vais la relire, au rythme de la vague, tout à l’heure. Et me laisser prendre à la force de son rythme.
    Dans l’attente de ce moment- exaltant- je t’embrasse, où que tu sois. Je t’espère au frais dans ton village d’Ardèche.

    Mille et une bises,

    Angèle

     

     

    Voiles au vent

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Centuri, Été 2023 Photo Angèle Paoli 

     

  • Paul-Henry Vincent | Coule de source

     

                                                                                                                      <<Poésie d'un jour

     

    VAGUE LUCHINI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                                                                  Illustration ©Monique Lucchini

     

     

     

    coule de source
    la belle avancée
    que nous formons
    vaste mouvement
    de nous tous assemblés
    impossible de résister
    à notre vague déterminée
    en chute libre dégringole
    notre déversement grossissant
    le gonflement de notre masse
    en croissance incessante notre élan
    se projette en torrents et cataractes
    ça râle et ça ronfle et ça vibre alentour
    la colère insensée se répand en horde sourde
    la foule s’écoule de nous tous en assemblée liquide
    envahissement déterminé de tout l’espace à dominer

    au fond
    des gorges
    où nos eaux
    roulaient
    furieuses
    au péril des gabares
    chargées du bois
    en partance
    vers les caves
    bordelaises
    en ce moment
    notre lit commun
    a pris du large
    a pris du fond
    et s’est bien assagi
    les barrages en sont
    la raison

    nous voici donc
    devenus
    ce large et long
    plan d’eau
    sillonné de bateaux
    de plaisance
    avec ses plages
    et son château
    sur sa butte
    devenue
    île

    en aval d’Argentat
    est venue nous rejoindre
    la Maronne
    et non loin de Beaulieu
    c’est au tour de la Cère
    deux autres filles
    du volcan
    Cantalou

     

                                                       Paul-Henry Vincent, Coule de source, Éditions Musimot, 2023, Couverture et illustrations, Créations graphiques©Monique Lucchini