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  • 12 septembre 1940 | Découverte de la grotte de Lascaux

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 12 septembre 1940, quatre jeunes garçons, Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Jojo Agnel et Simon Coencas se lancent dans l’exploration du « trou », sis sur « la colline du petit domaine où se dressait le manoir de Lascaux ».







    Decouverte_de_lascaux
    Une visite historique en 1940, à la lampe à acétylène.
    Au centre, bras tendu, le comte Bégouën et l’abbé Breuil.
    Assis Jacques Marsal et Marcel Ravidat.
    (Ph. © M. Larivière. – Archives Laval)







    IL EST UN STYLE LASCAUX



    Il est un style Lascaux. On le connaît bien depuis les travaux d’André Leroi-Gourhan. Des bêtes au corps ballonné, à la tête petite, au pelage souvent indiqué, aux membres courts et animés : voilà les éléments majeurs de leur portrait-robot. On ne pourrait, en les superposant, faire coïncider le gabarit d’un animal de Lascaux avec la silhouette de son modèle vivant. Qui plus est, les dimensions respectives des diverses espèces ne sont pas ici conservées et varient d’une figure à l’autre.

    Mais il y a plus déroutant encore. La recherche non de la vérité, mais du tracé anatomique le plus explicite, celle aussi d’un bon rendu des volumes ont conduit l’artiste à inventer une perspective originale. Artificielle mais convaincante. Et la position, sur la paroi, de chacun de ces animaux ― par rapport à la topographie de la caverne, aux limites et aux accidents des panneaux, au sol naturel ou fictif, aux animaux voisins ―, n’est pas aléatoire : témoin d’un choix délibéré, d’une syntaxe dont l’essentiel nous échappe encore.





    Lascaux_2
    Grotte de Lascaux : cheval ocre-rose inscrit dans l’aurochs n° 9.
    La Rotonde, paroi nord.





    Au début : le rocher nu. Lascaux n’est pas une exposition de tableaux animaliers accrochés aux cimaises. Lascaux est un sanctuaire organisé où peintures et gravures s’intègrent parfaitement à leur support rocheux. La caverne choisie n’est-elle pas, d’emblée, une des plus belles, sinon la plus belle, de cette vallée de la Vézère qui en compte de nombreuses ? Et pour cause : une couche de marne imperméable, au-dessus d’elle, a empêché la formation de stalactites et de coulées stalagmitiques. Les peintures ornent habituellement les panneaux immaculés, couverts de rugueux cristaux de calcite (SDT, DA et jadis P), laquelle a peu progressé depuis le Magdalénien (fond du DA) ; les gravures et les gravures-peintures occupent les autres surfaces, où le calcaire, ocre et granuleux, est à nu. Ces murs sont demeurés presque intacts. Quelques écailles rocheuses ont desquamé, parfois avant la venue des peintres, plus rarement après leur départ ; les parois du Passage, usées par l’action des lents courants d’air, ne conservent plus guère que des gravures nichées dans de petites conques et les vestiges évanescents de grands animaux peints.
        Les dimensions des panneaux ne sont point sans limites. Leur forme et leur surface en conditionnent l’ordonnance graphique : des frises s’allongent le long des couloirs (DA, P, N, PS, DF), se déploient autour de la demi-rotonde de la salle des Taureaux, tournent autour de la coupole de l’Abside. Des accidents rocheux forment un cadre naturel à certains ensembles : petites conques portant les gravures du Passage, alvéoles plus larges du panneau de l’Empreinte ou des bisons croupe à croupe, dièdre rocheux sur lequel s’enroule le Cheval renversé. Parfois même la limite du panneau a contraint l’artiste, faute de place, à tasser ici le dos d’un bison, là, un peu, celui d’un cheval. D’autres reliefs ont été utilisés parfois et font désormais partie de la silhouette animale : une écaille forme le dos du cheval 12 et la gorge du 43, un petit trou est devenu l’œil de leur congénère 33 ; des rotondités soulignent un segment du contour d’un des cerfs 11, la tête et la croupe du petit ours 17, et peut-être la croupe du bison 14 ; une plaque d’argile, plus foncée que le rocher, donne sa couleur au corps du bison 52 bis.

    En outre, tous ces panneaux n’étaient pas parfaitement accessibles pour les artistes. Cette difficulté d’accès explique sans doute le caractère un peu rudimentaire, rapide, de certains tracés : 52 bis au fond du Puits, 64 nécessitant une escalade, gravures de petit format de l’étroit Diverticule des Félins.

    Une dernière limite tient à l’homme même : le champ manuel. L’artiste demeurant immobile, sa main décrit, en effet, un champ circulaire d’environ un mètre de diamètre. Les gravures sont à cette échelle. Tout comme certaines peintures (11, 16, 30, 36, 37-39, 41, 52 bis, 56 bis, 57-61, chevaux de 63, 64). Mais la plupart des animaux peints sont bien plus imposants (jusqu’à 5,50 mètres de long pour le taureau 18) et ont nécessité le déplacement, pas toujours aisé, du peintre devant la paroi.





    Le sol imaginaire. Le sol sur lequel évoluent les bêtes de Lascaux n’est jamais explicitement matérialisé par un trait peint ou gravé. Pourtant il est presque toujours présent : une corniche naturelle (ou parfois quelques reliefs secondaires : 28, 40, 42-45) en tient lieu. Elle court le long des parois, elle sépare les panneaux décorés, réguliers et clairs, en haut, des surfaces accidentées et sombres, plus basses, qui ne portent que de rares figures peintes (27, 33, 34, 52 bis, 65, parois de l’Abside) ou gravées, dont les traits clairs tranchent alors sur l’obscurité du fond (« main courante » de l’Abside). Sur ce sol ainsi matérialisé, ou même parfois totalement imaginaire, stationnent ou s’animent les animaux, debout, le corps horizontal ou parfois un peu oblique (26, 28,42, 45, 63 droite, 64 N1). Le Cheval renversé (31), au fond du Diverticule axial, et l’homme étendu (52 bis), au fond du Puits, sont les deux seules exceptions, assurément volontaires. Quelques peintures (22-24) et des gravures (P, A, DF) décorent des voûtes ou la partie haute, plafonnante, des parois : sans sol, certains animaux paraissent alors un peu « flotter », au hasard, dans l’espace.





    Lascaux
    Grotte de Lascaux : aurochs 9 et 13, affrontés,
    séparés par le Cheval flottant et les petits cerfs élaphes.
    La Rotonde, face nord.





    Tout un bestiaire à mettre en scène. Au sein même de chaque panneau, les animaux ne sont pas placés dans le désordre, juxtaposés ou superposés au gré de l’inspiration de l’artiste. Des arrangements sont patents. Un thème fréquent est l’association d’un grand boviné (taureau, vache ou bison) et d’une file de petits chevaux, en troupeau, marchant pour la plupart en sens inverse (1-13, 35-41, 42-45, 57-62, 63). D’autres groupements traduisent le comportement naturel des espèces : bouquetins affrontés (36 et 37), hardes de bouquetins mâles (56 bis) ou de cerfs (64), bisons croupe à croupe (65), groupe de félins (56-58 et 61-63). Mais l’ordonnance d’autres figures, en symétrie, ne nous paraît pas relever de modèles naturels : ainsi les deux groupes d’aurochs et de chevaux s’opposant dans la Rotonde, la rosace plafonnante groupant les têtes des vaches 23, 24 et 44, le taureau 26 et le cheval 28 s’éloignant l’un de l’autre (chacun vers un signe ramifié), l’hémione 27 et son vis-à-vis, le cheval 61 et le bison 62 aux croupes superposées.

    A dire vrai, en dehors des affrontements et des troupeaux, nous ne savons pas lire les liens unissant tous les éléments de ce bestiaire. L’art pariétal paléolithique paraît ignorer le récit et l’anecdote. […]



    Mario Ruspoli, Lascaux, Un nouveau regard, Bordas, 1986, pp. 162-163-164. Préface d’Yves Coppens.




    Abréviations :
    SDT : Salle des Taureaux ;
    DA : Diverticule axial ;
    P : Passage ;
    A : Abside
    PS : Puits ;
    N : Nef ;
    DF : Diverticule des Félins.



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  • 11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain

    Éphéméride culturelle à rebours



    Londres__bombardee_en_1940_2
    Montage photographique, G.AdC




    RAIDS SUR LONDRES


    Mercredi 11 septembre



        « Churchill vient de parler. Un discours clair, sobre, robuste. Il nous a dit que l’invasion se prépare. Si elle doit avoir lieu, c’est apparemment dans la quinzaine qui vient. Des navires et des péniches sont massées dans tous les ports français. Le bombardement de Londres prépare, de toute évidence, cette invasion. « Notre majestueuse cité… etc. », ce qui me touche, car je trouve Londres majestueux. « Notre courage, etc. » Un autre raid sur Londres la nuit dernière. Une bombe a, cette fois, atteint le palais. John a téléphoné. Il était à Mecklenburgh Square la nuit du raid. Il demande le transfert immédiat de la maison d’édition. L. doit aller à Londres vendredi. John dit que nos fenêtres sont brisées. Il loge je ne sais où. On évacue le square. Un avion a été abattu sous nos yeux sur le champ de courses, juste avant le thé. Un accrochage, un gauchissement, puis un plongeon et une explosion d’épaisse fumée noire. Percy dit que le pilote a été projeté. Nous nous attendons toujours à un raid vers huit heures trente. De toute façon, qu’il ait lieu ou non, nous entendons à cette heure-là le sinistre bruit de scie qui s’intensifie, puis diminue. Une pause, et cela recommence. Nous disons: « Ils ont remis ça », assis chez nous, moi à mon travail, L. roulant des cigarettes. De temps à autre, on entend une explosion. Les vitres tremblent. Et nous savons que Londres est de nouveau bombardé. »

    Virginia Woolf, Journal d’un écrivain [A Writer’s Diary, 1953], Christian Bourgois Éditeur, 1984 ; Bibliothèques 10-18, 2000, pp. 545-546. Traduit de l’anglais par Germaine Beaumont.




    Note : le 11 septembre 1940 est le jour où Hitler avait prévu d’envahir l’Angleterre. Lire/écouter :

    => (sur le site Battle of Britain Historical Society) The Battle of Britain 1940 : Tuesday 10th September – Wednesday 11th September 1940
    => (sur Canal Académie) Les trois jours où Hitler a perdu la guerre.






    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
    Image, G.AdC



    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Virginia Woolf, Flush (note de lecture)
    Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
    Virginia, lectures croisées



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
    Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)





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  • 10 septembre 1897 | Naissance de Georges Bataille

    Éphéméride culturelle à rebours




    Le 10 septembre 1897 naît à Billom dans le Puy-de-Dôme Georges, Albert, Maurice, Victor Bataille, fils de Joseph-Aristide Bataille, syphilitique et aveugle, et de Marie-Antoinette Tournadre.






    Georges Bataille
    Image, G.AdC






    EXTRAIT I, BIOGRAPHIE



    De son enfance on ne sait que peu de choses : les souvenirs qu’il en a sont rares dès l’instant qu’ils n’intéressent pas de près ses parents (rares du moins sont ceux qu’ils donnent). Pas de souvenirs de jeux ; pas de souvenirs d’amitié. Rien qui associe de quelque façon que ce soit l’enfance au merveilleux. Même la ville terrifie : terrifiantes sont les architectures industrielles, avec leurs cheminées d’usine, « entre le ciel sinistrement sale et la terre boueuse empuantie des quartiers de filature et de teinturerie ». Cependant, quelque souvenir qu’il évoque de cette enfance, il ne semble pas qu’on ne puisse pour finir le rapporter aux terreurs suscitées en lui par l’affligeante infirmité de son père (il ne semble pas qu’on puisse d’aucune façon faire de Georges Bataille un enfant qui en fût indemne). Ce serait sans doute le cas lorsque, s’ennuyant à l’étude du lycée où il était pensionnaire, il dit s’être adonné aux délices de l’automutilation : « J’avais saisi mon porte-plume, le tenant dans le poing droit fermé, comme un couteau, je me donnai de grands coups de plume d’acier sur le dos de la main gauche et sur l’avant-bras. Pour voir […] pour voir encore : je voulais m’endurcir contre la douleur. » (Cette douleur « tentée » n’est-elle pas d’une façon ou d’une autre associable à celle qu’endurait son père ?) Il y a toutefois plus grave, plus « malade » (« malade » à mesure qu’obsèdent les terreurs associées à l’infirmité paternelle) ; Bataille ne l’a jamais écrit aussi crûment mais il a été longtemps convaincu que son père s’était livré sur lui à des avances obscènes (incestueuses et pédérastes ; il aurait même parlé plus tard de « viol ») ; celles-ci auraient eu lieu dans la cave de la maison rémoise, une cave réelle, à laquelle on accédait par un long et étroit escalier « à la Piranèse », par ailleurs associée à des terreurs durables et récurrentes : celles des rats et des araignées, par exemple, qu’il ne perdit jamais. Tout au plus dira-t-il dans un texte prudemment intitulé Rêve qu’il revoit son père « avec un sourire fielleux et aveugle étendre des mains obscènes » sur lui (« ce souvenir me paraît le plus terrible de tous »). Longtemps il est resté convaincu, jusque tard dans sa vie, que son père avait eu des gestes « déplacés » sur l’enfant qu’il était (« Ça me fait l’effet de me rappeler que mon père étant jeune aurait voulu se livrer à quelque chose sur moi d’atroce avec plaisir. ») Cette idée ne l’a quitté que des années plus tard, quand on lui a fait valoir, rationnellement que, infirme, il n’était pas possible que son père descendît à la cave de l’habitation rémoise ; pas possible donc qu’il se soit livré là sur lui à quelque voie de fait que ce soit. S’il descendit à la cave, ce fut seul, et accompagné de ses seules terreurs ; il ne fait cependant pas de doute qu’a pu lui paraître « déplacé » et « obscène » tout geste tendre de l’infirme sur lui…



    Michel Surya, Georges Bataille, La Mort à l’œuvre, Librairie Séguier, 1987, pp. 26-27.







    EXTRAIT II

    5. Du rire érotique à l’interdit



    Dès qu’il envisage l’érotisme, l’esprit humain se trouve devant sa difficulté fondamentale.

    L’érotisme, en un sens, est risible…

    L’allusion érotique a toujours le pouvoir d’éveiller l’ironie.

    Même à parler des larmes d’Eros, je le sais, je puis prêter à rire… Eros n’en est pas moins tragique. Que dis-je ? Eros est avant tout le dieu tragique.

    On sait que l’Eros des Anciens put avoir un aspect puéril : il avait l’aspect d’un jeune enfant.

    Mais l’amour n’est-il pas, à la fin, d’autant plus angoissant qu’il prête à rire ?

    Le fondement de l’érotisme est l’activité sexuelle. Or, cette activité tombe sous le coup de l’interdit. Il est inconcevable ! il est interdit de faire l’amour ! À moins de le faire en secret.

    Mais si, dans le secret, nous le faisons, l’interdit transfigure, il éclaire ce qu’il interdit d’une lueur à la fois sinistre et divine : il l’éclaire, en un mot, d’une lueur religieuse.

    L’interdit donne sa valeur propre à ce qu’il frappe. Souvent, à l’instant même où je saisis l’intention d’écarter, je me demande si, bien au contraire, je n’ai pas été sournoisement provoqué !

    L’interdit donne à ce qu’il frappe un sens qu’en elle-même, l’action interdite n’avait pas. L’interdit engage à la transgression, sans laquelle l’action n’aurait pas eu la lueur mauvaise qui séduit… C’est la transgression de l’interdit qui envoûte…

    Mais cette lueur n’est pas seulement celle que l’érotisme dégage. Elle éclaire la vie religieuse toutes les fois qu’entre en action la pleine violence, celle qui joue à l’instant où la mort ouvre la gorge ― et termine la vie ― de la victime.

    Sacré !…

    À l’avance, les syllabes de ce mot sont chargées d’angoisse, le poids qui les charge est celui de la mort dans le sacrifice

    Notre vie tout entière est chargée de mort…

    Mais, en moi, la mort définitive a le sens d’une étrange victoire. Elle me baigne de sa lueur, elle ouvre en moi le rire infiniment joyeux : celui de la disparition !…

    Si je ne m’étais, en ces quelques phrases, enfermé dans l’instant où la mort détruit l’être, pourrais-je parler de cette « petite mort », où sans vraiment mourir, je m’affaisserai dans le sentiment d’un triomphe !



    Georges Bataille, Les Larmes d’Eros, Jean-Jacques Pauvert, 1961-1971 ; Éditions 10|18, U.G.E., 1985, pp. 91-92.



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  • 9 septembre 17** | Les Liaisons dangereuses

    Éphéméride culturelle à rebours



    Fragonard_le_baiser_vol
    Jean-Honoré Fragonard (1732–1806)
    Le Baiser volé, 1756–61

    Huile sur toile, 48,3 x 63,5 cm
    The Metropolitan Museum of Art,
    New York City
    Source






    Lettre LXVI


    LE VICOMTE DE VALMONT À LA MARQUISE DE MERTEUIL



        Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux lettres ci-jointes, si j’ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux sont datées d’aujourd’hui, elles ont été écrites hier, chez moi, et sous vos yeux : celle à la petite fille, dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s’humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succès de vos démarches. Danceny est tout de feu ; et sûrement à la première occasion, vous n’aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut être docile, tout sera terminé peu de temps après son arrivée à la campagne ; j’ai cent moyens tout prêts. Grâce à vos soins me voilà décidément l’ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d’être Prince.
        Il est encore bien jeune, ce Danceny ! Croiriez-vous que je n’ai jamais pu obtenir de lui qu’il promît à la mère de renoncer à son amour ; comme s’il était bien gênant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir ! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse : ce scrupule n’est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille ? Voilà bien les hommes ! Tous également scélérats dans leurs projets, ce qu’ils mettent de faiblesse dans l’exécution, ils l’appellent probité.
        C’est votre affaire d’empêcher que madame de Volanges ne s’effarouche des petites échappées que notre jeune homme s’est permises dans sa lettre ; préservez-nous du couvent ; tâchez aussi de faire abandonner la demande des lettres de la petite. D’abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis ; ici l’amour et la raison sont d’accord. Je les ai vues ces lettres, j’en ai dévoré l’ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m’explique.
        Malgré la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un éclat ; il ferait manquer le mariage, n’est-il pas vrai, et échouer tous nos projets Gercourt ? Mais comme, pour mon compte, j’ai aussi à me venger de la mère, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n’en produisant qu’une partie, la petite Volanges paraîtrait avoir toutes les premières démarches, et s’être absolument jetée à la tête. Quelques-unes des lettres pourraient même compromettre la mère, et l’entacheraient au moins d’une négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d’abord ; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu’on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un, que la chance ne tournera pas ainsi ; mais il faut tout prévoir.
        Adieu, ma belle amie ; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la maréchale de *** ; je n’ai pas pu refuser.
        J’imagine que je n’ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-à-vis de madame de Volanges, sur mon projet de campagne ; elle aurait bientôt celui de rester à la ville : au lieu qu’une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain ; et si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout.

    De… ce 9 septembre 17**.



    Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses [1782], lettre LXVI, Garnier-Flammarion, 1989, pp. 135-136.





    CHODERLOS DE LACLOS


    Laclos
    Source



    ■ Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos
    sur Terres de femmes

    4 octobre 17** | Les Liaisons dangereuses
    5 septembre 1803 | Mort de Choderlos de Laclos (+ un extrait d’Une liaison dangereuse, Lettres de La Haye, de Hella S.Haasse)






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  • VINGT-CINQ angèle 2


    BELLES BELLES BELLES



    VINGT-CINQ



    angèle 2


    Angle_2_plein_cadre


    elle se love
    s’envoûte
    sirène radieuse
    aux prunelles
    de ses yeux


    d’eau


    elle s’enlace plonge
    sirène des songes
    se livre enjôleuse
    à ses miroirs jeux


    d’ô








    Pellicule_1

    _______



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    Edition et mise en pages : Yves Thomas



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  • VINGT-QUATRE sylvie 8


    BELLES BELLES BELLES



    VINGT-QUATRE



    sylvie 8


    29_sylvie_06


    un pan de chèche a coulissé


    de son épaule adoubée
    féline enjôleuse plissée
    roulée déroulée adorée


    dans le glissement d’un drapé


    clissé




    >>>>VINGT-CINQ
    (suite)




    Pellicule_1

    _______



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  • VINGT-TROIS sylvie 7


    BELLES BELLES BELLES



    VINGT-TROIS



    sylvie 7


    28_sylvie_05



    sur ta faille d’épaule nue
    ruissellent
    les perles d’eau
    glissent les larmes de soleil
    au diapason de ta peau


    les nuages de lumière
    passent
    à l’orée de ton dos
    passent glissent et cisèlent
    leurs arpèges


    toujours nouveaux




    >>>>VINGT-QUATRE
    (suite)




    Pellicule_1

    _______



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  • VINGT-DEUX sylvie 6


    BELLES BELLES BELLES



    VINGT-DEUX



    sylvie 6


    27_sylvie_04_


    intemporelle


    elle se redresse
    par-delà le monde des mots
    elle rêve d’un jour de trêve
    où la chouette achèvera
    de hululer
    son chant funèbre
    de sang de mort de vendetta


    une mèche de cheveux
    s’emmêle
    en boucle sur son doigt



    rebelle




    >>>>VINGT-TROIS
    (suite)




    Pellicule_1

    _______



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  • VINGT-ET-UN sylvie 5


    BELLES BELLES BELLES



    VINGT-ET-UN



    sylvie 5


    25_sylvie_02


    scalènes de ton corps
    négresse nue
    scalènes de tes mains de palme


    dactyles effilés
    scalènes de tes ongles drus
    vivantes nervures


    scalènes ouverts
    fermés ouverts
    abandonnés angles
    à la caresse
    de son regard



    dérobé




    >>>>VINGT-DEUX
    (suite)




    Pellicule_1

    _______



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  • Stéphane Mallarmé | Tristesse d’été

    «  Poésie d’un jour  »



        Aujourd’hui 9 septembre, date anniversaire de la mort de Mallarmé (9 septembre 1898).





    Tristesse_d__ete_bis
    Ph., G.AdC





    TRISTESSE D’ÉTÉ


    Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
    En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
    Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
    Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.
    De ce blanc flamboiement l’immuable accalmie
    T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
    « Nous ne serons jamais une seule momie
    Sous l’antique désert et les palmiers heureux ! »

    Mais ta chevelure est une rivière tiède,
    Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
    Et trouver ce Néant que tu ne connais pas !

    Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
    Pour voir s’il sait donner au coeur que tu frappas
    L’insensibilité de l’azur et des pierres.



    Stéphane Mallarmé, Du Parnasse contemporain, Poésies, Gallimard, Collection Poésie, 1966, page 37.




    STÉPHANE MALLARMÉ


    Stphane_mallarm
    Image, G.AdC


    ■ Mallarmé
    sur Terres de femmes

    Mallarmé | Pli selon pli
    28 janvier 1888 | Lettre de Stéphane Mallarmé à Michel Baronnet
    29 mai 1912 | Création de L’Après-midi d’un faune
    21 mars 1914 | Première audition de Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Alliance française)
    La mort de Stéphane Mallarmé (extraits du Journal de Julie Manet en date du 11 septembre 1898).



    Morisot_juliedreaming_2
    Berthe Morisot, Julie [Manet] rêveuse, 1894
    Huile sur toile, 65 x 54 cm
    Collection privée
    (après la mort de Berthe Morisot [1895],
    Stéphane Mallarmé devint tuteur de Julie Manet).




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