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  • Christine Bonduelle | ambivalences


    «  Poésie d’un jour  »



    CONVERSATION




    Ambivalences
    Ph., G.AdC





    Solidaires
    les voix
    à s’attendre

    chercheuses
    de chaque côté
    du mur

    remueuses
    de pierres
    à tâton
    perceuses
    de jour
    en trouées

    éparses
    étirant l’œil
    à l’intérieur.






    VOIX ÉMUE


    aigu

    nœud aux cordes
    tire un voile

    grave.




    Christine Bonduelle, « Conversations », Bouche entre deux, Obsidiane, collection « Le legs prosodique », 2003, pp. 9 et 11.






    Ce frais silence
    regard d’eau
    tenue secrète
    en sous-bois
    ronceux
    toucheur d’âme
    qui vive
    lointaine
    est-ce toi
    ou rien
    n’y a-t-il
    rien que cris
    sans voix ?




    Christine Bonduelle, « Agapê », Bouche entre deux, id., page 28.






        Ce recueil poétique est le premier recueil de Christine Bonduelle (née le 5 juin 1959) publié chez Obsidiane (un premier recueil à diffusion restreinte, Aigu en Parallèle, ayant paru en janvier 1997 aux éditions de la Librairie-Galerie Racine). Seuls quelques poèmes avaient déjà paru dans Le Petit Digital illustré et la revue de poésie Le Mâche Laurier. « Dans la tradition du dix-septième siècle, les deux premières parties de Bouche entre deux se présentent comme un manuel moderne sur la conversation. Conversations dresse l’inventaire de ses nombreuses facettes, tandis qu’Agapê retrace une expérience de dialogue quasi silencieux. Le souci de se former à l’art de la conversation va de pair ici avec une extrême concision. […] Imprégnés d’une forte tension entre rigueur formelle et hardiesse de ton, ces textes courts s’entrechoquent et dégagent une grande énergie poétique. » (Quatrième de couverture du recueil).

        Outre une publication dans la revue Pleine Marge (n° 47, juin 2008), un nouvel ouvrage de Christine Bonduelle, Ménage, a été publié en juin 2010 par les éditions Obsidiane. Christine Bonduelle est par ailleurs responsable de la rubrique Poésie de Secousse, la revue de littérature en ligne des éditions Obsidiane, dont le sixième numéro a paru en mars 2012.





    CHRISTINE BONDUELLE


    Bonduelle
    Source



    ■ Christine Bonduelle
    sur Terres de femmes

    Soif (autre poème extrait de Bouche entre deux)
    Ménage (note de lecture d’AP)
    Impossible ça ne marchera pas (poème extrait de Ménage)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Christine Bonduelle | [sans titre]



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la revue Secousse [Quatrième])
    huit poèmes de Christine Bonduelle
    → (dans la sonothèque de la revue Secousse)
    huit poèmes de Christine Bonduelle lus par l’auteure





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  • 3 juin 1910 | Naissance de Wilfred Thesiger

    Topique : Le désert
    Topique : Voyage et récits de voyage

    Éphéméride culturelle à rebours




        Le 3 juin 1910 naît dans une hutte de terre de la légation britannique à Addis-Abeba (Abyssinie, aujourd’hui Éthiopie), Wilfred Thesiger.




    Wilfred_thesiger
    Wilfred Thesiger en 1948
    Pitt Rivers Museum, Oxford.
    © 2005, University of Oxford
    Source




        Fils d’un ambassadeur britannique à Addis-Abeba, Wilfred Thesiger, explorateur et écrivain, a entrepris de 1946 à 1948 deux traversées du Rub ‘al Khali. Situé en grande partie sur les territoires d’Arabie Saoudite, le Désert des Déserts passait alors pour l’une des terres les plus inhospitalières au monde.

        Wilfred Thesiger est mort à Croydon (Surrey) le 24 août 2003.




    LE DÉSERT DES DÉSERTS

        « J’étais heureux dans la compagnie de ces hommes qui avaient choisi de m’accompagner. J’avais de l’affection pour eux en tant que personnes et j’aimais leur manière de vivre. Mais bien que je fusse très sensible à l’agrément de nos relations, je ne me leurrais pas au point de croire que je puisse jamais être l’un des leurs. Ils étaient Bédouins, je ne l’étais pas ; ils étaient musulmans, j’étais chrétien. Pourtant, devenu leur compagnon, un lien inviolable nous unissait, aussi sacré que celui d’un hôte à son invité, plus puissant que les obligations de loyauté tribales et familiales. Parce que j’étais leur compagnon de voyage, ils étaient prêts à me défendre envers et contre tous, y compris contre leurs frères, et ils n’en attendaient pas moins de ma part.
        Mais je savais que le plus dur, pour moi, serait de vivre en harmonie avec eux, sans me laisser dominer par mon intolérance, sans me retirer à l’intérieur de moi-même, ni devenir trop critique à l’égard des mœurs et des critères très différents des miens. Je savais, par expérience, que les conditions dans lesquelles nous vivions finiraient par m’user lentement, moralement sinon physiquement, et qu’il m’arriverait d’être agacé par le comportement de mes compagnons. Mais, je savais, avec non moins de certitude, que, si cela se produisait, ce serait à moi, et non à eux, qu’en incomberait la faute.
        Au cours de la nuit, un renard glapit quelque part sur les pentes au-dessus de nous. À l’aube, al Auf détacha les chameaux qu’il avait rassemblés pour la nuit, et les laissa partir à la recherche de nourriture. Nous ne devions pas manger avant le coucher du soleil, mais bin Kabina fit réchauffer le café qui restait de la veille. Nous marchions depuis une heure environ, lorsque nous tombâmes sur une zone de végétation qu’avait fait renaître une récente averse. Il nous fallait choisir entre poursuivre notre chemin ou laisser paître nos chameaux : al Auf décida que nous devions nous arrêter et, tandis que nous déchargions outres et sacoches, il nous demanda de faire des provisions de tribule pour la route. Après quoi, il creusa un trou dans le sable pour découvrir jusqu’à quelle profondeur la pluie avait pénétré ― en l’occurrence, jusqu’à quatre-vingt-dix centimètres. Il procédait ainsi partout où il avait plu et, lorsqu’il n’y avait pas encore sur les lieux de plantes que nos chameaux puissent brouter, nous le laissions poursuivre seul ses recherches et continuions à avancer. Je ne voyais pas l’utilisation pratique qu’il pouvait faire de ces renseignements sur les possibilités de végétation en plein cœur du Désert des Déserts, et pourtant, je sentais que c’était précisément ce genre de savoir qui faisait de lui un guide exceptionnel. Après avoir observé al Auf pendant quelques instants, je m’étendis sur le sable et suivis du regard un aigle qui décrivait des cercles au-dessus de ma tête. Il faisait très chaud. Je relevai la température à l’ombre de mon corps et constatai qu’elle était de 29°. Il était difficile d’imaginer que, ce matin même, à l’aube, il ne faisait que 6°. Le soleil avait chauffé le sable au point qu’il brûlait le pourtour de mes pieds, là où la peau est particulièrement tendre.
        Vers midi, nous longeâmes de hautes dunes de sable pâle, puis d’autres, de couleur dorée ; dans la soirée, nous perdîmes une bonne heure à contourner une grande montagne de sable rouge d’environ deux cents mètres de haut. Au-delà, s’étendait une longue plaine salée qui faisait comme un couloir à travers les Sables : nous nous y engageâmes. À un moment, je me retournai et la grande dune rouge m’apparut comme une porte qui, lentement, silencieusement, se refermait derrière nous. En regardant le passage se rétrécit entre cette dune et celle qui s’élevait de l’autre côté du couloir, je m’imaginais qu’une fois qu’il serait clos, jamais, quoi qu’il arrivât, nous ne pourrions revenir en arrière. Bientôt, je ne vis plus qu’un grand mur de sable qui barrait l’horizon.

    Wilfred Thesiger, Le Désert des Déserts, Plon, Collection Terre humaine, 1978 ; Collection Terre humaine/Poche, 1991, pp. 170-171-172. Traduction de Michèle Bouchet-Forner.




    Compagnons_de_voyage
    Les compagnons de voyage de Wilfred Thesiger
    dans le Désert des Déserts, 1946
    Pitt Rivers Museum, Oxford.
    © 2005, University of Oxford
    Source





    Voir aussi :
    – (sur le site du Pitt Rivers Museum) une sélection de quelque cent photos dans une
    galerie Web entièrement consacrée à Wilfred Thesiger.



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  • 2 juin 1740 | Naissance du marquis de Sade

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 2 juin 1740 naît à Paris, dans l’hôtel de Condé, Louis Aldonze Donatien, marquis de Sade. Lors de la déclaration de naissance, les domestiques transforment ses prénoms en Donatien Alphonse François.







    De_sade
    Man Ray (1890-1976)
    Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938

    Huile sur toile et panneau de bois, 55 cm x 45 cm
    The Menil Collection, Houston (Texas, États-Unis).







    EXTRAIT d’ALINE ET VALCOUR


        « Je n’ai qu’un ennemi à craindre, poursuivit Zamé, c’est l’Européen inconstant, vagabond, renonçant à ses jouissances pour aller troubler celles des autres, supposant ailleurs des richesses plus précieuses que les siennes, désirant sans cesse un gouvernement meilleur, parce qu’on ne sait pas lui rendre le sien doux ; turbulent, féroce, inquiet, né pour le malheur du reste de la terre, catéchisant l’Asiatique, enchaînant l’Africain, exterminant le citoyen du nouveau Monde, et cherchant encore dans le milieu des mers de malheureuses îles à subjuguer ; oui, voilà le seul ennemi que je craigne, le seul contre lequel je me battrai, s’il vient ; le seul, ou qui nous détruira, ou qui n’abordera jamais dans cette île ; il ne le peut que d’un côté ; je vous l’ai dit, ce côté est fortifié de la plus sûre manière : vous y verrez les batteries que j’ai fait établir ; l’accomplissement de cet objet fut le dernier soin de mon voyage et le dernier emploi de l’or que m’avait donné mon père. Je fis construire trois vaisseaux de guerre à Cadix, je les fis remplir de canons, de mortiers, de bombes, de fusils, de balles, de poudre, de toutes vos effrayantes munitions d’Europe, et fis déposer tout cela dans le magasin du port qu’avait construire mon prédécesseur ; les canons furent mis dans les embrasures ; cent jeunes gens s’exercent deux fois le mois aux différentes manœuvres nécessaires à cette artillerie ; mes concitoyens savent que ces précautions ne sont prises que contre l’ennemi qui voudrait nous envahir. Ils ne s’en inquiètent pas, ils ne cherchent même point à approfondir les effets de ces munitions infernales dont je leur ai toujours caché les expériences ; les jeunes gens s’exercent sans tirer, si la chose était sérieuse, ils savent ce qui en résulterait, cela suffit. Avec les peuples doux qui m’entourent, je n’aurais pas eu besoin de ces précautions ; vos barbares compatriotes m’y forcent, je ne les emploierai jamais qu’à regret.
        Tel fut l’attirail formidable avec lequel, au bout de vingt ans, je rentrai dans ma patrie […]

        L’état naturel de l’homme est la vie sauvage; né comme l’ours et le tigre dans le sein des bois, ce ne fut qu’en raffinant ses besoins qu’il crut être utile de se réunir pour trouver plus de moyens à les satisfaire. En le prenant de là pour le civiliser, songez à son état primitif, à cet état de liberté pour lequel l’a formé la nature, et n’ajoutez que ce qui peut perfectionner cet état heureux dans lequel il se trouvait alors ; donnez-lui des facilités, mais ne lui forgez point de chaînes ; rendez l’accomplissement de ses désirs plus aisé, mais ne les asservissez pas ; contenez-le pour son propre bonheur, mais ne l’écrasez point par un fatras de lois absurdes ; que tout votre travail tende à doubler ses plaisirs en lui ménageant l’art d’en jouir longtemps et avec sûreté ; donnez-lui une religion douce, comme le Dieu qu’elle a pour objet ; dégagez-la surtout de tout ce qui ne tient qu’à la foi ; faites-la consister dans les œuvres et non dans la croyance. Que votre peuple n’imagine pas qu’il faille croire aveuglément tels et tels hommes, qui dans le fond n’en savent pas plus que lui, mais qu’il soit convaincu que ce qu’il faut, que ce qui plaît à l’Éternel, est de conserver toujours son âme aussi pure que lorsqu’elle émana de ses mains ; alors il volera lui-même adorer le Dieu bon qui n’exige de lui que les vertus nécessaires au bonheur de l’individu qui les pratique ; voilà comme ce peuple chérira votre administration, voilà comme il s’y assujettira lui-même et voilà comme vous aurez , dans lui, des amis fidèles, qui périraient plutôt que de vous abandonner, ou que de ne pas travailler avec vous à tout ce qui peut conserver la patrie.


    Sade, Aline et Valcour [1795], in Œuvres, volume I, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1990, pp. 642-643-644. Édition établie par Michel Delon. Préface de Jean Deprun.




    Le_seul_portrait_authentique_de_sad



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  • François Cheng | Rose d’indigo

    «  Poésie d’un jour  »



    Rose_d_indigo
    Ph., G.AdC







    ROSE D’INDIGO



    Rose d’indigo
                      rose innommée
                      toujours changeante
    Tu ne mourras point

    Rose d’indigo
                      ou d’émeraude
    Entre brume et lune
                      n’es-tu de nuit ?

    Rose d’un seul rêve
                      au chant ouvert
                      au parfum clos
    Tu ne mourras point

    Tu n’es que mémoire
                      tu n’es qu’oubli
    Entre argile et brume
                      n’es-tu d’ici ?




    François Cheng, Qui dira notre nuit [Arfuyen, 2003 ; éd. revue et augmentée, 2010, page 17], À l’orient de tout, Gallimard, Collection Poésie, 2005, page 225.



    FRANÇOIS CHENG


    Cheng
    Source




    ■ François Cheng
    sur Terres de femmes


    L’appel de la mer
    [Consens à la brisure] (extrait d’Enfin le royaume)
    Longtemps à longer cette eau sans âge
    [Oui, nous suivrons le sentier]
    [Suivre le poisson, suivre l’oiseau]
    Tango toscan




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Académie française)
    une bio-bibliographie de François Cheng





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  • TdF n° 43 ― juin 2008



    Logo_tdf_juin_2008
    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE JUIN 2008



    Terres de femmes ― N° du mois de mai 2008
    François Cheng/Rose d’indigo
    2 juin 1740/Naissance du Marquis de Sade
    3 juin 1910/Naissance de Wilfred Thesiger
    Christine Bonduelle/ambivalences
    6 juin 1910/Naissance de Dorothy Carrington
    7 juin 1973/Louis Guilloux, Grand Prix de Littérature de l’Académie Française
    Julien Bosc/Et toi, qui es-tu ?
    8 juin 1903/Naissance de Marguerite Yourcenar
    10 juin/Junichirô Tanizaki, La Clef
    Esther Tellermann/Voix à rayures
    11 juin 1899/Naissance de Yanusari Kawabata
    12 juin 1925/Première exposition Miró à Paris
    13 juin 1888/Naissance de Fernando Pessoa
    Jackie Plaetevoet/Poèmes inédits
    Francesco Scarabicchi/Sarai di me l’unica luce ancora
    15 juin 1767/Italo Calvino, Le Baron perché
    Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin (article d’Angèle Paoli)
    Henry Miller/O Lake of Light
    Mina Loy/Pétunia blanc
    18 juin 1933/Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud
    Dylan Thomas/Le vœu et le feu de la prière me brûlent
    20 juin 1912/Isadora Duncan conviée par Paul Poiret à la fête de Bacchus
    Florence Pazzottu/À contre-pente
    Esther Tellermann/Sûrement je vous tiendrai
    Ludovic Janvier/On quittera toujours la mer
    Françoise Clédat/(où le chant sans l’organe)
    24 juin 2005/Mort de Max Rouquette
    Aïcha Arnaout/Dans les eaux du glacier originel
    Danielle Fournier/toi
    Maryse Hache/pas l’inertie
    Lutz Bassmann/Haïkus de prison
    Anne Slacik et Marie-Laure Gobat à Tavel
    Patti Smith/Wilderness
    Terres de femmes ― N° du mois de juillet 2008



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  • Saint-John Perse | Invocation, 3

    «  Poésie d’un jour  »



    La_mer
    Ph., G.AdC






    INVOCATION

    3




        Poésie pour accompagner la marche d’une récitation en l’honneur de la Mer.
        Poésie pour assister le chant d’une marche au pourtour de la Mer.
        Comme l’entreprise du tour d’autel et la gravitation du chœur au circuit de la strophe.

        Et c’est un chant de mer comme il n’en fut jamais chanté, et c’est la Mer en nous qui le chantera :
        La Mer, en nous portée, jusqu’à la satiété du souffle et la péroraison du souffle.
        La Mer, en nous, portant son bruit soyeux du large et tourte sa grande fraîcheur d’aubaine par le monde.

        Poésie pour apaiser la fièvre d’une veille au périple de mer. Poésie pour mieux vivre notre veille au délice de mer.
        Et c’est un songe en mer comme il n’en fut jamais songé, et c’est la Mer en nous qui le songera :
        La Mer, en nous tissée, jusqu’à ces ronceraies d’abîme, la Mer, en nous, tissant ses grandes heures de lumière et ses grandes pistes de ténèbres ―

         Toute licence, toute naissance et toute résipiscence, la Mer ! la Mer ! à son afflux de mer,
        Dans l’affluence de ses bulles et la sagesse infuse de son lait, ah ! dans l’ébullition sacrée de ses voyelles ― les saintes filles ! les saintes filles ! ―
        La Mer elle-même tout d’écume, comme Sibylle en fleur sur sa chaise de fer …


    Saint-John Perse, Invocation, 3 in Amers [1957], Gallimard, Collection Poésie, 1970, p. 15.





    SAINT-JOHN PERSE


    Sjp


    Pour en savoir plus sur Saint-John Perse, se reporter au site « 
    Saint-John Perse, le poète aux masques », où il est possible d’écouter de nombreux extraits d’archives sonores, dont de longs extraits du Discours de Stockholm.


    ■ Saint-John Perse
    sur Terres de femmes

    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse par Joëlle Gardes
    Du Maître d’astres et de navigation
    Me voici restitué[e] à ma rive natale
    Pétrels, nos cils
    Vents



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  • Martin Rueff, Icare crie dans un ciel de craie

    Martin Rueff, Icare crie dans un ciel de craie,
    éditions Belin, collection L’Extrême contemporain, 2007.



    ICARO, È L’ORA



         En treize chants, Icare crie dans un ciel de craie narre l’aventure d’un moi icarien. Un moi confronté à une expérience aux rebondissements multiples. Au gré des fantaisies d’une imagination fertile et de ses inventions, le poète Martin Rueff revisite le mythe d’Icare, héros de l’Antiquité, son double, et le rend à la dimension existentielle qu’il a pour lui. Poème de l’espace et des abysses, épopée de la chute (katabase, retour vers « l’éternel premier cri »), Icare crie dans un ciel de craie est aussi le poème d’une métamorphose. Une mue lente et difficile qui s’accomplit en deux temps. Avant l’impact ― la chute dans les airs ―, après l’impact ― la chute dans la mer.

        Icare crie dans un ciel de craie. Parfait ennéasyllabe, le titre contient déjà toute la poésie enclose dans la combinaison des mots et des syllabes et évoque à lui seul les deux préoccupations majeures du poète icarien. Le travail sur les mots, agencements, échos et anagramme, Icare/crie/craie, et une réinterprétation personnelle de l’histoire d’Icare.




    Son_cri_dans_lespace_cleste_2
    Ph., G.AdC





    In der Luft


        Chant d’ouverture d’ Icare crie dans un ciel de craie, le chant premier du poème jette ses « mots isolés » sur les traces laissées par les mots du poète allemand Paul Celan. In der Luft, da bleibt deine Wurzel, da, in der Luft. « En l’air, là reste ta racine, là, en l’air » 1. C’est là, en l’air, dans le « ciel de craie » auquel il aspire, qu’Icare s’inscrit. Au-dessus de la ville et de son espace tendu de tours. Un espace conquis par la force du cri lancé au-dessus des dalles qui le tenaient prisonnier. Dalle/Dédale, première « astuce » d’Icare. Celle de la « dalle levée », première expansion vers le ciel dès le début du chant I. Enfin libéré de son préfixe privatif « dé », le fils de Dédale lance son cri dans l’espace céleste, espace ouvert dans lequel il cherche à s’enraciner. Loin du père. Un espace d’au-delà des tours qui enchaînent et enferment ― racine, fils ? Ancre, couloir, poitrine. Ciel où s’abolissent les contraires ― tour de silence/tour de cri (tour d’écrou ?). Un espace construit sur les répétitions de consonnes, celles-là mêmes qui sont incluses dans le titre. Le cri roule ses allitérations en « r », traverse l’espace par circularités, « de la gorge du ciel dans la gorge du ciel ». Le chant se clôt sur la douleur hurlante d’Icare, cri de révolte peut-être qui cible le ciel, criblant l’espace de crissements aigus.





    Modernité d’Icare


        Beaucoup plus long, le chant II situe l’aventure icarienne de Martin Rueff du côté d’Hyperboréa, espace glacé, confins de terres à explorer où soufflent les vents du Nord.

        L’envol d’Icare vient d’avoir lieu ― Ça y est/C’est fait. Le fils de Dédale s’est détaché du monde ancien qui était le sien jusqu’alors. Icare parcourt un monde nouveau, vitesse V et modernité, haute voltige de la technologie, altimètres et fuselages du corps magnifié par l’élan sportif. Hommage au passage à Guillaume Apollinaire et à « Zone », le long poème préliminaire d’Alcools. Nouveau Christ ascensionnel, tour à tour skieur de tremplin, cycliste en lycra, danseur étoile, amateur de trampoline, trapéziste, plongeur d’Acapulco, spécialiste du saut de l’ange et de la mort, parachutiste, Icare polymétis s’élance, glisse, dévisse, pique, attentif aux stratégies de son corps-fusée, pistes de lancement. Les phrases brèves, sans déterminants ni ponctuation, visent l’efficacité, la vélocité et répondent à la soif jubilatoire de la modernité. Une modernité qui renvoie Dédale, le père, et son enseignement, son savoir, ses transmissions, son goût de la technique et du vent dans des parenthèses qui ponctuent les différentes séquences du chant : (De son père il retient le respect des instructeurs/des ingénieurs/des inventeurs). À moins qu’il ne faille considérer ces parenthèses comme autant de reviviscences mémorielles. De son père, Icare a gardé « le goût les blagues sottes », celui des jeux de mots faciles ― « Globules de savon » ―, peut-être aussi celui des apocopes ― « mes hallus mignonnes » ―, des néologismes ou des citations, de la trouvaille ― « Effort suprême et pronominal » ― que le héros décline sous forme d’injonction répétitive, doucement persuasive :

          Se laisser aller
          Se laisser porter
          Facile à dire
          Se laisser aller
          Se dérober
          S’absenter

        Tous ces efforts ne vont pas sans douleur ni souffrance, ni « goût de sang dans la bouche ». Plaisirs et dangers de l’enfance et de l’adolescence se terminent par la chute finale d’Icare et l’interrogation inquiète de Dédale :

    Icare, dixit, ubi es ? Qua te regione requiram ? (Icare, dit-il, où es-tu ? En quel lieu me faut-il te chercher ?)

         Au questionnement du père, tel que rapporté par Ovide 2, répond l’Icare de Bruegel l’Ancien :

          « Dans un angle du tableau
          Oui, là, en bas à droite
          La jambe dans une gerbe d’eau
          C’est bien moi sur l’image
          Ô « comme tout se détourne »
          ― oui, comme tout se détourne

          C’était moi. »

         Plus près de nous, encore, cette évocation « vague » d’Icare dans les vers de William Carlos Williams (Paterson) :

          « A splash quite unnoticed
          This was
          Icarus Drowning »


          Disparition.





    Secou_par_la_nappe_du_ciel
    Ph., G.AdC





    Trouver son verbe


        À la longue séquence du chant deux, succèdent, du chant III au chant VIII, des poèmes brefs. Après les éclats sportifs et les performances d’artiste, Icare « secoué par la nappe du ciel » tente l’effacement. « Je m’efface » ; « j’essuie » ; « j’éponge ». Faufiler―se faufiler « dans la chair délitée de la tapisserie », afin qu’advienne ce qui doit se produire. Trouver enfin son verbe, tel est le désir exprimé au chant III.

        « Régi par l’éclair » du chant III, le verbe se faufile, dérive « dans les rafales rugies du ciel » du chant IV, puis se faufile encore de « rafales mugies » en « accalmies courtes ». Au chant V s’affrontent les contraires, l’un par l’autre abolis simultanément :

    « je suis et je ne suis pas cet été qui finit et ne finit pas ».

        Avec le chant VI se noue et se dénoue la relation au père. Aux souvenirs tendres et familiers ― « Mon père m’appelait le petit jour » ― succèdent projets, ambitions et désirs. Qui se construisent avec le père et contre lui, sans lui, dans le silence de la mémoire. Le futur chasse le passé. L’affirmation du moi s’écrit dans la « cicatrice ancienne » : « j’étais le fils tranchant/je serai le fils déchirant ».





    Petite suite après impact


        L’impact avec la mer se fait au chant VII. Rapide, bref, incisif, essentiel. Un baiser. Tout à la fois profond et ludique. Icare accueille la solitude des abysses. Mallarméenne solitude. « Solitude, récif, étoile ». Modernité.

        À partir du chant VIII, les poèmes sont annoncés par des titres. Intitulé le « Morceau fantôme », le chant VIII est un sonnet irrégulier. La tradition se fraye un passage à travers ce poème clos sur lui-même divaguant sur la vague, pareil à un vaisseau (une « urne ») porteur d’une voix inconnue, « Ta voix de cri de cœur ». Celle qui susurre « Sans toi, je ne suis rien/Sans toi, je ne suis rien ».

        Après « l’impact sourd » avec la mer suit un silence ou un temps d’arrêt, marqué par les points de suspension qui précèdent le titre du chant IX… « dans la vague creuse ». Finisterre. Dans le long poème de la vague creuse, Icare, sens en éveil, évoque sa plongée-délire dans les profondeurs. Délesté de son père, Icare « décroché » récupère ses « dé ». Qui roulent d’un mot à l’autre de l’énumération, par contamination de sens et de sons :

          « décroché
          désamarré
          déchu
          délapsé
          délavé
          dévissé
          dépoulpé
          désenfanté
          Icare désastré
          Icare
          décrié
          enfin
          Icare
          dégringolé donc
          dévalé dans l’averse
          vers les parvis agités
          des traînes frissonnantes… »

         La mer ― coups de poing dans la poitrine ― rythme le poème de ses onomatopées de locomotive ― tudum tudum tudum. Icare abandonné (lama sabakhtani ?)―« mère pourquoi m’as-tu abandonné ? »― « aux innombrables détours  », « aux méandres duplices », « aux murs aveugles », « aux jambages multiples », crie désormais « dans le royaume des bulles », « dans le tube vitreux de sa téléportation sous-marine. » Et « la mer labyrinthe », « ciel d’en-dessous », de gloser le « sanglot d’Icare/d’Icare criant dans un ciel de craie ». Jusqu’à ce que, englouti, démantibulé, il ne reste du plongeur que borborygmes, transmis dans un inexprimable hoquet christique :


    Hic Rhodus… Hic Saltus…

                            Hic.. Hic..

                                             Hic est corpus meus… Hic..

                               corpus

                                                                 Hic…

                                                              
         
                  …us…

                                                              
                 
                           Hic…


         Suit le chant X qui déroule les longues strophes de Nage nu/Souvenirs de maraudes aquatiques. Scaphandre lourd et malhabile, « michelin des profondeurs », « cosmonaute pataud lourd/pas lents », Icare nu explore les « combles poissonneux » de ses « maraudes » anciennes. De derrière la loupe arrondie de son « hublot ridicule », montent les bulles d’assonances en « u ». Nu / tuba / lunettes / buée / muqueuses / surface /voluptés /méduse / ondulations/ lotus / utriculaires /urinatores / ultralucides…

        Et toujours, le refus des techniques du père s’accompagne d’expériences nouvelles, nouvelles voies à explorer ― la voie du Tao, leçons des yogis mangeurs d’aulx… exercices de bathygymnosophistique ―, nouveaux jeux du langage ― célinien « agité du bocal » ―, petits blocs de terminologies futuristes, mystérieuses : « l’onde alea/mimicry/dont l’onde ilinx/nu dans la longueur/des ondes. Icare nu, pris dans son propre cercle, évolue au « ralenti » :

          « ralenti
          Icare
          nu
          regardait
          dans le nu
          le nu d’Icare ».





    La Babel subaquatique d’Icare ou « Quels sont ces vers exquis ? »


         Dans le chant suivant, Icare XI, également intitulé Papier bulle (Ivresses d’heures profondes), la remontée de « l’antiquaille » devient oppressante. Le chant s’ouvre en exergue sur un extrait de Fin de partie, de Samuel Beckett. Pour Winnie, les classiques ne sont plus qu’antiquailles qui aident à « tirer votre journée ».

        Icare, pauvre Job au fond du gouffre (Water, water, every where), « ivre mort d’aquatisme » en proie à l’ivresse des profondeurs, laisse affluer en lui le fatras des antiquailles. Les « dragées de couleur » et « perles de poèmes » remontent comme des tessons d’amphores désenfouies, surgissent sans ordre sous « l’effet de l’eau mnémotechnique », héritage du père et de la tradition. Les vers de L’Énéide se mêlent à la rasbaïe, les « fanfreluches antidotées » de Rabelais côtoient les messages in the bubbles, le poète français du XVIe siècle, Desportes, rejoint Ungaretti, dit Ungà, les adresses lyriques à Le Masson, moine chartreux picard du XVIIe siècle, succèdent aux comptines d’enfant. Le Dao De Jing de Lao-Tseu, Pline l’Ancien, Tibulle, Horace, Dante, Shakespeare, Goethe, Coleridge, Tennyson, Leopardi, Swinburne, Aloysius Bertrand, Baudelaire (« Élévation »), Edgar Allan Poe (« The City in the Sea »), Rimbaud, Mallarmé, Artaud, Valéry, Desnos, Ezra Pound, Saint-John Perse, Sylvia Plath (« Ariel »), Celan encore… et bien d’autres dont Ferruccio Benzoni et David Gray, sont aussi convoqués. Bosch et Chagall. Les citations anglaises, allemandes, grecques, latines, françaises forment un damier aquatique babélien. Encore enrichi par les néologismes, fantaisies de langage, mots rares et savants. L’ensemble, recomposé au fil des vagues, donne un manteau d’arlequin hérité de longue date, tissé du nom des néréïdes et troué ça et là (« peau de panthère et chlamyde trouée ») d’onomatopées marines avec ponctuation en forme de vaguelettes avec variations/tildes.


             …pof

                pof                                          

                pof…                                                            

                               

    ou

                   

      ̃

      ̃

              …pof

           pof

           pof

      ̃

      ̃


         Au final, il reste « un vieux poème/composé d’enfances/et d’allégories bêtes/en première communion ». Au final, « muet comme carpe / Icare récite en sous-marin / son naufrage ».

        Icare, rappelé à l’ordre, doit aller jusqu’au bout de sa chute :       Icaro è l’ora !

          « : c’est l’heure Icare
          : c’est l’heure
          mon petit
                                                c’est l’heure. »





    Noli altum sapere sed time (devise de Robert Estienne)


        La chute cruelle se poursuit au chant suivant. Icare XII. Ne coulant (En nage de sombrer). Emporté par les courants, Icare dérive sur « un lit de corail ». Il remonte l’alphabet, s’accroche aux hameçons des « consonnes indurées ». En proie à ses rêves et à ses souvenirs, Icare « sommeille dans un fourmillement des lettres ». Il « pleurniche entre les eaux » et se prend à rêver de ses poèmes de jadis et de son amour :

          Je me souviens comme je t’appris à nager…

          La mer était verte comme tu l’aimais
          La mer était verte et calme
          Tu avais enlevé ta robe…


        Je chantonne des bribes d’un vieil air : « La mer était verte, tu l’étais un peu… ». Quelle leçon tirer du « souvenir d’enfance d’Icare » ? En finir avec la jeunesse. En retenir la respiration.





    L’Eden d’Icare


        Dans le dernier chant, Icare XIII, noir profond rouge/sombrée Icare, Martin Rueff évoque la fin d’Icare, ce moment où la pensée se désagrège « dans la boîte noire illisible ». Inspiré de Jack London, le premier mouvement du chant reprend un paragraphe de Martin Eden. Martin Rueff prenant son élan sur les phrases de Jack London, les complète pour en attribuer le sens à Icare :

         « And at the instant he knew, he ceased to know 3//Et au moment même où il sut, il cessa de le savoir il mais qui maintenant qui sait quoi dès lors que hormis quand ».

        Icare « le foudroyé le fou noyé le fou droyé » …

         Le chant se termine sur l’éloge de « la rose des mers », la « nonpareille ». C’est là maintenant que loge Icare au cœur d’une rose.

        Une « rose      recueil » / « rose     relique » / « rose     réversible » /qui catalyse à elle seule dans l’intime du « bouton de rose entendu de personne » tous les pouvoirs de transmutation de la création poétique. L’absente de tout bouquet.

          « Un rien
          nous étions, nous sommes, nous
          resterons, en fleur ;
          la rose de rien, de
          personne. » 4


          « que s’endorme la mer, que s’endorme son immense détresse »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    _____________________________
    1 Paul Celan, « Et avec le livre de Tarussa », in La Rose de personne, José Corti, 2002, pp. 152-153.
    2 Ovide, Métamorphoses, VIII, vers 223-235, GF-Flammarion, 1966, page 210. Traduit par Joseph Chamonard.
    3 Jack London, Martin Eden, chapitre XLVI.
    4 Die Niemandsrose (Paul Celan, « Psaume », La Rose de personne, id., page 39).



    REMARQUE : la note de lecture ci-dessus a aussi été publiée par la revue Poezibao le 3 juin 2008.





    Icare crie dans un ciel de craie





    MARTIN RUEFF



    Martin Rueff portrait
    Source




    ■ Martin Rueff
    sur Terres de femmes ▼


    Et des coups de poing dans la poitrine (extrait d’Icare crie dans un ciel de craie + une notice bio-bibliographique)
    Le jaguar aux yeux d’eau (hommage de Martin Rueff à Claude Lévi-Strauss)
    Complaintes de Mare eorum (extrait de La Jonction)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    une note de lecture (« En marge du cri, Martin Rueff ») de Shoshana Rappaport-Jaccottet sur Icare crie dans un ciel de craie. Cette note a également été publiée dans le n° 952-953 (août-septembre 2008. Georg Büchner – Roland Barthes) de la revue Europe
    → (sur Terres de femmes)
    Icarion





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  • 30 mai 1778 | Mort de Voltaire

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 30 mai 1778 meurt à Paris François-Marie Arouet, dit Voltaire.





    Voltaire_bleu_par_aline_rohrbach
    Source






    MORT, FARCE ET APOTHÉOSES


         Mme Denis, qui s’ennuyait mortellement à Ferney, n’eut de cesse de ramener son oncle à Paris. Elle abrégea sans doute sa vie, mais lui permit une sortie de scène digne de lui. Arrivé le 10 février 1778, il tombe malade dès le 17 […]. À ne pas se confesser, il risquait d’être jeté à la voierie. Mais le clergé n’allait sans doute pas manquer d’exiger davantage : une rétractation solennelle. Que faire ? Un abbé se présente, qui plaît à Voltaire : « C’est un imbécile […] cela sauvera du scandale et du ridicule. »
        Le 2 mars, au beau milieu du « confiteor », l’abbé Gaultier lui donne à signer une rétractation, « pour vous épargner la peine de la composer vous-même ». Mais il reste quelques forces à M. de Voltaire : « C’est moi-même qui vais le faire… », et il la fait d’un trait. Que dit-il ? Non pas qu’il est catholique. Non pas qu’il renie ses œuvres, mais que « s’il avait jamais scandalisé l’Église, il en demande pardon à Dieu et à elle » !
        Apaisé par cette rétractation, il se confesse et reçoit l’absolution. Mais ses crachements de sang lui interdisent malheureusement toute communion ! Un peu inquiet, l’abbé lui fait alors signer un post-scriptum, qui dément à l’avance un éventuel reniement du mourant. Est-ce la faute de Voltaire si, cette rétractation de la rétractation, il l’avait déjà rédigée ? « Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la superstition. » Que ce credo déiste ne dise pas comment on peut « détester » sans « haïr », n’enlève rien à son panache.
        La perspective, même repoussée, de la communion avait apparemment revigoré le terrible vieillard : le 30 mars, il reçoit l’hommage de l’Académie française, et la foule le porte en triomphe à la Comédie-Française, pour la sixième représentation d’Irène. Mais il reste interdit à Versailles, et son sacre exaspère les dévots.
        Le 23 mai, bourré d’opium, il est à l’article de la mort. Plus d’abbé Gaultier : c’est le curé de Saint-Sulpice, plus rigoureux, qui vient exiger une rétractation en règle. Mais Voltaire n’est plus en état de discuter théologie.
        L’Église et le Pouvoir tombent d’accord le 23 mai pour éviter le scandale par qui tout arrive : on transportera Voltaire à Ferney, après sa mort, comme si le malade voulait rentrer chez lui, ce qui escamote élégamment l’épineux problème de l’inhumation ou du permis de transport du corps.
        Mais le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, se souvint que son oncle était rusé. Il obtient de l’abbé Gaultier « un billet de banque pour l’autre monde », un billet de confession laconique mais en règle : « Je déclare que j’ai été appelé pour confesser M. de Voltaire, que j’ai trouvé hors d’état d’être entendu et sans connaissance. Ce 30 mai 1778. » Voltaire mourut en effet le soir même. On embauma son corps, et on l’emporta, mais pas à Ferney ! À Scellières, chez l’abbé Mignot, dans le diocèse de Troyes ! Où on l’enterra le 2 juin, juste avant qu’une lettre de l’évêque de Troyes ne l’interdise. « Voltaire avait joué son dernier mauvais tour aux prêtres. Après leur avoir escroqué une communion en 1768, une autre en 1769, une absolution le 2 mars 1778, il obtenait le 2 juin des obsèques religieuses qui ne furent pas sans solennité » (René Pomeau1).
        « Des extrémistes songèrent à une exhumation, qu’on se garda de leur accorder. On se vengea en lui refusant une messe à l’Académie française, réclamée par… d’Alembert, et en déplaçant le pauvre desservant de Scellières ! Somme toute, Voltaire s’était mieux tiré des griffes du clergé parisien que de celles de Frédéric II à Francfort. Son ami Frédéric se révélait mauvais prophète, qui prédisait que Voltaire les déshonorerait tous, par panique, à l’article de la mort, le dernier de son inépuisable dictionnaire philosophique.
        À défaut de l’immortalité de l’âme, dont il ne s’était jamais vraiment persuadé, d’autres apothéoses l’attendaient, et bien des reniements. Sa vie posthume se devait de rivaliser avec son existence agitée. On ne se débarrasse pas d’un Voltaire avec un diabète, une strangurie, et un billet de confession. »


    Jean Goldzink, La légende de Saint Arouet, in Voltaire, Gallimard, Collection Découvertes, 1989, pp. 118 à 122.




    _______________________________________
    1 René Pomeau, La Religion de Voltaire, Nizet, 1969, p. 547.






    VOLTAIRE


    VOLT AIRE -
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    ■ Voltaire
    sur Terres de femmes

    21 novembre 1694 | Naissance de Voltaire
    13 octobre 1761 | Voltaire, Début de l’affaire Calas
    14 mars 1764 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire
    28 décembre 1765 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire
    5 octobre 1770 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire





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  • Paul Celan | Lob der Ferne

    «  Poésie d’un jour  »



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    Ph., G.AdC







    LOB DER FERNE



    Im Quell deiner Augen
    leben die Garne der Fischer der Irrsee.
    Im Quell deiner Augen
    hält das Meer sein Versprechen.

    Hier werf ich,
    ein Herz, das geweilt unter Menschen,
    die Kleider von mir und den Glanz eines Schwures :

    Schwärzer im Schwarz, bin ich nackter.
    Abtrünnig erst bin ich treu.
    Ich bin du, wenn ich ich bin.

    Im Quell deiner Augen
    treib ich und träume von Raub.

    Ein Garn fing ein Garn ein :
    wir scheiden umschlungen.

    Im Quell deiner Augen
    erwürgt ein Gehenkter den Strang.






    ÉLOGE DU LOINTAIN



    Dans la source de tes yeux
    vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante.
    Dans la source de tes yeux
    la mer tient sa parole.

    J’y jette,
    cœur qui a séjourné chez des humains,
    les vêtements que je portais et l’éclat d’un serment :

    Plus noir au fond du noir, je suis plus nu.
    Je ne suis, qu’une fois renégat, fidèle.
    Je suis toi, quand je suis moi.

    Dans la source de tes yeux
    je dérive et rêve de pillage.

    Une nasse a capturé dans ses mailles une nasse :
    nous nous séparons enlacés.

    Dans la source de tes yeux
    un pendu étrangle la corde.



    Paul Celan, Pavot et mémoire in Choix de poèmes réunis par l’auteur (édition bilingue), Gallimard, Collection Poésie, 1998, page 43. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre.






    ■ Paul Celan
    sur Terres de femmes

    23 novembre 1920 | Naissance de Paul Celan
    La main pleine d’heures
    Lointains
    Stimmen
    TANT D’ASTRES
    Tübingen, Jänner
    13 février | Paul Celan, Tout en un
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Paul Celan disant lui-même dix de ses propres poèmes





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  • TdF n° 3 ― février 2005



    2_logo_fevrier_2005
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    SOMMAIRE DU MOIS DE FÉVRIER 2005


    Terres de femmes ― N° du mois de janvier 2005
    1er février 1926 | Italo Svevo et Adrienne Monnier
    Sylvia Plath | Winter trees
    Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »
    2 février 1922 | Première publication d’Ulysse
    Icarion (Angèle Paoli)
    De Burano à Bastia, Venezia 83 (VIII) (Angèle Paoli)
    Portrait de jeune fille au bonheur-du-jour (Angèle Paoli)
    3 février 1923 | La Vagabonde
    « En ce lieu qui l’enfante » (Angèle Paoli)
    Marina Tsvétaïeva | J’aimerais vivre avec vous
    4 février 1944 | Création d’Antigone d’Anouilh
    4 février 1969 | Récital de Barbara à l’Olympia
    5 février 1919 | Fondation de The United Artists
    6 février 1671 | Lettre de Madame de Sévigné à Françoise de Grignan
    Maroussia (Angèle Paoli)
    7 février 1915 | Premiers poèmes de Giuseppe Ungaretti
    8 février 1828 | Naissance de Jules Verne
    Paule Constant | Les couloirs de la mort (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Henry Bauchau | Diotime (note de lecture d’Angèle Paoli)
    10 février 1953 | Lancement du Livre de Poche
    Henry Miller | Trois grains d’ellébore, ma commère ! (note de lecture d’Angèle Paoli)
    11 février 1948 | Mort du cinéaste Sergueï Eisenstein
    Colette au Crotoy
    Castifau (Angèle Paoli)
    Le gué (Angèle Paoli)
    flamenco (Angèle Paoli)
    13 février 1966 | Mort de Marguerite Long
    Claude Louis-Combet | « J’écris du désir comme du désert »
    Cauchemardesques (Angèle Paoli)
    15 février 1961 | Balthus, directeur de la Villa Médicis à Rome
    16 février 1967 | Inauguration de l’exposition Toutankhamon
    16 février 1988 | Mort de Charles Delaunay
    17 février 1986 | Création de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute
    Orages (Angèle Paoli)
    Nathalie Sarraute | Portrait d’un inconnu
    Claude Louis-Combet | Isula, Insula
    18 février 2001 | Mort de Balthus
    Masculin féminin (Carnets du père)
    Silvio D’Arzo | Une vie de chèvre
    21 février 1908 | Ouverture d’un cinéma dans la salle du Cirque de Paris
    Annie Le Brun | Imperceptiblement le lichen tétanise l’espace
    22 février 1944 | Arrestation de Robert Desnos
    Drago Jancar | Le Christ est ressuscité
    Marie Ferranti | Rappelle-toi Barbara
    24 février 1979 | Création à l’Opéra de Paris de la version intégrale de Lulu
    Julia Kristeva | Au risque de la pensée
    Feux de jardins (Angèle Paoli)
    26 février 1901 | Lettre de rupture de Lou Andreas-Salomé à Rilke
    27 février 2005 | Ultime projection à la salle Chaillot de la Cinémathèque française
    Gaspara Stampa | O beata e dolcissima novella
    28 février 1912 | Première exposition de Marie Laurencin
    L’espace fuit (Angèle Paoli)
    Déserts (Angèle Paoli)
    Terres de femmes ― N° du mois de mars 2005



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