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  • TdF n° 1 ― décembre 2004



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    Image, G.AdC





    SOMMAIRE DU MOIS DE DÉCEMBRE 2004



    Jeanne et Angèle (Angèle Paoli)
    Jeanne et Hélène Bresciani | Voceru (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Portrait de Marie-Ange Sebasti (Angèle Paoli)
    De guilloché à Giottani (Cap Corse) (Angèle Paoli)
    Thème et Variations sur Aphrodite (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Renée Vivien | Le Toucher
    Mathieu Terence | Isula
    ▪ « Voiturez-nous ici les commodités de la conversation » (Angèle Paoli)
    Marie-Paule Lavezzi (petite anthologie poétique)
    Andrea Zanzotto | Cantilene londinese
    A summo celo, par l’ensemble vocal féminin Kantika
    Système de la mode (Angèle Paoli)
    Hélène Cixous | Petites érinyes de la conscience (note de lecture d’Angèle Paoli)
    L’Antigone d’Anduze (Angèle Paoli)
    Marie-Ange Sebasti | Une petite vieille en noir
    Claude Louis-Combet | Mala Lucina
    Louise Labé | Tant que mes yeux pourront larmes épandre…
    Marie-Ange Sebasti, la Sartenaise (Angèle Paoli)
    Hélène Bresciani | Le malochju, « le mauvais œil »
    Hélène Frappat | Sous réserve de folie (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Le rhinocéros n’est pas mort… (Angèle Paoli)
    Art de la figue : premières figues en mode mineur (Angèle Paoli)
    Jean Lorrain | « Le châtaignier, cet ancêtre ! »
    Bacon/Prozac (Angèle Paoli)
    Bébés-cocons (Angèle Paoli)
    Eléphant de juin (Angèle Paoli)
    Jacqueline Risset | A.Z.
    Aller au renard (Angèle Paoli)
    Linda Lê | Carnage amoureux
    Belle de mars (Angèle Paoli)
    Chimères invisibles (Carnets du père)
    La mort du père (Angèle Paoli)
    Mort pour rire (Angèle Paoli)
    La fessée (Angèle Paoli)
    Le Golo (Carnets du père)
    Mots d’enfants (Carnets du père)
    Antoine Emaz | « Le faiseur »
    Rhétorique du triangle (Angèle Paoli)
    Taire de femmes, « taires » immémoriaux
    Joëlle Gardes | Les arcanes subtils d’une relation triangulaire (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Joëlle Gardes | Ostinato e chiaroscuro (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Magone (Angèle Paoli)
    Jonas d’une lignée nouvelle (Angèle Paoli)
    Celle qui attend… (Angèle Paoli)
    « Pupille Christ de l’œil » (Zone, Apollinaire) (Angèle Paoli)
    Mosaïques en écailles (Forêt d’Aitone) (Angèle Paoli)
    Dans le nid le nœud (Angèle Paoli)
    La soupente sur l’Aventin (Angèle Paoli)
    A noia (Angèle Paoli) [+ extrait du Journal de campagne de Georges Bernanos]
    Alain Veinstein | Le huis clos d’un scrutateur (note de lecture d’Angèle Paoli)
    « Copacabana », hiver 54 (Angèle Paoli)
    Indices de présence (Angèle Paoli)
    Gémellité (Angèle Paoli)
    Voyage hybride (Angèle Paoli)
    Sous les cailloux… la coccinelle (Angèle Paoli)
    Jacques Réda | L’homme et le caillou
    Puzzle d’écales (Forêt d’Aitone) [Angèle Paoli]
    Alain Duault | Le dos
    Claude Louis-Combet | Celle par qui la ténèbre arrive (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Ludovic Janvier | Rivière et Rêverie
    Pablo Neruda | L’insecte
    Poupée de Bellmer (Angèle Paoli)
    Visite chez les morts (Angèle Paoli)
    La tentation du suicide (Angèle Paoli)
    Vagabondages et fragrances (Angèle Paoli)
    L’oliu d’uliva in festa è « à l’antica » (Angèle Paoli)
    Jeanne Bresciani | « Avril brisé » (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Novembre dans le Cap Corse (Angèle Paoli)
    Philippine (Angèle Paoli)
    Emma (Angèle Paoli)
    L’asphodèle, plante du salut
    André Ar Vot | « Al di là delle nuvole » (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Gérard de Nerval | Myrtho
    Angèle (Angèle Paoli)
    Terres de femmes ― N° du mois de janvier 2005



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  • Elisa Biagini à Lyon

    Chroniques de femmes – EDITO

    Chronique de Marie-Ange Sebasti



    Lospite







        Poète originaire de Florence, Elisa Biagini, qu’Angèle Paoli a récemment présentée sur Terres de femmes, était l’invitée d’Alessandro De Francesco, professeur à l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon, le mardi 13 mai, dans le cadre de son séminaire « Initiation à la poésie italienne contemporaine » pour une « lecture conférence » centrée sur le travail d’écrivain d’Elisa Biagini.

        Deux ouvrages emblématiques de son projet poétique ont été choisis pour la lecture, en italien par leur auteur, en traduction française par Alessandro De Francesco, après leur présentation éclairante : L’ospite, paru chez Einaudi à Turin en 2004, et Nel bosco (Einaudi, 2007), le plus récent.

        Elisa Biagini définit le premier comme un roman en vers construit à partir de la figure de sa grand-mère, avec laquelle un dialogue est entamé. Mais elle insiste sur le fait qu’il n’y a pas dans ce texte de dimension biographique, cette figure restant métaphorique dans ce qu’elle appelle une sorte de manifeste sur le thème du corps à partir de trois éléments : la maison, la nourriture, le corps. On saisit donc d’emblée l’ambition de ce poète pour qui la méthode est l’élément fondamental du processus d’écriture. Cette méthode implique un contrôle strict de la dimension émotionnelle de l’écriture qui en exclut nécessairement la spontanéité.

         Le recueil Nel bosco, reprenant ce thème prégnant du corps, est évidemment le fruit de cette méthode et développe ce manifeste. Il s’agissait pour l’auteur de réécrire l’histoire du Chaperon rouge, en la lisant d’abord dans toutes les versions possibles, puisqu’elle existe dans toutes les cultures, pour recréer la valeur symbolique des personnages. À la question d’un auditeur estimant que cette poésie peut relever d’une sorte de « nombrilisme autoréférentiel », Elisa Biagini répond qu’elle a choisi un thème qui passe par la nécessité de raconter sa propre expérience. Elle acquiert sa connaissance du monde par le biais du corps et sa poésie, à travers son expérience individuelle, à l’égal de celle d’Emily Dickinson, par exemple, est en quelque sorte « politique ». Son travail d’écriture naît d’un refus de ce qu’elle appelle « une poésie de la consolation », actuellement très présente en Italie, qui a tendance à « consoler », c’est-à-dire à donner des réponses au lieu de poser des questions.

        La lecture de plusieurs extraits des trois sections du recueil Nel bosco est complétée, dans un souci de lecture alternative, par une courte vidéo « sans prétention artistique », réalisée dans un bois hivernal de Toscane, qui souligne le caractère fortement « élémentaire » de cette poésie.

        Alessandro De Francesco noue alors un dialogue avec son invitée en comparant les deux ouvrages présentés. S’il reconnaît des éléments stylistiques identiques, il voit entre eux une grande différence dans la forme, proche de celle du haïku dans les poèmes encore plus elliptiques de Nel bosco, mais aussi dans le « panorama expressif ». Il constate dans ce recueil une dimension conceptuelle plus poussée. Le champ sémantique relève à ses yeux d’une façon plus systématique d’une certaine « récupération très personnelle d’une forme de lyrisme » où le cœur (physique) est présent en tant que moteur.

        Dans sa réponse, l’auteur, fidèle à la ligne de sa poétique, défend vivement l’analogie entre les deux textes, dont chacun crée un espace émotionnel très concentré (la maison, le bois). Si pour Paul Celan, un auteur dont elle se sent proche, la langue est « patrie », elle précise qu’elle la voit quant à elle comme un « espace », et cet espace est, dans l’écriture, précisément celui d’une « intervention politique ». Plusieurs auditeurs interviennent sur ce thème riche, récurrent dans son exposé, ainsi que sur la pensée de Celan ou sur les caractéristiques et l’évolution de la poésie en Italie.

        La hache, instrument de menace, mais aussi de nettoyage, figure clairement le travail du poète tel que l’entend Elisa Biagini, car dans « un monde de palabres où les projets ne peuvent vraiment aboutir », la tâche de la poésie est « de ramener à la substance des choses ». On se prend à rêver avec elle de la victoire « politique » de la métaphore.


    Marie-Ange Sebasti
    D.R. Texte Marie-Ange Sebasti





    Nel_bosco_2





    ■ Elisa Biagini
    sur Terres de femmes


    Nel bosco | Dans le bois (lecture d’AP)
    [Les nuits se ferment] (poème extrait de Depuis une fissure)
    Depuis une fissure (lecture d’AP)
    Sotto i castagni (extrait du recueil L’ospite)
    Anne Sexton | Elisa Biagini | Due mani… Due voci (trois poèmes extraits de Nel bosco, avec leur traduction en français par AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Da una crepa
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait d’Elisa Biagini (+ un poème extrait du recueil L’ospite et un autre extrait d’Acqua smossa)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    le site personnel d’Elisa Biagini
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes d’Elisa Biagini dits par Elisa Biagini (+ traduction française)
    → (sur Poetry International Web) une
    une bio-bibliographie d’Elisa Biagini (+ de nombreux poèmes)
    → (sur Terres de femmes)
    Portrait de Marie-Ange Sebasti





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  • Cécile Oumhani, Le Café d’Yllka

    Cécile Oumhani, Le Café d’Yllka,
    Editions Elyzad/Clairefontaine,
    Collection « éclats de vie », Tunis, 2008.



    Yllka






    YEUX CLAIRS NOYÉS


         Odeur du café. Leitmotiv intérieur qui grève l’absence. Gestes de la mère, ancrés dans la mémoire sans oubli. Café. Odeur des matins d’avant. Rien ne sera jamais plus comme avant. Autrefois, avant… Gestes. Menus gestes du bras et froissé de la robe. Cent fois observés, les gestes, avant que la vie bascule. Puis s’arrête. Odeur du café dans la maison, douceur de la peau d’Yllka sous la manche. C’est tout ce qui reste de la mère. Comment retrouver Yllka ? Est-elle encore en vie après toutes ces années de guerre et d’horreur qui l’ont conduite, un jour, au cœur de la tourmente, à se séparer de ses deux enfants ? Rejoindre le passé, est-ce encore possible ?

        Emina sait que l’irrémédiable s’est produit. Que rien, jamais, ne sera plus pareil. Il y a cette douleur au ventre, il y a ses larmes retenues qui glissent sur sa joue. Il y a pourtant ce désir plus fort que la mort de partir sur les traces d’Yllka. Emina quitte l’Allemagne de l’exil pour se rendre à Tetovo, dans le sud, pays d’origine d’Yllka. C’est là qu’Yllka a grandi et vécu ; là que demeure encore l’oncle Feti, frère d’Yllka. C’est là qu’Emina cherche sa mère, dans l’outremer des « cimes du Šar ». Il y a aussi et surtout le carnet d’Emina. Surgissement des italiques dans le récit et des points de suspension sur ce qui ne peut pas être dit. Le carnet — retour sur les années noires — retrace, fragmentés, les souvenirs « d’un temps naufragé ». Énigmatique, incompréhensible, la guerre a éclaté, qui divise tout en deux. Commence alors l’angoisse silencieuse de l’attente. Celle d’Yllka pour Edin, celle d’Emina et d’Alija pour leur père. Il y a les sirènes qui vrillent le ciel. Il y a cette incompréhension : Zoran, pour qui bat le cœur juvénile d’Emina, serait-il un ennemi ? Il y a la vie dans les caves de Sarajevo en ruines. Il y a la mort qui rôde dans la ville. La mort d’Ismeta, l’insouciante et joyeuse Ismeta, fauchée en pleine rue par les tirs ennemis. Cela ne va pas durer, disait Yllka, mais cela dure. Et Yllka ne dort plus ; « les grands parlent à voix basse ». Il faut prendre des décisions. Éloigner les enfants, se séparer d’eux. Peut-être, là-bas, à Slavonski Brod, pourront-ils atteindre « la rive des possibles »? Yllka confie son fils à Emina. Désormais, il leur faut, à l’un et à l’autre, apprendre à vivre ailleurs, dans l’absence d’Yllka et dans la souffrance. Et toujours lutter « pour que les lambeaux de brume » ne les engloutissent pas « corps et âme ». « Des années après, Emina se rappelle son arrivée à Zagreb, après des heures de voyage. » Des années après encore, « tout leur être est tourné vers Yllka ».

        Des années après peut-être, dans l’aéroport de Budapest, Cécile Oumhani croise le regard d’une jeune femme aux yeux clairs « noyés d’une tristesse indicible ». Ce regard qui emporte en s’éloignant le secret de son chagrin, offre à Cécile Oumhani la trame de l’histoire d’Yllka. Qui est sans doute aussi celle de milliers d’autres. Bouleversante jusque dans ses moindres accents, emplis de réserve et de pudeur. Une histoire de « blessures infligées par l’Histoire ». Le café d’Yllka. D’une immense tendresse.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    CÉCILE OUMHANI


    Cecile_oumhani



    ■ Cécile Oumhani
    sur Terres de femmes

    Interview de Cécile Oumhani par Rodica Draghincescu
    (+ Bio-bibliographie)

    Aux prémices du sable
    [Dès l’aube ils s’interpellent]
    Éclats de rêves
    Rêves de draps (extrait de Mémoires inconnues)
    [j’ai marché dans l’ignorance] (poème extrait de La Nudité des pierres)
    Ne craignons pas la nuit
    La Nudité des pierres (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Temps solaire, III
    Touching land (poème extrait de Passeurs de rives)
    [S’abandonner au sommeil] (extrait de Tunisie, Carnets d’incertitude)
    Avant-propos de Lalla ou le chant des sables d’Angèle Paoli
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Manhattan redux
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Cécile Oumhani, « Seuils possibles », Revue Confluences Méditerranée n° 22, été 1997



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Babelmed)
    « Cécile Oumhani, à la croisée des mots et des imaginaires »
    → (sur le site Babelmed)
    “Plus loin que la nuit”, entretien de Cécile Oumhani avec Nathalie Galesne (2 décembre 2007)
    → (sur le site Babelmed)
    Méditerranée / Panorama de la littérature tunisienne de langue française, par Jalel El Gharbi
    → (sur Encres vagabondes)
    un entretien de Cécile Oumhani avec Brigitte Aubonnet (novembre 2007)
    → (sur le site de Rafik Darragi)
    Nocturnes (la nuit dans l’œuvre de Cécile Oumhani)
    → (dans la Poéthèque du Printemps des poètes) une
    fiche bio-bibliographique sur Cécile Oumhani
    → (sur Levure Littéraire n° 7)
    Sous le « bleuté des plis de la nappe », d’admirables ciselures (note de lecture d’AP sur L’Atelier des Strésor de Cécile Oumhani)





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  • Pierre Michon, Le roi vient quand il veut

    par Angèle Paoli

    Pierre Michon, Le roi vient quand il veut,
    Albin Michel, 2007.



    Lecture d’Angèle Paoli


    PIERRE MICHON, LE ROI ACHAB




    Titre énigmatique et envoûtant, Le roi vient quand il veut m’a longtemps tenue immobile, en arrêt sur les rives du livre. J’ai longtemps différé le moment d’accoster le texte, attendant pour le faire que se manifeste le désir d’immersion nécessaire à pareille entreprise.

        L’urgence d’entrer dans le royaume de Pierre Michon s’est enfin manifestée. Je me suis attelée d’un seul tenant à sa découverte et l’ai visité d’un seul trait. Ces Propos sur la littérature (sous-titre de l’ouvrage) m’ont laissée éblouie. Réconciliée pour un temps avec la matière littéraire et avec le monde de l’écriture. Le monde de l’écrivain Pierre Michon ! Le roi !

    Composé d’une sélection d’entretiens donnés par l’auteur des Vies Minuscules depuis 1984, Le roi vient quand il veut se compose de 30 chapitres aux titres prometteurs. On y croise des noms d’auteurs : Rimbaud et Balzac, Giono et Gracq ; des titres d’œuvres : Moby Dick et La Grande Beune ; des questionnements aux résonances bibliques : « Qu’as-tu fait de tes talents » ? Ou ordinaires : « Mais qu’est-ce qu’on va devenir » ? Le nom de Mégara annonce Salammbô et la présence de la Bible est explicitement mise au jour, chapitre 26 : « La Bible est mon pays ». D’autres titres évoquent la langue : « Je me parle en patois »/« La chair est la proie de la langue ». D’autres ont un sens au premier abord moins explicite et suscitent du moins la recherche et/ou l’interrogation : « La vache et l’archer »/« Pirate au long cours », « Si Zhongwen joue du luth » ou encore « Un jeu de vessies et de lanternes ». La question de l’écriture sera sans doute abordée aussi : « Je ne suis pas ce que j’écris », de même celle de l’avenir du livre : « En attendant l’autodafé ». Parmi tous ces titres celui, énigmatique entre tous, qui donne son titre à l’ouvrage tout entier : « Le roi vient quand il veut ».

        Chapitre essentiel du recueil d’entretiens, « Le roi vient quand il veut » (chapitre 6) livre des clés de lecture sur le travail de Pierre Michon, un travail en rapport étroit avec la peinture et en particulier avec le portrait. Pierre Michon considère l’art du portrait — « de la fin de la Guerre de cent ans à Picasso » — comme « la forme la plus achevée, la plus fragile, la plus émouvante du grand art d’Occident. « Art d’apparition », le portrait est pour l’auteur des Vies minuscules un « inducteur de connaissance, vérité révélée ». De ce « dialogue infini avec le sensible » prennent forme la connaissance des autres et la connaissance de soi. Car derrière les portraits se cache l’autoportrait, qui s’incarne successivement dans les différents personnages représentés sur la toile : « Je suis le sujet du portrait, le comte, c’est-à-dire dans mes textes le personnage de Watteau par exemple, ou Van Gogh. Je suis celui qui peint, et aussi celui qui raconte, le témoin, l’humble narrateur, le curé Carreau ou le facteur Roulin ; et je suis enfin une troisième voix qui apparaît ça et là dans mes textes, qui est moi sans doute, l’écrivain, le gratte-papier qui est mangé par l’ombre, tout au fond du tableau. J’aimerais bien qu’il y ait en plus le roi, c’est-à-dire la littérature, ou le sens, ou le vrai, ou peut-être tout simplement le lecteur. Mais le roi vient quand il veut » (p. 67).

    Et quand le roi vient pour l’écrivain, le « baromètre intérieur » de Pierre Michon le lui indique. Cela « marche ». Et cela marche lorsque les gens croisés dans la vie ordinaire semblent sortir tout droit de la « main d’un peintre ». Pour conduire à celle de l’écrivain Pierre Michon, hagiographe des vies invisibles, ces vies minuscules qui passent sans laisser de trace, sans que nul ne s’inquiète de leur présence au monde et encore moins de leur disparition. Cela marche « quand je suis ivre de mon sujet, quand je m’éprends de lui », déclare aussi Pierre Michon.

    Aux origines de l’écriture, les grandes émotions de l’école primaire, la magie des grands textes incantatoires. Le « Booz endormi » de La Légende des siècles, ou Salammbô de Gustave Flaubert : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». C’est là, sans doute, dans le phrasé énigmatique des maîtres que s’est forgée chez Pierre Michon l’idée de la littérature comme « lieu d’exposition extrême à ce qui échappe aux hommes » et qui revient à Dieu. Ou à ce « qui en tient lieu ». « Forme déchue de la prière », la littérature est de l’ordre du sacré. « Dans la liturgie du texte », le langage religieux joue le rôle de « paliers, de piliers absolument imparables ». « Ce sont des relances, des coups de tambour », indispensables à la prose de Pierre Michon, « un peu comme le bumper dans un flipper ».

    Tout aussi importante et décisive, l’absence du père, sans laquelle, sans doute, la venue à l’écriture n’aurait pas eu lieu. Absence transcendée par la peinture, cet art sublime de « l’incarnation » ; et par la littérature. Ainsi, « Vies minuscules était un essai pour donner corps au père absent ». Aux origines de l’écriture enfin, la nécessité de vivre. Compenser en écrivant « l’incapacité à entrer dans la vie civile » et à travailler, compenser l’aphasie sociale par l’appétit hallucinatoire de l’écrivain. Un écrivain passionné par la « verticalité » biblique et par sa dramaturgie à deux voix (Yahvé et son peuple) aussi bien que par la période de Proust, de Faulkner ou de Flaubert. Faulkner, qui offre à Pierre Michon son portrait de l’écrivain dans la « Vie d’André Dufourneau » :

    « Allons, c’est bien à un écrivain qu’il ressemble : il existe un portrait du jeune Faulkner, qui comme lui était petit, où je reconnais cet air hautain à la fois et ensommeillé, l’œil pesant mais d’une gravité fulgurante et noire, et, sous une moustache d’encre qui jadis déroba la crudité de la lèvre vivante comme le fracas tu sous la parole dite, la même bouche amère et qui préfère sourire » (Vies minuscules, p. 23). Faulkner que l’on retrouve dans « La prose de Moby Dick », et dont Pierre Michon affirme qu’il lui a donné « la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative, la grande voix invincible qui se met en marche dans un petit homme incertain. »

    Lire et relire Le roi vient quand il veut, c’est être de plain-pied avec la « vraie vie ». La « vraie vie » pour Pierre Michon, c’est la littérature. Et la littérature est dans le « secret de Melville ». Ce secret dont parle Maurice Blanchot, pour lequel les lecteurs sont comme l’équipage du Péquod vis-à-vis d’Achab. Reprenant la métaphore de Blanchot, Pierre Michon écrit : « L’homme qui écrit est, par rapport à l’écrivain qui est en lui, comme l’équipage du Péquod en face d’Achab. L’équipage assume tout le grotesque, le babil, le charabia, les lieux communs piétistes (on dirait aujourd’hui « la subversion »), la sacristie et la main-d’œuvre, la couverture médiatique ; Achab c’est le sublime : la sortie du lieu commun, du communautaire, du bien-pensant, des ligues de vertu piétistes et subversives. Achab est intolérable, il est la littérature. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Pierre Michon  Le roi vient quand il veut






    PIERRE MICHON




    ■ Pierre Michon
    sur Terres de femmes


    Les Onze (lecture d’AP)
    Vie de Joseph Roulin (lecture d’AP)
    28 mars 1945 | Naissance de Pierre Michon (extraits de Corps du roi et de Vies minuscules)






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  • Rachel Blau DuPlessis | Image persistante

    «  Poésie d’un jour  »



    Point de fuite
    Ph., G.AdC







    IMAGE PERSISTANTE



    Il s’est avancé dans l’espace entre

    lui-même

    et son agonie

    ce souffle par lequel

    sans patrie

    les eaux nacrées remontent pour se muer en boue.

    Sans plan. Cette terre

    n’a pas de nom.

    Profond huileux
    passage, plus d’élément

    primitif, ni

    retours ni

    reculs, loin

    d’obscure découverte.






    Entre ténèbre et lumière

    avant que le fil blanc puisse être distingué

    du noir avant qu’il soit

    palpable, comment les distinguer

    l’un l’autre comment

    la sente noire pourrait-elle être

    blanche, le champ ténébreux du miroir distingué

    semi-vide, comment s’échiner et ne pas S’en

    trevoir ?






    Champ ténébreux, blanc miroir semi-vide il y
    a là un point de fuite.

    Tes yeux ouverts, vers l’intérieur,
    tes yeux fixent tes yeux te
    fixent encore
    complice, exclu.

    Puits
    de fuite d’un lieu sondé.

    Douce
    au flanc de la colline s’émiette        la faille brune
    humide

    en-dedans ;
    mares d’eau nue         l’écume verte monte
    du fond.






    Parce que
    cela n’avait pas de lieu
    et ne pouvait monter ni choir quelle que soit
    la poussée

    il marche,
    avançant calmement
    vers quoi

    excédé par l’ennui
    la banalité la
    paix. Le temps.



    Rachel Blau DuPlessis, « Image persistante » (1986), Tabula rosa, Potes and Poets Press, 1987, traduit par Yves di Manno in 49 + 1 Nouveaux Poètes américains choisis par Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Journoud, Un bureau sur l’Atlantique & Éditions Royaumont, 1991, pp. 79-80-81.




    ___________________________________________________________
    Note d’AP : le texte « Image persistante » (1986) de Rachel Blau DuPlessis a été repris dans l’ouvrage d’Yves di Manno : Objets d’Amérique, José Corti, Collection Série américaine, 2009, pp. 205-213.






    RACHEL BLAU DUPLESSIS

    RACHEL BLAU DuPLESSIS
    Source



    Rachel Blau DuPlessis est née en 1941 à Brooklyn, New York.

    « J’écris ce que j’ai besoin de lire. Je travaille à partir d’une poétique de critique. Il me paraît essentiel dans mon écriture, de continuer à inventer les pratiques expérimentales et novatrices du modernisme — la prose polyvocale, le collage, l’hétéroglossie, le métissage générique, la diction créolisée — tout en les imprégnant d’une éthique et d’une sincérité qui viennent des traditions objectiviste et féministe-humaniste » (id., page 314).



    ■ Rachel Blau DuPlessis
    sur Terres de femmes

    [It’s hard for me to talk about poetry] (extrait de Brouillons)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Electronic Poetry Center)
    une bio-bibliographie de Rachel Blau DuPlessis
    → (sur PennSound)
    un très grand nombre d’archives sonores et vidéos






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  • 13 mai 1911 | Victor Segalen, René Leys

    Éphéméride culturelle à rebours



    Ce grand soleil donne comme une ombre allongée
    Ph., G.AdC







    13 mai 1911.


         […] Le sommeil est impossible. Et ce grand œil jaune du ciel pékinois, ce grand soleil si quotidien qu’on le réclame comme un dû, qu’on l’attend comme un ami fidèle… Je m’accorde donc plein congé, puisque mes professeurs eux-mêmes…
        Et ce grand soleil donne comme une ombre allongée, que je suis debout, dehors, à cheval, en route pour n’importe où, sous sa lumière et sous le bol bleu sans tache… — n’importe où, c’est-à-dire évidemment près du Palais.
        D’instinct, me voici à Tong-Houa-men, la Porte de l’Orient Fleuri, — jamais vue encore à cette heure princière… encombrée de chars à mules, de valets, d’eunuques et d’officiers en tenue de cérémonie : le chapeau d’été, le chapeau conique de paille à la queue de crin rouge, que l’on coiffe par ordre aujourd’hui. Par-dessus tout, la masse ventrue dans ses lignes inclinées, le flanc violet à lèpres grises du mur, percé de la porte coiffée des trois chapes recourbées… Je sais d’instinct que la porte va s’ouvrir.






    La_porte_coiffe_des_trois_chapes_re
    Ph., G.AdC






        Elle s’ouvre. Un flot en débouche et me refoule. Je prends poste à l’angle de la grande avenue par lequel il faudra bien que le cortège tourne. La garde, échelonnée de dix pas en dix pas, ose à peine écarter l’Européen que je suis. On voudrait bien me faire descendre de cheval. Je descends. On me laisse libre ; et, simplement, au moyen de quelques coups de coude, on accepte ma présence au premier rang, et je vais voir…
        Je vais bien voir. C’est l’heure de la sortie du Grand Conseil, tenu chaque jour avant l’aube, logiquement, afin de régler par avance de quoi sera fait ce jour-ci. Le Régent sort le premier pour regarder ses maisons privées. La porte s’ouvre : voilà son escorte, à toute allure, droit sur moi : d’abord des ambleurs mongols, portant en vedette des étendards… puis, un extraordinaire cavalier, jeune, et rond, brun de visage, trapu et vif, serrant fortement de ses courtes jambes la selle haute très arçonnée, la selle chinoise qui le juche bien plus haut que l’échine de son cheval… Un œil étincelant qui fouille à la fois la rue et les passants… Dans un éclair, voilà toute la chevauchée tartare conquérante, aux prises, il y a deux cent quarante ans, avec la Chine soumise…


    Victor Segalen, René Leys [1922], Éditions Gallimard, 1971 ; Collection L’Imaginaire, 1978, pp. 58-59.





    VICTOR SEGALEN


    Victor_sgalen



    ■ Victor Segalen
    sur Terres de femmes

    14 janvier 1878 | Naissance de Victor Segalen
    3 octobre 1911 | Victor Segalen, René Leys
    Perdre le Midi quotidien





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  • Sandro Penna | Chroniques de printemps

    «  Poésie d’un jour  »



    Les_longs_cris_des_trains_allums_da
    Ph., G.AdC







    CRONACHE DI PRIMAVERA



                                              Il primo uomo
    nudo, al mattino sul greto del fiume
    rabbrividiva ancora. Amore, a sera,
    tormentava la donna che il fanciullo,
    meraviglioso, abbandonava : il vivido
    gesto di lui io vidi entro una buia
    strada protesa alla campagna : amici
    gli erano i nuovi campi e il sole — i lunghi
    gridi dei treni nella notte accesi.

    L’amore di se stessi non è forse un sogno
    vissuto ad occhi aperti per le strade?



    Sandro Penna, Stranezze [1957-1976], in Poesie, Garzanti Editore, Collana Gli Elefanti, febbraio 2000 (settima edizione), pp. 419-420. Prefazione di Cesare Garboli.






    CHRONIQUES DE PRINTEMPS



                                 Le premier homme
    nu frissonnait encore,
    le matin dans le lit du fleuve.
    Amour, le soir,
    tenaillait la femme abandonnée
    par sa merveille d’enfant : j’ai vu
    son geste vif dans la pénombre
    d’une route tendue vers la campagne : ses amis
    c’étaient les champs neufs et le soleil — les longs
    cris des trains qui flamboient dans la nuit.

    L’amour de soi ne serait-il rien d’autre qu’un songe
    éveillé sur les chemins ?


    Traduction inédite Angèle Paoli







    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE



    Né à Perugia (Pérouse) le 12 janvier 1906, Sandro Penna a vécu essentiellement à Rome où il est mort le 21 janvier 1977. À Milan, où il passé une brève période de sa vie, il a travaillé comme commis dans une librairie puis exercé divers métiers (traducteur, antiquaire,…) avant d’être introduit (1929) dans le milieu littéraire par Umberto Saba, avec qui il s’était lié d’une amitié chaleureuse.

    Son premier recueil, Poesie [1927-1938], publié en 1939, est suivi d’autres recueils — Appunti (1950) et Una strana gioia di vivere (1956), traduit de l’italien par Jean-Noël Schifano et Dominique Fernandez (Une étrange joie de vivre, Fata Morgana, 1979). Après une période de long silence suivront l’édition par Garzanti de Tutte le Poesie (1970) — qui contribueront à la redécouverte de Penna par les intellectuels italiens —, puis Stranezze (publié en 1976, quelques mois avant la mort de Sandro Penna). Il viaggiatore insonne (1977) et Confuso sogno (1980) ont été publiés après la mort du poète.

    Les œuvres complètes de Sandro Penna — une figure quelque peu isolée dans la poésie italienne contemporaine — ont été éditées en septembre 1989 par les Éditions Garzanti dans la collection Gli Elefanti. Une nouvelle édition des œuvres complètes de Sandro Penna, intitulée Poesie, Prose, Diari, a paru chez Mondadori, dans la collection « I Meridiani », en juin 2017.
        Comme le souligne Philippe Di Meo, « grâce et légèreté se conjuguent dans cette œuvre tout à la fois limpide et délicate. Ses poèmes sont la plupart du temps brefs, de menues notations traduisant la stupeur, la surprise ou l’enchantement. L’ensemble constitue un canzionere de l’amour homosexuel.

    Fait remarquable, il est impossible de retracer l’évolution interne de cette poésie tant elle demeure égale à elle-même au fil du temps, comme si aucune temporalité ne pouvait l’entamer. Sensuelle, attentive aux suggestions d’atmosphère, l’élégie de Penna est parfois voilée d’un soupçon de mélancolie. Ouvriers, soldats, jeunes gens, paysages urbains et de banlieues constituent, avec celui de la solitude, ses thèmes habituels. » (Trente ans de poésie italienne, 1, Belin, 2004, page 70)





    SANDRO PENNA


    Sandro_Penna 3
    Source




    ■ Sandro Penna
    sur Terres de femmes


    L’automne me parle déjà
    [Nuit : rêve de fenêtres] (poème extrait de Croix et délice)
    [La vie… c’est se souvenir d’un réveil]
    Un’estate




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur italialibri) une
    bio-bibliographie (en italien) sur Sandro Penna
    → (sur Imperfetta Ellisse) une
    note très pertinente (en italien) de Giacomo Cerrai à propos du centenaire de la naissance de Sandro Penna





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  • 11 mai 1950 |
    Création de La Cantatrice chauve de Ionesco

    Éphéméride culturelle à rebours



    Bataille460
    Source







        Le 11 mai 1950, création au théâtre des Noctambules, à Paris, de la pièce d’Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, par la compagnie Nicolas Bataille. Mise en scène de Nicolas Bataille. Avec Claude Mansard dans le rôle de M. Smith et Paulette Frantz dans celui de Mme Smith. Depuis 1957, la pièce se joue sans interruption au Théâtre de la Huchette à Paris.








    Ionesco-p78
    Source






    ■ Eugène Ionesco
    sur Terres de femmes

    22 janvier 1970 | Le fauteuil d’Eugène Ionesco
    22 avril 1952 | Création des Chaises, farce tragique de Ionesco



    Cantatrice_1



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → sur le site ionesco.org)
    la liste de toutes les éditions et représentations de la pièce
    → (sur le site ubu.com)
    Eugène Ionesco lisant lui-même lui-même le texte intégral de la pièce






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  • TdF n° 2 ― janvier 2005



    1_logo_janvier_2005
    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE JANVIER 2005



    Terres de femmes ― N° du mois de décembre 2004
    Sylvie Germain | « Che farò senza Euridice ? »
    Le rythme sourd du ressac de Salaghja (Angèle Paoli)
    Nue sous ses écailles (Angèle Paoli)
    Flavia Carlotti | Parolle à pezzi
    Tourner la page Affranchie (Angèle Paoli)
    Les cabanes (Angèle Paoli)
    Premiers pas, Venezia 83 (I) (Angèle Paoli)
    La lagune, Venezia 83 (II) (Angèle Paoli)
    Torcello, Venezia 83 (III) (Angèle Paoli)
    Mara, Venezia 83 (IV) (Angèle Paoli)
    L’île aux morts, Venezia 83 (V) (Angèle Paoli)
    Étape à San Clemente, Venezia 83 (VI) (Angèle Paoli)
    Enfer et vanités à San Giorgio, Venezia 83 (VII) (Angèle Paoli)
    Yves Bonnefoy | Les Raisins de Zeuxis
    Veri similis (Angèle Paoli)
    Débrisures (Angèle Paoli)
    Dacia Maraini | Marianna Ucrìa (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Mario Luzi | Quanta vita
    Chaillots/Cuticci (Angèle Paoli)
    Claude Louis-Combet | Hiérophanie du sexe de la femme
    Michel Butor | Et omnia vanitas
    L (Angèle Paoli)
    Pietro Citati | Narcissique Katinka
    Vaches de cabanes (Angèle Paoli)
    14 janvier 1855 | Lettre de Victor Hugo à Émile Deschanel
    14 janvier 1977 | Mort d’Anaïs Nin
    Elio Vittorini | Sicilia !
    15 janvier 1925 | Début de l’école des Annales
    16 janvier 1884 | Naissance de Jules Supervielle
    Anna Toscano | Venezia
    17 janvier 1944 | Naissance de Françoise Hardy
    Anamnèse du Lait (Angèle Paoli)
    18 janvier 1948 (Angèle Paoli)
    18 janvier 1934 | Création de l’Orchestre national de France
    19 janvier 1839 | Naissance de Paul Cézanne
    20 janvier 1900 | Mort de John Ruskin
    Cauchemardesques (Angèle Paoli)
    21 janvier 1947 | Naissance de Michel Jonasz
    22 janvier 1970 | Le fauteuil d’Eugène Ionesco
    Andrea Zanzotto | Ticchettio
    23 janvier 1947 | Mort de Pierre Bonnard
    Guy de Maupassant | Une histoire corse
    Nathalie Rheims | Tout est dans le rêve… (note de lecture d’Angèle Paoli)
    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    Virginia, lectures croisées (note de lecture d’Angèle Paoli)
    26 janvier 1861 | Gustave Flaubert à Jules Michelet
    Dans l’obscur labyrinthe, le sourire de son père (Angèle Paoli)
    27 janvier 1945 | Primo Levi
    Anna Toscano ou De l’art de la fragmentation (Angèle Paoli)
    Jeux de Lumières (Angèle Paoli)
    30 janvier 1959 | Création des Possédés d’Albert Camus
    « Un hiver 58 », 31 janvier 1956 | Nuit et brouillard (Angèle Paoli)
    Colette | Femme j’étais et femelle je me retrouve
    Terres de femmes ― N° du mois de février 2005



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  • 10 mai 189… | Elizabeth von Arnim et son jardin allemand

    Éphéméride culturelle à rebours



    Marie_van_houtte
    Source






    L’ANNÉE DERNIÈRE, J’IGNORAIS TOUT DU JARDINAGE


        10 mai. — L’année dernière j’ignorais tout du jardinage, et cette année ne suis guère plus savante même si j’ai maintenant les idées plus claires et si je suis déjà passée de la culture des volubilis à celle des roses thé.
        Le jardin était une véritable forêt vierge qui encerclait la maison de tous côtés, mais surtout au midi. De ce côté la maison ne comporte qu’un étage ; une longue série de pièces qui se commandent les unes les autres. Les murs sont entièrement recouverts de lierre. Au centre, une petite véranda mène par un escalier de bois branlant vers la seule partie du jardin qui ait jamais été vraiment entretenue. Dans un demi-cercle bordé de troènes, au milieu de la pelouse, je découvris onze plates-bandes de différentes dimensions disposées autour d’un très ancien cadran solaire moussu pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Ces plates-bandes étaient le seul signe visible de jardinage en ce jardin (à l’exception d’un crocus solitaire qui fleurissait chaque printemps sans l’avoir vraiment désiré — mais que pouvait-il faire d’autre ?). J’y plantai partout des volubilis après avoir lu dans un manuel de jardinage allemand qu’ils étaient capables de transformer le désert le plus lugubre en véritable paradis. Le manuel les recommandait avec une chaleur vraiment communicative. Dans mon ignorance des quantités à utiliser j’en achetai dix livres que je ne plantai pas seulement dans les plates-bandes mais autour de presque tous les arbres, puis attendis, très agitée, l’apparition du paradis promis. Jamais celui-ci ne daigna se montrer, et ce fut ma première leçon.
        Par chance, j’avais aussi planté deux carrés de pois-de-senteur mêlés de lys blancs qui suffirent à mon bonheur pendant tout l’été, ainsi que quelques tournesols et des roses trémières sous les fenêtres de l’aile sud. Quand les lys moururent, je fus affreusement dépitée. Comment aurais-je pu deviner qu’ainsi vont tous lys ? Quant aux roses trémières, elles furent si vilaines que mon premier été n’eut pour tout décor et embellissement que les seuls pois de senteur […]
        J’ai également fait planter deux plates-bandes de chaque côté du demi-cercle, toujours avec du réséda et dans l’une des « Marie van Houtte », dans l’autre, des « Jules Finger » et des « Fiancées ». Sous les fenêtres du salon ont été disposées des « Madame Lambard », « Madame de Watteville » et « Comtesse Riza du Parc ». Plus loin, abritées au nord et à l’ouest par un bosquet de hêtres et de lilas, se trouve une dernière plate-bande de « Rubens », « Madame Joseph Schwartz », et « Hon. Edith Gifford ». Ce sont toutes des roses naines. Dans tout le jardin je n’en ai que deux de taille normale, deux « Madame George Bruant » qui ressemblent à des manches à balai. Comme je suis impatiente de voir s’ouvrir les boutons des roses thé! Jamais je n’ai rien attendu avec autant de fièvre. Chaque jour je procède à une tournée d’inspection pour admirer les progrès accomplis par les feuillages vert tendre et les mignons boutons rouges.
        Les roses trémières et les lys blancs (maintenant en fleur) se trouvent toujours sous les fenêtres de l’aile sud, formant une étroite bordure qui couronne une pente gazonnée au pied de laquelle j’ai semé deux longues plates-bandes de pois-de-senteurs, si bien que mes roses auront de jolis compagnons jusqu’à l’automne, quand les roses thé occuperont toute la place. Le sentier qui descend à travers le jardin est bordé de roses de Chine blanches et rosées, avec ici et là quelques « Jaune Perse ». Aujourd’hui je préfèrerais avoir planté là aussi des roses thé, car j’ai quelques appréhensions à l’idée du mélange « Jaune Perse » et des roses de Chine tant ces dernières sont minuscules alors que les « Jaune Perse » ont l’air de vouloir se transformer en de véritables buissons.
        Nul ne paraît comprendre, ici, combien le cœur me bat en attendant la floraison de mes roses. Il n’est pas un traité de jardinage allemand qui ne relègue les roses thé dans les serres, les emprisonnant à vie et les empêchant pour toujours d’être touchées par le souffle de Dieu. Seule mon extrême ignorance a pu me permettre de planter mes roses thé face au vent du nord, et pourtant elles lui ont bravement fait face, sous les branches de sapin. Aucune n’a souffert. Et elles semblent aujourd’hui aussi heureuses et aussi décidées à profiter de la vie qu’aucune rose d’Europe.


    Elizabeth von Arnim, Elizabeth et son jardin allemand [Elizabeth and her German Garden, septembre 1898], Salvy Éditeur, 1989, pp. 38-39, 40-42. Présentation de E.M. Forster. Traduit de l’anglais par François Dupuigrenet Desroussiles.



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