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  • 9 mai 1630 | Mort d’Agrippa d’Aubigné

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 9 mai 1630 meurt à Genève — où il est exilé — Agrippa Théodore d’Aubigné, calviniste.






    Agrippa_daubign






         Connu pour les Tragiques, œuvre eschatologique et « épopée de l’âme » du grand écrivain calviniste, Agrippa d’Aubigné, émule de Ronsard, est aussi l’auteur d’un recueil poétique : Le Printemps. Commencée en août 1570 dans son domaine des Landes-Guinemer (Loir-et-Cher), la rédaction du Printemps, œuvre ardente composée des cent sonnets de L’Hécatombe à Diane, d’un recueil d’odes et de stances ne verra le jour qu’au XIXe siècle. Fiancé quelque temps à Diane Salviati*, d’Aubigné est éconduit par celle dont il est éperdument épris. Cruellement blessé, d’Aubigné compose en l’honneur de « sa » Diane une œuvre** sombre et pathétique considérée aujourd’hui comme l’un des sommets de la poésie baroque.



    Tout cela qui sent l’homme à mourir me convie,
    En ce qui est hideux je cherche mon confort :
    Fuyez de moi, plaisirs, heurs, espérance et vie,
    Venez, maux et malheurs et désespoir et mort !

    Je cherche les déserts, les roches égarées,
    Les forêts sans chemin, les chênes périssants,
    Mais je hais les forêts de leurs feuilles parées,
    Les séjours fréquentés, les chemins blanchissants.

    Quel plaisir c’est de voir les vieilles haridelles
    De qui les os mourants percent les vieilles peaux:
    Je meurs des oiseaux gais volants à tire d’ailes,
    Des courses de poulains et des sauts de chevreaux !

    Heureux quand je rencontre une tête séchée,
    Un massacre de cerf, quand j’oi les cris des faons ;
    Mais mon âme se meurt de dépit asséchée,
    Voyant la biche folle aux sauts de ses enfants.

    J’aime à voir de beautés la branche déchargée,
    À fouler le feuillage étendu par l’effort
    D’automne, sans espoir leur couleur orangée
    Me donne pour plaisir l’image de la mort.

    Un éternel horreur, une nuit éternelle
    M’empêche de fuir et de sortir dehors
    Que de l’air courroucé une guerre cruelle
    Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le corps !

    Jamais le clair soleil ne rayonne ma tête,
    Que le ciel impiteux me refuse son œil,
    S’il pleut qu’avec la pluie il crève de tempête,
    Avare du beau temps et jaloux du soleil.

    Mon être soit hiver et les saisons troublées,
    De mes afflictions se sente l’univers,
    Et l’oubli ôte encore à mes peines doublées
    L’usage de mon luth et celui de mes vers.


    Théodore Agrippa d’Aubigné, Le Printemps, « Stances », I, vers 89-140 (1570), Littérature XVIe s., Éditions Nathan, 1988, page 476.




    ____________________________
    * Diane Salviati, nièce de Cassandre Salviati, chantée par Ronsard dans ses Amours.
    ** Orthographe modernisée.



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  • TdF n° 20 ― juillet 2006



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    SOMMAIRE DU MOIS DE JUILLET 2006


    Terres de femmes ― N° du mois de juin 2006
    1er juillet 1854 | Journal d’Eugène Delacroix
    Fffffff (Angèle Paoli)
    Marie-Ange Sebasti | Quand les îles pouffent de rire
    Vincent La Soudière | Qui a crié ?
    2 juillet 1778/Mort de Jean-Jacques Rousseau
    Écorchée (Angèle Paoli)
    3 juillet 1883 | Naissance de Franz Kafka
    4 juillet 1969 | L’Orlando Furioso mis en scène par Luca Ronconi
    José Ángel Valente | Ode à la solitude
    5 juillet 1972 | Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau
    Cesare Pavese/Tu as un sang, une haleine
    François Solesmes | L’île est d’abord femme
    Fabienne Massiani-Lebahar | écritures
    8 juillet 1967/Mort de Vivien Leigh
    Giuseppe Ungaretti | Naples, le 9 juillet 1932
    La vague (Angèle Paoli)
    10 juillet 1871 | Naissance de Marcel Proust
    Friedrich Hölderlin/La bonne croyance
    11 juillet 1904 | Matisse à Saint-Tropez
    Juan Ramón Jiménez/NOCTURNO
    12 juillet 1817 | Naissance de Henry David Thoreau
    Pablo Neruda | Corps de femme
    13 juillet 1937 | Guernica au Trocadéro
    Léo Ferré/Comme une marée de la mort
    14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim
    15 juillet 1939 | Louise de Vilmorin à Francis Poulenc
    Labyrinthe (Angèle Paoli)
    18 juillet 1374 | Mort de François Pétrarque
    René Char | La frontière en pointillé
    Robert Alexis | La Robe merveille (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Icônes sous verre (Angèle Paoli)
    Ingeborg Bachmann | Sombres et rouge sang sont mes désirs
    21 juillet 1916 | Lettre de Marina Tsvétaïeva
    Erri De Luca | Qui a étendu ses bras au large
    22-23 juillet 1935 | Oasis interdites d’Ella Maillart
    23 juillet 1966 | Ouverture du 7e festival de jazz d’Antibes/Juan-les-Pins
    23 juillet 1983 | Claude Roy, L’Été L’Attente
    Paroles sous silence (Angèle Paoli)
    Marguerite Yourcenar | Broderies sur le vide
    Ludovic Janvier | À la racine
    Gianmaria Testa | Il viaggio
    Bernard Noël | Viens dis-tu
    Losange noir (Angèle Paoli)
    Maria Venezia | Je te décris cette paix particulière…
    27 juillet 1839 | Emily Jane Brontë
    Dino Campana/Pampa
    Ressac (Angèle Paoli)
    Anne-Marie Albiach | Le chemin de l’ermitage
    Terres de femmes ― N° du mois d’août 2006



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  • Paul Celan | La main pleine d’heures

    «  Poésie d’un jour  »



    Paul_celan
    Source







    DIE HAND VOLLER STUNDEN



    DIE HAND VOLLER STUNDEN, so kamst du zu mir — ich sprach :
    Dein Haar ist nicht braun.
    So hobst du es leicht auf die Waage des Leids, da war es schwerer als ich…

    Sie kommen auf Schiffen zu dir und laden es auf, sie bieten es feil auf den Märkten der Lust —
    Du lächelst zu mir aus der Tiefe, ich weine zu dir aus der Schale, die leicht bleibt.
    Ich weine : Dein Haar ist nicht braun, sie bieten das Wasser der See, und du gibst ihnen Locken…
    Du flüsterst : Sie füllen die Welt schon mit mir, und ich bleib dir ein Hohlweg im Herzen!
    Du sagst: Leg das Blattwerk der Jahre zu dir – es ist Zeit, daß du kommst und mich küssest!

    Das Blattwerk der Jahre ist braun, dein Haar ist es nicht.




    Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1952.






    LA MAIN PLEINE D’HEURES



    LA MAIN PLEINE D’HEURES, ainsi tu vins à moi — j’ai dit :
    tu n’as pas les cheveux bruns.
    Alors tu les as soulevés et mis légers sur la balance de la douleur : ils étaient plus lourds que moi…

    Ils viennent à toi sur des navires et les y chargent, ils les écoulent sur les marchés du plaisir —
    Tu souris vers moi depuis la profondeur, je pleure vers toi depuis le plateau qui demeure léger.
    Je pleure : tu n’as pas les cheveux bruns, ils offrent l’eau de la mer, et tu leur donnes des boucles…
    Tu chuchotes : ils remplissent le monde rien qu’avec moi et je demeure un chemin creux dans ton cœur !
    Tu dis : mets avec toi le feuillage des années — il est temps que tu viennes et m’embrasses !

    Le feuillage des années est brun, tes cheveux ne le sont pas.



    Paul Celan, Pavot et mémoire, in Choix de poèmes réunis par l’auteur, Gallimard, Collection Poésie (édition bilingue), 1998, pp. 28-29. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre.






    ■ Paul Celan
    sur Terres de femmes

    23 novembre 1920 | Naissance de Paul Celan
    Lob der Ferne
    Lointains
    Stimmen
    TANT D’ASTRES
    Tübingen, Jänner
    13 février | Paul Celan, Tout en un
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Paul Celan disant lui-même dix de ses propres poèmes






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  • TdF n° 19 ― juin 2006




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    SOMMAIRE DU MOIS DE JUIN 2006



    Terres de femmes ― N° du mois de mai 2006
    1er juin 1934/Journal d’Anaïs Nin
    2 juin 1952/André Gide mis à l’Index
    2 juin 1970/Mort de Giuseppe Ungaretti
    Éclats d’éclats : Poésies polaroïds (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Éclats d’éclats (01) : Soleil (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Éclats d’éclats (02) : Fureur (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Gisèle Freund à Milan par Angèle Paoli (Chroniques de femmes)
    5 juin 1937/Naissance d’Hélène Cixous
    Éclats d’éclats (03) : Mandibules (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    7 juin 1848/Naissance de Paul Gauguin
    Kenneth White/Lettre à un vieux calligraphe
    Julio Cortázar/Ligne de mire
    9 juin 1947/Création officielle à Paris du Musée national d’Art Moderne
    Éclats d’éclats (4) : Glissement (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Marie-Paule Lavezzi/Les brodeuses
    Éclats d’éclats (5) : Vrille (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Andrea Zanzotto/Comment puis-je oser vous appeler ici
    Éclats d’éclats (6) : Innocence (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    13 juin 1930/Fernando Pessoa
    Jeanne Bastide, Lucarnes
    Éclats d’éclats (7) : Orientation (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    14 juin 1925/Inauguration de la première exposition consacrée à la Nouvelle Objectivité
    14 juin 1907/Naissance de René Char
    Éclats d’éclats (8) : Élancements (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Walt Whitman/Fureur amoureuse
    Éclats d’éclats (9) : Surgissement (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    17 juin 1960/Mort de Pierre Reverdy
    18 juin 1946/Régine Pernoud reçoit le Prix Femina pour Lumière du Moyen Âge
    18 juin 2006/Agnès Varda à la Fondation Cartier par Angèle Paoli (Chroniques de femmes)
    19 juin 1876/Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes
    Annemarie Schwarzenbach/La Mort en Perse
    Éclats d’éclats (10) : Avant (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Mario Luzi/Près de la reine de Saba
    Hélène Cixous/« Mes êtres d’incandescence »
    21 juin 1927/La comtesse Greffulhe et Anna de Noailles
    Anne-Marie Albiach/la voix distincte
    Terres d’encres (Angèle Paoli)
    Éclats d’éclats (11) : Ondulations (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Sylvie Fabre G./Maison en quête d’orient
    Gustave Roud/La poésie seule…
    Sous le pavot, la page (Angèle Paoli)
    24 juin 1935/Mort de Carlos Gardel
    Alejandra Pizarnik/La lumière tombée de la nuit
    25 juin 1961/Sortie du film d’Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad
    Edoardo Sanguineti/Ballade des femmes
    26 juin 1926/Lettre de Vita Sackville-West à Harold Nicolson
    À flux tendu (Angèle Paoli)
    Rainer Maria Rilke/Je voudrais tendre des tissus de pourpre
    28 juin 1922/Naissance de Mauro Bolognini
    T.S. Eliot/Tournons autour du fi-guier
    Arthur Rimbaud/Je devins un opéra fabuleux
    29 juin 1940/Mort du peintre Paul Klee
    Éclats d’éclats (12) : alvéolaires (Angèle Paoli/Guidu Antonietti di Cinarca)
    Philippe Jaccottet/Tout à la fin de la nuit
    Terres de femmes ― N° du mois de juillet 2006



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  • 7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 7 mai 1748 naît à Montauban Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze.







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    Source






    COMME UN HOMME , ELLE MEURT SUR L’ÉCHAFAUD !



         Fille adultérine d’Anne-Olympe Mouisset — épouse de Pierre Gouze, boucher de son état — et de Jean-Jacques Lefranc de Caix, marquis de Pompignan, avocat général et homme de lettres, Olympe de Gouges est dramaturge. Auteur de nombreuses pièces d’un théâtre que l’on pourrait dire « engagé », elle est également l’auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791. Olympe de Gouges y « clame haut et fort que les hommes et les femmes, les petits et les grands, elle-même et ses frères et sœurs sont égaux. Audacieusement, elle fait remarquer à la reine à qui elle dédie sa déclaration que c’est « le hasard » qui l’ »a élevée à une place éminente » ». Quant à l’article VI de la Déclaration, il « déclare que les seules distinctions administratives entre les citoyennes et les citoyens sont « celles de leurs vertus et de leurs talents » ».
        Accusée par le tribunal révolutionnaire d’avoir défendu Louis XVI et d’avoir rédigé des écrits « attentatoires à la souveraineté du peuple », Olympe de Gouges est traînée en justice puis de là en prison. Elle meurt sur l’échafaud le 3 novembre 1793, quelques semaines après Marie-Antoinette (16 octobre) et quelques jours à peine avant Madame Roland (8 novembre). Un grand exemple pour les femmes que cette triple exécution. Ainsi s’enorgueillit le tribunal révolutionnaire !





    LE PLAIDOYER FERVENT DE JOËLLE GARDES


        La biographie romancée écrite par Joëlle Gardes sur Olympe de Gouges s’apparente aussi au roman de formation. Elle porte en sous-titre la mention : Une vie comme un roman. C’est dire la dimension romanesque de la destinée d’Olympe de Gouges. Une vie de femme, difficile, mouvementée, impétueuse, marginale. Pour tout dire, en avance sur son temps. Une vie commencée dans le calme apparent d’une ville de province ensoleillée et riche, aux côtés d’une mère aimante et d’un père présent-absent qui rêve d’offrir à sa bâtarde une éducation soignée. Suit pour la jeune Olympe âgée de seize ans un mariage arrangé « qui lui laisse dans la bouche le même goût d’amertume que l’abandon du marquis ». La jeune femme se venge des infortunes de sa naissance et de sa condition en se lançant dans l’écriture de pièces de théâtre et en créant des personnages à son image. Dans le même temps, Olympe fait la rencontre de Jacques Biétrix de Rozières dont elle tombe amoureuse. Le statut de jeune veuve (elle a épousé très jeune Louis-Yves Aubry) autorise Olympe à s’arroger une liberté qu’elle n’entend nullement aliéner par un second mariage. Néanmoins, elle décide de quitter Montauban pour Paris où Jacques s’apprête à prendre ses « nouvelles charges de haut fonctionnaire au ministère de la marine ». Elle emmène avec elle son fils Pierre Aubry et s’installe provisoirement chez sa sœur. Dès lors, Olympe se lance dans le tumulte et les égarements mondains de la capitale et se bat corps et âme pour gagner sa vie et imposer ses pièces.

        Mais le monde du théâtre est un monde de pouvoir tenu/détenu par les hommes. Il est bien difficile à une femme de faire reconnaître son talent, surtout s’il ne peut être contesté. Et Beaumarchais en personne s’ingénie à mettre les bâtons dans les roues à la dramaturge lorsque qu’Olympe se met en tête de donner une suite au Mariage de Figaro. Les Amours de Chérubin, publiés en 1786, lui attirent les foudres du maître et Olympe de se lamenter : « Ah ! Caron de Beaumarchais… permettez-moi de vous dire que vous nous trompez, rien n’est plus faux que vous en faveur de mon sexe. » Seule la première de ses pièces, dénonciation fervente de l’esclavage, connaîtra la faveur d’être jouée. Écrite en 1784, la pièce Zamore et Mirza ou l’Heureux naufrage, sera donnée à la Comédie Française en 1789.

        Plaidoyer enlevé, impartial et passionnant en faveur de la réhabilitation d’Olympe de Gouges — présentée par l’histoire comme une « virago » —, le roman de Joëlle Gardes est un roman d’une belle richesse, très documenté. Soucieuse de restituer à son héroïne un visage plus approchant de la vérité, Joëlle Gardes a poussé ses recherches historiques et littéraires avec une grande méticulosité. Rien n’échappe à son souci d’exactitude, ni les dates, ni les circonstances qui conduisent Olympe de Gouges à écrire telle ou telle de ses œuvres, ni les événements qui entourent leur publication ou leur échec. Pas davantage les péripéties de sa vie que l’on pourrait presque qualifier de picaresques, tant elles sont enlevées, foisonnantes d’imprévus ! Il y a loin de la « virago » à la femme d’exception.

         Mais le meilleur de ce roman réside dans cet art qu’a Joëlle Gardes d’entremêler son récit de détails ayant trait à son propre vécu de provençale. De sorte que, sous la vie d’Olympe, affleurent des modes de vie, des expériences anciennes, toute une mémoire ayant appartenu à l’auteur. Et jusqu’à des façons de penser et de sentir en contrepoint de la vie d’Olympe. Un beau travail de canevas ou d’orfèvrerie qui donne à lire l’intime proximité de Joëlle Gardes avec son héroïne. Une proximité qui lui fait dire : « Entre ma jeunesse et celle d’Olympe, il me semble que la distance est moindre que celle qui me sépare des jeunes gens d’aujourd’hui. »


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





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    EXTRAIT


        C’est à Montauban, la ville de briques, la ville aux pigeonniers, de part et d’autre du Tarn et de son affluent le Tescou, que naît Marie Gouze, le 7 mai 1748.
         La petite cité, Mont blanc, par opposition au Mont d’or qui donna son nom au faubourg Montauriol, ou Mont couvert de saules, selon une autre étymologie adoptée dans son blason, s’est régulièrement développée en dépit des incendies et des guerres de religion. Devenue capitale régionale au XVII e siècle avec l’installation d’une intendance et d’une Cour des Aides, elle s’est régulièrement étendue. De beaux hôtels particuliers ont été construits jusque dans les faubourgs. La brique a succédé au bois, et Montauban a ainsi pris l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Au XVIII e siècle, c’est une ville calme et prospère, grâce à la minoterie et à la fabrication des draps, les canis.
         Comme le dit son acte de baptême, célébré le lendemain de sa naissance dans l’église Saint-Jacques, tout juste restaurée après les lourdes dégradations que les protestants lui avaient infligées au siècle précédent, Marie est la fille d’Anne-Olympe Mouisset et de Pierre Gouze. Elle a un frère aîné et deux sœurs. Pierre Gouze n’est pas là lors de sa naissance et ne signe pas l’acte de baptême. Anne-Olympe accouche sans doute chez elle, aidée par la matrone, qui accueille les nouveaux arrivants dans ce bas monde et accompagne ceux qui s’en vont […]

         J’imagine Anne-Olympe. Ce n’est pas son premier né, mais peut-être est-elle justement d’autant plus effrayée. Elle sait qu’on accouche dans la douleur, et que celle-ci pourrait bien être encore plus violente que les précédentes puisque le bébé qui s’annonce est l’enfant d’un amour adultérin. Elle est doublement coupable, comme fille d’Ève et comme épouse infidèle. Elle redoute que le prix à payer ne soient les instruments de la matrone, ses forceps, ou pire, le crochet de balance ou de pelle à feu. Elle pense à toutes celles qui meurent en couches dans la fleur de leur âge et craint d’avoir à laisser ses aînés sous la garde de son mari, qui ignore la tendresse. Mais Marie glisse tout doucement dans la vie, la pénitence n’a pas été trop cruelle. Anne-Olympe savoure les cuillerées d’huile d’amande douce mélangées à du sucre candi qu’une voisine lui apporte pour qu’elle reprenne des forces. Le mari boucher n’est pas là, elle peut penser à l’autre, à son amant, qui n’a pas sur lui l’odeur du sang mais celle de la poudre de riz. Elle le connaît depuis toujours, elle ne peut imaginer la vie sans lui […]

        Marie porte le fardeau d’une enfance qui ne correspond pas à la hauteur de ses talents. C’est sans doute pourtant à son père le marquis qu’elle doit d’avoir eu une éducation meilleure que celle que recevaient les petites filles de son milieu, généralement élevées chez elles, ou chez une parente ou voisine. Marie, elle, suit les leçons des Ursulines, dans leur couvent à l’extrémité de la promenade des Cordeliers, les actuelles allées de Mortarieu, au début du faubourg de Campagne, qui commence juste derrière la toute récente cathédrale, qui n’est terminée que depuis 1739 […]

         Je me pose souvent la question de savoir si nous dirigeons notre vie à partir de buts que nous nous fixons consciemment ou si nous n’obéissons pas plutôt à des orientations qui nous demeurent inconnues jusqu’à l’heure du bilan tardif. Marie avait-elle déjà envisagé d’écrire, pour rivaliser avec son père, pour venger sa mère, ou bien le goût de l’écriture était-il encore en gestation, nourri superficiellement de passion et de haine, et profondément des raisons graves et mystérieuses sur lesquelles ne se fait jamais la lumière ?
        La route est longue de Montauban à Paris, encore plus longue, celle qui va conduire la jeune provinciale vers la femme de lettres, engagée dans la Révolution. Mais ce n’est pas Marie Gouze, veuve Aubry, qui va quitter sa ville natale, c’est la fière Olympe de Gouges. Par ce nom qu’elle se donne dorénavant, elle affirme haut et clair qu’elle n’a de compte à rendre qu’à elle-même et qu’elle est, selon ses termes, son propre « ouvrage ».


    Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman, Éditions de l’Amandier, 2008, pp. 11-12,13-14, 23-24, 49-50.





    ■ Olympe de Gouges
    sur Terres de femmes

    Eli Flory, La Barbe d’Olympe de Gouges (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Quercy.net)
    Olympe de Gouges, une Quercynoise en route vers le Panthéon, de René Viénet
    → (sur fr.Wikipedia) un
    bel article sur Olympe de Gouges
    → (sur Terres de femmes)
    une bibliographie de Joëlle Gardes





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  • Elisa Biagini | Nel bosco | Dans le bois

    Elisa Biagini, Nel bosco,
    Giulio Einaudi Editore, 2007.



    Elisa Biagini
    Source







    À LA CROISÉE DES CHEMINS DE LECTURE



        Pénétrer « dans le bois » d’Elisa Biagini et s’enfoncer dans son réseau de ramifications, à la recherche des traces et des sassi semés d’une section à l’autre du recueil Nel bosco [non encore traduit en français], c’est prendre le risque de se perdre, après elle, dans l’opacité d’un monde qui mène à l’écriture. Une opacité d’avant-la-naissance, jouxtant la mort.
        Sans doute la mort, présente dès avant la mise-au-monde, préside-t-elle ici à l’écriture. Car Nel bosco — qui s’ouvre sur — et s’ancre dans — un poème de Paul Celan daté de 1945-1946, « La mano piena d’ore/Die Hand voller Stunden) », extrait du recueil Pavot et Mémoire —, est dédié au poète juif allemand, et porte, pour annoncer et clarifier l’exergue poétique, cette parenthèse d’Elisa Biagini : (« pour P.C., suicidé au cours du premier mois après ma* conception »).
        Autre suicide qui hante Elisa Biagini, celui de l’américaine Anne Sexton, citée en exergue de La sorpresa nell’uovo/La surprise dans l’œuf, seconde section de Nel bosco : « Fact : Death too is in the egg »//« Constat : La mort aussi est dans l’œuf. »
        Le nécessaire égarement dans les bois — « La perdita necessaria nei boschi » — énoncé par Bartolo Cattafi, le retour à l’œuf des origines, l’écriture poétique, peuvent-ils être une véritable alternative au suicide ? Rien, dans Nel bosco, qui permette de l’affirmer ni de l’infirmer.



    Une poésie cyclique


         Paru en 2007 chez Giulio Einaudi, Nel bosco regroupe trois sections : Cappuccio rosso, La sorpresa nell’uovo, Gretel o del perdersi. De ce triptyque, le premier et le troisième volet renvoient explicitement, dès le titre, à l’univers du conte et à ses données archétypales. Chaperon rouge reprend certaines des figures et images essentielles du conte de Perrault (XVIIe siècle). Gretel, dont la présence est annoncée dans un poème de La surprise dans l’œuf (i « sassolini di Gretel » // « les petits cailloux de Gretel »), est inspirée du personnage féminin du conte de Grimm, Ansel et Gretel. Indissociable de Gretel dont il est le grand frère, Ansel est en apparence le grand absent du recueil. Celui auquel il n’est jamais fait allusion. C’est oublier que Celan est l’anagramme de Antschel (Ansel), le vrai nom du poète juif allemand.
         Au centre du triptyque, La surprise dans l’œuf. L’œuf, figure parfaite du monde du dedans auquel il faut, un temps, revenir et dont il faut ensuite émerger. Cette trilogie de poésie narrative semble inscrire le recueil Nel bosco dans un long poème cyclique de mort et de re-naissance.



    La figure du dedans


         Doublement annoncée dès le titre Nel bosco, la figure du dedans est une figure omniprésente dans la poésie d’Elisa Biagini. Elle se décline, polymorphe et plurielle, tout au long du recueil, à partir de mots clefs qui sont autant de cailloux disséminés dans les poèmes : bois ou œuf, ventre maternel, matrice, placenta, tronc creux de l’arbre, gousse, étui **, maison-cercle, serre. Images de l’intime sur lesquelles viennent se greffer de multiples surgeons : poche, assiette creuse, écorce, épluchure. Mais aussi capuchon et panier, attributs essentiels du Chaperon rouge. Toutes ces figures familières dérivent du topos initial du « bois ». Lieu fondateur de la poésie d’Elisa Biagini, le bois est une invite constante à se perdre. À retourner dans la bouche de la mère : « Ritorna qui/in bocca alla tua/mamma // Retourne ici/dans la bouche de ta maman », intime à l’enfant la voix injonctive qui parle dans le poème. C’est que la forêt et le ventre maternel sont de même nature. Ronds de la même rondeur de roue, du même mouvement de cercle répétitif et mécanique auquel il faut retourner. Tous deux enveloppants, englobants, construits sur le même principe d’ingestion et de digestion. De déjection. Et l’enfant d’être recrachée par le bois dans le poème-parenthèse ronde — d’où surgit la forme parfaite de l’œuf, rondeur sans fissure, sans brèche. L’enfant délivrée de sa peur peut enfin se diriger, ronde de sa propre rondeur avec pour seule boussole, son propre omphalos/nombril.



    La métaphore du corps


         La forêt conduit au ventre et les griffures des branches sont semblables aux écorchures infligées par la mère. Un lien étroit (cordon, lacet, tendon), tissé de dégoût davantage que d’amour, unit la fille à la mère. Le corps de l’une y joue le rôle de miroir pour l’autre. Corps-miroir dans lequel se boire et se flairer, se perdre et se chercher. Inclus dans celui de la mère, le corps de l’enfant, « l’ultimo posto dove nascondersi // « ce lieu ultime où se cacher », est comme lui voué aux mêmes images de pâte et de beurre, de farine à malaxer, de sucre et d’œuf à mélanger, de blancheur de lait pareille à celle de la peau. Ou de pain durci, semblable à « la voix cassée comme du papier au soleil // voce seccata/come carta al/sole ». Le corps, métaphorisé en négatif à travers les ingrédients alimentaires qui composent le panier de l’enfant-chaperon rouge, est un corps morcelé. Semblable en cela à celui de la mère-grand (la mère, chez Biagini) que le loup a dépecé, morceau après morceau dans le conte de Perrault. Ces morceaux, il faut pourtant les porter avec soi. Tout en sachant qu’ils formeront le corps de l’adulte à venir — un corps dé-composé dès son origine, indépendamment du loup.



    Le retour à l’œuf primordial


         De cette contradiction originelle résulte sans doute le désir de l’enfant de se tenir à l’écart du monde, de se protéger de l’extérieur en rabattant son capuchon sur ses oreilles. Mieux encore, de retrouver l’espace gigogne dans lequel le « je » de l’enfant fusionne « en cinémascope » avec celui de la mère. De retourner à l’œuf primordial. Un retour mis en scène à travers les poèmes de La surprise dans l’œuf.
        À partir du microcosme fœtal dans lequel elle évolue, la voix du « je » comprimé dans l’enveloppe utérine recrée le monde. Poisson à fleur d’eau, le « je » évoque sa vision de derrière le « hublot » de la bouche maternelle. Le « corps creux », écran qui sépare du souffle extérieur calamiteux, n’en est pas moins perçu comme une lentille déformante, peu fiable pour décrypter le monde. Quant au corps miniaturisé de l’enfant, mosaïque d’éléments disparates, miettes et tessons, il est un microcosme aveugle, privé de lumière et de visibilité, un miroir sombre dans lequel il est difficile de suivre l’évolution de ses propres cellules. Ou encore un écheveau inextricable, prisonnier d’un habitacle inconfortable. D’autant plus inconfortable que l’œuf contient « due gusci, matrioska // deux coquilles, matrioska ». La présence inattendue d’une sœur jumelle ? Telle pourrait être la surprise qui se joue dans l’œuf.
        Pour autant ce n’est pas cette présence incongrue qui incite la voix dominante à vouloir mettre un terme à ce « campement » et à fermer « le nombril avec la main ». Privée de lumière et « pulvérisée de X et Y », tel est le regard que la fillette porte sur elle-même et sur l’aventure de sa conception. « Billes sur le plancher ».



    Sasso/sesso


         Complexe est la poésie d’Elisa Biagini. Loin d’apporter des réponses aux questions qui se posent, le troisième volet du triptyque, Gretel o del perdersi, garde secrète une part de mystère. La re-naissance promise prend des chemins de traverse et semble sans cesse vouloir se dérober. Ce court traité poétique sur la nécessité de « se perdre » met l’accent sur l’image clef du caillou. Semé de poème en poème (dans le conte de Grimm, c’est Ansel qui sème à plusieurs reprises les cailloux puis les miettes derrière lui pour pouvoir retrouver le chemin de la maison), le caillou-pain durci est associé à la trace, au semis, au fil, au sentier, au chemin, aux pas, au trajet. À la direction à suivre et aux actions de tourner, marcher, se perdre, chercher et s’interroger.
        « Che cosa cerco andando/in tondo e ancora/in tondo? // Qu’est-ce que je cherche à tourner ainsi en rond encore et encore ? », se demande la voix du poème qui clôt le recueil ? Du même ovale obsédant que l’œuf — (L’ovale di mia/bocca per/tragitto // L’ovale de ma/bouche pour/trajet) —, le caillou contamine le corps et l’espace dans lequel il évolue. Pareil au « poing serré qui jamais plus ne s’ouvrira », le caillou — sasso en italien —, euphoniquement très proche du sexe — sesso en italien. Un sexe clos sur lui-même ? Confronté aux violences de la naissance et se refusant à la vie ? Peut-être. Le corps de l’enfant demeure une carte géographique où déchiffrer les égarements, un « fichier » où sont consignés les tracés des errements et des rencontres (retrouvailles) avec soi. Un « corpo che si cerca/…si rivolta come calza // corps qui se cherche…/et se retourne comme une chaussette ». Un corps noué — « io con un/filo annodato ad/ogni dito // moi avec un/fil noué à/chaque doigt », contraint d’entrer par une « porte sans nom » dans un monde hostile, un monde coupant où « les pas sont des coups de hache ». Pourtant, le pouls de la fillette palpite et l’incite à flairer la terre, ce « chaudron-cloche » qui l’appelle, ou encore à débusquer « les doigts-clochettes » des feuillages. Elle tire à elle une étoile, participe à la transformation minuscule du monde. Mais le monde du dehors est cruel, il recrache et tousse, égratigne au passage le « verre de la pupille » et retient l’enfant, « foglia, tra le/pagine di un libro // feuille/entre les pages d’un livre ». La fillette, « moneta caduta nel pozzo // monnaie tombée dans un puits ».



    Chemins de lecture


        Tout à la fois énigmatique et familière, la poésie d’Elisa Biagini, d’une extrême concision et densité, déconcerte. Centrés autour d’images accessibles et inattendues, les poèmes, ouroboroï roulés sur eux-mêmes (dialectique de la vie et de la mort attestée par l’omniprésence de la queue, prolongement du corps), sont un espace clos qui diffuse ses formes et entrelacs à l’ensemble de l’œuvre. À travers le prisme d’images inattendues, Elisa Biagini explore un monde complexe de sensations « primitives », créant ainsi un univers parallèle foisonnant de ramifications. Un monde étrange et mystérieux qui joue sur la frontière sensible et poreuse intérieur/extérieur. Un espace poétique soudain réversible — « è il bosco che mi segue // c’est le bois qui me suit » — et à ce point interchangeable qu’il est difficile de choisir entre une vision négative ou positive du monde.

        Nel bosco, un parcours poétique qui place le lecteur à une exaltante croisée des chemins.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli


    * C’est moi qui souligne.
    ** En latin, vagina.




    Nel_bosco_2




    Note d’AP : le mardi 13 mai 2008, dans le cadre du séminaire « Initiation à la poésie italienne contemporaine » dirigé par Alessandro De Francesco, Elisa Biagini a été l’invitée du Centre d’Études Poétiques de l’Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon (en partenariat avec l’Institut Culturel Italien de Lyon). Elle y a notamment parlé de son « expérience d’écriture ».
        « On me demande souvent pourquoi j’écris de la poésie : écrire, c’est s’obliger à redécouvrir le réel et à le regarder avec des yeux différents. Même si l’on parle de détails apparemment privés (car je crois que l’on ne peut écrire « honnêtement » que de ce que l’on connaît), on raconte quand même l’expérience de tous, du « mal de vivre » commun à tous. C’est pourquoi j’aime penser ma poésie comme une poésie « politique », comme un médium qui analyse l’expérience de vivre et les contradictions qui en découlent, un médium qui vise à faire réfléchir le lecteur, et non pas à le consoler. Écrire, c’est un acte de responsabilité qui présuppose une conscience pleine et constante des actions accomplies. Il y a, bien sûr, de l’abandon, mais celui-ci doit être maîtrisé. » (Elisa Biagini)





    ■ Elisa Biagini
    sur Terres de femmes

    Anne Sexton | Elisa Biagini | Due mani… Due voci (trois poèmes extraits de Nel bosco, avec leur traduction en français)
    [Les nuits se ferment] (poème extrait de Depuis une fissure)
    Depuis une fissure (note de lecture d’AP)
    Sotto i castagni (extrait du recueil L’ospite) (+ notice bio-bibliographique)
    Elisa Biagini à l’ENS de Lyon (chronique de Marie-Ange Sebasti)
    La gita (poème extrait de Da una crepa)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Da una crepa
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait d’Elisa Biagini (+ un poème extrait du recueil L’ospite, un poème extrait d’Acqua smossa et un poème extrait de Da una crepa. Avec leur traduction en français par AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site personnel d’Elisa Biagini
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes d’Elisa Biagini dits par Elisa Biagini (+ traduction française)
    → (sur Poetry International Web) une
    bio-bibliographie sur Elisa Biagini (+ de nombreux poèmes)
    → (sur le site de la revue culturelle brésilienne Agulha) un
    entretien d’Elisa Biagini (en portugais) avec Prisca Agustoni
    → (sur Georgiamada) un
    entretien d’Elisa Biagini (en italien) avec Giovanni Choukhadaria (Stilos, 19 juillet 2005)
    → (sur YouTube)
    nel bosco (une animation flash de Marina Gasparini)
    → (sur YouTube)
    Elisa Biagini spiega perché leggere poesia





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  • 5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 5 mai 1821 meurt à Longwood, sur l’île de Sainte-Hélène Napoléon Bonaparte.






    Longwood House
    Source






    CHATEAUBRIAND, VIE DE NAPOLÉON, EXTRAIT


        Vers la fin de février 1821, Napoléon fut obligé de se coucher et ne se leva plus. « Suis-je assez tombé ! murmurait-il : je remuais le monde et je ne puis soulever ma paupière ! » Il ne croyait pas à la médecine et s’opposait à une consultation d’Antomarchi* avec des médecins de Jamestown. Il admit cependant à son lit de mort le docteur Arnold**. Du 15 au 25 avril, il dicta son testament ; le 28, il ordonna d’envoyer son cœur à Marie-Louise ; il défendit à tout chirurgien anglais de porter la main sur lui après son décès. Persuadé qu’il succombait à la maladie dont avait été atteint son père, il recommanda de faire passer au duc de Reichstadt le procès-verbal de l’autopsie : le renseignement paternel est devenu inutile ; Napoléon II a rejoint Napoléon Ier.
        À cette dernière heure, le sentiment religieux dont Bonaparte avait toujours été pénétré se réveilla. Thibaudeau, dans ses Mémoires sur le Consulat, raconte, à propos du rétablissement du culte, que le Premier Consul lui avait dit : « Dimanche dernier, au milieu du silence de la nature, je me promenais dans ces jardins (la Malmaison) ; le son de la cloche de Ruel vint tout à coup frapper à mon oreille, et renouvela toutes les impressions de ma jeunesse ; je fus ému, tant est forte la puissance des premières habitudes, et je me dis : S’il en est ainsi pour moi, quel effet de pareils souvenirs ne doivent-ils pas produire sur les hommes simples et crédules ? Que vos philosophes répondent à cela ! […] et, levant les mains vers le ciel : Quel est celui qui a fait tout cela ? » […]
        Bonaparte, donnant à Vignali*** les détails de la chapelle ardente dont il voulait qu’on environnât sa dépouille, crut s’apercevoir que sa recommandation déplaisait à Antomarchi ; il s’en expliqua avec le docteur et lui dit : « Vous êtes au-dessus de ces faiblesses : mais que voulez-vous, je ne suis ni philosophe ni médecin ; je crois à Dieu ; je suis de la religion de mon père. N’est pas athée qui veut […] Vous êtes médecin […] Ces gens-là ne brassent que de la matière ; ils ne croient jamais rien. » […]

        Le 3 mai, Napoléon se fit administrer l’extrême-onction et reçut le saint viatique. Le silence de la chambre n’était interrompu que par le hoquet de la mort mêlé au bruit régulier du balancier d’une pendule : l’ombre, avant de s’arrêter sur le cadran, fit encore quelques tours ; l’astre qui la dessinait avait de la peine à s’éteindre. Le 4, la tempête de l’agonie de Cromwell s’éleva : presque tous les arbres de Longwood furent déracinés. Enfin, le 5, à six heures moins onze minutes du soir, au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima argile humaine. Les derniers mots saisis sur les lèvres du conquérant furent : « Tête… armée, ou tête d’armée. » Sa pensée errait encore au milieu des combats. Quand il ferma pour jamais les yeux, son épée, expirée avec lui, était couchée à sa gauche, un crucifix reposait sur sa poitrine : le symbole pacifique appliqué au cœur de Napoléon calma les palpitations de ce cœur, comme un rayon du ciel fait tomber la vague.


    Chateaubriand, Vie de Napoléon (livre XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe), Éditions de Fallois, 1999 ; Le Livre de Poche, Classiques de poche, pp. 488-489-490. Édition de Pierre Clarac revue par Gérard Gengembre.




    * Antomarchi [Francesco Antommarchi, 1789 – 1838, originaire de Morsiglia, dans le Cap Corse], médecin envoyé à Napoléon par le cardinal Fesch avec deux prêtres.
    ** Arnold, médecin anglais.
    *** Vignali, l’un des deux prêtres envoyés à Napoléon par le cardinal Fesch.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme (entrée du Général Bonaparte dans Milan)
    → (sur Terres de femmes)
    7 juillet 1807 | Signature du traité de Tilsit (extrait d’Une haine de Corse de Marie Ferranti)
    → (sur Terres de femmes)
    26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï)
    → (sur Terres de femmes)
    29 mai 1816 | Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène
    → (sur Terres de femmes)
    Marie Ferranti, Une haine de Corse. Histoire véridique de Napoléon Bonaparte et de Charles-André Pozzo di Borgo (note de lecture d’AP)





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  • Visées : Kunapipi

    «  Poésie d’un jour  »



    Ozgoanna
    Source







    VISÉES : KUNAPIPI


    1         L’odeur musquée de son
               vagin aux parois rouges
               incite au coït

    2         Sa peau douce comme de la fourrure

    3         D’abord elle est timide, mais très vite ils rient tous deux

    4        Riant-tous-deux
               Clitoris
               Parois-douces-du-vagin

    5         ôtant son pagne
               écartant
               ses cuisses
               s’étendant entre elles &
               y allant

    6        Et copulant pour faire un enfant

    7        Feu                       Feu
               Flamme              Cendres

    8        les brindilles
               prennent feu
               les étincelles
               s’envolent

    9        Miction
               Testicules
               Miction

    10      Pagne
               (rouge)
               Pagne
               (blanc)
               Pagne
               (noir)




    [2ème série]

    1         « pénis »           incision             incision
               pénis                   pénis                  semence

    2        Semence blanche comme la brume

    3        le pénis dressé
               le kangourou
               agite son derrière

    4        pas à pas
               (elle) s’éloigne du coït
               leur tournant le dos

    5         poisson-chat nageant
               et chantant

    6         bride du bouvier

    7        tétons dressés de la jeune fille ―
               odeur musquée de son vagin —

    8         ruisseau
                s’écoulant

               « ruisseau »

    9         brume recouvrant
               la rivière

    10      branches du cyprès
               fruit du cyprès
               graines du fruit

                                                               [Terre d’Arnhem, Australie]


    Jerome Rothenberg, Les Techniciens du sacré (anthologie), José Corti, Collection Merveilleux n° 35, 2007, pp. 423-424-425. Version française établie par Yves di Manno.




    Source : Choix et arrangements de J. R., d’après R.M. Berndt : Kunapipi : A study of an Australian Aboriginal Religious Cult (International Universities Press, 1951).


    NOTE : Le terme de Kunapipi désigne un important culte de la fertilité, élaboré autour d’une « Grande Mère, dont la personnalité était tour à tour simple et duelle, et dont le pouvoir s’est transmis à ses filles, les sœurs Wauwalak ». Dans le mythe, ces deux sœurs Wauwalak quittent leur territoire après que l’aînée est tombée enceinte, ayant eu des relations incestueuses avec l’un des membres du clan. Au bord d’une mare, elle met au monde un enfant & le sang de l’accouchement attire le grand python (= Julunggul) qui vit dans cette mare […]
         Plus tard, les deux sœurs seront avalées puis vomies (par le serpent) — obéissant ainsi à l’ancien cycle de mort & de résurrection, etc. […]
        Concernant les chants eux-mêmes, Berndt écrit : « Comme très souvent chez les Aborigènes d’Australie, ils sont constitués de « mots clefs »… qui sont généralement compris par les récitants et les participants autochtones. Ces « mots clefs », dont le regroupement constitue un chant, sont en fait des « mots images » […]


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site José Corti) la
    fiche de l’éditeur sur cette anthologie de Jerome Rothenberg
    (+ extraits de presse)






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  • 2 mai 1959 | Naissance de Zoé Valdés

    Éphéméride culturelle à rebours


        Le 2 mai 1959 naît à La Havane (Cuba) Zoé Valdés. Poète, romancière et scénariste, Zoé Valdés a reçu en Espagne le prix Fernando Lara pour son roman Louves de merLobas de mar — publié en 2005 aux Éditions Gallimard.






    Zo_valds
    Ph., G.AdC







    EXTRAIT de LOUVES DE MER



        Elle essuya sa bouche en tamponnant de sa serviette les commissures de ses lèvres ; puis elle se leva de table, vida sa coupe en faisant cul sec, et se dirigea vers Ann Bonny. Se regardant enfin au fond des yeux, elles s’enlacèrent en une sculpturale étreinte, qui culmina par un long baiser passionné. Peu à peu elles avancèrent vers le lit, se dépouillant de ce presque rien qui les habillait. Elles se couchèrent sans cesser de se lécher la bouche, le cou, les seins, le ventre, les cuisses, les jambes, la vulve. Le pirate commençait à devenir nerveux quand Ann réclama sa présence à voix basse et sensuelle, alors il alla s’étendre près des deux femmes, au bord du matelas moelleux fourré de plumes d’oie. Ann passa par-dessus le corps de l’homme, l’incitant à se tenir entre Mary et elle. Calicot Jack n’eut qu’à se laisser aller et guider par la fantaisie des femmes, il tournait la tête vers Ann et recevait un baiser de feu, tandis qu’elle conduisait la main de Mary en un parcours caressant des promontoires érotisés du corps masculin ; tous trois excités à force de roucouler et de se frotter. Puis il se retournait vers Mary, qui répondait alors en mêlant sa langue serpentine à la sienne. Les sexes palpitaient humides, baveux, et le sien vibrait, dur et dressé, après qu’il eut retiré son caleçon rouge de coton à rayures noires, une exclusivité qui faisait sensation auprès de l’élite féminine des îles alentour. Ann s’empara de ce yucca juteux pour en brosser la glissante orchidée noire, après quoi elle passa le relais à son amie qui, se plaçant dessous, feignit la passivité. C’est alors que le pirate prit l’initiative et pénétra l’étroit orifice vibratile. Ils passèrent trois jours et trois nuits absents au monde, car vivre sur l’océan les condamnait à l’exil perpétuel de toute terre, de tout pays, voire l’exil intérieur. À partir de ce moment ils ne se séparèrent plus, le désir éphémère devint le désir éternel.


    Zoé Valdés, Louves de mer, Editions Gallimard, Collection Du monde entier, 2005, pp. 174-175. Roman traduit de l’espagnol (Cuba) par Albert Bensoussan.





    ■ Zoé Valdés
    sur Terres de femmes

    Zoé Valdés, la louve de Cuba (note de lecture d’AP sur Louves de mer)
    Chasteté, chasteté
    Portrait de la femme qui ne sait que faire de sa vie
    Zoé Valdés | Paquita Valdès (billet d’AP)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Portrait de Zoé Valdés



    ■ Voir aussi ▼

    le Portrait photographique de Zoé Valdés sur le site d’Olivier Roller





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  • Octavio Paz | Árbol adentro

    «  Poésie d’un jour  »



    Larbre_parle
    Ph., G.AdC





    ÁRBOL ADENTRO


    Creció en mi frente un árbol,
    Creció hacia dentro.
    Sus raíces son venas,
    nervios sus ramas,
    sus confusos follajes pensamientos.
    Tus miradas lo encienden
    y sus frutos de sombras
    son naranjas de sangre,
    son granadas de lumbre.
                                                       Amanece
    en la noche del cuerpo.
    Allá adentro, en mi frente,
    el árbol habla.
                                  Acércate, ¿lo oyes?






    ARBRE AU-DEDANS


    Dans mon front a poussé un arbre.
    Il a poussé au-dedans.
    Ses racines sont des veines,
    des nerfs ses branches,
    ses feuillages confus des pensées.
    Tes regards l’enflamment
    et ses fruits d’ombres
    sont orange de sang,
    grenades de lumière.
                                                Le jour se lève
    dans la nuit du corps.
    Là au-dedans, dans mon front,
    l’arbre parle.
                               Approche, tu l’entends ?

                                                      
    (Traduit  par  Frédéric  Magne.)


    Octavio Paz, L’arbre parle [Árbol adentro, Barcelona, Editorial Seix Barral, 1987], Gallimard, Collection Du monde entier, 1990, page 115. Traduit de l’espagnol par Frédéric Magne et Jean-Claude Masson.





    ■ Octavio Paz
    sur Terres de femmes

    Certitude
    31 mars 1914 | Naissance d’Octavio Paz



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