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25 février 1841 | Naissance de Pierre-Auguste RenoirÉphéméride culturelle à rebours -
Liu Shenxu | Le chemin s’étend à perte de vue
LE CHEMIN S’ÉTEND À PERTE DE VUE
Le chemin s’étend à perte de vue dans les nuages blanchâtres
Le printemps longe le cours d’eau bleuâtre
Allégrement des pétales tombent de temps à autre
Le ruisseau charrie très loin leur parfum
Silencieuse, la porte s’ouvre sur un sentier de la montagne
Les saules cachent un pavillon de lecture
Les rayons du soleil pénétrant à travers l’ombre
Dansent joyeusement sur les robes
Liu Shenxu (VIIIe siècle — dynastie des Tang), in Shi Bo, Saisons, Poèmes des dynasties Tang et Song, Éditions Alternatives, 1998, page 22. Traduction du chinois par Shi Bo.
Voir aussi :
– (sur le site de ELT OBSERVER/IATEFLChina.org) une anthologie de poèmes chinois tang et song (notamment de Li Bai, Du Fu, Meng Haoran et Wang Wei). On y retrouvera le poème ci-dessus.
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Emily Dickinson, Quatrains
Image, G.AdC
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The Duties of the Wind are few ―
To cast the ships at Sea ―
Establish March ― the Floods escort
And usher Liberty.
Peu nombreuses les Tâches du Vent ―
Couler les bateaux en Mer ―
Installer Mars ― escorter les Crues
Introduire la Liberté.
(À Susan Dickinson)
Emily Dickinson, Quatrains et autres poèmes brefs, III. 1866-1876,
éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2000, pp. 106-107. Édition bilingue.
Traduction et présentation de Claire Malroux.
*
Summer laid her supple Glove
In it’s sylvan Drawer ―
Wheresoe’er, or was she ―
The demand of Awe ?
L’Été a rangé son Gant souple
Dans son Tiroir sylvestre ―
En tout lieu, ou a-t-il obéi ―
À l’ordre de l’Effroi ?
(Lettre à T.W. Higginson)
Emily Dickinson, id., IV. 1876-1886, pp. 150-151.
8
Sometimes with the Heart
Seldom with the soul
Scarcer once with the might
Few ― love at all
Parfois avec le Cœur
Peu souvent avec l’âme
Plus rarement avec force
Peu ― aiment vraiment
Emily Dickinson, ibid., V. Sans date, pp. 214-215.
EMILY DICKINSON
Image, G.AdC
■ Emily Dickinson
sur Terres de femmes ▼
→ 10 décembre 1830 | Naissance d’Emily Dickinson
→ 15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson
→ [As imperceptibly as Grief]
→ [Je compte]
→ [We learned the Whole of Love](poème extrait de Nous ne jouons pas sur les tombes)
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Emily Dickinson (+ Lettre à Thomas W. Higginson)
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Christian Bobin, La Dame blanche
par Angèle PaoliChristian Bobin, La Dame blanche,
Gallimard, Collection L’un et l’autre, 2007.
Lecture d’Angèle Paoli
Image, G.AdC
Écrire sur La Dame blanche de Christian Bobin. Une entreprise périlleuse comme a dû l’être pour Christian Bobin celle de la traversée des apparences de la vie d’Emily Dickinson. Traversée d’une « âme en exil » où se lit, pourtant, en un contrepoint élégant et racé, l’âme d’un écrivain de notre temps. D’un autre temps.
Est-ce elle, la Dame blanche, qui tourne vers « l’invisible soleil » son visage irradié de blanc ou est-ce l’écrivain Christian Bobin qui « consume son âme comme un papier d’arménie », à s’arrimer ainsi à la « spectaculaire invisible » qu’elle fut ? Christian Bobin, double silencieux de la poète épistolière, dernier « Dieu diamantaire » d’Emily Dickinson ?
LE DERNIER DIEU DIAMANTAIRE
Le « récit » de La Dame blanche est bref. De la brièveté qui caractérise la poésie d’Emily Dickinson. Quatrains et autres poèmes brefs. De même, les chapitres, concentrés sur eux-mêmes. Les pages minimalistes de La Dame blanche sont un écho parfait à Emily Dickinson. Éthique et esthétique de la brièveté. Les chapitres sont ponctués d’aphorismes, pareils à des points d’orgue. Pensées intimes d’Emily ? Pensées intimes de Christian Bobin ? Les deux ensemble sans doute, tant la pensée de l’un épouse la clarté divine de l’autre. « La maison est ma définition de Dieu », pense ou écrit Emily ― « et Dieu ne souffre aucune absence », ajoute Christian Bobin. Dentelle araméenne, mystérieuse à force de banal, court, fluide sous la plume de Christian Bobin, la trame insaisissable de la vie d’Emily Dickinson.
Blanche et silencieuse est celle qui règne sur la ruche paternelle d’Amherst, Massachusetts. Absorbée tout entière par ses passions jardinières et poétiques, Emily est celle qui jamais ne sort. Celle dont nul dans le bourg d’Amherst ne connaît plus le visage. Autour d’elle, les siens. Respectueux de ses lubies de jeune femme qui brûle d’une vie intérieure dense qu’illuminent sa solitude et son amour du divin. Blanche et silencieuse est celle qui entraîne dans son sillage la figure puissante du père ― à la mort d’Edward Dickinson, le blanc qu’Emily revêt devient dogme ―, la figure alanguie de la mère, meurtrie par les désillusions, celle de Vinnie, ― « nostalgie du baiser volé dans un brasier de roses » ―, celle du fier Austin, le frère tant aimé, et de Susan, l’épouse trahie, celle de Mabel Todd, la maîtresse d’Austin, et celle de Millicent, la fillette adultérine. Celle enfin de Gilbert, neveu favori d’Emily, son double sensible et mourant.
Ombres parmi les ombres surgissent les êtres, silhouettes têtues, sous la broderie fine de Christian Bobin, orfèvre des mots et dernier « amant » d’Emily. Eux aussi sont là, les amants rêvés, qui tirent momentanément l’« ange blanc » du côté de la vie autre. L’« âme placide » d’Higginson, bouleversée par l’apparition d’Emily, l’est encore davantage par « la voix d’ange asthmatique » de ses poèmes. Survient ensuite le christique Samuel Bowles, journaliste, directeur du Springfield Daily Republican et parfait opposé d’Emily. Il pourrait être son sauveur. Mais « Emily renonce à trouver en Samuel l’éditeur qui donnerait à l’essaim de ses poèmes la ruche d’un livre. Elle continue d’écrire comme Dieu fait ses coups de bonté ― en douce, en catimini. » Il y a le révérend Wadsworth, dont Emily confie qu’il était son « berger ». Il y a enfin Otis Philipps Lord. L’« incorruptible cavalier de l’Apocalypse » qui met du rouge aux joues d’Emily. Et des mots passionnés sous sa plume : « L’air est doux comme l’Italie mais quand il me touche, je l’éconduis avec un soupir parce qu’il n’est pas vous. » Ou encore : « L’exultation m’inonde, je ne retrouve plus mon cours ― le ruisseau se change en mer lorsque je pense à vous. » Ainsi s’adresse Emily au juge Lord, qu’elle songe un moment à épouser.
Blanche et silencieuse Emily. Il y a ce blanc, tout ce blanc. Autour d’elle et sur elle, en elle. Blancheur des lys qu’elle offre à ses visiteurs. Offrande assortie d’un poème nimbé de lumière. Blancheur de son teint. Blancheur de la « clôture de lin blanc » dans lequel elle s’est enfermée. Blancheur de « sa robe de neige », « ultime armure blanche » dont Susan revêt le corps de la défunte. Un jour de printemps 1886.
Bien des années après, alors qu’Emily Dickinson continue d’habiter le monde de son mystère, Christian Bobin s’est glissé, « cœur précieux », aux côtés de la sainte. Jusqu’à doubler l’âme de celle qu’il a nommée la Dame blanche. Jusqu’à en épouser les moindres subtilités.
Ainsi, peut-être, « le cristal irisé » de la Dame Blanche nourrit-il secrètement en Christian Bobin son « espoir de l’immortalité ». Ou encore son désir d’entendre la Dame Blanche lui dire : « Je serais sortie du paradis pour t’ouvrir, si j’avais su que tu étais là. »
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
CHRISTIAN BOBIN
■ Voir aussi ▼
→ (sur Terres de femmes) 10 décembre 1830 | Naissance d’Emily Dickinson
→ Emily Dickinson [As imperceptibly as Grief]
→ (sur Terres de femmes) Emily Dickinson, Quatrains
→ (sur le site des éditions Gallimard) une rencontre avec Christian Bobin (en sept séquences vidéo) à propos de La Dame blanche
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22 février 1875 | Mort de Jean-Baptiste Camille CorotÉphéméride culturelle à reboursLe 22 février 1875 meurt à Paris le peintre Jean-Baptiste Camille Corot.
Corot, La Palette à la main, vers 1834
Huile sur toile, 33 x 25 cm
Galerie des Offices, Florence.
Seul autoportrait de Corot avec celui du musée du Louvre.Dans Les Maîtres d’autrefois, Eugène Fromentin dit de Corot qu’il « cultiva l’Italie de bonne heure et en rapporta… quelque chose d’indélébile. Il fut plus lyrique, aussi champêtre, moins agreste (que ses contemporains). Il aima les bois et les eaux, mais autrement. Il inventa un style ; il mit moins d’exactitude à voir les choses qu’il n’eut de finesse pour saisir ce qu’il devait en extraire et ce qui s’en dégage. De là cette mythologie toute personnelle et ce paganisme si ingénieusement naturel qui ne fut, sous sa forme un peu vaporeuse, que la personnification même des choses ».
Et Fromentin de conclure ces propos par cette étonnante formule : « On ne peut pas être moins hollandais. »
Eugène Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, in Œuvres complètes, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, page 712.Au XIXe siècle, le voyage en Italie fait partie de la formation de tout jeune artiste décidé à poursuivre dans la voie qu’il s’est choisie. Encouragé par ses maîtres ― Achille Etna Michallon (1796-1822) et Jean-Victor Bertin (1767-1842) ―, le jeune Corot envisage, dès ses années d’apprentissage, de se rendre dans la péninsule, « le pays enchanté » qui avait inspiré Nicolas Poussin et Claude Lorrain. Les parents du jeune homme, négociants rue du Bac à Paris, acceptent de financer le premier séjour de leur fils. En décembre 1825, Corot s’installe à Rome. À proximité de la Piazza di Spagna.
Corot fait trois séjours en Italie. Le premier, décisif pour les conceptions artistiques du peintre, dure trois ans. De 1825 à 1828. De ce premier séjour en Italie, Camille Corot rapporte croquis et esquisses consignés dans des carnets. Portraits croqués sur le vif et paysages brossés in situ. Tout imprégnés d’histoire et de lumière, ces lieux tant de fois arpentés bouleversent sa sensibilité d’homme du Nord. De cette période datent des toiles devenues célèbres. Le Lac de Piediluco, Ombrie (1826) ; La Promenade de Poussin (1826) ; Vue prise à Narni (1826-1827) ; Narni. Le Pont d’Auguste sur la Nera (1827) ; Le Colisée. Vue prise des jardins Farnèse (mars 1826) ; Rome. Le Forum vu des jardins Farnèse (mars 1826) ; Rome, La Trinité-des-Monts, vue prise du viale della Trinità dei Monti (1826-1828). À son retour d’Italie, Corot, infatigable voyageur, sillonne la France, région après région, et découvre en Normandie, en Bretagne ou en Beauce de nouveaux motifs.
En 1834, Corot entreprend un second voyage en Italie. Il visite Venise et la région des lacs, se rend en Ligurie (Gênes), en Toscane (Florence) et en Étrurie. Il séjourne pendant un mois dans la ville de Volterra, qui lui inspire une série de vues de la cité étrusque. En particulier cinq petits formats à l’huile dont le peintre, à son retour à Paris, tire une série de toiles. Ainsi cette Vue des environs de Volterra, réalisée en 1838.

Source
VUE DES ENVIRONS DE VOLTERRA
Un homme à cheval, vu de dos, suit paisiblement son chemin et s’apprête à pénétrer dans un bosquet. Rochers épars et feuillages touffus sont baignés d’une douce lumière vespérale. Au loin, dans l’arrière-plan gauche, se devine la forme d’une ville. Volterra l’étrusque, sans doute, puisque c’est ce nom qui figure dans le titre de la toile. L’homme et le vaste décor dans lequel il s’inscrit, sont investis d’une force antique que rien ne trouble. Nulle dramatisation ni appel à la méditation douloureuse. Empreinte de sérénité intemporelle, cette toile, subtil mélange de réalisme et d’onirisme, sollicite en nous des souvenirs inoubliés.
En 1843, Corot revient une dernière fois à Rome. Il exécute notamment Tivoli, les jardins de la villa d’Este
(huile sur toile, 43 x 60 cm, Musée du Louvre, 1843). « Un modèle d’équilibre dans la composition et d’harmonie chromatique ». Et Monte Pincio (huile sur toile, 27 x 40,6 cm, The Art Institute of Chicago).De ses pérégrinations en France, de sa fréquentation de l’école de Barbizon et de ses séjours en Île-de-France, le peintre a retenu les ciels mouvants, les modulations de la lumière, les couleurs nacrées qui imprègnent feuillages et étendues d’eau. De ses voyages en Italie, l’harmonie naturelle des formes, leur bel ordonnancement, l’éclat de la lumière méditerranéenne. Une lumière génératrice de vie. Les œuvres de Corot sont marquées par l’une et l’autre empreinte. De cette osmose parfaite entre le nord et le sud est né le génie de Camille Corot. Un grand maître.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
■ Voir aussi ▼
→ (dans L’Encyclopédie de l’Agora) un dossier fort bien fait sur Corot
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Marie-Pierre Amiel/« Crépuscule Marseille-Sud »
Chroniques de femmes – EDITO
Chronique de Angèle Paoli
Je connais Marie-Pierre Amiel depuis peu. Je l’ai rencontrée à travers l’une de ses passions, la photographie. Passion transmise dès l’enfance par le père, lui-même photographe. Attachée depuis son adolescence à l’argentique ― son premier Minolta lui a été offert à l’âge de dix-sept ans ―, fascinée par la lumière et par l’attente patiente que celle-ci requiert à sa captation, Marie-Pierre Amiel se refuse à passer au numérique. La démarche de Marie-Pierre ― également passionnée d’écologie ― est étroitement corrélée à son mode de pensée. Observation et précision, concentration et lenteur, attente et désir sont les maîtres-mots de sa sensibilité d’artiste et de sa philosophie.
Intitulée Crépuscule Marseille-Sud, la série consacrée à Marseille et au petit port de Callelongue rend compte de cette philosophie. Le moment choisi pour capter l’image est celui des crépuscules, ce moment fugace et fulgurant où les flamboiements du soleil couchant basculent dans la nuit bleue qui tombe sur la mer et ses rivages. Ce qui frappe dans ces photos, outre le contraste acidulé des couleurs ― jaunes citron et verts sur nuit américaine ―, c’est la sensation de froid et d’absence. Qui confère aux lieux leur caractère « d’inquiétante étrangeté ». Et met le spectateur face à lui-même, face à ses propres angoisses. Sans doute Marie-Pierre souhaite-t-elle inconsciemment rendre le monde à son essence originelle, après le passage dévastateur de l’homme ! Mais ce qui la fascine surtout, c’est le contraste que ces lieux offrent à l’instant du crépuscule. Lieux vibrants de vie, animés du mouvement incessant des flâneurs, aux heures pleines de la journée. À l’instant précis où l’artiste prend ses photos, maisons et quais désertés des hommes. Les objets, tout un matériel de pêche — paniers, ballots, casiers, filets —, abandonnés. Figés par le halo des réverbères : un vert glacial de fond marin que les gaz émanant de ces réverbères donnent au paysage — grues, escarpements et escaliers. Couleurs saturées de néon.
Marie-Pierre aime le « hors-norme » des lieux et a le goût de l’« excellence ». En attestent son parcours photographique depuis 2003 et les personnes qu’elle rencontre. Le photographe Jérôme Brézillon ; Eric Bouvet, reporter en zones de conflits ; Pierre de Valombreuse, ethnophotographe, passionné des peuples reculés. Des personnalités exceptionnelles par leur talent et par leur modestie.
Les photographies de Marie-Pierre Amiel ont déjà fait l’objet d’expositions. Et ses projets sont précis et rigoureux. Après les séries grand public réalisées dans le désert de la Tadrart (Sahara) ou sur les glaciers d’Islande, Marie-Pierre Amiel prépare une série très exigeante consacrée à la tuilerie-briqueterie Barthe de Gratens (Haute-Garonne). Commandée par l’office de tourisme d’Allauch, cette série comporte des vues sur les tunnels, carreaux, alcôves de l’usine (cinquante alcôves au total). « Un lieu inspiré et unique », dit l’artiste.
Une autre exposition consacrée au Port Autonome de Marseille est prévue à Perpignan. Une trentaine de photos très graphiques qui rendent compte d’un regard décalé et ouvrent sur des perspectives inattendues. Souhaitons que cette exposition de Perpignan soit prochainement accueillie par le Port Autonome de Marseille lui-même. Comme l’espère Marie-Pierre Amiel.
Crépuscule Marseille-Sud fera tout prochainement l’objet d’une exposition à la jeune galerie ART 152 (152, rue Paradis – 13006 Marseille).
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
D.R. photos Marie-Pierre Amiel
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Marie-Pierre Amiel/« Crépuscule Marseille-Sud »
GALERIE TdF :
EXPOSITION MARIE-PIERRE AMIEL
Photos Tous droits réservés Marie-Pierre Amiel -
Michel Deguy | Pour la poésie aujourd’hui
Source
POUR LA POÉSIE AUJOURD’HUI
Pour la poésie aujourd’hui, trois propositions
1. La poésie prend l’AIR. L’air, c’est trois choses :
a. la vie ; b. l’aspect ; c. la mélodie.
Ne pas manquer d’air (à respirer) ; ne pas manquer d’air (allure) ; ne pas manquer la mélodie. C’est ce que recherche un poème.
2. Il y a un AIR du temps. On l’appelle aussi esprit (Weltgeist). Cet esprit n’a rien d’un esprit ; il n’est ni fantôme, ni petite divinité, ni djinn nocturne, ni ni. Cet esprit est le nôtre ― humain. Je veux bien l’appeler saint, pourquoi pas, à condition de traduire la sainteté en sagesse et en âge, en savoir et jugement, en psychologie et en amour du bien.
La religion a enfanté la théologie. La théologie a appris à l’homme de quoi il est capable. Maintenant il doit reprendre à soi cette capacité (Feuerbach) : anthropomorphose continuée. Je ne dis pas qu’il n’y a rien d’autre, parce que justement, tout est source : la ci-devant nature, le fond de l’univers, l’Être, les « sources chrétiennes » (Simone Weil), et autres.
3. La littérature, et son mode poétique ― en bref : la poésie, dont la singularité consiste en ceci : elle est audacieuse, elle s’élance, elle ose, elle trace ; elle décide, elle nomme… ― montre, fait voir, cet esprit, en le faisant entendre. C’est sa voyance, ou vision ; jadis devin, maintenant devineuse. Elle le montre à ses compagnes, musique, peinture, formes volumineuses, films, contenances nouvelles plastiques… Elle est entraînante, elle s’allie avec.
Michel Deguy, « La poésie en France », Confluences poétiques n° 1, Mercure de France, 2006, pp. 44-45.
■ Michel Deguy
sur Terres de femmes ▼
→ Cap sur l’agora des biens
→ De l’attachement
→ ô folle déclaration d’amour
→ Quand il n’y aurait…
→ 6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb (extrait de Prose du suaire de Michel Deguy)
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur le site Université de tous les savoirs) la conférence de Michel Deguy (L’attachement) du 31 décembre 2000
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19 février 1977 | Julien Gracq, Les Eaux étroitesÉphéméride culturelle à reboursLe 19 février 1977, Julien Gracq accorde un entretien à Jean Daive à propos des Eaux étroites, « court roman de la rêverie associative », « récit à base de mémoire », « à valeur d’initiation » *, publié en octobre 1976 et tiré à 4 000 exemplaires. Entretien diffusé sur France Culture entre le 28 mars et le 1er avril 1977.
* au sens temporel du terme, sans référence mystique ou ésotérique, comme le fait remarquer Julien Gracq au cours de cet entretien.
EXTRAIT
« Rien n’est surprenant dans mon souvenir comme la variété miniaturiste des paysages que longe le cours sinueux de la rivière dans l’espace de ces quelques kilomètres : si lentement que glisse la barque dans l’eau stagnante, d’une couleur de café très dilué, ils semblent se succéder et se remplacer à la vitesse huilée des décors d’une scène à transformation, ou de ces toiles de diorama qui s’enroulaient et se déroulaient, et défilaient devant le passager de Luna-Park assis dans sa barque vissée au plancher. Le plaisir exceptionnellement vif, et presque l’illusion de fausse reconnaissance, que m’a procuré dès les premières pages la lecture du « Domaine d’Arnheim » tient, je pense à la sensation que la nouvelle de Poe communique simultanément de l’immobilité parfaite de l’eau et de la vitesse réglée de l’esquif qui semble moins saisi par un courant que plutôt tiré de l’avant par un aimant invisible. Plus tard, le cygne de Lohengrin, remontant, puis descendant sur la scène de l’Opéra les lacets de la rivière, m’a rendu une fois encore, fugitivement, cette sensation de félicité presque inquiétante qui tient ― je ne l’ai compris qu’alors ― à l’impression d’accélération faible et continue qui naît d’une telle navigation surnaturelle. Le sentiment de l’appel dans toute son urgence confiante loge pour nous dans ces esquifs ingénus-cygnes, caïques, auges de pierre ― qui glissent dans les contes à la surface d’une eau immobile : à l’inverse de la suggestion maléfique qui s’attache à l’apparition des objets volants non identifiés, le bonheur toujours, l’exaucement d’un vœu, tout moins le secours surnaturel dans le péril, semble éperonner leur navigation silencieuse.
Je parle d’Edgar Poe, et voici qu’il ne va plus guère me quitter tout au long de cette excursion tant de fois recommencée ― bien souvent en compagnie bruyante et joyeuse ― et qui pourtant, non pas seulement dans mon souvenir, mais chaque fois et pendant même que je la recommençais, a gardé toujours quelque de l’allure du rêve, dans le défilé muet, incompréhensiblement majestueux, des deux rives qui viennent à moi et s’écartent comme les lèvres d’une Mer Rouge fendue, dans le sentiment à la fois de lenteur irréelle et de vitesse lisse que j’ai cru retrouver parfois dans les plus beaux, les plus vastes rêves d’opium de De Quincey. L’eau noire, l’eau lourde, l’eau mangeuse d’ombres qu’a décrite Gaston Bachelard, celle qui ceinture l’Île de la Fée, celle qui attend au creux de ses douves de se refermer sur les décombres de la maison Usher ― si différente du flot insidieusement violent qui râpe et ratisse les grèves de la Loire, et renverse par les épaules comme un chien joueur le nageur qui cherche à reprendre pied ― elle était là, elle fut là pour moi tout de suite, avec son odeur terreuse de vase et de racines, son sommeil dissolvant : digérant, infusant lentement les feuilles mortes qui pleuvaient des arbres d’automne. Je n’y ai jamais plongé sans malaise : froide, inerte, sans éclaboussures et sans jaillissement, comme si on y avait plongé à travers une pellicule de lentilles d’eau. »
Julien Gracq, Les Eaux étroites, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, II, Éditions Gallimard, 1995, pp. 529-530.
■ Julien Gracq
sur Terres de femmes ▼
→ 27 juillet 1910 | Naissance de Julien Gracq
→ 1er novembre 1917 | Julien Gracq, Le Roi Cophetua
→ 25 avril 1949 | Julien Gracq au Théâtre Montparnasse
→ 3 décembre 1951 | Julien Gracq refuse le Prix Goncourt
→ 29 juin | Julien Gracq, Un beau ténébreux
→ Instants (extraits de Nœuds de vie)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Corti) Julien Gracq
→ le site de la Maison Julien Gracq
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Béatrice Bonhomme | La terre rouge
Image, G.AdC
LA TERRE ROUGE
La terre rouge, une déchirure de nuit, les grands grumeaux de terre éclatant dans les vignes. La sueur rousse écartelée. Un prieuré sévère en pierres de sable s’écoulant dans les chênes, les vignes comme une rose non encore ouverte au prisme de verdure. Le vert et le rouge échangent des provocations d’amour. Le silence éclate au cœur.
Les dédales d’un labyrinthe brûlant dans le vent des pierres, comme un marché au désert, et parfois une oasis de platanes à l’ombre d’un jardin retiré, la brûlure d’une traversée silencieuse dans les ruelles de la ville, puis l’ombre recueillie d’une maison offerte au sable. La fresque porte la lumière, trois fois ourlée des cordelettes de prière.
Sur les murs de la maison qui va être détruite, les taches de couleur, les oiseaux, les marques du désir ont laissé une colle rose. Les couleurs éclaboussent le matin, dans les formes enfantines d’un trait mal défini. Le sabre entre les cuisses, la fresque viole la lumière dans une fin d’après-midi qui doit mourir.
Une fontaine est posée entre les murs, sa pluie avive les couleurs projetées dans la lumière.
Béatrice Bonhomme, Courbe de calligraphie silencieuse (extrait) in Revue Nu(e), 34, septembre 2006, page 97.
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