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  • Hélène Sanguinetti




    BIO/BIBLIO

    HÉLÈNE SANGUINETTI


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    Ph. D.R.



         D’origine corse (Castagniccia), née à Marseille le 3 mars 1951, Hélène Sanguinetti vit et travaille actuellement en Provence. Elle adore la mer ― regarder le ciel ― tailler les arbres en boule ― dire ses textes ― lire, beaucoup et très tard dans la nuit les entretiens, les écrits des peintres, les biographies, les livres des peintres, des aventuriers, penseurs, poètes, et aussi le journal L’Équipe. Elle adore le sport et en pratique plusieurs (elle regrette de ne pas avoir joué au rugby).
        Écrit « du » poème depuis toujours.
        Son premier livre,
    De la main gauche, exploratrice, a paru en 1999, dans la collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno.
        Elle est aussi l’auteure de
    D’ici, de ce berceau (Poésie/Flammarion, 2003), publié en avril 2007 dans une traduction anglaise d’Ann Cefola sous le titre : Hence this cradle (bilingue, Otis Books/Seismicity Ed., Los Angeles), d’Alparegho, Pareil-à-rien (L’Act Mem 2007, Fonds Comp’Act 2005), du Héros (Poésie/Flammarion, 2008) ; en 2009, de deux textes-voix chez publie.net (Collection L’Inadvertance dirigée par François Rannou), ouvrages à voir et à écouter : Toi, tu ne vieillis plus, tu regardes la montagne et Une pie ; en 2012, de Et voici la chanson (Éditions de l’Amandier, Collection Accent graves Accents aigus) ; en 2017, de Domaine des englués (éditions de La Lettre volée).
        Très proche de toutes les expressions plastiques, Hélène Sanguinetti travaille depuis 2006 avec une artiste polonaise, Anna Baranek
    (Gora soli, l’attentive, janvier 2008) ; invitée en 2005 par la Maison des Écrivains et le Festival de Danses d’auteurs, elle poursuit son compagnonnage avec les corps en mouvement (travail en cours avec la chorégraphe Muriel Piqué, Cie comme ça).

        Claude Adelen, poète et critique, perçoit dans le poème d’Hélène Sanguinetti « des sortes de fiction, où l’on entrevoit les profondeurs de quelque roman familial à travers l’opacité d’un mythe » et parle pour qualifier son écriture de « noblesse et roture du langage » et de « souveraineté radieuse »
    (L’Émotion concrète, L’Act Mem, Fonds Comp’Act, 2004).




    ■ Hélène Sanguinetti
    sur Terres de femmes

    Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP)
    De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie)
    De la main gauche, exploratrice (I)
    De la main gauche, exploratrice (II)
    De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau)
    Et voici la chanson (note de lecture d’AP)
    [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson)
    À celui qui (extrait de Hence this cradle)
    Le Héros (note de lecture d’AP)
    [Ma trouvaille de tout à l’heure] (extrait de Domaine des englués)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La vieille femme regarde en bas
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans la
    Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique
    (+ un
    extrait sonore issu de Alparegho, Pareil-à-rien)
    un extrait sonore [10 mn] de Et voici la chanson (« JOUG 2 » « Voici la chanson », pp. 22-31) dit par Hélène Sanguinetti. Prise de son : François de Bortoli
    → (sur gattivi ochja) le
    début de la première lettre à Rose (D’ici, de ce berceau), traduite en corse par Stefanu Cesari








  • Hélène Sanguinetti | De ce berceau, la mer

    «  Poésie d’un jour  »




    De ce berceau, la mer

                (avec ses voix,

                                                     la grande gorge qui roucoule)

                                                                              À elle, jeté ou confié ?

    Et toujours, oliviers vignes figuiers, le vent qu’Ulysse-épargné

    respire

                                                   Qui suis-je, osier ?

    Aux mailles gonflées

    un jour répondra

    une chaîne tombée au cou !

       Mieux nuages que moustiquaire ou voile dansant ————————

    ———————  Qui suis-je, osier ?




    D’un dieu, de l’or casqué de ses jambes

    Ou du très jeune homme père, sorti ramer près du soir autour de

    l’île pour muscler les épaules ?

    D’ici ballotté dans l’écume et rongé,

                                                   reste quoi de ce qui fut ?

    Donne à la fin son nom,

                                l’eau noire blanche de mouettes,

    où aucun nageur  ———————

                                                      Son nom de Maïre,

                                                      Un caillou sur la mer  ———————  l’enfant




    Hélène Sanguinetti, D’ici, de ce berceau, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2003, pp. 40-41.







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  • Issa Makhlouf | Celui qui part, laissons-le partir

    «  Poésie d’un jour  »



    CELUI QUI PART, LAISSONS-LE PARTIR


    IX

    Ph., G.AdC       

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    Celui qui part, laissons-le partir. Nous n’avons pas à détourner le fleuve de son cours, à contrer la pérégrination du nuage. Celui qui part, même s’il nous revient un jour, ne reviendra plus. Car son retour se sera effectué du côté de l’absence dont il nous menacera sans cesse alors qu’elle fut jadis un mystère lové dans son visage.

    Le visage passe, et sa beauté demeure. La lampe s’éteint, et sa lumière persiste.

    Celui qui part, laissons-le partir. Ne le suivons pas à la trace, ne l’appelons pas, et n’ayons nul regret de ne pas lui avoir dit le dernier mot.

    À quoi bon l’attendre, alors qu’il est sorti du cercle de notre attente ?

    En dehors de l’attente, nous n’avons plus besoin de l’autre. Nous en avons fini avec lui comme lorsque nous refermons un livre et nous abandonnons au sommeil. Puis, à notre réveil, nous voyons passer le temps, accompagné de nos corps poignardés mais ne perdant pas de sang.

    Celui qui part, laissons-le partir.

    En ce midi, tu étais plantée sur le rivage. Tu as renversé la tête pour regarder là-haut le vol plané des mouettes. L’une d’elles essayait de s’approcher de toi. Elle criait sans oser se rapprocher davantage, semblant redouter la traversée d’une frontière invisible. Tu es restée figée, voulant savoir ce qu’elle cherchait à te transmettre. Elle volait, descendait lentement, puis brusquement elle s’est immobilisée, le bec pointé vers la tête.

    L’ayant scrutée un bon moment, tu t’es retournée vers moi et m’as dit : «  L’oiseau là-haut, c’est toi. Pourquoi ne viens-tu pas ? Pourquoi me regardes-tu comme si tu ne me connaissais pas ? [Variante de la traduction définitive : Pourquoi me regardes-tu en feignant de ne pas me reconnaître ?] Tu me désires de loin comme si tu convoitais la femme d’un autre. Approche. Viens et prends-moi. »

    Celui qui part, laissons-le partir et ne suivons pas ses traces. Dorénavant, ses traces disparaîtront et il sera libre comme le vent. Celui qui part ne sait pas qu’il part. Il s’engage dans la même voie qu’il a empruntée pour venir.

    Laissons partir celui qui veut partir. Ne voyons-nous pas qu’il est gravé tel qu’il était à la fleur de l’âge, lorsqu’il fut ?

    Celui qui part, laissons-le partir en paix.



    X


    Plane, ô oiseau. Plane bien haut. Loin. Dans toutes les directions. N’arrête pas de battre des ailes. Ne t’arrête pas, oiseau.



    Issa Makhlouf, Marges, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, revue littéraire mensuelle Europe, janvier-février 2008, n° 945-946, pp. 290-291.1



    ____________________________________
    1. Ce texte est extrait de Lettre aux deux sœurs [Rissala ila al-ukhtayn, Éditions An-Nahar, Beyrouth, 2004], paru en traduction française chez José Corti en octobre 2008 (pp. 120-121 et p. 127 [excipit]).



    *
            *   *



    Écrivain, poète et journaliste (Radio Orient), Issa Makhlouf est né en 1955 à Zghorta (Liban) et réside à Paris depuis 1979. Docteur en anthropologie sociale et culturelle (Université de la Sorbonne), il a publié plusieurs ouvrages en arabe et en français, et également traduit des auteurs français et latino-américains (Issa Makhlouf est l’auteur d’un essai sur l’œuvre de Jorge Luis Borges : Rêves d’Orient [Borges aux confins des mille et une nuits], 1997).

    Parmi ses dernières publications : Mirages, Éditions Corti, Paris, 2004. Traduit de l’arabe (Liban) par Nabil El Azan ; Rissala ila al-ukhtayn, Éditions An-Nahar, Beyrouth, 2004 ; trad. fr. Lettre aux deux sœurs, José Corti, 2008. Traduit de l’arabe (Liban) par Abdellatif Laâbi ; La Pomme du Paradis (Réflexions sur la culture contemporaine), Éditions Al-Markaz Assakafi Al-Arabi, Beyrouth, 2006 ; Une ville dans le ciel, Éditions Corti, Paris, 2014. Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux.






    ISSA MAKHLOUF


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    Ph. © Thierry Rambaud/
    IMA



    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
    L’écriture sourit à la mort (extrait d’Une ville dans le ciel)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    Où es-tu ? (extrait de Leurs rêves endormis flottent sur les vagues)



    ■ Voir aussi ▼

    → le
    site officiel d’Issa Makhlouf
    → (sur le site des Éditions José Corti) la
    page consacrée à Mirages d’Issa Makhlouf
    → (sur Terres de femmes)
    Abdellatif Laâbi | Tu passes sans passer
    → (sur Terres de femmes)
    « Les traversées poétiques d’Andrée Chedid »





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  • 15 février 1710 | Naissance de Louis XV

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 15 février 1710 naît à Versailles Louis XV le Bien-Aimé, roi de France (1715-1774).






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    Image, G.AdC






    PORTRAIT DU ROI PAR MADAME CAMPAN


         J’avais quinze ans lorsque je fus nommée lectrice de Mesdames. Je dirai d’abord ce qu’était la cour à cette époque.
        Marie Leczinska venait de mourir ; la mort du dauphin avait précédé la sienne de trois ans ; les jésuites étaient détruits, et la piété ne se trouvait plus guère à la cour que dans l’intérieur de Mesdames ; le duc de Choiseul régnait.
        Le roi ne pensait qu’au plaisir de la chasse ; on aurait pu croire que les courtisans se permettaient une épigramme, quand on leur entendait dire sérieusement, les jours où Louis XV ne chassait pas : « Le roi ne fait rien aujourd’hui. »
        Les petits voyages étaient aussi une affaire très importante pour le roi. Le premier jour de l’an il marquait sur son almanach les jours de départ pour Compiègne, pour Fontainebleau, pour Choisy, etc. Les plus grandes affaires, les événements les plus importants ne dérangeaient jamais cette distribution du temps.
        L’étiquette existait encore à la cour avec toutes les formes qu’elle avait reçues sous Louis XIV ; il n’y manquait que la dignité ; quant à la gaieté, il n’en était plus question ; de lieu de réunion où l’on vit se déployer l’esprit et la grâce des Français, il n’en fallait point chercher à Versailles. Le foyer de l’esprit et des lumières était à Paris.
        Depuis la mort de la marquise de Pompadour, le roi n’avait pas de maîtresse en titre ; il se contentait des plaisirs que lui offrait son petit sérail du Parc-aux-Cerfs. Séparer Louis de Bourbon du roi de France, était, comme on sait, ce que le monarque trouvait de plus piquant dans sa royale existence. Ils l’ont voulu ainsi ; ils ont pensé que c’était pour le mieux. C’était sa façon de parler quand les opérations des ministres n’avaient pas de succès. Le roi aimait à traiter lui-même la honteuse partie de ses dépenses privées. Il vendit un jour à un premier commis de la guerre une maison où avait logé une de ses maîtresses ; le contrat fut passé au nom de Louis de Bourbon ; l’acquéreur porta lui-même au roi, dans son cabinet particulier, un sac contenant en or le prix de la maison. […]
        Tous les soirs à six heures, Mesdames interrompaient la lecture que je leur faisais, pour se rendre avec les princes chez Louis XV : cette visite s’appelait le débotter du roi et était accompagnée d’une sorte d’étiquette. Les princesses passaient un énorme panier qui soutenait une jupe chamarrée d’or ou de broderie ; elles attachaient autour de leur taille une longue queue et cachaient le négligé du reste de leur habillement par un grand mantelet de taffetas noir qui les enveloppait jusque sous le menton. Les chevaliers d’honneur, les dames, les pages, les écuyers, les huissiers portant de gros flambeaux les accompagnaient chez le roi. En un instant tout le palais habituellement solitaire, se trouvait en mouvement ; le roi baisait chaque princesse au front, et la visite était si courte que la lecture, interrompue par cette histoire, recommençait souvent au bout d’un quart d’heure : Mesdames rentraient chez elles, dénouaient les cordons de leur jupe et de leur queue, reprenaient leur tapisserie, et moi mon livre…


    Mémoires de Madame Campan, Première femme de chambre de Marie-Antoinette, Mercure de France, Collection Le temps retrouvé, 1988, pp. 20-24. Édition présentée par Jean Chalon.





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    Image, G.AdC




    ■ Madame de Campan
    sur Terres de femmes

    29 décembre 1721 | Naissance de Madame de Pompadour (extrait des Mémoires de Madame Campan)



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  • Eugenio De Signoribus, Ronde des convers

    Eugenio De Signoribus, Ronde des convers,
    Verdier, Terra d’altri, 2007.





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    Mario Giacomelli (1925-2000),
    De la série io non ho mani che mi accarezzino il volto, 1961-1963
    Museo d’arte Moderna e dell’Informazione, Senigallia
    Source






    Ronde des convers ? Ce titre inattendu convoque immédiatement en moi un souvenir ancien mais toujours extrêmement vivace. Un jour d’hiver dans la Chartreuse. Une visite à l’abbaye, dans le grand silence blanc de la montagne, le froid cinglant de l’hiver. La cloche vient de sonner. Les chartreux sortent, l’un derrière l’autre. Non pas les frères convers, disséminés sur la propriété, occupés à leurs travaux ordinaires. Mais les Pères. Longues silhouettes de bure, déambulant sous les arbres, tête encapuchonnée, mains derrière le dos. Récréation d’un temps immémoriel 1. Clôture de l’espace. Ronde sans parole. Rencontre sans regard.





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    Ph., G.AdC





    AUTOUR DU CERCLE, QUOI DE VISIBLE SINON LE NÉANT ?



    Ronde des convers ? Un titre onirique inscrit dans la figure du cercle. Figure sacrée mais close sur elle-même. Un titre mystère qui ne laisse rien soupçonner ni transparaître du contenu de l’œuvre poétique présente. Publié chez Garzanti en 2005, l’ouvrage a été préfacé par Yves Bonnefoy. Il s’accompagne d’une postface et de commentaires de Martin Rueff, qui en est aussi le traducteur.



    Une œuvre en écho à l’Enfer de Dante


    De conception apparemment simple et sobre, l’opus poétique d’Eugenio De Signoribus se révèle, de l’intérieur, d’une grande complexité architectonique. Une architecture aux stratifications multiples, jusque dans les moindres détails. Composé de neuf sections (en écho aux neuf cercles de l’Enfer de Dante ?), le recueil poétique s’ouvre sur un diptyque Prémisse / Promesse, et se clôt sur un Congé.

    Au-delà de leur très grande proximité phonique ― paronomase ―, les deux volets du tableau Prémisse / Promesse semblent induire, de manière implicite, une démarche proche du syllogisme. En trois temps, trois arguments : Prémisse, argument majeur ; Promesse, argument mineur ; Congé, conclusion.

    Dans Prémisse, le poète, confronté aux pulsations violentes de son temps, oppose sa réserve, son retrait, sa pudeur. À la « parole défilante », par trois fois, il oppose un « cri ». À la « détonation » tonitruante de la « vie manifestante », la seule offrande qui lui semble possible est le gargouillis de ses propres mots. La poésie de De Signoribus se dit et s’écrit dans une éthique de la modestie.





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    Ph., G.AdC





    Dans Promesse, second volet du diptyque, tout en affirmant sa volonté de marcher aux côtés de l’autre ― « je marche à tes côtés » ―, le poète se dit prêt à accueillir la souffrance de l’autre, son mal. L’unité de « ce double portique », qui lie le poète à l’autre dans un monde submergé par une perpétuelle tragédie, se lit jusque dans les allitérations en « s » qui courent de quatrains en distiques. De la « viandante sera » jusqu’à « l’intorno sé ».

    Le Congé qui clôt Ronde des convers est l’annonce d’une déviance : « Maintenant je dois te dévier ». Changement de voie (via), la déviance est séparation. Le poète interrompt ici l’espace temporel de l’écriture. Il se sépare d’avec le livre ― objet de désir et luxe. Une séparation nécessaire pour que l’œuvre puisse advenir à elle-même, dans son essentielle « passivité ». Décidé à s’inscrire dans la temporalité ― « maintenant » ― et dans le monde des « actifs », le poète dépose sa langue contemplative. Celle qui a été la sienne jusqu’alors ― « langue de nostalgie / langue de longue vigie // lingua di nostalgia, lingua di lunga scia. »

    Entre les deux extrêmes d’un recueil qui se révèle être un parcours poétique, sept chapitres numérotés. Aux connotations religieuses de certains titres ― Dits des convers / Tableaux de la pénitence / Stations dans la vie d’une ronde ― s’ajoutent les connotations musicales d’autres de ces titres ― Arias du désir / Chorales pour les terres saintes. Au centre du recueil, un « Dialogue » narratif en sept répliques. Un dialogue étrange, tout à la fois familier et onirique, entre deux voix anonymes qui évoquent, tour à tour, nostalgie, amertume et remords. Peut-être ces « dits » sont-ils ceux de deux êtres en dés-équilibre qui cherchent à se rejoindre et à s’entraider. Peut-être s’agit-il des deux voix intérieures du poète à la recherche de la voie de l’écoute et de la rencontre ? « Pendant que tu vas vers cette apparence, moi, fermement, je t’écoute… et, sans peine, je viens vers toi… ».

    Seul le premier titre du recueil, Dans le passage du millénaire, semble se démarquer de l’ensemble et asseoir le recueil sur un axe spatio-temporel différent. Dans les interstices de la modernité. Mais aussi sur un seuil. Un isthme étroit sur lequel se joue le passage. Quelle différence en effet entre l’année qui finit et celle qui commence ? Quelle différence entre les tragédies d’hier et celles d’aujourd’hui ? Les morts ne sont-ils pas « les fondations du vingt-et-unième temps après Jésus-Christ » ?





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    Ph., G.AdC




    « Miserere »


    Le mal toujours déploie par le monde son tourbillon de haine, son incontrôlable spirale. En témoignent les images acides de September. Souvenirs télévisuels du 11 septembre 2001. « une étoile filante à laquelle se drape et s’enflamme / un drapeau puissant jadis… » Face à pareille tragédie, que faire sinon implorer la pitié ? « Miserere » ! Tel est peut-être le mot clé de l’œuvre poétique de De Signoribus. Un mot qui résume à lui seul le tourment de l’histoire et l’implication des hommes dans ce tourment. Mémoire et responsabilités.

    L’Enfer de Dante est toujours là. « Lac obscur » d’où sourdent « les pleurs universels ». Tragédies collectives ou individuelles de l’humanité guident le poète dans son avancée parmi les trascurati. Comme Dante en son époque troublée de guerres intestines entre Guelfes et Gibelins, le poète d’aujourd’hui dénonce, Dans le passage du millénaire, d’un fragment de prose à l’autre, les mensonges ― « la lingua s’infalsa » ― et les meurtres, les tortures et les supplices du siècle. « Qui pourrai-je remercier d’avoir atteint la fin du 1 ? », interroge le poète. Toujours les mêmes violences s’immiscent dans les interstices du temps. Toujours les mêmes exactions accompagnent les vivants dans « l’ignoble siècle des siècles ». Les ignominies s’accumulent, qui forment « sept strates de symboles et de cadavres. » Et en dépit des « reconstructions magnifiques », nul, jamais, n’aura désormais de lieu où habiter, de lieu où vivre. « Parce qu’il n’est plus de maison qui puisse véritablement appartenir à quelqu’un ». Pourtant, face à l’impuissance et à l’impossibilité d’éradiquer les maux du siècle, le poète affirme sa volonté d’être autre :

    « mais c’est pour la figuration d’une idée que je veux être, pour tous les instants qui précèdent, et qui pourraient être tournés vers le bien. »

    Volonté d’être autre qui passe par la volonté d’énoncer par la parole. Une parole personnelle qui forme avec tant d’autres voix une chaîne de transmission « de lui à toi à moi… en moi ». De l’extérieur vers l’intérieur. Plurielles et changeantes sont les voix qui se font entendre au cours de la section des Dits des convers. Recueil ― polyphonie, jeu ancien de chjami è rispondi. Chaque nouveau « dit » étant le prolongement d’un autre ou au contraire son opposé. Divers sont les « dits » des convers, formes et propos. Récit (au nombre de trois) ― requête-injonction-affirmations-interrogation-négation-supposition-reprises. Le recueil s’ouvre et se clôt sur deux poèmes en italiques. Le poème liminaire évoque l’entrée en scène des Provenants. Le poème final donne la parole à une (Voix hors champ).





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    Ph., G.AdC





    « L’innocence ne peut jamais faire l’objet d’un troc »


    D’où proviennent les « provenants » ? Qui sont-ils ? Anonymes et encordés, ils sont ceux dont la venue nous a été promise dès le titre du recueil. Ils sont les « convers », ceux dont l’on attend la conversion prochaine. « Têtes introverties », les convers se réduisent à un cercle qui « fait signe et prononce ». Autour du cercle, quoi de visible sinon le néant ? Un néant qui s’ouvre sur la vision dantesque des Peuples sous le feu, corps fumants et « distordus ». Dans cet univers cauchemardesque où les enfants gisent « parmi les tas de chaux », la promesse du poète semble impossible. « L’âme qui convertit ici est à la lettre consternée. » À supposer que s’invente un temps de trêve, le « tiers temps » imaginé reste ici improbable. La vision qui domine, celle de l’impossibilité-impuissance, est marquée par le martèlement des préfixes privatifs qui s’enchaînent les uns aux autres dans le second quatrain : sterra / sbrulla / slampa / sconscia / snulla // déterre / décalcine / déclaire / détiffe / dénulle. Porteur de « signe », le poète s’interroge. Hésite peut-être à « débouler dans l’éboulis ». Pourtant, une couture de transition apparaît dans l’économie du recueil. Le poème Et j’ajouterai, qui surenchérit sur le précédent, marque cette transition. Conscient qu’il doit assumer sa part du poids de l’histoire, le poète affirme son « je ». Même si une « plume de plomb » « le retient « au crochet », il rebondit, lui qui se souvient avoir « exposé la loupiotte / pour rappeler le visage en chemin. »





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    Ph., G.AdC





    À quoi bon « se cantonner au cloître » si c’est pour se replier sur un « non » stérile ? Plutôt choisir de dire « oui » et faire de la mémoire un terreau qui rende possible la conversion. Même si surgissent des obstacles qui viennent « embrouiller l’expression ». Car mélancolie et angoisses mettent en péril la parole claire et menacent le « moi ». Qui cherche une issue dans la prière ― « sauve-moi, ô toi, je t’en prie ». En réponse à la voix injonctive de la prière se fait entendre une autre voix, enfantine et joueuse, qui ramène à la mémoire une voix plus lointaine encore. Voix oubliée qui avait « grandi en nous » et qui peut-être « reviendra à l’improviste ». La voix du Christ ? À la voix de l’enfant qui s’échappe du sérieux de son « dit » par une formule ludique « un due tre, stella !… // un deux trois soleil !… (ronde ? marelle ?) répond celle du doyen, qui s’exprime, lui, en son dialecte des Marches. À poursuivre le tête-à-tête, mieux vaut parler pour ne pas mourir. Telle est la requête que le doyen adresse à ses congénères. Elle est celle de l’échange. Le motif de la mort se précise. Elle qui pourrait n’être qu’« une crise de sommeil ». Ou encore la vision que la « ronde est achevée ». Cependant la ronde se poursuit avec trois récits.





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    Ph., G.AdC





    Récit de la Vision. Récit de la pudeur. Récit de l’avant-poste. À la grandiloquence de l’épopée humaine et guerrière propre à « aveugler la foule spectaculaire », le poète répond par la révolte : « mais pour penser la vie rêvée / récupérons l’âme dispersée !… » Puis il reconnaît ses écueils ― « prigioniero del dolo », ses doutes, ses efforts ― « unghio sgratto l’imposta » // « j’ongle je gratte l’impôt ». Et, en définitive, énonce son éthique personnelle, « cire contre les maux / qu’un ego timide et fier » lui a mis « dans la peau en guise de protection ». Mais le « je » qui dit ici sa tragédie n’est en rien un « je » narcissique. C’est un « je » présent ― « mais je suis là » ―, un « je » dénudé, « smanto », « dépouillé de son manteau », qui revendique son lien avec la dimension tragique des temps. La nudité du poète lui confère sa valeur de témoin.

    Dernier récit de la section, Récit de l’avant-poste évoque le motif de la frontière. Prise entre « deux déserts », la terre des confins et des limites est une terre menacée. Des périls « invisibles » pèsent « par-dessus les toits et les palmiers ».

    La dernière voix qui prend la parole dans le Dit des convers est une (Voix hors champ). C’est une voix de l’invective ― qui s’appuie sur des accumulations de privatifs : « sconfinate, svolgente, scorrente, scorso // déroulant, s’écoulant, écoulé ». Cette voix interpelle un « vous » que l’on suppose être celui des convers ; à qui elle reproche leur malaise, leur inconfort, leur « non puissance » ; leur incapacité à accepter « la mort immortelle ». La valeur défendue ici est celle de l’innocence « qui ne peut jamais faire l’objet d’un troc // che mai può essere un baratto ».



    Polvere


    Les Tableaux de la pénitence, quatorze au total, succèdent aux Dits des convers. Comment comprendre la « pénitence » ? Quel sens donner à ce mot ? Celle du pénitencier ? Celle du Catenacciù ? Celle de l’humilité religieuse ? Les trois sans doute. Le poème liminaire de la troisième section ― « Da dove // D’où » ― pose en un sizain un décor intérieur « nocturne » qui donne sa tonalité à l’ensemble du recueil. Tout y est évoqué de manière privative ― « inflessibile, invisibile, ignorati, scansato // inflexible, invisible, ignorés, écarté ». Curieusement et paradoxalement la question de la provenance ne se pose pas explicitement. Seule est évoquée la ligne de fuite vers un au-delà du décor, « dans le possible » que suggèrent les « cloisons coulissantes ». C’est peut-être de là que s’invente le tableau à venir, au-delà des points de suspension qui ponctuent trois de ces vers.

    Tout au long du recueil surgissent des paysages ravagés, porteurs d’âpres douleurs, « récoltes en cendres », « limbes caverneux couleur de plomb fondu », « ventres d’entailles et de pailles ». Des univers concentrationnaires où « ne sont requis » « ni merci ni pardon ». Et le présent, l’« unique présent embouteillé » n’est que poussière. « Polvere ». L’expiation semble impossible tant est vaste la douleur. Aux prises avec cette désolation, le poète continue pourtant d’affirmer la nécessité de témoigner par la parole : « la parole est en celui qui demeure / dans l’ère en cours ». Une parole fondatrice de l’échange : « de lui à toi à moi… en moi… »





    De_signoribus_7
    Ph., G.AdC





    Vers une langue salvatrice ?


    5e recueil de Ronde des convers, Stations dans la vie d’une ronde évoque le temps de formation du poète. Un temps difficile à cerner qui commence avant la naissance ― « avant l’alphabet », « avant la vérité ». Ce recueil est aussi le seul à ne pas commencer par un poème en italiques. Italiques qui confèrent à chacune des sections leur tonalité propre. Sans doute parce que ce temps consacré à la formation du poète est un moment à part dans l’ensemble de Ronde des convers. En 14 poèmes ― les quatorze stations du chemin de croix ? ―, le poète évoque les différentes étapes de sa vie. Depuis leur origine ― Di Qua / Par Là ― jusqu’à « un point vers où porter son pas », évoqué dans Oltre2/Outre. L’heure du bilan est proche : « il ne reste plus que le début / entre des joncs touffus et des ombres peut-être humaines ». Entre ces deux extrêmes surgissent parfums et images de l’enfance, billes et œil de verre de la grand-mère, idylles et rêves, rites religieux et jeux de spadassin. Puis vient le temps de la formation intellectuelle tout aussi difficile à déchiffrer ― « Par où le lieu de la formation ? » ― et le temps des engagements politiques ― « intransparence » et « gratuité des gestes ». Tout un « théâtre éteint » d’où émane « une âcre odeur verbale de peaux en mauvais état ». Le recueil se clôt sur une Invocation lyrique. Adressée aux inconnus ― « ô les uns, et vous les autres inconnus » ―, cette invocation en italiques préside sans doute à l’ouverture des deux derniers recueils. Dans ce poème de clôture, le poète émet le vœu que survienne une langue salvatrice. Peut-être la réponse sera-t-elle donnée dans les deux derniers recueils.

    Le sixième recueil, Arias du désir, compte sept arias. Arias dans lesquels le poète exprime personnellement et explicitement ses désirs. Vorrei // Je voudrais. Le premier désir qui s’exprime est que le « rimaire », c’est-à-dire le recueil de paroles mises en rimes ― ici ABBAC ―, franchisse les montagnes et renouvèle la volonté des « vers pèlerins ».

    Se déclinent ainsi l’aria du rêve, riche de possibilités, l’aria du temps ― l’insaisissable, le muet, l’illimité ― qui résiste aux injonctions du poète, l’aria des temps factices, « propice aux sourdes cérémonies ». Et temps que tout oppose à celui de la pudeur. Mais aussi l’aria d’ore et d’abord. Avec sa charge d’« utopie qui dort ». Le poète en appelle au désir de la promesse partagée avec d’autres, désir d’aller au-delà de l’ici. Après avoir souhaité longue vie à ses « frères de courant », le poète clôt ce recueil par des Spietarelle, paroles sans pitié qui s’opposent à « la noble lumière // l’alma lumiera ».



    Le poète, « nouvel Abel » ?


    Le septième et dernier recueil de Ronde des convers, Chorales pour les Terres saintes, offre une structure en contrepoint, scandée par l’alternance des terres et des chœurs. Aux voix plurielles, désorganisées et affligées des chœurs (6) ― dont le titre italien, Accorale, donne la tonalité ― répondent les terres plurielles (5), elles-mêmes annoncées par un poème de la douleur. Terres saintes où s’amorce le voyage spirituel et sapientiel du poète qui erre « parmi les pénitents / de l’humanité ruineuse » ou parmi « les abrités » qui sortent des refuges. Terres basses où s’effectue la descente dantesque. Terres brûlées où le « corps écrit » de la poésie n’a pas sa place. Terres hautes où le poète fait étape parmi les rescapés du naufrage humain. Terres du milieu, terres de bilan poétique et de désillusion. Las des violences qui relient les hommes à Dieu, las des faux prêcheurs et des fanatismes, las de « l’hyperfoi » des « visages innombrables encordés », le poète, Nouvel Abel, en appelle à des formes nouvelles d’écriture : « ô lettre nouvelle ô nouveau testament ». Figure inversée de l’Abel biblique, le Nouvel Abel, marqué d’un « signe que nul ne voit », refuse la violence. Et s’il doit souffrir, autant qu’il tienne sa souffrance au-dessus de son « sable verbal ».

    Parvenu au bout de son périple poétique, le poète s’interroge. « Qui sait si après une ascension tortueuse on parvient / à un point dégagé d’où la vue peut percevoir un lieu pour une étape claire ». Un tel lieu où faire halte en ce monde existe-t-il ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    __________________________________
    1. Euphoniquement, le néologisme *immémoriel, par sa suffixation féminine et fluide, me convient mieux. Moins figé dans le marbre et le tombeau qu’immémorial. Tant pis pour l’étymologie du mot.
    2. Poème dit par Eugenio De Signoribus.





    Ronde_des_convers







    IL NUOVO ABELE



    il salvato dall’uomo violento
    che alfine dell’orrore approda
    alla terra che riconosce sua

    tira su, pregando, la sua casa
    appena fuori il confine del corpo
    l’invocato signore ringraziando

    l’esule di ceneri cosparso
    dei fratelli nell’opera interrotti
    bruciati nel gelo del cammino…

    egli viene dal volto aguzzino
    a una terra che può dire sua
    e impasta la sua calce di pietà

    ma il respiro non s’accasa nella polvere
    delle macerie che dintorno crescono
    nel fertile sangue di Caino

    né vuole più vedere l’empietà
    né i figli del nemico più vicino
    levati e poi sbatutti sulla pietra…

    egli è più pio di quell’armato dio
    tirato qua e là dal suo soldato
    che offende le altrui case e non arretra…

    il suo atto è allora il rimanente :
    demolire pregando la sua casa
    e offrirsi a una patria differente…

    e raccogliendo va nella sua sosta
    lo sguardo di quell’uno e di quell’altro
    pensando in quella posta a nuova gente

    (non vanno un soffio nel vivente genere
    un segno lascia che nessuno vede…
    resiste così il nuovo umano…..)



    Eugenio De Signoribus, Ronda dei conversi (1999-2004), Garzanti, 2006, pp. 111-112 ; Poesie (1976-2007), Garzanti, Gli Elefanti, 2008, pp. 569-570.






    LE NOUVEL ABEL



    qui s’est sauvé de l’homme violent
    et parvient au terme de l’horreur
    à la terre qu’il prend pour sienne

    construit sa maison en priant
    juste après les confins du corps
    remerciant le Dieu qu’il invoque

    l’exilé couvert des cendres
    des frères à l’œuvre interrompus
    brûlés au gel du chemin…

    il vient avec son visage perçant
    vers une terre qu’il peut dire sienne
    et mélange sa chaux avec la piété

    mais son souffle ne se loge pas dans la poussière
    des décombres qui croissent tout autour
    dans le sang fertile de Caïn

    il ne veut plus voir l’impiété
    ni les fils de l’ennemi le plus proche
    levés puis frappés contre la pierre…

    il est plus pieux que ce dieu en armes
    baladé ça et là par son soldat
    qui offense la maison d’autrui et ne recule pas…

    tel est l’acte qui lui est imparti :
    démolir en priant sa maison
    et s’offrir à une nouvelle patrie…

    et il va vers sa nouvelle étape recueillant
    le regard de l’un et celui de l’autre
    pensant dans cet endroit à de nouvelles personnes

    (vain non, un souffle dans le genre vivant
    il laisse un signe que nul ne voit…
    ainsi résiste le nouvel humain…)



    Eugenio De Signoribus, Ronde des convers 1999-2004, Verdier, Collection « Terra d’altri », 2007, pp. 109-111. Traduit de l’italien par Martin Rueff.



    EUGENIO DE SIGNORIBUS


    Eugenio De Signoribus
    Source




    ■ Eugenio De Signoribus
    sur Terres de femmes


    microelegia (poème extrait du recueil Istmi e chiuse + traduction inédite de Thierry Gillybœuf)
    L’albero (poème extrait du recueil L’altra passione + traduction inédite d’AP)
    [ogni ora da vivere è buona per parlare] (poème extrait de Maisons perdues)
    [La sirena marina nel suo acquario] (poème extrait du recueil Veglie genovesi, 2013 + traduction inédite d’AP)
    La nymphe du crépuscule (poème extrait du recueil Trinità dell’esodo, 2011, + traduction inédite d’AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le blog de Grazia Calanna)
    une interview (en italien) d’Eugenio De Signoribus (18 septembre 2012)
    → (sur le site des Editions Verdier)
    une fiche de lecture sur Ronde des convers (+ extraits et revue de presse)
    → (sur le site des Editions Garzanti) une
    fiche de lecture sur Ronda dei conversi





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  • 13 février 1951 |
    Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé



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    Phtocollage, G.AdC






    HAINANG SUNAI SEQINEQ | SALUT À TOI, SOLEIL !


        C’est donc le 13 février seulement que nous escaladons l’inlandsis. Le jour, lentement, se lève. Au sud, très loin au sud, une lueur paraît monter comme de derrière un décor. Au-dessus d’une terre d’ombres, un froid et large horizon se dégage de la grisaille hivernale. Une dominante de bleu et de gris qui se nuance dans la matinée de jaune, de carmin et de vert donnant aux nuages un reflet glauque d’aquarium. La glace opaline se teinte dans l’air mouillé de couleurs sous-marines. Des tons et des lignes pour une sensibilité aiguë, frémissante comme l’eau, avec une intuition de l’instant. Paysage à la limite du réel pour un Nicolas de Staël.
        Cependant que nous poussons à grand-peine nos traîneaux sur la pente, un énorme soleil, pourpre mais comme mort, surgit enfin pour la première fois au-dessus de la crête. Le disque est d’une parfaite rondeur. Du groupe s’élève aussitôt une immense clameur.
        « Hainang sunai seqineq ! Salut à toi, soleil ! Seqinniak ! Le soleil apparaît. »
        Selon l’antique tradition, nous nous découvrons et, malgré le froid, jetons nos gants en l’air en criant de nouveau. Amaroq-Wulff, explorateur suédois, se serait moqué de ces croyances : en février 1917, il aurait négligé ces rites : et, comme le craignaient les Esquimaux, il est mort dans l’année, en septembre, lors de la seconde expédition de Thulé, qui s’est, nous le verrons, tragiquement achevée dans le nord de la Terre d’Inglefield.
        Nos clameurs se perdent dans le vent et la neige ; nous grelottons. La tempête menace de nouveau. Qu’importe, puisque la nuit et ses lunes pâles s’éloignent ; à la clarté nébuleuse et glacée va succéder la nouvelle et triomphante saison. Mais patience ! L’Arctique n’est que paradoxe et ce retour du soleil se traduira par une offensive de froid encore plus aigu ; quelques jours et la température atteindra, lorsque le vent soufflera, son point le plus bas de l’année : ― 55 °C, ― 60 °C.
        ― Tu devrais, comme les Inuit jadis, tenir entre tes lèvres deux-trois brins d’herbe, me conseille Kutsikitsoq. Cela éviterait que la peau gèle autour de ta bouche.
        Et, de fait, le procédé est efficace.


    Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé, Plon, Collection Terre Humaine *, 1955 (1re édition) ; 1989, pp. 299-300.



    * C’est par cet ouvrage qu’a été lancée, en 1955, la collection Terre Humaine.





    D
    ans les Archives pour tous de l’INA, écouter un extrait de l’émission Radioscopie de Jacques Chancel, consacrée à Jean Malaurie (ORTF – 20/02/1974)



    ■ Voir aussi (sur Terres de femmes) ▼

    27 octobre 1900 | Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable
    14 avril 1912 | Lettre d’Alexandra David-Néel à Philippe Néel
    8 novembre 1930 | Michel Vieuchange, Smara
    3 décembre 1933 | Annemarie Schwarzenbach, Konya
    25 mars 1934 | Odette du Puigaudeau
    22-23 juillet 1935 | Oasis interdites d’Ella Maillart



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  • Antonia Rigaud, John Cage, Théoricien de l’utopie



    Antonia Rigaud
    John Cage Théoricien de l’utopie
    L’Harmattan, Paris – 17 mars 2006


    4e de couverture :

    Derrière la figure du John Cage compositeur d’une musique d’avant-garde se cache celle d’un écrivain aux textes multiples. Ce livre propose une étude de ces écrits qui se concentre principalement sur sa poésie. Les textes de Cage en font en effet un metteur en scène d’un art impossible, car toujours en train de se redéfinir. Il devient par là le théoricien d’un art utopique.

    Si Cage est souvent perçu comme un artiste d’avant-garde, celui qui, après Duchamp aurait radicalement remis en question la définition de la musique et de l’art au XXe siècle, ses textes nous en donnent une autre image, peignant le portrait d’un auteur profondément américain, qui s’intègre dans une tradition et qui tente de donner voix à une philosophie distinctement américaine. L’oeuvre de Cage offre une remise en question du terme d’avant-garde (rappelons que l’artiste est aujourd’hui un « classique » de la nouvelle musique) et nous montre que ses avancées artistiques se fondent sur une tradition largement acceptée.

    En héritier de Thoreau et Emerson, Cage parvient à ne pas être qu’un compositeur d’avant-garde mais devient également et surtout un théoricien de l’utopie, en d’autres termes, un théoricien d’une philosophie américaine qui s’intéresse à définir les contours d’un continent à la croisée de l’imaginaire et de la réalité politique.

    Collection : Ouverture philosophique
    ISBN 10 2-296-00387-7





  • cipM, Marseille | « John Cage ou la vie poétique »

    Agenda culturel 2008/
    cipM/centre international de poésie Marseille




    Cage_3_bis
    Ph., G.AdC



    « AN OPEN CAGE »

    (Un événement autour de John Cage,
    jusqu’au 29 février 2008)



    « John Cage ou la vie poétique », tel est l’intitulé de la Table Ronde qui fut proposée le vendredi 8 février 2008 par Alphabetville et le cipM. J’étais présente. Avec l’équipe de Terres de femmes.

    Derrière la table : Vincent Barras, poète, traducteur ; Daniel Charles, musicologue et ami de John Cage ; Christophe Marchand-Kiss, poète, traducteur ; Antonia Rigaud, enseignante de littérature américaine à Paris III (Sorbonne Nouvelle), auteur d’une thèse sur la poésie de John Cage ; Christian Tarting, écrivain, traducteur, maître de conférences en esthétique à l’Université de la Méditerranée. Modération : Colette Tron.




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    Ph., G.AdC
    De gauche à droite : Colette Tron, Christophe Marchand-Kiss,
    Christian Tarting, Daniel Charles, Vincent Barras, Antonia Rigaud.





    LA POÉSIE DE CAGE, ENTRE HÉRITAGE ET AVANT-GARDE


        « Si Cage fait largement référence à Henry David Thoreau dans son œuvre et notamment dans sa poésie [comme dans la série des journaux Diary : How to Improve the World [You Will Only Make Matters Worse] ou le recueil M], c’est toute la philosophie transcendantaliste, derrière Emerson, qui est largement présente dans le texte cagien : on pense à l’importance qu’ont pour Cage le paysage naturel et le quotidien qui redéfinissent le langage poétique autant que la notion d’héritage culturel.
        La question du rapport au monde naturel et à l’environnement est au cœur de cette poésie et permet d’inscrire Cage dans la tradition américaine du Nature Writing où le texte se fonde autour d’une réflexion sur l’espace et l’écologie. Replacer Cage dans le contexte intellectuel spécifiquement américain du transcendantalisme et du Nature Writing permet aussi de voir les influences de la poésie moderniste américaine sur le poète d’avant-garde [citons Gertrude Stein à qui John Cage fait explicitement référence, mais aussi T.S. Eliot, Ezra Pound ou William Carlos Williams] et par là d’explorer la manière dont l’œuvre négocie les notions d’avant-garde et d’héritage.
        Cage situe sa poésie dans un contexte intellectuel et poétique très spécifique tout en cherchant à s’affranchir d’une vision canonique du poème pour investir deux voies parallèles : la poursuite des expérimentations modernistes et l’intégration d’une tradition américaine de l’écriture « environnementale ». L’héritage est au cœur du poème mais est aussi dépassé par celui-ci. La poésie de John Cage cherche à sortir du cadre poétique pour devenir le lieu d’une expérience collective. Le poème ouvre à la réflexion sur l’américanité : il se fait lieu autant que poétique. »


    Antonia Rigaud
    D.R. Texte Antonia Rigaud/cipM


    Antonia Rigaud, maître de conférences à Paris-III (Université de la Sorbonne Nouvelle), a publié plusieurs articles sur la poésie de John Cage ainsi qu’un ouvrage intitulé John Cage Théoricien de l’Utopie, Paris, l’Harmattan, 2006.




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    un extrait de l’intervention de Christian Tarting au cours de la Table ronde du 8 février 2008



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    Ph., G.AdC



    cipM/centre international de poésie Marseille
    Centre de la Vieille-Charité
    2, rue de la Charité
    13236 Marseille Cedex 02
    Tél. : + 33 (0)4 91 91 26 45
    Télécopie : + 33 (0)4 91 90 99 51
    Ouvert du mardi au samedi, de 12h00 à 19h00
    Bibliothèque : du mercredi au samedi, de 14h00 à 19h00



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    Ph., G.AdC



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  • 11 février 1860 | Naissance de Rachilde

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le samedi 11 février 1860 naît au Cros (entre Château-l’Évêque et Périgueux, Dordogne) Marguerite Eymery, dite Rachilde.




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        Femme de lettres* et femme du monde, femme de l’éditeur Alfred Vallette [et non pas Valette], Marguerite Eymery, dite Rachilde (1860-1953) est associée aux grandes figures féminines et féministes qui défrayent la chronique de son temps. Auteur de nombreux romans, parmi lesquels le célèbre Monsieur Vénus (1884**) (qui la conduisit à être condamnée par la justice bruxelloise et à être qualifiée de « pornographe distinguée » par Barbey d’Aurevilly) et La Tour d’amour (1899), Rachilde est fascinée par la figure complexe de l’androgyne qui hante l’esprit « fin de siècle ».




    * Rachilde aimait à se présenter : « Rachilde, homme de lettres ». À partir d’août 1889, elle tint salon, tous les mardis, dans les locaux du Mercure de France.
    ** L’ouvrage fut réédité en 1889, préfacé par Maurice Barrès, qui la surnommait « Mademoiselle Baudelaire ».





    RACHILDE

    Rachilde_bis



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Rachilde | De mer, d’amour et de mort
    → (sur le site de la RAL,M, Revue d’art et de littérature, musique)
    Madame Rachilde, homme de lettres et reine des décadents, par Benoît Pivert
    → (sur Wikipedia France) une
    notice bio-bibliographique fort bien conçue



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  • TdF n° 16 ― mars 2006



    Logo_mars_2006
    Image, G.AdC





    SOMMAIRE DU MOIS DE MARS 2006



    Terres de femmes ― N° du mois de février 2006
    1er mars 1910/Début de la publication de Fermina Márquez de Valery Larbaud
    Erri De Luca/Considero valore
    Erri De Luca/Première heure (note de lecture d’Angèle Paoli)
    3 mars 1903/Publication des poèmes de Sappho dans une traduction de Renée Vivien
    Histoire de Bérénice par Bérénice (Angèle Paoli)
    Vivian Lofiego/De l’autre côté du rituel
    Voce isulana (Angèle Paoli)
    Zoé Valdés, la louve de Cuba (note de lecture d’Angèle Paoli)
    6 mars 1980/Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française
    Amina Saïd/enfant moi seule
    Hélène Dorion/Par tant de visages, j’entre
    Miroir (Angèle Paoli)
    Florence, la « Femme au Flotoir » (Angèle Paoli)
    Pernette du Guillet/Épigramme LIV
    Neige (Angèle Paoli)
    8 mars 1993/Catherine Deneuve, César de la meilleure actrice
    Umberto Saba/Parole
    10 mars 1940/Mort de Mikhaïl Boulgakov
    André Velter/Comment jeter un regard neuf
    Charles Juliet/En surface
    « Les traversées poétiques d’Andrée Chedid », par Angèle Paoli (Chroniques de femmes)
    12 mars 1936/Maggie Teyte enregistre les Chansons de Bilitis de Debussy
    Patrizia Cavalli/Désormais habituée à parler d’autre chose
    13 mars 1900/Arrivée à Paris de la danseuse américaine Isadora Duncan
    Christine de Pisan, « Seulete suy et seulete vueil estre »
    Le magicien de Majorque (Angèle Paoli)
    13 mars 1993/Le Siècle de Titien au Grand Palais
    14 mars 1950/Édith Piaf fait sa rentrée salle Pleyel
    Philippe Jaccottet/Toute fleur qui s’ouvre
    15 mars 1954/Sortie en librairie de Bonjour tristesse
    Plein sang (Angèle Paoli)
    Sylvie Fabre G./Quelque chose, quelqu’un (note de lecture d’Angèle Paoli)
    16 mars 1960/Sortie d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard
    17 mars 1997/Lettre de Julia Kristeva à Catherine Clément
    André du Bouchet/En pleine terre
    Marie Étienne/Fragments de fresque
    Rêve de Rêve (Angèle Paoli)
    19 mars 1944/Le Désir attrapé par la queue, Picasso
    Son œil de Dora Maar (Angèle Paoli)
    Marie-Ange Sebasti/Demain
    20 mars 1920/Naissance d’Andrée Chedid
    Linda Maria Baros/Poivre dit de Séchouan
    21 mars 1914/Première audition de Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy
    Salon du Livre 2006/Arte-tv.com loupe sa rentrée « littéraire » (Angèle Paoli)
    23 mars 2003/Hable con ella primé aux Oscars
    23 mars 1994/Mort de Giulietta Masina
    Letitia Ilea/LE RÉVERBÈRE
    24 mars 1886/Naissance du photographe Edward Weston
    Pulchra… sed nigra (Angèle Paoli)
    25 mars 1905/Eleonora Duse au Nouveau-Théâtre à Paris
    Giacomo Leopardi/À Silvia
    Broderie orientale (Angèle Paoli)
    José Ángel Valente/TON image mélancolique
    27 mars 1956/La Strada, Oscar d’Hollywood
    Vaghe stelle dell’Orsa (note de lecture d’Angèle Paoli sur L’Astronomie au féminin de Yaël Nazé, Vuibert, 2006)
    28 mars 1941/Mort de Virginia Woolf
    Myriam Montoya/Sara
    29 mars 1989/Inauguration de la Pyramide du Louvre
    Paul Louis Rossi/Mémoire du temps
    Peut-être/Po Dassi (Angèle Paoli. Traduction en corse de Stefanu Cesari)
    30 mars 1917/Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    Manèges (Angèle Paoli)
    Cécile Oumhani/Ne craignons pas la nuit
    31 mars 1966/Interdiction du film La Religieuse de Jacques Rivette
    Terres de femmes ― N° du mois d’avril 2006



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