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  • 28 janvier 1936 | Naissance d’Ismaïl Kadaré

    Éphéméride culturelle à rebours




    Ismail_kadare_
    Image, G.AdC




         Le 28 janvier 1936 naît en Albanie, à Gjirokastër, Ismaïl Kadaré. Poète et romancier marqué par la culture russe et soviétique ― découverte au temps de ses études à l’Institut Gorki de Moscou ―, Ismaïl Kadaré prend ses distances, dès les années 1970, avec le régime dictatorial du dirigeant albanais Enver Hoxha.
        Les romans de cette période, Avril brisé, Le Pont aux trois arches, Qui a ramené Doruntine, témoignent d’une prise de conscience aigue de la nature du totalitarisme. Interdit de publication, Kadaré songe à s’exiler loin de son pays. Ce qu’il fait dans les années 1990, où il obtient l’asile politique en France.
        Aujourd’hui, avec la fin du communisme en Albanie, Ismaïl Kadaré partage son temps entre son pays et la France. L’œuvre du « chantre » de l’Albanie a été traduite dans le monde entier.




    EXTRAIT

        Gjorg se souvint du châtiment appliqué quelques années avant dans son village lors d’une violation de la bessa*. Le meurtrier avait été fusillé par tous les hommes du village réunis et déclaré indigne d’être vengé, puis sans tenir compte du fait que ses habitants n’étaient pas coupables, la maison où l’hôte avait été tué en violation de la bessa avait été brûlée. Le maître de maison lui-même était le premier à y jeter des brandons et à la démolir à coups de hache, en criant « Puissé-je me laver de mes fautes envers le village et la bannière. » Derrière lui, munis eux aussi de brandons et de haches, venaient tous les hommes du village. Après quoi, pendant des années, tout objet ne devait être tendu au maître de maison que de la main gauche et par-dessus la jambe, pour lui rappeler qu’il devait reprendre le sang de son hôte. Car il était bien établi que l’on pouvait faire remise du sang de son père, de son frère et même de son enfant, mais jamais de celui de son hôte.
        Qui sait quelle déloyauté a été commise dans cette maison, se dit-il, en poussant du pied deux ou trois pierres. Elles émirent un bruit sourd. Il regarda tout autour pour voir s’il y avait d’autres maisons, mais ne vit qu’une ruine, à quelque vingt pas. Qu’est-ce donc ? se dit-il. Machinalement, il s’élança vers ces décombres, en fit le tour et remarqua la même chose aux quatre coins. Les pierres de fondations avaient été arrachées. Est-il possible que tout un village ait été châtié ? se demanda-t-il. Mais lorsqu’il rencontra un peu plus loin une autre ruine, il se convainquit qu’il devait en être ainsi. Il avait entendu parler, quelques années auparavant, d’un village lointain qui avait violé la bessa et avait été puni par la Bannière. Un intermédiaire avait été tué au cours d’une querelle de limites entre deux villages. La bannière chargea de la reprise de son sang le village où il avait été tué. Le village ayant eu l’inconscience de ne pas reprendre le sang, il fut décidé de le détruire.
         Gjorg erra longtemps d’un pas léger, comme une ombre, d’une ruine à l’autre. Qui donc était l’homme qui avait entraîné dans sa mort un village entier ? La surdité des ruines était atroce. Un oiseau, dont Gjorg savait qu’il ne criait que la nuit, faisait « or », « or », et lui-même, se souvenant qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps pour atteindre la kulla, chercha des yeux la grand-route. Le cri de l’oiseau perça encore le silence, très loin cette fois-ci, alors que Gjorg se redemandait qui pouvait bien être l’homme qui avait été trahi dans ce malheureux village. « Or-or ! » fut la réponse, qui résonna à son oreille un peu comme son nom « Gjorg-Gjorg ».Il sourit en se disant : « Voilà que tu entends des voix », et se dirigea vers la route.

    Ismaïl Kadaré, Avril brisé [1978], Éditions Fayard, 1982 ; Le Livre de Poche biblio, 1989, pp. 42-43. Traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni.



    * Note d’AP : la bessa = la « parole donnée », « la parole d’honneur ».



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  • Nelly Sachs | Quand le jour devient vide

    «  Poésie d’un jour  »



    Le_temps_sans_images
    Ph., G.AdC








    QUAND LE JOUR DEVIENT VIDE



    Quand le jour devient vide
    dans le crépuscule,
    quand commence le temps sans images,
    que les voix solitaires se rejoignent ―
    et quand les animaux ne sont rien que chasseurs
    ou bêtes traquées ―
    et les fleurs seulement senteurs ―
    quand tout devient sans nom comme au commencement ―
    tu vas sous les catacombes du temps
    qui s’ouvrent à ceux qui sont proches de la fin
    là où grandissent les pousses du cœur ―
    tu sombres
    dans l’intériorité obscure ―
    passant déjà la mort
    qui est seulement un seuil venteux ―
    et grelottant de ce chemin
    tu ouvres les yeux
    dans lesquels déjà une nouvelle étoile
    a laissé son éclat ―



    Nelly Sachs in X poètes au féminin, L’arachnoïde, 2005, p. 34, in Éclipse d’étoile [Sternverdunkelung, Bermann-Fischer, Amsterdam, 1949], précédé de Dans les demeures de la mort, Verdier, 1999, p. 120. Traduit de l’allemand par Mireille Gansel.





    NELLY SACHS


    Sachs
    Source



    ■ Nelly Sachs
    sur Terres de femmes

    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan
    Départ au désert
    [Tourment]
    27 février 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Valérie Rouzeau


    BIO/BIBLIO

    VALÉRIE ROUZEAU


    Portrait_de_valerie_rouzeau
    Image, G.AdC




        Née à Cosne-sur-Loire (Nièvre) en 1967, Valérie Rouzeau jouit dans le monde poétique d’aujourd’hui, d’une aura toute particulière. Reconnue par ses pairs comme une inventrice talentueuse, elle l’est aussi par un public plus modeste et plus jeune. Celui des établissements scolaires et des centres culturels de banlieue. C’est que Valérie Rouzeau, issue d’une famille peu ordinaire de ferrailleurs, vit et écrit en banlieue. Elle en parle le langage rude et râpeux, convertit en écriture ses idiomes et ses images. Mais pas seulement. Ses études littéraires de traductrice (elle est la traductrice de Sylvia Plath et de William Carlos Williams) l’ont amenée à triturer la langue et Valérie Rouzeau détourne volontiers les expressions toutes faites pour leur redonner sens et vitalité. Un sens qui a à voir avec l’enfance et la mort, l’amitié et la vie, l’amour et le rien. Les pirouettes de langage, les jeux « à cloche-pied » se changent en images-choc de la vérité. Ce qui donne à la poésie de Valérie Rouzeau son rythme accéléré et sa force coup-de-poing. Une écriture originale dans le paysage poétique actuel, où la rencontre inattendue entre le surréel du quotidien et la distanciation gouailleuse face à elle-même, crée sans cesse la surprise. Entre tendresse et drôlerie.

        Valérie Rouzeau vit de sa poésie et des nombreuses activités et prestations qu’elle donne autour de la poésie. Ateliers d’écriture, lectures publiques, rencontres et entretiens, direction de revues poétiques.

        Valérie Rouzeau est l’auteur de nombreux recueils. Parmi ses ouvrages les plus récents figurent:

    Pas revoir, Le Dé bleu, 1999 ;
    Neige rien, Unes, 2000 ;
    Va où, Le Temps qu’il fait, Prix Tristan Tzara, 2002 ;
    Kékszakállū, Les Faunes éditeurs, 2004 ;
    Récipients d’Air, Le Temps qu’il fait, 2005 ;
    Apothicaria, Éditions Wigwam, 2007 ;
    Vrouz, Poésie, La Table Ronde, 2012 ;
    Sens averse, Poésie, La Table Ronde, 2018.




    ■ Valérie Rouzeau
    sur Terres de femmes

    une fiche bio-bibliographique sur Valérie Rouzeau
    [J’aime aller dans la rue avec en tête un chant] (extrait de Sens averse)
    À me bercer (extrait de Va où)
    Nous nous serions perdus (poème de jeunesse)
    Oie rêve à l’azur (note de lecture sur Apothicaria)
    25 décembre | Valérie Rouzeau, Quand je me deux
    Quand je passerai
    Valérie Rouzeau, Vrouz (lecture de Tristan Hordé)
    [Tout s’écaille] (extrait de Vrouz)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes 2012)
    Dans le vent d’hiver
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Valérie Rouzeau (+ un extrait de Va où)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le tiers livre)
    un dossier de 34 pages sur Valérie Rouzeau, réalisé par l’équipe de la médiathèque municipale Jacques-Thyraud de Romorantin-Lanthenay [texte de présentation d’Angèle Paoli] (PDF)
    → (sur le site des Découvreurs de poésie) un
    article de Thierry Guichard paru dans Le Matricule des Anges (Numéro 027 – août-septembre 1999)




    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • Le Printemps des poètes 2008 :
    Valérie Rouzeau à Porto Vecchio

    Agenda culturel
    Printemps des poètes 2008

    Logo_pdp



    Toile_rouge
    Image, G.AdC



    L’Association Entrelignes et le Centre Culturel de Porto-Vecchio
    présentent la Troisième édition de


    Voyage en vers



    du vendredi 7 mars au samedi 8 avril



    Carte_bis




    Vendredi 7 mars 2008 :


    10h00

    Bibliothèque Municipale de Porto Vecchio :
    Mur Poétique réalisé par la section Arts-Plastiques du C.A.C.E.L. de Porto Vecchio.

    14h00
    Centre Culturel :
    Avec le parrainage du Lions Club de Porto Vecchio remise des prix du concours de Poésie. Classes participantes : Cours moyen des écoles primaires de Porto Vecchio 1, Porto Vecchio 2, Trinité, Muratello, Conca, Sainte Lucie de Porto Vecchio, Lecci. Soit 250 élèves.
    Une animation sera proposée par la troupe théâtrale La Salicorne avec la projection d’un court métrage proposant le travail de création de Walther Fahrer, professionnel de la bande dessinée.

    Le jury du concours de Poésie sera composé des membres du bureau d’Entrelignes et des personnes déléguées par les partenaires du projet.

    15h00
    Spectacle de contes pour jeune public proposé par Les Artisans du Songe : Va ranger ta chambre ! (Contes adaptés du folklore russe) : adaptation, interprétation, et scénographie : Toinou Massiani, collabaration artistique : Myriam Azencot, montage son : J.Bernard Rongiconi, costumes accessoires : Féli Massiani.

    18h00
    Centre Culturel :
    Invitée d’honneur : Valérie Rouzeau
    « Une voix qui se reconnaît au premier signe, au premier souffle, que l’on entend une fois pour toutes, et à chaque fois une fois pour toutes, comme personne. » (André Velter, Le Monde des Livres, vendredi 5 avril 2002).
    Valérie Rouzeau lira ses poèmes. Cette lecture sera suivie d’une causerie autour de l’œuvre du poète

    20h30
    Exposition des photographies artistiques de Bettie Culioli
    Café-Poésie avec l’exceptionnelle participation de Valérie Rouzeau. Un musicien du C.A.C.E.L. accompagnera la soirée. Ouvert à tous les publics



    Samedi 8 mars 2008


    21h00
    Projection-débat à la cinémathèque de Corse
    La Première Lettre
    1979, 6 x 50’. Réalisation : Armand Gatti, Stéphane Gatti, Hélène Chatelain, Claude Mouriéras.

        Sollicité, juste après l’expérience montbéliardaise, par une association culturelle de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau, pour un nouveau projet d’écriture collective, Gatti s’empare de l’histoire de Roger Rouxel, écrit un poème et l’offre à toute une population. De ce texte et des réponses qu’il suscite, naît cette série de films. Le premier évoque l’histoire de ce jeune métallo de Vitry entré en résistance, arrêté, torturé et fusillé. Les cinq autres rendent compte de la manière dont les habitants de toute une région, organisés en groupes de travail, ont réagi en fonction de leur vie quotidienne et se sont emparés du personnage.



    Écrire
    1995 , 24′, couleur, documentaire
    Conception : Jean-Louis Le Tacon, Emmanuelle K. Réalisation : Jean-Louis Le Tacon. Production : Point du Jour, France 3 Paris-Ile-de-France. Participation : CNC, ministère de la Culture et de la Francophonie (DP).

        À l’origine de ce film, la simple curiosité de ses auteurs quant à « la place de l’écrire dans la vie quotidienne ». Pour y répondre, une dizaine de personnes des deux sexes, d’âge et d’origine sociale divers, ont été choisies, de manière plutôt aléatoire, pour témoigner de leur pratique. Au total, une galerie de portraits, ludique et sensible…

        Cahier de recettes de cuisine amoureux, correspondance ou journal intime, stylo ou minitel, trace d’un moment de vie ou du temps qui passe, les moyens employés et les formes que revêtent ces écritures privées sont aussi variés que les intentions et l’état d’esprit de leurs auteurs. Pourtant, un trait commun se dégage dans cette mosaïque : la manière dont chacun accompagne cette activité de toute sorte de rites en fait un espace réservé, et finalement extra-ordinaire.




    Voir aussi :
    – (sur Terres de femmes) Le Printemps des poètes 2008 : Hélène Sanguinetti dans le Cap Corse.


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  • Voyage en vers

    Agenda culturel
    Printemps des poètes 2008

    Logo_pdp



    Toile_rouge
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    L’Association Entrelignes et le Centre Culturel de Porto-Vecchio
    présentent la Troisième édition de


    Voyage en vers



    du vendredi 7 mars au samedi 8 avril



    Carte




    Vendredi 7 mars 2008 :

    10h00

    Bibliothèque Municipale de Porto Vecchio :

    Mur Poétique réalisé par la section Arts-Plastiques du C.A.C.E.L. de Porto Vecchio

    14h00

    Centre Culturel :

    Avec le parrainage du Lions Club de Porto Vecchio remise des prix du concours de Poésie. Classes participantes : Cours moyen des écoles primaires de Porto Vecchio 1, Porto Vecchio 2, Trinité, Muratello, Conca, Sainte Lucie de Porto Vecchio, Lecci. Soit 250 élèves.
    Une animation sera proposée par la troupe théâtrale La Salicorne avec la projection d’un court métrage proposant le travail de création de Walther Fahrer, professionnel de la bande dessinée

    Le jury du concours de Poésie sera composé des membres du bureau d’Entrelignes et des personnes déléguées par les partenaires du projet.

    15h00

    Spectacle de contes pour jeune public proposé par Les Artisans du Songe : Va ranger ta chambre ! (Contes adaptés du folklore russe) : adaptation, interprétation, et scénographie : Toinou Massiani, collabaration artistique : Myriam Azencot, montage son : J.Bernard Rongiconi, costumes accessoires : Féli Massiani

    18h00
    Centre Culturel :
    Invitée d’honneur : Valérie Rouzeau
    « Une voix qui se reconnaît au premier signe, au premier souffle, que l’on entend une fois pour toutes, et à chaque fois une fois pour toutes, comme personne. » (André Velter, Le Monde des Livres, vendredi 5 avril 2002)
    Valérie Rouzeau lira ses poèmes. Cette lecture sera suivie d’une causerie autour de l’œuvre du poète

    20h30
    Exposition des photographies artistiques de Bettie Culioli
    Café-Poésie avec l’exceptionnelle participation de Valérie Rouzeau. Un musicien du C.A.C.E.L. accompagnera la soirée. Ouvert à tous les publics



    Samedi 8 mars 2008

    21h00
    Projection-débat à la cinémathèque de Corse
    La Première Lettre
    1979, 6 x 50’. Réalisation : Armand Gatti, Stéphane Gatti, Hélène Chatelain, Claude Mouriéras.

    Sollicité, juste après l’expérience montbéliardaise, par une association culturelle de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau, pour un nouveau projet d’écriture collective, Gatti s’empare de l’histoire de Roger Rouxel, écrit un poème et l’offre à toute une population. De ce texte et des réponses qu’il suscite, naît cette série de films. Le premier évoque l’histoire de ce jeune métallo de Vitry entré en résistance, arrêté, torturé et fusillé. Les cinq autres rendent compte de la manière dont les habitants de toute une région, organisés en groupes de travail, ont réagi en fonction de leur vie quotidienne et se sont emparés du personnage.



    Ecrire
    1995 , 24′ , couleur , documentaire
    Conception : Jean-Louis Le Tacon, Emmanuelle K. Réalisation : Jean-Louis Le Tacon. Production : Point du Jour, France 3 Paris-Ile-de-France. Participation : CNC, ministère de la Culture et de la Francophonie (DP).

    A l’origine de ce film, la simple curiosité de ses auteurs quant à « la place de l’écrire dans la vie quotidienne ». Pour y répondre, une dizaine de personnes des deux sexes, d’âge et d’origine sociale divers, ont été choisies, de manière plutôt aléatoire, pour témoigner de leur pratique. Au total, une galerie de portraits, ludique et sensible…

    Cahier de recettes de cuisine amoureux, correspondance ou journal intime, stylo ou minitel, trace d’un moment de vie ou du temps qui passe, les moyens employés et les formes que revêtent ces écritures privées sont aussi variés que les intentions et l’état d’esprit de leurs auteurs. Pourtant, un trait commun se dégage dans cette mosaïque : la manière dont chacun accompagne cette activité de toute sorte de rites en fait un espace réservé, et finalement extra-ordinaire.


  • Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad

    Topique : Bleu
    Maddalena Rodriguez–Antoniotti, Bleu Conrad,
    Le Destin méditerranéen de Joseph Conrad,

    Albiana, 2007.


    Maddalena R-A
    Image, G.AdC








    BLEU CONRAD, UNE « MÉTAPHORE DE L’ABSENCE »



    Quelle couleur donner à l’absence ? Quelle couleur donner au manque que suscite l’absence ? Lorsque, comme Joseph Conrad, l’on a connu les mers lointaines et que la favorite a pour nom Méditerranée ; lorsque, après y avoir fait ses armes en pleine adolescence, la mer est soudain confisquée, la couleur de l’absence est le bleu, l’indéfiniment bleu du ciel et de la mer.

    « Métaphore de l’absence », la couleur qui taraude la vie de Joseph Conrad depuis l’âge de ses dix-sept ans est aussi celle que Maddalena Rodriguez-Antoniotti a choisie pour titre de son dernier ouvrage. Bleu Conrad. Métaphore à ce point essentielle que le bleu est intimement uni au nom de Conrad, intimement associé à lui. Et, selon Maddalena Rodriguez-Antoniotti, suffit à définir l’homme d’exception que fut le Polonais d’Angleterre. Ainsi le bleu, couleur de l’absence et du manque, court en filigrane de chapitre en chapitre, d’une page à l’autre de cette vaste somme biographique. Consacrée au grand navigateur et au grand écrivain que fut Joseph Conrad. La métaphore du bleu tisse au cœur de l’ouvrage Bleu Conrad un vaste réseau de sens, et guide la lecture. Une lecture dense et foisonnante, à l’image de l’ouvrage lui-même. Dont le titre concis et énigmatique de Bleu Conrad est explicité par le sous-titre : Le Destin méditerranéen de Joseph Conrad.

    Car c’est bien le destin d’un homme hors pair que celui de cet exilé de Pologne qui choisit très tôt de quitter la terre des origines pour des cieux infinis et pour une vie d’errance en mer plus conforme avec sa vision de l’homme libre. C’est le récit de ce destin que l’historienne Maddalena Rodriguez-Antoniotti a voulu nous faire partager. Un récit qui commence à rebours, à partir de la date du 3 février 1921. Date du début du dernier voyage en Corse. Joseph Conrad a soixante-trois ans lorsqu’avec Jessie, son épouse, le navigateur effectue, à bord de l’Iberia, celle qu’il sait être sa dernière traversée. L’occasion pour Maddalena Rodriguez-Antoniotti de retracer dans le moindre détail les rêves les plus fous, les attentes et les espoirs déçus de Conrad. Et pour le plus « débritannisé » des auteurs, de faire le point sur sa vie. L’ultime rêve de Conrad est de profiter du séjour dans l’île pour rendre visite une dernière fois à celui qui fut l’irremplaçable ami, Dominique Cervoni. Après un long séjour à Ajacciu où Conrad ne trouve de bien-être qu’auprès des vieux loups du port, l’auteur de Nostromo – nom inspiré à Conrad par la figure hauturière de l’aventurier-navigateur Capcorsin – entreprend le voyage dans le Cap Corse et se rend à Luri, sur la tombe où repose Cervoni. Le bleu de la nostalgie ne quittera plus Conrad, car c’est aux côtés de Cervoni que le jeune homme a vécu, jadis, ses premières expériences exaltantes de la mer. En route vers les Amériques, à bord du Saint-Antoine ou du Tremolino. Une exaltation inoubliable dont Joseph Conrad ne guérira jamais. Sauf à la transcender par l’écriture. Ce dont témoigne son œuvre immense.

    Si le bleu est la couleur du manque et de la nostalgie pour Joseph Conrad, la couleur de « la passion selon M. R.-A. », c’est Joseph Conrad. Une rencontre qui s’est faite par effraction, confie l’auteure dans son Post-scriptum. Mais une rencontre fondamentale à trois dimensions. Conrad, la Corse, Maddalena. Passion pour une terre – la Corse – et passion pour un homme qui a adulé cette terre.

    À mi-chemin entre biographie et essai, entre littérature et Histoire, la passion de Maddalena Rodriguez-Antoniotti se lit dans le foisonnement débordant – presque trop ? – de l’écriture et dans celui, très riche, des références multiples – musicales (Debussy), picturales (Van Gogh, Matisse), historiques, littéraires. Un beau travail d’érudition, nourri des lectures les plus diverses – documents d’archives, articles de revues,… – sans oublier l’œuvre romanesque de Conrad et ses Lettres françaises.

    Préfacé par Kenneth White – qui souligne « le champ de pensée » ouvert par Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad est un bel ouvrage qui allie qualités d’écriture et qualités artistiques. Au bleu qui court en filigrane de chapitre en chapitre répond le bleu des « diptyques photographiques » réalisés par l’auteure elle-même. Mais pas seulement. Aux très belles photos de Maddalena Rodriguez-Antoniotti viennent s’ajouter les clichés d’archives, « délibérément traités en sépia ».

    Hommage à l’écrivain épris d’absolu, Bleu Conrad est aussi hymne vibrant à la Méditerranée.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ________________________________________________________
        Historienne de formation, Maddalena Rodriguez-Antoniotti est peintre, photographe et essayiste. Elle a publié en 2005 chez Albiana Comme un besoin d’utopie, le Parcours du Regard, un parcours d’art contemporain en Corse, et, en 2010, chez Images en Manœuvres Éditions, Corse, Éloge de la ruralité. Elle a également écrit dans diverses revues dont la Revue fora ! (« Faire trace, faire signe », N° 2, Hiver-printemps 2008).





    ■ Joseph Conrad
    sur Terres de femmes

    3 février 1921 | Joseph Conrad. En partance pour Ajaccio (Incipit de Bleu Conrad)
    14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim
    Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande



    ■ Maddalena Rodriguez-Antoniotti
    sur Terres de femmes

    Corse, Éloge de la ruralité (note de lecture d’AP)





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  • 24 janvier 1862 | Naissance d’Edith Wharton

    Éphéméride culturelle à rebours




        Le 24 janvier 1862 naît à New York Edith Newbold Jones. Fille d’une très ancienne et très riche famille américaine, Edith Newbold Jones devient Edith Wharton en épousant Edward Wharton, un aristocrate de Boston.



        Edith Wharton est l’auteur de nombreux romans qui ont fait l’admiration d’Henry James et de Paul Bourget. Mais aussi de Joseph Conrad qui considère L’Eté (1918) ― un classique de la littérature américaine et de la littérature féminine ― comme le meilleur et le plus abouti de ses écrits. « Peut-être parce qu’y sont dévoilés les mécanismes intimes et habituellement cachés de la personnalité, l’aspect extra-social de notre nature si souvent présent dans les écrits de Conrad lui-même. »





    Certaines_images__demi_effaces
    Ph., G.AdC






    EXTRAIT


        Then he clambered on till the trees closed in on him. Presently, from high overhead, Charity heard the ring of his axe.
        She lay on the warm ridge, thinking of many things that the woodsman’s appearance had stirred up in her. She knew nothing of her early life, and had never felt any curiosity about it: only a sullen reluctance to explore the corner of her memory where certain blurred images lingered. But all that had happened to her within the last few weeks had stirred her to the sleeping depths. She had become absorbingly interesting to herself, and everything that had to do with her past was illuminated by this sudden curiosity.
         She hated more than ever the fact of coming from the Mountain ; but it was no longer indifferent to her. Everything that in any way affected her was alive and vivid: even the hateful things had grown interesting because they were a part of herself.
        « I wonder if Liff Hyatt knows who my mother was ? » she mused; and it filled her with a tremor of surprise to think that some woman who was once young and slight, with quick motions of the blood like hers, had carried her in her breast, and watched her sleeping. She had always thought of her mother as so long dead as to be no more than a nameless pinch of earth; but now it occurred to her that the once-young woman might be alive, and wrinkled and elf-locked like the woman she had sometimes seen in the door of the #660033 house that Lucius Harney wanted to draw.





        Puis il reprit sa marche lente, et s’enfonça dans la forêt. Très haut au-dessus d’elle, Charity entendit bientôt le bruit de sa hache.
        Elle restait étendue sur la terre chaude, pensant aux choses lointaines que la venue du bûcheron avait réveillées en elle. De ses premières années, elle ne savait rien et jusqu’à ce jour aucune curiosité à ce sujet n’avait poussé en elle : elle éprouvait plutôt une répugnance secrète à explorer les coins de sa mémoire où traînaient, de-ci, de-là, certaines images à demi effacées. Cependant, tout ce qui lui était arrivé depuis ces dernières semaines l’avait profondément remuée et troublée. Elle se sentait prise pour elle-même d’un intérêt nouveau, absorbant, et cette curiosité soudaine projetait sa lumière sur tout ce qui se rapportait à son passé.
         Même le fait de venir de la Montagne ne lui était plus indifférent. Tout ce qui d’une façon quelconque la touchait était devenu pour elle vivant et animé; même les choses dont elle était le moins fière prenaient de l’intérêt puisqu’elles étaient une partie de sa propre vie.
        ― Je me demande si Liff Hyatt a connu ma mère ? se dit-elle tout haut.
        Un frisson d’étonnement la secoua en pensant qu’une femme, qui avait été jadis jeune et souple, avec un sang vif comme celui qui courait dans ses veines, l’avait portée dans son sein, et avait veillé sur ses premiers sommeils. Elle avait toujours pensé à sa mère comme à une morte devenue depuis longtemps une anonyme poignée de poussière; et elle se demandait maintenant si cette mère, jadis jeune, n’était pas vivante encore et peut-être toute ridée et sordide, comme la pauvresse qu’elle avait quelquefois vue à la porte de la maison brune que Lucius Harney voulait dessiner.


    Edith Wharton, Été [Summer, 1918], chapitre V, Éditions 10/18, 1985, pp. 54-55.





    EDITH WHARTON


    Edith_wharton_bis
    Photographe inconnu, Edith Wharton,
    Library of Congress,
    Prints and Photographs Division,
    Washington, D.C.
    Source



    ■ Edith Wharton
    sur Terres de femmes

    11 août 1937 | Mort d’Edith Wharton


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur The Literature Network) le texte intégral de Summer



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  • Eduardo García Aguilar/Noche

    «  Poésie d’un jour  »




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    Ph., G.AdC




                                        NOCHE

    Al comenzar la noche sobre la inmensa llanura
    las estrellas se afilan y se adueñan del verde
    que un tigre ensimismado devora en vez de carne.
    Al terminar el día las montañas
    atraen a su seno el alba secuestrada.
    Un grito tras la llama que devora los aires :
    alguien se entrega al otro
                                                          un gemido
                                                                                  apenas
    bajo la luz del día.

    Eduardo García Aguilar, Llanto de la espada, UNAM, Mexico, 1992.




                                        NUIT

    Au début de la nuit sur l’immense plaine
    les étoiles s’aiguisent et s’emparent du vert
    qu’un tigre absorbé dévore en guise de chair.
    À la fin du jour les montagnes
    attirent dans leur sein l’aube séquestrée.
    Un cri derrière la flamme dévore l’air :
    quelqu’un se donne à l’autre
                                                               un gémissement
                                                                                                    à peine
    sous la lumière du jour.

    Eduardo García Aguilar, Temps des crabes, L’Oreille du Loup, 2007, p. 27. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Stéphane Chaumet.




    EDUARDO GARCÍA AGUILAR

    Eduardo_garca_aguilar
    Source

         Eduardo García Aguilar est né le 7 septembre 1953 à Manizales (Colombie) et vit actuellement à Paris. Il a beaucoup publié au Mexique (où il a passé de très nombreuses années). Notamment les romans Tierra de Leones (Terre de lions, 1986), Bulevar de los héroes (Boulevard des héros, 1987, traduit et publié aux États-Unis en 1994), El viaje triunfal (Le Voyage triomphal, 1993 ; México, 1997) et Tequila Coxis (Tequila Coccyx, 2003) ; les recueils de poèmes Llanto de la espada (1992 ; traduit et publié en France sous le titre Temps des crabes, 2007) et Anima sin tiempo (Animal sans temps, 2006) ; ainsi que les essais Delirio de San Cristóbal : Manifiesto para una generación desencantada (Délire de San Cristóbal : Manifeste pour une génération désenchantée, 1998) et Celebraciones y otros fantasmas: una biografía intelectual de Álvaro Mutis (Célébrations et autres fantasmes : une biographie intellectuelle d’Alvaro Mutis, 1993).





    Voir aussi :
    le blog littéraire d’Eduardo García Aguilar ;
    – (sur Terres de femmes) Myriam Montoya/
    Bachue ;
    – (sur Terres de femmes) Myriam Montoya/
    Sara.



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  • 23 janvier 1783 | Naissance de Stendhal

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 23 janvier 1783 naît rue des Vieux-Jésuites, à Grenoble, Stendhal, de son vrai nom Henry Beyle.







    Stendhal
    Image, G.AdC







    Mon excellent grand-père qui dans le fait fut mon véritable père et mon ami intime jusqu’à mon parti pris, vers 1796, de me tirer de Grenoble par les mathématiques, racontait souvent une chose merveilleuse.

    Ma mère m’ayant fait porter dans sa chambre (verte), le jour où j’avais un an, 23 janvier 1784, me tenait debout près de la fenêtre : mon grand-père, placé vers le lit, m’appelait, je me déterminai à marcher et arrivai jusqu’à lui.

    Alors je parlais un peu et pour saluer je disais hateur. Mon oncle plaisantait sa sœur Henriette (ma mère) sur ma laideur. Il paraît que j’avais une tête énorme, sans cheveux, et que je ressemblais au Père Brulard, un moine adroit, un bon vivant et à grande influence dans son couvent, mon oncle ou grand-oncle mort avant moi.

    J’étais fort entreprenant, de là deux accidents racontés avec terreur et regret par mon grand-père : vers le rocher de la porte de France je piquai avec un morceau de fagot taillé en pointe avec un couteau un mulet qui eut l’impudence de me camper ses deux fers dans la poitrine, il me renversa. « Un peu plus, il était mort », disait mon grand-père.

    Je me figure l’événement, mais probablement ce n’est pas un souvenir direct, ce n’est que le souvenir de l’image que je me formai de la chose, fort anciennement et à l’époque des premiers récits qu’on m’en fit.

    Le second événement tragique fut qu’entre ma mère et mon grand-père je me cassai deux dents de devant en tombant sur le coin de la chaise. Mon grand-père ne revenait pas de son étonnement : « Entre sa mère et moi ! » répétait-il comme pour déplorer la force de la fatalité.


    Stendhal, Vie de Henry Brulard [posth. 1890], Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1973, pp. 66-67-68-69-70.





    ■ Stendhal
    sur Terres de femmes

    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme
    7 janvier 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    2 juillet 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    23 mars 1842 | Mort de Stendhal


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de La Bibliothèque municipale de Grenoble)
    les manuscrits de Vie de Henry Brulard





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