Étiquette : 1936


  • 19 juillet 1957 | Mort de Curzio Malaparte

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 19 juillet 1957 meurt à Rome Curzio Malaparte.







    Portrait de malaparte
    Image, G.AdC







        Écrivain talentueux, auteur de Kaputt (1944), du Soleil est aveugle (1947) et de La Peau (1949), Malaparte incarne, avec Gabriele D’Annunzio, la « furia » italienne, caractérisée par un style somptueux.

        Quelque temps sympathisant du parti fasciste auquel il avait adhéré en 1922, il démissionna, dénonçant avec virulence les prises de position du Duce. Après deux mois passés dans les prisons de Rome, Malaparte est condamné à cinq années de résidence forcée ― al confino ― et envoyé aux îles Lipari. De cette époque date la rédaction de La Passeggiata (1936 ; trad. fr. L’Excursion, 2012), récit qui retrace le voyage d’exil ordonné par Mussolini.







    Paestum
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    L’EXCURSION (extrait)


        « L’année dernière. La dernière fois… » pense le prisonnier. Cette dernière fois qu’il est venu à Paestum, c’était avec Flaminia et Massine. À peine une année, presque hier.
        Ils étaient partis à l’aube des Isole dei Galli, une aube d’été paisible et blanche. Les Faraglioni de Capri, là-bas, surgissaient lentement de la mer, indistincts dans la brume. L’air sur la côte d’Amalfi était transparent, veiné d’argent comme les ailes des cigales. Dans sa maison construite sur la plus grande des Isole dei Galli (les Sirénuses homériques, noirs écueils qu’Ulysse vit tout blanchis d’ossements humains : c’étaient là qu’avaient leur nid les lascives sirènes au souffle fétide et à la voix harmonieuse), Léonide Massine passe chaque année une importante partie de l’été seul avec un Pleyel dont le sel marin rend les sons enroués, essayant sur les faïences de Vetri qui recouvrent le sol les pas d’un nouveau ballet de Stravinski ou de Charrier.
        Les matins de beau temps, du haut de la terrasse à pic sur la mer, on voit s’élever à l’extrême horizon, là-bas au fond du golfe de Salerne, entre l’embouchure du Sele et le cap de Palinuro, les colonnes du temple de Paestum, roses dans l’atmosphère translucide. Quelques jours auparavant, à Paris où il mettait en scène, au théâtre des Champs-Élysées, La Concurrence d’André Derain sur une musique de Georges Auric, Massine avait dit à Boz : « Venez me voir aux Sirénuses, nous irons ensemble à Paestum. » Et maintenant ils naviguaient sur la mer blonde et unie comme un dos de tortue vers l’embouchure du Sele, vers les colonnes solitaires plantées sur le rivage désert. Étendue à côté de Boz, Flaminia se taisait, le regard lointain, les lèvres entrouvertes, le visage allumé par le feu candide des voiles.
        Quand ils abordèrent le long de l’immense arc du rivage nu de Paestum, le soleil était déjà haut. Sous sa lumière blanche, une réverbération immobile montait du sable, comme d’une étendue de neige. Sur la plage jusqu’aux ruines, le sentier parmi des buissons de genêts et de ronces, traverse une plaine poussiéreuse que des essaims de gros insectes velus emplissent d’un bourdonnement intense et continu. La chaleur était étouffante. Précédant Flaminia et Boz, Léonide Massine marchait de son pas de jeune fille agile et joyeux et de temps en temps tournait vers eux son profil sec, ironique, qu’illuminait un sourire ambigu et puéril. Puis peu à peu un enduit de poussière et de sueur couvrit son corps à demi nu, la poitrine large, les jambes lisses et brillantes, et pour finir, le visage coupant disparut lui aussi sous un masque de boue jaune. Flaminia également portait ce même masque de boue, et Boz était heureux, s’imaginant participer à un jeu enfantin mystérieux, tenir le rôle d’un héros ou d’un dieu dans une légende pour tout petits. Il marchait en tenant Flaminia par la main ; tout à coup il se mit à courir et il était heureux de se présenter devant les temples avec ce masque de boue jaune sur le visage.



    Curzio Malaparte, L’Excursion, Éditions Nous, Collection Via, 2012, pp. 24-25-26-27. Traduit de l’italien par Georges Piroué.





    CURZIO MALAPARTE


    Curzio Malaparte
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    ■ Curzio Malaparte
    sur Terres de femmes

    9 juin 1898 | Naissance de Curzio Malaparte (+ extrait du Soleil est aveugle)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Mémoire d’Europe)
    Curzio Malaparte : Une bien belle excursion





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  • 26 décembre 1891 | Naissance de Henry Miller


    Éphéméride culturelle à rebours



    La maison de Brooklyn (Remsen Street) où Miller a vécu en 1925-1926
    Source







    Le 26 décembre 1891 naît à Yorkville (New York) Henry Miller. Élevé à Brooklyn, Henry Miller se fixe à Paris à la fin des années 1920. C’est là, dans une cité d’artistes du XIVe arrondissement (villa Seurat, N° 18), qu’il écrit son premier ouvrage, Tropique du Cancer, publié en 1934. Printemps noir, publié en 1936 et dédié à Anaïs Nin, est le troisième livre qu’Henry Miller a écrit à Paris.

    « Me voici assis à la place Clichy en plein soleil. Aujourd’hui, assis au soleil, là, je vous dis que je me fous que le monde aille à sa ruine ou non ; je me fous que le monde ait raison ou tort, qu’il soit bon ou mauvais. Il est : et ça suffit. Je le dis, non pas comme un Bouddha accroupi sur ses jambes croisées, mais inspiré par une sagesse à la fois joyeuse et solide… ».







    INCIPIT DU PRINTEMPS NOIR


    « Je suis un patriote ― du 14e District, Brooklyn, où je fus élevé. Le reste des États-Unis n’existe pas pour moi, sauf en tant qu’idée, histoire ou littérature. À l’âge de dix ans, je fus arraché de mon sol natal, et transporté dans un cimetière, un cimetière Luthérien, où les tombes étaient toujours propres et les couronnes jamais fanées.

    Mais je naquis dans la rue, et fus élevé dans la rue. « La pleine rue d’après l’ère des machines, où la plus merveilleuse et hallucinante végétation de fer, etc. » Né sous le signe du Bélier, qui donne un corps ardent, actif, énergique et quelque peu agité. Mars étant dans la neuvième maison !

    Naître dans la rue signifie vagabonder toute sa vie, être libre. Signifie accident et incident, drame et mouvement. Signifie par-dessus tout rêve. Harmonie des choses disparates, qui donne au vagabondage une assurance métaphysique. Dans la rue, on apprend ce que sont réellement les êtres humains ; autrement, ou après, on les invente. Ce qui ne se passe pas en pleine rue est faux, dérivé, c’est-à-dire littérature. Rien de ce qu’on appelle « aventure » n’approche jamais de la saveur de la rue. Peu importe que l’on s’envole vers le Pôle, que l’on s’installe au fond de l’Océan, une rame de papier à la main, que l’on vadrouille dans neuf villes l’une après l’autre, ou que, tout comme Kurtz, on remonte un fleuve pour trouver la folie au bout. Si passionnante, si intolérable que soit la situation, il y a toujours une issue, toujours une amélioration, un réconfort, une compensation, des journaux, des religions. Mais autrefois, il n’y avait rien de tout cela. Autrefois, on était libre, déchaîné, sanguinaire…

    Les gamins adorés dès le premier contact avec la rue demeurent avec vous toute votre vie. Ils sont les seuls vrais héros. Napoléon, Lénine, Capone ― fiction que tout cela. Napoléon ne m’est rien comparé à Eddie Carney, qui, le premier, me pocha l’œil. Je n’ai jamais rencontré personne d’aussi princier, d’aussi royal, d’aussi noble, que Lester Readon, lequel, rien qu’en descendant la rue, inspirait terreur et admiration. Jules Verne ne m’a jamais conduit à ces endroits que Stanley Borowski tenait sous sa cape dès la nuit tombée. Robinson Crusoé manquait d’imagination comparé à Johnny Paul. Tous ces gamins du 14e District ont encore pour moi leur saveur. Ils n’étaient pas inventés, ni imaginés: ils étaient réels. Leurs noms sonnent comme des pièces d’or ― Tom Fowler, Jim Ruckley, Matt Owen, Rob Ramsay, Harry Martin, Johnny Dunne, sans compter Eddie Carney ou le grand Lester Readon. Eh bien, oui ! Même maintenant, quand je dis Johnny Paul, les noms des saints me laissent un goût fade dans la bouche. Johnny Paul était l’Odyssée vivante du 14e District ― qu’il soit devenu plus tard chauffeur de camion est tout à fait hors du sujet.

    Avant le grand changement, personne n’avait l’air de remarquer que les rues étaient sales ou laides. Si les bouches d’égout bâillaient, on se bouchait le nez. Quand on se mouchait, on trouvait de la morve dans son mouchoir, et non pas son propre nez. On avait davantage de paix intérieure et de contentement. Il y avait le bistrot, le champ de courses, le vélo, les femmes légères et les chevaux de trot. On pouvait encore se la couler douce. Dans le 14e, du moins. Le dimanche matin, personne ne s’habillait. Si Mme Gorman descendait en peignoir, les yeux sales, pour saluer le pasteur : ― « Bonjour, mon père! ― Bonjour, madame Gorman ! »- voilà la rue purgée de tout péché. Pat McCarren mettait son mouchoir dans la basque de son habit ― il était bien placé là, comme le trèfle national à sa boutonnière. Les bocks de blonde avaient des faux cols, et les gens s’arrêtaient pour un brin de causette.

    Dans mes rêves, je reviens au 14e District, comme le paranoïaque retourne à ses obsessions. »



    Henry Miller, Printemps noir [Black Spring, 1936], Éditions Gallimard, 1946 ; collection folio, 1975, pp. 15-16-17.





    HENRY MILLER


    Henry_miller_1



    ■ Henry Miller
    sur Terres de femmes

    O Lake of Light
    Trois grains d’ellébore, ma commère !
    19 juillet 1957 | Henry Miller écrit la préface de Justine de Lawrence Durrell



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin





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