Étiquette : 1962


  • Georges Perros | Ken Avo




    Kenavo
    Source






    KEN AVO
    (extrait)





    Ma motocyclette avait de ces ruades
    Comme parfois en ont les choses
    Elles éclairent violemment, crûment
    Notre piste nerveuse
    Le disque tourne fou
    Et se raye ça fait mal
    C’est un peu comme si j’allais mourir
    Toute une vie d’entre mes vies
    Défilait à toute vitesse
    Sur le réseau de mon angoisse
    Je n’avais plus peur de tomber
    Quelqu’un était en train de mourir en moi
    Quelque part, quelqu’un
    Que j’avais détesté
    Qui m’avait fait beaucoup souffrir
    Mais que je ne voulais ni ne pouvais
    En toute occasion, ne pas reconnaître
    Être un homme est ambigu
    Nul masque au monde ne m’en eût
    Caché la froide présence
    Quelqu’un qui était en train de me dire
    Le pire, le cruel,
    L’inacceptable.
    Le réel,
    C’est l’imagination relayée, vérifiée
    Soulagée
    Remplacée
    Poète celui qui pactisant
    Avec la mort
    Oublie qu’il va mourir.





    Georges Perros, « Ken Avo » (extrait), Poèmes bleus (Éditions Gallimard, 1962), Collection Poésie/Gallimard n° 545, 2019, pp. 24-25. Préface de Bernard Noël.







    Georges Perros  Poèmes bleus




    GEORGES PERROS


    Georges Perros portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Poèmes bleus de Georges Perros





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  • Roger Caillois | [Je n’ai pas eu le souci de prouver constamment que j’étais poète]



    [JE N’AI PAS EU LE SOUCI DE PROUVER CONSTAMMENT QUE J’ÉTAIS POÈTE]



    VIII
    Je n’ai pas eu le souci de prouver constamment que j’étais poète. J’ai étudié mon métier avec patience et modestie. Je me suis abstenu des prouesses et des subterfuges. Je n’ai pas forcé les images. Je n’ai jamais essayé de faire croire que j’étais mage ou prophète.

    IX
    Je n’ai pas simulé l’enthousiasme, la démence et la possession par les esprits supérieurs et inférieurs. J’ai reconnu sans amertume, quand je les éprouvais, que mes transports étaient tout humains et que des règles humaines devaient les gouverner.

    X
    Souvent j’ai travaillé la nuit entière sans qu’à l’aube il me soit resté un seul mot. D’autres fois, en temps de loisir, de paresse et de distraction, mes plus beaux vers sont nés sans mon aveu. Pourtant, je n’ai pas maudit le travail et la peine. Je me suis souvenu qu’il était pour l’eau, entre la pluie et la source, un pénible et douloureux cheminement. Je ne me suis pas présenté comme la source, produisant par miracle une eau pure, mais comme la terre et l’argile. Je filtrais comme l’une, je rassemblais comme l’autre. Les vers jaillissaient à la fin.



    […]



    XIII
    Je ne parle qu’en mon nom, mais comme si chacun, dans mes vers, s’exprimait autant qu’à moi. Je m’adresse à un interlocuteur invisible, mais de façon que chacun peut avoir l’illusion que mes vers s’adressent à lui seul, du moins à lui d’abord. Ils sont confidences, mais impersonnelles, sans origine ni destinataire, messages d’une ombre cachée à des ombres anonymes.



    […]



    XVIII
    Je n’ai pas prétendu exprimer l’inexprimable. J’ai seulement tenté de communiquer par mes vers ce qui ne se laisse pas si bien transmettre ni si efficacement dans un autre langage.



    […]



    XXII
    À toute joie j’ai donné sa gloire, à toute vérité son évidence, à toute tristesse sa fécondité.

    XXIII
    J’ai choisi cette voie librement. Je ne me plaindrai pas d’avoir échoué : une autre réussite ne m’eût pas satisfait.




    Roger Caillois, Art poétique ou confession négative [Approches de la poésie, Gallimard, Collection des Sciences humaines, 1978, pp. 78-93], Pré#carré 97/Hervé Bougel, octobre 2017, 20e anniversaire, s.f.





    ROGER CAILLOIS


    Roger Caillois
    Source




    ■ Roger Caillois
    sur Terres de femmes

    3 mars 1913 | Naissance de Roger Caillois (+ deux extraits du Fleuve Alphée)




    ■ Voir aussi ▼

    le site pré # carré éditeur



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  • John Ashbery | To Redouté



    TO REDOUTÉ



    To true roses uplifted on the bilious tide of evening
    And morning-glories dotting the crescent day
    The oval shape responds:
    My first is a haunting face
    In the hanging-down hair.
    My second is water:
    I am a sieve.

    My only new thing:
    The penalty of light forever
    Over the heads of those who were there
    And back into the night, the cough of finishing petal.

    Once approved the magenta must continue
    But the bark island sees
    Into the light:
    It grieves for what it gives:
    Tears that streak the dusty firmament.



    John Ashbery, The Tennis Court Oath [1957], Wesleyan University Press, Middletown, Connecticut, 1962.






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    À REDOUTÉ



    Aux vraies roses soulevées par la marée bileuse du soir
    Aux volubilis qui pointillent le jour croissant
    La forme ovale répond :
    Mon premier, un visage, vous hante
    Entre les cheveux qui pendent.
    Mon second est l’eau :
    Je suis un crible.

    Ma seule chose neuve :
    Le châtiment d’une éternelle lumière
    Sur les têtes de ceux qui étaient là
    Et de retour dans la nuit, la toux du pétale finissant.

    Une fois approuvé le magenta doit continuer
    Mais l’île d’écorce scrute
    La lumière :
    Elle souffre de ce qu’elle offre :
    Des larmes qui éraflent le firmament poussiéreux.



    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume, Éditions Corti, Série américaine, 2015, page 20. Traduit par Olivier Brossard.







    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume





    JOHN  ASHBERY


    Ashbery350
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Guernica)
    Houses at Night : Erica Wright interviews John Ashbery (February 8, 2008)
    → (sur le site des éditions Corti)
    la fiche de l’éditeur sur Le Serment du Jeu de Paume





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  • George Oppen | O Western Wind



    O WESTERN WIND



    A world around her like a shadow
    She moves a chair
    Something is being made—
    Prepared
    Clear in front of her as open air

    The space a woman makes and fills
    After these years
    I write again
    Naturally, about your face

    Beautiful and wide
    Blue eyes
    Across all my vision but the glint of flesh
    Blue eyes
    In the subway routes, in the small rains
    The profiles.




    George Oppen, The Materials [1962], in New Collected Poems [2002], New Directions Paperbook, New York, NY 10011, 2008, page 74. Edited by Michael Davidson. Preface by Eliot Weinberger.







    George Oppen
    Source








    Ô VENT DE L’OUEST



    Un monde autour d’elle comme une ombre
    Elle déplace une chaise.
    Quelque chose se crée—
    Se prépare
    Clair devant elle comme en plein air

    L’espace qu’une femme engendre et emplit
    Après toutes ces années
    J’écris encore
    Naturellement, sur ton visage

    Tes grands et beaux
    Yeux bleus
    À travers l’ensemble de ma vision mais l’éclat de la chair
    Les yeux bleus
    Dans les itinéraires souterrains, dans les pluies fines
    Les profils.




    George Oppen, Les Matériaux [1962], in Poésie complète, Éditions José Corti, Collection Série américaine, 2011, page 90. Traduit de l’anglais par Yves di Manno *.






    GEORGE OPPEN


    George Oppen, portrait
    Source



        Né le 24 avril 1908 à New Rochelle, dans l’État de New York, George Oppen passe une partie de sa jeunesse en Californie. À la fin des années 1920, il rencontre Charles Reznikoff et
    Louis Zukofsky, avec lesquels il fonde la confrérie secrète des « objectivistes », dans le sillage d’Ezra Pound et de William Carlos Williams. Avec Mary, la compagne de sa vie, il s’établit près de Toulon en 1930 : c’est en France que seront d’abord imprimés les livres de l’Objectivist Press, avant le retour à New York et la publication de son premier recueil : Discrete Series, en 1934. L’année suivante, Oppen adhère au Parti communiste américain et cesse totalement d’écrire, pour se consacrer à ses activités militantes. En 1942, il s’engage dans l’armée américaine et sera grièvement blessé durant la Bataille des Ardennes, seul survivant de sa patrouille. Après la guerre, victimes de la répression maccarthyste, George et Mary Oppen sont contraints de s’exiler au Mexique, où ils vivront jusqu’à la fin des années 1950. C’est là qu’Oppen renoue avec l’écriture, après vingt-cinq ans de silence. Il regagne le territoire américain en 1960 et son deuxième recueil : The Materials, paraît en 1962, suivi de This in Which (1965), puis de Of Being Numerous (1968), son livre majeur, qui lui vaut le prix Pulitzer. Son influence s’étend sur une nouvelle génération de poètes, à mesure que les « objectivistes » reviennent sur le devant de la scène. Ses Collected Poems sont réunis en 1975. Un ultime recueil : Primitive, s’y ajoute en 1978. Il s’éteint le 7 juillet 1984 à Sunnyvale (Californie), au terme d’une longue maladie.

    D’après la Quatrième de couverture de George Oppen, Poésie complète, Éditions José Corti, Collection Série américaine, 2011.



    ■ George Oppen
    sur Terres de femmes

    Animula



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée à Poésie complète de George Oppen
    → (sur Mediapart)
    George Oppen, l’introuvable (note de lecture de Patrice Beray [15 novembre 2011])
    → (sur Poezibao)
    Poésie complète, de George Oppen (note de lecture de Philippe Blanchon)
    → (sur Poezibao)
    Poésie complète, de George Oppen (note de lecture de Jean-Pascal Dubost)
    → (sur poets.org)
    une page consacrée à George Oppen (+ de nombreux poèmes lus par l’auteur)
    → (sur le site de The Poetry Foundation)
    plusieurs pages sur George Oppen
    → (sur Terres de femmes)
    Louis Zukofsky, « A » 9 (première partie)




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