Étiquette : 1964


  • Pierre-Albert Jourdan | La source



    LA SOURCE



    Tu es venue. Nul lyrisme dans ta voix. Le seul bruissement de ton bonjour feuillu, étouffé ; tes grands gestes qui se dissolvent dans le ciel. Tout est discrétion, profondeur.

    Je m’avance les yeux fermés, sourd à tout bruit alentour. Tu es toute ma mémoire. Des premières pluies languissent. Je respire cet air amoureux.

    Les plaies apparaîtront plus tard, lorsque le sang de la vigne pillée s’étalera contre le flanc de la montagne, le ciel pâle.

    Plus lointaine alors et douce, terriblement vivante.

    Plus lointaine encore et tu seras l’adieu, la dernière relation imperceptible d’un geste las.



    Pierre-Albert Jourdan, La Terre seule (1959-1964), in Le Bonjour et l’Adieu, Mercure de France, 1991, page 180. Préface de Philippe Jaccottet. Édition établie et annotée par Yves Leclair.






    Pierre-Albert Jourdan  Le Bonjour et l'Adieu




    PIERRE-ALBERT JOURDAN


    Jourdan portrait
    Ph. Gilles Jourdan
    Source





    ■ Pierre-Albert Jourdan
    sur Terres de femmes


    [L’inquiétude devant la mort] (extrait de L’Angle mort)
    [Ceci est ma forêt]
    Chute (extrait de L’Espace de la perte)
    Le Fil du courant
    L’Entrée dans le jardin
    Les nuages parfois s’enlisent
    3 février 1924 | Naissance de Pierre-Albert Jourdan (+ un extrait du Bonjour et l’Adieu)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Élodie Meunier consacré à Pierre-Albert Jourdan





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  • Pier Paolo Pasolini | [Ma io parlo… del mondo]



    Les premières marques d’une vieillesse féroce
    Source






    [MA IO PARLO… DEL MONDO]



    Ma io parlo… del mondo ― e dovrei,
    invece ― parlare dell’Italia, e anzi,
    di una Italia, di quella di cui sei,

    con me, destinatario dei miei versi, figlio:
    fisica storia in cui ti circostanzi.
    L’ho chiamato « innocente », il mondo, io,

    io, in quanto cieco, figlio martoriato.
    Ma se guardo intorno questi avanzi
    d’una storia che da secoli ha dato

    soltanto servi… questa Apparizione
    in cui la realtà non ha altro indizio
    che la sua brutale ripetizione…

    che scena… espressionistica! Penso a un giudizio
    subìto senza senso… le toghe… le tristi autorità del Sud…
    dietro i visi dei giudici ― in cui il vizio

    è un vizio di dolore, che denuda
    ambienti miserandi ― non si leggeva che impotenza
    a uscire da un’oscura realtà di parentele, da una cruda

    moralità, da una provinciale inesperienza…
    Quelle fronti da Teatro dell’Arte,
    quei poveri occhi di obbedienti onagri

    intestarditi, quelle orecchie basse,
    quelle parole che per mascherare
    il vuoto si gonfiavano a recitare una parte

    di paterna minaccia, di indignazione floreale!
    Ah, io non so odiare: e so quindi che non posso
    descriverli con la ferocia necessaria

    alla poesia. Dirò solo con pietà di quella faccia
    di calabrese, con le forme del bambino
    e del teschio, che parlava dialettale

    con gli umili, scolastico coi grandi.
    Che ascoltava attento, umano,
    e intanto, negli ineffati e nefandi

    fori interiori, covava il suo piano
    di timido che il timore fa spietato.
    Ai lati, altre due faccie ben riconoscibili,

    faccie che per strada, in un bar affollato,
    sono le faccie deboli, poco sane,
    di precoci invecchiati, di malati

    di fegato: di borghesi il cui pane
    certo non sa di sale, non ignobili, no,
    non prive affatto di sembianze umane

    nel pungente nero degli occhi, nel pallore
    delle fronti martoriate dalla prima
    feroce anzianità… Un quarto inviato del Signore

    ― certo ammogliato, certo protetto da un giro
    di rispettabili colleghi nella sua città
    di provincia ― rappreso in un sospiro

    di malato nei visceri o nel cuore ―
    se ne stava in un banco isolato: come sta
    chi si prepara a un premeditato disamore.

    E davanti a questi, il campione: colui che ha
    venduto l’anima al diavolo, in carne e ossa.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La realtà in Poesie in forma di rosa, Garzanti Editore, 1964, 1976.






    [MAIS JE PARLE… DU MONDE]



    Mais je parle… du monde — et je devrais
    plutôt — parler de l’Italie, et même
    d’une certaine Italie, de celle dont tu es,

    avec moi, destinataire de mes vers, le fils :
    histoire physique dans laquelle tu te circonscris.
    Je t’ai appelé « innocent », le monde, moi,

    Moi, en tant qu’aveugle, fils martyrisé.
    Mais si je regarde autour ces restes
    d’une histoire qui depuis des siècles n’a donné

    que des esclaves… cette Apparition
    où la réalité n’a pas d’autre indice
    que sa brutale répétition…

    quelle scène expressionniste ! Je pense à un jugement
    subi, privé de sens… les toges… les tristes autorités du Sud…
    derrière les visages des juges — dont le vice

    est un vice de douleur, qui dénude
    des milieux misérables — ne se lisait qu’impuissance
    à sortir d’une obscure réalité de parentés, d’une crue

    moralité, d’une provinciale inexpérience…
    Ces fronts de Commedia dell’Arte,
    ces pauvres yeux d’onagres obéissants

    entêtés, ces oreilles basses,
    ces mots qui pour masquer
    le vide s’enflaient pour jouer un rôle

    de menace paternelle, d’indignation Art nouveau !
    Ah, je ne sais pas haïr : et je sais donc que je ne peux pas
    les décrire avec la férocité nécessaire

    à la poésie. Je parlerai seulement avec pitié de ce visage
    de Calabrais, avec les formes de l’enfant
    et de la tête de mort, qui parlait en dialecte

    avec les humbles, dans un style scolaire avec les grands.
    Qui écoutait avec attention et humanité,
    et en même temps, dans les fors intérieurs

    tacites et indicibles, couvait son plan
    de timoré que la peur rend impitoyable.
    À ses côtés, deux autres visages bien reconnaissables,

    visages qui dans la rue, dans un bar plein de monde,
    sont les visages faibles, malsains,
    de vieux avant l’heure, de malades

    du foie : de bourgeois dont le pain
    n’a certes pas le goût de sel, pas ignobles, non,
    pas entièrement privés d’un semblant d’humanité,

    dans le noir transperçant des yeux, dans la pâleur
    des fronts martyrisés par les premières
    marques d’une vieillesse féroce… Un quatrième envoyé du Seigneur

    — évidemment marié, évidemment protégé par une clique
    de collègues respectables dans sa ville
    de province — figé dans un soupir

    de malade de digestion et de cœur —
    se tenait isolé sur un banc : comme quelqu’un
    qui se prépare à un désamour prémédité.

    Et devant eux, le champion : celui qui a
    vendu son âme au diable, en chair et en os.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La réalité (extrait) in Poésie en forme de rose, édition bilingue, Rivages poche | Petite Bibliothèque, 2015, pp. 124-125-126-127-128-129. Traduit de l’italien, annoté et préfacé par René de Ceccatty.





    Pier Paolo rose 2






    PIER  PAOLO  PASOLINI


    Pasolini
    Source



    ■ Pier Paolo Pasolini
    sur Terres de femmes

    5 mars 1922 | Naissance de Pier Paolo Pasolini
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)
    2 novembre 1975 | Mort de Pier Paolo Pasolini
    Al principe
    A na fruta (+ bio-bibliographie)
    El cuòr su l’aqua
    Le chant des cloches
    Pier Paolo, le poète assassiné
    La Rage (extraits)



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