Étiquette : 1968


  • Pierre Garnier | [Dans les fenêtres l’eau tourne]


    [DANS LES FENÊTRES L’EAU TOURNE]




    Dans les fenêtres
    l’eau tourne,

    on voit des mains portées
    au cœur

    pendant que la Vierge monte dans les surfaces.



    Rougeoiement de tes veines
    quand l’hiver parle par le feu
    et que l’herbe
    sous ses trèfles gothiques
    nous souhaite
    bonne chance.



    Dans le ventre
    je fais une étoile
    qui fêle de vitre en vitre
    jusqu’aux yeux.



    Insectes aiguisés
    dans la circulation des poèmes
    (logis des mots insecticides)
    la sauterelle
    s’effare
    pendant que ta robe n’est plus précieuse
    mais profonde.



    L’œil le dernier feu,
    quel trèfle
    nous parle à travers

    Pendant que le gothique
    s’organise
    trouvant son ogive
    dans l’oreille du lièvre.



    Le soleil est toujours au bord de ce géranium :
    il ne le quitte pas — même la nuit.

    L’odeur du géranium me dit
    que l’un ou l’autre va mourir.





    Pierre Garnier, Perpetuum mobile, éditions Gallimard, collection Blanche, 1968 ; rééd. Perpetuum mobile, suivi de Secondes et de Santerre, éditions L’Herbe qui tremble, 64140 Billère, 2020, pp. 40-45.






    Pierre Garnier  Perpetuum mobile  L'Herbe qui tremble




    PIERRE GARNIER


    Pierre Garnier NB
    D.R. Ph. Olivier Engelaere




    ■ Pierre Garnier
    sur Terres de femmes


    [Les soldats sont venus]
    2008 : Année Pierre Garnier




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    Hommage au poète Pierre Garnier
    lecture spectacle Alain Marc lit Pierre Garnier




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  • 14 juillet 1968 | Alexandre Vialatte [Et c’est ainsi qu’Allah est grand]

    Éphéméride culturelle à rebours



    [ET C’EST AINSI QU’ALLAH EST GRAND]




    Ayant chanté les océans, la viande de cheval et les larges trottoirs des avenues fréquentées, et décidé à ne plus chanter que les choses les plus vastes du monde, je chanterai aujourd’hui les plaines et leur horizontalité.

    Les plaines remontent à la plus haute antiquité. Les principales sont la Hollande, la plaine Monceau et le désert égyptien. Elles sont nées de l’absence de montagnes et se distinguent, suivant les spécialistes, par leur horizontalité. Aussi la vue y porte-t-elle très loin, jusqu’à l’endroit où l’horizon n’a plus de couleur, où se confondent le ciel et la terre. On en éprouve une sorte de vertige, le vertige de l’horizontale, sauf en Beauce où le cycliste est pris entre deux murailles de blé qui ne lui laissent voir qu’un ruban de ciel et qui l’étouffent dans leur chaleur touffue, confite, épaisse, obscure et poussiéreuse, très dangereuse pour les asthmatiques. L’homme s’y sent confiné dans un cachot brûlant. Enfermé dans ce four de paille, il cherche l’air, il se ratatine, il souffre de claustrophobie.

    […]

    La plaine Monceau se trouverait dans l’enceinte de Paris. Des voyageurs m’ont parlé d’elle avec beaucoup de considération. Ils en disent des choses étonnantes. Elle serait bâtie sur l’emplacement d’un ancien cimetière protestant, ornée d’une naumachie et même d’un obélisque, et peuplée par des chats sauvages. Ou tout au moins à demi sauvages. Soit que, sauvages à l’origine, ils se soient à demi apprivoisés ; soit que, domestiqués pour commencer, ils aient fui la maison de leurs maîtres. Ils se réunissent dans un parc, le parc Monceau, qui fut fréquenté à l’époque des pantalons rouges par les soldats et les nourrices, et qui est orné de l’obélisque dont je parlais, et qui servit en 1793, avec bien d’autres, de point de triangulation pour mesurer la longueur du mètre sur la route Paris-Perpignan. (On a établi depuis que le mètre était un peu plus long que lui-même, mais l’obélisque n’a pas changé.) Jeanne d’Arc dormit dans un château de la plaine Monceau et nos rois y chassaient le lapin ; peut-être même, le chat sauvage. Où est la tour de Jeanne d’Arc ? (Où sont les neiges d’antan ?) Les tours passent, les chats envahissent.

    La Hollande est parmi les plaines les plus célèbres. Elle se situe dix mètres au-dessous du niveau de la mer, si bien que les épaves qui, partout, viennent d’en bas à la marée haute, tombent ici sur la plage de dix mètres de haut, menaçant la vie des promeneurs. C’est pourquoi il est interdit au large des côtes de Hollande, de jeter des bouteilles à la mer. Derrière les digues habitent de vieux hommes étonnés habillés en poupées de bazar, et des jeunes filles vêtues de costumes folkloriques avec toutes sortes de dorures, notamment des œillères en cuivre. Ils ont des visages ronds, des yeux bleus et naïfs et habitent des moulins à vent d’où ils sortent à bicyclette pour parcourir des champs de tulipes. Les meuniers ont dix-neuf enfants qui tiennent difficilement dans l’enceinte du moulin et dont plusieurs dépassent plus ou moins par les fenêtres. Les Hollandais peignent leurs fromages au ripolin et les lavent tous les soirs à la lance d’arrosage avec le reste du magasin. Le « Comte des Digues », personnage important, se promène constamment sur les digues et bouche les trous avec du mastic. Sans ce travail de fourmi, la Hollande, en une heure ne serait plus qu’un fond de mer plein de pieuvres et de poissons-chats. Les habitants se réfugieraient sur les clochers. Le zèle des comtes des digues a permis, au contraire, à des artistes comme Rembrandt de produire une œuvre complète sans jamais s’être mouillé les pieds. Rien n’est plus beau que de voir bâtir une digue. Le dernier jour, lorsqu’il n’y a plus à boucher que le centre (on la commence par les deux bouts), elle plie comme un jonc quand la mer se retire (il n’y a qu’à voir les photos d’avion). C’est un incroyable spectacle qui angoisse tous les Ponts et Chaussées.

    Le désert d’Égypte est traversé par des gerboises. Les autos les écrasent la nuit. Les bateaux qui vont sur le Nil, par un simple effet de perspective, ont l’air de marcher sur le sable, à l’horizon, comme des canards. La première fois on n’en croit pas ses yeux. Quelques Bédouins campent sous la tente. Leurs ânes se frottent le dos dans le sable. Leurs chèvres broutent des papiers gras que le vent fait danser en l’air, autour des tentes. D’Alexandrie au Caire on ne rencontre personne. Du Caire à la mer Rouge non plus. Sauf un Nubien qui vend du café, à quarante kilomètres de tout. Au milieu d’exactement rien. La nuit il dort dans son burnous. Parfois un camion le ravitaille. La côte de la mer Rouge ne produit que quelques lions, des trous pour lions dans la plaine, et quatre palmiers de Barbarie.

    On attendrait mieux de la steppe russe. Malheureusement on ne peut jamais la voir. L’été elle est cachée par une poussière épaisse qui forme des nuages opaques, l’hiver par des tempêtes de neige. Le vent la partage avec le loup. Le voyageur en est réduit pour s’orienter à se guider sur le cri des fauves. Quand les loups attaquent le traîneau, il faut recommander son âme à Dieu, fouetter les chevaux vigoureusement et jeter le cocher en bas de son siège. Plus il est gars, plus on a de chances d’en réchapper.

    On voit par là combien les plaines du globe sont diverses et passionnantes et contribuent par leurs caractères aux majestés de la Géographie. Les plaines du globe sont tellement vastes que, si on les mettait bout à bout, et s’il n’y avait pas de montagnes, elles couvriraient toutes les terres émergées. Mais la répartition orographique du globe est si sage et si harmonieuse que les monts y succèdent aux plaines, les plaines aux monts et qu’on peut même penser qu’il n’y aurait pas de plaines sans les monts et pas de montagnes sans les plaines. Tout est prévu par la nature. Que serait la Suisse sans la montagne ? Une plaine aride. Qui pourrait y faire du rocher ? Que serait la Hollande sans les plaines ? Un affreux massif montagneux. A quoi pourraient servir ses digues ? Qui s’y consacrerait à lutter contre l’eau ?

    Mais la nature a tout prévu : elle fit la Hollande plate et la Suisse montagneuse. Elle créa le 14 juillet qui permet de fêter tous les ans la fête nationale.

    Et c’est ainsi qu’Allah est grand.
    La Montagne, 14 juillet 1968.




    Alexandre Vialatte, « Chronique des plaines et de leur horizontalité », 1968, chroniques Julliard *, éditions Julliard, 2008, pp. 179-184. Préface de Philippe Meyer.



    _______________________
    * Recueil de chroniques parues dans La Montagne et Le Spectacle du monde (7 janvier 1968-29 décembre 1968).





    Alexandre Vialatte  1968



    ALEXANDRE VIALATTE


    Alexandre Vialatte
    Ph. : Studio Harcourt à Paris,
    années 1950, afp.com/ARCHIVE
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Humanité)
    une lecture de 1968, d’Alexandre Vialatte, par Christophe Mercier
    → (sur le site du Figaro)
    « Et c’est ainsi que Vialatte est grand » (une lecture de 1968, d’Alexandre Vialatte, par Christian Authier)






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  • Paul Valet | Raison vacante



    RAISON VACANTE



    Où sont les chemins qui ne mènent qu’au soleil
    Quand le noir m’envahit ?

    Où sont les ailes de mes yeux migrateurs
    Quand l’horizon me trahit ?

    Ma raison est vacante
    Ma parole est partie

    Essayez de me vaincre !




    Paul Valet, Paroles d’assaut, éditions de Minuit, 1968, in La parole qui me porte et autres poèmes, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 549, 2020, page 189. Préface de Sophie Nauleau.





    Paul Valet  La parole qui me porte




    PAUL VALET


    Paul Valet portrait
    Source




    ■ Paul Valet
    sur Terres de femmes


    La liberté (poème extrait de Table rase)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des Poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Paul Valet
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Paul Valet, la poésie à l’os
    → (sur remue.net)
    Paul Valet, par Jacques Josse
    → (sur le tiers livre)
    soleils d’insoumission : Paul Valet (+ quelques repères biographiques)
    → (sur le site de Guy Darol)
    une page sur Paul Valet





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  • Jean Tortel | [Et de l’eau | Avant la nuit]



    [ET DE L’EAU | AVANT LA NUIT]




    Et de l’eau
    Avant la nuit.

    Elle est claire
    Dans les mains.
    Elle nourrit les plantes,
    Elle les développe.

    L’eau s’enfonce et la terre
    Devient chose plus lourde,
    Mouvante et noirâtre,
    Luisante après l’enfoncement.

    Les mains trempent pour reconnaître,
    Confusément aussi pour adorer
    L’eau certaine et nulle autre
    Que celle à qui sa pente est ordonnée
    Avant qu’elle touche aux racines.



    Jean Tortel, « Critique d’un jardin », VII, in Relations, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1968, rééd. 1999, page 60.







    Jean Tortel, Relations






    JEAN TORTEL


    Jean Tortel
    Ph. : Jean Marc de Samie
    – tous droits réservés
    Source





    ■ Jean Tortel
    sur Terres de femmes

    Jeter le mot (extrait de Naissances de l’Objet)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Jean Tortel | Fragment personnel, par Philippe Rahmy
    → (sur universalis.fr)
    une notice sur Jean Tortel





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