Étiquette : 1976


  • Louis Aragon | Le Discours à la première personne


    DISCOURS, 4
    (extrait)




    Je peux me consumer de tout l’enfer du monde
    Jamais je ne perdrai cet émerveillement
    Du langage
    Jamais je ne me réveillerai d’entre les mots
    Je me souviens du temps où je ne savais pas lire
    Et le visage de la peur était la chaisière aux Champs-Élysées
    Il n’y avait à la maison ni l’électricité ni le téléphone

    En ce temps-là je prêtais l’oreille aux choses usuelles
    Pour saisir leurs conversations
    J’avais des rendez-vous avec des étoffes déchirées
    J’entretenais des relations avec des objets hors d’usage
    Je ne me serais pas adressé à un caillou comme à un moulin à café
    J’inventais des langues étrangères afin
    De ne plus me comprendre moi-même
    Je cachais derrière l’armoire une correspondance indéchiffrable
    Tout cela se perdit comme un secret le jour
    Où j’appris à dessiner les oiseaux

    […]



    Louis Aragon, « Le Discours à la première personne », 4, Les Poètes, poème, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1960 ; Collection Poésie/Gallimard, 1976, pp. 193-194. Texte revu et corrigé par l’auteur en 1968 et 1976.





    Aragon  Les poètes



    LOUIS ARAGON

    Aragon 2
    Source




    ■ Louis Aragon
    sur Terres de femmes


    → (sur Terres de femmes)
    Le Voyage d’Italie




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    8 avril 1973 | Mort de Pablo Picasso (+ poème « La Belle Italienne » de Louis Aragon)





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  • Milo De Angelis | “T.S.”, II





    “T.S.”, II*





    E poi avrete sentito, almeno una volta
    quando il liquido, delicatissimo,
    esce dalla bocca, scorre giallo nel lavandino
    e la sonda e le sirene sempre più lontane.
    il respiro si appanna, finisce, riprende
    quanta pace nella spiaggia gelata dal temporale:
    una canoa va verso l’isola corallina
    e sotto l’oceano si accoppiano le cellule sessuali
    non ci sono eventi irreparabili
    ma solo le spugne cicliche, gli insetti
    che hanno coperto l’aria:
    ecco un colore di madreperla, una roccia nella sabbia,
    i passi, ecco la mamma,
    l’accapatoio che toglie con un solo gesto
    solennità della luce, la meraviglia, la prima
    e la femmina del pellicano
    chiama la nidiata sparsa nella tempesta
    e forse vede qualcosa, tra gli scogli,
    qualcosa che si muove
    domani correrà con i suoi bambini
    mescolata, per respirare
    nel turchese profondo della marea
    che sale in superficie, sta rinascendo adesso
    e trova una terra diversa, un’altra voce.





    Milo De Angelis, ˝I. L’ascolto (1974-1975) ”, Somiglianze (Guanda, I Quaderni della Fenice di Guanda, Milano, 1976 ; nouvelle édition revue par l’auteur, Guanda, 1990), in Milo De Angelis, Tutte le poesie, 1969-2015, Mondadori, Collezione Lo Specchio, 2017, pp. 11-12.




    ________________________
    NOTE d’AP : *“T.S.” (Tentato Suicidio)






    Somiglianze








    “T.S.”, II





    Et puis vous avez dû connaître, au moins une fois
    cet instant où le liquide, très délicat,
    passe les lèvres, s’écoule jaune au creux du lavabo,
    sonde et sirènes perdues au loin.
    La respiration faiblit, s’interrompt, reprend,
    quelle paix sur la rive gelée de l’orage :
    un canoë glisse vers l’île coralline
    et les cellules sexuelles s’accouplent dans l’océan,
    il n’y a pas de faits irréparables,
    rien que les éponges cycliques, les insectes
    qui recouvrent l’air :
    voici une couleur de nacre, un rocher dans le sable,
    le peignoir qu’elle enlève d’un geste,
    la solennité de la lumière, la merveille initiale.
    La femelle du pélican
    appelle sa nichée éparse dans la tempête
    et peut-être voit-elle quelque chose, parmi les récifs,
    quelque chose qui bouge,
    demain elle courra au milieu
    de ses petits, pour respirer
    dans le bleu profond de la marée
    qui monte à la surface, renaît maintenant
    et trouve une terre différente, une autre voix.





    Milo De Angelis, Ressemblances in Lingua, La jeune poésie italienne, anthologie bilingue publiée sous la direction de Bernard Simeone, éditions Le temps qu’il fait, 1995, page 153. Traduction de Jean-Baptiste Para.







    Lingua






    MILO DE ANGELIS


    Milo VivianaSource





    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [A volte, sull’orlo della notte] (poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par AP ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions NOUS, 2010)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    Luigia Sorrentino disant “T.S.” de Milo De Angelis
    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant plusieurs poèmes extraits de Tema dell’addio
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo





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  • Jean Starobinski | Sur l’origine de l’inégalité




    SUR L’ORIGINE DE L’INÉGALITÉ
    (extrait)





    Qu’avant d’écrire sur l’inégalité, Jean-Jacques ait commencé par la subir dans sa vie, c’est l’évidence même. Citoyen de Genève, mais quelque peu déclassé, devenu « citoyen du bas », rejeté dans la catégorie prétéritée, ayant reçu de son père, avec les leçons de fierté romaine, celles du ressentiment et de la revendication aigrie ; apprenti maltraité, laquais, précepteur, secrétaire, musicien incertain fourvoyé dans les salons des fermiers généraux : que de situations subalternes, que d’humiliations subies, quelle expérience accumulée ! Auprès de Mme de Warens, il a vécu heureux, mais jamais il n’est parvenu à dissiper tout à fait le malaise de la dépendance matérielle. Lui qui se défendra contre les bienfaiteurs (tout en acceptant, parfois, les « retraites » qu’on lui offre obligeamment), il n’a pas la conscience nette à l’idée de tout devoir à sa « bienfaitrice » : son idéal est certes la dépendance sentimentale, mais dans l’indépendance pécuniaire. Aussi, n’est-ce pas seulement par goût qu’il entreprend, à Chambéry, aux Charmettes, son apprentissage solitaire de musicien et d’homme de lettres ; il espère parvenir un jour à gagner honorablement sa vie, pour effacer sa dette. Il voudrait, une fois à l’aise, prouver à « maman » qu’elle n’avait pas eu tort de l’accueillir et de pourvoir à la dépense. Consultons les documents de sa jeunesse : très tôt, nous le trouvons soucieux de « vivre sans le secours d’autrui »1. Il ne peut sentir son infériorité sociale sans éprouver le besoin d’une riposte et d’une revanche compensatrices ; il refuse d’emblée les expédients louches dont beaucoup se satisfont et que la classe privilégiée, elle-même parasitaire, eût tolérés ; il se libérera par le travail sérieux et par l’effort indépendant. Il a le sentiment de sa valeur (d’une valeur qui réside précisément dans le sentiment), et de la disparité entre ce qu’il est et ce que le sort a fait de lui. Il eût mérité mieux, mais selon une loi de proportion quasi mathématique, la fortune a soin de maintenir constant le produit de la richesse multipliée par le mérite. Jean-Jacques se console d’être pauvre en prenant conscience de sa sensibilité :

    « Pourquoi, Madame, y a-t-il des cœurs sensibles au grand, au sublime, au pathétique, pendant que d’autres ne semblent faits que pour ramper dans la bassesse de leurs sentiments ? La fortune semble faire à cela une espèce de compensation ; à force d’élever ceux-ci, elle cherche à les mettre au niveau avec la grandeur des autres. »2

    Cette consolation, toutefois, n’est que verbale, et ne conduit pas à l’acceptation résignée de l’ordre établi. Le ton du jeune Rousseau est plus fréquemment celui de la plainte, où la part de la révolte se distingue mal du désir romanesque de se rendre intéressant par le malheur : « Il est dur à un homme de sentiments, et qui pense comme je fais, d’être obligé, faute d’autre moyen, d’implorer des assistances et des secours. »3

    Se réconcilierait-il avec son sort, s’il passait de l’autre côté de la barrière, du côté des nantis ? Son parti a été assez vite pris : il a trop souffert de l’inégalité pour faire sa paix à l’occasion d’un coup de chance qui arrangerait ses affaires. Cette pauvreté dont il se plaint souvent dans sa jeunesse, il aura de plus en plus la conviction qu’elle le met du bon côté, et il s’en fera gloire. L’inégalité n’est pas une expérience que l’on fait seul et ne se réduit pas au sentiment d’infériorité : l’inégalité est un sort commun, elle s’éprouve solidairement. Rousseau a été définitivement « sensibilisé » par ce qu’il a vu de la misère paysanne et de la pauvreté des villes. Les pages fameuses du livre IV des Confessions trouvent confirmation dans des lettres qui datent de la jeunesse même de Jean-Jacques. À Montpellier, en 1737, il a vu ce que beaucoup de Français, à la même époque, ne savaient pas voir, il s’est étonné de ce qui n’étonnait presque personne :

    « Ces rues sont bordées alternativement de superbes hôtels et de misérables chaumières pleines de boue et de fumier. Les habitants y sont moitié très riches et l’autre moitié misérables à l’excès ; mais ils sont tous également gueux par leur manière de vivre la plus vile et la plus crasseuse qu’on puisse imaginer. »4

    Notons qu’en dénonçant cette égale gueuserie qui englobe riches et pauvres, Rousseau semble illustrer d’avance la conclusion du second Discours : quand l’inégalité devient extrême, les hommes se trouvent tous confondus, privilégiés et opprimés pêle-mêle, dans l’égalité du malheur et de la violence.


    […]


    __________________
    1. À son père. 1731, Correspondance générale, éditée par Pierre-Paul Plan (DP), Paris, 1924-1934, 20 volumes. I, 13 ; L, I, 13.
    2. À Mme de Warens, 13 septembre 1737, Correspondance générale, DP, I, 58 ; L, I, 49
    3. Mémoire au gouverneur de Savoie, mars 1739. Œuvres complètes, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1959. I, 1217.
    4. À J.-A. Charbonnel, 1737, Correspondance générale, DP, I, 70 ; L, I, 01.



    Jean Starobinski, « Sur l’origine de l’inégalité » (extrait) , Sept essais sur Rousseau, in La Transparence et l’obstacle suivi de Sept essais sur Rousseau, Éditions Gallimard, Collection Tel, 1976, 1998, pp. 332-333.






    Jean Starobinski





    JEAN STAROBINSKI


    JEAN STAROBINSKI 2
    Source




    ■ Jean Starobinski
    sur Terres de femmes

    28 mai 1958 | Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle




    ■ Jean-Jacques Rousseau
    sur Terres de femmes

    28 juin 1712 | Naissance de Jean-Jacques Rousseau (+ extrait de la « Troisième promenade » des Rêveries du promeneur solitaire)
    24 octobre 1776 | Jean-Jacques Rousseau, « L’Accident de Ménilmontant » (extrait de la « Deuxième promenade » des Rêveries du promeneur solitaire)
    2 juillet 1778 | Mort de Jean-Jacques Rousseau (+ extrait des Confessions)





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  • Raphaële George | [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout]




    [ON NE DEVRAIT JAMAIS ARRÊTER D’ÉCRIRE, CE QUI EST POÉSIE SURTOUT]



    On ne devrait jamais s’arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout. On perd l’habitude, le souffle, le ton, on perd même sa compréhension faite de tant d’amabilité, et bêtement l’arrêt nous rend ignorant de ce qui juste avant nous était encore nécessaire. Ainsi on sort de la grâce. Peut-être est-ce ce qui m’est arrivé à force d’avoir peur de mal faire, de mal dire. Je me crois maintenant en un point de non-retour. Il faut que je retrouve ma force antérieure mais comment ? Il faut que je retrouve une certaine innocence, cette poésie attachée et venue des sentiments simples, accepter cette montée de la nostalgie, cette montée que la plupart du temps nous ne pouvons laisser venir et que nous occultons.


    On ne devrait jamais s’arrêter d’écrire, tout ce qui est poésie surtout. On perd l’habitude, et bêtement on devient ignorant de la musique qui lui est nécessaire. D’une certaine façon on sort de la grâce. Peut-être est-ce ce qui m’est arrivé à force d’avoir peur de mal faire, de mal écrire. J’arrive maintenant à un point de non-retour. Il faut que je retrouve ma force antérieure. Il faut que je retrouve une certaine innocence, la poésie attachée aux premiers sentiments, à une certaine montée de la nostalgie, cette montée que la plupart du temps nous ne pouvons laisser venir et que nous occultons.*



    ____________________
    * Ces deux variantes existent sous forme dactylographiée, sans qu’il soit possible d’établir l’antériorité de l’une par rapport à l’autre.



    Raphaële George, Je suis le monde qui me blesse, journal intégral (1976-1985), Éditions Unes, 2017, page 113. Édition établie par Jean-Louis Giovannoni et Nicolas Marquet.






    Raphaële George  Je suis le monde qui me blesse




    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Je suis le monde qui me blesse par Jean-Paul Gavard-Perret
    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni





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  • Inger Christensen, La Chambre peinte | Un récit de Mantoue

    par Angèle Paoli

    Inger Christensen,
    La Chambre peinte | Un récit de Mantoue,
    Le  Bruit du temps, 2015.
    Traduit du danois par Karl et Janine Poulsen.
    Nouvelle édition révisée.



    Lecture d’Angèle Paoli



    LA CHAMBRE PEINTE, « ŒUVRE OUVERTE »




    Avec ce petit opus signé Inger Christensen — La Chambre peinte | Un récit de Mantoue [Det malede værelse, 1976] —, inutile de chercher à résoudre les multiples énigmes qui relient le récit à la « plus belle chambre du monde ». Celle que le peintre Andrea Mantegna réalisa au XVe siècle pour son prince Ludovico de Mantoue, marquis de Gonzague. Inutile parce que l’énigme est au cœur même du projet d’Inger Christensen, qui démultiplie à loisir, comme se déploient les plumes majestueuses du paon, les imbrications de son récit en relation avec la fameuse « chambre peinte », dite aussi, sans doute à tort, « chambre des époux ». Outre l’énigme qui concerne la date de début des travaux entrepris par le peintre, et qui relève davantage du travail de l’érudit que de celui du lecteur passionné désireux de nouer/dénouer les intrigues, viennent s’adjoindre les énigmes liées aux concubinages naissances illicites descendances masquées ainsi qu’aux relations ambiguës qui se trament entre les personnages. Dont celle du peintre et de son mécène. Du peintre et de la cour qui le fait vivre et qu’il honore. Dont celle, aussi, très étrange, de Marsilio Andreasi, secrétaire particulier de Ludovico, avec Mantegna. Une relation triangulaire qui inclut Nicolosia, épouse de Mantegna et amante de Marsilio. « Marsilio et Nicolosia, Nicolosia et Andrea, Andrea et Marsilio. » Mais aussi l’énigme de Nana, la naine renfrognée qui figure aux côtés de Barbara de Brandebourg sur la fresque de la « chambre peinte », Nana à qui Inger Christensen a confié une place centrale dans son ouvrage ; celle de la « dame au bandeau blanc », trois fois présente sur le plafond peint qui ouvre sur le trompe-l’œil du ciel. Est-elle la même et qui est-elle ? La duchesse Barbara jeune ? « La sœur du pape » Enea Silvio Piccolomini, grand humaniste, grand fornicateur devant l’Éternel et père d’une nombreuse progéniture, connu sous le nom de Pie II ? Ou bien encore l’une des maîtresses du pape ? Et qui sont les trois femmes qui recherchent la « dame au bandeau blanc » ? « Le jardin céleste » livrera-t-il une part de ses secrets ? L’existence et la non-existence sont-elles de la même essence indifférenciée ? Autant de questions qui restent en suspens et qui poussent le lecteur à poursuivre ses investigations sans que celui-ci ait la certitude d’aboutir. À moins qu’il ne se livre à une savante suite chiffrée, à même de résoudre mathématiquement ce qui relie la complexe fantaisie narrative de la Chambre peinte à l’œuvre d’art du Quattrocento. Car, pour les trois amies — elles conciliabulent aussi sur le plafond peint —, si elles consacrent autant d’ardeur « à la recherche de la dame au bandeau blanc », c’est que « l’ennui les oblig[e] à chercher inlassablement des énigmes partout, moins pour les résoudre que pour les semer comme des rumeurs, vraies ou fausses, susceptibles d’en augmenter le nombre. »

    Inger Christensen, mêlant habilement les indices du vrai et du faux, du trompe-l’œil narratif et de l’illusion picturale, prend un plaisir certain à brouiller les pistes. Et ce maillage se déploie tout au long du récit selon trois voix différentes. Celle de Marsilio Andreasi ; celle de Nana ; celle de Bernardino.

    Intitulé « Les Journaux de Marsilio Andreasi — Morceaux choisis », le premier récit fait entendre la voix de l’ambassadeur, secrétaire particulier de Ludovico Gonzaga. Les « morceaux choisis » (invention très réussie de la poète danoise) qui composent ces pages datées, comportent de nombreuses ellipses temporelles. Dans la première page de ce journal, datée du 14 mars 1454, Andreasi déplore le mariage de sa bien-aimée Nicolosia, fille du peintre Jacopo Bellini avec Andrea Mantegna, alors âgé de 23 ans. Son désespoir le conduit à dénoncer la « logique malsaine » du mariage, l’emprisonnement auquel cette convention sociale soumet les femmes. La dernière page, datée du 13 septembre 1506, fait état du décès de Mantegna. Andreasi y confie ses regrets son chagrin mais aussi son amour pour le peintre longtemps haï ; un amour construit autour de Nicolosia, et de sa disparition. Entre ces deux dates extrêmes, l’ambassadeur évoque ses amours avec Nicolosia : « Elle est comme une fleur parmi les fleurs. Moi comme une abeille parmi les abeilles. Dans le jardin céleste. » Puis sa mort, dont il dit être l’auteur. Il évoque aussi le chagrin mortel qui pousse Barbara de Brandebourg à se jeter dans le Mincio le jour de l’intronisation de son plus jeune fils, Ludovico, à peine âgé de neuf ans. C’est aussi à l’ambassadeur que l’on doit la réflexion sur « la différence entre l’existence et la non-existence ». C’est dans sa bouche que l’on trouve la phrase énigmatique qu’il tient de Pie II au moment de son entrée dans Mantoue (où va se dérouler le concile devant décider de la future croisade contre l’Empire Ottoman) : « Au cœur de la tempête, la tempête est un nuage immobile ». Phrase que psalmodiera à nouveau le pape au moment de quitter ce monde. Au passage, Andreasi peste contre Ludovico à qui il reproche ses largesses à l’égard de Mantegna qui, selon lui, ne les mérite pas. Ses absences irritent l’ambassadeur et sa « mégalomanie » l’insupporte. Le 24 août 1472, Andreasi confie à son journal la rencontre à Bondanello de Ludovico Gonzaga avec son fils cadet, le cardinal François. Événement dont s’inspire Mantegna pour décorer le mur ouest de la « Camera dipinta ». Quant à Bernardino, le fils de Mantegna, convaincu, en dépit de son jeune âge que « les portraits sont plus vivants que tous ces contemplateurs agités et ravis qui font des manières parce que l’âme du portrait, qui est la leur, leur fait peur », il a surnommé cette salle la « chambre des spectres ». De cette « chambre des spectres », Andreasi rapporte les propres paroles de Mantegna, lors de l’une de leurs ultimes visites :

    « Il ne restera rien de nous (les artistes), mais nos semblables parleront à travers nos tableaux. Qui a peint ces gens ? Quel art projette ce regard stupide et divin dans l’éternité comme s’il était une pomme comestible ? Celui de Paolina, pas le mien. C’est celui de Barberini et de Nana, pas le mien. C’est celui des enfants. Tous les enfants qui gardent leur curiosité intacte au cœur des questions des adultes à la mort ».

    « Le secret du paon », second récit de la Chambre peinte tourne autour de l’énigme de Nana, de ses amours mystérieuses avec Piero, de ses nombreux fils qu’elle élève seule, de l’abandon et de l’attente, de ses paons avec qui elle noue de longs dialogues. L’histoire de Nana commence comme un récit médiéval inspiré de l’amour courtois ou comme un conte de fées (ou d’anges) dans lequel les objets se chargent poétiquement d’une signification autre. Le « cuvier de terre », les « oranges nuptiales », la « couronne », les « guirlandes ». Intervient Balthazar, le jardinier de Ludovico, dans son rôle bienfaisant auprès des fiancés. Il entraîne dans son « jardin secret » son fils Piero et Nana. Afin qu’ensemble ils plantent l’oranger qui scellera leur amour :

    « L’oranger… a toujours été à la fois symbole de pureté ; de chasteté et de fécondité. Et précisément pour cette raison, symbole d’amour éternel. »

    L’orange partagée sera-t-elle un gage de fidélité pour l’un comme pour l’autre ?

    Au cours de la journée de noces de Nana et de Piero survient l’inconnue. « La dame au bandeau blanc ». Ainsi que les trois femmes qui s’enquièrent de son identité. Inger Christensen s’inspire de la symbolique du plafond de la « chambre peinte » pour composer son histoire. Ou plutôt ses histoires dans l’histoire. Elle reprend les objets qui figurent dans le pseudo-oculus — sangles et rubans ornementés, guirlandes colorées de feuillages et de fruits, petit oranger dans son cuvier placé en équilibre sur la balustrade — et introduit les personnages au statut mouvant. « La dame au bandeau blanc, Barbara jeune » (« aux côtés d’une jeune esclave noire » in « Journaux de Marsilio Andreasi »). Mais peut-être aussi la « sœur du pape », si l’on en croit les propos de la dame (in « Le secret du paon »). De l’autre côté de l’oranger se tiennent les trois amies que l’on distingue par leur coiffure : « les bandeaux, les chignons »… « cheveux dénoués et ondulés. » L’une d’elles tient « dans la main droite un petit livre ouvert. » Livre des anges ? Livre qui conte l’histoire d’Euryale et de Lucrèce ?

    Ainsi s’emboîtent et s’enchevêtrent d’autres épisodes, l’ensemble composant une marqueterie complexe. Remarquable. Un tableau vivant, animé de passions. Nana et Piero / Enea Silvio Piccolomini (le futur Pie II) et les deux sœurs Maria / Euryale et Lucrèce / Histoire des amours de Barbara et de la naissance de Nana / Histoire de Lucia / Histoire de Farfalla et de Piero… Autant d’« énigmes » auxquelles Nana se trouve confrontée dans ce récit qui la concerne. D’interrogations en découvertes inattendues (n’est-elle pas la fille du pape Pie II et la sœur de Piero ?), elle considère pourtant sa vie avec sagesse. Une sagesse qui fait grandir la naine qu’elle est, intérieurement.

    Bousculant les idées reçues, Inger Christensen fait de la naine officielle de la duchesse Barbara, représentée de front dans la fresque de Mantegna, une héroïne de roman, attachante, généreuse et fidèle. Une bonne vivante joyeuse et drôle. Nombre de secrets seront levés qui concernent son histoire. Et bien d’autres encore. Celui de Lucia ; celui de Farfalla, la princesse turque aimée de Ludovico et de Piero. Mais cela aussi était un secret ouvrant sur d’autres énigmes.

    « J’ai été la réceptrice de tous les secrets possibles » confie Farfalla « et, dans ces pages vous pourrez en lire une partie.
    Les autres, je les garderai pour moi. Certains n’ont évidemment plus aucune raison d’être tenus secrets. Celui de Nana par exemple […] »

    En revanche, le secret des paons n’a pas été résolu. Mais peut-être n’y en avait-il pas ! Tout cela relève du libre choix de l’écrivain. Qui laisse là Nana et ses paons. Pour se tourner vers Bernardino, le fils de Mantegna et de Nicolosia. Dont Marsilio prétend être le père. Changement de point de vue. Changement de regard.

    Le récit de l’enfant s’intitule : « Mes vacances d’été ». « Par Bernardino, 10 ans. »

    Là encore, plusieurs récits se succèdent qui prennent des tonalités diverses. Dans le tout début du récit, le jeune garçon évoque sa vie de fils de peintre, sa relation à Mantegna, son père, à sa petite sœur Gentilia et à Marsilio qui s’occupe d’eux en l’absence du peintre et leur lit « l’histoire du jardin céleste ».

    Le monde de Bernardino est celui de l’atelier, des pinceaux des couleurs des seaux, à mélanger la chaux à préparer les murs pour les peintures à fresques.

    Dans la continuité de ces moments familiaux vient s’insérer la parole de Gentilia qui s’introduit dans les paysages peints par son père et se projette dans la vie rêvée que lui suggère la fresque :

    « Quand je serai toute petite, quand j’entrerai tout à fait dans le tableau que notre papa a peint, alors je serai aussi petite que tous les gens qui marchent là sur la route… »

    Cet épisode prépare le suivant. À la suite de sa petite sœur, Bernardino imagine un voyage dans le tableau de son père. Le 27 août 1473, il entreprend la visite d’une ville étrange. Celle qui apparaît sur la fresque de Mantegna lors de la rencontre de Bondanello. Une ville onirique mi-Mantoue mi-Rome qui inspire au jeune garçon une traversée où se mêlent fantastique et mythologie. D’Hercule à Orphée, Bernardino progresse vers la fin de son entreprise. Et c’est de Gentilia que lui vient l’ultime révélation :

    « C’est papa, dit-elle. Il a ramené notre maman à la maison. »

    Et la petite fille d’ajouter : « J’aime les histoires. Allons voir notre mère pour lui demander de nous raconter comment notre père a pu la faire revenir au monde. »

    Puisque, sur cette suggestion, Bernardino garde le silence, d’autres histoires peuvent commencer. C’est à Nicolosia que reviendrait de se lancer dans les « arabesques » du récit. Mais Inger Christensen n’a pas jugé nécessaire de poursuivre avec l’épouse du peintre le jeu subtil des perles de verre de la narration. Ainsi reste-t-il toujours des stratégies d’écriture disponibles. La Camera dipinta de Mantegna demeure une « œuvre ouverte ». Elle peut encore susciter d’autres talents.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Inger Christensen, La Chambre peinte




    INGER CHRISTENSEN


    Christensen.jpg 2




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Bruit du temps)
    la page de l’éditeur sur La Chambre peinte | Un récit de Mantoue
    → (sur le site des éditions Le Bruit du temps)
    une fiche bio-bibliographique sur Inger Christensen
    → (sur Terres de femmes)
    Marie Ferranti, La Princesse de Mantoue (lecture d’AP)






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  • Pier Paolo Pasolini | [Ma io parlo… del mondo]



    Les premières marques d’une vieillesse féroce
    Source






    [MA IO PARLO… DEL MONDO]



    Ma io parlo… del mondo ― e dovrei,
    invece ― parlare dell’Italia, e anzi,
    di una Italia, di quella di cui sei,

    con me, destinatario dei miei versi, figlio:
    fisica storia in cui ti circostanzi.
    L’ho chiamato « innocente », il mondo, io,

    io, in quanto cieco, figlio martoriato.
    Ma se guardo intorno questi avanzi
    d’una storia che da secoli ha dato

    soltanto servi… questa Apparizione
    in cui la realtà non ha altro indizio
    che la sua brutale ripetizione…

    che scena… espressionistica! Penso a un giudizio
    subìto senza senso… le toghe… le tristi autorità del Sud…
    dietro i visi dei giudici ― in cui il vizio

    è un vizio di dolore, che denuda
    ambienti miserandi ― non si leggeva che impotenza
    a uscire da un’oscura realtà di parentele, da una cruda

    moralità, da una provinciale inesperienza…
    Quelle fronti da Teatro dell’Arte,
    quei poveri occhi di obbedienti onagri

    intestarditi, quelle orecchie basse,
    quelle parole che per mascherare
    il vuoto si gonfiavano a recitare una parte

    di paterna minaccia, di indignazione floreale!
    Ah, io non so odiare: e so quindi che non posso
    descriverli con la ferocia necessaria

    alla poesia. Dirò solo con pietà di quella faccia
    di calabrese, con le forme del bambino
    e del teschio, che parlava dialettale

    con gli umili, scolastico coi grandi.
    Che ascoltava attento, umano,
    e intanto, negli ineffati e nefandi

    fori interiori, covava il suo piano
    di timido che il timore fa spietato.
    Ai lati, altre due faccie ben riconoscibili,

    faccie che per strada, in un bar affollato,
    sono le faccie deboli, poco sane,
    di precoci invecchiati, di malati

    di fegato: di borghesi il cui pane
    certo non sa di sale, non ignobili, no,
    non prive affatto di sembianze umane

    nel pungente nero degli occhi, nel pallore
    delle fronti martoriate dalla prima
    feroce anzianità… Un quarto inviato del Signore

    ― certo ammogliato, certo protetto da un giro
    di rispettabili colleghi nella sua città
    di provincia ― rappreso in un sospiro

    di malato nei visceri o nel cuore ―
    se ne stava in un banco isolato: come sta
    chi si prepara a un premeditato disamore.

    E davanti a questi, il campione: colui che ha
    venduto l’anima al diavolo, in carne e ossa.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La realtà in Poesie in forma di rosa, Garzanti Editore, 1964, 1976.






    [MAIS JE PARLE… DU MONDE]



    Mais je parle… du monde — et je devrais
    plutôt — parler de l’Italie, et même
    d’une certaine Italie, de celle dont tu es,

    avec moi, destinataire de mes vers, le fils :
    histoire physique dans laquelle tu te circonscris.
    Je t’ai appelé « innocent », le monde, moi,

    Moi, en tant qu’aveugle, fils martyrisé.
    Mais si je regarde autour ces restes
    d’une histoire qui depuis des siècles n’a donné

    que des esclaves… cette Apparition
    où la réalité n’a pas d’autre indice
    que sa brutale répétition…

    quelle scène expressionniste ! Je pense à un jugement
    subi, privé de sens… les toges… les tristes autorités du Sud…
    derrière les visages des juges — dont le vice

    est un vice de douleur, qui dénude
    des milieux misérables — ne se lisait qu’impuissance
    à sortir d’une obscure réalité de parentés, d’une crue

    moralité, d’une provinciale inexpérience…
    Ces fronts de Commedia dell’Arte,
    ces pauvres yeux d’onagres obéissants

    entêtés, ces oreilles basses,
    ces mots qui pour masquer
    le vide s’enflaient pour jouer un rôle

    de menace paternelle, d’indignation Art nouveau !
    Ah, je ne sais pas haïr : et je sais donc que je ne peux pas
    les décrire avec la férocité nécessaire

    à la poésie. Je parlerai seulement avec pitié de ce visage
    de Calabrais, avec les formes de l’enfant
    et de la tête de mort, qui parlait en dialecte

    avec les humbles, dans un style scolaire avec les grands.
    Qui écoutait avec attention et humanité,
    et en même temps, dans les fors intérieurs

    tacites et indicibles, couvait son plan
    de timoré que la peur rend impitoyable.
    À ses côtés, deux autres visages bien reconnaissables,

    visages qui dans la rue, dans un bar plein de monde,
    sont les visages faibles, malsains,
    de vieux avant l’heure, de malades

    du foie : de bourgeois dont le pain
    n’a certes pas le goût de sel, pas ignobles, non,
    pas entièrement privés d’un semblant d’humanité,

    dans le noir transperçant des yeux, dans la pâleur
    des fronts martyrisés par les premières
    marques d’une vieillesse féroce… Un quatrième envoyé du Seigneur

    — évidemment marié, évidemment protégé par une clique
    de collègues respectables dans sa ville
    de province — figé dans un soupir

    de malade de digestion et de cœur —
    se tenait isolé sur un banc : comme quelqu’un
    qui se prépare à un désamour prémédité.

    Et devant eux, le champion : celui qui a
    vendu son âme au diable, en chair et en os.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La réalité (extrait) in Poésie en forme de rose, édition bilingue, Rivages poche | Petite Bibliothèque, 2015, pp. 124-125-126-127-128-129. Traduit de l’italien, annoté et préfacé par René de Ceccatty.





    Pier Paolo rose 2






    PIER  PAOLO  PASOLINI


    Pasolini
    Source



    ■ Pier Paolo Pasolini
    sur Terres de femmes

    5 mars 1922 | Naissance de Pier Paolo Pasolini
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)
    2 novembre 1975 | Mort de Pier Paolo Pasolini
    Al principe
    A na fruta (+ bio-bibliographie)
    El cuòr su l’aqua
    Le chant des cloches
    Pier Paolo, le poète assassiné
    La Rage (extraits)



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