Étiquette : 1988


  • Bernard Noël | Fenêtres fougère


    Olivier Debré  Sur un pli du temps 2
    gravure en taille douce d’Olivier Debré
    pour l’édition originale de Sur un pli du temps,
    Les Cahiers des Brisants, 1988.
    Source








    FENÊTRES FOUGÈRE
    (extrait)





    à colette deblé



    la torche du corps
    brûle
    à contre-ciel
    le visage ici
    la tête là-bas
    l’espace partout
    un pré vertical

    la chair du silence
    la fumée de l’âge
    un peu de mémoire
    oblique
    le miroir vu
    depuis l’au-delà
    le mouvant d’une pensée

    la vie est la trace
    de la vie
    la moelle des yeux
    s’allume au bonheur
    tout est là
    comme un mot
    sur la langue




    Bernard Noël, « Fenêtres fougère », Sur un pli du temps, Les Cahiers des Brisants, Périgueux, 1988, in La Chute des temps, éditions Gallimard, Poésie/Gallimard n° 274, 1993, pp. 253-255. Postface de Stefano Agosti.






    Sur un pli du temps Debré 3





    BERNARD NOËL


    Bernardnoël02
    Ph. © Steve Seiler
    Source





    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    la paume caressant un souffle
    L’Encre et l’Eau
    La Langue d’Anna
    Sur le peu de corps, 18
    [le temps ne sait rien]
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël
    Mohammed Bennis | Bernard
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël, Retours de langue (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    7 mars 1908 | Naissance d’Anna Magnani (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par AP)
    l’Atelier Bernard Noël de Nicole Martellotto





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  • Dominique Labarrière | [Lumière]



    Michelangelo
    « Comme si tes mains touchaient les miennes »
    Michel-Ange, La Création d’Adam (détail)
    Voûte de la Chapelle Sixtine (Rome, Vatican)







    [LUMIÈRE]



    Lumière !
    Comme si ton œil brûlait le mien.

    Silence !
    Comme si ta voix blanchissait la mienne.

    Joie !
    Comme si tes mains touchaient les miennes.




    Dominique Labarrière, « Versions d’une âme sous le gel », I [inédit, 1981], in Visages, pour mémoire, Poèmes 1972-1987, coédition Le Castor Astral | Les Écrits des Forges, Collection Matin du Monde, 1988 ; rééd. 2006, page 77. Lavis de Colette Deblé (couverture et illustration).







    Dominique Labarrière, Visages, pour mémoire






    DOMINIQUE LABARRIÈRE


    Dominiqie Labarrière
    Source




    ■ Dominique Labarrière
    sur Terres de femmes

    L’homme-nuage (extrait de Journal du Bout des Bordes) (+ une notice bio-bibliographique)
    Stations avant l’oubli, I & III (extrait de Stations avant l’oubli)





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  • Dominique Labarrière | L’homme-nuage





    Homme nuage
    « Je suis le transparent | Qui traverse en silence
    | L’amer reflet des vagues du non-savoir »

    Ph., G.AdC






    L’HOMME-NUAGE





    Je suis l’homme-nuage
    Jadis planté sur terre
    À l’aube d’un jour levé.
    Sur les spirales bavardes
    Des bruissements cellulaires
    Toujours j’ignore le repos.

    Mon visage flotte sur
    L’agitation mal rythmée
    De ces ombres crispées :
    Je suis le transparent
    Qui traverse en silence
    L’amer reflet des vagues du non-savoir
    Et cela me déchire.

    Je me mêle
    Sans jamais me confondre :
    Voilà la rigidité de mon corps
    Et bafouillent de confuses excuses
    Et s’éparpillent en ballet programmé.

    Sans espoir ni désespoir,
    Les yeux mi-clos,
    Je me tiens immobile
    Et on ne me voit pas,
    Moi, l’homme nuage
    Aux racines dissoutes.



    Dominique Labarrière, « L’homme-nuage », Journal du Bout des Bordes, n° 4, in Visages, pour mémoire, Poèmes 1972-1987, coédition Le Castor Astral | Les Écrits des Forges, Collection Matin du Monde, 1988, rééd. 2006, pp. 53-54. Lavis de Colette Deblé (couverture et illustration).






    Dominique Labarrière, Visages, pour mémoire





    DOMINIQUE LABARRIÈRE


    Dominiqie Labarrière
    Source




    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE (d’après une notice de Bernard Bretonnière)


    Né à Paris le 5 août 1948, Dominique Labarrière* est mort d’un coma diabétique dans sa chambre d’hôtel, à Paris, le 19 septembre 1991. Il a alors 43 ans.

    Poète discret, doué d’une extrême sensibilité, il est notamment l’auteur de Nostalgie du présent (Éditions de l’Athanor, 1977 ; rééd. Le Nouvel Athanor, Les Cahiers du sens, 2002), du Sens du provisoire (Collection Inactualité de l’orage, Pierre Vandrepote éd., Paris, 1982), de La Pratique de l’émotion (Luneau-Ascot éditeurs, Paris, 1984), Une cure d’inefficacité (Mai hors saison éd., Bagnolet, 1986), Suite pour un absent (Brandes éd., Béthune, 1986), Visages, pour mémoire (poèmes 1972-1987, coédition Le Castor Astral et Écrits des Forges, 1988), Exploration de l’ombre (Unes éd., 1988), La Discipline des apparences (Unes éd., 1991), Une cure d’inefficacité (Mai hors saison éd., 1991), La Forme du vent (Karedys éd., Lodève, 1991), Éloge de Chet Baker : Dominique Labarrière, Rencontre sans lumière (Mai hors saison éd., 1991  ; revue Poésie – décembre 1991) et, publiés à titre posthume, Stations avant l’oubli (Mai hors saison éd., 1996) et L’Homme en guerre (entretiens de Dominique Labarrière, Hubert Lucot, Franck Venaille et Thierry Renard ; éditions Paroles d’aube, Vénissieux, 1996).

    Proche de Jean-Yves Reuzeau, Dominique Labarrière donna de nombreuses et généreuses contributions, textes, poèmes, articles, entretiens et critiques (sur André Chabot, Franck Venaille, Frédérick Tristan, Danièle Givry, etc.) dans la revue internationale de poésie Jungle (1977-1999) et dans la revue Rue rêve (revue qu’il fonda avec Danièle Givry). En juin 2015, dans l’anthologie Ce qui est écrit change à chaque instant, 40 ans d’édition, 101 poètes, les éditions du Castor Astral ont republié son Élégie glacée (reflets d’avant le déluge) [Dérive n° 7/8, juin 1978], alternant vers libres et proses.

    « Dominique Labarrière dévoile la souffrance de vivre « ces instants de grâce négative », cette mémoire volontaire de l’oubli, avec cette conviction — ô combien romantique — trop grave pour n’avoir pas à mentir… » (Serge Rigolet).



    ____________________
    * à ne pas confondre avec son homonyme écrivain Dominique Labarrière, dit aussi Jacques de Saint Paul, Tony Lengton ou Christian Laurac (pseudonymes communs à plusieurs auteurs), auteur prolifique de romans policiers, né lui aussi en 1948, le 18 février.




    ■ Dominique Labarrière
    sur Terres de femmes

    [Lumière] (un autre poème extrait de Visages, pour mémoire)
    Stations avant l’oubli, I & III (extrait de Stations avant l’oubli)





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  • Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin

    par Angèle Paoli

    Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin,
    Éditions Verdier, 1988.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Vangogh_postman1888
    Vincent Van Gogh
    Portrait de Joseph Roulin, assis,
    Arles, début août 1888,
    Huile sur toile, 81,3 x 65,4 cm
    Boston, Museum of Fine Arts






    LE MAINATE DE MICHON



    La lecture du dernier ouvrage de Pierre Michon ― Le roi vient quand il veut ― m’a conduite tout naturellement à une ré-immersion dans l’œuvre narrative de l’écrivain creusois. Relecture passionnée qui, après vagabondages d’une vie à l’autre, a fait s’arrêter la lectrice que je suis sur la Vie de Joseph Roulin. Et se poser sur les « ailes d’un noir mat » du Corvus corbax sur lequel se clôt le récit. Corbeau ainsi nommé de son « nom impérial » « par la bouche de Linné, son Serviteur ». Mais reprenons les choses en amont.

    Surpris, Joseph Roulin le serait assurément s’il lui était donné de revenir sur terre ! Et de se découvrir vivant d’une vie de prince ― « galonné comme un officier du Montenegro » ― sous la plume ingénieuse et mimétique de Pierre Michon. Surpris de se voir vivre, lui, le faux facteur, aux côtés de Van Gogh ou de Gauguin, devenus depuis célébrissimes, ― la coqueluche des biographes et « des businessmen de Manhattan » ―, surpris de s’entendre penser, derrière le « je » anonyme de son impérial créateur, son incompréhension de la peinture et des Beaux-Arts ! Surpris de se voir surgir dans la densité d’un texte dont, de son vivant, il n’aurait eu aucunement la possibilité d’entrer mais dont il aurait sans doute pu apprécier, modestement, la Théorie ! Surpris de se voir immortalisé un temps en moujik flanqué de sa baba ou accompagné de Van Gogh, son barine, en satrape assyrien ou en sujet d’icône au « nom compliqué, Népomucène ou Chrysostome, Abbacyr qui mêle sa barbe fleurie aux fleurs des cieux ». Ou encore, le plus souvent immortalisé en ange républicain, épris de l’« éternelle utopie républicaine ».

    Le voilà, lui, l’obscur entreposeur des Postes, alcoolique et républicain, donc, flanqué d’une Augustine anéantie dans sa pauvre détresse millénaire, et de ses trois enfants. Tous trois tour à tour peints par Van Gogh. Armand, Camille, Marcelle. Il serait étonné, l’homme à « la grande barbe en fer de bêche », de se retrouver là, couché sur le blanc des pages où il reconnaîtrait son nom, Joseph Roulin, un nom obscur comme l’est aussi celui de l’auteur, ce Michon qui le tire provisoirement du néant où, depuis toujours, il gît. Un nom issu d’on ne sait quelle campagne profonde, pléonastiquement, les Cards pour l’un, Lambesc pour l’autre. Il serait étonné de rencontrer là, dans le blanc des pages, l’homme à la grande vareuse bleue et à la casquette des Postes, tel que peint jadis par Van Gogh ; lorsque lui, Roulin, posait pour Vincent dans l’atelier de la « maison jaune » où « il devint tableau, matière un peu moins mortelle que l’autre, dans cette bicoque aujourd’hui invisible et aussi connue que les tours de Manhattan ». Ou encore, dans la pauvre « isba » d’Augustine entre la cafetière et les chaises paillées, entre pipe froide et godillots avachis. Il découvrirait le dédoublement de Joseph Roulin, entreposeur des Postes à Arles et prince invisible, rendu obscurément visible par les phrases-volutes de Pierre Michon, pris dans leur tourbillon comme il l’était jadis dans les tourbillons mystérieux tracés dans la pâte de la toile par les pinceaux de Van Gogh. Il retrouverait là l’utopiste républicain ignorant tout de l’art et de ses arcanes confus, ignorant aussi des complexités de l’écriture.

    Le voilà donc, Joseph Roulin, ressurgissant cent ans plus tard ― 1888-1988 ― derrière le « je » anonyme du narrateur qui déclare que le facteur d’Arles est un personnage de « bien peu de profit » pour qui « se mêle d’écrire sur la peinture ». Mais qui lui convient. Comme lui conviennent aussi les portraits brossés, tantôt côté Roulin, tantôt côté Van Gogh. Et qu’avec lui revivent les hommes de ce temps, Théo Van Gogh, le frère aimé, Gauguin ― Monsieur Paul ― rencontré chez son ami Vincent ; ou chez la mère Ginoux, l’imposante taulière, l’Arlésienne, que le petit rouquin s’est plu à peindre dans des allures de « reine d’Espagne ».

    Pourtant, au-delà, derrière tous ceux, compagnons de vie et artistes, nommément cités, il y a, qui court en filigrane dans le récit, la présence invisible du maître en écriture choisi ici par Pierre Michon. Ce maître, c’est Gustave Flaubert. Le Flaubert d’Un cœur simple.

        Ainsi Pierre Michon invente-t-il pour Joseph Roulin un univers flaubertien. Un cœur simple, en apparence, celui du facteur Roulin qui, tout compte fait, préférait encore « le portrait en chromo d’Auguste Blanqui » aux tableaux de Vincent Van Gogh qu’il ne trouve pas bien jolis. Flaubertien, « l’oiseau parleur, merle ou mainate » des Roulin, double républicain de Loulou, « qui peut-être prononçait les noms d’Anacharsis Cloots et de Vincent Van Gogh » au lieu des formules enseignées par Félicité à son perroquet : « Charmant garçon ! Serviteur, monsieur ! Je vous salue Marie ! ». Mais de l’humble servante normande et de son Loulou des îles, Joseph Roulin n’a cure, qui ne soupçonne pas même l’existence, sous des cieux éloignés, d’autres vies pareillement minuscules à la sienne, que nul, jamais, ne tirera vers l’existence. Sinon l’artiste. Par trois fois, Joseph Roulin est tiré de l’anonymat pour lequel il était fait. La première fois par la peinture de Van Gogh, la seconde par l’écriture de Pierre Michon mimant la peinture de Van Gogh, la troisième fois par Pierre Michon mimant Flaubert.

    De fait, métamorphosé en figure assomptionnelle par la folie Flaubert, le perroquet d’Un cœur simple, immortalisé par son créateur, sauve Félicité de son dénuement et de la pauvreté de sa « vie ». Car « qu’est-ce que la littérature sinon ce qui transforme le corps vide en corps de mots, en corps glorieux ? » écrit Pierre Michon dans Le roi vient quand il veut. Et que fait Pierre Michon, sinon métaphoriser « le vieux facteur rouge » en portrait de l’artiste, capable de changer en figure assomptionnelle républicaine, le jeune dandy à qui il vient de céder une toile de Van Gogh ! Assomption finale dont le médium est le mainate réjoui de Joseph Roulin. Lequel, « pour marquer le coup… la barbe d’Assur se plaquant au col dans les basses, l’œil enlevé bien au-delà de Notre-Dame de la Garde et de la ligne bleue des Vosges vers le paradis des Beaux-Arts chanta une Marseillaise ou une scie de gabier, Jean-François de Nantes ; et le mainate s’en réjouit. Quand très tard le jeune homme un peu gris descendit l’escalier et sortit rue Trigance son tableau sous le bras, quand tête levée vers les étoiles il courut joyeusement dans la nuit déserte, l’air sifflant à ses oreilles, il crut entendre à côté de lui, au-dessus de lui, la masse colossale de la Vieille Charité, en tous les sens perdue dans le noir, s’emplir et s’ébattre d’un vol d’hirondelles. »

        « Type romanesquement très ancien du témoin, du petit témoin », Joseph Roulin incarne la figure du pauvre ― qui avec le héros, est « la figure qui mérite le plus qu’on lui consacre une vie » ― et dans la catégorie du pauvre, celle du révolutionnaire. Choisir Roulin, choisir le côté « rouge », son côté « Grand Soir », c’est pour Pierre Michon, « mettre en présence dans une même constellation, deux mythes sociaux très beaux et très forts: le mythe de la révolution, du  » Grand Soir  » en tout cas et le mythe des beaux-arts ». « J’ai aimé frotter l’une contre l’autre ces deux mythologies », écrit Pierre Michon. « Deux mythes tout à fait opposés puisqu’il y en a un qui tend au solipsisme ― celui de l’art ― et l’autre, au contraire, extrêmement tendu vers une communauté idéale à venir. J’ai voulu que mes deux personnages s’aiment à travers ces deux grands mythes du siècle dernier. »

    « Serai-je un roi ou un pourceau ? » s’interroge Flaubert dans ses Carnets intimes *. Et Pierre Michon de déclarer à son tour dans Le roi vient quand il veut :

    « L’incarnation, le corps glorieux, l’eucharistie. Autant de métaphorisations du miracle qui change les corps en mots, la jouissance en rythmes, la souffrance en œuvres et d’inertes clochards en auteurs. »

    Une incarnation admirablement et idéalement réussie. Pour Joseph Roulin, pour Van Gogh, pour Loulou et Félicité, pour la lectrice que je suis, pour la littérature. Pour Pierre Michon écrivain. Le roi est venu.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ____________________________
    * Carnets intimes, in Julian Barnes, Le Perroquet de Flaubert, Éditions Stock, Bibliothèque Cosmopolite, 2000, p. 216. Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau.





    Corvus_corbax
    D.R. Ph. Christophe Sidamon-Pesson
    Source




    PIERRE MICHON




    ■ Pierre Michon
    sur Terres de femmes


    28 mars 1945 | Naissance de Pierre Michon (extraits de Corps du roi et de Vies minuscules)
    Pierre Michon, Les Onze (lecture d’AP)
    Pierre Michon, Le roi vient quand il veut (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    un admirable dossier Pierre Michon
    → (sur en.wikipedia.org)
    The Roulin Family






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