Étiquette : 1989


  • Fabio Scotto, La Peau de l’eau

    par Sylvie Fabre G.

    Fabio Scotto, La Peau de l’eau,
    poèmes français (1989-2019),
    éditions La Passe du vent, 2020.



    Lecture de Sylvie Fabre G.




    DANS LE TREMBLÉ DE LA VIE ET DE L’AMOUR




    La poésie n’est-elle pas la voix d’une parole qui fait scintiller des mots-étoiles dans la nuit et le vent, sur l’eau profonde et au-dessus du vide, en éclairant une vie qui donne à voir les signaux inséparables de l’amour et de la séparation, et qui, par là-même, fait entendre l’inachevé de notre condition ? Dans l’ouvrage La Peau de l’eau, publié cet automne aux éditions La Passe du vent, Fabio Scotto, poète italien, fait résonner sa voix en un recueil anthologique qui réunit des poèmes écrits en français entre 1989 et 2019. Dans quatre des parties, ceux-ci sont présentés dans une version bilingue et, fait rare, traduits par ses soins du français en italien. Cette originalité témoigne de sa relation profonde aux deux langues qu’il pratique de façon constante et qui sont mises ici en écho, devenant ainsi des passerelles mélodiques et des passerelles de sens dans la traversée poétique. La fréquentation du français, et la connaissance qu’en a Fabio Scotto de par son travail de linguiste, d’essayiste et de traducteur émérite lui permettent d’établir une véritable résonance entre les deux langues. Le recueil, qui balaie plus d’une trentaine d’années de création, met aussi en lumière l’unité de son œuvre dans la durée. Cet éclairage dans le temps souligne l’élan d’une quête existentielle et poétique où se conjuguent, sous différentes formes, apparition et disparition, autour de l’axe principal du lien à soi, à l’autre et au monde.

    L’anthologie, construite chronologiquement, débute par des poèmes aux vers courts, aux strophes brèves, qui sonnent déjà comme un avertissement. Sur ce chemin dès l’abord ouvert musicalement, le poète (nous) murmure qu’on ne traverse pas impunément le temps, même avec « un cœur » d’« enfant » ou d’amant. Dans le passage d’une époque à l’autre, d’un poème à l’autre, d’une langue à l’autre, il nous rappelle ce que nous ne pouvons ignorer : la vie est partition d’inouïe lumière autant qu’« ombre infinie ». Le désir humain et l’intensité de la langue ne sont pas suffisants pour faire que la ligne droite ne devienne aussi ligne brisée. Fabio Scotto réduit la faille par une écriture comme lui vouée à des amours finies, à des pages tournées, à un chant inachevable.

    Dans la première partie du recueil, l’image fugitive des jeunes filles surgissant « collées à la nuit » au détour d’une rue de Florence, puis, quelques vers plus loin, l’évocation du poète qui « parcourt le jour » « vêtu d’un brin de sable », en sont les premières illustrations symboliques et orientent le lecteur. Ces métaphores, comme le titre de la première partie, L’Avis de la mort, l’alertent en effet sur la tonalité générale, élégiaque, de l’ensemble du livre, que renforcent les derniers vers du Cirque au bord du lac, mélange de dérision et de nostalgie.


    « Le cirque s’en va demain
    (Ungaretti, Volodine, Moravagine)
    Vers le nord ou vers la mer
    Triste défilé

    Sa trace en nous
    Qui dansons sur le vide
    Un rire aux larmes
    Intarissable, subit
    La glace fondue dégouline, tu sais
    C’aurait pu être la vie… ».


    Cahier préalpin, écrit presque dix ans après L’Avis de la mort, introduit d’autres apparitions en égrenant toute une série de lieux qui offrent leur intitulé aux poèmes de cette sixième partie. Leur nomination précise — Gavirate, Castiglione Olona, Varèse, Luino… —, crée un voyage sonore et intérieur qui fond le paysage des Lacs italiens et de ses protagonistes dans une terre habitée et dans l’histoire singulière et collective qu’elle contient. Cette appartenance renvoie le lecteur aux proses de Sur cette rive, paru en 2011 aux éditions L’Amourier (A riva, NEM, 2009), où le poète, comme dans La Peau de l’eau, navigue entre les deux âges initiatiques — enfance-adolescence —, et l’âge adulte où se vivent la confrontation avec la réalité et la perte des illusions. On verra d’ailleurs que cette anthologie personnelle, qui couvre une temporalité large, Fabio Scotto la termine dans la dernière partie inédite, « L’À-Venir », en abordant aux rivages où désormais il se tient : ceux d’un présent vieilli où le poète se retourne sur sa vie et semble dresser un bilan, plutôt amer, de ce qui a été et surtout de ce qui est :

    « Vie, qui t’en vas

    à chaque instant perdu

    […]

    vie qui es illusion,

    sale promesse

    tristesse bleue

    comme tes yeux qui l’avalent » .

    Dans tout le recueil, le traitement du temps entremêle donc écriture du maintenant et écriture de la mémoire. Les verbes y sont le plus souvent au présent, comme si le passé, inclus, continuait à s’y vivre, comme si le futur était rendu inaccessible :

    « Demain ne viendra pas

    demain il sera trop tard »,

    confie l’un des derniers poèmes tiré « D’une Terre » (V). C’est d’ailleurs avec l’anticipation de sa propre mort que le poète clôt le recueil in « L’À-Venir » :

    « Le jour de ma mort il fera beau

    Des amis suivront le cortège funèbre » (X).

    Dans les vers suivants, télescopage imagé de son espace intérieur, lui-même se vit agonisant, puis cadavre énucléé :

    « À l’heure où moi, je meurs seul

    à l’orée du bois

    Puis les corbeaux en criant

    m’arrachent les yeux ».

    Le registre dramatique, amplifié par cette âpre vision que soulignent les allitérations en [R], éclaire le fond obscur d’une douleur qui broie l’être entier. Mais ne traversons-nous pas tous en aveugles la vie et plusieurs morts avant l’ultime ? Ne nous sentons-nous pas nous aussi parfois des morts-vivants ou des survivants ? Les ténèbres extérieures et intérieures sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Fabio Scotto où l’homme poursuit une chasse au bonheur qui toujours se dérobe et le laisse face au néant.

    Pris dans la spirale du temps, le poète résiste en portant son attention sur les formes, les mouvements, les sons et les couleurs d’une réalité qu’il veut saisir et explorer dans l’ici. Sa captation (nous) invite au partage d’une expérience à la fois sensorielle, mentale et émotionnelle des lieux, des choses et des êtres. On y respire une douceur du monde qui n’est pas sans violence :

    « Silence

    Paix

    Mais ce printemps venteux

    arrache les fleurs aux balcons

    gèle le sang » (« Castiglione Olona », Cahier Préalpin)

    et une beauté qui n’est pas sans laideur :

    « Le soir on va au marais

    se salir dans la cannaie

    sur des ponts tremblants

    au-dessus des décharges industrielles » (« Angera », Cahier Préalpin).

    Pas d’utopie, quelle qu’elle soit, chez Fabio Scotto, qui sait reconnaître les maux néfastes de notre société. Dans les dernières parties du recueil, l’évocation de l’eau lève encore d’autres images, plus terribles, sur la vérité du monde. Car la parole de l’écrivain n’oublie ni l’insensé atemporel ni les maux contemporains : sa lucidité regarde une immanence où règne le mal absolu qu’il dénonce dans la « Lettre à Oradour » (Les Dieux étouffés, 1946) dédiée à Jean Tardieu. Barbarie, destruction, famine, « Exode » sont autant de mots qui font de « notre peau, une plaie » et de notre voix « un cri ». Ce cri résonne dans tout le recueil, il remonte des abysses de la Méditerranée, s’élève « du fond des ruines d’un pont de Gênes » ou plane sur le théâtre des guerres. Il est celui des migrants, « frères morts / noyés parmi les vagues » et de tous les corps-cœurs meurtris par l’indifférence, le désamour ou la haine sur cette terre. Dans la voix du poète, il devient le chant humain d’une souffrance déjà inscrite sur les visages peints par Munch ou par Bacon.

    Fabio Scotto cependant n’oublie jamais les grâces accordées par la vie, ni leurs objets. Et d’abord la « grâce du vu », sa magie. Les poèmes célèbrent aussi bien le « désert aquatique / où les nuages joignent / la traînée jaune de l’horizon » que « la joie de la pierre sculptée par le vent » ou l’arbre dont « les branches deviennent ses bras ». Reflet de l’état d’âme, beauté sensuelle du vivant, tissé de présences vibrantes et d’osmose accomplie, le monde est là, avec ses bords de lacs, ses campagnes océanes ou méditerranéennes, ses « aubes simples » et ses couchants au « Miroir du soir ». Le dehors, paysage naturel ou urbain, est très prégnant dans Voix de la vue (1952) et dans toutes les autres parties du recueil à travers des descriptions fondues à l’expression des sensations et des sentiments mais aussi à une méditation. On reconnaît là le traducteur de Bernard Noël dans l’importance donnée au regard par Fabio Scotto pour qui « voir est un acte ». Tous les sens sont évidemment sollicités dans sa poésie « écrite avec son corps » et qui joue sur les sonorités, la rythmique et la ponctuation autant que sur les images. La dimension picturale de certains poèmes relie souvent la poésie à l’art. Ainsi il n’est pas étonnant que deux parties du recueil correspondent à des livres d’artistes réalisés par Fabio Scotto avec Colette Deblé et Martine Chittofrati et que bien d’autres poèmes, au fil du recueil, évoquent la musique ou des tableaux. Dans Esquisses italiennes, par exemple, ouvrage paru en 2014, une suite rêveuse mais précise accompagne toute une série d’œuvres autour des hauts-lieux de Venise et de Rome. Elle témoigne de la sensibilité de l’auteur à « un visible » dont il faut soulever le voile pour accéder à l’invisible et à ses métamorphoses.

    « Qu’est-ce que le corps pour la lumière ?

    La vie jaillit d’or des eaux troubles

    Corde tendue sur l’abîme

    Elle se penche pieds nus

    l’air caresse ses jambes

    Et toi qui l’aperçois de loin

    de la fenêtre d’en face

    tu es de quel temps,

    de quelle galaxie,

    de quel vent ? » (« Église des Scalzi » in Esquisses italiennes).

    Ces quelques vers nous ramènent au thème principal du recueil et de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. C’est en effet la question de l’identité et de l’amour, compris aussi comme désamour, incommunicabilité et éloignement dont il est question et qui fait question.

    Chez Fabio Scotto, la quête inquiète, mais passionnée, de soi et de l’autre est à la source même de la vie et de l’écriture. Elle se heurte toujours à l’impossible qui se confond avec la perte, mais son possible se prolonge dans « un chant de disparition » comme dans la très belle septième partie, au titre évocateur, L’Ivre mort, publié en 2007. Ce chant emporte la barque de l’écriture, de rivière heureuse en fleuve des amers, avec son passager étreint par la même soif inapaisée et inapaisable de l’Un. Comment s’amarrer aux rives toujours fuyantes de l’amour et garder vifs le transport du corps et la plénitude de l’âme un jour vécus, si ce n’est en les posant dans « l’ivre livre » qui transcende la vie en une autre vie et donne à l’amour sa vraie lumière ? Pour le poète, la poésie est peut-être une tentative de réponse à l’énigme, une voie d’accès à cette « éternité » rêvée, « mer allée/avec le soleil » qu’évoquent Rimbaud et Le Livre de Mallarmé (Variations sur un sujet, 1895) mis en dialogue. Ainsi, au cours du recueil, nous assistons à une descente amoureuse et poétique qui est aussi une remontée, à des naissances qui sont aussi morts annonciatrices de renaissances. La séparation et la solitude, thèmes essentiels, y sont montrées natives car venant de la présence elle-même et retournant toujours à la présence. Cette présence rayonnante, souveraine, que la femme aimée, en ses multiples visages, dispense puis retire, renvoie l’homme à sa dépendance et au désespoir, avant que « le seuleil » et le « cercoeil », mots-valises du désastre, ne redeviennent simples vocables, seuil d’un nouveau soleil, à coup sûr celui de la langue.

    De la rencontre amoureuse, Fabio Scotto écrit avec lyrisme l’enchantement, l’ivresse des corps et la joie d’une fusion vécue à l’origine et réinventée, comme le fait la femme des lavis de Colette Deblé à qui Fabio Scotto donne voix dans les Haïkaï (Fragments du corps rouge) de 2007. La dimension érotique occupe une grande place dans ce recueil aux vers-blasons qui célèbrent la féminité et l’emportement du désir. « Les beaux yeux », « le paradis de chair » suscitent l’extase mais révèlent aussi une face sombre. À l’instar de Baudelaire et de certains surréalistes, le poète montre la femme capable de fausseté et d’adultère, pire encore, sujet de trahison et de cruauté. De l’adolescente « blonde aux yeux noirs », entrevue « un dimanche devant la gare », à la femme mûre « qui porte un secret dans ses viscères » et dont la danse est « sous les yeux des dieux », toutes, si elles font de l’amour charnel un zénith, si elles touchent « de leurs ailes » le cœur de l’homme et « émeuvent » son âme, se révèlent en même temps les figures du manque, de l’abandon et de « la chute ». Les amants, tour à tour « ange mortel » et « ange noir », finissent en « anges déchus ». Certes ils connaissent l’acmé mais, très vite aussi, le déchirement et l’absence. Le riche lexique autour du sang montre le poète martyrisé et agonisant, une fois l’aimée en allée et devenue inaccessible. Dans la dernière partie (L’À-venir), celle qui se cache derrière le « A. » de la dédicace « s’en va/sans tourner le dos » mais le laisse exsangue, « le froid aux os » et désespéré.

    L’« à-venir » serait-il désormais une béance, un vide à épouser pour celui, proie d’amours éphémères, qui ne tient dans ses mains que « le rien » ? L’amour, écrit Fabio Scotto, se réduit à « une chanson pour personne / et le reste est la cendre / que tu éteins sur la cendre » (« La douce blessure, La dolce feria » in Le Corps du sable, L’Amourier, 2006). La parole ne serait-elle alors que « le moyen de se multiplier dans le néant », comme l’écrit Paul Valéry (« Petite lettre sur les mythes », Variété II) cité par Fabio Scotto dans Le Corps écrivant. S’il n’y a pas de salut, et nulle consolation, l’homme perdu devient « le perdant », un naufragé sans identité et sans goût de vivre. Le « je » n’existe que dans le lien au « tu », au « on » ou au « nous » vécus dans le face-à-face intime et, nous l’avons vu aussi, dans le partage d’un destin collectif qui nous lie. Si, dans la relation, l’un est exclu ou nié, l’autre est renvoyé à une sorte de non-être. Le déroulé de regards, de sentiments et de pensées qu’offre le recueil dresse en filigrane un portrait du poète. Ainsi l’apparition de la silhouette de Guido Morselli, écrivain méconnu de Varèse, « traversant la place du Marché / déjà déserte / à six heures du soir », au début du recueil (« Varèse », Cahier préalpin), est suivie de l’identification ironique au cygne de Caldé qui meurt « du plomb dans l’aile ». Ces signes d’un état intérieur mettent à nu une déréliction exprimée aussi par la finale verlainienne de « Luino » (Cahier préalpin) :

    « La vie est manque

    j’aime son absence

    J’attends la pluie ».

    Et cette dernière, à la mélancolie assumée, arrive même à « effacer » jusqu’aux mots du poète emportés par « le vent ».

    La vie, ce réel auquel chacun se confronte, nous déborde toujours, telle est la leçon du recueil. La voix qui y chante nous apprend son mystère indépassable et notre exil : dans l’amour, le plus proche est toujours déjà le plus lointain, mais sa rencontre nous constitue. Après la joie, la disparition laisse au sillage des jours l’a-joie, sa plaie jamais cicatrisée. Le temps s’acharne, c’est vrai, à nous dépouiller, multipliant les défaites et les deuils. En emportant les aimés, il laisse dans un silence où chacun se tient seul comme devant la mort. La félicité « que je croyais atteindre » reste insaisissable, écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, et Fabio Scotto ne le démentirait pas. La séparation, comme l’adieu, est le lot de chacun, qui doit trouver en soi les ressources pour continuer. Le poète de La Peau de l’eau, ami de Tardieu, de Bonnefoy, de Noël et de tant d’autres, pose dans ce recueil les pourquoi et les comment qui nous taraudent. Au bord de l’abîme, lui-même rongé de révoltes, de chagrins et de doutes, assiégé par la désespérance, il ne livre pas de réponse. Mais il garde encore, par-delà ses morts et la mort, le geste d’écrire qui donne son tremblé à la vie. Au terme de cette traversée, le dernier poème du recueil apaise sans la nier la blessure inguérissable avec le mot de « pitié » dont a tant besoin l’humain. Et l’arbre contre lequel s’adosse celui qui prononce ce mot, debout entre terre et ciel, transfuse en sa voix la sève : le poème est bien « l’amour réalisé du désir demeuré désir » (René Char, Fureur et mystère, 1948).



    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes







    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Pierre Dhainaut, Après
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)






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  • Fabio Scotto | Venezia — San Giorgio-Angelo


    VENEZIA — SAN GIORGIO-ANGELO




    Si dice che siano « custodi »
    che ascoltino i nostri pianti
    Innàlzati pure
    Vola via da me
    Tuo il cielo
    Le sue grandi nubi
    Mia la terra
    il suo nero fango che fuggi
    che prosciughi
    Ora che sento l’odore del prato
    dopo la pioggia
    E sono in piedi nella mia vita
    Esisto e resisto







    VENISE — SAN GIORGIO-ANGE




    On les dit « gardiens »
    à l’écoute de nos pleurs
    Alors lève-toi
    Envole-toi loin de moi
    À toi le ciel
    Ses grands nuages
    À moi la terre
    sa boue noire que tu fuis
    que tu assèches
    Maintenant je sens le parfum du pré
    après la pluie
    Et je suis debout dans ma vie
    J’existe et résiste





    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, poèmes français (1989-2019), éditions La Passe du vent, 2020, pp. 128-129. Poème traduit de l’italien par l’auteur en collaboration avec Sylvie Fabre G.






    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Mario Luzi | Cahier gothique, VII



    QUADERNO GOTICO, VII




    Era una viva attesa che raggiava
    in te paura e tremito ed in me
    sensibile delizia d’inoltrarmi
    fra gli alberi, di bere alle fontane.
    Il barbaglio delle acque vaghe, il cielo,
    le ombre quiete nell’aria animata,
    anche il vento moveva in me il sorriso.

    Era la stessa febbre che ci estrania
    rapidamente dai morti e ci svia
    mentre restano soli fra le torce
    nell’immane fatica di scavarsi
    la strada fra le rocce d’ombra, stanchi
    e intenti a penetrare fino al fondo.
    Ne vedesti il profilo aguzzo, accanto
    riposano le mani estenuate.







    CAHIER GOTHIQUE, VII




    C’était une attente vive qui irradiait
    en toi crainte et tremblement et en moi
    le délice sensible de m’avancer
    entre les arbres, de boire aux fontaines.
    L’éblouissement des eaux errantes, le ciel,
    les ombres calmes dans l’air animé,
    même le vent suscitait en moi le sourire.

    C’était la même fièvre qui nous exile
    rapidement des morts et nous détourne
    tandis qu’ils restent seuls parmi les torches
    dans l’énorme labeur de se creuser
    une route parmi les roches d’ombre, las
    et attentifs à pénétrer jusqu’au fond.
    Tu en vis le profil acéré, tout près
    les mains exténuées reposent.




    Mario Luzi, Cahier gothique (1945), in Cahier gothique précédé de Une libation, édition bilingue, éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1989, pp. 116-117. Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson.





    Luzi  Cahier gothique montage





    MARIO LUZI


    Mario Luzi Guidu 2
    Image, G.AdC






    ■ Mario Luzi
    sur Terres de femmes


    Diana, risveglio (poème extrait d’Une libation)
    Dove l’ombra (autre poème extrait d’Une libation)
    En mer (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Il pensiero fluttuante della felicità (autre poème extrait de L’Incessante Origine)
    Nature (poème extrait de La Barque)
    Près de la reine de Saba (note de lecture sur Trames + extrait)
    Primitiales (note sur Prémices du désert)
    Quanta vita (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Stupore d’ultramattutina luce (poème extrait de Caravane)
    [Vita o sogno ?]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’encyclopédie Treccani)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Mario Luzi
    → (sur le site des éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Mario Luzi
    le site du Centro Studi Mario Luzi La Barca
    → (sur cairn.info)
    La poétique comparatiste de Mario Luzi, par Jean-Yves Masson






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  • Giuseppe Conte | [La beauté est le polythéisme]


    [LA BEAUTÉ EST LE POLYTHÉISME]




    La beauté délivre de la violence et de l’angoisse ; elle rénove la vie et le savoir. Elle n’est pas superflue. Elle est le don, la forme, la grâce, la lumière, le plaisir, le mouvement même de la vie en acte. Elle n’est la propriété d’aucune classe sociale. Nul ne pourra jamais la réquisitionner : le vieux docker qui soulève amoureusement avec son treuil le filet de la pêcherie, ou qui regarde amoureusement à contre-jour la rouge splendeur de son verre de bordeaux le sait : il sait encore parler avec le dieu de la mer et avec celui de l’ivresse.

    La beauté est le polythéisme : des choses qui exhalent, venu de loin, un souffle divin.






    [LA BELLEZZA E IL POLITEISMO]




    La bellezza redime dalla violenza e dall’angoscia : rinnova la vita e il sapere. Non è superflua. È il dono, la forma, la grazia, la luce, il piacere, il movimento stesso della vita vivente. Non appartiene a nessuna classe sociale. Nessuno la potrà mai requisire : il vecchio dockers che con l’argano solleva amorosamente la rete della pêcherie, o che amorosamente guarda controluce il rosso splendente del suo bicchiere di bordeaux lo sa : sa ancora parlare con il dio del mare e con quello dell’ebbrezza.

    E la bellezza è il politeismo : cose che soffiano un lontano soffio divino.



    Giuseppe Conte, Le Manuscrit de Saint-Nazaire, M.E.E.T, Arcane 17, Saint-Nazaire, 1989, pp. 30, 63. Traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para. En appendice, un entretien de l’auteur avec Bernard Bretonnière.






    Giuseppe Conte  Le Manuscrit de Saint-Nazaire




    GIUSEPPE  CONTE


    Giuseppe_conte
    Source




    ■ Giuseppe Conte
    sur Terres de femmes


    Alle origini (poème extrait de Dialogo del poeta e del messaggero)
    Mer qui chante comme les cigales (poème extrait de Non finirò di scrivere sul mare)
    [Archéologue de mes jours] (poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    Je retourne où déjà j’ai été (autre poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    [Sur les coquelicots] (autre poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    Il poeta [poème extrait des Saisons] (+ notice bio-bibliographique)
    Proserpine (autre poème extrait des Saisons)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la MEET, Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs)
    un autre extrait du Manuscrit de Saint-Nazaire
    → (sur Pangea, rivista avventuriera di cultura & idee)
    Giuseppe Conte, il Walt Whitman della nostra letteratura (marzo 25, 2020)





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  • Giorgio Caproni | Lasciando Loco



    LASCIANDO LOCO
    (1972)




    Sono partiti tutti.
    Hanno spento la luce,
    Chiuso la porta, e tutti
    (Tutti) se ne sono andati
    Uno dopo l’altro.

    Soli,
    Sono rimasti gli alberi
    E il ponte, l’acqua
    Che canta ancora, e i tavoli
    Della locanda ancora
    Sgombri – il deserto,
    La lampadina a carbone
    Lasciata accesa nel sole
    Sopra il deserto.

    E io,
    Io allora, qui,
    Io cosa rimango a fare,
    Qui dove perfino Dio
    Se n’è andato di chiesa,
    Dove perfino il guardiano
    Del camposanto (uno
    Dei compagnoni più gai
    E savi) ha abbandonato
    Il cancello, e ormai
    — Di tanti — non c’è più nessuno
    Col quale amorosamente
    Poter altercare ?



    Giorgio Caproni, Tema con variazioni, Il muro della terra (1964-1975), in Tutte le Poesie, Garzanti, I grandi libri, Milano, 2016, pagina 365.







    EN QUITTANT LOCO



    Ils sont tous partis.
    Ils ont éteint la lumière,
    Fermé la porte, et tous
    (Tous) s’en sont allés
    L’un après l’autre.

    Seuls
    Sont restés les arbres
    Et le pont, l’eau
    Qui chante encore, et les tables
    De l’auberge encore,
    Encombrées — le désert,
    La petite ampoule à carbone
    Qu’on a laissée allumée dans le soleil
    Au-dessus du désert.

    Et moi,
    Moi alors,
    Je reste ici pour quoi faire,
    Ici où même Dieu
    S’en est allé de l’église,
    Où même le gardien
    Du cimetière (un
    Des bons vivants les plus gais
    Et sages) a quitté
    La grille, où désormais
    — d’eux tous — il n’y en a plus aucun
    Avec lequel amoureusement
    Je puisse me quereller ?



    Giorgio Caproni, Poesie 1932-1986 in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 1360-1363. Traduction de Philippe Renard et Bernard Simeone.




    __________________________
    NOTE d’AP : Loco est des hameaux de Rovegno (au nord de Gênes, dans la vallée de la Trébie), où Giorgio Caproni a longtemps enseigné, et où il a fait la connaissance de celle qui, en 1937, est devenue son épouse, Rina Rettagliata.




    GIORGIO CAPRONI


    Portrait_de_Giorgio_Caproni
    Image, G.AdC




    ■ Giorgio Caproni
    sur Terres de femmes

    7 janvier 1912 | Naissance de Giorgio Caproni
    Giorgio Caproni | Quando ti vidi accesa



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une page consacrée à Giorgio Caproni
    → (sur le site de la Rai.tv)
    Giorgio Caproni – La poesia ?






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  • Valerio Magrelli | [ne rien avoir à écrire]



    [NON AVERE DA SCRIVERE NULLA]



    Non avere da scrivere nulla
    dà quella pena infantile, infinita,
    di chi non trova alloggio
    in un paese straniero.
    Si cerca ovunque,
    ogni posto è già occupato,
    provate altrove e intanto
    si fa tardi e non c’è verso.
    Dove andremo a dormire?






    [NE RIEN AVOIR À ÉCRIRE]



    Ne rien avoir à écrire
    procure cette peine enfantine, infinie,
    de qui ne trouve pas à se loger
    en terre étrangère.
    On cherche partout,
    tout est déjà occupé,
    essayez ailleurs, cependant
    il se fait tard, rien à vers.
    Où irons-nous dormir ?




    Valerio Magrelli, Natures et signatures (Nature e venature, Mondadori, 1987  Einaudi Editore, 1996), Éditions Le temps qu’il fait, 1998, pp. 150-151. Traduit de l’italien et préfacé par Bernard Simeone.







    Natures et signatures 2







    [NE RIEN AVOIR À ÉCRIRE]



    Ne rien avoir à écrire
    donne cette douleur enfantine, infinie
    de qui ne trouve à se loger
    dans un pays étranger.
    On cherche partout,
    tous les lits sont déjà pris,
    essayez ailleurs, pourtant
    il se fait tard, rien à vers.
    Où irons-nous dormir ?




    Valerio Magrelli, La Contagion de la matière, Les Cahiers de Royaumont, 1989, page 28. Traduction collective, Royaumont, relue et préfacée par Bernard Noël.




    VALERIO MAGRELLI


    Valerio Magrelli




    ■ Valerio Magrelli
    sur Terres de femmes

    Aequator lentis
    Rima palpebralis




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de Cheyne éditeur)
    la page consacrée à Valerio Magrelli
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    une page consacrée à Valerio Magrelli
    → (sur Poetry International Rotterdam)
    une page bio-bibliographique et de nombreux poèmes
    → (sur Italian Poetry)
    trente poésies de Valerio Magrelli
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Valerio Magrelli dits par l’auteur
    → (sur Circolo Culturale Albatross)
    un dossier sur Valerio Magrelli
    → (sur Mosaici, St. Andrews Journal of Italian Poetry)
    un entretien de Valerio Magrelli avec Federico Bindi
    → (sur YouTube)
    une vidéo sur une rencontre entre Margherita Guidacci et Valerio Magrelli (10 mars 1989)





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  • Novella Cantarutti | Lûs davourj



    Libouton
    Source







    LÛS DAVOURJ



    Discori sui lens
    di fueis e cimi’
    ch’a si disviéstin,
    e ai coventa
    la lûs davourj
    par ch’a si scrivi
    sul ceil.
    Cussì
    al comparìs il jessi
    di nô ch’j passàn
    tal mont
    denant ch’a si distengi
    la lûs.






    CONTROLUCE



    Discorso, sugli alberi,
    di foglie e di rami
    che si snudano
    e cercano
    un campo di luce
    per disegnarsi
    contro il cielo.
    Così appare il nostro essere
    mentre passiamo
    nel mondo,
    prima che declini
    la luce.



    (traduit en italien par Novella Cantarutti)






    À CONTRE-JOUR



    C’est un dialogue
    de feuilles et de branches,
    dans les arbres
    qui se dénudent
    à la recherche
    d’un espace lumineux
    pour se confronter au ciel.
    Ainsi se révèle notre vie
    tandis que nous passons
    dans le monde,
    avant que ne s’évanouisse
    la lumière.




    Novella Cantarutti, In polvara e rosa, Udine, Arti Grafiche Friulane, 1989, in revue Fario n°12, 2013, pp. 135-136. Traduit par Serge Airoldi.





    ________________________________
    NOTE d’AP : ce poème a fait l’objet d’un portfolio édité par Federico Santini et publié à Udine en décembre 2010 par le Museo Etnografico del Friuli. Outre le poème « Lûs davourj », il contient deux gravures de Livio Ceschin : « Il ritratto di Novella » et « Paesaggio friulano ».






    Fario





    NOVELLA CANTARUTTI


    001-novella-a-frisanco-1994
    Ph. Danilo De Marco
    Source




    Née en 1920 à Spilimberc (Spilimbergo, province de Pordenone – Friuli-Venezia Giulia), Novella Cantarutti (morte à Udine le 20 septembre 2009) écrivait prose et poésie en frioulan (parler de Navarons [Val Meduna], un village proche de son village natal).



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site San Giorgio Insieme)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Novella Cantarutti






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