Étiquette : 1994


  • Marie-Claire Bancquart | Ressac



    Photographies mêlées
    « les photographies mêlées parlent de notre vie »
    Ph., G.AdC









    RESSAC




    Déjà nous avons quitté plusieurs maisons
    avec leurs chambres agencées peu à peu,
    amoureusement aurait-on dit.

    Aujourd’hui nous trions des papiers anciens
    et les photographies mêlées parlent de notre vie
    brève, mûrie trop tôt entre des angles tapissés
    et ces coins d’herbe mal aimés dans les villes.


    Autour, des amitiés perdues, des souffles retournés au vent.

    Le ressac d’une pauvre fête
    laisse des objets dépareillés sur notre rivage.

    Nous envions les bêtes immobiles des prés,
    ou nos chats, pour qui un dessus-de-lit est immense.




    Marie-Claire Bancquart, « Comme des oiseaux lestés aux pattes », Dans le feuilletage de la terre [éditions Belfond, 1994], in Terre énergumène et autres poèmes, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, page 77. Préface d’Aude Préta-de Beaufort.







    Bancquart montage 2





    MARIE-CLAIRE BANCQUART


    Marie-Claire Bancquart
    Image, G.AdC





    ■ Marie-Claire Bancquart
    sur Terres de femmes


    Intervalle (poème extrait d’Avec la mort, quartier d’orange entre les dents)
    Buis
    Liturgique (poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    [Ces gants anciens] (poème extrait de De l’improbable)
    [Habiter l’herbe et le trèfle] (poème extrait de Figures de la Terre)
    Figures de la Terre (lecture d’AP)
    Impostures (lecture d’AP)
    [Comment vivre dans une maison sans jardin] (poème extrait de Qui vient de loin)
    [Qu’avez-vous fait] (poème extrait de Terre énergumène)
    [Il y a du jeu] (poème extrait de Tracé du vivant)
    [Une ville aimée luit et crie] (autre poème extrait de Tracé du vivant)
    [Toi, l’herbe] (poème extrait de Violente vie)
    Violente vie (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    En Angleterre (poème inédit)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    portrait de Marie-Claire Bancquart (+ un poème issu du recueil La Mort, quartier d’orange entre les dents)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel de Marie-Claire Bancquart





    Retour au répertoire du numéro de mai 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Torquato Tasso | Tacciono i boschi e i fiumi



    Batista-Dossi-Allégorie-de-la-nuit
    Battista Dossi, Allégorie de la Nuit, vers 1543-1544
    Huile sur toile, 82 x 149,5 cm
    Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemäldegalerie








    TACCIONO I BOSCHI E I FIUMI



    Tacciono i boschi e i fiumi,
    E ’l mar senza onda giace,
    Ne le spelonche i venti han tregua e pace,
    E ne la notte bruna
    Alto silenzio fa la bianca luna ;
    E noi tegnamo ascose
    Le dolcezze amorose.
    Amor non parli o spiri,
    Sien muti i baci e muti i miei sospiri.







    SE TAISENT BOIS ET FLEUVES



    Se taisent bois et fleuves,
    Et la mer sans vague repose ;
    Dans leurs grottes, les vents connaissent paix et trêve
    Et dans la nuit brune,
    La lune blanche répand son grand silence ;
    Et nous deux tenons secrètes
    Nos cajoleries amoureuses :
    Qu’Amour ne parle ni ne souffle,
    Muets soient nos baisers et muets mes soupirs.




    Torquato Tasso, Rimes, in Anthologie de la poésie italienne, édition établie par Danielle Boillet, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 788-789. D’après une traduction d’André Rochon.




    TORQUATO  TASSO


    Alessandro Allori   Portrait of Torquato Tasso 1585-90
    Alessandro Allori (1535-1607),
    Portrait de Torquato Tasso, 1585-90
    Huile sur toile,
    Galleria degli Uffizi, Florence





    ■ Torquato Tasso
    sur Terres de femmes


    Comment l’amour vient aux bergers et bergères
    Di nettare amoroso




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    15 mai 1567 | Naissance de Claudio Monteverdi (+ « Ecco mormomar l’onde » de Torquato Tasso)
    → (sur YouTube)
    « Tacciono i boschi e i fiumi » de Torquato Tasso dit par Sergio Carlacchiani





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2020
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Patrizia Valduga | [Il cuore sanguina]



    [IL CUORE SANGUINA]




    Il cuore sanguina, si perde il cuore
    goccia a goccia, si piange interiormente,
    goccia a goccia, cosí, senza rumore,
    e lentamente, tanto lentamente,
    si perde goccia a goccia tutto il cuore
    è il pianto resta qui, dentro la mente,
    non si piange dagli occhi, il pianto vero
    è invisibile, qui, dentro il pensiero.




    Patrizia Valduga, Requiem, XV (Marsílio, 1994 ; Giulio Einaudi editore, Collezione di poesia 311, 2002, pagina 19), in Dopo la lirica, Poeti italiani 1960-2000, a cura di Enrico Testa, Giulio Einaudi editore, 2005, pagina 349.








    [LE CŒUR SAIGNE]




    Le cœur saigne, le cœur se perd
    goutte à goutte, on pleure intérieurement,
    goutte à goutte, ainsi, sans bruit,
    et lentement, si lentement,
    goutte à goutte le cœur se perd tout entier
    et les larmes restent ici, au-dedans de l’esprit,
    on ne pleure pas avec les yeux, les vraies larmes
    sont invisibles, ici, au-dedans de la pensée.



    Traduction inédite d’Angèle Paoli






    PATRIZIA VALDUGA


    Patrizia_valduga
    Source




    Née le 20 mai 1953 à Castelfranco Veneto (Treviso), Patrizia Valduga vit aujourd’hui à Milan. Traductrice de John Donne, Molière, Crébillon fils, Mallarmé, Valéry, Shakespeare, Kantor, Céline, Cocteau… elle dirige durant un an la revue Poesia (1988). Elle est l’auteur d’un nombre important de recueils : Medicamenta (Guanda, 1982), Medicamenta e altri medicamenta (Einaudi, 1989), Donna di dolori (Mondadori, 1991), Requiem (Marsílio, 1994), Corsia degli incurabili (Garzanti, 1996), Cento quartine e altre storie d’amore (Einaudi, 1997), Prima antologia (Einaudi, 1998), Quartine. Seconda centuria (Einaudi, 2001), Lezione d’amore (Einaudi, 2004), Il libro delle laudi (Einaudi, 2012).

    « L’œuvre poétique de Patrizia Valduga frappe par le contraste que forme une thématique d’une extrême violence, qui tend à leur point de rupture les pôles d’Eros et de Thanatos dans une atmosphère de passion funèbre, et un très grand raffinement dans le choix des formes classiques dont la rigueur rehausse la violence du poème : tercet dantesque, quatrain, mais aussi huitain ou sonnet. La violence charnelle, la dégradation et l’obscène sont contenus dans un corset de formes pures et traditionnelles qui rappellent à la fois les protocoles sadiens, la dépense de Bataille, Les Lois de l’hospitalité et, plus encore, les œuvres récentes de Bernard Noël ou de Franck Venaille… » (Martin Rueff, in Po&sie, n° 110, « 1975-2004 | 30 ans de poésie italienne », 2, Belin, 2005, page 357).





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2015
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Giorgio Caproni | Lasciando Loco



    LASCIANDO LOCO
    (1972)




    Sono partiti tutti.
    Hanno spento la luce,
    Chiuso la porta, e tutti
    (Tutti) se ne sono andati
    Uno dopo l’altro.

    Soli,
    Sono rimasti gli alberi
    E il ponte, l’acqua
    Che canta ancora, e i tavoli
    Della locanda ancora
    Sgombri – il deserto,
    La lampadina a carbone
    Lasciata accesa nel sole
    Sopra il deserto.

    E io,
    Io allora, qui,
    Io cosa rimango a fare,
    Qui dove perfino Dio
    Se n’è andato di chiesa,
    Dove perfino il guardiano
    Del camposanto (uno
    Dei compagnoni più gai
    E savi) ha abbandonato
    Il cancello, e ormai
    — Di tanti — non c’è più nessuno
    Col quale amorosamente
    Poter altercare ?



    Giorgio Caproni, Tema con variazioni, Il muro della terra (1964-1975), in Tutte le Poesie, Garzanti, I grandi libri, Milano, 2016, pagina 365.







    EN QUITTANT LOCO



    Ils sont tous partis.
    Ils ont éteint la lumière,
    Fermé la porte, et tous
    (Tous) s’en sont allés
    L’un après l’autre.

    Seuls
    Sont restés les arbres
    Et le pont, l’eau
    Qui chante encore, et les tables
    De l’auberge encore,
    Encombrées — le désert,
    La petite ampoule à carbone
    Qu’on a laissée allumée dans le soleil
    Au-dessus du désert.

    Et moi,
    Moi alors,
    Je reste ici pour quoi faire,
    Ici où même Dieu
    S’en est allé de l’église,
    Où même le gardien
    Du cimetière (un
    Des bons vivants les plus gais
    Et sages) a quitté
    La grille, où désormais
    — d’eux tous — il n’y en a plus aucun
    Avec lequel amoureusement
    Je puisse me quereller ?



    Giorgio Caproni, Poesie 1932-1986 in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 1360-1363. Traduction de Philippe Renard et Bernard Simeone.




    __________________________
    NOTE d’AP : Loco est des hameaux de Rovegno (au nord de Gênes, dans la vallée de la Trébie), où Giorgio Caproni a longtemps enseigné, et où il a fait la connaissance de celle qui, en 1937, est devenue son épouse, Rina Rettagliata.




    GIORGIO CAPRONI


    Portrait_de_Giorgio_Caproni
    Image, G.AdC




    ■ Giorgio Caproni
    sur Terres de femmes

    7 janvier 1912 | Naissance de Giorgio Caproni
    Giorgio Caproni | Quando ti vidi accesa



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une page consacrée à Giorgio Caproni
    → (sur le site de la Rai.tv)
    Giorgio Caproni – La poesia ?






    Retour au répertoire du numéro de janvier 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Maria Luisa Spaziani | Parapsicologia



    Maria Luisa Spaziani G
    Image, G.AdC







    PARAPSICOLOGIA


    I


    La fiamma non fu uguale a un’altra fiamma,
    dicono, mai dall’ aurora dei tempi.
    E anche questo mare che ora senti
    ruggire e sospirare, ha sempre suoni
    diversi e altri fregi di correnti.
    Ma se un messaggio più lontano cerchi,
    un senso nuovo invéntati, fa’ come
    i condor, le formiche, le veggenti :
    sintonízzati a ciò che nel creato
    segretamente si è inciso e raccolto,
    créati l’occhio interno, e sopra il folto
    gioco di azzurri coglierai lamenti
    delle Sirene un tempo qui all’agguato,
    e triremi fenicie e gozzi turchi
    e Caronte che rema dannato.



    Maria Luisa Spaziani, Transito con catene (1977), in Poesie 1954-2006, Arnoldo Mondadori editore, edizione Oscar Poesia del Novecento, dicembre 2010, p. 151.







    PARAPSYCHOLOGIE


    I


    Une flamme ne ressemble pas à l’autre flamme,
    dit-on, depuis l’aurore des siècles.
    Et même cette mer qu’à présent tu entends
    rugir et soupirer, à l’infini possède
    des sons et festonne ses courants.
    Mais si tu cherches au-delà un message,
    invente pour toi un sens nouveau, imite
    les condors, les fourmis, les voyantes :
    règle tes ondes sur l’univers secret
    avec ce qui s’y grave et s’y dépose,
    crée ton œil intérieur, et par-dessus l’épais
    jeu des flots bleus tu percevras les plaintes
    de Sirènes ici jadis aux aguets,
    trirèmes phéniciennes, tartanes turques,
    et Charon qui s’acharne en forçat aux pagaies.



    Maria Luisa Spaziani, Chaînes obligatoires in Jardin d’été Palais d’hiver, Choix de poèmes 1954-1992, édition bilingue, Mercure de France, 1994, pp. 86-87. Traduction de l’italien par Patrice Dyerval Angelini. Avant-propos d’Yves Bonnefoy.







    MARIA LUISA SPAZIANI


    Maria-Luisa-Spaziani
    Source



    ■ Maria Luisa Spaziani
    sur Terres de femmes

    Notte marina (poème extrait de Geometria del disordine, + une notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur repubblica.it)
    une notice nécrologique sur Maria Luisa Spaziani
    → (sur rainews.it)
    une interview (en italien) de Maria Luisa Spaziani par Luigia Sorrentino (mai 2011)





    Retour au répertoire du numéro d’août 2014
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Nuno Júdice | Deus




    Un point qui brille
    Ph., G.AdC








    DEUS




    À noite, há um ponto do corredor
    em que um brilho ocasional faz lembrar
    um pirilampo. Inclino-me para o apanhar
    — e a sombra apaga-o. Então,
    levanto-me: já sem a preocupação
    de saber o que é esse brilho, ou
    do que é reflexo.
    Ali, no entanto, ficou
    uma inquietação; e muito tempo depois,
    sem me dar conta do motivo autêntico,
    ainda me volto no corredor, procurando a luz
    que já não existe.




    Nuno Júdice, Meditação sobre Ruínas, Quetzal editores, Coleção Poesia, 1994 ; Edição/reimpressão 1999.







    DIEU




    La nuit, il y a dans le couloir
    un point qui brille comme
    un ver luisant. Je me penche pour le saisir
    — et l’ombre l’efface. Alors,
    je me lève : déjà sans la préoccupation
    de savoir ce qu’est cette lueur, ou
    de quoi elle est le reflet.
    Là, cependant, persiste
    une inquiétude ; et longtemps après,
    sans me rendre compte du vrai motif,
    je retourne dans le couloir, cherchant la lumière
    qui n’existe plus.




    Nuno Júdice, Méditations sur des ruines in Un chant dans l’épaisseur du temps, suivi de Méditations sur des ruines, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1996, réimp. 2001, page 144. Traduit du portugais par Michel Chandeigne.





    NUNO JÚDICE


    Nuno_judice1
    Source




    ■ Nuno Júdice
    sur Terres de femmes

    Désir (poème extrait de Geometria Variável)
    Lisboaxaca (poème extrait de Guia de Conceitos Básicos)
    Semiología (poème extrait de o movimento do mundo)
    Un thé dans la véranda (poème extrait de Naviguer à vue)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur BiblioMonde)
    une notice bio-bibliographique sur Nuno Júdice
    → (sur Recours au poème)
    cinq poèmes de Nuno Júdice
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une page sur Nuno Júdice
    → (sur lepetitjournal.com )
    un portrait de Nuno Júdice
    → (sur le site de la Fondation Calouste Gulbenkian)
    une bio-bibliographie (en portugais) de Nuno Júdice
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Nuno Júdice dits par l’auteur





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 24 septembre 1943 | Naissance d’Antonio Tabucchi

    Éphéméride culturelle à rebours



    Né à Pise le 24 septembre 1943, Antonio Tabucchi est mort à Lisbonne le 25 mars 2012.



    Passionné par le Portugal (il a traduit l’œuvre intégrale de Fernando Pessoa), Antonio Tabucchi a navigué toute sa vie entre Lisbonne et l’Italie où il a enseigné (à partir de 1973) la langue et la littérature portugaise (Université de Gênes, puis de Sienne).

        Récompensé par de nombreux prix, Antonio Tabucchi a connu un très beau succès de librairie en 1994 avec Sostiene Pereira (Pereira prétend, 1995). Le héros du roman, inspiré par Pessoa, l’auteur aux multiples visages, a été incarné à l’écran par Marcello Mastroianni, dans un film de Roberto Faenza (1995).








    Tabucchi
    Image, G.AdC






    EXTRAIT de PEREIRA PRÉTEND



    Pereira sortit de sa rêverie quand il passa devant Santo Amaro. C’était une belle plage incurvée et on voyait les cabines de toile à bandes blanches et azur. Le train s’arrêta et Pereira eut l’idée de descendre et d’aller se baigner, de toute façon il pouvait prendre le train suivant. Ce fut plus fort que lui. Pereira ne saurait dire pourquoi il ressentit cet élan, peut-être parce qu’il avait pensé à l’époque de Coimbra et aux bains à la Granja. Il descendit avec sa petite valise et traversa le passage souterrain qui conduisait à la plage. Quand il arriva sur le sable, il enleva ses souliers et ses chaussettes et avança ainsi, tenant d’une main la valise et de l’autre les chaussures. Il vit tout de suite le maître-nageur, un jeune homme bronzé qui surveillait les baigneurs, étendu sur un transat. Pereira s’approcha et lui dit qu’il voulait louer un costume de bain et un vestiaire. Le maître-nageur le détailla de la tête aux pieds, d’un air narquois, et murmura : je ne sais pas si nous avons un costume à votre taille, quoi qu’il en soit je vous donne la clé du magasin, vous verrez, c’est la cabine la plus grande, le numéro un. Puis il demanda d’un air qui sembla ironique à Pereira : vous avez aussi besoin d’une bouée ? Je sais très bien nager, répondit Pereira, peut-être beaucoup mieux que vous, ne vous en faites pas. Il prit la clé du magasin et celle du vestiaire et s’en alla. Dans le magasin, il y avait un peu de tout : des bouées, des brassières gonflables, un filet de pêche couvert de flotteurs, des costumes de bain. Il fouilla dans les costumes de bain pour voir s’il en trouvait un à l’ancienne, ceux entiers, de façon à couvrir aussi le ventre. Il réussit à en trouver un et le passa. Il lui était un peu serré et c’était de la laine, mais il ne trouva pas mieux. Il déposa sa valise et ses habits dans le vestiaire, puis traversa la plage. Au bord de l’eau se trouvait un groupe de jeunes gens qui jouaient au ballon et Pereira les évita. Il entra calmement dans la mer, tout doucement, laissant le froid l’envelopper petit à petit. Puis, quand l’eau lui arriva au nombril, il plongea et se mit à nager un crawl lent et cadencé. Il nagea longuement, jusqu’aux bouées. Quand il s’accrocha à la bouée de sauvetage, il sentit qu’il était à bout de souffle et que son cœur battait beaucoup trop fort. Je suis fou, pensa-t-il, cela fait une éternité que je ne nage plus, et je me jette ainsi à l’eau, comme un sportif. Il se reposa, accroché à la bouée, puis il fit la planche. Le ciel au-dessus de lui était d’un azur féroce. Pereira reprit son souffle et rentra calmement, à brassées lentes. Il passa devant le maître-nageur et voulut se donner satisfaction. Comme vous l’avez constaté, je n’ai pas eu besoin de bouée, dit-il, quand passe le prochain train pour Estoril ? Le maître-nageur consulta l’horloge. Dans un quart d’heure, répondit-il. Très bien, dit Pereira, alors rejoignez-moi, je vais me rhabiller et je voudrais vous payer, car je n’ai pas beaucoup de temps. Il se rhabilla dans le vestiaire, sortit, paya le maître-nageur, donna un coup de peigne au peu de cheveux qui lui restaient avec un petit peigne qu’il avait dans son portefeuille et il salua. Au revoir, dit-il, et surveillez ces jeunes gens qui jouent au ballon, d’après moi ils ne savent pas nager, et ils dérangent les baigneurs.

    Il traversa le passage souterrain et s’assit sur un banc de pierre, sous la marquise. Il entendit arriver le train et regarda l’horloge. Il était tard, pensa-t-il, sans doute l’attendait-on pour le déjeuner à la clinique de thalassothérapie, parce que dans les cliniques on mange tôt. Il pensa : tant pis. Mais il se sentait bien, il se sentit détendu et frais, tandis que le train arrivait en gare, et puis, pour la clinique de thalassothérapie, il avait tout le temps, il allait y rester au moins une semaine, prétend Pereira…



    Antonio Tabucchi, Pereira prétend [Sostiene Pereira, Feltrinelli editore, 1994], Christian Bourgois éditeur, 1995, pp. 108-109-110. Traduit de l’italien par Bernard Comment.





    ■ Antonio Tabucchi
    sur Terres de femmes

    Antonio Tabucchi | Rêve de Giacomo Leopardi, poète et lunatique



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site ina.fr)
    entretien d’Antonio Tabucchi avec Laure Adler (20 janvier 1998)





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2008
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes