Étiquette : 1995


  • Alda Merini, La Folle de la porte à côté

    par Angèle Paoli

    Alda Merini, La Folle de la porte à côté
    (La pazza della porta accanto, Bompiani, 1995),
    suivi de La poussière qui fait voler,
    conversation avec Alda Merini,
    éditions Arfuyen, Collection « Les Vies imaginaires », 2020.
    Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Alda Merini  portrait Guidu
    Image, G.AdC







    « LA GRANDE OBSESSION DES MOTS »





    « J’ai toujours écrit dans un état somnambulique », affirme Alda Merini dans La Folle de la porte à côté. Entre éveil et sommeil ? Sous l’emprise des drogues ? Ou de la douleur ? Sans doute. Mais peut-être aussi sous l’emprise d’un état inné d’exaltation permanent. La parole d’Alda Merini, ombrée par les volutes de fumée de ses cigarettes Marlboro, est celle d’une pythie.

    Foncièrement rebelle, contradictoire, survoltée, oscillant entre l’appel de la vie conventuelle et les fulgurances amoureuses, la poète milanaise proclame haut et fort ce qui lui tient à cœur et ce qu’elle pense. Cruelle, violente, passionnée, l’infatigable Alda Merini s’insurge. Contre la misère, contre la folie, la sienne et celle des autres, contre les convenances et les paillettes imposées par une société qui refuse les antagonismes, qui impose à chacun des voies uniques, des surfaces lisses et planes. Des itinéraires dont la Merini n’a que faire et auxquels elle ne se plie pas. Dans le récit intime qu’elle livre en 1995 — La pazza della porta accanto, Bompiani, Milan (La Folle de la porte à côté) — l’effrontée de soixante-quatre ans présente d’elle un portrait lucide, authentique, dérangeant. Émouvant et drôle. Plein d’humour et d’invectives ! Celui d’une femme débordante. Au physique et au moral. Une femme hors norme. Alda Merini est insaisissable. Insaisissable le personnage qui s’émeut, se défend, accuse, s’insurge. Insaisissable aussi l’écriture, qui demeure souvent énigmatique et échappe à une classification immédiate. Ainsi la poète se tient-elle à l’écart de toute tentative d’enfermement. « Je ne suis pas une femme domesticable », écrit-elle dans Aphorismes et magies. Il est certes possible de tracer à la volée quelques traits dominants. Innombrables et tourmentées, les amours d’Alda Merini firent couler beaucoup d’encre ; la naissance des quatre filles, suivie de l’expérience douloureuse de l’arrachement des deux dernières, Barbara et Simona ; la folie et les séjours répétés en hôpital psychiatrique. La torture de l’internement, électrochocs et hystérectomie. La douleur. De cette expérience « infernale, humaine et déshumanisante » naîtront les quarante poèmes de La Terra Santa, œuvre majeure d’Alda Merini, publiée chez Scheiwiller en 1984. Ainsi la poète écrit-elle, dans le poème qui donne son titre au recueil, ces vers terribles et tellement puissants [Ho conosciuto Gerico]&nbsp:

    « J’ai connu Jéricho,

    j’ai eu moi aussi ma Palestine,

    les murs de l’hôpital psychiatrique

    étaient les murs de Jéricho

    et une mare d’eau infectée

    nous a tous baptisés.

    Là-dedans nous étions Hébreux

    et les Pharisiens étaient tout en haut

    et il y avait aussi le Messie

    perdu au milieu de la foule :

    un fou qui hurlait au Ciel

    tout son amour en Dieu. » *

    Et pourtant, paradoxalement, Alda Merini affirme que « la folie est l’une des choses les plus sacrées qui existent sur terre. » Un paradoxe qui prend tout son sens à la lumière de l’explication qu’elle donne.

    « C’est un parcours de souffrance purificatrice, une souffrance comme quintessence de la logique. »

    La Folle de la porte à côté se déploie sur quatre chapitres d’une prose éblouissante : L’amour/La séquestration/La famille/La douleur. Chacun de ces chapitres est introduit par un poème en lien étroit avec la thématique abordée. À quoi vient s’ajouter une « Conversation avec Alda Merini », « La poussière qui fait voler ». C’est sur cette image inattendue, si belle et si émouvante, que se clôt la confession non impudique et magnifique de la poète :

    « Je ne sais pas si le papillon a des ailes, mais c’est la poussière qui le fait voler.

    Tout homme a les petites poussières de son passé, qu’il doit sentir sur lui et qu’il ne doit pas perdre. Elles sont son chemin. »

    Cigarette à la bouche, bouteilles de Coca-Cola à portée de main, Alda Merini préside. Dans son appartement milanais du Naviglio Grande où règne un désordre indescriptible et où s’amoncellent en piles instables livres et documents, elle reçoit. Journalistes, éditeurs, amis, poètes. Couverte de bijoux et colifichets, colliers de perles en sautoir, bagues énormes aux doigts et ongles peints, œil pétillant et langue acérée, elle reçoit. Pose nue, poitrine abondante et ventre rebondi, elle reçoit et se livre. Odalisque au regard de braise. Provocatrice et tendre. Elle évoque, intarissable, ses deux maris, celui de sa jeunesse, Ettore Carniti, père de ses filles et boulanger de son état ; celui de sa maturité, Michele Pierri, médecin et poète de Tarente qu’elle épouse en 1984. Elle évoque ses chers amants, tous plus beaux et plus fous les uns que les autres. L’étrange Titano, clochard vagabond, « grand personnage du Naviglio » qui suivait la poète dans ses « longues et complexes pérégrinations mentales ». Le père Richard, « impérieux, jeune, agressif et superbe », qu’Alda Merini aime d’un amour absolu. Alberto Casiraghi, éditeur des Aforismi (« Aphorismes ») de Merini ; et le grand-prêtre de la nouvelle avant-garde Giorgio Manganelli. Pour ne citer que quelques noms. Évoquant sa relation avec Manganelli, Alda Merini écrit :

    « Tous deux spécialistes du Trecento, et tous deux ardents dans la passion comme dans l’existence, nous avons toujours poussé à l’extrême notre amitié. Jusqu’à la faire devenir comme le chant de la neige. Un élément d’une élection visionnaire qui aurait fait envie à Gabriele D’Annunzio. »

    Ardente, Alda Merini l’est en toutes circonstances et dans tous les domaines. Y compris dans celui de sa folie. Elle est du côté des extrêmes. Troubles bipolaires ? Schizophrénie ? Alda Merini se définit comme telle. Ainsi explique-t-elle sa double personnalité antithétique :

    « Il y a en moi l’âme de la putain et de la sainte.

    Parce que je peux changer quand je veux et, comme une schizophrène, je peux aller me promener, dormir, faire mes courses comme si tout était normal. Il m’est facile de tromper mon prochain.

    Le fait d’être une histrionne est aussi un élément positif, car, derrière le masque aux mille apparences, il y a un inconnu qui ne veut pas être reconnu. »

    Troubles de la personnalité et dédoublements ? Alda Merini semble être à elle-même son propre bourreau comme en témoignent ces lignes extraites d’une lettre qu’elle adresse à l’éditeur Armando Curcio :

    « La fièvre. J’ai eu de très fortes températures que je n’ai jamais prises, mais c’était davantage une grande rébellion, et avant tout une conspiration contre moi seule, très ardente, contre l’unique barreau du souvenir. J’ai beaucoup aimé ce barreau, tu sais, et il m’a semblé la puissante tige d’une fleur. »

    Dans la même lettre, elle se dit prisonnière « de la folle de la porte à côté. » Est-ce d’elle qu’elle parle ? Est-ce d’une voisine ? D’une autre ? Le fou est toujours l’autre. Mais pour les autres, pour les habitants du Naviglio, pour ceux qui la croisent dans la rue, l’observent, la lisent, l’écoutent, la folle, c’est bien elle. Il lui arrive de lancer à ceux qui la reconnaissent :

    « Alda Merini, ce n’est pas moi, je suis son sosie ».

    Ailleurs, elle se défend en se définissant comme « normale ». La clochardise était un choix de Titano. Le sien était la folie. La folie est son piège, sa cage, son labyrinthe cerné de murs. Et c’est du Naviglio, ce quartier de Milan hanté par la drogue, où Alda Merini a choisi de « poser » ses « ailes fatiguées », qu’émane la « calomnie » de sa folie.

    La Folle de la porte à côté est son double métaphorique, comme l’est aussi le concierge de son immeuble qui lui cause « d’effroyables insomnies ». Personnage inquiétant mais bien réel, il a pris une signification secrète dans l’esprit d’Alda Merini.

    « C’était moi, mon moi le plus obscur. Une figure magique, jamais identifiable parce qu’elle était la peur même. La peur de l’injustice, de l’hôpital psychiatrique, de la misère. »

    Dans cette narration qui tient de la confession – publique/privée —, le flux de la parole se libère. Chaque page rend compte de cet état de transe permanent.

    Ainsi de ce paragraphe emprunté à la section « Séquestration » :

    « Je commence à comprendre qu’il y a eu un malentendu ; je n’étais pas poète, j’ai dû être un grand fakir, un sage. J’ai supporté des choses ignobles sans piper, en cherchant les raisons du mal. J’ai compris que le mal n’existe pas, comme le bien n’existe pas. C’est alors que je suis devenue nihiliste : le matin je prends ma tension, je me tâte le pouls et je me demande combien il me reste d’heures avant de monter sur cet échafaud qu’est la vie. J’offre ma tête à mes éditeurs pour qu’ils me laissent tranquille encore une fois.»

    Et l’écriture ? Et la poésie ? Elles ont à voir avec la passion amoureuse. Ainsi de sa passion amoureuse pour le père Richard (« un prêtre qui avait touché les cordes de [s]on âme »), Alda Merini confie-t-elle :

    « C’était l’une de ces passions qui déchirent, avec la peau écorchée qui vous tombe du corps, mais des passions qui font écrire. »

    La passion de l’écriture et des poèmes a elle-même très tôt commencé pour Alda Merini. La violence de son père, Nemo Merini, envers sa fille, déchirant sous ses yeux la critique élogieuse du critique Spagnoletti, aurait pu briser dans l’œuf l’élan créatif de la jeune fille. Le père a sans doute été un premier obstacle. Qu’Alda Merini a surmonté, mettant le geste paternel sur le compte du bon sens. Il y eut sans doute beaucoup d’autres obstacles. Devant lesquels elle ne recula pas. Car « pour le poète les obstacles sont inévitables, cette grande obsession des mots est devenue un chemin. » Comme l’amour et comme la folie :

    « Tu ne sais pas combien de fois je baise les grilles de ma maison qui ne s’ouvrent que si j’appelle à l’interphone la folle de la porte à côté. Et elle me laisse dehors comme une mendiante. Mais moi je sers sa nudité, son avarice et son évangile assassin. » (Incipit de La Folle de la porte à côté).



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _________________
    * Alda Merini, La Terra Santa, Oxybia éditions, 2013, page 91. Traduction française de Patricia Dao.






    Alda Merini  La Folle de la porte à côté




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    [È un petalo la tua memoria] (extrait de La Folle de la porte à côté)
    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    Ma poésie est vive comme le feu
    Mare
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur La Folle de la porte à côté d’Alda Merini
    le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)





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  • Alda Merini | [È un petalo la tua memoria]


    Alda Merini  portrait Guidu
    Image, G.AdC







    [È UN PETALO LA TUA MEMORIA]



    È un petalo la tua memoria
    che si adagia sul cuore,
    e lo sconvolge.
    Addio, come ogni sera,
    oltre le fratture c’è un cadavere
    eretto di discorso,
    sembra un frammento di un’eutanasia
    ma tu mi uccidi come sempre, amore,
    e riapri i miei eterni giacimenti.
    I sepolcri del Foscolo, gli addii
    di certe mani che non sono sepolte
    ed emergono futili dal nulla
    a chiedere giustizia di parole.







    [TON SOUVENIR EST UN PÉTALE]



    Ton souvenir est un pétale
    qui se couche sur mon cœur
    et le ravage.
    Adieu, comme chaque soir,
    au-delà des fractures il y a un cadavre
    érigé de parole,
    on dirait le fragment d’une euthanasie,
    mais tu me tues comme toujours, amour,
    et tu rouvres mes éternels gisements.
    Les sépulcres de Foscolo, les adieux
    de certaines mains qui ne sont pas ensevelies
    et émergent futilement du néant
    pour demander justice aux mots.




    Alda Merini, « L’amore | L’amour », La Folle de la porte à côté [La pazza della porta accanto, Bompiani, Milano, 1995 ; rééd. 2019], suivi de La poussière qui fait voler, conversation avec Alda Merini, éditions Arfuyen, Collection « Les vies imaginaires », 2020, pp. 24-25. Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.






    Alda Merini  La Folle de la porte à côté




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    La Folle de la porte à côté (lecture d’AP)
    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    Ma poésie est vive comme le feu
    Mare
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)





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  • Kiki Dimoula | Autoconservation



    Autoconservation
    Source




    ΑΥΤΟΣΥΝΤΗΡΗΣΗ



    Θά πρέπει νά ῾ταν ἄνοιξη
    γιατί ἡ μνήμη αὐτή
    ὑπερπηδώντας παπαροῦνες ἔρχεται.
    Ἐκτός ἐάν ἡ νοσταλγία
    ἀπό πολύ βιασύνη,
    παραγνώρισ᾿ ἐνθυμούμενο.
    Μοιάζουνε τόσο μεταξύ τους ὅλα
    ὅταν τά πάρει ὁ χαμός.
    Ἀλλά μπορεῖ νά ῾ναι ξένο αὐτό τό φόντο,
    νά ῾ναι παπαροῦνες δανεισμένες
    ἀπό μιάν ἄλλην ἱστορία,
    δική μου ἢ ξένη.
    Τά κάνει κάτι τέτοια ἡ ἀναπόληση.
    Ἀπό φιλοκαλία κι ἔπαρση.

    Ὅμως θά πρέπει νά ῾ταν ἄνοιξη
    γιατί καί μέλισσες βλέπω
    νά πετοῦν γύρω ἀπ᾿ αὐτή τή μνήμη,
    μέ περιπάθεια καί πίστη
    νά συνωστίζονται στόν καλύκά της.
    Ἐκτός ἂν εἶναι ὁ ὀργασμός
    νόμος τοῦ παρελθόντος,
    μηχανισμός τοῦ ἀνεπανάληπτου.
    Ἂν μένει πάντα κάποια γῦρις
    στά τελειωμένα πράγματα
    γιά τήν ἐπικονίαση
    τῆς ἐμπειρίας, τῆς λύπης
    καί τῆς ποίησης.




    Κική Δημουλά, Το λίγο του κόσμου, εκδόσεις Νεφέλη, Ἀθήνα, 1971, 1983 ; εκδόσεις Στιγμή, 1990.






    AUTOCONSERVATION



    Ce devait être le printemps,
    car cette mémoire
    arrive enjambant les coquelicots.
    À moins que la nostalgie
    dans sa hâte
    n’ait méconnu le souvenir.
    Tout se ressemble tant
    lorsque la perte s’en empare.
    Mais le souvenir peut être exact
    le fond étranger
    et les coquelicots empruntés
    à une autre histoire,
    mienne ou étrangère.
    La réminiscence en est bien capable
    par amour du beau et arrogance.

    Mais ce devait bien être le printemps
    car je vois des abeilles
    voler autour de cette mémoire,
    affectueuses et fidèles
    se presser sur son calice.
    À moins que ce ne soit l’orgasme
    loi du passé,
    mécanisme de l’irréitérable.
    Et qu’il reste toujours quelque pollen
    dans les choses finies
    pour la pollinisation
    de l’expérience, de la tristesse
    et de la poésie.




    Kiki Dimoula, Le peu du monde in Du peu du monde et autres poèmes, édition bilingue, La Différence, Collection Orphée dirigée par Claude Michel Cluny, 1995, pp. 28-31. Choix, traduction du grec et présentation par Martine Plateau-Zygounas.





    Kiki Dimoula  Du peu de différence





    ___________________
    Ci-dessous, une traduction du même poème par Michel Volkovitch :



    AUTOCONSERVATION



    Ce devait être le printemps
    car le souvenir qui arrive
    saute par-dessus les coquelicots.
    Sauf si la nostalgie
    dans sa hâte,
    a mal vu le souvenu.
    Tout se ressemble tant
    au moment de la perte.
    Mais la mémoire est peut-être exacte
    et ce fond étranger,
    et les coquelicots issus
    d’une autre histoire,
    mienne ou étrangère.
    La mémoire fait des coups pareils.
    Par amour du beau et par vanité.

    Pourtant ce devait être au printemps
    car je vois aussi des abeilles
    voler autour de ce souvenir,
    et s’entasser avec foi et passion
    dans son calice.
    Sauf si l’orgasme
    est une loi du passé,
    un mécanisme de l’unique.
    Et s’il reste toujours du pollen
    dans les choses achevées
    pour la fécondation
    de l’expérience, de la tristesse
    et du poème.




    Kiki Dimoula, Le Peu du monde [Το Λίγο του κόσμου, Ἀθήνα, 1971] in Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2010, pp. 26-27. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Kiki Dimoula  Le Peu du monde





    KIKI DIMOULA (1931-2020)


    Kiki_dimoula portrait
    Source





    ■ Kiki Dimoula
    sur Terres de femmes




    La pierre périphrase (autre poème extrait du Peu du monde)
    Temps allongé (poème extrait de Mon dernier corps)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de Michel Volkovitch)
    d’autres poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Poetry International)
    dix poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet)
    un article de Jacques Ancet (« Tristesse de fond ») sur la poésie de Kiki Dimoula
    → (sur le site du Σπουδαστήριο Νέου Ελληνισμού/Center for Neo-Hellenic Studies)
    trois poèmes de Kiki Dimoula (dont Ο πληθυντικός αριθμός) dits par elle-même






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  • Milo De Angelis | “T.S.”, II





    “T.S.”, II*





    E poi avrete sentito, almeno una volta
    quando il liquido, delicatissimo,
    esce dalla bocca, scorre giallo nel lavandino
    e la sonda e le sirene sempre più lontane.
    il respiro si appanna, finisce, riprende
    quanta pace nella spiaggia gelata dal temporale:
    una canoa va verso l’isola corallina
    e sotto l’oceano si accoppiano le cellule sessuali
    non ci sono eventi irreparabili
    ma solo le spugne cicliche, gli insetti
    che hanno coperto l’aria:
    ecco un colore di madreperla, una roccia nella sabbia,
    i passi, ecco la mamma,
    l’accapatoio che toglie con un solo gesto
    solennità della luce, la meraviglia, la prima
    e la femmina del pellicano
    chiama la nidiata sparsa nella tempesta
    e forse vede qualcosa, tra gli scogli,
    qualcosa che si muove
    domani correrà con i suoi bambini
    mescolata, per respirare
    nel turchese profondo della marea
    che sale in superficie, sta rinascendo adesso
    e trova una terra diversa, un’altra voce.





    Milo De Angelis, ˝I. L’ascolto (1974-1975) ”, Somiglianze (Guanda, I Quaderni della Fenice di Guanda, Milano, 1976 ; nouvelle édition revue par l’auteur, Guanda, 1990), in Milo De Angelis, Tutte le poesie, 1969-2015, Mondadori, Collezione Lo Specchio, 2017, pp. 11-12.




    ________________________
    NOTE d’AP : *“T.S.” (Tentato Suicidio)






    Somiglianze








    “T.S.”, II





    Et puis vous avez dû connaître, au moins une fois
    cet instant où le liquide, très délicat,
    passe les lèvres, s’écoule jaune au creux du lavabo,
    sonde et sirènes perdues au loin.
    La respiration faiblit, s’interrompt, reprend,
    quelle paix sur la rive gelée de l’orage :
    un canoë glisse vers l’île coralline
    et les cellules sexuelles s’accouplent dans l’océan,
    il n’y a pas de faits irréparables,
    rien que les éponges cycliques, les insectes
    qui recouvrent l’air :
    voici une couleur de nacre, un rocher dans le sable,
    le peignoir qu’elle enlève d’un geste,
    la solennité de la lumière, la merveille initiale.
    La femelle du pélican
    appelle sa nichée éparse dans la tempête
    et peut-être voit-elle quelque chose, parmi les récifs,
    quelque chose qui bouge,
    demain elle courra au milieu
    de ses petits, pour respirer
    dans le bleu profond de la marée
    qui monte à la surface, renaît maintenant
    et trouve une terre différente, une autre voix.





    Milo De Angelis, Ressemblances in Lingua, La jeune poésie italienne, anthologie bilingue publiée sous la direction de Bernard Simeone, éditions Le temps qu’il fait, 1995, page 153. Traduction de Jean-Baptiste Para.







    Lingua






    MILO DE ANGELIS


    Milo VivianaSource





    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [A volte, sull’orlo della notte] (poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par AP ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions NOUS, 2010)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    Luigia Sorrentino disant “T.S.” de Milo De Angelis
    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant plusieurs poèmes extraits de Tema dell’addio
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo





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  • Antoine Emaz | Poème-lettre



    Mur-separe-mexique-etats

    « on viendra au jour
    avec seulement
    dedans
    le temps ou l’air

    on sera devenu
    assez léger
    pour passer »

    Ph. Paul Ratje, Archives Agence France-Presse
    Source








    POÈME-LETTRE




    on est allé jusqu’à ne plus savoir
    comment
    plus loin

    un mur
    indéfiniment

    un jour
    on ira
    plus loin

    d’ici là
    le temps
    comme pauvre
    et la force prise dans l’attente
    tendue
    sans bouger

    on reste
    en face

    à la longue
    ça devrait
    déplacer
    le pays

    ou bien
    jusqu’à ne plus tenir
    n’être plus tenu

    un matin il y aura
    une mémoire d’eau
    une vaste pluie devant
    rien d’autre

    on viendra au jour
    avec seulement
    dedans
    le temps ou l’air

    on sera devenu
    assez léger
    pour passer




    Antoine Emaz, «  Poème-lettre  » [Jacques Brémond-Atelier des Grames, 1995], Caisse claire, Poèmes 1990-1997, Éditions Points, 2007, pp. 89-90. Anthologie établie par François-Marie Deyrolle. Postface de Jean-Patrice Courtois.






    Antoine Emaz  Caisse claire





    ANTOINE EMAZ


    Antoine Emaz portrait
    D.R. Ph. Dominique Houyet




    ■ Antoine Emaz
    sur Terres de femmes


    Cambouis
    Je travaille et je vois, après
    [Le faiseur]
    Un lieu, loin, ici (poème extrait de Personne)
    Plaie, XV
    Poème des dunes
    La poésie ?
    Soirs






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  • Sylvie Germain | [C’était un petit chemin de terre]



    [C’ÉTAIT UN PETIT CHEMIN DE TERRE]




    C’était un petit chemin de terre. Il serpentait à travers la plaine, à l’écart des grandes villes. Des talus broussailleux, des peupliers et des bouleaux, des rochers le bordaient. À l’un de ses méandres il frôlait une croix de pierre au socle tout moussu. Puis il partait se perdre quelque part dans la plaine, parmi les ronces et la poussière. Exténué par tant d’immensité il finissait par se dissoudre sous l’herbe rase et les cailloux ainsi que s’effacent les morts invités par la nuit de la terre au grand mystère de la disparition.

    Car les chemins ont une vie, ils ont une histoire et un destin, comme les hommes. Et, comme les hommes, ils meurent un jour.

    Leur histoire est liée à celle des hommes qui les ont tracés, à tous ceux qui les ont parcourus. Et ils ont un cœur, un cœur qui bat, tout résonnant des pas des marcheurs qui les foulent. La mort leur advient lorsque tous les désertent, que nul ne se soucie plus d’eux ; leur cœur se tait quand se taisent les pas.

    Les chemins ont donc aussi une âme, et ils ont une voix. Une voix très ténue qui se lève parfois et se met à chanter, au bord extrême du silence.

    Elle chante, la voix des chemins, les amours, les chagrins et les joies de tous ceux qui les ont traversés et dont ils gardent la mémoire.

    Leur mémoire est fidèle, profonde comme les siècles.



    Sylvie Germain, « Les pas qui dansent aux enfer », in Immensités, Éditions Gallimard (1993), Collection folio, 1995, pp. 206-207.






    Sylvie Fermain  Immensités

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  • Ludovic Degroote | [Autour figé, amorti, sans attente]



    [AUTOUR FIGÉ, AMORTI, SANS ATTENTE]




    Autour figé, amorti, sans attente, comme si on y était nous aussi défait de tout mouvement, porté là ailleurs, avec seul dans la gorge qui grommelle le nœud qui grossit ; on regarde, le temps de s’arrêter ça ne veut rien dire, on s’imagine tout reconnaître, on ne voit rien.





    Ni vraiment dehors ni dedans totalement, on s’échappe de tout sans sortir de rien, on marche, on continue, ciel bleu, ciel gris, mer bleue, mer grise.





    Ça vient de si loin, une simple résonance qui atteint, et secoue ; sur la digue, dans le vent, c’est bon. Même sans vent, et même sans digue. Brut c’est meilleur.





    Emboitant le pas, toujours en train de se quitter, écrivant ailleurs, d’une même voix.





    Ce qu’on vit pèse plus que la solitude des autres réunie. On est généreux le temps d’un mot, qui dure le temps qu’on le dit.





    On est là les yeux fermés, exactement comme si c’était une attente. Quand la pluie mouille, l’intérieur est d’abord atteint au cœur, ça va ensuite autour ; là où l’intérieur et le dehors se confondent c’est le plus impossible à toucher, là où la tête repose, au plus près.





    L’imprécision du vide au-dedans emporte tout, pas grand-chose qui ne nous y ramène, la digue, on la recommence — pas plus en dehors d’elle-même ne tiennent les choses qu’elles ne tiennent à l’intérieur de nous.





    Coincé au milieu du flot portant devant, on se retourne sur des images qui reviennent sur les mots qu’elles cachent quand on veut les balayer, les images, elles font comme si elles calmaient les choses, et nous dans le même temps.





    Les mots qui se tiennent au-dehors sont écrits du bout du corps, ils ont quitté l’histoire qui les a menés à cette solitude, pas de paix davantage, ça ne ralentit rien, au bout les cadavres s’empilent, par falaises, comme une épaisse image couleur millefeuille foncé.





    Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes, 1995, rééd. 2017, pp. 35, 36, 37.







    Ludovic Degroote  La Digue 2






    LUDOVIC DEGROOTE


    Vignette ludovic degroote
    Source



    ■ Ludovic Degroote
    sur Terres de femmes

    Am Timan, Tchad (extrait de ligne 4)
    [chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures] (extrait de Monologue)
    [j’aimerais faire quelque chose de tout ça] (extrait de josé tomás)
    josé tomás (lecture d’AP)
    Monologue (Sotto voce de Jean-Louis Giovannoni)
    Retisser la trame déchirée (note de lecture de Sylvie Fabre G.)
    un peu plus au bord
    zambèze (lecture d’AP)
    3 ciels d’ici
    Christine Delbecq | Ludovic Degroote, ChaosCarton




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  • Sylvie Fabre G. | [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir]




    [BIEN SÛR LE CHANT S’APAISE DANS LE SOIR]




    Bien sûr le chant s’apaise dans le soir.
    On ramasse éclats et feux.
    On range les douleurs, encore plus loin,
    oui, bien profond.
    Le corps retrouve sa mouvance, retisse ses ailes,
    perd son extase.
    Le cri n’effleure plus la bouche.
    Grande est sa nostalgie.
    Et l’être a de nouveau un nom.
    Il subsiste malgré l’absence de ciel,
    il va, son souvenir est nu.

    Tu redescends. Plus bas la vie.
    Plus bas ma sœur.





    Dessin de la pensée, trace du cœur, cendre, plaie et béance, cicatrice chaude, peau douce, montagnes et vallées, mer qui déferle, fruits de ma terre, paradis,

    c’est là que je reviens.




    Sylvie Fabre G., La Vie secrète, Éditions Unes, 1995, pp. 38-39.






    Sylvie Fabre G.  'La Vie secrète', Éditions Unes  1995.





    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    La demande profonde
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    Quelque chose, quelqu’un (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    Caroline Boidé, Les Impurs, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)






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  • Jean-Pierre Chambon | Fragments d’un règne





    Rien n'a changé ni ne changera Mais en moi une ombre s'intercale
    Rien n’a changé ni ne changera
    Mais en moi une ombre s’intercale

    Ph., G.AdC








    FRAGMENTS D’UN RÈGNE (sensation)




    (Sensation)

    Je foule le même sable
    Je vois luire la même lune

    Rien ne change l’astre ni la dune
    Je vieillis seul devant le miroir

    Rien n’a changé ni ne changera
    Mais en moi une ombre s’intercale

    Mon corps anticipe le geste
    Qu’aura dû former mon esprit

    Et une sensation étrangère
    À la fois me révèle et me tue

    J’éprouve le souvenir d’une vie
    Que je n’ai pas vécue

    Est-ce d’avant ma naissance
    Ou au-delà de ma mort

    Sur le sable que fait briller la lune
    S’efface déjà la trace de mes pas




    Jean-Pierre Chambon, « Fragments d’un règne », in Le Roi errant [prix Yvan Goll 1996], poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1995, page 46.








    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon





    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Des lecteurs (extrait)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    [Fleurs dans la fleur]
    Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une bio-bibliographie de Jean-Pierre Chambon






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  • 24 septembre 1943 | Naissance d’Antonio Tabucchi

    Éphéméride culturelle à rebours



    Né à Pise le 24 septembre 1943, Antonio Tabucchi est mort à Lisbonne le 25 mars 2012.



    Passionné par le Portugal (il a traduit l’œuvre intégrale de Fernando Pessoa), Antonio Tabucchi a navigué toute sa vie entre Lisbonne et l’Italie où il a enseigné (à partir de 1973) la langue et la littérature portugaise (Université de Gênes, puis de Sienne).

        Récompensé par de nombreux prix, Antonio Tabucchi a connu un très beau succès de librairie en 1994 avec Sostiene Pereira (Pereira prétend, 1995). Le héros du roman, inspiré par Pessoa, l’auteur aux multiples visages, a été incarné à l’écran par Marcello Mastroianni, dans un film de Roberto Faenza (1995).








    Tabucchi
    Image, G.AdC






    EXTRAIT de PEREIRA PRÉTEND



    Pereira sortit de sa rêverie quand il passa devant Santo Amaro. C’était une belle plage incurvée et on voyait les cabines de toile à bandes blanches et azur. Le train s’arrêta et Pereira eut l’idée de descendre et d’aller se baigner, de toute façon il pouvait prendre le train suivant. Ce fut plus fort que lui. Pereira ne saurait dire pourquoi il ressentit cet élan, peut-être parce qu’il avait pensé à l’époque de Coimbra et aux bains à la Granja. Il descendit avec sa petite valise et traversa le passage souterrain qui conduisait à la plage. Quand il arriva sur le sable, il enleva ses souliers et ses chaussettes et avança ainsi, tenant d’une main la valise et de l’autre les chaussures. Il vit tout de suite le maître-nageur, un jeune homme bronzé qui surveillait les baigneurs, étendu sur un transat. Pereira s’approcha et lui dit qu’il voulait louer un costume de bain et un vestiaire. Le maître-nageur le détailla de la tête aux pieds, d’un air narquois, et murmura : je ne sais pas si nous avons un costume à votre taille, quoi qu’il en soit je vous donne la clé du magasin, vous verrez, c’est la cabine la plus grande, le numéro un. Puis il demanda d’un air qui sembla ironique à Pereira : vous avez aussi besoin d’une bouée ? Je sais très bien nager, répondit Pereira, peut-être beaucoup mieux que vous, ne vous en faites pas. Il prit la clé du magasin et celle du vestiaire et s’en alla. Dans le magasin, il y avait un peu de tout : des bouées, des brassières gonflables, un filet de pêche couvert de flotteurs, des costumes de bain. Il fouilla dans les costumes de bain pour voir s’il en trouvait un à l’ancienne, ceux entiers, de façon à couvrir aussi le ventre. Il réussit à en trouver un et le passa. Il lui était un peu serré et c’était de la laine, mais il ne trouva pas mieux. Il déposa sa valise et ses habits dans le vestiaire, puis traversa la plage. Au bord de l’eau se trouvait un groupe de jeunes gens qui jouaient au ballon et Pereira les évita. Il entra calmement dans la mer, tout doucement, laissant le froid l’envelopper petit à petit. Puis, quand l’eau lui arriva au nombril, il plongea et se mit à nager un crawl lent et cadencé. Il nagea longuement, jusqu’aux bouées. Quand il s’accrocha à la bouée de sauvetage, il sentit qu’il était à bout de souffle et que son cœur battait beaucoup trop fort. Je suis fou, pensa-t-il, cela fait une éternité que je ne nage plus, et je me jette ainsi à l’eau, comme un sportif. Il se reposa, accroché à la bouée, puis il fit la planche. Le ciel au-dessus de lui était d’un azur féroce. Pereira reprit son souffle et rentra calmement, à brassées lentes. Il passa devant le maître-nageur et voulut se donner satisfaction. Comme vous l’avez constaté, je n’ai pas eu besoin de bouée, dit-il, quand passe le prochain train pour Estoril ? Le maître-nageur consulta l’horloge. Dans un quart d’heure, répondit-il. Très bien, dit Pereira, alors rejoignez-moi, je vais me rhabiller et je voudrais vous payer, car je n’ai pas beaucoup de temps. Il se rhabilla dans le vestiaire, sortit, paya le maître-nageur, donna un coup de peigne au peu de cheveux qui lui restaient avec un petit peigne qu’il avait dans son portefeuille et il salua. Au revoir, dit-il, et surveillez ces jeunes gens qui jouent au ballon, d’après moi ils ne savent pas nager, et ils dérangent les baigneurs.

    Il traversa le passage souterrain et s’assit sur un banc de pierre, sous la marquise. Il entendit arriver le train et regarda l’horloge. Il était tard, pensa-t-il, sans doute l’attendait-on pour le déjeuner à la clinique de thalassothérapie, parce que dans les cliniques on mange tôt. Il pensa : tant pis. Mais il se sentait bien, il se sentit détendu et frais, tandis que le train arrivait en gare, et puis, pour la clinique de thalassothérapie, il avait tout le temps, il allait y rester au moins une semaine, prétend Pereira…



    Antonio Tabucchi, Pereira prétend [Sostiene Pereira, Feltrinelli editore, 1994], Christian Bourgois éditeur, 1995, pp. 108-109-110. Traduit de l’italien par Bernard Comment.





    ■ Antonio Tabucchi
    sur Terres de femmes

    Antonio Tabucchi | Rêve de Giacomo Leopardi, poète et lunatique



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site ina.fr)
    entretien d’Antonio Tabucchi avec Laure Adler (20 janvier 1998)





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