Étiquette : 1999


  • Bernadette Engel-Roux | Le nom des choses

    [Une lecture de Jacques Réda, extrait]


    LE NOM DES CHOSES
    [Une lecture de Jacques Réda, extrait]





    Celui qui nomme, et seulement nomme ainsi animaux, arbres, pierres, sans jamais exciter les cavales de la langue, dit une amitié et pratique l’éloge. Nommer les choses par leur nom, au lieu de les convertir, par la métaphore, en bouquets de paroles, est aussi un choix d’humilité et de justesse, une sorte de probité du langage poétique. Il n’y a qu’un mot qui puisse rappeler la lune. « Ce mot est le mot lune », dit Borges. Jean Grosjean dit aussi calmement les chanvrines du ru ou les hémérocalles du jardin. C’est par la nomination que le poète a quelque chance de participer infimement au sacre du monde. Nommer les arbres, les herbes, les bêtes et les pierres, et les cours d’eau et les pays, ce n’est pas faire œuvre d’érudit, mais tenter une approche, énoncer son vœu d’inclusion au cœur du faste naturel, dire les bruits du monde, le sang des choses, et sa joie. Brûler dans les mots le petit bois de sa peine. Ou prononcer son vœu d’humilité.

    Jacques Réda refuse le cisèlement des symbolistes et la luxuriance lexicale d’un Perse. Il sait qu’il ne dispose pas du vocabulaire nominatif de Robert Marteau, mais il s’accommode fort bien de l’imprécision où le nom manquant peut laisser se balancer les herbes. Il sait, d’immémoriales leçons de choses, le cœur poudreux de la camomille. Il faut, pour écrire cela, avoir touché des yeux la camomille et accepter de confondre, sous le nom de tisane de nos grands-mères, le cœur de cendre dorée de toutes les ombellifères et composées des talus. Longtemps plus tard, sur « l’autre bord », il dira sans erreur l’œil bleu de la prunelle et le rouge églantier qui fleurissent les rives de sa méditation, sans plus de façons qu’il avouera, devant le bitume parisien crevé par le printemps qu’y

    Poussent de fortes herbes, mais je ne sais pas leur nom.

    Aussi les abandonne-t-il aux jardiniers municipaux. Il y a d’ailleurs une mauvaise herbe à laquelle les manuels de botaniques de l’an 2000 devraient donner le nom de celui qui la répertorie amoureusement et l’immortalise en poésie, celle que nous connaîtrons tous toujours et partout : la rude herbe aristocratique et pâle des talus, qui frange ses marginalia et rougit l’un de ses titres ! Quand Réda le peut, il nomme les éléments de la grande Phusis vivante, avec une délectation d’autant plus malicieuse qu’il sait sa liste botanique un peu courte. Il ne fait pas non plus semblant de ne pas savoir. Il prend au lexique ce qu’il y a, satisfaisant juste sa faim poétique du jour. Et la nôtre. Acacias, gleditschias et autres espèces parentes ou ressemblantes (on s’y perd), confesse-t-il dans Châteaux des courants d’air.



    Bernadette Engel-Roux, « Mirabilia », Rivage des Gètes, Une lecture de Jacques Réda, Babel Éditeur, Mazamet, 1999, pp. 79-80.



    _______________
    NOTE : les mots en italiques sont des citations de Jacques Réda.





    Bernadette Engel-Rous montage



    BERNADETTE ENGEL-ROUX


    Bernadette Engel-Roux
    Source




    ■ Bernadette Engel-Roux
    sur Terres de femmes


    [Cirques de ciel sur les cirques de roches] (extrait de Hauts sont les Monts)
    [Tu es venue, tu repars](extrait de Ce vase plein de lait)
    5 décembre 2004 | Bernadette Engel-Roux, Aubes
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Les taupes sont de fines émietteuses]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Mél)
    une fiche bibliographique sur Bernadette Engel-Roux




    ■ Notes de lecture de Bernadette Engel-Roux
    sur Terres de femmes


    Jean-Claude Pirotte, À Saint-Léger | suis réfugié
    Olivier Rolin, Extérieur monde
    José-Flore Tappy, Tombeau
    Jean-Loup Trassard, Causement






    _____________________


    JACQUES RÉDA


    Jacques_reda_sete_20150726 (1)
    Jacques Réda
    Sète, festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée
    31 juillet 2015
    Ph. ©Pierre Kobel






    ■ Jacques Réda
    sur Terres de femmes


    24 janvier 1929 | Naissance de Jacques Réda
    L’aurore hésite
    La course
    L’homme et le caillou
    Testament (poème extrait du Testament de Borée)
    4 mars 1970 | Jacques Réda, Il s’est mis à neiger (hommage à Jean-Philippe Salabreuil)




    ■ Voir aussi ▼


    le site Jacques Réda




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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Anne Sexton | When man enters woman




    WHEN MAN ENTERS WOMAN







    Anne Sexton
    Source






    When man
    enters woman,
    like the surf biting the shore,
    again and again,
    and the woman opens her mouth with pleasure
    and her teeth gleam
    like the alphabet,
    Logos appears milking a star,
    and the man
    inside of woman
    ties a knot
    so that they will
    never again be separate
    and the woman
    climbs into a flower
    and swallows its stem
    and Logos appears
    and unleashes their rivers.

    This man,
    this woman
    with their double hunger,
    have tried to reach through
    the curtain of God
    and briefly they have,
    though God
    in His perversity
    unties the knot.




    Anne Sexton [The Awful Rowing Toward God, 1975] in Anne Sexton, The Complete Poems, Boston, Houghton Mifflin Company, 1981 ; First Mariner Books Edition, 1999, p. 428. With a foreword by Maxine Kumin.







    Anne Sexton, The Complete Poems







    QUAND UN HOMME PÉNÈTRE UNE FEMME




    Quand un homme
    pénètre une femme
    comme la vague qui mord la rive,
    encore et encore,
    que la bouche de la femme s’entrouvre de plaisir
    que ses dents brillent
    tel l’alphabet,
    le Logos semble traire une étoile,
    et l’homme
    au-dedans de la femme
    noue un nœud
    pour que plus jamais
    tous deux ne se séparent
    et la femme se fait fleur
    et ravale sa tige
    et le Logos apparaît
    et déchaîne leurs fleuves.

    Cet homme
    cette femme
    et leur désir duplice
    ont tenté de franchir
    la courtine de Dieu,
    un court instant ils y sont parvenus,
    même si par la suite Dieu
    dans Sa perversion
    dénoue le nœud.




    Traduction inédite d’Angèle Paoli.






    ANNE SEXTON


    Anne-sexton_Joanna-Rusinek
    Source



    ■ Anne Sexton
    sur Terres de femmes


    Anne Sexton | Her Kind
    Anne Sexton | Elisa Biagini | Due mani… Due voci



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Anne Sexton lisant le poème ci-dessus : « Her Kind », 1966 (The Poetry Center and American Poetry Archives at San Francisco State University)
    → (sur YouTube)
    Short clips of Anne Sexton reciting some poetry and excerpts from home movies
    → (sur YouTube)
    Anne Sexton at home – 1 (VOSE)
    → (sur YouTube)
    Anne Sexton at home – 2 (VOSE)
    → (sur Poetry Foundation)
    une page sur Anne Sexton
    → (sur anne-sexton.blogspot.fr)
    de nombreux poèmes (12) d’Anne Sexton (+ leur traduction en français par Michel Corne)
    → (sur le blog Quelques pages d’un autre livre ouvert)
    une bio-bibliographie (en français) d’Anne Sexton
    → (sur PoemHunter.com)
    Poems of Anne Sexton
    → (sur lyrikline blog)
    Readings to remember: Anne Sexton





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  • Jean Tortel | [Et de l’eau | Avant la nuit]



    [ET DE L’EAU | AVANT LA NUIT]




    Et de l’eau
    Avant la nuit.

    Elle est claire
    Dans les mains.
    Elle nourrit les plantes,
    Elle les développe.

    L’eau s’enfonce et la terre
    Devient chose plus lourde,
    Mouvante et noirâtre,
    Luisante après l’enfoncement.

    Les mains trempent pour reconnaître,
    Confusément aussi pour adorer
    L’eau certaine et nulle autre
    Que celle à qui sa pente est ordonnée
    Avant qu’elle touche aux racines.



    Jean Tortel, « Critique d’un jardin », VII, in Relations, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1968, rééd. 1999, page 60.







    Jean Tortel, Relations






    JEAN TORTEL


    Jean Tortel
    Ph. : Jean Marc de Samie
    – tous droits réservés
    Source





    ■ Jean Tortel
    sur Terres de femmes

    Jeter le mot (extrait de Naissances de l’Objet)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Jean Tortel | Fragment personnel, par Philippe Rahmy
    → (sur universalis.fr)
    une notice sur Jean Tortel





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 28 août 1993 | Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan

    Éphéméride culturelle à rebours




    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan.

    Variations à partir du poème de Paul Celan : « Il y avait de la terre en eux » (dans une traduction de Jean Daive), écrites par Thierry Metz « comme un signe d’après départ, pour dire l’honneur, l’amitié, le bonheur aussi d’avoir à faire mémoire. »

    Ci-dessous, un des douze poèmes de cet ensemble.





    SI CE N’ÉTAIT QUE CE MOT : RICERCARE



    Si ce n’était que ce mot : ricercare
    si ce n’était que nous, aujourd’hui, groupés dans le chant
    de six bergers qui ne se verront jamais,
    étagés dans la montagne,
    vêtus de bleu sur la neige,
    la voix toujours noire

    si ce n’était que cela :
    que l’abandon d’une recherche
    que l’abondance d’un sang,
    jusqu’où ira ce qui est vrai
    puisque tout s’appuie sur de l’accompli ?


    Périgueux le 28/08/93



    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan, Éditions Jacques Brémond, Collection Le premier cent, 1999, s.f. Encres de Jean Gilles Badaire.






    IL Y AVAIT DE LA TERRE EN EUX



    Il y avait de la terre en eux, et
    ils creusaient

    Ils creusaient et creusaient, ainsi s’en fut
    leur jour, leur nuit. Et ils ne louaient point Dieu
    qui, entendaient-ils, voulait tout cela
    qui, entendaient-ils, savait tout cela.

    Ils creusaient et n’entendaient plus rien,
    ils ne devenaient point sage, ni inventaient aucun chant,
    ne créaient aucune langue.
    Ils creusaient.

    Advint un silence, advint aussi un orage,
    advinrent toutes les mers.
    Je creuse, tu creuses, et semblablement creuse le ver,
    et ce qui chante là-bas dit : ils creusent.

    O l’un, ô nul, ô personne, ô toi :
    où cela allait-il, puisque cela n’allait nulle part ?
    Ou tu creuses et je creuse, et je me creuse jusqu’à toi,
    et à nos doigts s’éveille l’anneau.



    Paul Celan. Éditions Mercure de France, 1990. Traduction de Jean Daive.





    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan, Éditions Jacques Brémond, Collection Le premier cent, 1999. Encres de Jean Gilles Badaire.




    THIERRY METZ


    Thierry Metz 2
    Source




    ■ Thierry Metz
    sur Terres de femmes


    [Braise matinale]
    [De jour en jour][Giorno dopo giorno] (extrait de L’homme qui penche | L’uomo che pende)
    [Je m’en remets aux feuillages] (extrait de Tel que c’est écrit)
    [Je suis tombé] (extrait du recueil Terre)
    Le Drap déplié (extraits)
    [Vers la bien-aimée]
    4 juillet | Thierry Metz, Le Journal d’un manœuvre





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 9 août 1940 | Francis Ponge, Le Carnet du Bois de pins

    Éphéméride culturelle à rebours




    9 août 1940.      



    Cela relègue très haut et très doux les effets du vent, les oiseaux et les papillons eux-mêmes. Et le concert vibrant de myriades d’insectes.


    D’aspect sénile, chenu comme la barbe des vieillards nègres.


    On est très bien là-dessous, tandis qu’aux faîtes il se passe quelque chose de très doucement balancé et musical, de très doucement vibrant.


    Il faut qu’à travers ces développements (au fur et à mesure caducs, qu’importe) la hampe du pin persiste et s’aperçoive.



    Tels mâts du pied jusques à mi-hauteur

    Tout frisés, lichéneux comme un vieillard créole,

    Sans nulle gêne entre eux de lianes ou de cordes,

    {(Sans planche lisse au sol)

    { Sans planches lavées au sol mais des tapis épais,

    (coiffures)

    Et portant au ciel des {

    chapeaux coniques et verts

    Que traverse le vent, qui tamisent la lumière…

    Non des voiles tendues, mais quelques fruits serrés

    Comme des ananas…



    9 août 1940. — Le soir.       



    Non !

    Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins.

    De quoi est-il fait, ce plaisir ? — Principalement de ceci : le bois de pins est une pièce de la nature, faite d’arbres tous d’une espèce nettement définie ; pièce bien délimitée, généralement assez déserte, où l’on trouve abri comme le soleil, contre le vent, contre la visibilité ; mais abri non absolu, non pas isolement. Non ! C’est un abri relatif. Un abri non cachottier, un abri non mesquin, un abri noble.

    C’est un endroit aussi (ceci est particulier au bois de pins) où l’on évolue à l’aise, sans taillis, sans branchages à hauteur d’homme, où l’on peut s’étendre à sec, et sans mollesse, mais assez confortablement.

    Chaque bois de pins est comme un sanatorium naturel, aussi un salon de musique… une chambre, une vaste cathédrale de méditation (une cathédrale sans chaire, par bonheur) ouverte à tous les vents, mais par tant de portes que c’est comme si elles étaient fermées. Car ils y hésitent.


    Ô respectables colonnes, mâts séniles !

    Colonnes âgées, temples de la caducité.


    Rien de riant, mais quel confort salubre, quelle température des éléments, quel salon de musique sobrement parfumé, sobrement adorné, bien fait pour la promenade sérieuse et la méditation.



    Tout y est fait, sans excès, pour laisser l’homme à lui seul. La végétation, l’animation y sont reléguées dans les hauteurs. Rien pour distraire le regard. Tout pour l’endormir, par cette multiplication de colonnes semblables. Point d’anecdotes. Tout y décourage la curiosité. Mais tout cela presque sans le vouloir, et au milieu de la nature, sans séparation tranchée, sans volonté d’isolation, sans grands gestes, sans heurts.

    Par-ci, par-là, un rocher solitaire aggrave encore le caractère de cette solitude, force au sérieux.



    Ô sanatorium naturel, cathédrale heureusement sans chaire, salon de musique où elle est si

    {discrète

    {douce et reléguée
    dans les hauteurs (à la fois si sauvage et si délicate), salon de musique ou de méditation — lieu fait pour laisser l’homme seul au milieu de la nature, à ses pensées, à poursuivre une pensée…

    … Pour te rendre ta politesse, pour imiter ta délicatesse, ton tact, (instinctivement je suis ainsi) — je ne développerai à ton intérieur aucune pensée qui te soit étrangère, c’est sur toi que je méditerai :

    « Temple de la caducité, etc. »



    « Je crois que je commence à me rendre compte du plaisir propre aux bois de pins. »




    Francis Ponge, Le Carnet du Bois de pins, Œuvres complètes, I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1999, pp. 379-380-381-382. Édition publiée sous la direction de Bernard Beugnot, avec la collaboration de Michel Collot, Gérard Farasse, Jean-Marie Gleize, Jacinthe Martel, Robert Melançon et Bernard Veck.





    FRANCIS PONGE


    Francis-ponge-par-louis-monnier
    Ph. Louis Monnier
    Source




    ■ Francis Ponge
    sur Terres de femmes

    27 mars 1899 | Naissance de Francis Ponge
    6 février 1948 | Francis Ponge, Pochades en prose
    10 avril 1958 | Francis Ponge, La figue
    29 mars **** | Le Verre d’eau de Francis Ponge
    Les hirondelles
    Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)





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  • François Cheng | [Suivre le poisson, suivre l’oiseau]




    Kim







    [SUIVRE LE POISSON, SUIVRE L’OISEAU]



    Suivre le poisson, suivre l’oiseau.
    Si tu envies leur erre, suis-les
    Jusqu’au bout. Suivre leur vol, suivre
    Leur nage, jusqu’à devenir
    Rien. Rien que le bleu d’où un jour
    A surgi l’ardente métamorphose,

    Le Désir même de nage, de vol.



    François Cheng, Quand les âmes se font chant, Cantos toscans [Éditions Unes, 1999], Éditions Bayard, 2014, page 81. Œuvres peintes de Kim En Joong.




    FRANÇOIS CHENG


    Cheng
    Source




    ■ François Cheng
    sur Terres de femmes


    L’appel de la mer
    [Consens à la brisure] (extrait d’Enfin le royaume)
    Longtemps à longer cette eau sans âge
    [Oui, nous suivrons le sentier]
    Rose d’indigo
    Tango toscan




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Académie française)
    une bio-bibliographie de François Cheng






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  • Anne Sexton | Her Kind



    HER KIND



    I have gone out, a possessed witch,
    haunting the black air, braver at night;
    dreaming evil, I have done my hitch
    over the plain houses, light by light:
    lonely thing, twelve fingered, out of mind.
    A woman like that is not a woman, quite.
    I have been her kind.

    I have found the warm caves in the woods,
    filled them with skillets, carvings, shelves,
    closets, silks, innumerable goods;
    fixed the suppers for the worms and the elves:
    whining, rearranging the disaligned.
    A woman like that is misunderstood.
    I have been her kind.

    I have ridden in your cart, driver,
    waved my nude arms at villages going by,
    learning the last bright routes, survivor
    where your flames still bite my thigh
    and my ribs crack where your wheels wind.
    A woman like that is not ashamed to die.
    I have been her kind.



    Anne Sexton, To Bedlam and Part Way Back (Boston: Houghton, Mifflin, 1960), in The Complete Poems, Boston: Houghton Mifflin Company, 1981 ; First Mariner Books edition, 1999, pp. 15-16.







    Anne Sexton, The Complete Poems








    SA SEMBLABLE



    Je suis sortie, sorcière possédée,
    qui hante l’air obscur, plus vaillante la nuit ;
    rêvant du mal, j’ai fait ma tournée
    au-dessus des maisons ordinaires, de lumière en lumière :
    pauvre créature solitaire, à douze doigts, affolée.
    Une femme comme cela n’est pas une femme, pas tout à fait.
    J’ai été sa semblable.

    [traduction en français de Patricia Godi-Tkatchouk]


    J’ai trouvé dans les bois des cavernes bien au chaud,
    je les ai remplies de poêlons, de statuettes, de rayonnages,
    de placards, de soieries, de tout un bric-à-brac ;
    j’ai mitonné les brouets pour les vers et les elfes ;
    geignant, remettant de l’ordre dans le désordre.
    Une femme comme cela est incomprise.
    J’ai été sa semblable.

    J’ai été trimballée dans ta charrette, cocher
    j’ai salué de mes bras nus les villages à rebours,
    retenant les derniers trajets éclairés, survivante
    là où tes flammes mordent encore ma cuisse
    et mes côtes craquent où s’enfoncent tes roues.
    Une femme comme cela n’a pas honte de mourir.
    J’ai été sa semblable.






    Anne Sexton To Bedlam and Part Way Back







    _______________________________________

    NOTE : « Dans ce poème central de son premier recueil, Anne Sexton retourne à la figure ancestrale de la sorcière, figure d’un savoir occulte et de la sagesse, figure de la conteuse, comme le rappelle Suzanne Juhasz dans Naked and Fiery Forms: Modern American Poetry by Women, dans le chapitre qu’elle consacre à l’œuvre d’Anne Sexton, et, cependant, également symbole des persécutions qui ont marqué l’histoire des Etats-Unis, de la « chasse aux sorcières » de l’Amérique coloniale puritaine, puis de celle des années cinquante et du « maccarthysme » et, plus généralement, figure de l’autre femme, celle qui ne plie pas aux attentes de la société, l’intellectuelle, l’artiste, la célibataire, celle qui ne fut ni mariée, ni mère. Pourrait-on dire qu’avec « Her Kind », Anne Sexton prend le contrepied de l’image traditionnelle de la femme, celle de « l’ange du foyer », dont toute femme qui veut accomplir sa vocation d’écrivain doit s’émanciper ? Dans ce poème, par le biais du symbole, en donnant libre cours à un imaginaire marqué par l’audace et un désir éperdu de liberté, Anne Sexton écrit du point de vue d’un sujet à l’étroit dans les définitions réductrices de la féminité imposées par la société américaine conservatrice de son époque. Sa poésie représente le mal de vivre et l’incapacité pour le sujet féminin de jouer les rôles traditionnellement dévolus aux femmes. De manière répétée, la poésie d’Anne Sexton rend compte de la difficulté, de l’impossibilité d’exister selon les critères de l’idéologie de la féminité véhiculée par la culture patriarcale, qu’il s’agisse des textes qui abordent le thème du mariage ou celui de la maternité. » (Patricia Godi)






    ANNE SEXTON


    Anne-sexton_Joanna-Rusinek
    Source




    ■ Anne Sexton
    sur Terres de femmes


    When man enters woman
    Anne Sexton | Elisa Biagini | Due mani… Due voci



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Anne Sexton lisant le poème ci-dessus : « Her Kind », 1966 (The Poetry Center and American Poetry Archives at San Francisco State University)
    → (sur YouTube)
    Short clips of Anne Sexton reciting some poetry and excerpts from home movies
    → (sur YouTube)
    Anne Sexton at home – 1 (VOSE)
    → (sur YouTube)
    Anne Sexton at home – 2 (VOSE)
    → (sur Poetry Foundation)
    une page sur Anne Sexton
    → (sur anne-sexton.blogspot.fr)
    de nombreux poèmes (12) d’Anne Sexton (+ leur traduction en français par Michel Corne)
    → (sur le blog Quelques pages d’un autre livre ouvert)
    une bio-bibliographie (en français) d’Anne Sexton
    → (sur PoemHunter.com)
    Poems of Anne Sexton
    → (sur lyrikline blog)
    Readings to remember: Anne Sexton





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  • Jean-François Mathé | [Je me défais des songes]



    L’aube m’attend-elle pour avoir un ciel
    Ph., G.AdC







    [JE ME DÉFAIS DES SONGES]




    je me défais des songes
    et maintenant vers moins de nuit
    le regard s’agrandit de cercle en cercle
    comme une eau où l’on a jeté une pierre

    l’aube m’attend-elle
    pour avoir un ciel
    pour battre des draps de vent
    où dormaient les oiseaux les abeilles

    de mes deux mains
    j’avance vers le jour
    celle qui n’a jamais rien voulu saisir
    où tout ce qui se pose
    est libre comme l’air




    Jean-François Mathé, Le Temps par moments, Éditions Rougerie, 1999, page 15. Prix du Livre en Poitou-Charentes 1999.




    JEAN-FRANCOIS MATHÉ


    JF-Mathe
    Source




    ■ Jean-François Mathé
    sur Terres de femmes

    [J’aurais voulu dire | et je n’ai pas dit] (extrait de Prendre et perdre)
    Prendre et perdre (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    [Il aurait mieux valu] (extrait de Retenu par ce qui s’en va)
    Retenu par ce qui s’en va (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Ce qui a le moins pesé] (extrait de La Vie atteinte)
    [Le paysage né de la dernière pluie] (autre extrait de La Vie atteinte)
    Vu, vécu, approuvé. (lecture d’AP)
    [J’ai demandé à l’horizon] (extrait de Vu, vécu, approuvé.)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean-François Mathé
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Jean-François Mathé
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Jean-François Mathé






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  • Sandro Penna | L’automne me parle déjà

    «  Poésie d’un jour  »


    Un_autre_garcon
    D.R. Ph.







    GIÀ MI PARLA L’AUTUNNO



    Già mi parla l’autunno. Al davanzale
    buio, tacendo, ascolto i miei pensieri
    piegarsi sotto il vento occidentale
    che scroscia sulle foglie dei miei neri
    alberi solo vivi nella notte.
    Poi mi chiudo nel letto. E mi saluta
    il canto di un ragazzo che la notte,
    immite, alleva : la vita non muta.



    Sandro Penna, Poesie [1927-1938], in Poesie, Garzanti Editore, Collana Gli Elefanti, febbraio 2000 (settima edizione, marzo 2006), p. 34. Prefazione di Cesare Garboli.






    L’automne me parle déjà. À la fenêtre
    sombre j’écoute dans le silence mes pensées
    fléchir sous le vent d’ouest
    qui ruisselle sur les feuilles de mes arbres
    noires présences seules vivantes dans la nuit.
    Puis je m’enferme dans mon lit. Salué
    par le chant d’un garçon que la nuit,
    violente, amplifie : la vie ne change pas.



    Sandro Penna, Poésies, Éditions Grasset, Les Cahiers rouges, 1999, page 29. Traduit de l’italien par Dominique Fernandez.






    LA SEMPLICE POESIA FORSE DISCENDE



    La semplice poesia forse discende
    distratta come cala al viaggiatore
    entro l’arida folla di un convoglio
    la mano sulla spalla di un ragazzo.



    Sandro Penna, Poesie inedite (1927-1955), op. cit., p. 125.






    La simple poésie glisse peut-être
    aussi distraite que la main d’un voyageur
    quand dans l’aride cohue d’un tram
    elle se coule sur l’épaule d’un garçon.



    Sandro Penna, op. cit., page 29. Traduit de l’italien par Dominique Fernandez.






    Penna Garboli




    SANDRO PENNA


    Sandro_Penna 3
    Source




    ■ Sandro Penna
    sur Terres de femmes


    Chroniques de printemps (+ notice bio-bibliographique)
    [Nuit : rêve de fenêtres] (poème extrait de Croix et délice)
    [La vie… c’est se souvenir d’un réveil]
    Un’estate




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur italialibri)
    une bio-bibliographie (en italien) sur Sandro Penna
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    une note très pertinente (en italien) de Giacomo Cerrai à propos du centenaire de la naissance de Sandro Penna





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