Étiquette : 2005


  • Erri De Luca | Due voci


    DUE VOCI





    Dicono : siete sud. No, veniamo dal parallelo grande,
    dall’ equatore centro della terra.

    La pelle annerita dalla più dritta luce,
    ci stacchiamo dalla metà del mondo, non dal sud.

    A spinta di calcagno sul tappeto di vento del Sahara,
    salone di bellezza della notte, tutte le stelle appese.

    L’acqua sopra una spalla, il fagotto sull’altro
    mantello, camicia e libro di preghiere.

    Il cielo è dritto, un cammino segnato,
    più breve della terra saliscendi.

    A sera ricuciamo il cuoio dei sandali col filo di budello
    e l’ago d’osso, ogni arnese ha valore, ma di più il coltello.

    Signore del mondo ci hai fatto miserabili e padroni
    delle tue immensità, ci hai dato pure un nome per chiamarti.





    Erri De Luca  Solo andata 2







    DEUX VOIX





    On dit : vous êtes le Sud. Non, nous venons du grand parallèle,
    de l’équateur centre de la terre.

    La peau noircie par la plus directe lumière,
    nous nous détachons de la moitié du monde, non pas du Sud.

    Par poussée de talon sur le tapis de vent du Sahara,
    salon de beauté de la nuit, toutes les étoiles en suspens.

    L’eau sur une épaule, le baluchon sur l’autre,
    manteau, chemise et livre de prières.

    Le ciel est droit, un chemin tracé,
    plus court que la terre vallonnée.

    Le soir nous recousons le cuir de nos sandales avec du fil de boyau
    et une aiguille en os, chaque outil a une valeur, mais le couteau plus encore.

    Seigneur du monde, tu nous as faits misérables et maîtres
    de tes immensités, tu nous as même donné un nom pour t’appeler.




    Erri De Luca, Aller simple [Solo andata, Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milano, 2005], édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2012, pp. 16-17 ; Collection Poésie/Gallimard, 2021, pp. 18-19. Poèmes traduits de l’italien par Danièle Valin.





    Erri De Luca  Aller simple





    Erri De Luca  Aller simple  Collection Poésie Gallimard



    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Paysages écrits)
    une lecture d’Aller simple d’Erri De Luca par Marie-Hélène Prouteau
    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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  • Cécile Wajsbrot, Mémorial

    par Angèle Paoli

    Cécile Wajsbrot, Mémorial [Zulma, 2005],
    éditions Le Bruit du temps, 2019, suivi d’un entretien de l’auteur
    avec Dominique Dussidour.



    Lecture d’Angèle Paoli




    UNE LEÇON BOULEVERSANTE




    « Passager clandestin de l’inhabité »*, le harfang des neiges traverse les grands ciels glacés de l’Arctique. L’oiseau majestueux conduit le lecteur de Mémorial (récit de Cécile Wajsbrot) dans une traversée de l’espace et du temps. Le voyage s’effectue selon deux trajectoires. Celle de l’oiseau des neiges. Celle d’une jeune femme partie à la rencontre de son passé. « Deux imaginaires », selon Dominique Dussidour, dans l’entretien qu’elle conduit avec l’écrivain. Un imaginaire oral, du côté des voix qui accompagnent et submergent la narratrice. Un imaginaire visuel avec le récit de l’oiseau. Le voyage de la narratrice s’accomplit depuis un point de départ, la gare d’une grande ville dont le nom n’est pas précisé, jusqu’à la ville de Kielce, en Pologne, d’où la jeune femme tire ses origines. Le récit d’un aller qui s’étire dans le train de nuit, après plusieurs heures d’attente sur des quais figés par le froid et l’inquiétude, et s’achève de l’autre côté de la frontière. À Kielce. Un « pèlerinage » dont la narratrice n’est pas certaine qu’il répondra à l’énigme de ses propres attentes.

    Chaque épisode majeur du récit est introduit par la traversée — en italiques — du harfang des neiges, silence mémoriel, trajectoire qui établit un lien entre la voyageuse, fille de migrants réfugiés en France, et le strigidé au plumage d’un blanc éblouissant qui se déplace dans l’espace, donnant au récit toute sa profondeur métaphorique et son mystère. Comment résister au vol énigmatique du harfang ? Sans cesse happé par la beauté mystérieuse de l’oiseau mais aussi par son essence ténébreuse, le lecteur tourne dans le récit, revient sur les traces du harfang, puis sur celles de la narratrice ; cherche le fil conducteur ; lit et relit les pages consacrées par Cécile Wajsbrot à cet oiseau inquiet, poussé dans son vol à une quête constante. L’infatigable migrateur n’en finit pas de franchir les frontières. Partir et revenir. « Dans ses voyages, va-t-il toujours au même endroit et revient-il au même, garde-t-il en mémoire les lieux pour retourner chez lui », s’interroge l’écrivain. Et le lecteur de s’interroger à son tour sur le lien étroit qui semble unir Cécile Wajsbrot à l’oiseau de son choix — symbole de l’errance. Et sans doute aussi d’une forme de liberté. La liberté ? « Un bien grand mot » ! Une illusion ; un leurre. Pourtant, à considérer le royaume du harfang, il semble que la liberté fasse partie intrinsèque de son univers. Un univers a-temporel, fait de silence. Son royaume ? Un idéal, peut-être, pour Cécile Wajsbrot. Et l’expression d’une nostalgie. [U]n lieu sans avenir ni passé où n’existe nulle trace, nul vestige d’aucune civilisation, une terre immaculée d’où rien n’est jamais parti […] Il est dans ce qu’il fait, dans son vol, pas l’ombre d’une arrière-pensée ou d’un retrait – son vol exprime l’instant, la concentration de l’élan.

    Le harfang ne fuit rien car rien ne vient à lui, il est l’essence et la présence – il est totalité. »

    La voyageuse, quant à elle, s’interroge. Et interroge les voix intérieures qui la pressent et se pressent autour d’elle, assaillant sans relâche son esprit. La première de toutes, celle d’où découlent toutes les autres, s’enquiert du pourquoi de cette entreprise. Quelles obscures raisons ont soudain poussé la jeune femme à se lancer sur le chemin de ses origines ? Elle qui prétendait pouvoir construire sa vie sans se préoccuper de l’histoire familiale. Sans se retourner sur les pas des siens, sans s’encombrer du poids de leur silence, de leurs rêves détruits, de leur fuite et de leur errance ! Sans se charger du poids de leurs désirs dans lesquels elle ne se reconnaît pas. La voilà pourtant qui passe le pont et va au-devant des fantômes qui viennent à sa rencontre et la poursuivent de leurs reproches muets, de leur incompréhension, et de leur attente.

    « — Qu’aurions-nous fait, dans cette ville ?

    — Tu vois ces horizons étroits, bouchés par les montagnes.

    — Les collines.

    — L’hostilité, surtout.

    — Ces gens que tu regardes.

    — Avec presque tendresse.

    — Ce sont eux qui nous ont chassés. Ou leurs parents, leurs grands-parents.

    — Leur famille.

    — Qu’aurions-nous fait, ici ?

    — Qu’avez-vous fait de tellement extraordinaire, là-bas, avais-je envie de leur dire.

    — Nous avons survécu.

    — Ce n’est déjà pas mal.

    — Ici, nous aurions été emportés.

    — Par la haine.

    — Ou l’horreur.

    — D’un côté ou de l’autre.

    — Nous avons survécu. »

    Mais voilà que la décision prise lui pèse, qui l’oblige à se confronter à ses démons, l’oblige à affronter ses propres contradictions. Car se mettre en voyage, c’est décider d’assumer sa part d’une histoire qui ne la concerne pas, pas vraiment, pas totalement. C’est aussi s’interroger sur le pays qui l’a vu naître et grandir ; qui l’a épaulée dans ses études et qui reconnaît son travail ; qui est le sien, tout en n’étant pas totalement le sien ; et découvrir l’autre pays, celui de ses parents, qui n’est plus tout à fait le sien non plus, puisqu’elle n’y est pas née et qu’elle n’en comprend pas la langue. C’est s’atteler à la lancinante question de l’identité. Qui suis-je ? D’où suis-je ? Pourquoi cette histoire devrait-elle être la mienne ? Qu’en faire ? Pourtant la démarche entreprise s’avère nécessaire, et il faut la mener jusqu’au bout. C’est là le prix à payer pour continuer à vivre et pour s’autoriser à vivre enfin autre chose, pleinement :

    « Et j’attendais ce train, qui m’amènerait, peut-être, au centre, au cœur du mystère que je tentais de percer, à ce qui me permettrait de résoudre l’énigme pour passer — enfin — à autre chose — à supposer que la vie ne soit pas la recherche d’une réponse à l’unique question. »

    Parmi les bribes de conversations saisies au vol surgit au cours du voyage une autre voix. Inattendue et douloureuse. Celle de cette jeune femme qui partage le compartiment de la narratrice et qui se rend à Oświęcim, sa ville natale. Oświęcim ? Le nom polonais d’Auschwitz. Comment peut-on vivre à Oświęcim ? Comment ne pas y vivre lorsque l’on est originaire de cette ville et que l’on a fait le choix d’y rester ? La passagère se confie, hésitante d’abord, puis plus assurée. Libérant par sa parole les mots tenus enfermés sous la chape de plomb de la mémoire. Ravivant par sa parole libérée la mémoire de la narratrice :

    « Le nom d’Oświęcim nous pétrifiait, transportant en d’autres temps, d’autres lieux, tous ceux de ma famille qui n’étaient pas venus en France et qui n’étaient pas morts avant la guerre avaient péri là-bas, je ne les connaissais pas, j’ignorais leurs noms et leurs visages mais ils me poursuivaient, cohorte silencieuse, et surgissaient parfois dans les rêves de la nuit. »

    Oświęcim ! Dans la nuit de leur échange, ce nom roule entre les deux voyageuses. « Il y avait l’expérience commune d’un nom accolé à une catastrophe, et la même question, comment échapper ou comment vivre avec — vivre après. »

    Les questions reviennent, obsédantes, tournent en boucle dans la tête. Et sur les pages de Mémorial. Que faire de ces traces indéchiffrables ? Que faire de ce passé, des souvenirs qui obstruent la vue et barrent le présent ? Que faire de ces voix qui tentent de happer la jeune femme pour l’amener à rejoindre leur monde ? Lesquelles, parmi elles, appartiennent-elles aux vivants ou aux morts ? Les leurs ? La sienne ? Mais « déjà les vivants sont destinés à devenir des morts, dans l’entre-deux où ils se trouvent, ils n’essaient pas de revenir, désormais, une impulsion les pousse à continuer, à aborder de l’autre côté. » Que faire de ce chaos qui aspire dans les méandres de l’absurde ?

    Pour la narratrice, la réponse est peut-être à Kielce, au bord de la Silnica. Aux abords de la maison qu’occupaient autrefois les siens. C’est là, malgré le calme apparent des eaux, que s’affolent les pensées, que s’agitent les ombres. Une voix prend la parole, celle de l’oncle disparu. Elle évoque les tragédies qui ont eu la Silnica pour théâtre ; et guide la voyageuse vers le mémorial juif. C’est là que veille la chouette — cet autre strigidé —, « divinité de la mort », « gardienne des cimetières, pétrifiée sur les stèles dressées, gravée dans la pierre des mémoriaux – gardant le seuil du temps. » L’errance de la narratrice la conduit jusque devant les stèles dont les signes hébraïques lui sont une énigme. Les siens sont peut-être là, dans ce cimetière délaissé, protégé par une grille. Elle n’en saura rien.

    Le dialogue avec les voix — ses voix — se poursuit, qui pousse la jeune femme à examiner tous les ressorts de l’Histoire, à envisager tous les possibles, à passer au crible toutes les pensées. Celles de sa famille et les siennes. Celle de l’oncle défunt, noyé dans les eaux sombres de la Sinilca. À l’histoire de Kielce — le pogrom subi dans l’après-guerre, la fuite hors du pays, les crimes et les massacres — se mêle l’histoire personnelle de ses proches. La maladie d’Alzheimer du père et de sa sœur. Errances de la pensée sans mémoire. Errance dans le passé et dans un présent devenu obscur, indéchiffrable. Errance de la narratrice dans les rues de Kielce, ballotée entre des choix impossibles. Ce que la jeune femme est venue chercher reste introuvable. Il n’y a rien. Ni à chercher ni à trouver. Que du silence. Que du vide.

    De retour chez elle, la narratrice se sent étrangère. Au monde qui l’entoure, à elle-même. Pourtant un sursaut la réveille de son absence. Qui la conduit auprès de ses parents. Pour un ultime dialogue dont on ne sait s’il est réel ou s’il est rêvé. Quelque chose se tisse entre les voix, qui tient de la reconnaissance réciproque. Un voile est levé, qui libère la mémoire. Il aura fallu toutes ces années et tout ce détour par la Pologne pour qu’enfin les voix se comprennent et s’acceptent. La narratrice va pouvoir trouver le repos du Léthé :

    « Je vais m’étendre à côté d’eux comme j’en rêvais parfois, et puis fermer les yeux, m’endormir. »

    Subrepticement, le harfang des neiges s’est éclipsé de ce récit magnifique, cédant la place à la chouette de la mort. Mais avant de disparaître, il a laissé derrière son vol silencieux une leçon de mémoire :

    « Tout possède une mémoire, les oiseaux, le corps et l’eau, chaque chose se souvient à sa manière et nul ne sait si la mémoire de l’un ressemble à la mémoire de l’autre. »

    Le harfang des neiges a inoculé dans l’esprit du lecteur la conviction que, de la laideur et de la cruauté, la beauté peut un jour renaître. C’est ce que révèle ce très grand texte. Une leçon bouleversante que ce Mémorial.


    ___________________
    * Une expression empruntée à Cécile Wajsbrot, in Totale éclipse, Christian Bourgois éditeur, 2014.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    MemorialCÉCILE WAJSBROT




    ■ Cécile Wajsbrot
    sur Terres de femmes


    Destruction (lecture d’AP)
    Nevermore (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Cécile Wajsbrot
    → sur le site des éditions Le Bruit du temps)
    la fiche de l’éditeur sur Mémorial





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  • Jean-Louis Giovannoni | [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant]





    [JE NE SAIS POURQUOI L’AUTRUCHE ME FASCINE AUTANT]



    Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant. C’est un animal tout en jambe, avec un cou rose qui semble pousser, pousser dans l’excitation du danger. Elle surveille la savane du haut de deux mètres cinquante. Je suis certain qu’en se mettant sur la pointe des onglons, elle avoisine les trois mètres. Être aussi jambu ne sert pas à grand-chose, si ce n’est à fuir. Sa chair doit être très nerveuse. Les vrais amateurs de steak n’y trouveront pas leur bonheur. Certes, il y a plus à manger dans un cou d’autruche que dans celui d’une poulette. Mais là encore, elle est battue. La girafe a un cou plus long. Ce qui doit donner des filets de plusieurs mètres. Qu’importe la longueur, la vitesse, les enjambées spectaculaires : la vie n’est pas un match de basket. On ne s’élève pas à l’intérieur de soi du fait d’avoir sa tête à cinq ou six mètres du sol. Le but n’est pas de sauter haut mais de sauter juste, dans le corps qu’il faut. Arriverai-je un jour à me débarrasser de ce besoin de comparer les tailles, les performances ? Moi, je ne suis pas grand à côté de ces perches. La noisette que je suis vaut bien plus qu’une noix de bison ou d’éléphant. Ce n’est pas la quantité qui fait la qualité ! Il est vrai que par moments j’aimerais bien me dénouer les jambes, ne plus les tenir dans ma tête. Je suis certain que je m’anémie à force de jouer au spéléologue de l’âme. Un bon coup de pied, un jarret débandé sont sûrement un remède plus efficace contre la crampe que l’immobilité surfaite d’une pietà. Les descentes de croix sont plus propices à l’ulcère duodénal qu’une rencontre de football ! Me serais-je trompé à ce point ? Le noir dans lequel on m’a plongé est-il le seul responsable de ma parfaite blancheur ? D’un seul coup, je doute en pensant aux courses folles de tous ces animaux dans la savane. Mourir d’épuisement, tout couvert de sueur, sous une patte féline, a peut-être plus de beauté que ma tête attendant la sauce gribiche ou ravigote, au milieu de pommes vapeur.
    Quels que soient ma présentation, mon onctuosité, mon dévouement, je suis persuadé que les gens roteront après m’avoir arrosé d’une Côte-rôtie ou d’un Saint-Joseph. C’est fou comme je me sens à l’étroit, d’un seul coup, dans nos livres de cuisine. Et pourquoi pas un veau à l’estrapade, pris à la hussarde ! Un flanchet ou des côtes premières à la croque-en-sel ! Du direct, quoi, et non de la popote pour ménagère. Quelle chance a la gazelle légère de se faire déchirer, écarteler sur le sol par un vigoureux lion à l’opulente crinière ! Rien à voir avec une cervelle servie avec sa noisette de beurre et son filet de citron. Je me vois en veau à la tartare, usé et cuit sous la selle et pris à pleine bouche par un barbare odorant, sans qu’il descende de cheval. Il est préférable de finir boucané qu’en blanquette avec un bouquet garni lors d’un repas de dimanche après la messe. Aiguillette de canard, poulette, chapon, dindon, tout ça est gentillet et sent la basse-cour, le bec au ras du sol. Je vais finir par aimer les taureaux. Peut-être qu’en fouillant bien, j’en suis un ? Le corps à corps avec le matador, la muleta, et les carmencitas qui crient leur amour au passage des cornes : j’en rêve ! Peut-être que ma viande sera écumeuse et noire, mais au moment de ma mise à mort, je serai dans la bouche de tous les aficionados. Ô mon héros ! je te donnerai deux oreilles, et toute la tête si tu veux, rien que pour faire rougir ta belle aux yeux de jais. Et je serai pour elle, même un bref instant, la mort vaincue, la mort prise à la mort, gagnée dans la poussière de tes pas.
    Que de fins possibles ! Pourquoi ai-je choisi de me rompre à la table dominicale comme un pain béni en famille ? Pourquoi n’ai-je pas choisi la lame d’une épée, au milieu des fleurs rouges et des olés ! Chacun son arène. La lame, je la connaîtrai à ma façon. Et tous ces picadors endimanchés me ferrailleront aussi bien qu’un taureau à la fin inépuisable. Certes, je n’aurai pour fleur qu’une gelée de groseilles, mais quel plaisir ce sera de trouver enfin de vraies dents.



    Jean-Louis Giovannoni, Journal d’un veau. Roman intérieur, XVIII, Deyrolle/Verdier, 1996 ; éditions Léo Scheer (deuxième édition), 2005, pp. 101-104.






    Jean-Louis Giovannoni  Journal d'un veau



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Envisager (note de lecture de Tristan Hordé)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose]
    Issue de retour (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (note de lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    Mère
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (note de lecture d’AP)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d’AP)





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  • Armen Lubin | Feux contre feux


    FEUX CONTRE FEUX



    Deux surfaces, mêmes dimensions :
    Mon front et le ciel étoilé.
    Deux surfaces, feux contre feux.

    Gâchis contre gâchis mais exaltés
    Par la fusion des nuits à hautes cimes,
    Mais chute aussi qui me corrige,
    L’écart rétabli, fini le prestige.

    Comme on est malhabile, convalescent,
    Rejeté ainsi, hors de l’élément !

    Froidement vidé je me sentis
    Quand retomba ma dépouille,
    Poches retournées je me sentis.

    Par la fusée et la fusion lointaines,
    Dans les hauteurs où tout est urgent,
    J’ai vu le ciel, il livrait le domaine.

    J’ai vu le point nul du sacre :
    Absorption, déchirement, simulacre
    De tout ce qu’ici-bas
    Nous ne pouvons pas posséder,
    Ici-bas et en ces lieux
    Où fuse l’amour : feux contre feux.

    Gâchis contre gâchis mais exaltés
    Jusqu’à la plus haute source des larmes,
    Mais chute aussi qui me corrige,
    L’écart rétabli, fini le prestige.

    Comme on est vain, presque mort,
    Poches retournées, dedans dehors.



    Armen Lubin, « Feux contre feux », Les Hautes Terrasses, Gallimard, 1957, in Le Passager clandestin, Sainte patience, Les Hautes Terrasses, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 404, 2005, pp. 205-206. Préface de Jacques Réda.






    Armen Lubin





    ARMEN LUBIN


    Armen Lubin 3





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Passager clandestin – Sainte patience – Les Hautes Terrasses
    → (sur le site de la revue Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Armen Lubin





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  • Doina Ioanid, Le Collier de cailloux





    LE COLLIER DE CAILLOUX
    (extraits)




    Je ne veux pas être un bâtisseur obèse. Je ne veux pas m’adapter au rythme des grandes villes, ni escalader des gratte-ciels, et surtout pas être la femme du jour en polaroïds. Peut-être que je ne sais pas encore très bien ce que je veux. Mais parfois, lorsque je retiens mon souffle pour entendre le tien, il me semble que tout devient limpide et aussi frais que le linge qui sèche sur la corde, dehors, dans le froid.



    […]



    J’ai frotté ma peau avec des aiguilles de pin, avec de l’écorce et de la sciure, puis avec de la terre meuble et du sable. J’ai frotté ma peau jusqu’au sang, pour me défaire de tout ce que j’ai appris jusqu’à présent. Ainsi, je pourrai savoir ce que je désire vraiment, car cette motte de chair ensanglantée ne peut mentir. Ni le hurlement sous la pluie acide.



    […]



    J’ai un collier de petits cailloux. Je les ai ramassés dans les gares, sur les routes asphaltées au ballast, dans les carrières abandonnées, dans mes chaussures, dans les fontaines de nouvelles terrasses, dans les cabas des copains. Tard dans la nuit, je mets le collier autour de mon cou et je me faufile dans les rues. Pliée sous son poids, presque cassée en deux, je tinte tout le temps, leurrant les renards dans les vitrines des magasins.



    […]



    Finalement, tout me trahit, ma peau, ma mémoire et mon pull turquoise déjà avachi. Je vis dans l’ombre du mur, de la gouttière, sans journal, sans projet, sans destination précise. Je vis au fil des jours qui passent.



    Doina Ioanid, Le Collier de cailloux, poèmes du passage [Poeme de trecere, Editura Vinea, Bucureşti, 2005], Atelier de l’agneau, Collection transfert, 2017, pp. 14, 16, 19, 25. Traduit du roumain par Jan H. Mysjkin avec l’œil complice de Monica Salvan. Préfacé par Carmen Muşat.







    Doina Ioanid  Le Collier de cailloux





    DOINA IOANID


    Doina Ioanid
    Ph. Jan H. Mysjkin



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site d’Atelier de l’agneau éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Le Collier de cailloux





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  • Giovanni Orelli | Su un insondabile verbo



    SU UN INSONDABILE VERBO



    Sono come svuotato, arso, come un fiasco
    che suoni fesso, e se ne duole e se ne lagna
    col tavolo di cucina un non santo bevitore;
    sono lavagna dei sei anni col suo pieno fitto di belle
    lettere, da una maestra nella veste della legge,
    scancellata ; sono, tenuto a vista dalla balaustrata,
    dai chierichetti in bianco, il mite mentecatto
    il muto, il fuco, il cattolico astinente che elegge,
    per onorare la memoria, la religione « di una volta »,
    una volta all’anno di comunicarsi:

    e sono qui, mia Pasqua del 10 luglio, dall’ a alla zeta
    a farmi rana, per un’ora pentita e contrita, al momento della lingua
    in fuori, a recitare il non sono degno… Riuscirò a tenere in serbo
    curvo tornando in fondo ai banchi dei pubblicani
    una di quelle lettere, per comunicarti, per me e pei figli
    lontani e così vicini, un insondabile verbo? Sii tu il poeta
    che decripta quel segno, anfibio come rana, lasciando vivere
    la rana! Non scancellare I silenzi dei pantani. Sii Iddio che legge
    nel fondo ai peccatori suoi. Sii tu, per noi, un giorno
    che duri un anno, della lettura muta, lieta.





    SUR UN VERBE INSONDABLE



    Je suis comme vidé, desséché, comme une fiasque
    qui rendrait un son fêlé, et ce n’est pas un saint buveur
    qui s’en désole et s’en plaint à la table de la cuisine ;
    je suis l’ardoise de mes six ans toute pleine de belles
    lettres serrées qu’une maîtresse en représentant de la loi
    efface ; je suis, gardé à vue de la balustrade,
    par des enfants de chœur en blanc, le doux idiot
    le muet, le faux-bourdon, le catholique abstinent qui choisit,
    pour honorer la mémoire, la religion d’« une fois »,
    de la communion une fois par année :

    et je suis ici, mes pâques du 10 juillet, à me faire
    grenouille de A à Z, une heure repentie et contrite, au moment
    de sortir la langue, à réciter le je ne suis pas digne… Réussirai-je
    regagnant courbé le fond des bancs des publicains à conserver
    une de ces lettres, pour te communiquer, pour moi et pour les enfants
    lointains et si proches, un insondable verbe ? Sois le poète
    qui décrypte ce signe, amphibie comme la grenouille, en laissant vivre
    la grenouille ! n’efface pas les silences des marais. Sois Dieu qui lit
    dans le fond du cœur de ses pécheurs. Et toi, pour nous, un jour
    qui dure une année, de la lecture muette sois heureuse.



    Giovanni Orelli, « Courante, 2 » in Concertino pour grenouilles [Concertino per rane, Edizioni Casagrande, CH-Bellinzona], La Dogana, Collection « Poésie », Collection dirigée par Florian Rodari, Genève, 2005, pp. 28-29. Traduction de Jeanclaude Berger et texte italien.






    Giovanni Orelli






    GIOVANNI ORELLI (1928-2016)


    Giovanni Orelli 2
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur viceversalittérature.ch)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Giovanni Orelli
    → (sur RTS, Radio Télévision Suisse francophone)
    émission Haute définition (7 septembre 2014) – Giovanni Orelli : « Apprendre une langue nationale, un acte de foi ! »






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  • Patrizia Valduga | [Il cuore sanguina]



    [IL CUORE SANGUINA]




    Il cuore sanguina, si perde il cuore
    goccia a goccia, si piange interiormente,
    goccia a goccia, cosí, senza rumore,
    e lentamente, tanto lentamente,
    si perde goccia a goccia tutto il cuore
    è il pianto resta qui, dentro la mente,
    non si piange dagli occhi, il pianto vero
    è invisibile, qui, dentro il pensiero.




    Patrizia Valduga, Requiem, XV (Marsílio, 1994 ; Giulio Einaudi editore, Collezione di poesia 311, 2002, pagina 19), in Dopo la lirica, Poeti italiani 1960-2000, a cura di Enrico Testa, Giulio Einaudi editore, 2005, pagina 349.








    [LE CŒUR SAIGNE]




    Le cœur saigne, le cœur se perd
    goutte à goutte, on pleure intérieurement,
    goutte à goutte, ainsi, sans bruit,
    et lentement, si lentement,
    goutte à goutte le cœur se perd tout entier
    et les larmes restent ici, au-dedans de l’esprit,
    on ne pleure pas avec les yeux, les vraies larmes
    sont invisibles, ici, au-dedans de la pensée.



    Traduction inédite d’Angèle Paoli






    PATRIZIA VALDUGA


    Patrizia_valduga
    Source




    Née le 20 mai 1953 à Castelfranco Veneto (Treviso), Patrizia Valduga vit aujourd’hui à Milan. Traductrice de John Donne, Molière, Crébillon fils, Mallarmé, Valéry, Shakespeare, Kantor, Céline, Cocteau… elle dirige durant un an la revue Poesia (1988). Elle est l’auteur d’un nombre important de recueils : Medicamenta (Guanda, 1982), Medicamenta e altri medicamenta (Einaudi, 1989), Donna di dolori (Mondadori, 1991), Requiem (Marsílio, 1994), Corsia degli incurabili (Garzanti, 1996), Cento quartine e altre storie d’amore (Einaudi, 1997), Prima antologia (Einaudi, 1998), Quartine. Seconda centuria (Einaudi, 2001), Lezione d’amore (Einaudi, 2004), Il libro delle laudi (Einaudi, 2012).

    « L’œuvre poétique de Patrizia Valduga frappe par le contraste que forme une thématique d’une extrême violence, qui tend à leur point de rupture les pôles d’Eros et de Thanatos dans une atmosphère de passion funèbre, et un très grand raffinement dans le choix des formes classiques dont la rigueur rehausse la violence du poème : tercet dantesque, quatrain, mais aussi huitain ou sonnet. La violence charnelle, la dégradation et l’obscène sont contenus dans un corset de formes pures et traditionnelles qui rappellent à la fois les protocoles sadiens, la dépense de Bataille, Les Lois de l’hospitalité et, plus encore, les œuvres récentes de Bernard Noël ou de Franck Venaille… » (Martin Rueff, in Po&sie, n° 110, « 1975-2004 | 30 ans de poésie italienne », 2, Belin, 2005, page 357).





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  • Helga M. Novak | Lettre à Médée




    MEDEA PASOLINI LA CALLAS
    Image, G.AdC







    BRIEF AN MEDEA



    Medea du Schöne dreh dich nicht um
    vierzig Talente hat er dafür erhalten
    von der Stadt Korinth
    der Lohnschreiber der
    daß er dir den Kindermord unterjubelt
    ich rede von Euripides verstehst du
    seitdem jagen sie dich durch unsere Literaturen
    als Mörderin Furie Ungeheuer
    dabei hätte ich dich gut verstanden
    wer nichts am Bein hat
    kann besser laufen
    aber ich sehe einfach nicht ein
    daß eine schuldbeladene Gemeinde
    ihre blutigen Hände an deinen Röcken abwischt
    keine Angst wir machen das noch publik
    daß die Korinther selber deine zehn Gören gesteinigt haben
    (wie sie schon immer mit Zahlen umgegangen sind)
    und das mitten in Heras Tempel
    Gewalt von oben hat keine Scham
    na ja die Männer die Stadträte
    machen hier so lustig weiter
    wie früher und zu hellenischen Zeiten
    (Sklaven haben wir übrigens auch)
    bloß die Frauen kriegen neuerdings
    Kinder auf Teufel komm raus
    anstatt bei Verstand zu bleiben
    (darin sind sie dir ähnlich)
    andererseits haben wir
    uns schon einigermaßen aufgerappelt
    was ich dir noch erzählen wollte:     die Callas ist tot


    Helga M. Novak, wo ich jetzt bin Gedichte, Schöffling & Co., Frankfurt am Main, 2005, pp. 92-93. Ausgewählt von Michael Lentz.






    Helga M. Novak, wo ich jetzt bin








    LETTRE À MÉDÉE



    Médée toi la belle ne te retourne pas
    il a reçu pour cela quarante talents
    de la ville de Corinthe
    l’écrivain stipendié celui
    qui en douce t’a collé l’infanticide sur le dos
    je veux parler d’Euripide comprends-tu
    depuis lors ils te chassent dans nos littératures
    comme une meurtrière une furie un monstre
    pour cela je t’aurais bien comprise
    celui dont rien n’entrave la jambe
    arrive à mieux courir
    mais je ne vois vraiment pas pourquoi
    une cité chargée d’écoles
    essuie ses mains sanglantes aux pans de ta robe
    n’aie crainte nous ferons encore savoir
    que ce sont les Corinthiens qui ont lapidé tes dix gamins
    (c’est toujours comme cela qu’ils ont su s’en tirer avec les chiffres)
    et de plus au milieu du temple d’Héra
    la violence d’en haut est sans vergogne
    eh oui les hommes les membres du Conseil
    continuent à se la couler douce
    comme naguère aux temps hellénistiques
    (d’ailleurs nous avons nous aussi des esclaves)
    simplement les femmes font de nouveau
    des enfants à tire-larigot
    au lieu de raison garder
    (en cela elles te ressemblent)
    d’un autre côté nous avons
    quelque peu repris du poil de la bête
    ah je voulais encore te dire la Callas est morte.


    Helga M. Novak, C’est là que je suis, Buchet/ Chastel, Collection Poésie, 2007, pp. 67-68. Poèmes traduits de l’allemand par Jean-François Nominé.






    Helga M. Novak - Buchet Chastel




    HELGA M. NOVAK


    Helga M. Novak en 1971
    © PICTURE-ALLIANCE / DPA
    Source




    ■ Helga M. Novak
    sur Terres de femmes

    en automne (poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    Helga M. Novak par Pascale Trück
    → (sur Terre à ciel)
    Helga M. Novak : c’est là qu’elle est, par Sophie g. Lucas



    ■ Médée
    sur Terres de femmes

    Médée (AP)
    Pascal Quignard, Medea (lecture d’AP)
    18 mars 1929 | Naissance de Christa Wolf (extrait de Médée de Christa Wolf)
    13 mai 1932 | Médée de Sénèque, mis en scène par Georges Pitoëff
    8 mai 1940 | Création française à l’Opéra de Paris de l’opéra Médée de Darius Milhaud
    5 avril 1967 | Maria Casarès dans Medea


    ■ Voir | écouter encore ▼

    Orphée et Médée. Approche comparative de deux gestes mythiques (Marie-Adélaïde Debray)
    → (sur YouTube)
    Medea de Pier Paolo Pasolini, avec Maria Callas dans le rôle de Médée






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  • Jean-Pierre Siméon | [Tandis que j’écris ce poème tu dors]



    Xxxxxxxx
    Pablo Picasso, Repose, 1908
    Huile sur toile, 81,2 x 65,4 cm
    NYC, Museum of Modern Art
    © 2014 Estate of Pablo Picasso /
    Artists Rights Society (ARS), New York
    Source









    [TANDIS QUE J’ÉCRIS CE POÈME TU DORS]



    XVIII



    Tandis que j’écris ce poème tu dors
    j’écris pour que tu dormes
    pour que ma phrase veille sur ton sommeil
    car il n’y a pas plus grand péril que les songes
    dont on revient toujours séparé de soi-même


    il faut que ces mots respirent avec toi
    qu’ils boivent la nuit à tes lèvres
    et qu’ils nous lient tous deux face à la mort
    selon la loi des simples


    il y a ces solitudes infinies que nous sommes
    chacune de nos pensées
    est un arbre grelottant
    et la peau durcit
    qui sépare les paroles et sépare les âmes


    j’attendrai jusqu’à la consomption
    de la dernière étoile
    penché sur ton visage et sur l’ombre
    où étrangement tu disparais


    je formerai un langage autour de ton sommeil
    il sera tissé de ce vieux lin
    qu’on prend dans les armoires
    langage que j’étends
    sur toi
    et qu’il épouse un rythme
    dans ton cœur


    tant que tu dormiras
    mon poème tiendra la veille
    cherchant dans la nuit ton œil bleu


    nous attendrons ainsi
    le jour
    inexplicable


    puisse-t-il mon poème parlant au bord des draps
    ôter la pierre
    sur ton souffle




    Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Cheyne Éditeur, 2005, pp. 51-52.





    JEAN-PIERRE SIMÉON


    Jean-Pierre Siméon
    Source




    ■ Jean-Pierre Siméon
    sur Terres de femmes


    [Chaque pli du matin] (poème extrait de Fresque peinte sur un mur obscur)
    [On voudrait tenir le feu entre ses dents] (autre poème extrait de Fresque peinte sur un mur obscur)
    Retour du refoulé poétique (nrf n° 641)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean-Pierre Siméon





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Giorgio Orelli | Sul disegno di una bambina

    «  Poésie d’un jour »
    choisie par Claire Krähenbühl

    Hommage à Giorgio Orelli (1921-2013)



    Ta barque vogue
    Source






    SUL DISEGNO DI UNA BAMBINA



    Lievi montagne vivono
    e la tua barca va, senz’uomo,
    con l’anima dei primi fiori colti
    e il biglietto-ricordo.


    Se un ucello l’ha scorta, non temere:
    di te non si dorrà che l’hai destato,
    ma seguirà la barca, sopra l’acque
    vere come il tuo sguardo, all’altra riva.






    SUR LE DESSIN D’UNE FILLETTE



    Légères, des montagnes vivent
    et ta barque vogue, sans personne,
    avec l’âme des primes fleurs cueillies,
    le ticket-souvenir.


    Si un oiseau l’a aperçue, n’aie crainte :
    il ne t’en voudra pas de l’avoir éveillé,
    mais il suivra ta barque, sur les eaux
    vraies comme ton regard, à l’autre rive.




    Giorgio Orelli, Poesie, ed. Meridiana, Milano, 1953. Repris dans Poèmes de jeunesse (1939-1962), éd. Samizdat, 2005, pp. 46-47. Choix et traduction de Christian Viredaz.







    GIORGIO ORELLI


    Orelligiorgio (1)
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Le Culturactif)
    plusieurs pages consacrées à Giorgio Orelli
    → (sur lecourrier.ch )
    une page consacrée à Giorgio Orelli [PDF]
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Giorgio Orelli dits par l’auteur





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