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  • TdF n° 133 ― décembre 2015 (Sommaire)



    TDF DEC 2015
    Image, G.AdC






    SOMMAIRE DU MOIS DE DÉCEMBRE 2015


    Terres de femmes ― N° du mois de novembre 2015
    Françoise Ascal, Des voix dans l’obscur (lecture d’Angèle Paoli)
    Julien Bosc | [Hormis les lèvres où mourir]
    Stéphane Korvin | [on déplace les muettes]
    Ludovic Degroote, zambèze (lecture d’Angèle Paoli)
    Alain Duault | [Tempêtes tempêtes]
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Jacques Moulin | [Partir à dos de feuilles ou d’arbres]
    Jeanine Baude, Aveux simples & Soudain (lecture de Michel Ménaché)
    Patrick Laupin | [Je suis d’accord avec Descartes]
    Pierre Perrin, Une mère | Le cri retenu (lecture d’Angèle Paoli)
    Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    Amina Saïd | [de ce côté-ci du monde ou de l’autre]
    Gérard Macé | Affluent d’un fleuve
    Emmanuèle Jawad, Faire le mur (lecture d’Angèle Paoli)
    Pierre Maubé | [tes jours défilent sous tes yeux]
    Étienne Faure | [Après les rigueurs inhumaines | du gel]
    Inger Christensen, La Chambre peinte | Un récit de Mantoue (lecture d’Angèle Paoli)
    Stéphane Korvin | [le vent se bombe]


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  • Silvia Bre | [Beato il mio vicino]



    Silvia Bre
    Photo de Lucio Trizzino
    Source







    [BEATO IL MIO VICINO]



    Beato il mio vicino che dalle sue finestre
    coglie con gli occhi i fiori che io curo,
    i colori che veglio dal buio della casa.
    Io penso a togliere le foglie secche
    a dare l’acqua ai vasi appena serve,
    devo sempre patire quando un giorno
    vedo che sono morti eternamente.
    Per lui sono soltanto vivi, solo belli,
    non ha bisogno di saperne i nomi
    per imparare come amarli meglio.
    Beato lui, il vicino,
    che chiama il mio balcone il suo paesaggio
    e che di fronte a sé tra strada e cielo
    vede distintamente il mio destino.



    Silvia Bre, Marmo, Giulio Einaudi Editore, 2007 [ebook 2014], pagina 31. Premio Viareggio-Rèpaci 2007.






    Silvie Bre, Marmo







    [BIENHEUREUX MON VOISIN]



    Bienheureux mon voisin qui à sa fenêtre
    cueille du regard les fleurs que je cultive,
    les couleurs que je protège de la maison obscure.
    Je tiens à en lever les feuilles sèches
    et à donner de l’eau aux vases, je souffre toujours quand
    je vois qu’elles sont définitivement mortes.
    Pour lui, elles sont vives, belles,
    il n’a pas besoin d’en connaître les noms
    pour les aimer à suffisance.
    Bienheureux, le voisin,
    qui appelle mon balcon son paysage
    et qui face à lui-même entre rue et ciel
    connaît distinctement mon destin.



    Silvia Bre, in Bleu d’encre n° 21, revue littéraire en Haute-Meuse, « Dossier spécial Poésie italienne », préparé par Philippe Leuckx, été 2009, page 16. Traduction en français de Philippe Leuckx.





    SILVIA BRE


    Silvia_bre_foto
    Source



    ■ Silvia Bre
    sur Terres de femmes

    [Un’aquila si tiene nei miei occhi] (autre poème extrait de Marmo, traduit par Tiphaine Samoyault)[+ une notice bio-bibliographique de Silvia Bre]
    [Il dono a volte è solo un vetro opaco] (autre poème extrait de Marmo, traduit par Silvia Guzzi)
    [Il nome è troppo] (autre poème extrait de Marmo, traduit par Tiphaine Samoyault)
    [Io amo chi siede](poème extrait de La fine di quest’arte, traduit par Silva Guzzi)
    [La poca la povera cosa] (autre poème extrait de La fine di quest’arte, également traduit par Silvia Guzzi)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [È da lontano che viene] (poème inédit traduit par Silvia Guzzi)



    ■ Pour écouter | voir Silvia Bre sur la Toile, cliquer
    ICI





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  • Maram al-Masri | [elle a légué à ses enfants une mère qui rêve]



    Une mere qui...
    Ph., G.AdC





    [ELLE A LÉGUÉ A SES ENFANTS UNE MÈRE QUI RÊVE]




    Elle a légué à ses enfants

    une mère qui rêve

    qui danse,

    qui sourit…

    Une mère qui pleure,

    qui désire…

    Une mère sans argent,
    qui ne reprise pas les chaussettes

    Une mère qui écrit des poèmes,
    dans une langue qu’ils ne comprennent pas…




    Perdante,
    comme une pouliche
    montée par un
    mauvais cavalier…




    Maram al-Masri, Je te regarde, Al Manar, Collection Méditerranées, 2007, pp. 75-76. Préface de Salah Stétié. Traduit de l’arabe (Syrie) par François-Michel Durazzo en collaboration avec l’auteur. Dessins de Youssef Abdelké.





    Maram al-Masri, Je te regarde
    Source





    MARAM AL-MASRI


    Maram Morges
    Ph. : angelepaoli
    Morges, avril 2015





    ■ Maram al-Masri
    sur Terres de femmes


    Un furesteru mi feghja (extrait de Cerise rouge sur un carrelage blanc)
    Métropoèmes (lecture de Michel Ménaché)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Babelmed)
    Rouge poétique sur grisaille quotidienne
    → (sur Interromania, Centru culturale Università di Corsica)
    plusieurs pages sur Maram al-Masri (+ vidéo)



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  • 12 avril 1934 | Publication de Tendre est la nuit de Francis Scott Fitzgerald

    Éphéméride culturelle à rebours


    Scott zelda fitzgerald
    Source






    PIETRO CITATI, LA MORT DU PAPILLON | ZELDA ET FRANCIS SCOTT FITZGERALD
    (extrait)



    Tendre est la nuit, publié le 12 avril 1934, tandis que les tableaux de Zelda étaient exposés à New York, est le chef d’œuvre de Fitzgerald. Lorsqu’il parut, il portait une dédicace à Gerald et Sara Murphy, ses amis de la Côte d’Azur. Fitzgerald le commença plusieurs années auparavant, en 1925 ; il l’écrivit et le réécrivit, l’abandonna et le reprit, transforma complètement événements et personnages, y insinua sa propre vie, changea le titre, et se demanda pendant des années s’il parviendrait à le finir. Il vécut si longtemps dans son orbite qu’il lui semblait souvent que le monde réel disparaissait, et que le livre seul était réel. Quand celui-ci vit le jour, Fitzgerald était épuisé. Il n’avait plus aucune force. Il craignait même d’en avoir endommagé l’architecture en laissant l’abus d’alcool ruiner la dernière partie. Mais le livre est parfait, bien qu’il n’ait pas été aimé (ou fort peu) des lecteurs de 1934. Comme il l’écrivit aux Murphy presque trois ans plus tard, Fitzgerald avait une consolation : « Qui a dit qu’il était stupéfiant de voir combien les douleurs les plus profondes peuvent se changer, avec le temps, en une sorte de joie ? Certes, la coupe d’or est brisée, mais elle était d’or. »

    Tendre est la nuit est un roman sur le charme. Ce don, qui est à l’origine de la civilisation grecque, appartient surtout à Hermès, et signifie « fasciner par le regard », envoûter par la poésie, l’éros, l’oubli, le récit, la magie, le sommeil, l’espérance. Malgré les grâces de sa conversation, Fitzgerald eut toute sa vie le sentiment de ne pas posséder le véritable charme. Il n’en avait pas l’équilibre, la durée, la cruauté et la force. Il était trop précis, trop pédant ; il conservait trop de notes. Quand il représenta la figure de Dick Diver, bien qu’il lui eût confié une partie de son caractère et de son existence. Par ce double jeu d’identités et d’escamotage, il tenta de se connaître et de se comprendre, comme il avait essayé de le faire dans plusieurs livres. Je ne sais s’il y est parvenu.

    Dick Diver était un artiste, un inventeur, un chef d’orchestre, un psychiatre, un metteur en scène du charme : partout où il paraissait, sur la Côte d’Azur, à Paris et même aux États-Unis, sa voix, traversée d’« une mélodie irlandaise à peine perceptible, séduisait le monde. » Quand il s’adressait à ses amis et relations, il donnait l’impression d’avoir pour chacun des soins et attentions particuliers, révélant à chacun ce que son existence avait « d’unique et d’incomparable ». Il persuadait chaque ami de son affection, le débarrassait de la patine des compromis qui dissimulait son esprit ; et il lui ouvrait « de nouveaux mondes, une succession infinie de magnifiques possibilités. » Il l’inventait à partir de rien en tant qu’être humain, comme s’il eût été Dieu, ou le Démiurge. Il inventait les lieux, peignant les couleurs rose-pourpre et crème, ou les mystérieux verts laiteux, les montagnes, les collines et la mer de la Côte d’Azur. Quand il disparut, peut-être la Côte d’Azur disparut-elle aussi dans la grisaille et l’indifférence. […]



    Pietro Citati, La Mort du papillon, Zelda et Francis Scott Fitzgerald, Éditions Gallimard, Collection L’Arpenteur Domaine italien, 2007, pp. 80-81-82. Traduit de l’italien par Brigitte Pérol.






    Citati





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    10 mars 1948 | Mort de Zelda Fitzgerald (+ extrait de Tendre est la nuit)






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  • Jean Malrieu | [Depuis que le désert est arrivé devant ma porte]




    Tu es partie, avec des rires autour du cou.
    Ph., G.AdC







    [DEPUIS QUE LE DÉSERT EST ARRIVÉ DEVANT MA PORTE]



    Depuis que le désert est arrivé devant ma porte chargée de myrrhe et de questions
    Et que la pluie a enfin trouvé assez de consistance pour répondre à mon visage,
    Tu es partie, avec des rires autour du cou.
    Maintenant, le petit jour se lève, pâle comme le couteau et le visage de l’assassin,
    Perdu entre les siècles et les distances.
    Il faut se réveiller, sauter du lit, plonger les yeux dans le bassin de la lumière.
    Je bouge, appartenant au chœur des choses, serviteur des tables et des meubles, responsable des portes battantes, gardien du déluge qui monte entre le lit et le fauteuil.
    J’ai accueilli les mots trop grands pour ma mémoire.
    Des abîmes naissent sous mes pas.
    Au sein du jour, je me jette à la fenêtre pour qu’elle saigne.



    Jean Malrieu in Pierre Dhainaut, Jean Malrieu, Éditions des Vanneaux, Collection Présence de la poésie dirigée par Cécile Odartchenko, 2007, page 106.






    Dhainaut, Malrieu




    JEAN MALRIEU


    Portrait de Jean Malrieu
    Image, G.AdC



    ■ Jean Malrieu
    sur Terres de femmes

    21 juillet 1955 | Jean Malrieu, Lettre à Jean-Noël Agostini



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Possibles, n° 23, août 2017)
    trois poèmes de Jean Malrieu
    → (sur Esprits nomades)
    plusieurs pages consacrées à Jean Malrieu






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  • Seyhmus Dagtekin | [Te voici entre routes et sables]



    [TE VOICI ENTRE ROUTES ET SABLES]



    Te voici entre routes et sables d’une topographie imaginaire
    Tu cherches à te pencher pour voir les bords de la ville qu’on
    voudrait tenir hors d’atteinte de ceux qui nous guettent
    des bordures
    Toi aussi, tu me guettes
    Je t’ai vue avec mon œil du malin
    Je peux plus que te voir
    Pis, je peux te dessiner d’un jet
    Tout comme tu peux m’effacer
    Sur les mêmes bords
    Sur les mêmes routes
    Faisons-nous face
    Supportons-nous face à face
    Demain sera l’image de notre sourire
    Pile ou face
    /
    Et le mot frère
    /
    Pour ne laisser aucun ici sans son ailleurs



    Seyhmus Dagtekin, Juste un pont, sans feu, Le Castor Astral, 2007, page 35.






    SEYHMUS DAGTEKIN


    Seyhmus Dagtekin
    Source




    ■ Seyhmus Dagtekin
    sur Terres de femmes

    Je voudrais (poème extrait d’Au fond de ma barque)
    Rêves légers, nuit claire (poème extrait d’Élégies pour ma mère)
    [Ville se déguisera] (poème extrait de Dès que mon pied touche l’eau)



    ■ Voir aussi ▼

    le site officiel de Seyhmus Dagtekin
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Cécile Guivarch avec Seyhmus Dagtekin (juin 2009)






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  • Christian Garcin | Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest

    par Angèle Paoli

    Christian Garcin, À Budapest,
    éditions circa 1924, 2007, rééd. 2014.

    Christian Garcin, L’Étrange Sérénité des fonds marins,
    éditions circa 1924, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli


    LECTURES VAGABONDES, DU MEXIQUE A BUDAPEST



    Il arrive parfois que, par la voie des airs, me parviennent miraculeusement des petits bijoux de livres. Ainsi de ces livres jumeaux À Budapest (2007, rééd. 2014) et L’Étrange Sérénité des fonds marins (2014), reçus juste avant les fêtes de Noël. Jumeaux parce qu’ils sont tous deux pareillement façonnés, de même format (11 x 11 cm), de même facture — couverture à double rabat et bande pliée de la Collection « accordéon », composés en Baskerville et imprimés en deux tons sur Rivoli blanc par les presses de Dereume en Belgique — et qu’ils sont l’œuvre d’un même auteur. Tous deux appartiennent à une même maison d’édition — Circa 1924, fondée en 2003 par Geneviève Voegelé et Jean-Charles Wolfarth — et comportent des « images pictorialistes » en noir et blanc. On pourrait imaginer que s’arrêtent là les similitudes (j’ai oublié les pochettes plastifiées à rabat !), que l’on peut toutefois élargir au plaisir infini que procure la lecture de l’un et de l’autre de ces mini-ouvrages de bibliophilie. Publiés à sept années d’intervalle, les deux textes se rejoignent dans la belle écriture de Christian Garcin (à l’occasion d’une réédition du premier ouvrage).

    Lequel de ces deux livrets vais-je ouvrir en premier ? Vais-je céder à l’appel du regard tendre (légèrement interrogateur) du portrait de l’élégante qui figure sur la première de couverture d’À Budapest ? Ou bien à l’appel du voyage à l’autre bout du monde que suggère le paysage maritime — avec embarcation à voile — de L’Étrange Sérénité des fonds marins ? Je déplie/déploie l’un et l’autre livre, en alternance. Je m’arrête sur les photos de rues ensevelies sous la neige promenades le long du fleuve (Le Danube) silhouettes emmitouflées lumières de la ville tramways et parapluies solitudes dans les rues sombres et désertes. Les noms des photographes figurent sur le deuxième rabat : Rudolf Balogh, Kàroly Escher, Dénes Rónai. Je n’en connais aucun, même si je sais qu’ils sont mondialement connus et que leurs photos sont archivées au Musée Hongrois de la Photographie de Budapest. J’aime l’atmosphère qui se dégage de ces décors aux lumières glacées. Pourtant, je ne peux m’empêcher de déplier l’autre livret, tout aussi mystérieux. Le titre me séduit. La photo de couverture également. Où situer ce paysage de montagnes aux courbes douces se jetant dans la mer ? Une mer d’huile. La lecture des ouvrages de Christian Garcin m’a accoutumée à sillonner le monde qu’il ouvre pour nous, ses fidèles lecteurs. En y regardant de plus près, je m’aperçois que les hommes qui sont à bord du voilier portent des sombreros. Peut-être l’histoire à laquelle l’auteur nous convie se déroule-t-elle au Mexique ? Cette hypothèse est aussitôt confirmée par d’autres photos — « images pictorialistes » de cathédrales et d’haciendas — du photographe allemand-mexicain Hugo Brehme. Des noms surgissent. Golfe du Mexique. Arthur Cravan. Mina Loy. L’histoire est une histoire d’amour dont j’ai gardé la mémoire (tous les ouvrages de Mina Loy, du moins ceux édités en français, sont dans ma bibliothèque).

    « C’est l’histoire de deux poètes, un colosse aux yeux tristes et une frêle jeune fille, qui cherchent une cathédrale rose. » C’est dans l’une d’entre elles qu’ils se marient. Mais au départ, il y a un décor ébréché, marqué de signes annonciateurs de désastres : « une chambre sans fenêtre », « un lit qui grince », des « montants rouillés », un « mur jaune », « l’émail fendillé » d’un lavabo. Rien n’échappe à Mina, de ces détails ordinaires qui diffractent leurs signes « même sous le ciel noir piqué d’étoiles »… Je dis Mina parce que le texte me semble passer par son regard. Et, derrière son regard, par ses émotions. Par sa sensualité. Il y a pourtant un narrateur extérieur qui suit le couple dans ses déplacements, dans ses gestes ou absences de gestes, ses suspens, ses étreintes aussi ; comme le ferait une caméra cachée silencieuse. Qui s’arrêterait sur les murs. Et sur les couleurs. Rose pour le « flot » « frémissant des paupières baissées », pour la cathédrale inondée de lumière. Jaune pour le mur de la chambre, pour le « ciel délavé », pour le chien « efflanqué » qui dort « le museau dans la poussière ». Le rose, c’est la couleur de Mina. Pour ce qui est du jaune, il draine avec lui toute une série de signes avant-coureurs du drame. Les croûtes sur le corps du chien, les « mouches grasses et bleues », « la purulence de ses plaies » et peut-être « le bruit moisi du jour ». Et le bleu, le bleu bourdonnant des mouches, est-ce le même que « ce bleu presque solide » qui saisit Mina au cœur de son cauchemar aquatique, « dans l’étrange sérénité des fonds marins » ?

    En quelques pages, à partir de quelques détails minutieusement choisis, qui balisent le texte par leur récurrence têtue, Christian Garcin dresse le décor dans lequel s’inscrit pour toujours l’histoire de Mina Loy. Une place écrasée de chaleur ; une atmosphère pesante. Vaguement écœurante. C’est là qu’évolue Mina, toute de sensualité fébrile, de légèreté et de fraîcheur. Le temps de s’offrir à l’homme qu’elle aime, le temps de sentir la vie s’agiter dans son ventre. Le temps d’imaginer qu’elle va bientôt retrouver son colosse « aux yeux tristes et clairs ». Rêves de femme qui avaient pris corps dans la cathédrale rose, avant que celle-ci ne se fendille pour livrer passage à la solitude et à la douleur.

    De la faille laissée béante par la disparition d’Arthur Cravan naîtront les poèmes de Mina Loy. De ce moment choisi de la vie de Mina Loy et d’Arthur Cravan naît le très beau récit de Christian Garcin.

    À Budapest ramène le lecteur dans un tout autre univers. Nous voici en Europe et en plein hiver. Dans le froid glacial de la cité hongroise, Christian Garcin met en place un récit décalé. Un récit hors-temps, à contre-courant. Qui réveille des souvenirs anciens de lectures liées à la littérature d’Europe Centrale. Des paysages, davantage que des souvenirs.

    L’histoire qui nous est contée là est celle d’une résurrection. L’occasion pour l’auteur de confronter avec humour présent et passé ; et de permettre à l’héroïne de cette fable à coloration fantastique d’exercer son esprit critique en dénonçant les travers de ceux qui, momentanément, se trouvent être ses contemporains. Et à ses interlocuteurs du présent de la considérer avec curiosité. De quel côté se situe Das Unheimliche (« L’inquiétante étrangeté  ») ?

    C’est à Budapest, « au début du mois de février », que Mme Esterhàzy se manifesta, de manière particulièrement remarquable, d’autres phénomènes du même genre s’étant déjà produits cette année-là sans retenir outre mesure l’attention. C’est que Mme Esterhàzy possèdait au plus haut degré les qualités de la conversation. Du passé, cette dame distinguée a conservé intacts tous les codes. Langage, us de salons, exigences d’esprit. Talents qui lui valaient jadis la reconnaissance de ses pairs. « Chacun de son vivant louait la qualité de son esprit et la pertinence de ses idées. » Or, son retour parmi les vivants la déçoit. Mme Esterhàzy ne peut s’empêcher de reprocher à ses interlocuteurs leur manque de curiosité et le peu d’intérêt que la plupart d’entre eux lui témoignent. Il lui faut se contenter de quelques plaisanteries sur son accoutrement vestimentaire. À sa soif inextinguible pour tout ce qui concerne les questions de société, de progrès, de religion, d’humanisme répondent l’indifférence la superficialité le désintérêt de ses interlocuteurs pour les choses de l’esprit. De manière générale, pour toute forme de réflexion. On pourrait résumer toutes ces insuffisances et déficiences en un seul terme : médiocrité. De quoi vous dégoûter de vous éterniser. Combien de temps son retour parmi les hommes a-t-il duré ? Il est difficile de le dire. Toujours est-il que, soudain prise d’un malaise, la dame, après s’être livrée à d’ultimes considérations sur le train des choses — « Il était décidément impossible de vivre en un siècle pareil » —, préfère regagner sa tombe et disparaître à nouveau.

    Sous le charme mystérieux de la fable, Christian Garcin se livre avec beaucoup d’humour et de finesse à la critique d’une société victime de sa désinformation et de son inculture. Une société qui s’est défaite de la profondeur qui était la sienne jadis. Comment ne pas reconnaître dans cette peinture la société qui est la nôtre ?

    « Chacun ne lui répondait qu’évasivement, préférant commenter la météo du jour, le dernier bilan de santé du Président ou les résultats sportifs de la veille, plutôt que de s’embarquer dans de fumeuses discussions auxquelles manquait, pour le moins, un socle de connaissances communes. »

    Et comment ne pas reconnaître dans certains traits de comportement ou de caractère des traits qui nous sont propres ? À Budapest rend compte du regard que l’auteur porte sur certains de ses contemporains. Un regard lucide, incisif et sans concession. Il n’est rien en littérature comme la fable qui permette d’établir une distanciation entre le monde et les sujets qui l’habitent. À chacun de tirer par-devers soi les analyses qui s’imposent.

    Très différents dans l’esprit et dans la lettre, ces deux récits se lisent très volontiers dans la continuité l’un de l’autre. Tous deux sont parfaitement aboutis. Dans une écriture en tous points remarquable.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Garcin, Budapest






    Garcin sérénité





    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    La Piste mongole (lecture d’AP)
    Selon Vincent (note de lecture d’AP)
    22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades » (extrait de Selon Vincent)



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions circa 1924
    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin
    → (sur Terres de femmes)
    Mina Loy | L’amour est des corps (+ une notice bio-bibliographique sur Mina Loy)






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  • Helga M. Novak | Lettre à Médée




    MEDEA PASOLINI LA CALLAS
    Image, G.AdC







    BRIEF AN MEDEA



    Medea du Schöne dreh dich nicht um
    vierzig Talente hat er dafür erhalten
    von der Stadt Korinth
    der Lohnschreiber der
    daß er dir den Kindermord unterjubelt
    ich rede von Euripides verstehst du
    seitdem jagen sie dich durch unsere Literaturen
    als Mörderin Furie Ungeheuer
    dabei hätte ich dich gut verstanden
    wer nichts am Bein hat
    kann besser laufen
    aber ich sehe einfach nicht ein
    daß eine schuldbeladene Gemeinde
    ihre blutigen Hände an deinen Röcken abwischt
    keine Angst wir machen das noch publik
    daß die Korinther selber deine zehn Gören gesteinigt haben
    (wie sie schon immer mit Zahlen umgegangen sind)
    und das mitten in Heras Tempel
    Gewalt von oben hat keine Scham
    na ja die Männer die Stadträte
    machen hier so lustig weiter
    wie früher und zu hellenischen Zeiten
    (Sklaven haben wir übrigens auch)
    bloß die Frauen kriegen neuerdings
    Kinder auf Teufel komm raus
    anstatt bei Verstand zu bleiben
    (darin sind sie dir ähnlich)
    andererseits haben wir
    uns schon einigermaßen aufgerappelt
    was ich dir noch erzählen wollte:     die Callas ist tot


    Helga M. Novak, wo ich jetzt bin Gedichte, Schöffling & Co., Frankfurt am Main, 2005, pp. 92-93. Ausgewählt von Michael Lentz.






    Helga M. Novak, wo ich jetzt bin








    LETTRE À MÉDÉE



    Médée toi la belle ne te retourne pas
    il a reçu pour cela quarante talents
    de la ville de Corinthe
    l’écrivain stipendié celui
    qui en douce t’a collé l’infanticide sur le dos
    je veux parler d’Euripide comprends-tu
    depuis lors ils te chassent dans nos littératures
    comme une meurtrière une furie un monstre
    pour cela je t’aurais bien comprise
    celui dont rien n’entrave la jambe
    arrive à mieux courir
    mais je ne vois vraiment pas pourquoi
    une cité chargée d’écoles
    essuie ses mains sanglantes aux pans de ta robe
    n’aie crainte nous ferons encore savoir
    que ce sont les Corinthiens qui ont lapidé tes dix gamins
    (c’est toujours comme cela qu’ils ont su s’en tirer avec les chiffres)
    et de plus au milieu du temple d’Héra
    la violence d’en haut est sans vergogne
    eh oui les hommes les membres du Conseil
    continuent à se la couler douce
    comme naguère aux temps hellénistiques
    (d’ailleurs nous avons nous aussi des esclaves)
    simplement les femmes font de nouveau
    des enfants à tire-larigot
    au lieu de raison garder
    (en cela elles te ressemblent)
    d’un autre côté nous avons
    quelque peu repris du poil de la bête
    ah je voulais encore te dire la Callas est morte.


    Helga M. Novak, C’est là que je suis, Buchet/ Chastel, Collection Poésie, 2007, pp. 67-68. Poèmes traduits de l’allemand par Jean-François Nominé.






    Helga M. Novak - Buchet Chastel




    HELGA M. NOVAK


    Helga M. Novak en 1971
    © PICTURE-ALLIANCE / DPA
    Source




    ■ Helga M. Novak
    sur Terres de femmes

    en automne (poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    Helga M. Novak par Pascale Trück
    → (sur Terre à ciel)
    Helga M. Novak : c’est là qu’elle est, par Sophie g. Lucas



    ■ Médée
    sur Terres de femmes

    Médée (AP)
    Pascal Quignard, Medea (lecture d’AP)
    18 mars 1929 | Naissance de Christa Wolf (extrait de Médée de Christa Wolf)
    13 mai 1932 | Médée de Sénèque, mis en scène par Georges Pitoëff
    8 mai 1940 | Création française à l’Opéra de Paris de l’opéra Médée de Darius Milhaud
    5 avril 1967 | Maria Casarès dans Medea


    ■ Voir | écouter encore ▼

    Orphée et Médée. Approche comparative de deux gestes mythiques (Marie-Adélaïde Debray)
    → (sur YouTube)
    Medea de Pier Paolo Pasolini, avec Maria Callas dans le rôle de Médée






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  • Mark Strand | 2002



    2002



    I am not thinking of Death, but Death is thinking of me.
    He leans back in his chair, rubs his hands, strokes
    His beard and says, “I’m thinking of Strand, I’m thinking
    That one of these days I’ll be out back, swinging my scythe
    Or holding my hourglass up to the moon, and Strand will appear
    In a jacket and tie, and together under the boulevards’
    Leafless trees we’ll stroll into the city of souls. And when
    We get to the Great Piazza with its marble mansions, the crowd
    That had been waiting there will welcome us with delirious cries,
    And their tears, turned hard and cold as glass from having been
    Held back so long, will fall, and clatter on the stones below.
    O let it be soon. Let it be soon.”



    Mark Strand, Man and Camel, Alfred A. Knopf, New York, 2007, p. 7.







    2002



    Je ne pense pas à la Mort, mais la Mort pense à moi.
    Elle se penche en arrière dans son fauteuil, se frotte les mains, caresse
    Sa barbe et dit : « Je pense à Strand, je pense
    Qu’un de ces jours, je sortirai, en agitant ma faux
    Ou bien en brandissant mon sablier vers la lune, et Strand apparaîtra
    En veste et cravate, et nous déambulerons ensemble
    Sous les arbres défeuillés dans la cité des âmes. Et quand
    Nous arriverons à la Grand-Place avec ses manoirs de marbre, la foule
    Qui nous y attendait nous accueillera avec des cris de liesse,
    Et leurs larmes, devenues aussi dures et froides que du verre pour avoir été
    Retenues si longtemps, tomberont et résonneront sur les pierres.
    Ô que cela vienne vite. Que cela vienne vite. »



    Traduction inédite de Thierry Gillybœuf.







    MARK  STRAND


    Mark Strand 2
    Photo credit: Timothy Greenfield
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    Mark Strand, traduit par Cécile A. Holdban et Thierry Gillybœuf
    → (sur Ce Qui Reste)
    plusieurs poèmes de Mark Strand, traduits par Cécile A. Holdban
    → (sur le site de l’Academy of American Poets)
    Mark Strand, 1934-2014
    → (sur le site de Libération)
    « Mark Strand, un poète vers l’au-delà », par Philippe Lançon






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  • Jean-Pierre Faye | Dessin dessinant



    Henri Matisse, Woman nursing knee  A foot, pen and ink
    Source







    DESSIN DESSINANT



    je la dessine dessinant le geste
    de la dessiner. elle invente
    l’étoile soleil. c’est la force
    . du rayon qui tient tête
    à la gravité. je la prends qui
    prenait. je l’allonge en lave
    . chaude de sommeil. je la goûte oasis
    lactée je lui invente
    le goût de chose en elle. je
    . lui trouve son insue
    portable je lui supporte
    le corps je l’ai
    . triée à la lumière
    plaine



    Jean-Pierre Faye, Éclat Rançon, Éditions de La Différence, Collection Clepsydre, 2007, page 91.





    JEAN-PIERRE FAYE


    Faye portrait 2
    Source




    ■ Jean-Pierre Faye
    sur Terres de femmes


    Je commence un pays (+ notice bio-bibliographique)
    Elle les corps elles
    et je ne sais qui est celle qui est mienne (autre poème extrait d’Éclat Rançon)
    Figuier
    Sertão mar
    Jean-Pierre Faye | Anne Slacik | Sertão III



    ■ Voir aussi ▼

    le site officiel de Jean-Pierre Faye






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