Étiquette : 2007


  • Lawrence Ferlinghetti | [I am signaling you through the flames]




    Lawrence Ferlinghetti A
    Triptyque photographique, G.AdC







    [I AM SIGNALING YOU THROUGH THE FLAMES]



    I am signaling you through the flames.


    The North Pole is not where it used to be.


    Manifest Destiny is no longer manifest.


    Civilization self-destructs.


    Nemesis is knocking at the door.


    What are poets for, in such an age?
    What is the use of poetry?


    The printing press made poetry so silent it lost its song. Make it sing again.


    If you would be a poet, create works capable of answering the challenge of apocalyptic times, even if this means sounding apocalyptic.


    You are Whitman, you are Poe, you are Mark Twain, you are Emily Dickinson and Edna St. Vincent Millay, you are Neruda and Mayakovsky and Pasolini, you are an American or a non-American, you can conquer the conquerors with words.


    If you would be a poet, write living newspapers. Be a reporter from outer space, filing dispatches to some supreme managing editor who believes in full disclosure and has a low tolerance for bullshit.


    If you would be a poet, experiment with all manner of poetics, erotic broken grammars, ecstatic religions, heathen outpourings speaking in tongues, bombast public speech, automatic scribblings, surrealist sensings, streams of consciousness, found sounds, rants and raves—to create your own underlying voice, your ur voice.


    If you call yourself a poet, don’t just sit there. Poetry is not a sedentary occupation, not a “take your seat” practice. Stand up and let them have it.


    Have wide-angle vision, each look a world glance. Express the vast clarity of the outside world, the sun that sees us all, the moon that stews its shadows on us, quiet garden ponds, willows where the hidden thrush sings, dusk falling along the riverrun, and the great spaces that open out upon the sea… high tide and the heron’s call… And the people, the people, yes, all around the earth, speaking Babel tongues. Give voice to them all.


    You must decide if bird cries are cries of ecstasy or cries of despair, by which you will know if you are a tragic or a lyric poet.


    If you would be a poet, discover a new way for mortals to inhabit the earth.


    If you would be a poet, invent a new language anyone can understand.


    If you would be a poet, speak new truths the world can’t deny.


    If you would be a great poet, strive to transcribe the consciousness of the race.


    Through art, create order out of the chaos of living.


    Make it new news.


    Write beyond time.


    Reinvent the idea of truth.


    Reinvent the idea of beauty.


    In the first light, wax poetic. In the night, wax tragic.


    Listen to the lisp of leaves and the ripple of rain.


    Put your ear to the ground and hear the turning of the earth, the surge of the sea, and the laments of dying animals.


    Conceive of love beyond sex.


    Question everything and everyone, including Socrates, who questioned everything.


    Question “God” and his buddies on earth.


    Be subversive, constantly questioning reality and status quo.


    Strive to change the world in such a way that there’s no further need to be a dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Arts, A New Directions Book, New York, 2007, pp. 3-8.








    Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Art









    Lawrence Ferlinghetti B
    Triptyque photographique, G.AdC







    [JE TE FAIS SIGNE À TRAVERS LES FLAMMES]



    Je te fais signe à travers les flammes.


    Le Pôle Nord a changé de place.


    La Destinée manifeste n’est plus manifeste.


    La civilisation s’auto-détruit.


    Némésis frappe à la porte.


    À quoi bon des poètes dans une pareille époque ?
    À quoi sert la poésie ?


    L’imprimerie a rendu la poésie silencieuse, elle y a perdu son chant. Fais-la chanter de nouveau !


    Si tu te veux poète, crée des œuvres capables de relever les défis d’une apocalypse, et s’il le faut, prends des accents apocalyptiques.


    Tu es Whitman, tu es Poe, tu es Mark Twain, tu es Emily Dickinson et Edna St Vincent Millais, tu es Neruda et Maïakovski et Pasolini, Américain(e) ou non, tu peux conquérir les conquérants avec des mots.


    Si tu veux être poète, écris des journaux vivants. Sois reporter dans l’espace, envoie tes dépêches au suprême rédacteur en chef qui veut la vérité, rien que la vérité, et pas de blabla.


    Si tu veux être un grand poète , expérimente toutes sortes de poétiques, grammaires érotiques barbares, religions extatiques, épanchements païens glossolaliques, et l’emphase des discours publics, les gribouillis automatiques, les perceptions surréalistes, les flots de conscience, sons trouvés, cris et récriminations — et crée ta voix limbique, ta voix sous-jacente, ta voix, la tienne.


    Si tu te dis poète, ne reste pas bêtement sur ta chaise. La poésie n’est ni une activité sédentaire, ni un fauteuil à prendre. Lève-toi et montre-leur ce que tu sais faire.


    Cultive une vision ample, que chacun de tes regards embrasse le monde. Exprime la vaste clarté du monde extérieur, le soleil qui nous voit tous, la lune qui nous jonche de ses ombres, les étangs calmes dans les jardins, les saules où chantent des grives cachées, le crépuscule tombant au fil de l’eau et les grands espaces qui s’ouvrent sur la mer… marée haute et le cri du héron… Et les gens, les gens, oui, tout autour du monde, qui parlent les langues de Babel. Donne-leur une voix à tous.


    Tu devras décider si les cris des oiseaux sont d’extase ou de désespoir. Alors tu sauras si tu es poète tragique ou poète lyrique.


    Si tu te veux poète, découvre une nouvelle manière pour les mortels d’habiter sur Terre.


    Si tu te veux poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre.


    Si tu te veux poète, prononce des vérités nouvelles que le monde ne pourra pas nier.


    Si tu veux être un grand poète, efforce-toi de transcrire la conscience de la race.


    Par l’art, crée l’ordre à partir du chaos vital.


    Rends les nouvelles neuves.


    Écris au-delà du temps.


    Réinvente l’idée de la vérité.


    Réinvente l’idée de la beauté.


    Aux premières lueurs, ose l’emphase poétique. La nuit, l’emphase tragique.


    Écoute le chuintement des feuilles et le clapotis de la pluie.


    Pose l’oreille sur le sol et entends la Terre tourner, la mer déferler, les animaux mourants se lamenter.


    Conçois l’amour par-delà le sexe.


    Mets tout et tout le monde en question, même Socrate, qui questionnait tout.


    Questionne « Dieu » et ses acolytes sur Terre.


    Sois subversive, remets sans cesse en cause réalité et statu quo.


    Efforce-toi de changer de monde, et qu’il n’y ait plus besoin d’être un dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poésie, Art de l’Insurrection, maelstrÖm reEvolution, Bruxelles, 2012, pp. 13-14-15-16-17-18. Traduit de l’anglais (USA) par Marianne Costa.








    Ferlinghetti-art-de-l-insurrection




    LAWRENCE FERLINGHETTI (1919-2021)


    Ferlinghetti portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une fiche bio-bibliographique sur Lawrence Ferlinghetti
    le site City Lights Booksellers & Publishers
    → (sur lemonde.fr) Lawrence Ferlinghetti, poète et éditeur de la Beat generation, est mort






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  • Luis Alberto de Cuenca | El albatros de Coleridge







    EL ALBATROS
    Source







    EL ALBATROS DE COLERIDGE


    A José Ángel Valente. In memoriam


    Sólo el mar, y esta sed inextinguible,
    y un montón de cadáveres a bordo,
    y la ausencia de Dios.
    No sé por qué
    me tienen que pasar a mí estas cosas.
    Verdad es que di muerte a aquel albatros
    que me quería y al que yo adoraba,
    el albatros de nieve que venía
    a comer en mi mano y a contarme
    historias de gigantes primigenios
    y de diosas de trenzas de esmeraldas;
    pero es habitual que acabe uno
    matando lo que ama (Wilde lo dijo).
    Verdad es que he pecado gravemente
    contra ti, atiborrándome de libros
    y poniéndome ciego de experiencias
    ajenas, a través de la lectura,
    que me han dado las claves de tu odio;
    pero eso ocurre cuando juntas agua
    y aceite, o cuando metes en el baño
    al dragón y a San Jorge, o cuando intentas
    que dos locos furiosos no se peguen.
    Verdad es, sobre todo, que estoy solo
    en este mar de risa innumerable
    que se burla de mí y me zarandea
    a su placer, como si fuera el Dios
    que se fue y que castiga mis pecados
    por persona interpuesta. Verdad es
    que el albatros de Coleridge me quería
    y que yo lo maté.



    Luis Alberto de Cuenca, Sin miedo ni esperanza, Visor Libros, 2002, in Los mundos y los días, poesía 1970-2005, Visor Libros, Colección Visor de Poesía, 2012.







    Cuenca, los-mundos-y-los-dias








    L’ALBATROS DE COLERIDGE



    Rien que la mer, et cette soif inextinguible,
    et un tas de cadavres à bord,
    et l’absence de Dieu.
    Je ne sais pourquoi
    ces choses-là doivent m’arriver.
    Il est vrai que je donnai la mort à cet albatros
    qui m’aimait et que j’adorais,
    l’albatros de neige qui venait
    manger dans ma main me raconter
    des histoires de géants primitifs
    et de déesses aux tresses d’émeraudes.
    Mais c’est habituel que l’on finisse par
    tuer ce que l’on aime (Wilde le dit).
    Il est vrai que j’ai péché lourdement
    contre toi, me gavant de livres
    et devenant aveugle d’expériences
    étrangères, à travers la lecture,
    qui m’ont donné les clés de ta haine ;
    mais cela arrive lorsque tu mélanges l’eau
    et l’huile, ou que tu mets dans le bain
    le dragon de saint Georges, ou quand tu essaies
    que deux fous furieux ne se battent pas.
    Il est vrai, surtout, que je suis seul
    dans cette mer de rire innombrable
    qui se moque de moi et me secoue à son gré,
    comme si c’était le Dieu
    qui s’en est allé, qui châtie mes péchés
    par personne interposée. Il est vrai
    que l’albatros de Coleridge m’aimait
    et que je l’ai tué.



    Luis Alberto de Cuenca in « 25 poètes d’Espagne », Inuits dans la jungle, numéro I, Revue annuelle de poésie internationale, Le Castor Astral, juillet 2008, pp. 83-84.






    Inuits 1







    LUIS ALBERTO DE CUENCA


    Cuenca
    Source



    Né le 29 décembre 1950 à Madrid, licencié en lettres classiques en 1973, Luis Alberto de Cuenca devient docteur ès-lettres classiques en 1976. Sa passion pour les livres lui a valu d’occuper de hauts postes, comme celui de directeur de l’Institut de Philologie (1992-1993), de directeur du département des publications du CSIC (Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1995-1996), de directeur de la Bibliothèque Nationale d’Espagne (1996-2000) et de Secrétaire d’État à la Culture sous le gouvernement Aznar (2000-2004). C’est un érudit traducteur d’Homère, d’Euripide, de Callimaque, de Charles Nodier et de Gérard de Nerval. En 1986, il obtient le Prix national de la critique pour son recueil poétique La caja de plata et, en 1987, le Prix national de traduction. Il est notamment l’auteur de Mitologías (2001), Sin miedo ni esperanza (2002), Vamos a ser felices y otros poemas de humor y deshumor (2003), El enemigo oculto (2003), El puente de la espada: poemas inéditos (2003), De amor y de amargura (2003), Diez poemas y cinco prosas (2004), Ahora y siempre (2004), Su nombre era el de todas las mujeres y otros poemas de amor y desamor (2005), La vida en llamas (2006) prix Ville de Melilla 2005, Los mundos y los días, poesía 1970-2005, 2012.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur escritores.org)
    une bio-bibliographie (en espagnol) de Luis Alberto de Cuenca
    → (sur A media voz)
    une page sur Luis Alberto de Cuenca (comprenant de nombreux poèmes)





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  • Marcel Migozzi | [Voici que maintenant…]







    Mais ou est elle
    Ph., G.AdC







    [VOICI QUE MAINTENANT…]



    Voici que maintenant on entre en châtaigniers
    sur feuilles sèches, sève ailleurs, mais où est-elle ?
    Sur les fougères le vent nu, on le dirait
    en train d’écrire notre histoire,
    un poème dans le cœur.

    À la sortie le vent calmit,
    l’étang se moisit de passé,

    ou si l’on s’est trompé de vie ?




    Marcel Migozzi, Vers les fermes, ça fume encore, Éditions Potentille, 2007, page 7. Ouvrage dédié à Jean-Loup Trassard.







    MARCEL MIGOZZI


    Marcel Migozzi
    Ph. © Phil Journé
    Source




    ■ Marcel Migozzi
    sur Terres de femmes

    Comment savoir si ton visage te ressemble ? (poème extrait de À qui le corps ?)
    Des heures froides (lecture d’AP)
    [Depuis trois jours vieillir est dépassé] (poème extrait de Des heures froides)
    je dis ce que je vois
    [Quand tu plonges ton visage] (poème extrait de Des jours, en s’en allant)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Marcel Migozzi
    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Marcel Migozzi
    → (sur Poètes au potager)
    une page Marcel Migozzi
    → (dans La Gazette du Basilic, 6)
    un entretien d’Alain Freixe avec Marcel Migozzi





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Caroline Sagot Duvauroux | L’eau puissante ?



    L’eau puissante ?

    Que sait-elle du fracas qui l’attend ? N’est-elle puissante que pour ce fracas-là si le fracas ne s’attend de la puissance ˙ Mars à fracas le ventre est sourd le mois de mars ˙ La boue remonte champs ardents˙ Toutes les choses sont belles toutes les choses sont loin ˙ Entre elles et moi le malaisé la grande envie d’enlisement ˙ Dans l’eau profonde les rives c’est trop loin ˙ On a roulé le long d’un quai ˙ Pas vu l’enfant décapité sous les brindilles ˙ Tu mens tu t’arranges ˙ Quelle drôle de honte confuse et vindicte ˙ Non pas le pas qui manque le joli pas dont on fait le poème ˙ Non, le loupé le petit truc faux et l’énorme tristesse ˙ Un scrupule dans l’eau puissante ˙ Va-t-elle éternellement se briser sur le même rocher ? que l’écume voudrait remonter pour aller dire à l’eau puissante arrête-toi un barrage est à deux pas ˙ Ça coule de source et ça grossit jusqu’au barrage et se brise ˙ L’énorme ça qu’on barre ˙ On devient barrage que ça submerge et ne renverse pas ˙ On devient barrage maigrissant pour ça qui coule peur puissante et langue emportée qui s’écroule dans une flaque ˙ Le requin si je tends la main ˙ Il faut se taire mais peut-on répéter sans cesse il faut se taire dans le fol enchaînement du torrent ˙ L’âme est la peur augmentée du rêve qui sait que la peur est juste et que le silence est part close de la peur qui ne sait plus déborder jusqu’au défi ˙

    Que dit l’herbe pointue du silence qui annonce
    l’orage ?




    Caroline Sagot Duvauroux, Aa Journal d’un poème, Éditions José Corti, 2007, pp. 95-96.






    Caroline Sagot-Duvauroux, Aa Journal d'un poème, José Corti, 2007.





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2





    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    [Baie](extrait de Canto rodado)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée à Aa Journal d’un poème de Caroline Sagot Duvauroux
    → (sur remue.net)
    « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance)
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Ritman)




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  • Jean-Pierre Lemaire | Giotto

    «  Poésie d’un jour  »



    Giotto, Crucifixion,1303-1306, Fresque 200 x 185 cm, Chapelle Scrovegni, Eglise de l'Arena, Padoue
    Source







    GIOTTO



    Crucifié dans le bleu,
    cerné de douceur,
    source de douceur.

    Les bourreaux s’y baignent
    sans lever les yeux
    comme des étrangers.

    La mère douloureuse
    et les saintes femmes
    bouche ouverte, en défaillent.

    Les anges recueillent
    le sang de ses mains,
    le sang de son cœur.

    Marie-Madeleine
    lui baise les pieds
    et moi, plus bas encore,

    enterré sous la croix
    j’attends de renaître
    avec les os d’Adam.



    Jean-Pierre Lemaire, L’Intérieur du monde, Cheyne éditeur, 2002 ; rééd. 2007, pp. 50-51.






    Jean-Pierre Lemaire, L'Intérieur du monde






    JEAN-PIERRE LEMAIRE


    Jeanpierre-lemaire
    Source




    Jean-Pierre Lemaire est né le 18 août 1948 à Sallanches (Haute-Savoie). Il a été professeur de lettres en classes préparatoires au lycée Henri-IV (Paris) et au lycée Sainte-Marie-de-Neuilly. Depuis son premier livre, Les Marges du jour, publié chez La Dogana en 1981 (rééd. 2011 ; postface de Philippe Jaccottet), Jean-Pierre Lemaire a publié sept recueils chez Gallimard, dont L’Exode et la Nuée suivi de La Pierre à voix (1982), Visitation (prix Max-Jacob 1985), L’Annonciade (1997), Figure humaine (2008) et Faire place (2013), et un essai chez Bayard : Marcher dans la neige – Un parcours en poésie (2008). Il a reçu en 1994 le Grand Prix du Mont-Saint-Michel et, en 1999, le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. En juin 2015, la revue Nunc (n° 36) a consacré un important dossier à Jean-Pierre Lemaire. Vient de paraître (février 2016) : Le Pays derrière les larmes (poèmes choisis, collection Poésie/Gallimard).




    ■ Jean-Pierre Lemaire
    sur Terres de femmes

    [La terre est invisible] (autre poème extrait de L’Intérieur du monde)
    [Pendant la tempête](poème extrait des Marges du jour)
    [Ne te hâte pas de regagner la surface] (poème extrait de Visitation)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    cinq poèmes de Jean-Pierre Lemaire
    → (sur e-litterature.net)
    une lecture de L’Intérieur du monde par Françoise Urban-Menninger






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  • Pierre Michon, Le roi vient quand il veut

    par Angèle Paoli

    Pierre Michon, Le roi vient quand il veut,
    Albin Michel, 2007.



    Lecture d’Angèle Paoli


    PIERRE MICHON, LE ROI ACHAB




    Titre énigmatique et envoûtant, Le roi vient quand il veut m’a longtemps tenue immobile, en arrêt sur les rives du livre. J’ai longtemps différé le moment d’accoster le texte, attendant pour le faire que se manifeste le désir d’immersion nécessaire à pareille entreprise.

        L’urgence d’entrer dans le royaume de Pierre Michon s’est enfin manifestée. Je me suis attelée d’un seul tenant à sa découverte et l’ai visité d’un seul trait. Ces Propos sur la littérature (sous-titre de l’ouvrage) m’ont laissée éblouie. Réconciliée pour un temps avec la matière littéraire et avec le monde de l’écriture. Le monde de l’écrivain Pierre Michon ! Le roi !

    Composé d’une sélection d’entretiens donnés par l’auteur des Vies Minuscules depuis 1984, Le roi vient quand il veut se compose de 30 chapitres aux titres prometteurs. On y croise des noms d’auteurs : Rimbaud et Balzac, Giono et Gracq ; des titres d’œuvres : Moby Dick et La Grande Beune ; des questionnements aux résonances bibliques : « Qu’as-tu fait de tes talents » ? Ou ordinaires : « Mais qu’est-ce qu’on va devenir » ? Le nom de Mégara annonce Salammbô et la présence de la Bible est explicitement mise au jour, chapitre 26 : « La Bible est mon pays ». D’autres titres évoquent la langue : « Je me parle en patois »/« La chair est la proie de la langue ». D’autres ont un sens au premier abord moins explicite et suscitent du moins la recherche et/ou l’interrogation : « La vache et l’archer »/« Pirate au long cours », « Si Zhongwen joue du luth » ou encore « Un jeu de vessies et de lanternes ». La question de l’écriture sera sans doute abordée aussi : « Je ne suis pas ce que j’écris », de même celle de l’avenir du livre : « En attendant l’autodafé ». Parmi tous ces titres celui, énigmatique entre tous, qui donne son titre à l’ouvrage tout entier : « Le roi vient quand il veut ».

        Chapitre essentiel du recueil d’entretiens, « Le roi vient quand il veut » (chapitre 6) livre des clés de lecture sur le travail de Pierre Michon, un travail en rapport étroit avec la peinture et en particulier avec le portrait. Pierre Michon considère l’art du portrait — « de la fin de la Guerre de cent ans à Picasso » — comme « la forme la plus achevée, la plus fragile, la plus émouvante du grand art d’Occident. « Art d’apparition », le portrait est pour l’auteur des Vies minuscules un « inducteur de connaissance, vérité révélée ». De ce « dialogue infini avec le sensible » prennent forme la connaissance des autres et la connaissance de soi. Car derrière les portraits se cache l’autoportrait, qui s’incarne successivement dans les différents personnages représentés sur la toile : « Je suis le sujet du portrait, le comte, c’est-à-dire dans mes textes le personnage de Watteau par exemple, ou Van Gogh. Je suis celui qui peint, et aussi celui qui raconte, le témoin, l’humble narrateur, le curé Carreau ou le facteur Roulin ; et je suis enfin une troisième voix qui apparaît ça et là dans mes textes, qui est moi sans doute, l’écrivain, le gratte-papier qui est mangé par l’ombre, tout au fond du tableau. J’aimerais bien qu’il y ait en plus le roi, c’est-à-dire la littérature, ou le sens, ou le vrai, ou peut-être tout simplement le lecteur. Mais le roi vient quand il veut » (p. 67).

    Et quand le roi vient pour l’écrivain, le « baromètre intérieur » de Pierre Michon le lui indique. Cela « marche ». Et cela marche lorsque les gens croisés dans la vie ordinaire semblent sortir tout droit de la « main d’un peintre ». Pour conduire à celle de l’écrivain Pierre Michon, hagiographe des vies invisibles, ces vies minuscules qui passent sans laisser de trace, sans que nul ne s’inquiète de leur présence au monde et encore moins de leur disparition. Cela marche « quand je suis ivre de mon sujet, quand je m’éprends de lui », déclare aussi Pierre Michon.

    Aux origines de l’écriture, les grandes émotions de l’école primaire, la magie des grands textes incantatoires. Le « Booz endormi » de La Légende des siècles, ou Salammbô de Gustave Flaubert : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». C’est là, sans doute, dans le phrasé énigmatique des maîtres que s’est forgée chez Pierre Michon l’idée de la littérature comme « lieu d’exposition extrême à ce qui échappe aux hommes » et qui revient à Dieu. Ou à ce « qui en tient lieu ». « Forme déchue de la prière », la littérature est de l’ordre du sacré. « Dans la liturgie du texte », le langage religieux joue le rôle de « paliers, de piliers absolument imparables ». « Ce sont des relances, des coups de tambour », indispensables à la prose de Pierre Michon, « un peu comme le bumper dans un flipper ».

    Tout aussi importante et décisive, l’absence du père, sans laquelle, sans doute, la venue à l’écriture n’aurait pas eu lieu. Absence transcendée par la peinture, cet art sublime de « l’incarnation » ; et par la littérature. Ainsi, « Vies minuscules était un essai pour donner corps au père absent ». Aux origines de l’écriture enfin, la nécessité de vivre. Compenser en écrivant « l’incapacité à entrer dans la vie civile » et à travailler, compenser l’aphasie sociale par l’appétit hallucinatoire de l’écrivain. Un écrivain passionné par la « verticalité » biblique et par sa dramaturgie à deux voix (Yahvé et son peuple) aussi bien que par la période de Proust, de Faulkner ou de Flaubert. Faulkner, qui offre à Pierre Michon son portrait de l’écrivain dans la « Vie d’André Dufourneau » :

    « Allons, c’est bien à un écrivain qu’il ressemble : il existe un portrait du jeune Faulkner, qui comme lui était petit, où je reconnais cet air hautain à la fois et ensommeillé, l’œil pesant mais d’une gravité fulgurante et noire, et, sous une moustache d’encre qui jadis déroba la crudité de la lèvre vivante comme le fracas tu sous la parole dite, la même bouche amère et qui préfère sourire » (Vies minuscules, p. 23). Faulkner que l’on retrouve dans « La prose de Moby Dick », et dont Pierre Michon affirme qu’il lui a donné « la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative, la grande voix invincible qui se met en marche dans un petit homme incertain. »

    Lire et relire Le roi vient quand il veut, c’est être de plain-pied avec la « vraie vie ». La « vraie vie » pour Pierre Michon, c’est la littérature. Et la littérature est dans le « secret de Melville ». Ce secret dont parle Maurice Blanchot, pour lequel les lecteurs sont comme l’équipage du Péquod vis-à-vis d’Achab. Reprenant la métaphore de Blanchot, Pierre Michon écrit : « L’homme qui écrit est, par rapport à l’écrivain qui est en lui, comme l’équipage du Péquod en face d’Achab. L’équipage assume tout le grotesque, le babil, le charabia, les lieux communs piétistes (on dirait aujourd’hui « la subversion »), la sacristie et la main-d’œuvre, la couverture médiatique ; Achab c’est le sublime : la sortie du lieu commun, du communautaire, du bien-pensant, des ligues de vertu piétistes et subversives. Achab est intolérable, il est la littérature. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Pierre Michon  Le roi vient quand il veut






    PIERRE MICHON




    ■ Pierre Michon
    sur Terres de femmes


    Les Onze (lecture d’AP)
    Vie de Joseph Roulin (lecture d’AP)
    28 mars 1945 | Naissance de Pierre Michon (extraits de Corps du roi et de Vies minuscules)






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  • Martin Rueff | Et des coups de poing dans la poitrine

    «  Poésie d’un jour  »



    Picasso_le_roi_des_minotaures_1958
    Source







    ET DES COUPS DE POING DANS LA POITRINE



    Et des coups de poing dans la poitrine
    comme une locomotive
    tudum                      tudum                        tudum
    tudum                      tudum                        tudum

    pire que l’œuvre du père,
    aux innombrables détours
    aux méandres duplices
    aux murs aveugles
    plus égarant encore
    la mer aux jambages multiples
    aux issues impossibles
    aux lacis inextricables et mus
    (innumeras errores vias)
    la mer
    aux lacunes immémoreuses
    au front cornu
    de Minotaure lourd
    aux meules comme des rocs
    aux rayonnages flous
    aux côtes illisibles
    aux mailles larges
    sans retenue aucune
    la mer la mer

    et partout amphitrite…

    ô mer mon labyrinthe

    égaré le fils ténu
    par nul fil tenu
    mais seul
    et nu
    bourdonnant dans la voie sans issue
    d’une langue dédale
    s’enfonçait sous la pièce sans fenêtre
    aux mille trièdres
    s’enfonçait
    s’enfonçait

    pilotis de nuit dans la nuit
    petit vers de mescal
    dans la bouteille immense




    Martin Rueff, Icare crie dans un ciel de craie, Belin, Collection L’extrême contemporain, dirigée par Michel Deguy, 2007, pp. 55-56.






    Icare crie dans un ciel de craie






    Martin Rueff (né en 1968), poète, traducteur, maître de conférences à l’Université de Paris-VII-Denis-Diderot, professeur à l’Université de Bologne et, depuis 2010, professeur à l’Université de Genève. Il est l’auteur du Lapidaire adolescent (Chambéry, Comp’Act, 2001), de Corda Tesa (La Luna, 36, Ascoli Pisceno, 2006), de Comme si quelque (Chambéry, Comp’Act, 2006), Icare crie dans un ciel de craie (Belin, 2008) et La Jonction (Nous, 2019).

    Spécialiste de la poésie italienne, il a participé à l’édition de l’anthologie Trente ans de poésie italienne (Po&sie 109 et 110, Belin, 2004) et a co-réalisé (avec Jean-Patrice Courtois) le Dossier Poésie italienne de la revue Le Nouveau Recueil (décembre 2006-février 2007). Il a notamment traduit Profanations de Giorgio Agamben (Payot-Rivages, 2005), Si une nuit d’hiver un voyageur (Folio-Gallimard, 2015) et, dans la collection Terra d’altri qu’il dirige aux éditions Verdier, Nulle île n’est une île de Carlo Ginzburg (2005) et Ronde des convers du poète Eugenio De Signoribus (2007).

    Martin Rueff a aussi participé (aux côtés de Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé) à l’édition du volume Œuvres de Claude Levi-Strauss dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2008) et du tome II des Œuvres de Michel Foucault (aux côtés de Frédéric Gros, Philippe Chevallier, Daniel Defert, Bernard Harcourt et Michel Senellart) dans la même Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2015).

    En mai 2008, le Prix International de poésie francophone Yvan-Goll lui a été décerné pour Icare crie dans un ciel de craie, recueil qui a aussi reçu (en août 2008) le prix Henri Mondor de l’Académie française.





    MARTIN RUEFF


    Martin Rueff portrait
    Source




    ■ Martin Rueff
    sur Terres de femmes


    Icare crie dans un ciel de craie (lecture d’AP)
    Le jaguar aux yeux d’eau (hommage de Martin Rueff à Claude Lévi-Strauss)
    Complaintes de Mare eorum (extrait de La Jonction)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    une note de lecture (« En marge du cri, Martin Rueff ») de Shoshana Rappaport-Jaccottet sur Icare crie dans un ciel de craie. Cette note a également été publiée dans le n° 952-953 (août-septembre 2008. Georg Büchner – Roland Barthes) de la revue Europe





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  • Jeanne Bastide, Intimité de la lumière

    «  Poésie d’un jour  »



    Intimit_de_la_lumire
    D.R. Ph.







    ESSAI IV


    la lumière arrive frontale et pose une grande chape de silence amer / l’amertume c’est ce goût de silence quand la parole s’est terrée au fond de la bouche
    la lumière arrive / elle plie le jour à une mesure sans mesure / la lumière n’a pas de bord / ne borde pas / elle remplit ce qui n’a pas de forme et on la reconnaît à sa texture dans la gorge ou sur la peau / il y a des jours où on ne supporte plus son poids ni son regard trop profond / on va alors dans un intérieur et on rêve d’hirondelles sans envol / on plonge dans une ombre apaisante pour la parole et seul l’évitement a lieu / il ne reste que l’ivresse du ciel extérieur et la ligne d’horizon de la porte fermée / le jour grince et la mémoire s’affole / ne peut plus voyager / trop lourde/ la monnaie d’étincelles n’est plus qu’argent sans éclat / il faudrait un peu de silence gratuit / de la simple présence pour que le jour se lève et que ce soit l’aurore / il faudrait / il faudrait / on ne sait pas tous les désormais qui sommeillent en nous / comme nous ne verrons jamais la lumière en face sans peur de disparaître dans sa violence



    Jeanne Bastide, Intimité de la lumière, sérigraphies de Yves Picquet, Édition Double Cloche, 2007.






    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source




    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)





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