Étiquette : 2008


  • Erri De Luca | Statua di Caino


    STATUA DI CAINO



    Ho acquistato un Caino di bronzo. E’ già senz’arma,
    sta mezzo girato, si stacca dall’agguato
    a suo fratello e alla generazione.
    E’ più basso di me, la mano larga, stesa,
    la urto di sfuggita o gliel’afferro apposta
    per arresto. Non so se sia mancino,
    se stringo la colpevole o quell’altra. So che è tardi.
    C’ era pure un Abele, sdraiato sul fianco,
    il braccio sul volto a proteggere niente. Non l’ ho preso.
    il suo corpo chiedeva uno spazio che da me non c’è.
    Caino è di passaggio, svelto a togliersi, Abele no, sta a terra
    e vede la sua vita seguire come un cane l’ assassino.
    Abele non sa stare rinchiuso in una stanza,
    Caino sì, nell’ umido dell’ ombra, accanto ai libri
    chiede il riparo che non è perdono.





    Erri De Luca  L'ospite incallito  3






    STATUE DE CAÏN



    J’ai acheté un Caïn en bronze. Il est déjà sans arme,
    tourné à demi, il se détache du piège
    tendu à son frère et à sa génération.
    Il est plus petit que moi, la main large, ouverte,
    je la heurte en passant ou je l’attrape exprès
    pour l’arrêter. J’ignore s’il est gaucher,
    si je serre aussi un Abel, allongé sur le côté,
    un bras sur le visage qui ne protégeait rien. Je ne l’ai pas
    pris,
    son corps réclamait un espace que je n’ai pas chez moi.
    Caïn est de passage, prompt à décamper, Abel, non, il est
    par terre
    pour voir la vie suivre l’assassin comme un chien.
    Abel ne peut pas rester enfermé dans une pièce,
    Caïn oui, dans l’humidité de l’ombre, près des livres
    il demande un abri qui n’est pas un pardon.



    Erri De Luca, L’Hôte impénitent [L’Ospite incallito, Einaudi, 2008] in Aller simple suivi de L’Hôte impénitent, édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2021, pp. 168-169. Traduit de l’italien par Danièle Valin.





    Erri De Luca  Aller simple  Collection Poésie Gallimard



    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Piero della Francesca (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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  • 14 juillet 1968 | Alexandre Vialatte [Et c’est ainsi qu’Allah est grand]

    Éphéméride culturelle à rebours



    [ET C’EST AINSI QU’ALLAH EST GRAND]




    Ayant chanté les océans, la viande de cheval et les larges trottoirs des avenues fréquentées, et décidé à ne plus chanter que les choses les plus vastes du monde, je chanterai aujourd’hui les plaines et leur horizontalité.

    Les plaines remontent à la plus haute antiquité. Les principales sont la Hollande, la plaine Monceau et le désert égyptien. Elles sont nées de l’absence de montagnes et se distinguent, suivant les spécialistes, par leur horizontalité. Aussi la vue y porte-t-elle très loin, jusqu’à l’endroit où l’horizon n’a plus de couleur, où se confondent le ciel et la terre. On en éprouve une sorte de vertige, le vertige de l’horizontale, sauf en Beauce où le cycliste est pris entre deux murailles de blé qui ne lui laissent voir qu’un ruban de ciel et qui l’étouffent dans leur chaleur touffue, confite, épaisse, obscure et poussiéreuse, très dangereuse pour les asthmatiques. L’homme s’y sent confiné dans un cachot brûlant. Enfermé dans ce four de paille, il cherche l’air, il se ratatine, il souffre de claustrophobie.

    […]

    La plaine Monceau se trouverait dans l’enceinte de Paris. Des voyageurs m’ont parlé d’elle avec beaucoup de considération. Ils en disent des choses étonnantes. Elle serait bâtie sur l’emplacement d’un ancien cimetière protestant, ornée d’une naumachie et même d’un obélisque, et peuplée par des chats sauvages. Ou tout au moins à demi sauvages. Soit que, sauvages à l’origine, ils se soient à demi apprivoisés ; soit que, domestiqués pour commencer, ils aient fui la maison de leurs maîtres. Ils se réunissent dans un parc, le parc Monceau, qui fut fréquenté à l’époque des pantalons rouges par les soldats et les nourrices, et qui est orné de l’obélisque dont je parlais, et qui servit en 1793, avec bien d’autres, de point de triangulation pour mesurer la longueur du mètre sur la route Paris-Perpignan. (On a établi depuis que le mètre était un peu plus long que lui-même, mais l’obélisque n’a pas changé.) Jeanne d’Arc dormit dans un château de la plaine Monceau et nos rois y chassaient le lapin ; peut-être même, le chat sauvage. Où est la tour de Jeanne d’Arc ? (Où sont les neiges d’antan ?) Les tours passent, les chats envahissent.

    La Hollande est parmi les plaines les plus célèbres. Elle se situe dix mètres au-dessous du niveau de la mer, si bien que les épaves qui, partout, viennent d’en bas à la marée haute, tombent ici sur la plage de dix mètres de haut, menaçant la vie des promeneurs. C’est pourquoi il est interdit au large des côtes de Hollande, de jeter des bouteilles à la mer. Derrière les digues habitent de vieux hommes étonnés habillés en poupées de bazar, et des jeunes filles vêtues de costumes folkloriques avec toutes sortes de dorures, notamment des œillères en cuivre. Ils ont des visages ronds, des yeux bleus et naïfs et habitent des moulins à vent d’où ils sortent à bicyclette pour parcourir des champs de tulipes. Les meuniers ont dix-neuf enfants qui tiennent difficilement dans l’enceinte du moulin et dont plusieurs dépassent plus ou moins par les fenêtres. Les Hollandais peignent leurs fromages au ripolin et les lavent tous les soirs à la lance d’arrosage avec le reste du magasin. Le « Comte des Digues », personnage important, se promène constamment sur les digues et bouche les trous avec du mastic. Sans ce travail de fourmi, la Hollande, en une heure ne serait plus qu’un fond de mer plein de pieuvres et de poissons-chats. Les habitants se réfugieraient sur les clochers. Le zèle des comtes des digues a permis, au contraire, à des artistes comme Rembrandt de produire une œuvre complète sans jamais s’être mouillé les pieds. Rien n’est plus beau que de voir bâtir une digue. Le dernier jour, lorsqu’il n’y a plus à boucher que le centre (on la commence par les deux bouts), elle plie comme un jonc quand la mer se retire (il n’y a qu’à voir les photos d’avion). C’est un incroyable spectacle qui angoisse tous les Ponts et Chaussées.

    Le désert d’Égypte est traversé par des gerboises. Les autos les écrasent la nuit. Les bateaux qui vont sur le Nil, par un simple effet de perspective, ont l’air de marcher sur le sable, à l’horizon, comme des canards. La première fois on n’en croit pas ses yeux. Quelques Bédouins campent sous la tente. Leurs ânes se frottent le dos dans le sable. Leurs chèvres broutent des papiers gras que le vent fait danser en l’air, autour des tentes. D’Alexandrie au Caire on ne rencontre personne. Du Caire à la mer Rouge non plus. Sauf un Nubien qui vend du café, à quarante kilomètres de tout. Au milieu d’exactement rien. La nuit il dort dans son burnous. Parfois un camion le ravitaille. La côte de la mer Rouge ne produit que quelques lions, des trous pour lions dans la plaine, et quatre palmiers de Barbarie.

    On attendrait mieux de la steppe russe. Malheureusement on ne peut jamais la voir. L’été elle est cachée par une poussière épaisse qui forme des nuages opaques, l’hiver par des tempêtes de neige. Le vent la partage avec le loup. Le voyageur en est réduit pour s’orienter à se guider sur le cri des fauves. Quand les loups attaquent le traîneau, il faut recommander son âme à Dieu, fouetter les chevaux vigoureusement et jeter le cocher en bas de son siège. Plus il est gars, plus on a de chances d’en réchapper.

    On voit par là combien les plaines du globe sont diverses et passionnantes et contribuent par leurs caractères aux majestés de la Géographie. Les plaines du globe sont tellement vastes que, si on les mettait bout à bout, et s’il n’y avait pas de montagnes, elles couvriraient toutes les terres émergées. Mais la répartition orographique du globe est si sage et si harmonieuse que les monts y succèdent aux plaines, les plaines aux monts et qu’on peut même penser qu’il n’y aurait pas de plaines sans les monts et pas de montagnes sans les plaines. Tout est prévu par la nature. Que serait la Suisse sans la montagne ? Une plaine aride. Qui pourrait y faire du rocher ? Que serait la Hollande sans les plaines ? Un affreux massif montagneux. A quoi pourraient servir ses digues ? Qui s’y consacrerait à lutter contre l’eau ?

    Mais la nature a tout prévu : elle fit la Hollande plate et la Suisse montagneuse. Elle créa le 14 juillet qui permet de fêter tous les ans la fête nationale.

    Et c’est ainsi qu’Allah est grand.
    La Montagne, 14 juillet 1968.




    Alexandre Vialatte, « Chronique des plaines et de leur horizontalité », 1968, chroniques Julliard *, éditions Julliard, 2008, pp. 179-184. Préface de Philippe Meyer.



    _______________________
    * Recueil de chroniques parues dans La Montagne et Le Spectacle du monde (7 janvier 1968-29 décembre 1968).





    Alexandre Vialatte  1968



    ALEXANDRE VIALATTE


    Alexandre Vialatte
    Ph. : Studio Harcourt à Paris,
    années 1950, afp.com/ARCHIVE
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Humanité)
    une lecture de 1968, d’Alexandre Vialatte, par Christophe Mercier
    → (sur le site du Figaro)
    « Et c’est ainsi que Vialatte est grand » (une lecture de 1968, d’Alexandre Vialatte, par Christian Authier)






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  • Roberto Bolaño | [Que fais-tu, silencieuse lune ?]





    [QUE FAIS-TU, SILENCIEUSE LUNE ?]



    Que fais-tu, silencieuse lune ? Tu n’es pas encore lasse de parcourir les chemins du ciel ? Ta vie ressemble à celle du berger qui sort avec la première lueur et conduit le troupeau dans les champs. Ensuite, las, il se repose la nuit. Il n’attend rien d’autre. À quoi la vie lui sert-elle, au berger, et la tienne, à toi ? Dis-moi, se dit le berger, racontait Florita Almada la voix exaltée, vers où tend mon errance, si brève, et ta course immortelle ? L’homme naît dans la douleur et à naître il y a déjà risque de mort, disait le poème. Et aussi : Mais, pourquoi éclairer, pourquoi maintenir vivant celui qu’il est nécessaire de consoler, parce qu’il est né ? Et aussi : Si la vie est malheur, pourquoi continuons-nous à la supporter ? Et aussi : Lune immaculée, tel est l’état mortel. Mais toi tu n’es pas mortelle, et peut-être ne comprends-tu rien à ce que je dis. Et aussi, et contradictoirement : Toi, solitaire, éternelle étrangère, si pensive, peut-être comprends-tu bien ce vivre terrestre, notre agonie et nos souffrances ; peut-être sauras-tu bien ce mourir, cette suprême pâleur du visage, et cette absence de la terre et l’éloignement de l’habituelle et amoureuse compagnie. Et aussi : Que font l’air infini et la profonde sérénité sans fin ? Que signifie cette immense solitude ? Et moi, qui suis-je ? Et aussi : Moi seul sais et comprends que des éternels tours et de mon fragile être, d’autres trouveront biens et profits. Et aussi : Ma vie n’est que mal. Et aussi : Vieux, chenu, malade, pieds nus, et presque sans vêtements, avec le lourd fardeau sur les épaules, par les rues et les montagnes, par les rochers et les plages et par les pâturages, dans le vent, avec la tempête, lorsque le jour s’allume et lorsqu’il gèle, il court, il court haletant, il traverse des étangs, des courants, il tombe, se relève et se presse toujours, sans repos ni paix, blessé, sanglant, jusqu’à ce qu’enfin il arrive là où le chemin et où tant d’efforts prennent fin ; horrible, immense abîme où s’y précipitant il oublie tout. Et aussi : Ô, vierge lune, la vie mortelle est ainsi. Et aussi : Ô, mon troupeau qui reposes peut-être en ignorant ta misère, comme je t’envie ! Pas seulement parce que tu es libre de désirs et de toute souffrance, tout mal, chaque crainte extrême vite tu l’oublies, peut-être parce que tu ne sens jamais l’ennui. Et aussi : Lorsque, à l’ombre et dans l’herbe, tu reposes, tu es heureux et calme et la plus grande partie de l’année tu la vis dans cet état sans ennui. Et aussi : Je m’assieds à l’ombre, sur le gazon, et d’ennui mon esprit s’emplit, comme s’il sentait un aiguillon. Et aussi : Et plus rien je ne désire et de raison de pleurer jamais je n’ai. Arrivée à ce point, et après avoir soupiré profondément, Florita Almada disait qu’on pouvait tirer plusieurs conclusions. 1. Les pensées qui tenaillent le berger peuvent facilement s’emballer, car cela fait partie de la nature humaine. 2. Regarder face à face l’ennui était une action qui demandait du courage et Benito Juárez l’avait fait et elle aussi l’avait fait et tous deux avaient vu dans le visage de l’ennui des choses horribles qu’elle préférait ne pas dire. 3. Il n’était pas question dans le poème, ça lui revenait maintenant, d’un berger mexicain mais d’un berger asiatique, mais en l’occurrence c’était la même chose, car les bergers sont partout les mêmes. 4. S’il était bien certain qu’à l’extrémité de tout désir ardent s’ouvrait un abîme, elle recommandait, pour commencer, deux choses, la première ne pas tromper les gens, et la deuxième les traiter avec correction. À partir de là, on pouvait continuer de parler. Et c’était cela qu’elle faisait, écouter et parler, jusqu’au jour où Reinaldo était venu la voir chez elle pour une consultation sur un amour qui l’avait abandonné, et il avait quitté les lieux avec un régime pour maigrir, des herbes pour des infusions qui avaient apaisé ses nerfs et avec d’autres herbes aromatiques qu’il avait cachées dans les coins de son appartement et qui avaient donné à ce dernier une odeur comme d’église et de vaisseau spatial en même temps, ainsi que le disait Reinaldo aux amis qui venaient lui rendre visite, une odeur divine, une odeur qui relaxait et contentait l’âme, qui donnait envie d’écouter de la musique classique, qu’est-ce que vous en dites ? Et les amis de Reinaldo avaient commencé à insister pour qu’il leur présente Florita, ah, Reinaldo, j’ai besoin de Florita Almada […]



    Roberto Bolaño, « La partie des crimes » in 2666, Christian Bourgois éditeur, 2008 ; Gallimard, Collection folio n° 5205, 2011-2017, pp. 655-657. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.






    Roberto Bolano  2666






    ROBERTO BOLAÑO


    Roberto Bolano
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Roberto Bolaño





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  • Jean Gabriel Cosculluela | Je serai ton silence




    JE SERAI TON SILENCE


    À Michel Cosculluela

    Que mort par conséquent je serai ton silence.
    Philippe Lacoue-Labarthe



    La maison au bord du village et de l’eau.
    Le four reste fermé,
    nous brûlons avec le blé ;
    l’aire reste déserte
    ligne d’erre
    comme d’autres lignes d’erre dans la montagne
    et plus bas dans la vallée ;
    la terre est terre remuée
    par le corps des morts,
    l’eau est une eau avalée
    sur l’erre de la soif.
    M., elle finit par s’effacer
    même dans peu de mots
    G., il s’aveugle
    dans un autre ciel.


    Sur le seuil,
    nous ne refermons pas la porte ;
    dans l’entrebâillement,
    la gorge n’est que de silence
    et le nom se perd
    imprononçable
    une fois encore
    dans la nature même
    et les lignes du chêne
    dans ce paysage en retrait.


    25 août 2008




    Jean Gabriel Cosculluela, “Je serai ton silence” in Je serai ton silence, Propos | 2 éditions, Collection petit à petit dirigée par Jacques Norigeon, 04100 Manosque, 2008, pp. 12, 14. Encres de Jean-Gilles Badaire.






    Jeseraitonsilence





    JEAN GABRIEL COSCULLUELA


    Cosculluela portrait 2
    Source




    ■ Jean Gabriel Cosculluela
    sur Terres de femmes

    À l’écart d’oubli
    Lumière
    Peindre se silence
    [Ta terre] (poème extrait de Terre d’ombre)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Georges-Emmanuel Clancier | Ève noire



    Fleur surgie violente du minéral
    Ph., G.AdC






    ÈVE NOIRE



    Pour Lucien Clergue




    Fleur surgie violente du minéral
    tu défies par la pulpe d’ombre et de lumière
    de tes seins collines
    tu défies par l’hymne (cuivre, or, braise)
    qui s’érige des reins à la nuque
    sous le feu, sous le jeu solaires,
    tu défies, ô fleur noire, chair première,
    la partition de mort
    gravée profond aux rocs comme aux os
    de ce désert où défaille le temps.

    Le regard qui te sacre reine
    tu l’arrachas aux vallées éphémères
    pour l’enfouir, le chauffer, le bercer en ton ventre.
    Il te cueille en plein jet, corolle noire
    mais ton sexe l’accueille et de nouveau l’enfante
    lavé de toute souillure, de toute blessure,
    armé de la gloire et de l’éclat originels.




    Georges-Emmanuel Clancier, « Étincelles d’instant » in Vive fut l’aventure, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2008, page 20.






    Clancier  Vive fut l'aventure 2





    ________________________
    Note d’AP : le poème ci-dessus a été antérieurement publié (dans une version longue et sous le titre « Laine d’Ariane ») dans un ouvrage collectif (Poésie) de la collection L’Atelier imaginaire, Éditions L’Âge d’homme, 15 juin 1991, pp. 81-84. Voir aussi : CLERGUE, Lucien, Eve est Noir. By Georges-Emmanuel Clancier. Illustrated with colour photographs by Lucien Clergue. 28 Loose leaves each with a 4″ x 6″ colour photographs, plus 1 colour laser-print. Housed in a linen-covered clamshell box. Arles: Privately printed, 2000. Eve est Noir was originally published in 1982, and is here revisited together with a poem by Clancier, reproduced in facsimile, which it inspired, and a 1982 text by Clergue. The photographs all depict a black nude model photographed in various American locations from Point Lobos on the West Coast to Rockport, Maine in the East.






    GEORGES-EMMANUEL  CLANCIER




    ■ Georges-Emmanuel Clancier
    sur Terres de femmes

    [Flaques d’orange lueur] (autre extrait du recueil Vive fut l’aventure)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Gattivi Ochja)
    un autre poème de Georges-Emmanuel Clancier (extrait du recueil Oscillante parole [Gallimard, 1978] et traduit en corse par Stefanu Cesari)
    → (sur Ici & Là)
    une lecture de Vive fut l’aventure par Dan Bouchery





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  • Nuno Júdice | Semiología



    SEMIOLOGÍA




    Digo: el amor. Hay palabras que parecen sólidas,
    al contrario de otras que se deshacen entre los dedos.
    Soledad. O también: miedo. Las palabras, podemos
    escogerlas, meterlas dentro del poema como
    si fuese una caja. Pero no esconderlas. Ellas
    quedan en el aire, invisibles, como si no necesitasen
    de los sonidos con los que las decimos.

    Ahora, el efecto de las palabras. Su rotación
    en la cabeza, y por las arterias, hasta el centro:
    el corazón. Otra palabra con que se dice: el
    amor. Pero no hablo de sinónimos; además,
    hay palabras que esconden lo contrario de lo que
    quieren decir, y solo las conoce quien ama, si
    la vida no lo llevó por caminos confusos.

    Te amo. También podría decir: la soledad
    con que te amo, o el miedo a amarte. A partir
    de una palabra todo se puede hacer, en una página,
    cuando lo que está en ella es un poema. Mientras,
    esas palabras me conducen a ti, esto es,
    te hacen vivir por dentro de ellas. Por eso
    todo se confunde: el amor, la soledad, el miedo,

    y hasta la vida, que también es una palabra.



    Nuno Júdice, o movimento do mundo, Quetzal Editores, 1996.






    SÉMIOLOGIE




    Je dis : l’amour. Certains mots semblent solides,
    lorsque d’autres sont friables entre les doigts.
    Solitude. Ou encore : peur. On peut choisir ses mots,
    les faire entrer dans les poèmes comme
    dans une boîte. Mais pas les cacher. Ils
    restent dans l’air, invisibles, comme s’ils passaient
    des sons avec lesquels nous les prononçons.

    Voyons maintenant leur effet. Comment les mots
    tournent dans la tête, les artères, jusqu’au centre
    le cœur. Cet autre mot par lequel on dit : l’amour.
    Mais laissons les synonymes ; du reste,
    certains mots masquent le contraire de ce qu’ils
    signifient, et seul l’amant les connaît, si la vie
    ne l’a pas égaré sur des chemins qui ne mènent nulle part.

    Je t’aime. Je pourrai aussi bien dire : la solitude
    avec laquelle je t’aime, ou la peur de t’aimer. En partant
    d’un seul mot tout devient possible sur une page,
    lorsqu’il s’avère qu’elle porte un poème. Pourtant,
    c’est à toi que ces mots me conduisent, car
    ils te font vivre en eux. C’est pourquoi
    tout se confond : l’amour et la solitude et la peur,

    et la vie même, qui elle aussi est un mot.



    Nuno Júdice, Le Nom de l’amour, anthologie (1975-2015) composée par Manuela Júdice [Tu, a quem chamo amor, Ediciones Hiperión, 2008], La Nouvelle Escampette éditions, Collection Poésie, 2018, page 17. Traduction du portugais par Max de Carvalho.






    Nuno Judice  Le Nom de l'amour





    NUNO JÚDICE


    Nuno_judice1
    Source




    ■ Nuno Júdice
    sur Terres de femmes

    Désir (poème extrait de Geometria Variável)
    Lisboaxaca (poème extrait de Guia de Conceitos Básicos)
    Deus (poème extrait de Meditação sobre Ruínas)
    Un thé dans la véranda (poème extrait de Naviguer à vue)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur BiblioMonde)
    une notice bio-bibliographique sur Nuno Júdice
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une page sur Nuno Júdice
    → (sur lepetitjournal.com)
    un portrait de Nuno Júdice
    → (sur le site de la Fondation Calouste Gulbenkian)
    une bio-bibliographie (en portugais) de Nuno Júdice
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Nuno Júdice dits par l’auteur
    → (sur Recours au Poème)
    cinq poèmes de Nuno Júdice traduits du portugais par Béatrice Bonneville et Yves Humann



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  • Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael




    Ruisdael
    Jacob Isaacksz VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, v. 1660-1662
    Huile sur toile, 44,8 x 54,6 cm
    Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
    Tous droits reserves
    Source








    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino entre campos de trigo cerca del Zuider Zee, 1660-1662





    Due sentieri s’incontrano
    nella piana che sale
    Sole che filtra
    tra le nubi
    Lontani
    una casa
    un mulino
    una cattedrale
    Mucche al pascolo
    un viandante
    un cane
    Il grigio minaccia l’azzurro
    Chissà dov’è
    Lo Zuider Zee…



    Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 48.







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Au loin
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Des vaches en pâture
    un vagabond
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où c’est
    le Zuiderzee…



    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    pour Terres de femmes (décembre 2008)







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino atraversando campos de trigo cerca de Zuider Zee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Lointains
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Vaches en pâturage
    un passant
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où est
    le Zuider Zee…



    Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid” in Bouche secrète, Éditions du Noroît, Montréal (Québec), 2016, page 40. Traduit de l’italien par Francis Catalano.






    Fabio Scotto  Bouche secrète





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto
    Source




    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    A riva | Sur cette rive (note de lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Le Corps du sable (note de lecture d’AP)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits en 2008 par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    un dossier Fabio Scotto (dimanche 27 février 2011)
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Tristan Felix | [Il y a autour du cou des enfants hors-la-loi des perles reliquaires]




    La relique se porte vivante
    « mettre en aveugle les dernières touches
    au portrait invisible d’une vie »
    Ph., G.AdC







    [IL Y A AUTOUR DU COU DES ENFANTS HORS-LA-LOI DES PERLES RELIQUAIRES]




    Il y a autour du cou des enfants hors-la-loi des perles reliquaires qui bruissent ingénument durant les songes. Une serre de coq nain froisse la tête d’une cétoine dorée, une dent de brochet menace l’alcôve d’une petite huître, une hirsute gale d’aubépine épate une phalange de silex. À travers elles court un fil d’acier qui mesure l’innocent. C’est pour aller guincher dans l’ombre des caves qu’il les enfile, fier comme têtu, car la nuit, par les pattes pendu, sous l’escalier il loge. Accordez-moi ce pas chassé, oiseau de voûte ! Et l’oiseau, brûlé d’insomnie, contre les joues se casse les ailes vieilles. Offrandes à lui, si grand de détresse, les perles à terre tombent, de l’enfant qu’elles recueillent séparément, pour ne pas l’éveiller.




    La relique se porte vivante




    Anodin sous son manteau à poils gris, toujours le même voyageur monte dans n’importe quel train — pourvu qu’avec l’aube il parte essuyer sur les rails la rosée primordiale. Assis en face de lui, quelque être mâle ou femelle, en son sac de peau brune ou blanche, dort, atêté contre la fenêtre, l’auréolant d’une buée qui vient et va à chaque respiration. Longuement il l’observe, à travers le paysage couvert de gelée blanche qui défile, mettre en aveugle les dernières touches au portrait invisible d’une vie. La véronique sur la vitre atermoie, entre s’étonner d’être encore en expirant et disparaître en retenant son souffle. Le voyageur, confondu, descend au bout de la ligne, les poils gris de son manteau à chaque fois un peu plus hérissés.




    Jésus descend du loup




    Sous le mûrier tendu d’ombre, danse, depuis des lustres, l’ailleurs d’une femme immobile sur une planche antique, les yeux clos plus que des praires. Ses doigts en prière, déjà, serrent d’autres nœuds impatients d’arabesques ; et ses épaules, enfin saisies par une carrure étrangement venue, jusqu’à la taille se renversent. Midi cogne le bronze et tandis que dégringolent par la fissure du clocher mille piaillements, de sa gorge, éclose à peine d’un col de soie, monte, défaite des plis d’un long sommeil, une voix dissonante qui module d’inouïes syllabes. Faisant une traîne de son ancienne peau, soulevée comme un voile par le chant souverain de ce cavalier qui s’élance en elle, elle ouvre le bal.



    Tristan Felix, Livrée des morts en vingt-quatre tenues [2008], in Observatoire des extrémités du vivant (triptyque), Tinbad, Collection Poésie, 2017, pp. 98-99-100-101-102. Préface de Hubert Haddad.






    Tristan Felix, Observatoire des extrémités du vivant (triptyque), Tinbad, Collection Poésie, 2017.







    TRISTAN FELIX


    Tristan_Felix
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Tristan Felix





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  • Robert Creeley | Words

    « Poésie d’un jour


    traduite par Sabine Huynh



    WORDS



    You are always
    with me,
    there is never
    a separate

    place. But if
    in the twisted
    place I
    cannot speak,

    not indulgence
    or fear only,
    but a tongue
    rotten with what

    it tastes – There is
    a memory
    of water, of
    food, when hungry.

    Some day
    will not be
    this one, then
    to say

    words like a
    clear, fine
    ash sifts,
    like dust,

    from nowhere.



    Robert Creeley, “Words”, in Words: poems [Rochester, Michigan: Perishable Press, 1965; enlarged as Words, New York: Scribners, 1967], in The Collected Poems of Robert Creeley 1945-2005, edited by Benjamin Friedlander, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, California, 2006; reed, 2008, p. 103.






    Words







    Creeley Selected Poems







    MOTS



    Vous êtes toujours
    avec moi,
    jamais
    à part

    ailleurs. Or si
    dans le lieu
    altéré je
    ne peux parler,

    celle de l’indulgence
    ou de la peur seulement,
    mais juste une langue
    corrompue par

    ce qu’elle a goûté – Perdure
    un souvenir
    d’eau, de
    nourriture, quand on a faim.

    Un jour
    ne sera pas
    celui-ci, où
    dire

    des mots aussi
    clairs, habiles
    que la cendre séparera,
    comme la poussière,

    tombée de nulle part.



    Traduction inédite de Sabine Huynh pour Terres de femmes





    ROBERT CREELEY


    Robert Creeley
    Source



    ■ Robert Creeley
    sur Terres de femmes

    21 mai 1926 | Naissance de Robert Creeley (notice bio-bibliographique + extrait de L’Insulaire [The Island, 1963], Éditions Gallimard, 1972)
    The Return | Intervals



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur PennSound)
    le poème “Words”, dit par Robert Creeley (reading at the Unterberg Poetry Center, 92nd Street Y, New York City, October 24, 1966)
    le site de Robert Creeley
    → (sur Poetry Foundation)
    une bio-bibliographie (en anglais) de Robert Creeley
    → (sur PoemHunter.com)
    un grand nombre de poèmes (en anglais) de Robert Creeley
    → (sur PennSound)
    un grand nombre de poèmes de Robert Creeley dits par lui-même
    → (sur Culture, le magazine culturel de l’Université de Liège)
    un article (en français) de Gérald Purnelle sur Robert Creeley





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • François Debluë | Liminaire




    Leurs inévitables basculements
    Ph., G.AdC





    LIMINAIRE




    Aurai-je laissé
    disparaître
    les uns après les autres
    les jours       les saisons

    aurai-je laissé mourir
    toutes leurs nuances
    de ciels de fruits
    de pétales et de feuilles d’or
    sans les avoir assez regardées
    sans avoir su dire
    leurs surprenantes nouveautés
    — leurs inévitables basculements ?



    François Debluë, « I – Aujourd’huis », in Le Front aux vitres, Éditions Empreintes, Moudon, 2008, page 11.





    François Debluë, Le Front aux vitres, 4





    FRANÇOIS  DEBLUË


    François Debluë, 5
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Cultur@ctif)
    une notice bio-bibliographique sur François Debluë
    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur François Debluë



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