Étiquette : 2011


  • Frédéric Jacques Temple | Été



    ÉTÉ



    Une couleuvre de chaleur
    ondule
    souveraine
    dans les rudes kermès
    parmi les reliques
    des campements oubliés

    nos pieds blessés
    par la caillasse
    comblent le vide
    de nos pensées

    sonores
    fusent les mouches
    à travers la fournaise
    du silence

    je garde en moi les nuits d’été
    où montait la respiration marine
    qui berçait le sommeil terrible
    des peuples sans histoire




    Frédéric Jacques Temple, Midi, livre d’artiste, Samoreau, Jean-Pierre Thomas éditeur, 2004 ; in Profonds pays, Obsidiane, Collection “Les Solitudes”, 2011 ; in La Chasse infinie et autres poèmes, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 548, 2020, pp. 132-133. Édition de Claude Leroy.






    Frédéric Jacques Temple  La Chasse infinie





    FRÉDÉRIC JACQUES TEMPLE (1921-2020)


    Frederic Jacques Temple Ph. ©Pierre Bolszak
    Ph. © Pierre Bolszak
    Source





    ■ Frédéric Jacques Temple
    sur Terres de femmes


    L’Oregon Trail (poème extrait de Foghorn)
    Un clou pour voyager (extrait de Par le sextant du soleil)
    Méditerranée (poème extrait de Phares, balises et feux brefs)
    Mai 2011 | Frédéric Jacques Temple, De la musique avant toute chose (extrait de Divagabondages)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Chasse infinie et autres poèmes
    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de La Chasse infinie et autres poèmes par Claude Grimal
    → (sur ActuaLitté)
    Temple, la poésie partie en infinie chasse de rencontres
    → (sur le site du Figaro)
    Frédéric Jacques Temple, le «poète humaniste» languedocien, est mort, par Thierry Clermont
    Les univers de Frédéric Jacques Temple
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Frédéric Jacques Temple dits par Frédéric Jacques Temple
    → (sur le site de France Culture)
    Frédéric Jacques Temple dans Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (1er juin 2014)
    → (sur Recours au Poème)
    Frédéric Jacques Temple, Poèmes en Archipel, par Annie Estèves





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  • Katerina Anghelàki-Rooke | L’anorexie de l’existence



    Η ανορεξία της ύπαρξης



    Δεν πεινάω, δεν πονάω, δε βρωμάω
    ίσως κάπου βαθιά να υποφέρω και να μην το ξέρω
    κάνω πως γελάω
    δεν επιθυμώ το αδύνατο
    ούτε το δυνατό
    τα απαγορευμένα για μένα σώματα
    δε μου χορταίνουν τη ματιά.
    Τον ουρανό καμιά φορά
    κοιτάω με λαχτάρα
    την ώρα που ο ήλιος σβήνει τη λάμψη του
    κι ο γαλανός εραστής παραδίνεται
    στη γοητεία της νύχτας.
    Η μόνη μου συμμετοχή
    στο στροβίλισμα του κόσμου
    είναι η ανάσα μου που βγαίνει σταθερή.
    Αλλά νιώθω και μια άλλη
    παράξενη συμμετοχή∙
    αγωνία με πιάνει ξαφνικά
    για τον ανθρώπινο πόνο.
    Απλώνεται πάνω στη γη
    σαν τελετουργικό τραπεζομάντιλο
    που μουσκεμένο στο αίμα
    σκεπάζει μύθους και θεούς
    αιώνια αναγεννιέται
    και με τη ζωή ταυτίζεται.
    Ναι, τώρα θέλω να κλάψω
    αλλά στέρεψε ως και των δακρύων μου η πηγή.




    Κατερίνα Αγγελάκη-Ρουκ, Η ανορεξία της ύπαρξης, Ποιήματα, Εκδόσεις Καστανιώτη, 2011, pp. 9-10.





    Katerina Anghelàki-Rooke grec







    L’ANOREXIE DE L’EXISTENCE




    Je n’ai pas faim, pas mal, je sens bon
    si je souffre au fond de moi je n’en sais rien
    je fais semblant de rire
    je ne désire ni l’impossible
    ni le possible, les corps
    qui me sont interdits ne rassasient pas
    mon regard. Parfois je lève les yeux
    vers le ciel ardemment
    à l’heure où l’éclat du soleil s’efface
    et l’amant d’azur s’abandonne
    au charme de la nuit.
    Ma seule participation
    au tournoiement du monde
    est mon souffle régulier toujours.
    Mais je me sens participer
    d’une autre façon, étrange :
    soudain m’angoisse
    la souffrance humaine.
    Elle s’étend sur la terre
    telle une nappe rituelle
    trempée de sang
    qui recouvrant dieux et mythes
    renaît éternellement
    et s’identifie à la vie.
    Oui, je voudrais pleurer
    mais tout est sec, la source de mes larmes
    aussi.




    Katerina Anghelàki-Rooke, L’Anorexie de l’existence (2011) in La Chair beau désert, éditions Le miel des anges, 2018, page 131. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Anghelaki-Rooke  La chair beau désert




    ΑΓΓΕΛΑΚΗ-ΡΟΥΚ ΚΑΤΕΡΙΝΑ (1939-2020)


    Angelaki NB
    Source




    ■ Katerina Anghelàki-Rooke
    sur Terres de femmes


    L’autre Pénélope (extrait de Beau désert, la chair)
    18e jour ou l’ordre nouveau des choses (extrait de Nature vide) [+ une notice bio-bibliographique]




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    Katerina Anghelàki -Rooke lit le poème « L’Anorexie de l’existence »






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  • Rosanna Warren | Scat




    SCAT



    Coyotes yodel along the ridge at night in bacchanals.
    Smashed starlight litters the snow.
    Wind hones the mountain’s silhouette
    to a dark blade. Streams wrestle
    in the shoulder-lock of ice: held hard above,
    below the waist thawed, kicking loose, mindling the gleam
    of thighs.
    Like a crazed jeweler, the sky flings out
    its scatter of stars. Our dreams are plural,
    we guard each other’s heat all night under a mound
    of blankets, half-deafened by waters.
    By day, we examine the relics:
    coyote scat, small bear tracks, and the gray, dry stogie
    of an owl pellet: coughed up, burlap-textured, prickly
    with bits of hair and bone, the indigestibles.






    SCAT



    Bacchanales nocturnes des coyotes qui iodlent le long de la crête.
    Pulvérisée, la lumière des étoiles jonche la neige.
    Le vent affûte l’ombre de la montagne
    en lames noires. Les courants luttent corps
    à corps avec les blocs de glace : tenus forts
    sous la ceinture du dégel, ils se débattent, cuisses luisantes.
    Comme un joaillier fou, le ciel disperse ses étoiles
    aux quatre vents. Nos rêves se démultiplient,
    on retient la chaleur toute la nuit sous un tas
    de couvertures, à moitiés assourdis par les torrents.
    De jour, on examine les reliques :
    excréments de coyote, traces d’ours, et la boulette grise et
    desséchée
    qu’une chouette a régurgitée : texture de toile, épineuse,
    poils et bouts d’os, toute la matière indigeste.





    Rosanna Warren, Ghost in a red hat, 2011 [« Fantôme au chapeau rouge »] in De notre vivant, édition bilingue, Collection Ecri(peind)re, Æncrages & Co, 2019, s. f. Traduit de l’américain par Aude Pivin. Gravures de Peter H . Begley.





    Rosanna Warren  De notre vivant





    ROSANNA WARREN


    Rosanna-warren NB
    Source



    ■ Rosanna Warren
    sur Terres de femmes

    Travel (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Poetry Foundation)
    le poème “Mediterranean” dit par Rosanna Warren





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  • Caroline Boidé, Les Impurs

    par Sylvie Fabre G.

    Caroline Boidé, Les Impurs,
    Serge Safran éditeur, 2011.



    Lecture de Sylvie Fabre G.






    Nous vivons une vie plus grande que la nôtre, portant en nous tant d’histoires et de lieux, tant d’êtres. Ils peuplent notre mémoire de souvenirs insoupçonnés qu’un jour nos corps ou des voix, vivantes ou mortes, nous révèlent. Nous nous apercevons alors que notre âme les connaissait déjà. Traces empreintes, il ne nous reste plus qu’à les laisser remonter le courant de l’oubli jusqu’à nos lèvres qui les attendent, jusqu’à notre main qui les saisit pour en faire une ligne de mots brûlant au présent de l’écriture. Dans son roman, Les Impurs, publié en 2011 aux éditions Serge Safran, Caroline Boidé se tient à l’avant, au cœur et à l’arrière du temps pour faire surgir l’histoire d’un pays, l’Algérie, dont sa famille est en partie originaire. À travers le destin de ses deux personnages principaux, David et Malek, jeunes juif et musulmane, c’est sans doute un pan de sa propre généalogie qu’elle interroge mais aussi, plus largement, notre histoire collective, éclairant ainsi tout le questionnement de nos sociétés sur la complexité des origines et l’apport des cultures diverses qui les fondent. Elle nous renvoie par là-même à nos manières de vivre l’enracinement et l’exil, la proximité et la différence, l’amour et la séparation.

    David est le narrateur interne du récit, et c’est à travers son regard que l’histoire de son amour avec Malek nous est contée. Toutefois, le point de vue de la jeune fille n’est pas absent, grâce à son « journal intime » qui lui est remis après sa mort. Le roman a une structure originale qui permet des mises en abyme et des retours en arrière. Construit en trois grandes parties, y sont insérés les cahiers et les feuillets que chacun des amants écrit dans un jeu de croisements aux doubles reflets. Ceux-ci nous permettent de mieux découvrir l’environnement historique et culturel, social et familial dans lequel ils évoluent mais aussi leur rapport singulier au monde et à l’autre.

    La première partie, « Kalla ou la fiancée », relate la rencontre et le vécu d’une passion partagée. Éblouissement et fracture, leur relation est montrée dès sa naissance comme un possible dans la circonférence de l’impossible1. La société algérienne de l’époque est soumise aux traditions séculaires qui régissent l’ensemble des communautés, comme les identités propres. David en a conscience, le côtoiement et même l’imbrication des quartiers juifs et arabes, la ressemblance de leurs modes de vie n’empêchent pas les interdits. Arrivé à Alger pour travailler dans l’atelier d’ébénisterie de son frère aîné, le personnage vit le départ de Batna, sa ville d’origine, comme une libération du joug parental mais il reste sous surveillance. Dans ce cadre étroit s’inscrit sa rencontre avec Malek dont il voudrait préserver le secret. Mais parce que tout « se déroule dehors en Algérie », et donc sous le regard des autres, très vite leur relation est révélée à sa famille par les voisins et ils deviennent ensemble la proie des médisances, jugés et réprouvés, « des impurs », comme le souligne le titre.

    Nous sommes en 1955 dans un pays méditerranéen, mais encore aujourd’hui, dans nombre de pays les préjugés religieux et le statut inférieur de la femme conservent le même poids. Le roman de Caroline Boidé a ce mérite de nous renvoyer sans cesse aux problèmes de notre contemporanéité. Dans la position de fils et de mâle, David lui-même n’est pas sans ambiguïté face aux codes en vigueur et à Malek, « cavalière libre et affranchie des servitudes sociales ». Elle le fascine mais aussi lui fait peur. L’attirance érotique qu’il éprouve est teintée d’un désir de possession et d’une demande dont il lui fait sentir la violence jusque dans l’étreinte. La liberté d’esprit de la jeune fille, son ouverture y compris sur le plan religieux, sa volonté d’un amour assumé défient toutes les convenances. Sa capacité de jouissance, couplée parfois de réserve et de silence, l’inquiète. On le sent non seulement prêt à plier devant la loi des pères mais aussi enclin à asservir son amante, même à distance. La suite du récit, malgré les confessions les regrets et la souffrance, le montre plutôt comme un anti-héros, sans réelle grandeur ni dans l’amour, ni dans la rupture, ni dans le mariage arrangé.

    L’auteure fait de Malek la vraie héroïne du roman. Le mystère de son incroyable affranchissement, la force de ses choix, sa quête d’absolu se dévoilent pleinement dans la deuxième partie, « Malek ou l’ange ». La jeune musulmane, elle le confie dans ses feuillets, a été mise au ban de sa famille à cause de sa passion pour les livres et de son désir d’émancipation et d’écriture : « Mon père m’a dit le monde ne passera pas par toi. Tu n’en transmettras rien car ce n’est pas convenable… Tu ne peux pas faire ce que tu veux de la matière de ta vie, Malek. Elle appartient aux autres autant qu’à toi… C’est une faute d’écrire… Pour nous, c’est une honte ». Sa résistance à la soumission la voue inexorablement à la solitude, à l’opprobre et à un abandon qui annoncent l’effondrement final et sa mort tragique : le cerveau détruit, le corps vidé de son sang, elle meurt parce que déjà « consumée », privée de l’amour et de sa vitalité.

    Caroline Boidé nous offre un portrait de femme où chacune de nous, d’une façon ou d’une autre, peut se reconnaître. L’histoire des femmes est tissée de ces vies aliénées, sacrifiées sur l’autel de la domination et de la misogynie dont toutes font un jour l’expérience. Dans La Création étouffée, Duras raconte comment elle-même, à la même époque que celle du roman, a dû mener un combat contre toutes les interdictions, dont celle de se vouloir écrivain. Elle appartenait pourtant à un milieu d’intellectuels français, a priori plus propice. La lutte pour l’émancipation est sans fin, souligne-t-elle plus tard, et l’on voit aujourd’hui combien celle-ci peut régresser sous le couvert de la religion ou de la mondialisation. Ce roman nous offre un émouvant personnage de femme dont la présence permet au narrateur masculin et, par-delà lui, au lecteur, d’accéder à un autre regard sur la beauté des corps, la sensualité des odeurs, des parfums, des mets, à une autre écoute des paysages et des musiques de la terre algérienne. Malek vit son amour comme une voie ouverte, charnelle et mystique, vers l’humain et vers Dieu. L’écriture lyrique et précise, sensitive et imagée de Caroline Boidé nous fait partager tout un univers en partie disparu. Sur le fil de ces vies qui cherchent une improbable harmonie s’entrevoit la capacité d’une coexistence pacifique des communautés et de leurs cultures, à l’instant même où la guerre d’Algérie en train de s’installer détruit leur fragile équilibre et que débutent les exactions les plus atroces, attentats, torture et égorgements qu’égrènent les carnets de David en même temps que les petits bonheurs du quotidien. Après sa trahison à l’amour, et la mort de Malek, l’espoir semble s’éloigner et la séparation entre juifs et musulmans puis Français se concrétiser davantage.

    Dans la dernière partie du roman, « Avèlim ou les endeuillés », nous assistons à toutes les formes personnelles et collectives du déchirement et de l’exil puisque David, après avoir perdu son aimée, perd aussi quelques années plus tard son pays. Assigné à son identité juive et française, il devient « un rapatrié » alors qu’il n’a connu et aimé que la terre native de ses ancêtres algériens dont il soutient la décolonisation mais s’effraie des conséquences que Camus a lui aussi dénoncées. « Algérie, mon enfance, mon amour » : la fin du livre est un plaidoyer contre la violence, une prière « pour rassembler cette terre » et ses enfants. David, face à tous les échecs programmés d’un accord, y fait aussi le bilan de sa vie « passée, dit-il, hors de lui-même », « arraché » d’abord à l’amour, puis « à l’Algérie du juif de Batna pour une race éteinte sur une terre d’asile ». Sur le bateau de l’exil ne lui restent que l’effluve évanescente du parfum de Malek et sa fille Esther, devenue son « rempart » contre la mort.

    Ce roman est donc non seulement un roman d’apprentissage en résonance avec une période douloureuse de notre histoire commune avec l’Algérie mais aussi un roman sur les pouvoirs de l’écriture, sa capacité à éclairer la vie et à parler ce que l’on tait. Ainsi en est-il pour David et Malek qui accèdent chacun au réel qui les entoure et à leur propre intériorité en écrivant leurs « journaux ». La prose de Caroline Boidé dans son intensité de langue et sa quête des origines nous aide à sentir et à penser à la racine du temps et de l’être. La lisant, surgit un monde fait de réminiscences, de visages croisés, d’évènements vécus rêvés, et de tant de lectures inoubliées ; elle lève tout un tissu de réflexions où résonnent les problèmes de notre société en quête de son passé, de ses identités et d’un sens. Les Impurs nous rappelle la beauté et la difficulté de l’altérité et du lien, la nécessité de défier l’augure2 et d’apaiser la tragédie par le dialogue. Son écriture est une invite à accueillir le legs d’une terre commune à réinventer – comme l’humain.



    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes




    ____________
    1. Roberto Juarroz
    2. Hélène Cixous






    Caroline Boidé  Les Impurs





    CAROLINE BOIDÉ


    Caroline-Boidé NB
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Serge Safran éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Les Impurs




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Pierre Dhainaut, Après
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Pierre Péju, L’État du ciel
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)






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  • Denise Desautels | [ça dit grand]




    Aquatinte la regardeuse regardée l’océan dans la peau
    la regardeuse regardée

    l’océan dans la peau
    Aquatinte, G.AdC






    [ÇA DIT GRAND]



    ça dit grand
    la regardeuse regardée

    l’océan dans la peau
    assise, mortelle sans condition

    mon œil droit devant mord
    la moitié encore du tableau
    son pan d’écume et d’histoire
    juste au bas de l’autre, l’ocre
    l’agitée
    tachée d’objets tranchants qui volent

    voyez de près le va-et-vient
    je pars mais ne quitte pas



    Denise Desautels, « Rose désarroi » in L’Angle noir de la joie, éditions Arfuyen/éditions du Noroît, 2011, page 60. Prix de Littérature Francophone Jean-Arp 2010.






    Denise Desautels  L'Angle noir de la joie





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    D’où surgit parfois un bras d’horizon (lecture d’AP)
    Pour dire nous voici (extrait de D’où surgit parfois un bras d’horizon)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Roberto Bolaño | [Que fais-tu, silencieuse lune ?]





    [QUE FAIS-TU, SILENCIEUSE LUNE ?]



    Que fais-tu, silencieuse lune ? Tu n’es pas encore lasse de parcourir les chemins du ciel ? Ta vie ressemble à celle du berger qui sort avec la première lueur et conduit le troupeau dans les champs. Ensuite, las, il se repose la nuit. Il n’attend rien d’autre. À quoi la vie lui sert-elle, au berger, et la tienne, à toi ? Dis-moi, se dit le berger, racontait Florita Almada la voix exaltée, vers où tend mon errance, si brève, et ta course immortelle ? L’homme naît dans la douleur et à naître il y a déjà risque de mort, disait le poème. Et aussi : Mais, pourquoi éclairer, pourquoi maintenir vivant celui qu’il est nécessaire de consoler, parce qu’il est né ? Et aussi : Si la vie est malheur, pourquoi continuons-nous à la supporter ? Et aussi : Lune immaculée, tel est l’état mortel. Mais toi tu n’es pas mortelle, et peut-être ne comprends-tu rien à ce que je dis. Et aussi, et contradictoirement : Toi, solitaire, éternelle étrangère, si pensive, peut-être comprends-tu bien ce vivre terrestre, notre agonie et nos souffrances ; peut-être sauras-tu bien ce mourir, cette suprême pâleur du visage, et cette absence de la terre et l’éloignement de l’habituelle et amoureuse compagnie. Et aussi : Que font l’air infini et la profonde sérénité sans fin ? Que signifie cette immense solitude ? Et moi, qui suis-je ? Et aussi : Moi seul sais et comprends que des éternels tours et de mon fragile être, d’autres trouveront biens et profits. Et aussi : Ma vie n’est que mal. Et aussi : Vieux, chenu, malade, pieds nus, et presque sans vêtements, avec le lourd fardeau sur les épaules, par les rues et les montagnes, par les rochers et les plages et par les pâturages, dans le vent, avec la tempête, lorsque le jour s’allume et lorsqu’il gèle, il court, il court haletant, il traverse des étangs, des courants, il tombe, se relève et se presse toujours, sans repos ni paix, blessé, sanglant, jusqu’à ce qu’enfin il arrive là où le chemin et où tant d’efforts prennent fin ; horrible, immense abîme où s’y précipitant il oublie tout. Et aussi : Ô, vierge lune, la vie mortelle est ainsi. Et aussi : Ô, mon troupeau qui reposes peut-être en ignorant ta misère, comme je t’envie ! Pas seulement parce que tu es libre de désirs et de toute souffrance, tout mal, chaque crainte extrême vite tu l’oublies, peut-être parce que tu ne sens jamais l’ennui. Et aussi : Lorsque, à l’ombre et dans l’herbe, tu reposes, tu es heureux et calme et la plus grande partie de l’année tu la vis dans cet état sans ennui. Et aussi : Je m’assieds à l’ombre, sur le gazon, et d’ennui mon esprit s’emplit, comme s’il sentait un aiguillon. Et aussi : Et plus rien je ne désire et de raison de pleurer jamais je n’ai. Arrivée à ce point, et après avoir soupiré profondément, Florita Almada disait qu’on pouvait tirer plusieurs conclusions. 1. Les pensées qui tenaillent le berger peuvent facilement s’emballer, car cela fait partie de la nature humaine. 2. Regarder face à face l’ennui était une action qui demandait du courage et Benito Juárez l’avait fait et elle aussi l’avait fait et tous deux avaient vu dans le visage de l’ennui des choses horribles qu’elle préférait ne pas dire. 3. Il n’était pas question dans le poème, ça lui revenait maintenant, d’un berger mexicain mais d’un berger asiatique, mais en l’occurrence c’était la même chose, car les bergers sont partout les mêmes. 4. S’il était bien certain qu’à l’extrémité de tout désir ardent s’ouvrait un abîme, elle recommandait, pour commencer, deux choses, la première ne pas tromper les gens, et la deuxième les traiter avec correction. À partir de là, on pouvait continuer de parler. Et c’était cela qu’elle faisait, écouter et parler, jusqu’au jour où Reinaldo était venu la voir chez elle pour une consultation sur un amour qui l’avait abandonné, et il avait quitté les lieux avec un régime pour maigrir, des herbes pour des infusions qui avaient apaisé ses nerfs et avec d’autres herbes aromatiques qu’il avait cachées dans les coins de son appartement et qui avaient donné à ce dernier une odeur comme d’église et de vaisseau spatial en même temps, ainsi que le disait Reinaldo aux amis qui venaient lui rendre visite, une odeur divine, une odeur qui relaxait et contentait l’âme, qui donnait envie d’écouter de la musique classique, qu’est-ce que vous en dites ? Et les amis de Reinaldo avaient commencé à insister pour qu’il leur présente Florita, ah, Reinaldo, j’ai besoin de Florita Almada […]



    Roberto Bolaño, « La partie des crimes » in 2666, Christian Bourgois éditeur, 2008 ; Gallimard, Collection folio n° 5205, 2011-2017, pp. 655-657. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.






    Roberto Bolano  2666






    ROBERTO BOLAÑO


    Roberto Bolano
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Roberto Bolaño





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claude Margat | [La rumeur du grand arbre]

    « Poésies d’un jour

    choisies par Sylvie Fabre G.





    MARRONNIER_Foto
    Ph., G.AdC






    [LA RUMEUR DU GRAND ARBRE]



    La rumeur du grand arbre
    qui frémit dans tes mots
    ne sort pas de ta tête
    ni de ses paysages sans nom
    mais des livres que tu as lus
    et qui dansent sur l’ombre
    de présents disparus.




    Claude Margat, Matin de silence, L’Escampette éditions, Collection Poésie, 2011, page 19. Préface de Bernard Noël.






    [ICI]


    Ici
    en ne regardant rien que l’air
    on change aussi de ciel

    en changeant de ciel
    on change de vue

    en changeant de vue
    on change de pensée

    en changeant de pensée
    on change tout naturellement de vie




    Claude Margat, Matin de silence, L’Escampette éditions, Collection Poésie, 2011, page 34. Préface de Bernard Noël.






    Claude Margat  Matin de silence





    CLAUDE MARGAT

    Claude Margat portrait 3
    ©PHOTO KC Bordeaux
    Source





    ■ Claude Margat
    sur Terres de femmes

    Sylvie Fabre G. | Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat]




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Claude Margat dans l’émission de Sophie Nauleau : Ça rime à quoi (16 septembre 2012)
    → (sur le site de la revue L’Actualité Nouvelle-Aquitaine)
    Claude Margat dans la voie du silence, par Jean-Luc Terradillos (+ un entretien biographique paru en 2004)





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  • Françoise Ascal | [Carnet, 2011]






    Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation.
    «  Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation »
    Triptyque photographique, G.AdC








    [CARNET, 2011]
    (extrait)




    À Melisey, le silence est d’une épaisseur inconnue à Saint-B. Dans la cuisine, j’ai mis une longue table de bois de bonnes proportions. Il me semble retrouver celle de l’enfance, lorsque nous mangions tous ensemble sur la grande maie de chêne. Je suis l’enfant silencieuse, vaguement dégoûtée devant son assiette creuse de faïence remplie de soupe de gruau d’avoine ou au tapioca dont la consistance donne envie de vomir. J’entends presque la matière confuse des voix, la sonorité des éclats et des basses. Y avait-il des rires ? De quoi parlait-on ? Ne me reste que cette sensation d’enveloppement par les adultes et néanmoins de solitude, moi, invisible au cœur de leurs échanges et pourtant incluse, tissée dedans. Curieusement, je ne vois pas la place de mon frère. Où était-il ? Où dormait-il ? Déjà ailleurs, déjà déligoté, déjà lui-même, tourné vers le large ? Et moi déjà retenue, poreuse, à l’écoute.


    J’ai longé la rivière en vélo, jouissant des odeurs, attentive aux sons variant selon le niveau d’eau. C’est ici que mes pieds se reconnaissent à leur juste place. Ici que les pierres s’adressent à moi. Celles de la cheminée, dans la cuisine, ne sont pas muettes. Elles veulent dire. L’épaisseur du temps est pleine de mains suppliantes. Qui voudrait qu’on l’oublie ? Quel mort n’envoie pas une adresse aux vivants ou à quelques vivants, les priant de veiller sur leur décomposition ? Les enjoignant de ne pas trop vite se résoudre à leur effacement ? Quel vivant n’est pas happé par l’ombre des pierres comme celle des morts ? Ici, c’est l’entre-deux saturnien, le lieu du dialogue interdit, le lieu des mélanges secrets, des liqueurs fortes qui ont longtemps sommeillé sous la terre. Ici, une fillette survit. Elle est plus vraie que moi. Elle est celle que je ne suis que par intermittence. J’ai toujours su que grandir n’était qu’une excroissance de chair autour d’un noyau inaltérable, un habillage du cœur, un vêtement d’extérieur. Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation. Ou une manière d’éteindre le feu, de réduire les intensités.


    Jamais rassasiée de lumière rasante sur la prairie, de ce vert doré éblouissant que je ne connais nulle part ailleurs.
    Près des vieux sapins, sons d’orgue et odeurs de miel.



    Françoise Ascal, Un bleu d’octobre, Carnets 2001-2012, Éditions Apogée, 2016, pp. 97-98.






    Unbleud'octobre





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé du Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Apogée)
    la fiche de l’éditeur sur Un bleu d’octobre
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension d’Un bleu d’octobre par Isabelle Lévesque
    → (sur le site de la mél)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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  • Dolores Dorantes | [Pour dormir sur ton sang]




    [POUR DORMIR SUR TON SANG]





    « 19.- Pour dormir sur ton sang nous voulons que tu nous bandes les yeux et que tu nous mettes de l’inconnu sur la langue. Emporte-nous là où naît la ferveur et le ciel perd. Nous voulons nous faufiler dans ce qu’il y a de plus chaud, ferveur. Dans ce qu’il y a de plus chaud, ferveur. Nous voulons toutes nous ébattre sur le combustible comme si c’était un champ de lobélies. Nous voulons que tu nous bandes les yeux et goûter. Goûter le coup froid des saveurs qui nous enflent les lèvres et déclenchent la guerre. Goûter sans voir la poudre qui nous allume. Recevoir sans savoir combien de têtes roulent dans la ville. Donne-nous en offrande. »



    « 20.- Retourne-toi et le ciel ouvre la bouche. Tu as disparu parmi nous. Ceci est un livre qui n’existe pas. Nous t’encerclons. Ciel et mort. Ciel et sang. Perfection et douleur. Nous sommes toutes à toi quand toi tu crois nous dévorer. Nous sommes toutes à toi la bouche fermée. Instruments de ta phonation. Identiques nous sommes. Nous sautons dans l’anneau du ciel. Nous sommes espace et nous sommes superficie. Le ciel a un corps qui chemine. Le chemin s’est couvert de sang. »



    « 21.- Furie. Support qui chemine. Orfèvrerie de codes détruisant la nuit. Orfèvrerie sur un support de peau qui ne résiste pas. Le ciel ici palpite. »



    Dolores Dorantes, Style [Estilo, Mano Santa Editores, Guadalajara, 2011], L’Arbre à paroles, Collection iF, Amay, 2016, pp. 37-39-41. Traduit de l’espagnol par Cathy Fourez.







    DOLORES DORANTES


    Dolores-Dorantes
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Maison de la poésie d’Amay)
    la page de l’éditeur sur Style de Dolores Dorantes
    → (sur issuu.com)
    le texte original (Estilo, Mano Santa Editores, Guadalajara, 2011) de Style de Dolores Dorantes







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  • Anise Koltz | Ouverte



    Moi qui passe
    Ph., G.AdC






    OUVERTE




    Je traverse les mots
    en marchant sans boussole
    ma poésie est ouverte
    comme une plaine

    Je ne rencontre personne
    si ce n’est moi
    qui passe
    sans me regarder



    Anise Koltz, Je renaîtrai, Éditions Arfuyen, collection Les Cahiers d’Arfuyen, 2011 (Prix des Découvreurs de Poésie 2012) in Somnambule du jour, poèmes choisis, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 172.







    Koltz somnambule





    ANISE KOLTZ


    ANISE KOLTZ
    Source




    ■ Anise Koltz
    sur Terres de femmes


    L’Ailleurs des mots
    Automne (extrait du Cirque du soleil)
    Béni soit le serpent
    [Dans mes poèmes] (poèmes extraits d’Un monde de pierres)
    [Gémeau] (poème extrait de Soleils chauves)
    Je me transforme (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Je suis l’impossible du possible] (poème extrait de Pressée de vivre)
    [Qu’ai-je emprunté à la chair maternelle ?] (poème extrait de Galaxies intérieures)
    Les soleils se multiplient (poème extrait du Cri de l’épervier)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Anise Koltz
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes extraits du Porteur d’ombre (2001), dits par Anise Koltz





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