Étiquette : 2012


  • Ossip E. Mandelstam, Entretien sur Dante (extrait)


    DANTE COLLAGE Guidu
    Statue en marbre de Dante Alighieri
    Piazza di Santa Croce, Florence
    Collage photographique, G.AdC





    ENTRETIEN SUR DANTE
    Chapitre V (extrait)





    On rencontre souvent, dans les Chants de Dante, un prélude impressionniste. Son rôle : donner sous les espèces d’un alphabet éclaté, d’un abécédaire bondissant, scintillant, pulvérisé, ces mêmes éléments qui, selon la loi de convertibilité de la matière poétique, doivent fusionner en formules chargées de sens.

    Ainsi, dans ce passage d’introduction, voyons-nous la danse aérienne, chatoyante, héraclitéenne des moucherons de l’été, qui nous prépare à entendre le discours grave et tragique d’Ulysse.

    Chant XXVI de l’Enfer – de toutes les compositions de Dante la plus proche de l’art de la voile, celle qui louvoie le plus, manœuvre le mieux. Par son astuce, par son ton évasif, sa diplomatie florentine, cette espèce de ruse grecque, elle est sans égale.

    Nous discernons là deux parties majeures : le prélude lumineux, impressionniste, et le récit harmonieux, dramatique, d’Ulysse racontant sa dernière navigation, son départ pour le gouffre atlantique et le terrible naufrage sous les astres d’un ciel étranger.

    Par sa pensée qui s’écoule librement, ce Chant aux chemins fantaisistes est très proche de l’improvisation. Mais pour une écoute plus attentive, il devient évident que le poète improvise intérieurement dans cette langue grecque qu’il affectionne, une langue sacrée, tout en usant — du moins pour la phonétique et le tissu verbal — de son idiome maternel, l’italien.

    Donnez mille roubles à un enfant, puis laissez-lui le choix entre garder la monnaie ou les billets, il prendra à coup sûr la monnaie, et vous pourrez de la sorte lui enlever toute la somme en échange de quelques sous. C’est exactement ce qui a eu lieu en Europe avec la critique d’art, lorsqu’elle a rivé Dante au milieu de ces paysages gravés de l’enfer. Personne encore ne s’est approché de Dante avec un marteau de géologue, pour parvenir jusqu’à la texture cristalline de sa roche, pour étudier ses impuretés, ses fumées, sa limpidité, pour en estimer la valeur en tant que cristal de roche exposé aux accidents les plus disparates.

    Notre science dit : éloigne le phénomène, et j’en viendrai à bout, je le maîtriserai. « Distanciation » (l’expression est de Lomonossov) et faculté de connaissance sont pour elle presque synonymes.

    Dante a des images qui se disent adieu et prennent le large à tout jamais. Il est difficile de se risquer dans les gorges de son vers aux divergences nombreuses.

    A peine avons-nous réussi à nous arracher à ce pauvre paysan toscan soucieux d’admirer la danse phosphorescente des lucioles — et nous avons encore dans le regard les rides impressionnistes laissées par le char d’Elie s’évanouissant dans un nuage — que l’on évoque la mort d’Etéocle, qu’on nomme Pénélope, qu’on laisse filer le cheval de Troie, que Démosthène gratifie Ulysse de sa faconde républicaine, et que le navire de la vieillesse, déjà, appareille.

    La vieillesse, telle que Dante la comprend, c’est en premier lieu la capacité de voir tout l’horizon, d’embrasser le volume le plus vaste, un périple autour du monde. Dans le chant d’Ulysse, la terre, déjà, est ronde.

    C’est un Chant sur la composition du sang humain qui contient en lui le sel de l’océan. Le début des pérégrinations repose sur le système de la circulation sanguine. Le sang est planétaire, solaire, salin.

    De tous les méandres de son cerveau l’Ulysse de Dante mépris la sclérose, comme Farinata méprise l’enfer.

    Serions-nous nés pour vivre une béatitude de bétail, et cette poignée de sentiments qui nous reste au soir de notre vie, ne la consacrerions-nous pas à nous ri squer — vers l’Occident, au-delà des colonnes d’Hercule— là où le monde continue sans l’homme ? *

    Le métabolisme de la planète entière s’accomplit dans le sang — et l’Atlantique aspire Ulysse, avale son vaisseau de bois.

    Impensable de lire les Chants de Dante sans les attirer vers l’époque contemporaine. C’est dans cette intention qu’ils ont été écrits. Ils sont des appareils à capter l’avenir. Ils appellent un commentaire au futur.

    Le temps, pour Dante, c’est le contenu de l’Histoire perçue comme un unique acte synchronique ; et, à l’inverse : le contenu de l’Histoire est la prise de possession en commun du temps – par ceux qui le façonnent ensemble, ensemble le découvrent.

    Dante, un antimoderniste. Son actualité : inépuisable, indénombrable, intarissable.

    Ainsi le discours d’Ulysse, bombé comme un miroir ardent, est-il braqué à la fois sur la guerre entre Grecs et Mèdes, sur la découverte de l’Amérique par Colomb, sur les audacieuses expériences de Paracelse, et sur l’empire universel de Charles Quint.

    Le Chant XXVI, consacré à Ulysse et à Diogène, nous introduit admirablement dans l’œil de Dante, qui, par une accommodation naturelle qui n’appartient qu’à lui, met à nu la structure du temps futur. Dante possède cette vision du rapace, incapable d’accommoder pour s’orienter à courte distance : bien trop vaste, son terrain de chasse.



    Ossip E. Mandelstam, « Entretien sur Dante », Entretien sur Dante précédé de La Pelisse, La Dogana, 2012, pp. 49-52. Traduit du russe par Jean-Claude Schneider, avec la collaboration de Vera Linhartovà. Préface de Florian Rodari.



    ________________
    * Traduction Mandelstam, à partir de deux passages (Enfer, XXVI, 119-120 et 108-109).






    Ossip Mandelstam  Entretien sur Dante 3




    OSSIP E. MANDELSTAM


    Mandelstam portrait 2
    Source



    ■ Ossip Mandelstam
    sur Terres de femmes


    [Quand s’apaise dans la nuit ténébreuse] (extrait de Tristia et autres poèmes)





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  • Noël 1944 | Anita Pittoni, Journal 1944-1945

    Éphéméride culturelle à rebours


    Noël 1944, sept heures du soir


    La musique de Brahms emplit l’air de la pièce. C’est la Deuxième Symphonie. Je me sens transportée. Par d’autres choses aussi. Si nombreuses. Je ne saurais dire aujourd’hui ce que je sens au fond de moi, une crue me submerge. Je me laisse glisser dans cette solitude accompagnée. J’ai laissé les amis avec lesquels j’ai partagé de si longues heures depuis hier, depuis avant-hier, sans interruption.

    Voilà que déjà tout s’éloigne et devient souvenir. Tout le parfum de ce souvenir m’enveloppe, comme des bras d’une extrême douceur. Mon sens de l’amitié devient toujours plus vaste et plus complexe, il franchit toutes les limites imaginables et me donne véritablement le sentiment de l’amour infini. Et la musique est le souffle de ma respiration.

    J’ai vu ce matin une tête de Shiva de Mascherini, qui m’a fascinée. Cela me rappelle un souhait que j’ai exprimé il y a quelque temps : je voulais me tenir sur le plus haut sommet de la Terre face à la mer et son mouvement perpétuel, et me transformer en pierre. Le sens oriental, profond de la vie, avec son harmonie entre karma et esprit, vit en moi, qui sait par quel étrange hasard. Shiva doit être regardé dans sa sérénité accomplie et il est bel et bien la lumière que j’adore, que je désire ardemment rejoindre et contenir.

    Ce Noël est le premier de ma résurrection. Je revis, accompagnée par le chant de mon âme, il m’arrive la plus grande joie que l’on puisse imaginer. Ma tête est lasse, mes pensées se succèdent à l’infini, l’une à la suite de l’autre, reliées l’une à l’autre. Je les sens ce soir, sans pouvoir les arrêter, je les sens comme une grande richesse que je possède et vraiment je comprends ainsi toute ma vie antérieure, je comprends toute la sagesse de chacun de mes états les plus inhabituels, comme si, à ce point d’arrivée, tout se conciliait.

    Cette joie est toute à moi, pour moi seule, je ne peux la communiquer, même si j’en ai envie, elle reste entière et pour moi seule, même si je ne le souhaite pas, elle m’appartient, je la possède totalement, j’ai enfin l’impression très claire de posséder quelque chose. Voilà pourquoi je n’ai pas pu, pourquoi je n’ai pas voulu posséder quoi que ce soit d’autre.

    Je n’aurais pas eu assez de place au-dedans de moi. Comme je suis heureuse même d’être fatiguée, comme je suis heureuse de me laisser aller et de jouir de ce moi-même qui n’est plus à moi, lui non plus. De moi, il ne reste que la joie de cette richesse qui me fait revivre.

    [Onze heures et quart]

    Joyeux Noël !

    J’espérais faire une promenade « en couple idéal » dans la splendeur de cette matinée de Noël.

    Giani

    « Va, pensée, sur les ailes d’un chant… » *



    Anita Pittoni, Journal 1944-1945 [Diario 1944-1945, Libreria antiquaria Drogheria 28, Trieste, 2012], éditions La Baconnière, 1207 Genève, 2021, pp. 73-75. Préface de Simone Volpato. Postface de Cristina Benussi. Traduit de l’italien par Marie Périer et Valérie Barranger.



    ___________________
    * A. Pittoni, « Il senso della Materia », Lil, 5, 1934, p. 14.







    Anne Pittoni




    ANITA PITTONI


    Anita Pittoni





    ■ Anita Pittoni
    sur Terres de femmes


    8 mai 1982 | Mort à Trieste d’Anita Pittoni (+ une notice biographique)




    ■ Voir aussi ▼


    Samuel Brussell, Alphabet triestin (lecture d’AP)
    → (sur L’Italie à Paris)
    Anita Pittoni, Journal 1944-1945 (lecture de Stefano Palombari)





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  • Rubén Darío | Melancolía


    MELANCOLÍA


    A Domingo Bolívar





    Hermano, tú que tienes la luz, dime la mía.
    Soy como un ciego. Voy sin rumbo y ando a tientas.
    Voy bajo tempestades y tormentas,
    ciego de sueño y loco de armonía.

    Ése es mi mal. Soñar. La poesía
    es la camisa férrea de mil puntas cruentas
    que llevo sobre el alma. Las espinas sangrientas
    dejan caer las gotas de mi melancolía.

    Y así voy, ciego y loco, por este mundo amargo;
    a veces me parece que el camino es muy largo,
    y a veces que es muy corto…

    Y en este titubeo de aliento y agonía,
    cargo lleno de penas lo que apenas soporto.
    ¿No oyes caer las gotas de mi melancolía?




    Rubén Darío, Cantos de vida y esperanza, Tipografía de Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, Madrid, 1905. Reed. Collection Penguin Clásicos, 2015.





    Ruben Dario  Cantos-de-vida-y-esperanza







    MÉLANCOLIE


    À Domingo Bolívar





    Frère, toi qui possèdes la lumière, dis-moi la mienne.
    Je suis comme un aveugle. Je vais sans but et je marche à tâtons.
    Je vais sous les tempêtes et les orages
    Aveugle de rêves et fou d’harmonie.

    Voici mon mal. Rêver. La poésie
    Est la camisole ferrée aux mille pointes sanguinaires
    Que je porte en mon âme. Les épines sanglantes
    Laissent tomber des gouttes de ma mélancolie.

    Ainsi je vais, aveugle et fou, par ce monde amer ;
    Parfois le chemin me semble interminable,
    Et parfois si court…

    Et dans ce vacillement entre courage et agonie,
    Je porte le fardeau de peines que je supporte à peine.
    N’entends-tu pas tomber mes gouttes de mélancolie ?




    Rubén Darío, Chants de vie et d’espérance, XXV, in Azul [1888-1890], suivi d’un choix de textes, José Corti, Collection Ibériques, 2012, page 249. Traduit de l’espagnol (Nicaragua) par Jean-Luc Lacarrière.





    Rubén Dario Corti





    RUBÉN DARÍO


    Rubén Dario Guidu
    Image, G.AdC





    ■ Rubén Darío
    sur Terres de femmes


    Walt Whitman (poème extrait d’Azul)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions José Corti)
    une fiche de Philippe Ollé-Laprune sur Rubén Darío





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  • Frédéric Jacques Temple | Méditerranée



    Stael
    Nicolas de Staël, Plage de Syracuse, 1954
    © Sotheby’s








    MÉDITERRANÉE


    à Max Rouquette



    L’antique mer
    toujours qui sera jeune,
    celle des Argonautes
    et des enfances,
    de turquoise orne ses vagues
    qu’ont vues les matelots d’Ulysse
    et Pythéas le grand nocher
    de nos parages,
    dans leurs barques ventrues
    aux couleurs du soleil.
    Mer androgyne
    aux écailles d’émail,
    et ses yeux innombrables
    ouverts comme des héliotropes.


    Je n’ai pas oublié,
    je n’oublierai jamais
    l’opulence de l’iode en septembre,
    l’écume
    où nous rêvions de voir surgir
    des crêtes savonneuses
    les dauphins en sarabande.
    Les voici ! Les voici !
    Et nous dansions
    avec ces joyeux compagnons
    au doux regard, aux gracieuses voltiges,
    ces petits dieux si bien civilisés
    émergeant des abysses du temps,
    qui nous faisaient l’honneur
    de leur plaisir
    dont la musique illuminait nos songes…


    Les dieux sont en exil,
    nos appels sans réponse ;
    ils n’accourent plus sur les plages
    où de l’ombre monte la lune
    au comble de l’équinoxe.


    Ils ne sont plus avec nous
    qu’au fond secret de la mémoire.






    Frédéric Jacques Temple, Phares, balises et feux brefs, éditions Bruno Doucey, 2012 (prix Guillaume-Apollinaire 2013) ; in La Chasse infinie et autres poèmes, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 548, 2020, pp. 189-190. Édition de Claude Leroy.






    Frédéric Jacques Temple  La Chasse infinie




    FRÉDÉRIC JACQUES TEMPLE (1921-2020)


    Frederic Jacques Temple Ph. ©Pierre Bolszak
    Ph. © Pierre Bolszak
    Source





    ■ Frédéric Jacques Temple
    sur Terres de femmes


    L’Oregon Trail (poème extrait de Foghorn)
    Mai 2011 | Frédéric Jacques Temple, De la musique avant toute chose (extrait de Divagabondages)
    Un clou pour voyager (extrait de Par le sextant du soleil)
    Été (poème extrait de Profonds pays)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Chasse infinie et autres poèmes
    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de La Chasse infinie et autres poèmes par Claude Grimal
    → (sur ActuaLitté)
    Temple, la poésie partie en infinie chasse de rencontres






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  • Jennifer Barber | A Poet of Medieval Spain




    A POET OF MEDIEVAL SPAIN





    The caliph gone. The moon

    unrisen in the garden.
    In the tall grass, a gazelle.

    *

    This isn’t a young love.

    I know you
    and I don’t.

    I’m pouring
    a second cup of wine.

    *

    Almonds. Figs. The slow
    highway I trace

    in the valley of your spine
    and beyond: we are

    not required to
    complete the design —
    we have no permission to refrain.

    *

    A breeze from the coast,
    ripened on oranges,

    scatters a flock of swallows
    with one hand,
    a spray of terns with the other.
    Wind that speeds the journey,
    wind that splinters masts,

    I fear what comes next.



    Jennifer Barber, Given Away, Kore Press, Tucson, Arizona, 2012.






    Jennifer Barber  Given away









    UN POÈTE DE L’ESPAGNE MÉDIÉVALE






    Le calife est parti. La lune

    ne s’est pas levée dans le jardin.
    Dans l’herbe haute, une gazelle.

    *

    Ce n’est pas un amour de jeunesse.

    Je te connais
    et je ne te connais pas.

    Je sers
    une deuxième coupe de vin.

    *

    Des amandes. Des figues. Le lent
    chemin que je trace

    dans la vallée de ta colonne
    et au-delà : nous ne sommes pas

    tenus de compléter le dessin —
    nous ne sommes pas autorisés
    à nous abstenir.

    *

    Une brise de la côte,
    mûrie sur les oranges,
    disperse une volée d’hirondelles
    d’une main,
    une gerbe de sternes de l’autre.

    Toi qui accélères le voyage,
    toi qui fends les mâts,

    j’ai peur de ce qui va venir.



    Jennifer Barber, Délivrances, La Rumeur libre éditions, 2018, page 59. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuel Merle.






    Jennifer Barber  Délivrances





    JENNIFER BARBER


    Jennifer_barber_medium
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Kore Press)
    la fiche de l’éditeur (en anglais) sur Given Away
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    une notice bio-bibliographique sur Jennifer Barber
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la fiche de l’éditeur sur Délivrances
    → (sur Terre à ciel)
    d’autres poèmes de Given Away | Délivrances, traduits par Emmanuel Merle





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  • 8 février 2008 | Friederike Mayröcker, Scardanelli

    « Poésie d’un jour

    Éphéméride culturelle à rebours



    SUR LE COBENZL



    ce petit coin de terre où l’hydrant peint
    en bleu : clapote tandis que les cimes des chênes
    vers le Cobenzl : gravissant le sentier forestier presque plat bordé
    d’enclos à chevaux où aussi ânesses et chèvres
    rouges puis gagnant le rondeau belvédère où le regard vagabonde
    des hauteurs obscures aux vallées éclatantes : uni mur-
    mure du fleuve entre leurs bras, plus tard
    la part sombre de la forêt où PARENTES voix de miel d’oiseaux
    jusqu’au sentier où les humides (phalliques) racines
    tandis que du ravin terriblement surgi à
    droite les bêtes dociles : brebis laineuses remontaient comme
    si des ailes leur étaient poussées — ah cette urgence de saisir ta
    main pour ne pas devoir céder au besoin
    de me précipiter dans l’abîme (à celui dépourvu de fleurs)
    lorsque l’œil malade le gauche se mit à larmoyer : le cil
    1 pure fontaine battante 1 ondée de larmes les lachrymae,
    John Dowland

    8.2.08



    Friederike Mayröcker, Scardanelli [Suhrkamp Verlag, Berlin, 2012], Atelier de l’agneau éditeur, Collection transfert, 2017, page 22. Traduit de l’allemand (Autriche) par Lucie Taïeb. Postface de Marcel Beyer.






    Scardanelli 2





    FRIEDERIKE MAYRÖCKER


    Friederike Mayrocker
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur En attendant Nadeau)
    Dans les jardins étrangers (lecture de Scardanelli de Friederike Mayröcker par Mireille Gansel)
    → (sur aller aux essentiels)
    d’autres extraits de Scardanelli



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Dominique Memmi, Retour à Mouaden

    par Angèle Paoli

    Dominique Memmi, Retour à Mouaden,
    Colonna édition, 2012.
    Prix du livre insulaire Ouessant 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli



    LE POINT DE LUMIÈRE QUI LIBÈRE L’ÉCRITURE




    Il y a quelque chose de mystérieux dans le titre Retour à Mouaden, quelque chose qui incite à la découverte. Une musicalité douce sans doute, rythmée par l’écho assourdi de ce singulier pentamètre. Le nom du lieu n’évoque rien pour moi, si ce n’est qu’il sonne à mon oreille comme un toponyme du Maghreb. Je serais bien en peine toutefois de le situer avec précision. Algérie Tunisie Maroc ? La photo qui illustre la première de couverture confirme l’ancrage du récit en Afrique du Nord. Neuf hommes debout, coiffés du fez, sont rassemblés là. Ils entourent un homme chapeauté du casque colonial et assis sur un tonneau. Le récit, dominé par une présence masculine forte, est celui d’une femme corse. Dominique Memmi. Les femmes corses jouent là un rôle important. C’est d’ailleurs à trois femmes que l’auteure a dédié ce récit : Anna, Mathéa et Marie. L’aînée étant sa mère. Un homme est également présent : Pierre-Marie, l’époux de Dominique Memmi.

    Retour à Mouaden est le second roman de Dominique Memmi. Prix du livre insulaire Ouessant 2013.

    Dominique Memmi est la descendante de l’homme au casque colonial. Lui, c’est Louis Lusinchi, le grand-père de la romancière. C’est à elle que revient le devoir et le rôle d’écrire. C’est à elle, Dominique, qu’est transmise « la pochette bleue » qui contient les feuillets qui vont lui permettre d’entreprendre le voyage au rebours du temps.

    « Oui, c’est le récit de mon voyage en Tunisie, à Mouaden. Tout est écrit dans ces feuilles, mais c’est Dominique qui doit les lire. Elle en fera ce qu’elle voudra. »

    Celle qui prend la parole ici, c’est Marie, la plus jeune tante de Dominique, la troisième fille de son grand-père Louis. Dominique, elle, investie par les siens du devoir de lire ces feuilles, se lance dans l’écriture afin de rendre à la vie ce grand-père qu’elle n’a pas connu.

    Dans la première partie du récit, intitulée « Au commencement », la narration est confiée à Louis Lusinchi. Le jeune homme retrace à la première personne toute son histoire et celle de sa famille. Le voilà un jour contraint par les circonstances de la vie à quitter son cher village de Tralonca (dans le Cortenais, en Haute-Corse), un village miné par la désertion et par la pauvreté. C’est que la Grande Guerre a fait son office, fauchant de jeunes vies et estropiant ceux qui ont pu sortir de l’enfer. Depuis, plus rien n’est pareil. Les hommes s’en vont tenter ailleurs ce que leur terre refuse désormais aux siens. Il faut partir gagner sa vie dans cet ailleurs inconnu qui fait miroiter d’improbables richesses. C’est ici que l’histoire personnelle de Louis Lusinchi rejoint la grande Histoire, celle de la Corse vidée de ses forces vives. Mal remise du traumatisme des guerres de tranchées, l’île n’a jamais retrouvé son équilibre. Les Corses s’étant exilés en masse sur le continent ou en métropole.

    Louis n’échappe pas à l’Histoire. Il est rattrapé par elle et par elle cerné jusqu’à ce que mort s’ensuive. Entre ces deux pôles, il y a eu la vie à Tralonca, ses rythmes et ses joies simples, qui, dans l’esprit de Louis, étaient partis pour perdurer. C’était oublier l’héritage paternel et ses conséquences sur la famille. Le père a été meurtri, endeuillé par la perte de son fils Antoine Paul. Lui-même a laissé un bras sur le champ de bataille et son état physique s’en est trouvé fortement amoindri. Malgré tout, pour tenter de sauver les siens, il a le courage de pousser son fils cadet à rejoindre la sœur ainée en Tunisie, alors sous protectorat français.

    La première partie du récit-fiction donne la parole à Louis. Louis raconte — par-delà la mort qui l’a brutalement arraché à Mouaden, sa terre d’adoption, à Martine sa femme et à ses trois fillettes — ce que furent ses pensées dans les dernières minutes qui ont précédé sa mort. Dominique Memmi lui confie ses mots, consciente de travestir en partie la réalité. Mais elle tente de rendre à son grand-père, trahi par l’un de ses ouvriers agricoles, lâchement enlevé aux siens puis torturé et fusillé, la vérité qui, pense-t-elle, a dû être la sienne. Roman polyphonique, Retour à Mouaden ne s’arrête pas à l’histoire de Louis telle que Dominique Memmi la reconstitue pour nous. La romancière prend soin de l’enrichir de témoignages, consignés dans des carnets. Trois carnets au total. De quoi raviver les souvenirs liés à la vie de Louis au douar de Mouaden, depuis son arrivée sur l’exploitation jusqu’à sa disparition. Plusieurs années d’une vie de labeur consacrée aux champs et au soin des troupeaux. À ses ouvriers agricoles et à celle qui, entre temps, est devenue sa femme et lui a donné trois filles. Anna, Mathéa et Marie. « Où sont-elles » ?, interroge le fantôme de Louis, errant sans sépulture dans la carrière où son corps a été abandonné.

    Trois carnets, donc, pour reconstruire non pas la vérité, mais plusieurs vérités possibles, dont l’assemblage permet d’ajuster les fragments et de retrouver la tonalité de ce qui a été vécu, traversé et légué par Louis. Ainsi, comme dans la pièce de Pirandello : À chacun sa vérité, il y a la vérité d’Antoine de Tralonca, puis celle d’Anna, ensuite celle de Marie. Et, in fine, celle de Dominique Memmi. Dominique Memmi travaille. Elle note, relie, assemble, souligne, griffonne. « Je couds les mots entre deux lignes d’encre et je pique le papier comme Antoine pique ma curiosité. » Elle remonte avec Antoine dans l’arbre généalogique ; elle s’arrange avec les blancs. Elle compense la fantaisie par la rigueur. Elle écrit dans la tension qui va de l’une à l’autre. La rigueur passe par les dates. Tout l’intéresse de ce qui a pu toucher la vie de Louis. En toute chose, elle cherche des signes. Les pages deviennent informatives. Mais la vie de Louis est là, qui se faufile entre les lignes :

    — 1893 : la première fromagerie industrielle destinée à la pâte de Roquefort s’installe en Corse.

    — 25 mars 1903 : naissance de Louis Lusinchi.

    — 5 septembre 1914 : à bord du Numidia rentrent les premiers mutilés de guerre.

    — 1920 : 158 laiteries créées en Corse par la société des caves et producteurs réunis à Roquefort.

    — …

    Dominique Memmi s’interroge. Les mots auxquels l’écrivain se raccroche sont-ils susceptibles de concerner Louis ? De le faire renaître ? De le ramener parmi eux, les vivants ? Elle n’ignore pas que cela est illusoire. Mais, poursuivant son chemin, elle s’adonne avec passion à son enquête.

    « Est-ce que ces mots étaient la vérité de Louis ?

    Oui et non. Ces mots allaient lui donner chair. Ils étaient nés de la pierre qu’il avait foulée, du carton à deux sous qu’il avait rempli, de la rivière qu’il avait traversée, du surnom dont on l’avait affublé, de toutes choses gardées dans les mémoires et la moleskine. »

    La vérité de Louis échappe, tant elle est multiple. Elle puise ses origines à Tralonca, se poursuit à Mouaden. De paysan pauvre, il devient propriétaire d’un douar important. Après le drame de sa disparition, la vérité se prolonge sous d’autres formes dans les feuillets d’Anna. Avec les carnets d’Anna, Dominique Memmi, fille d’Anna, renoue avec la terreur de cette nuit violente de l’arrachement de Louis aux siens ; elle trouve sous les mots de sa mère l’odeur âcre de la fumée ; la consternation face à la destruction de leur maison ; la détresse liée à l’attente désespérée du retour de Louis. Mais Louis ne reviendra pas. Le bruit court qu’il a été fusillé. Malgré les mises en garde, malgré la menace grandissante qui se répandait alors sur le pays, Louis s’était obstiné. Il avait refusé de quitter Mouaden. Il était resté confiant. Sa confiance aveugle puisait elle aussi ses racines dans la terre et dans les hommes qu’elle nourrissait. Il refusait de voir s’avancer la tragédie qui venait à sa rencontre. Pourtant la rumeur disait qu’il était engagé dans la résistance. Si tel était le cas, il aurait dû savoir. Mais il avait préféré lutter pour défendre ses hommes et ses biens. Après la mort de Louis commence l’exode pour Anna et pour ses sœurs. Vient alors le temps du dénuement et de l’épuisement, de la fuite le long des chemins ; de la terreur des bombardements. Anna se souvient. Elle a gardé en mémoire le froid et la peur.

    De Mouaden, il ne sera plus question avant longtemps.

    Pourtant la vie reprend. Elle prend soudain un autre tour. L’exode se transforme en voyage. Martine et ses filles passent la frontière. Arrivent en Algérie. Le travail de mémoire se poursuit auprès de l’oncle André. Le frère de Louis veut connaître la vérité sur l’arrestation de son frère. Il veut tout savoir de ce qui s’est passé. C’est d’une autre vérité qu’il s’agit là. Reconstituer les faits, coûte que coûte. C’est cela qui obsède André, « l’intellectuel ». Auprès d’André, généreux et attentionné, la vie est agréable, confortable, luxueuse. Les filles s’épanouissent, mais la mère n’a qu’un désir. Retrouver son indépendance. Et rentrer en Corse.

    Dominique Memmi cède la parole à Marie. « La dernière fille de Louis ». Celle qui n’a aucun souvenir de son père et qui entreprend la première, bien des années après, le « retour à Mouaden ». Sur les traces du père. « Mon père et ma mère ont vécu ici », dit-elle aux deux hommes qui l’« observent sans comprendre ». Ainsi, à partir de quelques regards, d’un échange avec des femmes et des enfants, d’un peu de sable recueilli dans la paume de la main, Marie raccommode-t-elle son histoire, et Dominique Memmi peut poursuivre son travail de recomposition et d’écriture. Il lui reste à explorer le dernier carnet.

    Celui « du témoignage et des questionnements ».

    « Carnet polyphonique parce qu’il regroupe les témoignages de ceux qui ont vécu au temps de cette histoire. Les coupables, les victimes, les proches. La parole de ceux qui ont vu, de ceux qui ont participé, de ceux qui ont enquêté ; la parole des vivants et la parole rapportée, celle des absents et des défaillants. Ceux d’après. Ceux qui figurent dans les archives militaires. La trace infaillible. »

    Les voix se succèdent qui complètent le portrait de Louis. Qui lèvent le voile sur les circonstances de la mort du père. Une fois explorées et mises en ordre toutes les voix recueillies, Dominique Memmi confie dans les dernières pages de son récit :

    « Moi, j’ai cherché le point secret où convergent ces voix, ces temps et ces morts. Le point de lumière qui libère l’écriture et le cours des choses. »

    Nul doute qu’elle y est parvenue. Comme elle est parvenue aussi à rendre Louis vivant. Retour à Mouaden est un ouvrage très émouvant. Il vibre de ce qu’a été la Corse, il n’y a pas si longtemps encore, attachante dans sa relation avec elle-même et avec l’ailleurs. Un beau témoignage de passion, pour la famille qui est la sienne et pour cette île qui nous est un commun héritage.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Retour à Mouaden
    DOMINIQUE  MEMMI


    Dominique Memmi




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Colonna)
    la fiche de l’éditeur sur Retour à Mouaden





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  • Joël Gregogna | Nisiros et Symi



    NISIROS ET SYMI




    CHAQUE ÎLE EST UNE RENCONTRE : l’île du matin ressemble à un scarabée, celle du dormant à l’encéphale entier, frangé d’or comme les reliques sacrées ; et pourtant, du lever au couchant, nous apercevons la même île. Toutes les terres tiendraient-elles en une, même quand tout semble les opposer !

    Ainsi Nisiros et Symi : la première est un cratère dépassant de la mer. Des émanations sulfureuses s’en échappent ; la terre y bouillonne. La coupe est ici vivante, elle n’a pas déversé, comme à Santorin, sa libation dans l’okéanos. Cette île est mâle au sens que tout y est force, richesse, générosité. La chute du jour à Nisiros fond la terre et l’okéanos en un alliage d’airain. Et quand survient l’aube, elle est à Nisiros une autre genèse. Le rayon primordial force la dissociation des deux éléments, puis, rompant les ténèbres entre la mer et le volcan, déboule sur l’océan, vibrant. Seulement alors, la chaleur se dégage lentement de Nisiros.

    Cette île constitue le complément de Symi, qui demeure femelle dans sa nuance et sa connaissance. Il convient pour bien s’en persuader, d’arriver à Symi en fin d’après-midi et de la quitter au petit matin.

    Sous réserve d’une différence d’intensité, c’est à ce moment la même lumière qui prolonge les écueils. Symi ne connaît pas l’obscurité, car la nuit y promène elle-même une clarté confuse que reflète la pâleur de ses rochers d’argent. À Symi, l’épigraphie devient fécondation.

    C’est de la qualité de la lumière qui les baigne que ressort la complémentarité de ces deux îles. Pour tout homme venant en ce monde, la lumière de Nisiros est divine, alors qu’elle est spirituelle à Symi.

    Le Navire procède. Le vent est de sept-huit. Il est une heure quarante-cinq et c’est la nouvelle lune. La mer est mate. Passé le phare des îles Yavalès, les ténèbres étouffent ce qui vibre. Devant, sur Nisiros, les langues de feu que l’on perçoit sont-elles coïncidences ou flamboiement du volcan ? Le Navire pointe la proue vers cette épée. La nuit se déchire ; alors les ténèbres s’arrachent à la terre, et de sa poupe et de sa proue, la carène élève une arche entre Nisiros et Symi : le règne du jour est advenu dans la complémentarité retrouvée.



    Joël Gregogna, Vitriol Océan, Périples initiatiques, chapitre troisième « La ligne d’orient », Éditions Véga, 2012, pp. 88-89. Photos Joël Gregogna.






    Joël Gregogna, Vitriol Océan




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  • Barry Wallenstein | Blues again

    « Poésie d’un jour

    choisie par Marilyne Bertoncini



    Topique : Bleu




    ENCORE LE BLUES
    Ph., G.AdC






    BLUES AGAIN



    Lying in bed, waiting for sleep
    or something entirely different
    to come up,
    I heard a whimper in the tick tock blue
    and dipped into a distance sky blue
    and far from this room with its eight bar blues
    and the tick tock again of the clock
    with your voice going out the door.

    The weight of these sounds still bears
    the color of water under a blue dome
    and I am alone with a twelve bar blues
    love having fled its comfort;

    lying in bed now, sweating blue bullets
    as in paint ball — a splatter to the skull,
    my eyes closed, my ears dimmed;
    the keenness of sleep is yard away
    blinking, darting fitfully into a blue day.



    Barry Wallenstein, “4. Jazz”, in Drastic Dislocations, New and Selected Poems, New York Quarterly Books, New York, NY 10113, 2012, p. 207.







    Barry Walenstein, Drastic Dislocations








    ENCORE LE BLUES




    Allongé sur le lit, attendant le sommeil
    ou tout à fait autre chose
    qui se présenterait,
    j’entendis une plainte dans le tic-tac bleu,
    et m’enfonçai dans un lointain ciel bleu
    et loin de cette chambre et son rythme de blues
    et le tic-tac encore de l’horloge
    avec ta voix qui sort par le seuil de la porte.

    Ces bruits sont encore lestés
    de la couleur de l’eau sous un dôme bleu
    et je suis seul avec les douze mesures d’un blues
    privé de la consolation de l’amour qui l’a fui ;

    allongé sur le lit maintenant, suant des balles bleues
    comme au jeu de paint-ball — éclaboussant mon crâne,
    yeux clos, sons tamisés :
    le plein du sommeil hors d’atteinte
    clignote, et à saccades s’enfonce dans un jour bleu.



    Traduit de l’anglais (américain) par Marilyne Bertoncini.
    Traduction inédite.






    BARRY WALLENSTEIN


    Barry Wallenstein
    Source



    ■ Barry Wallenstein
    sur Terres de femmes

    Tony’s blues (lecture de Chantal Dupuy-Dunier)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Barry Wallenstein






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  • Claudine Bohi | Si ce n’est pas trembler



    SI CE N’EST PAS TREMBLER




    si ce n’est pas trembler
    tout l’or du monde alors renversé dans les mains
    ne peut servir
    le bleu du ciel dans ses brassées d’écume

    si ce n’est pas trembler
    et le corps sous le souffle
    creusé comme son évidence
    la nuit rassemblée entière dans son brasier
    et tout cela disparaît qui n’est pas la joie

    si ce n’est pas trembler
    ce qui s’appelle vivre n’a pas traversé
    à sa naissance
    n’est pas venu



    Claudine Bohi, « Sur l’île de la nitescence », in Pas d’ici pas d’ailleurs, Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines, éditions Voix d’encre, 2012, page 180.





    CLAUDINE BOHI


    Claudine Bohi




    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes

    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique de la Poéthèque sur Claudine Bohi





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