Étiquette : 2012


  • Yves di Manno | [pour rejoindre en lisière de la page]




    La page pliée le bois fossilisé
    Source







    [POUR REJOINDRE EN LISIÈRE
    DE LA PAGE]





    pour rejoindre en lisière
    de la page


    pliée le bois fossilisé


    (la forêt millénaire)


    refermée sur la nuit
    (et l’iris éphémère)


    comme en travers du lit


    noir, vert


    apposés seuls


    (opposés ?)


    si la page


    est un drap


    doublement


    déplié


    traversant l’étendue
    jusqu’au noir


    (versant est)


    sans verser dans
    la danse adverse


    dianes diaphanes


    lianes de sang





    Yves di Manno, Terre sienne, Éditions Isabelle Sauvage, 2012, pp. 31-32-33.





    YVES DI MANNO


    Yves di Manno
    Image, G.AdC




    ■ Yves di Manno
    sur Terres de femmes

    après Privas… Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture »
    féal (poème extrait de Champs)
    Objets d’Amérique (note de lecture d’AP)
    Terre ni ciel (note de lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Œuvres ouvertes, Revue de littérature de Laurent Margantin)
    Yves di Manno, Objets d’Amérique, par Auxeméry
    → (sur le site des éditions Corti)
    la fiche consacrée à Objets d’Amérique





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  • Pascal Commère | [Blanche, la gelée aux quatre coins]



    Mais qui suis-je au plus bas du monde
    Ph., G.AdC






    [BLANCHE, LA GELÉE AUX QUATRE COINS]




    Blanche, la gelée aux quatre coins — surprend le monde !



    Attendant
    la houle grande du printemps, la foule
    des orges qui épieront. Des quatre pieds, comme figure
    toute gloire drapée de boue et d’or. Et qu’importent
    les mouches affairées dans le trop-plein d’air moite — ô dissidentes !
    Mais qui suis-je au plus bas du monde ? Anxieux
    de l’herbe qui tarde en sa pousse fébrile, résigné
    dans l’attachement fier au finage illusoire.



    Pascal Commère, « Songe du petit cheval déplacé en terre franque », Bouchères, Obsidiane, 2003, in Des laines qui éclairent, Une anthologie, 1978-2009, Obsidiane & Le temps qu’il fait, 2012, page 286.








    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source




    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes


    [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
    Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    Sur la poussière
    [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





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  • Antoine Wauters | [De bracelets, de colliers de perles]



    [DE BRACELETS, DE COLLIERS DE PERLES]



    De bracelets, de colliers de perles avec le sable d’îles lointaines qu’il faut imaginer terribles, sales, bien moins pratiques que notre belle grande ville avec son fleuve d’aluminium et ses rebuts dorés, on orne Césarine. Doucement, on la couvre des matières du temps. Et quelle joie de lui faire porter, la corseter, la revêtir du plus ancien au plus nouveau tissu : lin, satin et bien sûr élasthanne, qui rend légers ses sous-vêtements et souples ses chemises d’été.



    Antoine Wauters, Césarine de nuit, Cheyne Éditeur, Collection Grands fonds, 2012, page 41.







    Cesarine-de-nuit-d-antoine-wauters





    ANTOINE WAUTERS


    Antoine_Wauters
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    une page sur Césarine de nuit (+ Antoine Wauters dans Ça rime à quoi, émission du 30 septembre 2012)
    Cacophonie, le blog d’Antoine Wauters
    → (sur le site de l’AREAW, Association Royale des Écrivains et Artistes de Wallonie)
    une note de lecture de Michel Voiturier sur Césarine de nuit





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  • Sabine Péglion | [La glace dans les verres]



    La vitre parfois s 'illumine en de rares reflets
    Ph., G.AdC







    [LA GLACE DANS LES VERRES]



    La glace dans les verres

    dérive
    Le rideau bouge

    rouge est la fleur
    dans le cœur du bouquet

    Espace fragile
    La vitre s’illumine

    Parfois
    En de rares reflets



    Dans les reflets que le bitume absorbe

    pulsation étrange d’une vie qui se dérobe

    Aucun ancrage            soudain seule la

    déchirure            du fleuve de barges

    traversé s’imprime



    Sabine Péglion, Derrière la vitre, Rougier V. éditeur, Collection Ficelle n° 109, juillet-août 2012, page 14. Gravures de Jean François Clapeau.







    Péglion ficelle





    SABINE PÉGLION


    Sabine Peglion




    ■ Sabine Péglion
    sur Terres de femmes

    Sabine Péglion | Jacques Bret, Australie, notes croisées (note de lecture de Cécile Oumhani)
    Naxos (extrait de Ces mots si clairsemés)
    [L’eau s’écarte] (extrait de Faire un trou à la nuit)
    [Ombre noire] (extrait du Nid)
    Prendre le temps (extrait de Traversée nomade)
    Que sais-tu
    [Tu sais il n’est de lieu] (extrait d’Écrire à Yaoundé)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Malhabile



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    une lecture de Derrière la vitre par Cécile Oumhani





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  • Lawrence Ferlinghetti | [I am signaling you through the flames]




    Lawrence Ferlinghetti A
    Triptyque photographique, G.AdC







    [I AM SIGNALING YOU THROUGH THE FLAMES]



    I am signaling you through the flames.


    The North Pole is not where it used to be.


    Manifest Destiny is no longer manifest.


    Civilization self-destructs.


    Nemesis is knocking at the door.


    What are poets for, in such an age?
    What is the use of poetry?


    The printing press made poetry so silent it lost its song. Make it sing again.


    If you would be a poet, create works capable of answering the challenge of apocalyptic times, even if this means sounding apocalyptic.


    You are Whitman, you are Poe, you are Mark Twain, you are Emily Dickinson and Edna St. Vincent Millay, you are Neruda and Mayakovsky and Pasolini, you are an American or a non-American, you can conquer the conquerors with words.


    If you would be a poet, write living newspapers. Be a reporter from outer space, filing dispatches to some supreme managing editor who believes in full disclosure and has a low tolerance for bullshit.


    If you would be a poet, experiment with all manner of poetics, erotic broken grammars, ecstatic religions, heathen outpourings speaking in tongues, bombast public speech, automatic scribblings, surrealist sensings, streams of consciousness, found sounds, rants and raves—to create your own underlying voice, your ur voice.


    If you call yourself a poet, don’t just sit there. Poetry is not a sedentary occupation, not a “take your seat” practice. Stand up and let them have it.


    Have wide-angle vision, each look a world glance. Express the vast clarity of the outside world, the sun that sees us all, the moon that stews its shadows on us, quiet garden ponds, willows where the hidden thrush sings, dusk falling along the riverrun, and the great spaces that open out upon the sea… high tide and the heron’s call… And the people, the people, yes, all around the earth, speaking Babel tongues. Give voice to them all.


    You must decide if bird cries are cries of ecstasy or cries of despair, by which you will know if you are a tragic or a lyric poet.


    If you would be a poet, discover a new way for mortals to inhabit the earth.


    If you would be a poet, invent a new language anyone can understand.


    If you would be a poet, speak new truths the world can’t deny.


    If you would be a great poet, strive to transcribe the consciousness of the race.


    Through art, create order out of the chaos of living.


    Make it new news.


    Write beyond time.


    Reinvent the idea of truth.


    Reinvent the idea of beauty.


    In the first light, wax poetic. In the night, wax tragic.


    Listen to the lisp of leaves and the ripple of rain.


    Put your ear to the ground and hear the turning of the earth, the surge of the sea, and the laments of dying animals.


    Conceive of love beyond sex.


    Question everything and everyone, including Socrates, who questioned everything.


    Question “God” and his buddies on earth.


    Be subversive, constantly questioning reality and status quo.


    Strive to change the world in such a way that there’s no further need to be a dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Arts, A New Directions Book, New York, 2007, pp. 3-8.








    Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Art









    Lawrence Ferlinghetti B
    Triptyque photographique, G.AdC







    [JE TE FAIS SIGNE À TRAVERS LES FLAMMES]



    Je te fais signe à travers les flammes.


    Le Pôle Nord a changé de place.


    La Destinée manifeste n’est plus manifeste.


    La civilisation s’auto-détruit.


    Némésis frappe à la porte.


    À quoi bon des poètes dans une pareille époque ?
    À quoi sert la poésie ?


    L’imprimerie a rendu la poésie silencieuse, elle y a perdu son chant. Fais-la chanter de nouveau !


    Si tu te veux poète, crée des œuvres capables de relever les défis d’une apocalypse, et s’il le faut, prends des accents apocalyptiques.


    Tu es Whitman, tu es Poe, tu es Mark Twain, tu es Emily Dickinson et Edna St Vincent Millais, tu es Neruda et Maïakovski et Pasolini, Américain(e) ou non, tu peux conquérir les conquérants avec des mots.


    Si tu veux être poète, écris des journaux vivants. Sois reporter dans l’espace, envoie tes dépêches au suprême rédacteur en chef qui veut la vérité, rien que la vérité, et pas de blabla.


    Si tu veux être un grand poète , expérimente toutes sortes de poétiques, grammaires érotiques barbares, religions extatiques, épanchements païens glossolaliques, et l’emphase des discours publics, les gribouillis automatiques, les perceptions surréalistes, les flots de conscience, sons trouvés, cris et récriminations — et crée ta voix limbique, ta voix sous-jacente, ta voix, la tienne.


    Si tu te dis poète, ne reste pas bêtement sur ta chaise. La poésie n’est ni une activité sédentaire, ni un fauteuil à prendre. Lève-toi et montre-leur ce que tu sais faire.


    Cultive une vision ample, que chacun de tes regards embrasse le monde. Exprime la vaste clarté du monde extérieur, le soleil qui nous voit tous, la lune qui nous jonche de ses ombres, les étangs calmes dans les jardins, les saules où chantent des grives cachées, le crépuscule tombant au fil de l’eau et les grands espaces qui s’ouvrent sur la mer… marée haute et le cri du héron… Et les gens, les gens, oui, tout autour du monde, qui parlent les langues de Babel. Donne-leur une voix à tous.


    Tu devras décider si les cris des oiseaux sont d’extase ou de désespoir. Alors tu sauras si tu es poète tragique ou poète lyrique.


    Si tu te veux poète, découvre une nouvelle manière pour les mortels d’habiter sur Terre.


    Si tu te veux poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre.


    Si tu te veux poète, prononce des vérités nouvelles que le monde ne pourra pas nier.


    Si tu veux être un grand poète, efforce-toi de transcrire la conscience de la race.


    Par l’art, crée l’ordre à partir du chaos vital.


    Rends les nouvelles neuves.


    Écris au-delà du temps.


    Réinvente l’idée de la vérité.


    Réinvente l’idée de la beauté.


    Aux premières lueurs, ose l’emphase poétique. La nuit, l’emphase tragique.


    Écoute le chuintement des feuilles et le clapotis de la pluie.


    Pose l’oreille sur le sol et entends la Terre tourner, la mer déferler, les animaux mourants se lamenter.


    Conçois l’amour par-delà le sexe.


    Mets tout et tout le monde en question, même Socrate, qui questionnait tout.


    Questionne « Dieu » et ses acolytes sur Terre.


    Sois subversive, remets sans cesse en cause réalité et statu quo.


    Efforce-toi de changer de monde, et qu’il n’y ait plus besoin d’être un dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poésie, Art de l’Insurrection, maelstrÖm reEvolution, Bruxelles, 2012, pp. 13-14-15-16-17-18. Traduit de l’anglais (USA) par Marianne Costa.








    Ferlinghetti-art-de-l-insurrection




    LAWRENCE FERLINGHETTI (1919-2021)


    Ferlinghetti portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une fiche bio-bibliographique sur Lawrence Ferlinghetti
    le site City Lights Booksellers & Publishers
    → (sur lemonde.fr) Lawrence Ferlinghetti, poète et éditeur de la Beat generation, est mort






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  • Armand Dupuy, Mieux taire

    par Isabelle Lévesque

    Armand Dupuy, Mieux taire,
    Æncrages & Co, 2012.
    Avec 5 linogravures de Jean-Michel Marchetti.
    Préface de Bernard Noël.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    JMM5
    Source







    [UN TEMPS ÉCOULÉ RIVÉ AU SILENCE]



    « Le ciel est tombé noir et j’attends par les yeux presque aussi loin qu’attendre peut. »



    Une spirale ouvre le recueil, celle dessinée par Jean-Michel Marchetti. Elle est double, deux gris s’emportent vers le centre ou le quittent — la couleur même utilisée pour le titre — à moins qu’il ne s’efface. Quels degrés ? Peut-on supposer que dans l’infinitif « taire » existe une gradation, comme deux gris conjoints (et disjoints) s’assembleraient pour un mouvement improbable ? Écrivant, fait-on mieux que « taire » et rejoindre un silence qui existe sans nous ?

    La quatrième de couverture signée du poète tourne autour du silence, ce centre-là, et le livre s’ouvre sur un titre et une linogravure de Jean-Michel Marchetti qui donnent le tournis :

    « Une forme d’aveuglement reste — restera. »

    Double assertion : les images, métaphores, « ne tiennent pas ». Vertige en source : « langue absentée ». Alors fines touches, esquisses ; des phrases (des vers) se lancent et définissent, par la négation (grammaticale) ou l’absence, le texte. Il y a bien des pronoms, un « tu » qui existe, mais il est hors du paysage ou des choses, collé à la vitre des mots. Il résiste, apparaît en fin de strophe sous sa forme pronominale (« la seule peur d’être / sans toi ») ou dans un déterminant (« [t]a nuque à l’abandon »). Chaque page, sauf une, présente deux sizains ponctués, des vers aussi bien que des morceaux cousus/décousus d’un patchwork alliant l’observation (paysage, mouches, murs, ampoules, vaches, merles, plantes, sapins…) à la réflexion elle-même arrêtée lorsqu’elle commence puis reprend.

    Pointillés des lignes avec en fin de parcours (pages) des appels à ce « tu » identitaire et nécessaire. Des mots, paronymes, se rencontrent (« taire » / « raie » — « serre » / « septembre » — « pelles » / « peine ») et des syntagmes s’attendent dans la phrase pour être reprécisés avec la lenteur d’un report :

    « […] fouler fort dans / sa langue, les pieds le savent devant. »

    Voilà pourtant la métaphore, concrète, douloureuse, « le jour en boule dans la gorge », car taire c’est aussi prononcer le « peu » : attente, rien, un passage vers « avale ».

    La réalité que le mot pourrait porter est absorbée dans sa prononciation, le temps d’aligner les syllabes au rythme du passage des mouches. Elles traversent le texte, restent et se posent dans deux linogravures de Jean-Michel Marchetti dont celle de couverture : gris sur noir, surimpression d’insectes minuscules en un plus grand tautologique parfaitement découpé sur la page. On peut au passage souligner la qualité des reproductions signées de la maison Æncrages and Co : reproductions couleurs, pleine page, criantes comme le texte (pas asservi, le dessin happe autant que les mots, bourdonne autant que les mouches).

    Quatre parties composent le livre et la première s’achève par un simple constat, on est près de la phrase minimale :

    « […] Tout me laisse plus seul ici. »

    La syntaxe pourtant réserve quelques surprises, menues surprises glissées dans les coupes inattendues d’un vers qui repousse un mot court sur le suivant :

    « ce que fait dehors sans savoir, un vert

    tu qu’il faudrait presser, fouler fort dans

    sa langue […] »

    Participe passé du titre à l’infinitif en rejet, qu’il faut entendre et bousculer comme un silence (le vers tue, la vertu…).

    Déséquilibres rattrapés ou non, les surprises, les allitérations ou assonances (« Faire les corvées puis laisser / pour chaque chose ma bouche se taire. ») coexistent et se répondent. Paronymes ou homonymes suggérés :

    « Le dire / n’y peut rien tout freine ici, morts et terre avec. »

    Taire et terre se répondant en écho du titre comme on s’approche du quiproquo, théâtre du silence que l’on frôle :

    « silence neuf dont la tête est l’œuf ou la poule »

    La scène (la strophe) intègre le calembour ou l’ambiguïté qui alimentent le texte surtout pour celui qui en entendrait la lecture. On joue les mots, ils se heurtent, se bousculent avec une certaine allégresse qui pourrait contrebalancer le poids d’un silence ontologique et fatal. Le titre, Mieux taire, oriente vers le silence de Samuel Beckett, on peut aussi sourire au fil du texte de l’humour qui désamorce le possible tragique : « ma tête sans temps dans la vitre » (la vitre comme un miroir sans tain / sans temps, homophonique trouble des sons : cent ans, s’entend…).

    Les négations prolifèrent (de la plus simple, « ne…pas », à ses variantes, ou le privatif, « sans toits ni ciel »), ce qui est perçu révèle une béance, un trou dans la langue, une absence. Existent plus peut-être les éléments rendus à la personnification, « [t]out l’air debout ». Alors le rêve, qu’un processus s’amorce, non « un oiseau posé » mais « mieux [qui] se pose » à l’inverse du « temps plié ». Les participes passés employés ou non comme adjectifs s’accumulent (« ciel tombé », air et dehors « balayés », « ce tas privé de tout ») ; ils gardent une valeur accomplie, malheureusement accomplie. C’est ce temps écoulé rivé au silence qui s’exprime dans Mieux taire.

    Seule résistance : « laisser » ? Mots écrits à peine, suggestion du manque. Quelques actions peut-être laissées aux verbes suspendus, intemporels, infinitifs comme une absence d’ancrage : « couper, fendre et couper le bois, le ranger, balayer le silence moins vite de chaque chose s’impose. »

    « Si langue effeuille » : déplie ? Une fois les corvées accomplies, les participes passés énoncés, « [o]n cherche la seule impression de chercher », poème entrepris, petites notes du merle ou vol des oiseaux, les signes si peu marqués pour « mieux taire ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Dupuy




    ARMAND DUPUY


    Armand Dupuy Denim
    Source




    ■ Armand Dupuy
    sur Terres de femmes


    [l’eau fermée] (extrait de Ce doigt qui manque à ma vue)
    [On cherche avec les yeux] (extrait de Par mottes froides)
    Présent faible (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Une première fin des questions
    8-12 février [2017] | Armand Dupuy | [je m’entends parler du temps qu’on serre] (extrait de Selfie lent)




    ■ Voir aussi ▼

    le blog d’Armand Dupuy
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    une page de l’éditeur sur Mieux taire



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre

    par Laurence Verrey

    Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre,
    Éditions MLD, 2012.
    Préface de Jean-Marie Pelt.



    Lecture de Laurence Verrey


    Une fois par éternité on voit surgir un passage lumineux qui nous désigne
    Ph., G.AdC







    UN CORPS QUI TIENT LE PAYSAGE





    Dominique Sorrente est un marcheur d’infini sur la sente des mots. Prendre la route avec lui, c’est s’exposer au vertige de tous les possibles, aux mille tours d’un langage qui toujours surprend. Renoncer à ce qu’on croyait connaître du monde pour s’abandonner à la superbe liberté d’une parole qui semble naître à mesure. Le poète lève des formules secrètes, saute d’une rive à l’autre — avec ou sans passerelle —, il interpelle les lettres qui font signe, cherche une vérité où se poser pour reprendre souffle, et s’en va plus loin sans s’attarder ni s’appesantir. Et voilà l’esprit entraîné. Car le pouvoir de cette poésie est d’emporter. Sur les traces d’un monde perdu-trouvé entre points de rupture, de fuite, et temps d’équilibre fragile, de sérénité provisoire. D’entraîner à voir. Rimbaud disait : « Je travaille à me rendre voyant. » Dominique Sorrente fait apparaître un espace, un temps sauvé, qui est lieu d’exercice du regard.

    C’est bien ici la terre, son dernier recueil poétique, témoigne d’une conscience aiguë de la vitalité et de la précarité des choses. En alliance avec elles, une langue audacieuse et mobile, bondissante et prodigue — vigueur, légèreté, autonomie des images, comme détachées — donne à voir les mouvements incessants de la pensée, attentive à une planète-terre menacée, vulnérable, mais qui remue encore pour qu’on n’enterre pas les vivants dans un destin à bout de souffle. Comme l’annonce le titre, et à la différence de poèmes antérieurs jetés comme des îles en pleine mer, c’est ici qu’est la terre. Cette matière archaïque, inerte, muette en apparence avec ses gouffres, son énergie sombre, ses tragédies et ses consolations, la pleine terre où sont les morts, c’est elle que le poète vient ausculter, dans les rythmes d’une langue sans nom. C’est ici, nulle part ailleurs, dans le balancement immuable du jour et de la nuit, qu’on peut l’interroger, cette grande métisse du dedans qui ouvre au chant vertical :


    « Pour qui danse encore

    cette moitié d’ombre ? »


    Pour retrouver le souffle perdu des commencements, nulle autre arme que celle de la parole, qui coule irrésistible. Que ces mots sans racines, mais qui connaissent la profondeur sous l’écorce. Et quel pays gagné, quel partage, quel avenir pour les Enfants de demain ? N’est-ce pas à eux que nous empruntons la terre, selon les mots de Saint-Exupéry ? Eux qui déjà réclament leur part d’héritiers, puissent-ils être de ces clairvoyants épanouis par l’immense, et qui transmettront à leur tour à leurs enfants le feu et la fleur, le secret au milieu des arbres.

    Recueil de la maturité, souverain et léger, doué d’un feu d’abondance, d’une énergie puisée aux entrailles de la terre. Dans les plis des ombres ou des vents. En neuf chapitres, la voix s’élève et va son chemin inépuisable. Après la « Lettre en rebord du monde », le poète entonne la « Chanson pour une amande ». « Par le point de fuite du cœur, le manuscrit du souffleur de verre, ou par l’enfant à plusieurs voix, quand donc l’amande surgira, ainsi soit-elle ». Voilà le lecteur au cœur du laboratoire secret où les trouvailles de langue dans leur détermination heureuse se mêlent, comme des eaux venues de toutes parts. Et ce courant qui va changeant et résolu, affirmant ses rébus et ses lois, se fraie passage, un mot qui est l’une des clés de l’univers de Dominique Sorrente :


    « Une fois par éternité on voit surgir un passage lumineux

    qui nous désigne. Il ne faut pas le manquer.

    Le temps de nous frôler, il sera reparti. »


    Que ce soient les saisons du bout du monde, le fleuve, le vert en sa seconde vie, ou le printemps beau joueur, toutes choses prennent instantanément vie, l’inéluctable trouve une forme d’espérance, l’instant donne naissance à une respiration, les strophes se succèdent en appels et rencontres pressenties. Et si l’égarement a lieu, dans le dédale des idées, au dernier coude du labyrinthe hermétique, une échappée s’offre, une ouverture sur l’étonnement, une révélation subite. Alors le dissimulé s’éclaire, éclate en une loi simple.

    Le recueil se clôt sur un dernier chant d’entre deux mondes, « Esquisse pour la vivante ». Entre gisants et amoureux, la vivante, terre ou amante, est flamme, et le poète, vie sauve, un corps debout qui tient le paysage.



    Laurence Verrey
    D.R. Texte Laurence Verrey
    pour Terres de femmes





    DOMINIQUE SORRENTE


    Domnique_sorrente
    Source



    ■ Dominique Sorrente
    sur Terres de femmes

    [À défaut de livre, au moins cette promesse de poème] (poème extrait d’Il y a de l’innocence dans l’air)
    C’est la terre
    Écueils
    J’écris comme on décide par fragments
    [je suis celle qui se voue à la flamme] (extrait de C’est bien ici la terre)
    Je t’envoie ma chanson des jours bleus
    Le temps sans rideaux
    [L’humeur est passe-partout] (extrait de Tu dis : rejoindre le fleuve)
    Pays sous les continents
    [Les rideaux] (extrait des Gens comme ça va)
    Le Scriptorium | Portrait de groupe en poésie



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un Portrait de Dominique Sorrente





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  • Emmanuel Damon | [Avec la lenteur d’arbres solitaires]




    Nous gardons souvenir d’affections anciennes
    Ph., G.AdC






    [AVEC LA LENTEUR D’ARBRES SOLITAIRES]



    Avec la lenteur d’arbres solitaires
    Le pain mûrit sur nos tables et les heures s’étirent
    Nous gardons souvenir d’affections anciennes
    D’ombres où le sommeil renouvelle le souffle
    Et la rivière partout nous accompagne
    À l’entendre nos mains s’ouvrent nos épaules se délient
    C’est verser de l’huile dans notre sang
    Quand la journée obscurcit les visages
    Amère récolte de patience !
    À nos fronts qui reposent le ciel porte encore offrande
    D’oubli sous la pluie bavarde



    Emmanuel Damon, Regain du sang, Éditions Al Manar | Alain Gorius, Collection Poésie, 2012, page 47. Avec des gravures de Hubert Damon.






    Regain-du-sang





    EMMANUEL DAMON


    Emmanuel Damon
    Source



    ■ Emmanuel Damon
    sur Terres de femmes

    [Fourmille dans notre sang ce tissu de mer] (poème extrait d’Au seuil d’un règne de vin noir)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar | Alain Gorius)
    une page sur Regain du sang d’Emmanuel Damon





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  • Jean-Loup Trassard, Causement

    par Bernadette Engel-Roux

    Jean-Loup Trassard, Causement,
    Texte & photographies de Jean-Loup Trassard,
    Le temps qu’il fait, 2012.



    Lecture de Bernadette Engel-Roux



    Ruisseau1_home
    Ph. : Jean-Loup Trassard
    Source







    « LE GOÛT DES RACINES»



    La langue française toute proche, celle qui se parlait encore dans l’enfance du jeune mayennais, celle que l’école de Jules Ferry enseignait à tous les petits du vieux pays pour les libérer des patois et d’une relative ignorance, même cette langue républicaine avait une clarté et un son qui en moins d’un siècle se sont perdus. Dans cette déperdition, cette langue française pleine, savoureuse et consonante n’était pas si éloignée qu’il pourrait paraître du patois. Dans Causement, Jean-Loup Trassard dit la part de plaisir qu’il pouvait entrer dans son usage. Et plus important encore, le fait de communion. En classe, s’ils osaient, ou si les mots fusaient, les petits écoliers s’y chahutaient, partageant, comme des rebelles entre eux, le plaisir et le secret d’un langage clandestin.

    Ni Trassard le Mayennais ni Marteau le Poitevin ne parlent patois dans leur vie quotidienne, au rebours de ce que font les activistes nostalgiques. Eux, c’est seulement en poésie, comme pour un auditoire invisible et qui n’en prononcera pas les mots à haute voix, qu’ils osent un acte de piété, presque timide, en tout cas discret. Et c’est aux Mayennais, semble-t-il, mais à nous lecteurs aussi bien, qu’il rappelle qu’il y a là un « trésor linguistique » qu’il importe de « ne pas laisser disparaître dans l’oubli ». S’en servir parfois, comme d’un doux vieux linge, c’est ouvrir l’armoire ou le coffre, c’est en secouer la poussière, car les mots ne vivent leur inusable vie que si l’on s’en sert, tant il est vrai qu’ici usure et usage se séparent.

    C’est un livret ponctué d’images rurales pour Trassard, ce Causement dont il dresse un lexique réduit à quelques balises mémorielles, car l’écrivain photographe et poète ne fait pas œuvre de chercheur en lexicologie, mais œuvre de piété et de plaisir personnels. Aussi les images renvoient-elles très probablement à un univers proche, bien connu, intime. Outils et objets de la vie quotidienne dont la douceur du cliché en noir et blanc modèle et module les formes en leur rendant chaleur et dont la succession rythme le livre.

    Jean-Loup Trassard (comme le fait Robert Marteau) pose dans l’encre du livre, non pas l’écho sonore d’un mot, ce qui ne se peut, mais sa trace, son impalpable vestige en pigments d’encre. Ils honorent d’infimes autels langagiers. Leur usage est poétique, non politique. Il ne s’agit pas de convaincre des autorités ni d’entraîner des foules. La cause serait vaine. Mais d’ébranler doucement le battant d’une cloche qui sonna il y a longtemps et n’a plus de timbre. Faire voir l’image pieuse de sons qui étaient un mot, et dans le même temps nommaient un objet, un geste, une façon d’être de la vie immédiate. Le patois ne désignait que le proche et le familier. Les mondes étrangers ou abstraits n’avaient pas, n’en avaient nul besoin, de sons connus qui les disent. Lorsque ce monde s’éloigne ou sombre, les mots qui s’y réfèrent consentent obscurément à la même atlantide et aucune mythologie ne les sauve, sinon la piété poétique qui les prononce en secret. Pratiquer, en poètes, un art de la mémoire : « remonter le temps pour toucher la surface enfouie des chemins », dit Jean-Loup Trassard. Très étrangement, quand il était corps vivant de langue, le patois était parlé de ceux qui ne savaient l’écrire. Aujourd’hui, seuls qui savent écrire essaient d’en témoigner. Ils « remontent du labour quelques silex préhistoriques », pour le seul plaisir de la contemplation, d’une sonorisation secrète, intime. « J’ai toujours tentation de laisser de telles sonorités un peu résonner dans ce que j’écris, comme si cette musique augmentait la présence de la campagne sur ma page pourtant muette », nous confie l’avant-dire posé sous le titre signifiant : « Le goût des racines », juste avant que ne se déroule la liste des verbes et substantifs au caractère invocatoire.

    C’est sans doute aussi la langue première de l’émotion, celle de la colère ou de l’amour, et la vocalisation chaotique de nos rêves. C’est en patois que le rustre rudoie ou chérit son cheval ou sa vache, son chien ou ses chèvres, et qu’il vocifère contre le soleil et la pluie – ou la femme. C’est la langue des Dieux Lares et Pénates. Et la langue jaillissante des Dieux Paniques. Les Muses apolliniennes ne peuvent l’ordonner.

    Peut-être encore le patois, ce « langage sans nom » est-il, pour l’écrivain, cette façon de se parler à soi-même, lorsqu’on oublie tous les langages acquis, le vain savoir qui est la vanité, peut-être est-il une façon de parler en soi une langue personnelle, pour se dire ce à quoi nul n’a à donner réponse, c’est souvent cette « petite voix en soi qui, remarque Pierre Michon, vient dire à la chose écrite : cause toujours », la voix intime mais critique qui interdit l’orgueil parce qu’elle rappelle l’origine, les vieux morts en nous qui rappellent leur existence, s’ébrouent, obligent au retour de contrition. Tu n’es jamais que l’un des nôtres, ne te prends pas pour un grand. « Et quand j’écris, je me parle souvent à moi-même, je m’approuve ou me désapprouve, en patois. Ce sont de vieux paysans morts qui, en moi, se défendent… » 1. Tu n’es que Pierrot ou Jean-Loup ou Robert, le petit Creusois, le petit Mayennais ou le petit forestier. Ne l’oublie pas. Le poète cède à l’injonction des morts, et, n’oubliant pas, parle avec les siens, quelques instants, dans leur langue. Ou ils parlent en lui.

    Et puis, la langue française que Jules Ferry croyait plus uniforme que les patois divers, celle-là même s’épuise et s’aplatit. Face aux formules stéréotypées des medias, il semble qu’une vieille langue, aux nuances savoureuses et colorées, sonnante, n’ait plus de refuge qu’en la littérature, où elle ne fait aucun bruit. N’atteint que les âmes sensibles, les quelques donataires d’une langue en déshérence, offerte dans les quelques feuillets d’un livre, d’un causement.



    Bernadette Engel-Roux
    D.R. Texte Bernadette Engel-Roux (printemps 2013)
    pour Terres de femmes





    _____________________________
    1. Cité par Jean-Bernard Vray, in Pierre Michon, l’écriture absolue, Actes du 1er colloque international Pierre-Michon (Musée d’Art moderne de Saint-Étienne, 8, 9, 10 mars 2001), textes rassemblés par Agnès Castiglione, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2002.






    Trassard






    ■ Autres notes de lecture de Bernadette Engel-Roux
    sur Terres de femmes


    Jean-Claude Pirotte, À Saint-Léger | suis réfugié
    Olivier Rolin, Extérieur monde
    José-Flore Tappy, Tombeau





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  • Juin 1951 | Günther Anders, Journaux de l’exil et du retour

    Éphéméride culturelle à rebours



    [DANS LE MONDE NORMAL, L’INOUÏ ET L’ANORMAL NE SONT PLUS CONCEVABLES]



    Vienne, juin



    Je ne cesse de m’étonner de voir que, après cette guerre comme après la Première Guerre mondiale, la littérature a très rarement dépeint l’épouvantable. –

    Explication : dans le monde normal, l’inouï et l’anormal ne sont plus concevables, et on ne peut pas non plus s’en souvenir. – Qui sait si celui qui était un monstre à l’époque et qui est maintenant redevenu un voisin aimable dans ce monde un peu plus aimable, est encore vraiment capable de se rappeler les actes monstrueux qu’il a commis ? Son style de vie de l’époque (qui était associé à un tout autre « monde ») est-il séparé de son style de vie présent par une muraille si impénétrable qu’il demeure désormais inaccessible, c’est-à-dire inaccessible au souvenir ?

    Peut-être l’amnésie est-elle quelque chose de beaucoup plus répandu qu’on ne l’admet communément. Le jour ne se souvient pas de la nuit, ni la nuit du jour. Ou à peine. Cause de cette amnésie : en passant brusquement d’une situation (ou « monde ») A à une situation B, complètement différente, celui qui fait ce saut perd son identité. Dans la situation B, il ne trouve pas d’élément qui renvoie à la situation A. – La langue familière dit : « Là-bas, tu n’étais pas le même ». Pas seulement : « Tu étais différent. » Elle a raison. –




    Günther Anders, « Revoir et oublier | Retour en Europe (Paris, Zurich, Vienne), 1950-1951 », in Journaux de l’exil et du retour [Tagebücher und Gedichte, Verlag C.H. Beck oHG, München, 1985], Fage éditions, Collection particulière, 2012, page 229. Traduit de l’allemand par Isabelle Kalinowski.





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    GÜNTHER ANDERS


    Günther Anders




    ■ Voir aussi ▼

    la fiche de l’éditeur sur Journaux de l’exil et du retour





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