Étiquette : 2012


  • Ludovic Degroote |
    [chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures]







    POLYPHONIES INTÉRIEURES
    Ph., G.AdC








    [CHACUN NOUS VIVONS AVEC DES POLYPHONIES INTÉRIEURES]



    chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures auxquelles nous n’accédons pas toujours, comme si nous demeurions seulement à l’écoute de nous-mêmes au lieu de nous ouvrir aux paroles qui nous traversent et que nous ignorons le plus souvent



    car il nous est difficile d’ôter le masque où nous vivons, à cause des peurs qui brûlent notre visage et de l’impossibilité que ce serait de vivre tels que nous sommes, dans une chair à vif hideuse et brutale



    peut-être ne meurt-on pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou les uns à la place des autres, puisque dès qu’elles tombent des voix tombent en nous



    voilà parfois qu’on découvre sous la sienne une telle voix, non pour faire un travail de deuil, expression idiote dont l’apparence laisse entendre qu’on puisse l’effectuer, c’est-à-dire s’en défaire, quand il aurait été habilement réalisé, et truquée, car on ne fait rien dans un deuil qui ne fasse que la douleur vous fasse, à travers la combinaison du temps qui passe et du temps qu’en vous cette douleur a figé



    godeleine ma petite sœur c’est ainsi que je te rejoins, chaque jour de ma vie, en la peuplant des peurs qui l’assassinent, je ne peux faire autrement, et chaque fois que j’essaie ça ne dure qu’un instant, un instant d’oubli, tu as grandi au milieu de mes peurs et ne les as jamais cachées, pas plus que tu es venue me prendre par la main comme lorsque j’étais petit pour me rassurer, me dire que tu étais là, tu m’as laissé seul et depuis que tu es morte je vis seul au milieu de mes solitudes



    Ludovic Degroote, « monologue de ludo » in Monologue, Champ Vallon, 2012, pp. 71-72.






    Ludovic Degroote, Monologue








    LUDOVIC DEGROOTE


    Vignette ludovic degroote
    Source



    ■ Ludovic Degroote
    sur Terres de femmes

    [Autour figé, amorti, sans attente] (extrait de La Digue)
    Am Timan, Tchad (extrait de ligne 4)
    [j’aimerais faire quelque chose de tout ça] (extrait de josé tomás)
    josé tomás (lecture d’AP)
    Monologue (Sotto voce de Jean-Louis Giovannoni)
    Retisser la trame déchirée (note de lecture de Sylvie Fabre G.)
    un peu plus au bord
    zambèze (lecture d’AP)
    3 ciels d’ici
    Christine Delbecq | Ludovic Degroote, ChaosCarton



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    « méfie-toi du pathétique » (lecture de Monologue de Ludovic Degroote par Angèle Paoli)
    → (sur remue.net)
    Monologue (note de lecture de Jacques Josse)






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  • Pascal Commère | [Crayonné paysage]







    Crayonné paysage. Krzysztof Browko,  Sony World Photography Awards 2012
    « Crayonné paysage, les lignes
    emmêlées qui repassent, s’acceptant
    se niant. »

    Ph. Krzysztof Browko, Sony World Photography Awards 2012
    Source








    [CRAYONNÉ PAYSAGE]



    Crayonné paysage, les lignes
    emmêlées qui repassent, s’acceptant
    se niant. Qui modèle,
    quel souffle toujours s’use, toujours tempère
    l’érosion diurne, qui assiège ?
                                                         Et l’orbe
    de l’eau en bas par-dessus les maïs.




    Pour quelles bêtes de trop loin vues, ou seulement
    la cambrure d’une échine au sol, sait-on
    de quel monde le vent les chasse ou si la terre
    n’est autre qu’une grande morsure avec le bleu
    du ciel et son genou blessé, si seule
    qu’une herbe en la touchant s’y brise.




    Pascal Commère, « Sur une ligne de crête en Toscane », De l’humilité du monde chez les bousiers, Obsidiane, 1996, in Des laines qui éclairent, Une anthologie, 1978-2009, Obsidiane & Le temps qu’il fait, 2012, page 232.






    Une grande morsure avec le bleu du ciel
    Triptyque photographique, G.AdC








    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source




    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes

    [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
    Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    Sur la poussière



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 10 février 2013 | Antonella Anedda, Senza nome. Sartiglia

    Éphéméride culturelle à rebours





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    Source







    SENZA NOME. SARTIGLIA


    A Oristano, sulla costa occidentale della Sardegna oltre la quale c’è solo la Spagna, il martedì di Carnevale si tiene uno dei riti più antichi dell’isola : Sa Sartiglia. Un uomo chiamato « su Componidori » viene vestito da tre donne che gli applicano sul viso una maschera di legno senza nessuna caratteristica: liscia, bianca e androgina. E’ una maschera che annulla l’identità del singolo e non ha espressione. Almeno fino a pochissimo tempo fa, lo stesso nome della persona che avrebbe rivestito il ruolo del Componidori era segreto. Il Componidori dunque non ha sesso, non ha età, non ha nome. Il suo compito è guidare i cavalieri del suo gruppo, del suo gremio, tutti ugualmente mascherati in una corsa che ha come fine quello di infilzare con la lancia una stella, in spagnolo sartiglia, sospesa a un filo sottile.
    La vestizione si svolge nel più assoluto silenzio. Una volta finita, il corpo del Componidori non può più toccare terra. Sale a cavallo direttamente da un tavolo che è quasi un altare chiamato « sa mesida ». Da quel momento non dovrà più mettere piede a terra. Per non cadere, per combattere la paura e l’impotenza, farà affidamento solo sulla forza delle gambe. Vivrà come in sogno diventando tutti gli uomini e le donne che è stato e i cui nomi si confondono fino a essere perduti.


    Antonella Anedda, “Aria” in Salva con nome, Poesia, Arnoldo Mondadori Editore, Collana Lo Specchio, Milano, 2012, pagina 11.







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    Source






    SANS NOM. SARTIGLIA




    Le mardi de Carnaval, à Oristano, sur la côte ouest de la Sardaigne au-delà de laquelle il n’y a plus que l’Espagne, se déroule l’un des plus anciens rituels de l’île : Sa Sartiglia. Un homme, que l’on nomme « su Componidori », est habillé par trois femmes qui posent sur son visage un masque en bois sans traits caractéristiques : lisse, blanc et androgyne. C’est un masque dénué d’expression qui gomme l’identité de celui qui le porte. Jusqu’à une période encore récente, le nom même de celui qui devait jouer le rôle du Componidori était gardé secret. Le Componidori n’a ni sexe, ni âge, ni nom. Son rôle est de diriger les cavaliers de son groupe, de sa corporation, tous également masqués, dans une course dont le but est de transpercer d’une lance une étoile (en espagnol sartiglia) suspendue à un fil très fin.
    La cérémonie de l’habillage a lieu dans le silence le plus absolu. Une fois l’habillage terminé, le Componidori n’a plus le droit de toucher le sol. Il monte sur son cheval depuis une table qui ressemble à un autel, appelée « sa mesida ». À partir de cet instant, il ne lui est plus permis de mettre pied à terre. Pour ne pas tomber et pour combattre la peur et la défaillance, il ne devra compter que sur la force de ses jambes. Il vivra comme dans un rêve, incarnant tous les hommes et les femmes qu’il a été et dont les noms se confondent jusqu’à totale disparition.


    D.R. Traduction inédite d’Angèle Paoli



    __________________________________
    NOTE d’AP : cette année, Sa Sartiglia d’Oristano se déroule du 10 au 12 février.







    ANTONELLA ANEDDA


    Antonella Anedda
    Source



    ■ Antonella Anedda
    sur Terres de femmes

    février, nuit
    mars, nuit
    mai, nuit
    octobre, nuit
    novembre, nuit
    13 décembre **** | Fête de sainte Lucie (décembre, nuit)
    Archipel
    Avant l’heure du dîner (+ notice bio-bibliographique)
    Le dit de l’abandon
    Frontières (extrait d’Historiae)
    Per un nuovo inverno
    Ritagliare
    S
    11 septembre 2001
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    un autre extrait de Salva con nome
    → (dans la Galerie « Visages de femmes »)
    le portrait d’ Antonella Anedda (+ deux poèmes extraits de Nomi distanti et de Notti di pace occidentale)



    ■ Voir aussi ▼

    les pages que le site Italian Poetry a consacrées à Antonella Anedda
    → (sur Poetry International Web)
    un dossier Antonella Anedda
    → (sur Niederngasse 16, janvier-mars 2006) un entretien (en italien) avec Antonella Anedda
    → (sur Her circle ezine)
    Antonella Anedda : Encounters with Silence, the Page, and the World (7 mars 2008)
    → (sur La dimora del tempo sospeso)
    de longs extraits (en italien) des différents recueils d’Antonella Anedda
    → (sur books.google.com)
    d’autres larges extraits de Notti di pace occidentale
    → (sur Progetto Babele) une interview (en italien) d’
    Antonella Anedda par Pietro Pancamo
    → (sur Une autre poésie italienne, le poéblog de CIRCE)
    plusieurs poèmes d’Antonella Anedda traduits en français



    ■ Voir | écouter ▼

    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes extraits de Residenze invernali, de Notti di pace occidentale et de Salva con nome, dits par Antonella Anedda






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    » Retour Incipit de Terres de femmes



  • Louise Warren, Tricots





    A  MONTREAL
    Ph., G.AdC







    TRICOTS




    c’est très court une maille
    ça n’appartient pas à la nuit

    l’air glisse à l’envers

    un jardin sur les genoux
    calme à l’endroit
    la maille dans le jour





    une averse tombe
    une fatigue s’épuise
    vaste et légère
    près du cœur





    tout est muet
    dans la bouche
    le jour se vide
    creuse un trou

    on recommence plus serré





    prendre la mesure de l’air
    un apaisement
    entre les arbres et les semaines
    les inquiétudes, les manches défaites





    sans fin la chaleur
    les vitesses, les variations

    ce qui va dessus
    dessous
    ce qui veille




    Louise Warren, Tricots in Anthologie du présent, poésie, suivi de Le Premier Lecteur, une conversation avec André Lamarre, Les Éditions du passage, Montréal, 2012, pp. 53-54-55-56-57.








    LOUISE WARREN


    Louise Warren
    Ph. Richard Gravel, 2006
    Source




    ■ Louise Warren
    sur Terres de femmes

    Apparitions
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Louise Warren + [Chaque lac a ses secrets] (extrait d’Anthologie du présent)



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel de Louise Warren
    → (sur le site des éditions L’Hexagone)
    une fiche bio-bibliographique sur Louise Warren
    → (sur remue.net)
    Louise Warren / September song
    → (sur remue.net)
    Bleu inédit © Louise Warren
    → (sur le site de L’ÎLE, Centre de documentation virtuel sur la littérature québécoise)
    une notice bio-bibliographique sur Louise Warren





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ariane Dreyfus, La Lampe allumée

    par Matthieu Gosztola

    Ariane Dreyfus,
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre,
    José Corti, Collection « En lisant en écrivant »,
    janvier 2013.



    Note de lecture de Matthieu Gosztola



    Les citations sont lumière
    « Chaque auteur(e) évoqué(e) est une lampe. Et chaque citation
    cette façon qu’a la lumière d’être réalité sans contours […]
    sourdant de l’ampoule. »
    Ph., G.AdC







    DIRE L’AMOUR



    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre regroupe des textes écrits entre 1986 et 2011 non pas sur des créateurs (principalement des poètes) qu’aime Ariane Dreyfus et qui l’ont portée mais avec eux. Avec chacun d’eux, différemment. En leur prenant la main. En leur prenant la main de telle façon que c’est sa main à elle qu’elle tient, tant main agrippée et main attrapant deviennent indistinctes. Indistinctes au point qu’on ne sait plus qui fait avancer l’autre. Indistinctes comme si elles l’avaient toujours été, au point qu’il paraît de plus en plus absurde, au fur et à mesure de la lecture de La Lampe allumée si souvent dans l’ombre, de se poser la question de savoir qui a pris l’autre. Qui l’a prise pour en prendre soin. Tant elles avancent ensemble. « La poésie quand nous la faisons ». Nous ; toujours.





    Ariane Dreyfus, La lampe





    Si les créateurs aimés par l’auteure lui ont pris la main, ça a été à chaque fois grâce à un détail, ou à plusieurs détails, auxquels elle s’est arrimée. Pour vivre. Et ces détails continueront à l’aider à vivre, elle le sait. Pour toute la vie, comme disent les enfants. Il n’y a pas d’assèchement de leur présence.

    Une phrase amie, dans un livre aimé, c’est pour Ariane Dreyfus de la musique. Mais soyons plus précis. C’est de la musique telle qu’elle a été peinte par Edouard Vuillard dans Misia au piano (1899). Tout dans les coloris semble être le résultat du toucher des doigts sur le piano. C’est comme si la pièce dans son ensemble était, dans la façon qu’elle a de paraître à la vue, l’émanation de la musique jouée dans l’instant. C’est comme si elle se trouvait colorée par chaque arpège naissant du piano, de la moquette aux motifs du papier peint en passant par le plateau en argent posé sur le couvercle du piano. Et jusqu’aux flacons de verre qui le composent. Et même jusqu’aux liqueurs qui font luire le verre des flacons.

    C’est cela une phrase amie pour Ariane Dreyfus : une façon de transfigurer la vie, dans son quotidien le plus répétitif, dans ses structures les plus communes. Une façon de faire sourdre la beauté de nos décors les plus habituels. Une façon également d’être abritée, d’être abrité. Une seule phrase peut contenir une vie. Celle du cœur de celui ou celle qui l’a tissée. Et, dans le même temps, une seule phrase peut prendre dans ses bras une vie se situant très loin d’elle, et pourtant devenue proche, grâce à cette féerie qu’est la lecture. Une seule phrase peut prendre soin d’une vie. Oui. En prendre soin comme mains refermées sur un secret. Puisqu’une phrase peut être répétée et répétée encore (ce que fait l’auteure avec les phrases qu’elle aime). Murmurée. Ce murmure finissant par se confondre avec le murmure du cœur, au point de tempérer son élan.

    Ariane Dreyfus depuis son enfance s’aide de citations, comme de mains tendues. Elles avaient le pouvoir de « fées consolatrices », quand le ventre se nouait d’angoisse. Les phrases amies sont restées semblables à des « présences préférées », en ce sens qu’elles continuent à sauver. Et « être au monde » devient pour l’auteure « être sensible à la contiguïté flottante de ses présences préférées, et écrire mettre directement sur la page (et cela grâce une littéralité sans partage) leurs configurations clignotantes ». Voilà pourquoi cette récolte de citations, brins d’herbes cueillis sur les chemins de lecture, mais aussi fleurs sauvages, qu’Ariane Dreyfus fait depuis toute petite donc, et qui n’a jamais cessé, voilà pourquoi cette récolte est l’une des sèves qui nourrit chacun de ses recueils. Mais là, avec ce présent livre, revivifiant le genre de l’essai, Ariane Dreyfus peut donner toute la place à ses phrases amies. Au point que La Lampe allumée si souvent dans l’ombre est d’abord cela : une maison construite pour que toutes ces citations puissent continuer leur vie d’herbes folles, de lys, d’edelweiss. Une maison construite pour qu’elles puissent vivre ensemble. Toutes ensemble. Et Ariane Dreyfus, dans chacun des textes qui composent La Lampe allumée, lesquels tutoient et l’étude libre et le compte rendu engagé, s’arrange pour faire vivre chacune d’elles. En faisant en sorte de la restituer à son courant, et ce bien qu’elle soit loin de son point d’ancrage, de sa terre nourricière. En faisant en sorte de la redonner à son élan. Celui qui l’a vue naître. Qui l’a fait naître. À son flux. À sa nécessité.

    L’on n’est ainsi nullement face à un travail universitaire. Il ne s’agit pas pour l’auteure de se servir des citations comme d’arguments aidant la production logique d’un discours. Il ne s’agit pas non plus de les essorer, pour leur faire rendre leur jus. Leur suc. Chaque citation conserve sa part d’énigme. Tant il est vrai que la beauté est énigme. Et ne peut nous frapper, nous atteindre, que comme telle. La beauté, mais aussi l’évidence. Car très souvent les citations choisies ont pour nous ce visage. Aussi, prendre soin de l’énigme, cela demeure, à bien des égards, l’essentiel. Ariane Dreyfus le sait bien qui tisse une prose qui n’est nullement façon qu’aurait la citation, dans sa mise au jour, d’atteindre une explicitation par quoi elle nous livrerait son secret. L’auteure, en déployant une prose qui s’apparente également par certains aspects à un poème en prose, cherche précisément à ce que soit lisible l’éblouissement contenu en chacune des citations. Puisque c’est cet éblouissement qui l’a poussée à conserver chacune d’elles, et à faire qu’elles se trouvent sans discontinuer dans son herbier de lectrice, mais aussi de spectatrice de films, de spectacles de danse, ou de cirque…

    En somme de marcheuse sauvage sur les rives du monde, lorsqu’il met en lieu, par l’art, des êtres ensemble, dans le fait d’exister, de s’aimer. Des êtres ensemble, si l’on donne à ce mot toute l’éthique qui lui revient. « Nécessaires me sont les arts », écrit Ariane Dreyfus, « qui se fondent sur une géographie et une morale de la relation entre les êtres, et une projection de son propre corps dans ce qui est possible au monde : ces derniers temps le cirque, pour dire l’humanité fragile mais acharnée ; et depuis longtemps […] la danse et le cinéma qui rendent l’amour visible et nous font croire aux gestes d’amour, à l’importance de les faire, de les donner en chemin, petits cailloux sur la route, qui pas à pas nous sauvent ».

    Mais, parce que ces rives du monde, même si l’art est un havre de paix pour l’auteure, restent souvent balayées par le vent, l’herbier est avant tout un herbier de vie, pour les jours de pluie comme de soleil, tant il est vrai que l’ombre peut alors d’autant mieux venir nous toucher.

    Si l’auteure fait en sorte que la citation soit rendue à son énigme, c’est pour qu’elle nous atteigne au plus profond. Parce que l’écriture n’a de sens pour elle qu’en tant que rencontre avec le lecteur. Avec une lectrice, un lecteur. Rencontre par quoi l’auteure sans cesse se remet au monde. Par quoi sans cesse elle renverse la tristesse, aussi. « Heureusement la poésie me réveille en me forçant à m’adresser, qui est toujours aussi me dresser, tourner la tête et tendre les oreilles. Et, forcément, suggérer au lecteur de faire pareil. Poésie qui s’écrit pour faire place à l’autre et vice-versa ».

    Il s’agit d’être ensemble, toujours, on ne le dira jamais assez. La Lampe allumée, elle l’est pour le lecteur. Le livre est la maison. Chaque auteur(e) évoqué(e) est une lampe. Et chaque citation cette façon qu’a la lumière d’être réalité sans contours (puisque rendue à sa force de surgissement, rendue à son énigme) sourdant de l’ampoule.

    Et si les citations sont lumière, c’est bien parce qu’au travers d’elles il s’agit toujours, pour Ariane Dreyfus, de dire l’amour. Mais attention, l’amour n’est pas un thème. Non, les livres d’Ariane Dreyfus sont des livres aimants, des livres amoureux. De même que ce sont des livres heureux, faisant davantage que donner place au bonheur. Ariane Dreyfus parle ainsi de la langue qu’elle emploie comme d’une langue « plus souveraine que moi-même car elle est aussi celle d’autrui. Sans cesse rappeler au lecteur cette force-là pour que s’aimer dans la langue soit possible : le poème est ce lieu où ni lui ni moi ne sommes mais où nous sommes ensemble. Aussi l’amour n’est-il pas un thème poétique, c’est au contraire écrire un poème qui devient de l’amour. Quand James Sacré dit : « Le poème comme un geste intime qui pense à l’autre », quand Roland Barthes affirme : « L’écriture, c’est quand le texte désire le lecteur », quand Stéphane Bouquet souhaite « être dans la langue comme dans un amour », ils rappellent la règle majeure.

    En faisant advenir l’amour par le poème, et par la prose comme avec La Lampe allumée, Ariane Dreyfus dit cette façon qu’a l’éblouissement de prendre corps. Et de continuer. De durer doucement, sans jamais forcer le cours du murmure. Il est toujours question d’amour chez l’auteure. D’amour vivant, dans chaque texte. D’amour vécu comme partage. À jamais vif, à jamais recommencé. Le sexe (si présent) est en ce sens le prénom très précisément épelé de l’amour. Car être deux, être ensemble, ce n’est jamais une abstraction pour l’auteure. C’est quelque chose de très concret. « Il n’y a pas de plus grand cadeau que l’on puisse faire à quelqu’un que de l’accepter dans sa présence physique. L’existence est un don que l’on se fait les uns aux autres, et pas uniquement en donnant naissance à un enfant. Être née une fois ne suffit pas pour vivre. Il faut arriver à être là, rebondir vive par les contacts mais ce n’est pas tous les jours ». L’amour pour Ariane Dreyfus, c’est ce précisément par quoi le monde devient concret. Ce par quoi il nous rejoint. Au plus intime, au plus profond de nous. Et en nous rejoignant fait qu’on se rejoint soi. Tant il est vrai que pour s’atteindre soi il n’est que de faire un détour par l’autre, détour rendu ébloui par la douceur, la tendresse, mais aussi l’intensité du désir.

    Dire que La Lampe allumée est un livre aimant, faisant advenir l’amour (et non un livre sur l’amour) ne serait ainsi pas exagéré. Amour pour des auteures. Des auteurs. Qui l’ont aidée à vivre, comme Colette. Qui sont aussi des présences très proches, au quotidien, comme Eric Sautou, ou Stéphane Bouquet. Amour pour des livres, comme Lolita de Nabokov. Pour, dedans les livres, des phrases. Amour pour des spectacles. Amour pour des films. Pour des images. Amour pour des visages.

    Et, alors que paraît chez Corti ce livre couvrant plus de vingt ans d’écriture critique, faire reparaître aujourd’hui le premier recueil d’Ariane Dreyfus devient possibilité offerte au lecteur de découvrir à quel point son œuvre est unitaire dans son ensemble. D’une unité si forte qu’elle en devient musicale. Mais de quel livre parle-t-on au juste ? Il s’agit de L’Amour 1, paru en 1993 aux éditions De, grâce à Ludovic Degroote (1). Si ce court recueil a été republié dans sa transcription dans le livre que nous avons consacré à l’auteure (2) (voir Ariane Dreyfus, Éditions des Vanneaux, collection « Présence de la poésie », 2012, pp. 97-100), il paraît plus que jamais opportun de le donner à redécouvrir aujourd’hui dans sa belle graphie originelle qui, en poussant la lecture à survenir peu à peu, pas à pas, nous amène à boire toute l’eau contenue dans chaque image (sans qu’il nous soit possible de savoir, avant de l’avoir bue, quel goût elle a : sucré, salé).

    Déjà, dans ce premier livre, il y a en germes « tout » Ariane Dreyfus. Cette place – toute la place – donnée à l’amour. Cette façon qu’a la syntaxe d’être vacillement, pour, ce faisant, pousser le lecteur à déshabiller son regard de ses attentes préalables et faire qu’il soit surpris. Intensément surpris. Au point que l’image puisse l’emporter sur son frêle esquif. Au point que chaque image puisse être courant à chaque fois singulier l’emportant. Jusqu’au soleil ébloui de vivre. Jusqu’à la rencontre avec l’autre, peu à peu épelée. Par l’amour. Sur le lit qui est pour Ariane Dreyfus une page, à chaque fois une page que les corps rendent vivante. Les corps présents par les mots. Présents, vrais corps, car le langage, c’est nous qui le faisons ; et nous le faisons à chaque fois pour une autre, un autre. Et nous le faisons ensemble. « Les mots de la langue deviennent alors vraiment désirables, vraiment pour vivre, car dans cette langue le corps est là, il est même […] ce qui les réalise ».


    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes




    ______________________________________
    (1) Qu’il soit ici chaleureusement remercié d’avoir le premier donné à lire l’écriture d’Ariane Dreyfus ; et rappelons, par la même occasion, combien lui-même est un grand poète : son récent Monologue paru chez Champ Vallon est bouleversant, au-delà de tout ce que l’on peut en dire.
    (2) Avec de légères modifications voulues par l’auteure, ce qui rend très stimulant pour le lecteur de se reporter à ce volume de la collection « Présence de la poésie ».







    L’AMOUR 1
    (dans sa graphie originelle)






    Dreyfus0001








    Dreyfus0002 (1)



    SUITE ►►►






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’inhabitable (note de lecture d’AP sur le recueil L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions José Corti)
    une page sur La Lampe allumée si souvent dans l’ombre
    → (sur remue.net)
    L’éloge du commun, selon Ariane Dreyfus, par Pascal Gibourg (15 janvier 2013)
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)
    → (sur le site du CipM)
    Ariane Dreyfus lisant un extrait de Quelques branches vivantes
    le site de Matthieu Gosztola






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Allen Ginsberg | Kenji Myazawa






    Alan Ginsgberg by  Jan Herman








    KENJI MYAZAWA
    (extrait)



    All is Buddhahood
    to who has cried even once
    Glory be? ”
    So I said glory be
                        looking down at a pine
                                           feather
    risen beside a dead leaf
    on brown duff
    where a fly wavers an inch
                        above ground
    midsummer.


    Could you be here?
    Really be here
                  and forget the void?
    I am, it’s peaceful, empty,
    filled with green Ponderosa
          swaying parallel tops
    fan like needle circles
    glittering haloed
    in sun that moves slowly
          lights up my hammock
                       heats my face skin
                                                  and knees.


    Wind makes sound
                 in tree tops
    like express trains like city
                                machinery
    Slow dances high up, huge
                 branches wave back &
                                            forth sensitive
                 needlehairs bob their heads
    — it’s too human, it’s not
                 human
    It’s treetops, whatever they think,
    It’s me, whatever I think,
    It’s the wind talking.



    […]







    BOUDDHA
    Ph., G.AdC







    KENJI MYAZAWA
    (extrait)



    « Tout est Bouddha
    Pour qui s’est écrié même une seule fois
    Que soit la Gloire ? »
    Je dis donc que soit la gloire
                        regard posé sur une aigrette
                                              de pin
    s’élevant près d’une feuille morte
    sur le terreau noir
    où une mouche oscille tout
                        près du sol
    plein été.


    Pourriez-vous être là ?
    Vraiment là?
                  et oublier le vide ?
    Moi je suis là, c’est paisible, vide,
    empli de pins verts
          agitant leurs cimes parallèles
    cercles d’aiguilles en éventail
    halo étincelant
    dans le soleil qui bouge lentement
          éclaire mon hamac
                       réchauffe mon visage
                                                 mes genoux.


    Le vent bruisse
                 à la cime des arbres
    comme des trains rapides comme les machines
                                des villes
    Tout là-haut des danses lentes, des branches
                 énormes se balancent d’avant
                                            en arrière, sensibles
                 des têtes remuent leur chevelure d’aiguilles
    — c’est trop humain, ce n’est pas
                 humain
    Ce sont les cimes des arbres, quoi qu’elles en pensent
    C’est moi, quoi que j’en pense,
    C’est le vent qui parle.



    […]



    Allen Ginsberg, Souffles d’Esprit [Mind Breaths, 1972-1977], in Poèmes, édition bilingue, Christian Bourgois éditeur, 2012, pp. 444-447. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Pélieu et Mary Beach et par Yves Le Pellec et Françoise Bourbon.








    ALLEN GINSBERG


    Ginsberg
    Source



    ■ Allen Ginsberg
    sur Terres de femmes

    3 juin 1926 | Naissance d’Allen Ginsberg
    11 octobre 1961 | Allan Ginsberg, Journal 1952-1962
    Sabine Huynh, Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (note de lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Christian Bourgois éditeur)
    une fiche descriptive d’Allen Ginsberg
    the website of the Allen Ginsberg Estate







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  • Monchoachi | Le mage






                XI

    Le mage           


    Feuilles bananier dans les nuages
    Ph., G.AdC








    Rouges les cirouelliers
                                                              et les coqs bigarrés servis aux carrefours
    Rouge du roucou le riz de l’offrande
                                             Et les cassaves
    Rouge la sève du calebassier du milieu du jeu de paume
                                 Qui bruitalise tant les entrailles des vestales
    Et la terre où prospère le mèdecinier
    Demeure du vieux-corps dépenaillé
                                                             Harassé jouer zo avec le temps
                                              Qui agonise en plein soleil      c’était samedi
                                                                 Le corps couvert de bouse


    Bleu grand-goût les terres rèques
                                              Les mangots vètes frottés face bleu-indigo
    Et la fumée en-affaise du cachimbo
                                              Où bougonne l’obscur acassan
    Manger-lèsprit parfumé et puis fèuilles-bois
    Œillades d’anolis d’oeils
                                 Verts constellant le fruitapain bléu
    La fiante verte sur la console
                                 La déméfiante pavane bleue
                                 En-rhaut la travèsse d’un mabouya
    La falle ouayayaïe du grand duc Valcin
                                       Feuilles bananier dans les nuages
                                        Au Maître génial suffisantes
                                        Air bleu oracle pour le cacher
                                        Ô le temps pleurer
                                        Creuser sillon
                                        Et en suivre le cours


    Blanc le saisissement
                                                          que la jaune fleur-date le dévire ici même
    Blancs les signes les rendez-vous sacrés
    Serpente le lieu de l’aube à tout moment
                                               À tout moment l’ange dansant
    La blanche couleuvre-déux-têtes
                                               Dévidant l’ondoyant chemin d’astres
                                Cavalier travesti dans le frissonnant-zentraille
    L’offrande de la belle femme fessue
    Larges palmes toute chapée de blanc
    La source-lhorizon en quelle est-ce s’abreuve la cigouane


    Roses les lauriers
                                Roses l’œil rond de l’amour
    Rose la coquetterie surannée de la bourrelle
                  Le frai maite-tête la rose rhâler-meînin-vini
    La sente-bon- madigouane de la prune mombin des rivières
    Rose le cœur-miroir de la putain reflétant d’innombrables mondes
                                                          Prodiguant tant et tant de bonheurs
                                                          jusqu’au fin fond des chambres nuptiales
    Rose le cœur-miroir de la chouette à l’âme humide
                                                          La sereine réfutation des hérésies


    Rouge le carême emmitouflé dans des peaux de taureau
    Rouges les gens du lignage du chien
    Mêche-lumin rouge la langue divine parlée pour transpercer
                                              Zyeux et cœurs
    Rouge le bruit qui a résõnnin comme le crié-lan-mort
                                                                                                           trois fois
    Trois fois la femme a parlé tout seul
                                                          « Ouaë ! Ya rien qui est francé vrémant dans ça ! »
    Rouges les torches bois-min rouges Fifi et Mimi
                                Qui a jambé dleau sans mouiller son déux petits quatiètes
                                Bricolobric! Bricolobric! Rouges tites colobri!


    Rouges les turbulents présages le devègondage sophistique
                                                Les lieux pathétiques
                   (Et Prodicos de Céos, le Grec,
                                                                    condamné à boire la rouge ciguë
                                                                    il a fait comme ça :
                                                                    « Ce qui est utile à la vie,
                                                                    il doit être tenu pour divin ».
                                                                                                                 Ouaïe!)


                                                Noires les nuits qu’illumine l’étoile
                                                Noires les nuits qu’alerte le songe
                                                Les nuits qu’encensent les larmes
                                                                    De l’oliban


                                                Au leurre le temps qu’escortent les âmes
                                                                    En-deux-eaux la fortune
                                                Mage cheminant à la main bâton de bois d’orme.



    Monchoachi, “Rara solé”, in Lémistè (1. Liber América), Obsidiane, 2012, pp. 39-40-41.








    MONCHOACHI


    Monchoachi2
    Ph. © Phil Journé
    Source




    ■ Monchoachi
    sur Terres de femmes

    Mâle/Fimelle (extrait de Partition noire et bleue)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur île en île)
    une fiche bio-bibliographique sur Monchoachi







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  • Zbigniew Herbert | La maison du poète





    LA CHAMBRE DE VINCENT
    Vincent Van Gogh (1853-1890)
    La Chambre de Van Gogh à Arles, 1889
    Huile sur toile, 57,5 x 74 cm
    Paris, Musée d’Orsay
    © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)/Hervé Lewandowski
    Source







    DOM POETY



        Kiedyś był tu oddech na szybach, zapach pieczeni, ta sama twarz w lustrze. Teraz jest muzeum. Wytępiono florę podłóg, opróżniono kufry, pokoje zalano woskiem. Całymi dniami i nocami otwierano okna. Myszy omijają ten zapowietrzony
    dom.
        Łóżko zasłąno porządnie. Ale nikt nie chce spędzić tu ani jednej nocy.
        Między jego szafą, jego łóżkiem a jego stołem – biała granica nieobecności, ścisła jak odlew ręki.






    LA MAISON DU POÈTE



        Il y avait ici naguère un souffle sur les vitres, une odeur de rôti, le même visage dans le miroir. C’est un musée à présent. On a arraché la flore des planchers, vidé les malles, astiqué les pièces à la cire. On a ouvert les fenêtres nuit et jour. Les souris évitent cette maison bien aérée.
        Le lit a été fait soigneusement. Mais personne ne veut passer la nuit ici.
        Entre son armoire, son lit et sa table – une limite blanche d’absence, distincte comme le moule d’une main.



    Zbigniew Herbert, Inscription in Monsieur Cogito, Œuvres poétiques complètes II, édition bilingue, Le Bruit du temps, 2012, pp. 72-73. Traduction du polonais par Brigitte Gautier.







    ZBIGNIEW HERBERT


    Zbigniew-Herbert-auteur-polonais-photo-anonyme
    Source



    ■ Zbigniew Herbert
    sur Terres de femmes

    Nature morte avec bride et mors (lecture de Claire Vajou)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Bruit du temps)
    une page sur Zbigniew Herbert
    → (sur Esprits Nomades)
    Zbigniew Herbert, La voix amère de la conscience collective polonaise, par Gil Pressnitzer







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  • Violaine Forest | [Je suis frégate de bois]





    Je laisse filer les heures et me joins au temps pour célébrer ta lumière
    « je laisse filer les heures
    et me joins au temps
    pour célébrer ta lumière
    »
    Ph., G.AdC








    [JE SUIS FRÉGATE DE BOIS]




    JE SUIS frégate de bois sur la lande
    en plein vent
    je suis marais d’eau douce
    je suis d’hermine et de bleu
    je sarcle autour
    entre le drap et la jetée
    l’espace de velours
    je suis d’arrivage, de mer
    et de salin
    je suis ornières à rebours
    je guette les bateaux
    les vaisseaux de cailloux
    je suis frégate de bois
    sur ta peine ensablée
    je laisse filer les heures
    et me joins au temps
    pour célébrer ta lumière
    j’accoste un continent
    chargé de robes blanches


    In extenso
    la mia volontà




    Violaine Forest, Magnificat, Mémoire d’Encrier, Montréal, octobre 2012, page 72.







    Magnificat
    VIOLAINE FOREST


    Violaine Forest
    Ph. © Robert Etcheverry



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Mémoire d’Encrier)
    une page sur Magnificat de Violaine Forest
    → (sur le site des éditions de l’Hexagone)
    une notice bio-bibliographique sur Violaine Forest
    → (sur Voix d’ici, répertoire audio de la poésie québécoise)
    une fiche bio-bibliographique (+ un poème de Violaine Forest dit par l’auteure)





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  • Angela Siciliano | Patrizia





    PATRIZIA
    Aquatinte numérique, G.AdC








    PATRIZIA




    I tuoi gioielli: quei piccoli piedi
    tesi, agili ― che sembrano indifesi
    le mani laboriose e ben curate
    i polsi nobilissimi e minuti


    e la schiena colorata di efelidi
    disegnata con gentilezza
    dagli stessi geni
    che ti hanno dato gli occhi verdi
    incorniciandoli in ciglia rosse:
    si accendono disorientandomi.


    E poi la voce calda che ― da sola
    mi consola delle distanze
    e i seni che ― discretamente
    mi sono amici quando
    tra la gente li guardo.




    Angela Siciliano, Tra le dita, FrancoPuzzo Editore, Trieste, 2012, pagina 15. Prefazione di Corrado Premuda.







    PATRIZIA




    Tes bijoux : ces pieds menus
    tendus, agiles ― apparemment sans défense
    ces mains actives et bien soignées
    ces poignets nobles infiniment et fins


    et ce dos coloré d’éphélides
    dessiné avec délicatesse
    par ces mêmes gènes
    qui t’ont donné ces yeux verts
    les cernant de cils roux :
    s’ils s’allument ils me désorientent.


    Et puis cette voix chaude qui ― à elle seule
    me console de l’éloignement
    et ces seins qui ― discrètement
    me sont amis lorsque
    dans la rue je les regarde.




    Traduction inédite d’Angèle Paoli







    ANGELA SICILIANO


    Vignette angelO siciliano
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le blog personnel d’Angela Siciliano (letture e riletture)





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