Étiquette : 2013


  • Silvia Baron Supervielle | [le soleil remue les miroirs]



    Ce printemps qui dure dans la pénombre
    Ph., G.AdC






    [LE SOLEIL REMUE LES MIROIRS]



    le soleil remue les miroirs
    et ma soif vient de si loin
    que je ne saurais évaluer
    la somme de lumière noyée
    dans les courants du fleuve
    où s’allongent les nuits
    nul voyage n’est plus hardi
    que celui de ce printemps
    qui dure dans la pénombre
    ni impulsion plus intrépide
    que celle de cet espoir
    comme la terre surveille
    la pluie et les nuages
    la force du vent




    Silvia Baron Supervielle, Sur le fleuve, Éditions Arfuyen, 2013, page 123. Prix de Littérature Francophone Jean Arp 2012.




    SILVIA BARON SUPERVIELLE


    Silvia Baron Supervielle portrait
    Source




    ■ Silvia Baron Supervielle
    sur Terres de femmes


    [que j’aille par le nord] (poème extrait de L’Eau étrangère)
    Alphabet des lieux remarquables (poème extrait du Pays de l’écriture)
    Le marcheur séparé (autre poème extrait du Pays de l’écriture)
    10 avril 1934 | Naissance de Silvia Baron Supervielle (+ un extrait du Pays de l’écriture)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Silvia Baron Supervielle (+ un poème extrait de La Distance de sable)





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  • Olivier Barbarant | Une vie




    Elle était en façade fort peu versée vers le passé
    Ph., G.AdC






    UNE VIE



    Aura-t-elle eu le temps de feuilleter des souvenirs ? Elle était
    en façade fort peu versée vers le passé ; il y aurait alors eu
    l’odeur d’étable et de cuisine à la ferme natale,
    des pains frottés d’huile d’olive l’été dans les monts du Lyonnais,

    des bals de promotion, des cafés à Dijon noyés de cigarettes,
    les nuits à lire à l’internat, une lampe cachée sous les draps,
    un triste rendez-vous en Suisse, quand seule et mineure,
    elle avait en vain tenté d’avorter – l’aube blanche en Champagne,

    toutes les teintes d’une terre arpentée par goût revanchard du voyage,
    la mort d’un frère au fond d’un ravin, la souffrance
    ordinaire de ce qu’on perd : parents, vieux amis, un mari

    diminué qu’on s’obstine un temps à sortir, puis en dernière image
    au loin entre les cils brûlés de sel et de soleil sur fond tremblant de mer
    à jamais j’en suis sûr le profil d’un enfant.



    Olivier Barbarant, « Une vie », Élégies étranglées, Champ Vallon, Collection recueil, 2013, page 51.



    ______________________________________
    NOTE d’AP : Élégies étranglées fait partie de la sélection du Prix des Découvreurs 2013-2014.



    OLIVIER BARBARANT


    Barbarant
    Source




    ■ Olivier Barbarant
    sur Terres de femmes


    La nuit d’avril (extrait d’Un printemps divers)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Olivier Barbarant





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  • Nathalie Riera | [elle a pleuré imploré la main absente]



    39


    [ELLE A PLEURÉ IMPLORÉ LA MAIN ABSENTE]




    Elle a pleuré imploré la main absente : c’est étrange de penser que l’amour n’offre pas tout et ainsi préfère-t-elle alors l’amour dans sa fermeté de garder son origine un amour jamais destitué de sa propre éclosion toujours prêt à demeurer dans son apparition première parce qu’il ne peut souffrir de rien toujours sauvé toujours à surgir comme quelque chose qui a gardé sa propre liberté une eau qui nourrit l’arbre


    alors elle écrit que c’est dans cette indemne liberté qu’elle veut mourir à aucun autre endroit grandir d’une page à l’autre les feuilles vertes de l’amour mourir à cet endroit de ce qu’elle a gardé et qui vit encore


    c’est ce que l’on ne garde plus qui meurt comme tout ce que l’on ne regarde plus




    Nathalie Riera, Paysages d’été, Éditions Lanskine, 2013, page 67.






    Paysages d'été





    NATHALIE  RIERA



    Nathalie Riera Gudu
    Image, G.AdC





    ■ Nathalie Riera
    sur Terres de femmes


    [Trame blondoyante la prairie des mots] (extrait d’Instantanés des géographies de l’amour… )
    Carnet de campagne II (extrait de Puisque beauté il y a)
    [dévêtue la main] (extrait de Feeling is first)
    Variations d’herbes (note de lecture d’AP)
    in angulo (extrait de Variations d’herbes)
    Là où fleurs où flèches
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    page aphone où tout est voix (poème inédit)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Les Carnets d’Eucharis, le site de Nathalie Riera)
    une lecture de Paysages d’été par Richard Skryzak
    → (sur Recours au poème)
    une lecture de Paysages d’été par Marie-Hélène Prouteau





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  • Edoardo Sanguineti | [ma come siamo, poi, noi ?]



    [MA COME SIAMO, POI, NOI ?]


    15.



    Ma come siamo, poi, noi (gli italiani)?

    la questione fu presa di petto, e strenuamente
    sviscerata, una sera, a una cena, al Montefiore del Mishkenot, con alcuni opulenti
    semibulgari (e con semibulgaressa, o bulgaressa proprio, solidissima):

    (es.:
    siamo sensuali? sessuali? sensibili?): (siamo sessuatamente sensati?): (sensatamente
    sessuati?): (tutto dipende, alla fine, dalla lingua che ti sei scelto): (dalla lingua
    che ti sei subito, sopratutto): (e qui, come da tanti squisiti fumi passavi, sei stato
    violentato da scariche di implacabili fotografie (e di implacabili lingue) passive):
    (e la lingua passiva, lo vedi, anzi lo senti (sensibilmente lo senti, se lo senti):
    (se la senti): la lingua è già, da sola, un’ansiogena anfibologia: sessualmente
    sensata, per l’appunto):

    tale mi fu l’ultima sera, che mi fu l’ultima cena, e che fu,
    come da programma, intiera, un sexy-booze and –schmooze:

    (gaio usque ad mortem):







    [MAIS COMMENT SOMMES-NOUS, SOMME TOUTE, NOUS ?]


    15.



    Mais comment sommes-nous, somme toute, nous (les italiens ?)

    la question fut prise de front, et vaillamment
    disséquée, un soir, à un dîner, au Montefiore du Mishkenot, avec quelques opulents
    semi-bulgares (et avec une semi-bulgaresse, ou véritable bulgaresse, solidissime) :

    (par ex . :
    sommes-nous sensuels ? sexuels ? sensibles ?) : (sommes-nous sexuellement sensés ?) : (sexués
    de manière sensée ?) : (tout dépend, en fin de compte, de la langue que tu t’es choisie) : ( de la langue
    que tu as subie, surtout) : (et ici, comme par tant d’exquises fumées passives, tu as été
    violé par les décharges d’implacables photographies (et d’implacables langues) passives) :
    (et la langue passive, tu le vois, ou plutôt tu le sens (sensiblement tu le sens, si tu le sens) :
    (si tu la sens) : la langue est déjà, à elle seule, une anxiogène amphibologie : sexuellement
    sensée, précisément) :

    telle fut pour moi la dernière soirée, qui fut pour moi le dernier dîner, et qui fut,
    comme prévu, tout un sexy-booze and -schmooze :

    (gaio usque ad mortem) :




    Edoardo Sanguineti, Corollaire | Corollario [Corollario, Feltrinelli editore, 1997], Éditions Nous, Collection Now, 2013, pp. 27 et 85. Édition bilingue. Traduit de l’italien par Patrizia Atsei et Benoît Casas. Préface de Jacques Roubaud.





    Sanguineti





        EDOARDO SANGUINETI


        Edoardo Sanguineti
        
    Source




        ■ Edoardo Sanguineti
        sur Terres de femmes


    Corollaire (lecture de Marie Fabre)
    Ballade des femmes
    je t’explore, ma chair
    Laborintus II (extrait)
    Wirrwarr
    18 mai 2010 | Mort d’Edoardo Sanguineti
    4 juillet 1969 | L’Orlando Furioso mis en scène par Luca Ronconi (interview d’Edoardo Sanguineti)




        ■ Voir | écouter aussi ▼


    une bio-bibliographie d’Edoardo Sanguineti sur le site du cipM (centre international de poésie Marseille). On peut aussi y entendre Edoardo Sanguineti (et non pas Sanguinetti) dire à voix haute un extrait de Postkarten (Éditions l’Âge d’Homme, 1985). Edoardo Sanguineti [« a toujours estimé que ses poèmes étaient destinés essentiellement à la fonction vocale. »]
    → (sur YouTube) une interview d’Edoardo Sanguineti (Source : Feltrinelli editore)






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  • Hervé Planquois, Ô futur

    par Isabelle Lévesque

    Hervé Planquois, Ô futur,
    Lucie éditions, Collection Poésie,
    30000 Nîmes, 2013.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    « ÉPURE DOULOUREUSE »



    Qui invoquer ?

    Seule instance, celle d’un futur à terre, rejoignant l’espace du phasme réduit à consumer (consommer) au plus près ce qu’il perçoit, singulière apparence de vie ? Signe sombre du temps cru qui finalement nous dévore ?

    Nous plongerons, nous le savons, en chute et vertige. Hervé Planquois nous mène en haut lieu de doutes et de ponctuations interrogatives. Il nous faut le suivre – nous perdre ?

    Le « chant à venir », quel sera-t-il ? Assurément douloureux. Celui qui le profère est en proie, le noir le déborde et l’absorbe. Au seuil, pas de miracle, l’articulation de souffrance demeure (« épure douloureuse »).

    « [A]u-dedans, / rien de possible, / tout est / à l’entour », espace extérieur criblé par une intériorité qu’un chant pourrait exprimer (expurger). On songe à l’un des livres antérieurs du poète, En un pays de ruine et de lumière. Élégance des affres. L’espace d’Hervé Planquois est traversé par des forces antinomiques et folles. Ironie d’un royaume réduit à si peu ou à des manifestations désorchestrées de la modernité : lumières des villes, bruits alentour. La destruction le menace en même temps qu’une force qui fut (sera-t-elle encore ?) perce, laissant poindre une lumière fragile. On la suit encore, emporté dans la chute ou le vacillement – espérant qu’une main retiendra au moment du gouffre. Figure récurrente du phasme, animal dont le nom vernaculaire « bâton du diable » pousse à redouter l’existence, elle est pourtant peut-être la seule encore possible. Sa ressemblance avec la feuille, son homotypie doublée d’une homochromie, l’autorise à tous les camouflages – à toutes les survies. Cet angle doit être considéré aussi qui permet d’envisager le phasme comme un survivant (ou, comme l’écrit le poète, « un revenant »). Ainsi, la première partie du recueil nous place face à une forme projetée de nous-même, devenue insecte « enclos », phasme protéiforme condamné à l’adaptation s’il veut demeurer. Ce futur, ou présent de désarroi et de claustration, devient un espace fermé où le mouvement est régi, limité par l’extérieur et ses bords fluctuants.

    Dès lors la parole prophétique devient italique, l’écriture déclame une prosopopée où les gestes d’antennes et de « pattes / levées au ciel » se disloquent dans le silence. Au phasme, cette parole coupée de l’origine sereine, il figure un devenir où seul est possible le mouvement horizontal et caduc. Aucun rachat par la parole. La prière n’est plus sacrée, elle devise, monologue et se termine en « fous rires étouffés » loin du point originel. Chronique annoncée d’un non-lieu, absence et dévoration. Phasme, poète, à la gesticulation forcenée dans une multitude perdue de poussières informes que le sens ne secoue plus. « On ne dénombre plus / les corps » (en début de seconde section). La souffrance ne serait-elle qu’une percée de plus vers le gouffre ou fera-t-elle jaillir « un frais bouton / de rose » ?

    La seconde partie « Corps fantôme » ouvre encore le ballet de l’ambivalence, lieu de « déchirure » et de « césure ». Miroir, jeu de dupes : le terrain glissant de l’écriture ne dit pas son dernier mot. Il accueille dans le déchirement « l’acte secret d’aimer » au risque du « simulacre » s’il est « dérobé à la langue ».

    Le pronom hésite, timidement le « nous » fait irruption : la langue alors pourrait être partagée « entre carnage / et incarnation » ? Les proximités phoniques créent des alliances de mots, un suffixe peut faire basculer un radical dans le long tourment de la damnation. L’enfer humain, de chair, va sa souffrance vers la torture ou l’issue, laquelle ? Le saura-t-on ? Le corps fantôme est voué au soufre ou à la confusion des règnes « enchevêtrés ».

    Accrocher : quelle certitude ?

    « Toujours à nous convaincre

    qu’un miracle adviendra. »

    Nous entrons alors dans la troisième partie du recueil, « Éboulis », où la parole énonce sous forme d’aphorismes et d’interrogations les conséquences des pages antérieures, les deux premières sections du livre. État des lieux (bilan). Conclusions dressées par un « étranger » : « tout serait à refaire ». Et les préfixes re-font la langue adjoignant au verbe « faire » la privation (« défaire ») ou la refonte (« refaire ») en passant par le verbe « détruire » qui serait une nécessité préalable. Et le passé composé dès lors porte le poids de ce qui fut, cette césure entre le présent et ce qui aurait pu demeurer. Oraison, dans le chant d’Hervé Planquois demeure une musique d’adieu, « Nocturnes », c’est la quatrième partie, qu’on veut laisser germer pour un avenir énoncé sur le silence de la destruction et de la disparition. Ce que peut la langue alors. Ouvrir une « brèche  » ou « fente », la syllabe enfantera car « une encre fouille, cherche ». Pour cela elle a dû consumer le temps (passé et présent ) et libérer « un cri bleu-roi » sur le dernier mot du texte, « confiants ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    Couv - Ô futur - Hervé Planquois





    HERVÉ PLANQUOIS


    Hervé Planquois




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Lucie éditions)
    la fiche de l’éditeur sur Ô futur



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Guillevic | A



    A
    Image, G.AdC






    A




    Vive l’absolu –

    Clame l’horloge
    qui ne marche pas.

    *


    Alambics
    Nous sommes.

    Voici des mots
    À près de cent degrés –

    Parfois.

    *


    Une anthologie
    Des abris rêvés
    Depuis la bactérie.

    *


    Être un arc
    Une arbalète,
    Pour les mots.

    *


    Les arcanes des mots :
    Un pléonasme.

    *


    Essayons de faire
    Que les mots
    Employés par nous

    Ne soient pas archaïques,
    Aussitôt.

    *


    Comment les archanges
    Se reconnaissent-ils
    Entre eux ?

    *


    Il y en a pour croire
    Qu’on joue du mot
    Avec un archet.

    *


    Trouvez-moi un mot
    Qui ne se prenne pas
    Pour un archétype.

    *


    Archicube, archichambellan,
    Archichancelier, archidiacre,
    Archiduc, archimandrite,
    Archimillionnaire, archiprêtre –

    Il y a des mots
    Qui vont avec l’allure
    De ces archi-là.

    *

    On parle de l’au-delà.
    On ne dit jamais
    Au-delà de quoi.

    *


    La planche
    Séparée de l’arbre

    Parle encore
    D’un avenir.

    *


    Avoir des mots.

    Avec qui ?
    Avec quoi ?

    *


    Azotobacter.

    Nom officiel
    D’une bactérie.

    *

    Le ciel bleu
    S’est forgé lui-même
    Le terme d’azur.




    Eugène Guillevic, Accorder, poèmes 1933-1996, Editions Gallimard, Collection blanche, 2013, pp.108-109-110-111. Édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic.





    GUILLEVIC


    Guillevic_eugene
    Source



    ■ Eugène Guillevic
    sur Terres de femmes



    5 août 1907 | Naissance d’Eugène Guillevic
    À Denise Le Dantec
    Carnac, traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo
    Rites





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  • Jean-Claude Pinson, Poéthique

    par Angèle Paoli

    Jean-Claude Pinson, Poéthique, Une autothéorie,
    Champ Vallon, 01420 Seyssel, 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Poéthique  L’ETHIQUE  suivant Edgard Allan POE
    Ph., G.AdC







    VERS UN GENRE DE LIVRE POIKILOS, HYBRIDE ET BARIOLÉ



    Qu’est-ce que la « poéthique », s’interroge-t-on d’emblée en lisant le titre choisi par Jean-Claude Pinson pour l’ouvrage récemment publié par les éditions Champ Vallon ? Une première réponse semble être apportée par le sous-titre : une « autothéorie ». Poésie/éthique/théorie (personnelle). Les trois termes orientent l’attente de lecture du côté d’un essai dont la réflexion porterait sur chacune des propositions annoncées par la première de couverture et la page de titre. De fait, dans le « prétexte » d’ouverture de l’ouvrage – « Habiter en poète » –, Jean-Claude Pinson, philosophe et poète, définit son livre comme un « pot-pourri » qui réunit des textes aussi différents par la forme que des textes narratifs tirés d’expériences vécues, des notes de lecture et des essais théoriques. Textes dont le « je », par choix, ne sera ni gommé ni exclu, parce que, citant Thoreau et le premier chapitre (« Economy ») de Walden, « c’est toujours la première personne qui parle ». Tous ont en commun la préoccupation première de l’auteur (« comment investir le monde en poète ? ») et tentent d’y répondre sous des angles divers. Ainsi cette interrogation fait-elle l’objet, à la manière d’une basse continue, de « variations ». Mais il faut également la considérer au sens phénoménologique puisqu’il s’agit de varier les angles d’approche permettant de cerner au mieux ce qui constitue le « vivre en poésie ».

    Il ne s’agit donc pas d’aborder la question de la poésie sous l’angle de la technique et de la théorie (approches réservées à la poétique) mais sous celui, beaucoup plus large et beaucoup plus ambitieux, d’un ETHOS. Un lieu pour vivre. Inspirée de la célèbre formule d’Hölderlin (« Habiter en poète »), la question récurrente qui traverse l’ouvrage reprend en écho : « Comment, aujourd’hui, habiter le monde en poète ? ». Question déplacée en apparence, dans la mesure où la poésie semble avoir déserté le monde et dans la mesure aussi où le monde, préoccupé par d’autres forces plus attractives, semble s’en désintéresser. Cette question concerne pourtant l’humanité entière et, de ce fait, elle est à prendre au sérieux. Pour Jean-Claude Pinson, grand lecteur d’Hölderlin, l’humanité a besoin de la parole des poètes, seule capable d’arracher le monde au chaos dans lequel elle a chu et de fonder pour elle un séjour durable et censé. Travailler à « l’ineffacement de la poésie » est donc entreprise vitale.

    Composé de quatre grandes parties, « Situation, position » / « Théorèmes » / « J’habite ici » / « Philosophes et Poètes », Poéthique décline autour de cette question préoccupante toute la « gamme de l’essai ». Avec, en quatrième partie, un répertoire de quinze philosophes et poètes à vivre – exempla – qui fait songer à l’ouvrage de Franck Venaille, C’est nous les modernes : R. Barthes, P. Bergounioux, Y. Bonnefoy, S. Bouquet, Y. Charnet, M. Deguy, G. Deleuze, P. Forest, D. Fourcade, J. Gracq, P. Michon, A. Negri/G. Leopardi, C. Prigent, O. Rolin, J. Sacré.

    « Habiter en poète », « Habiter ici », « Habiter la couleur ». Ces expressions reviennent tout au long de l’entretien, accordé en 2010 par J.-C. Pinson au journaliste tunisien Aymen Hacen. Elles renvoient à une façon d’« exister », une façon particulière d’être-au-monde qui implique, comme l’avait déjà affirmé Rimbaud, au-delà de l’objet poème, le désir radical de « changer la vie ». Une préoccupation que l’on retrouve aussi chez le poète italien Giacomo Leopardi, dont Jean-Claude Pinson se dit très proche, et dont il apprécie la dissidence.   S’attaquant d’une part à toutes  les  illusions – religieuses, métaphysiques, politiques –, Leopardi est aussi celui qui réaffirme l’espérance poétique. La poésie porte en elle l’ambition profonde d’une vita nova. Il en sera de même, plus tard, de Roland Barthes qui ne concevra plus « la littérature que sous condition d’une éthique ». Et qui « par-delà le texte et ses innovations » aura « le souci de l’existence et de sa rénovation. »

    La « poéthique » ne se réduit donc pas à un art du langage, mais elle prend en compte la préoccupation constante de donner du sens à notre vie sur terre. Se poser, par un autre langage, contre la rationalité marchande et contre les stéréotypes infligés par les discours dominants, mettre l’être en lieu et place de l’avoir, tel est l’engagement du poète. Militant ardent, acteur engagé dans la volonté de changer la société (dans les années 1960-1970), l’auteur considère l’engagement littéraire comme un engagement politique. En mai 68, politique et littérature étaient indissociables. « Changer la vie et changer la syntaxe semblent alors pour nous, une seule et même chose », écrit J.-C. Pinson dans « J’habite ici ». Au-delà, l’engagement littéraire est engagement existentiel. Il est éthique poétique. Cet engagement émane, chez l’auteur, d’un désir absolu de poésie. Un désir qui se manifeste sous la forme d’un Janus bifrons. Selon J.-C. Pinson, ce Janus poétique présente en effet une face féminine/une face masculine. Côté féminin s’exprime la participation à la plénitude bariolée du monde. L’éloge du chant, du souffle, l’abandon confiant au langage, l’incantation chamanique. Le lyrisme, donc. Côté masculin se dit (tente de se dire) l’irritation face à l’incapacité du langage à dire le monde. L’inadéquation, le hiatus, la rage de l’expression. Le nihilisme poétique. Entre ces deux visages incompatibles, l’auteur balance, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, à la recherche d’un équilibre. Le plus souvent, cependant le visage féminin l’emporte. Tout simplement parce que la poésie, parce qu’elle « a soin du langage autant que de ce qui dans le monde est inaperçu, oublié, délaissé, est féminine » !

    S’appuyant sur le contexte post-industriel auquel nous appartenons et sur le constat de la disparition de l’homo poeticus au profit de l’homo œconomicus, Jean-Claude Pinson développe toute une réflexion autour du « poétariat » (in « Situation, position »). Derrière ce néologisme forgé à partir des théories du philosophe italien Antonio Negri, c’est une nouvelle « classe » sociale aux contours mouvants, difficile à cerner mais toujours plus nombreuse, qui apparaît. Polymorphe et bariolé, le « poétariat » oppose à l’ordre du monde soumis aux puissances de l’argent, une résistance forcenée et joyeuse. Composée d’aspirants artistes et d’artistes en tous genres, le « poétariat » est classe créative qui rend compte de l’avènement d’une démocratie artistique impliquée dans l’idéal de « se faire le poète de sa propre existence ». Il constitue en outre une force susceptible d’alimenter le ferment d’une résistance au « populisme culturel » incarné, selon Giorgio Agamben, par la petite bourgeoisie dont l’idéal consumériste conduit à sa perte l’humanité entière.

    À quoi la poésie « peut-elle encore être bonne, au-delà du plaisir esthétique ? » « Quelle est sa façon singulière de suggérer des formes de vie expérimentales, hic et nunc, capables de donner une autre qualité (une autre intensité, une autre vitesse) à l’existence ? » « Puissance souterraine », « elle continue de creuser ses galeries de vieille taupe ». « Du côté des humiliés et des offensés, du côté du poétariat ». Pour Roland Barthes, elle est « pratique de la subtilité dans un monde barbare ». « Subversive et vitale. »

    À la fois philosophe (bien qu’il ait fait sa thèse sur Hegel, J.-C. Pinson ne se reconnaît pas comme « spécialiste » du philosophe allemand) et poète, Pinson, refusant de renoncer « à la clarté du concept » comme «  à la musique des mots », « au est de l’ontologie » comme « au il y a de la poésie », a pris « le parti d’habiter l’entre-deux, l’entresol où se trame, entre terre et nuées, la grande affaire que demeure » à « ses yeux la recherche d’une habitation poétique du monde. »

    Dans le chapitre intitulé « Par-delà les avant-gardes » (« Quasi-manifeste » in « Situation/Position »), l’auteur examine d’ il parle. Il renvoie donc à un passé auquel, jeune homme et militant, il a appartenu ; aux « groupes de travail » auxquels il a pris part et qui constituaient les avant-gardes d’alors. Aux expérimentations qui guidaient la pensée. Le groupe « Tel Quel » (Denis Roche, Marcelin Pleynet). Mais au poète d’avant-garde, J.-C. Pinson oppose le « poétariat ». Car le « tiers-état artistique » rejette en bloc l’industrie culturelle et l’avant-garde, soupçonnée, dans son activisme, de vouloir « contrôler le champ de la création » et d’ « imposer son pouvoir dans le domaine des lettres ». Le « poèthe », lui, s’emploie avec d’autres, au gré d’inventions multiformes et d’« expériences communes nouvelles », à changer « sa vie », « à rejoindre l’étoile lointaine en soi ».

    Analysant plus avant les causes de la désertion de la poésie sur le théâtre du monde, J.-C. Pinson rappelle que ce phénomène est à mettre en relation avec l’entrée de notre civilisation dans l’ère des mégapoles. Jadis inséparable de la nature et des dieux qui présidaient à son harmonie, la poésie était chant de louange. L’hymne, forme première de la poésie selon Giorgio Agamben, était célébration de la grandeur des divinités et du cosmos. Intimement liée à l’expression de cette harmonie, la métaphore jouissait d’une aura et d’un pouvoir qu’elle a, depuis, totalement perdu. Qualifiée de « vieillerie poétique » mensongère, la métaphore est mise au ban dans la poésie d’aujourd’hui. Position orchestrée par Yves Bonnefoy qui dénonce dans l’Orphisme sa capacité à entretenir « le rêve mensonger d’un monde que suffirait à réconcilier la grâce de quelque surcroît d’harmonie ».

    Ainsi la nature (et ses habitants, les « ci-devant campagnes » de Jean-François Lyotard) – et avec elle, la pastorale – a-t-elle désormais cédé la place au chaos des villes et à ses paysans (Le Paysan de Paris d’Aragon). Les figures de rhétorique ont disparu au profit des collages et des montages, listes et énumérations (cf. par exemple la poésie de Jude Stéfan), davantage propres à traduire l’impossible mimétique entre le langage et le réel, leur incompatibilité et inadéquation réciproque. Avec l’entrée en scène de la poésie post-moderne (par opposition à la poésie pré-moderne), la poésie change de statut. Le lyrisme – accusé d’accorder une place inconsidérée au sujet – est également condamné pour le ton élevé qui scande l’enfièvrement qui l’accompagne. Les années 1990 opposent néo-lyriques – Louis Aragon, René Guy Cadou, René Char, Saint-John Perse – et littéralistes – Francis Ponge, Denis Roche… La poésie nouvelle, refusant les séductions de la musicalité, rejette les formes d’ébriété qui président à la montée du chant. Ainsi du poète Emmanuel Hocquard qui « invite à rompre le charme du chant et à “démusicaliser” la langue ». De sorte que, déchue des hauteurs où elle était jadis placée (jusqu’à Baudelaire), « la poésie est tombée – depuis Baudelaire et les Petits poèmes en prose – dans la prose : elle s’écrit désormais en prose et se nourrit de la prose de la vie plutôt que d’ambroisie ». Quant au poète, déchu de son trône d’élu, « il préfère se promener incognito dans la foule » semblable à tout un chacun. Et s’il le peut, « se livrer à la crapule, comme les simples mortels. »

    La porosité prose-poésie est à ce point évidente qu’il apparaît justifié de poser la question des frontières et des enjeux. Dans le chapitre intitulé « Roman et poésie », J.-C. Pinson analyse les ressorts qui font s’opposer ou se rejoindre les deux genres. Il apparaît que le roman constitue, pour certains auteurs, l’ultime espace d’écriture où la poésie, inapte à « raconter » le monde, peut encore trouver droit de cité. L’exemple le plus notoire est celui de Pierre Michon, dont « la prose dense, grevée de poésie » est « hantée par la préoccupation poétique ». Pour Michon, en effet, « la prose ne vaut que s’il y a en elle élévation de la phrase à la puissance rythmique du vers ». Peut-être le temps est-il venu d’imaginer une « tierce forme », une forme métissée qui, en intégrant des « dispositifs textuels divers », ferait se fondre en elle formes narratives romanesques et formes poétiques ?

    Depuis (mais les choses sont en réalité beaucoup plus complexes que cela), en deux décennies, la poésie s’est déplacée à l’intérieur de l’espace littérature. Poussée par la recherche de davantage d’intensité, la post-poésie s’est entée sur d’autres arts, combinant oralité avec arts visuels et plastiques, faisant émerger de nouveaux modes de langage. Derrière cette quête d’« acméisme », cette augmentation qui engage la totalité de l’être – voix et corps –, c’est bien la quête d’une augmentation à être/d’être qui se lit. Mais, là encore, les choses ne sont pas simples et les clivages s’organisent. Depuis le début des années 2010, une nouvelle querelle oppose poésie écrite et poésie scénique. Roubaud d’un côté avec sa poésie de chambre, silencieuse et solitaire. L’espace page/livre qui privilégie la culture « froide ». Prigent l’anti-lyrique de l’autre, ses proférations, exhibitions, mots et corps, qui privilégient le partage de la théâtralité. Face à cette querelle, J.-C. Pinson, en philosophe avisé, opte pour le « continuum » plutôt que pour la « césure ». La poésie poursuit néanmoins « son travail de taupe », donnant naissance, régulièrement, à d’autres émergences. Ainsi voit-on apparaître un « lyrisme sec » qui trouve dans le free jazz d’Ornette Coleman son modèle musical et dont les vociférations de Prigent (évoquant l’écriture d’Antonin Artaud) ne sont pas exemptes. Autre forme émergente en vogue dans le « poétariat » : la voix. La poésie contemporaine n’ayant plus aucune source où puiser sa légitimation, c’est vers la voix qu’elle se tourne. Le poète s’érige alors en « poète de voix » – « de voix qui d’abord s’écrit, poète de voix fantôme ». « Déposer » sa voix est la condition pour que le poète retrouve sa voix, la réinvente et lui permette d’atteindre les multiples résonances qui font du texte un véritable oratorio. « J’éteins ma voix dans la pièce, le poème continue indépendamment de ma voix », écrit Dominique Fourcade.

    Autre motif de disparition de la poésie, « la catastrophe métaphysique du sens ». « Rien n’a de sens : le monde n’a pas de sens ; pas de fondement, pas de justification, pas de fin (de finalité). Le ciel est vide, tout est absurde et l’existence avance “cap au pire” », écrit Jean-Claude Pinson au début de « Théorèmes ». Depuis Auschwitz (et les analyses d’Adorno), la poésie contemporaine est tentée par l’émiettement du sens. Il n’est plus possible, en effet, depuis la tragédie qui a ébranlé le XXe siècle, d’accepter les « valeurs » esthétiques de la poésie. Le contemporain refuse toute expression de travestissement, tout maquillage susceptible d’embellir le réel et d’anesthésier l’esprit. Toute illusion métaphorique. À quoi bon persister à vouloir s’élever au-dessus de la prose disharmonieuse du monde, si la musique des sphères est inexistante ? Le divorce entre les mots et les choses est consommé et nul n’a plus confiance dans le langage. Refusant toutes les manifestations mensongères dont le langage est capable, le poète trouve dans la forme la seule résistance possible ; le seul moyen de lutter contre les forces destructrices qui menacent le monde. Jusque dans les extrémismes esthétiques. Disjonctions, dissociations, recherche de l’atonalité, syncopes, mais aussi listes, énumérations, collages, montages, tout procédé d’écriture doit rendre compte de la rébellion dans laquelle la poésie contemporaine s’origine. Le désenchantement du monde a mis fin à un âge d’or poétique. Balayant le muthos (le mythique, le fabuleux, le religieux) au profit du logos, le désenchantement du monde est à l’origine de la dépoétisation de la poésie.

    « Tout est rien » et l’éternité n’est qu’« éternullité ». Renversant le propos de Giacomo Leopardi, J.-C. Pinson écrit aussi : « Et cependant, il y a du sens. » Dans le simple énoncé d’« être au monde ».

    Pourquoi écrire ? Comment vivre ? Creusant plus avant le sillon ouvert par Roland Barthes à l’intersection de la littérature et de l’éthique, Jean-Claude Pinson, le « paysan » de Nantes, poursuit l’exploration de territoires-frontières, inscrivant dans sa démarche personnelle l’invention du livre toujours à faire. Un genre de livre poikilos, hybride et bariolé, à mi-chemin du roman, du poème, de l’essai. Une « poéthique » totale pour une poésie multiforme associée à la vie dans tous les sens.



    Angèle Paoli

    D.R. Texte angèlepaoli







    Jean-Claude Pinson, Poéthique





    JEAN-CLAUDE PINSON


    Jean-Claude Pinson
    Source





    ■ Jean-Claude Pinson
    sur Terres de femmes


    Gagarine de la marine (extrait d’Alphabet cyrillique)
    (lecture d’AP)
    [Bucoliques feuillées] (extrait de )
    Pastoral (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la page de l’éditeur sur Jean-Claude Pinson
    le site officiel de Jean-Claude Pinson





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  • Béatrice Bonhomme | Le pacte des mots



    Jour pluvieux d'un été niçois.
    Ph., G.AdC






    LE PACTE DES MOTS


    I – Naissance (extrait)


    19 juillet 2006
    18 juillet 2011



    Jour pluvieux d’un été niçois. Mon père est mort et Lou est née. Elle est née un jour avant sa mort, à cinq ans d’intervalle. Il y a eu un long temps où les mots n’avaient plus de sens, où il était devenu indécent de les écrire. Et puis l’encre est revenue des tout petits cils d’enfant à la bave d’un escargot.


    […]


    Lou est déjà l’indépendance des sillons. Mais elle représente un élan, une foi dans la vie qui permet de revenir aux mots et d’écouter à nouveau l’amandier qui se taisait depuis si longtemps, mort dans le jardin d’enfance.


    Elle retrouvera, sans doute, le goût des amandes crues le long des espaliers d’avril.


    Elle saura, le cœur battant, faire sa place à l’espoir fou dans une chambre de mai orangée de soleil.


    Lou est née la veille de la mort de mon père. Elle l’a pris par la main pour redonner à la lumière un dessin de visage pur, un arc bien tracé de bouche.


    Elle ne le connaîtra jamais, mais indépendamment d’elle, l’empreinte la plus ténue possible, celle d’une poussière de pluie sur le velours de sa joue, fera continuer la vie.


    Elle a d’abord sorti son bras, puis sa petite tête de djinn et, sur elle, le vernix de la vie s’est superposé à l’image du gisant, et les mots morts, les mots crachés, ont repris un sens simple et ont redonné droit à la vie.




    Béatrice Bonhomme, «Le pacte des mots », Textes inédits et documents in Béatrice Bonhomme, Le mot, la mort, l’amour, Peter Collier et Ilda Tomas (éds), Modern French Identities, volume 100, Peter Lang, 2013, pages 11 et 13.







    Béatrice Bonhomme, Lang
    Fiche de l’éditeur





    BÉATRICE  BONHOMME


    Béatrice Bonhomme Bourdelas 2
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas




    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes

    Tharros (extrait des Boxeurs de l’absurde)
    Mutilation d’arbre (note de lecture d’AP)
    Passage du passereau
    [Les petits chevaux de Tarquinia]
    Poumon d’oiseau éphémère
    Sauvages
    T’écrire adolescent
    La terre rouge
    Tes nuits sont devenues mes jours
    Variations du visage & de la rose (note de lecture de France Burghelle Rey)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Un lacis de sang et d’ombre
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d’oiseau éphémère et l’excipit de Mutilation d’arbre



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Kaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia)
    une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmes)
    La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d’art et de littérature, musique)
    un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)





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  • Ana Maria Machado, Aux quatre vents

    Ana Maria Machado, Aux quatre vents [Aos Quatro ventos, 1993],
    des femmes | Antoinette Fouque, 2013.
    Traduit du portugais (Brésil)
    par Claudia Poncioni et Didier Lamaison.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Ana Maria Machado (1)
    Source






    DE LA MAGIE INVISIBLE DES « ALLIAGES DE MÉMOIRE »



    « Anneaux parfaits », colibris et orchidées, « alliages de mémoire » émaillent dans un même espace les pages du roman Aux quatre vents. Quels liens mystérieux nouent ensemble ces mots qui circulent en boucle sous la plume ingénieuse d’Ana Maria Machado ? Et quels singuliers fluides coulent aussi entre Carlos Augusto – dit Guto –, apprenti écrivain, et le vieux Carlão, son grand-père ; et, comme à contre-courant, remontent, de ce bon géant (à travers lui il m’a semblé retrouver la figure imposante d’Ernest Hemingway) jusqu’à Charlemagne, l’empereur successivement épris par passion dévorante d’une « pucelle allemande », puis de son cadavre, puis de l’archevêque Turpin, et enfin du lac de Constance ; quels fluides encore coulent-ils de Dona Constãncia, « mamie » de Guto, à Vanda son épouse ? Quels étranges zeugmas ― alliages et alliances ― relient dans la même aventure romanesque l’écrivain italien Italo Calvino, le romancier français Jules Barbey d’Aurevilly (et d’autres encore avant lui, dans la chaîne des transmissions mémorielles, comme par exemple l’humaniste Étienne Pasquier dans ses Recherches de la France ou encore Pétrarque dans ses Lettres familières), Vanda la scientifique qui se fait apprentie sorcière pour résoudre l’énigme des alliages médiévaux de l’anneau dont elle a hérité, et la romancière brésilienne Ana Maria Machado ?

    Il faut se laisser prendre par les sortilèges de l’écriture de la romancière brésilienne pour traverser avec elle le temps et l’espace, et pour plonger, comme Guto ― l’une des voix narratrices du récit―, dans l’expérience fascinante et « voratrice » de l’écriture. Car le roman est aussi réflexion sur l’écriture : l’écriture en train de se construire ; les préoccupations créatrices qui la sous-tendent ; les interrogations qu’elle suscite ; les passions qu’elle soulève ; l’exclusive qu’elle nécessite ; la quête obsessionnelle qui en est le levier. Et découvrir avec l’écriture le plaisir qu’il y a « à essayer des variations, à imaginer d’autres façons de commencer, d’autres tons ». Autant de méandres qui conduisent la réflexion vers les mystères qui dépassent l’homme confronté à sa propre création.

    Ainsi, dès le début du roman, sommes-nous associés aux toutes premières perplexités de Guto, novice en matière d’écriture. Perplexités qui vont aller en grandissant au fur et à mesure que va croître en lui la nécessité obsédante et secrète d’écrire :

    « Je regardai attentivement, je cherchai. Ça peut paraître facile, mais ce ne l’était pas. Car parmi les propriétés bizarres de cet anneau, la plus étrange était que son métal possédait une certaine élasticité. Du reste, je ne sais si élasticité est le bon mot. Cette idée qui m’est venue aujourd’hui d’écrire pour étrenner mon nouveau bureau et le matériel qui m’a été offert me démontre qu’il est parfois difficile de trouver un mot pour dire exactement ce que je pense. Ce que je sais, c’est que ce métal, ou cet alliage, peut-être, a une propriété rare. Je l’appelle élasticité faute de mieux. Peut-être serait-il plus juste de parler d’une espèce de malléabilité à froid. Ou à température ambiante, quand il est chauffé par la chaleur du corps de l’utilisateur. Lorsque Vanda avait découvert cela, elle en avait été fascinée. »

    En dix chapitres où s’entremêlent et se superposent ― par successions de cercles et de cycles ― rétrospectives mêlées au présent, Ana Maria Machado conduit son lecteur à la découverte d’univers aussi éloignés que le lac de Constance habité de légendes oubliées mais toujours iridescentes, et le Brésil, ses forêts inextricables où se croisent des personnages hauts en couleur. Dont un vieil érudit solitaire qui ne vit que par/pour l’étude des orchidées et des colibris. Mais aussi le vieux Carlão et son épouse, dona Constãncia, liés par la magie d’une passion exclusive qui puise sa force originelle sur les bords du lac suisse ; Guto, dont l’enfance peuplée d’enchantement et de rêve, remonte par vagues et submerge le présent. Dans l’évocation de cet univers paradisiaque, présent et passé se mêlent et s’harmonisent, abolissant les frontières entre les mondes. Oiseaux et poissons échangent leur espace. Ils en partagent les formes et la teneur.

    « La voix de Vanda interrompit mes souvenirs. Mais j’étais déjà réveillé, les yeux fermés. Je rouvris les paupières, et ils étaient encore là. Les poissons prenant leur envol et devenant des oiseaux qui plongeaient et redevenaient poissons. En couleur, avec des contours nets, sur un énorme papier d’emballage. Ceux-ci se transformant en ceux-là, par la combinaison négatif-positif imaginée par l’artiste. Je reconnus le dessin. D’un artiste néerlandais, si je ne me trompe, dénommé Escher. »

    Jeune homme passionné par les profondeurs sous-marines, Guto adulte rejoint l’icarien Alessandro, son neveu passionné de vols en delta-plane. Dans le fusionnement foisonnant de ces deux univers ― où se rejoignent la « tentation de l’abandon total » et « l’impression de plénitude absolue » ― , Ana Maria Machado nous offre des pages éblouissantes. Des pages d’une beauté puissante. Des pages jubilatoires et inoubliables.

    Pendant ce temps, tandis que Guto s’absorbe dans l’exploration de son labyrinthe, à la recherche d’un schéma conducteur qui permettrait aux éléments de son système de tenir ensemble, l’anneau de Dona Constãncia poursuit son voyage, modifiant peu à peu la vie de Vanda et de son époux. Au terme de dix années d’un bonheur sans faille, une période de doutes et d’incertitudes s’ouvre pour le couple, soudain mis à l’épreuve par les forces insoupçonnées de la « vieille bague oxydée » de Vanda. Vanda la scientifique est confrontée à l’irruption dans sa vie affective de données qui échappent au contrôle de l’objectivité. Attachée à l’observation scrupuleuse des faits et à leur analyse, attentive à l’enchaînement logique des causes et des effets, Vanda n’a de cesse qu’elle ne trouve un moyen concret et efficace de soustraire son couple aux effets maléfiques de l’anneau. Mais, alors même qu’elle croit avoir trouvé la solution qui délivrera Guto de son obsession créatrice, la folie de l’écriture impose sa suprématie exclusive sur l’apprenti écrivain. Envoûté par les exigences de son travail d’écrivain en herbe, Guto s’absente en lui-même, comme en proie à une force qui le tient serré dans un étau. De son côté, Vanda, aveuglée par la crainte de n’être plus au cœur des préoccupations de Guto, n’a pas encore eu le temps de comprendre qu’ils pouvaient à nouveau se rejoindre dans le partage de leurs méthodes de travail et de recherche. Car l’attitude scientifique de l’un n’est-elle pas de même nature que l’attitude poétique de l’autre ? Tous deux ne partagent-ils pas la même passion pour la recherche, pour l’exploration et l’interrogation ? Le même goût pour la précision et pour l’enchaînement des causes et des effets ?

    La difficulté à laquelle ils se heurtent vient sans doute de ce qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre pris conscience de ces similitudes et de ce que chacun garde pour soi, enfermé dans sa propre conviction, les clés de sa propre démarche, de son propre système. Ils détiennent pourtant l’un et l’autre toute la chaîne d’objets susceptibles de les réunir dans un échange fructueux. Mais il est trop tôt pour qu’ils en aient la connaissance.

    Il faut laisser au temps le soin d’accomplir son œuvre cyclique : attraction/ répulsion/attraction… À la narration celui de poursuivre la mise en place des particules magiques dont elle a besoin pour tisser ses réseaux secrets. Et à l’écrivain et au lecteur celui de mettre en résonance des magnétismes inexplicables.

    Ainsi en est-il du roman d’Ana Maria Machado. Remarquable d’ingéniosité et de poésie, la chaîne des sortilèges poursuit son œuvre souterraine. Et les « alliages de mémoire » leur magie invisible « aux quatre vents ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ana Maria Machado, Aux quatre vents






    ANA MARIA MACHADO


    Ana Maria Machado
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel d’Ana Maria Machado
    → (sur le site du Salon du Livre de Paris)
    une fiche bio-bibliographique (en français) sur Ana Maria Machado





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  • Mathieu Bénézet | Une phrase maison (composés instables)



    Elle devient le calme des feuilles
    Ph., G.AdC






    1.                                                              une phrase-maison
             (composés instables)



    1


    quelle vérité de la chose nue


    « ornement » de l’amour
    liaison dix fois ailée


    ce n’est pas la beauté


    « le jardin dans l’asile »


    vers cette cloison
    aveuglément
    (elle devient le calme des feuilles)


    la foudre grise
    cette troisième plus loin du centre
    où l’heure vacille


    comme reptile
    sur place
    avec le chien de fusil de la route
    (tout le matin
    d’une foulée)


    comme l’enfance
    l’herbe me touche


    les mouettes
    là-bas
    rejettent la neige


    un vent effondré dans les vitres

    brisées par trop de soleil



    solitude de nos nuages souterrains



    l’autre nue brillante

    une fête de matinée lourde



    une inutile

    « que nient les roses »



    ce que j’entends

    qui se couchent

    leur chute

    un gisement




    Mathieu Bénézet, « 1. Une phrase-maison (composés instables) » in La Chemise de Pétrarque, Éditions Obsidiane, 2013, pp. 15-16.








    La chemise de Pétrarque







    MATHIEU BÉNÉZET


    Mathieu Bénézet
    Ph. © Hervé B. (France),
    All rights reserved.
    Source





    ■ Mathieu Bénézet
    sur Terres de femmes

    [Nous sommes de lumière si étrangers vides]
    Premier crayon (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poëme (extrait de Premier crayon)
    Trois mouvements (extrait de Premier crayon)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    L’Œuvre poétique de Mathieu Bénézet






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