Étiquette : 2013


  • Marilyse Leroux | [Une goutte est la mer]



    Les pas renouent les fils du paysage
    Ph., G.AdC







    [UNE GOUTTE EST LA MER]



    Une goutte est la mer
    un éclat tout le soleil

    Le jour est tout le jour
    pour qui avance
    le corps léger

    Les pas renouent
    les fils du paysage
    en quête de pierres
    et de lumières oubliées

    Les prés se donnent
    comme autrefois
    le velours d’une robe

    Du plus loin
    ou du plus proche
    l’œil remonte
    à la source.




    Marilyse Leroux, Le Temps d’ici, Éditions Rhubarbe, 2013, page 57. Prix Angèle Vannier de poésie 2014.






    MARILYSE LEROUX


    Marilyse Leroux





    ■ Marilyse Leroux
    sur Terres de femmes

    [Autour de nous le mouvant devient cercles] (extrait d’Ancrés)
    [Livre ouvert] (extrait de Nés arbres)
    Le Sein de la terre (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Tu ouvres une brèche]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Texture)
    une note de lecture de Michel Baglin sur Le Temps d’ici






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  • Édith Azam | [Je dis le mot : mourir]






    De l'aide pour la cicatrice qui me gangrène le langage
    « je veux de l’aide pour mes poumons, de l’aide
    pour la cicatrice qui me gangrène le langage »
    Ph., G.AdC








    [JE DIS LE MOT : MOURIR]



    Je dis le mot : mourir, et me fais la promesse de lui faire la peau. Je le tordrai, ce mot, essorerai s’il le faut tout le vocabulaire. Rien de nous ne vivra jamais dans ce mot-là. Devant mon bol, tisane fume, et moi je hurle de la fumée, et ton nom m’ébouillante. Alors soudain, soudain je cours à la fenêtre, non je cours à toutes les fenêtres, des unes aux autres, sans m’arrêter. Je fais mille mètres à la seconde, de grands bonds qu’on dirait : qui me secouent la tonne parce que je n’en peux plus. Pleins poumons j’ai ta voix qui m’étouffe, ta voix immatérielle qui me signe le corps. Alors oui, les fenêtres, parce que je flambe comme un champ de bataille. C’est l’enfer je me dis, je traverse l’enfer. Alors courir courir : pour avancer, tenir debout. Ne savoir du combat que la simple notion de survie parce que… Parce qu’il n’y a plus un gramme d’air dans la pièce ; parce que ta voix me troue la peau. Balcon, je happe l’air à m’y noyer et mon cœur qui s’ouvre partout. J’en ai jusqu’au bout des orteils de mon cœur, de sa : déchirure. Toute ma chair palpite de ta voix qui me vient, ou qui : ne me vient pas. C’est à devenir fou. Je happe, happe, je happe l’air. Regarde les étoiles, le parc : ne vois rien, fais simplement les gestes que fait un corps malade. De l’aide : je veux de l’aide pour mes poumons, de l’aide pour la cicatrice qui me gangrène le langage, de l’aide, oui, j’en veux pour mon cœur qui traîne jusqu’à terre, de l’aide un peu : je n’en peux plus. J’étouffe je hoquette… et puis c’est con comme la nuit, lentement, sans un bruit, je pleure… Alors enfin ta voix m’arrive : à la bonne place le Chevalier, au bon endroit : ―  Au village de Kerloan, au bord de la mer, un grand chêne domine le rivage. Sur ce chêne, au clair de lune, des oiseaux s’assemblent. Des oiseaux de mer, au plumage blanc et noir.
    Dans mon corps, quelque chose se rompt. Je ne sais quoi exactement. C’est une sensation délicieuse, fluide. Comme un vertige. J’espère que je meurs, que je : me débarrasse.



    Édith Azam, Décembre m’a ciguë, P.O.L , 2013, pp. 59-60-61.







    ÉDITH AZAM


    Edith Azam
    Source




    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes

    Décembre m’a ciguë (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    « Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m’a ciguë par AP)
    [Tout s’ouvre et c’est dedans](extrait de Bestiole-moi Pupille)
    Il n’y a cette perte de moi (extrait de Le mot il est sorti)
    Suis-moi
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël | Retours de langue (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    IL RESTERA MON SIGNE



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Edith Azam lit les pages 19 et 20 de Décembre m’a ciguë
    → (sur Dailymotion)
    Bruits de bouche : Édith Azam, Bouche cousue (Performance du 14 novembre 2009 pour Le nouveau festival [46:02])
    → (sur Libr-critique.com)
    videopodcast d’une lecture d’Édith Azam au Festival de Lodève 2006
    → (sur Un nécessaire malentendu, le site de Claude Chambard)
    Édith Azam : la poésie comme défibrillateur (Préface de Letika Klinik d’Édith Azam, éd. Dernier Télégramme, 2006)






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  • Rose Ausländer | Après le Carnaval





    Les heures furent des fours autour de mon front
    Ph., G.AdC







    NACH DEM KARNEVAL



    Hach dem Karneval kamen die Magertage
    mit Schimmelbrot und Bitterkraut
    Mich hungerte nach Feigenfleisch
    mich dürstete nach Apfelsinen


    Mit einer Karawane ging ich
    durch die Wüste auf Datteljagd
    Der Sand stak mir im Hals
    Der Rücken des Kamels
    war meine Heimat
    Die Stunden waren Öfen um die Stirn
    die Sterngebilde Kreuz und Skorpion


    Am Morgen blühte rot am Horizont
    die Fata Morgana die nicht näherkam
    Nur einmal nahm uns eine Oase auf
    das Wasser roch nach Feuer Mohn und Mond
    Feigen und Datteln waren verdorrt







    APRÈS LE CARNAVAL


    Après le Carnaval vinrent les jours maigres
    avec du pain moisi et de l’âcre choucroute
    J’eus faim de la chair des figues
    j’eus soif des oranges


    Avec une caravane je partis
    à travers le désert à la chasse aux dattes
    Le sable me piqua la nuque
    Le dos du chameau
    fut mon pays
    Les heures furent des fours autour de mon front
    les constellations croix et scorpion


    Le matin rougit à l’horizon
    le mirage qui ne se rapprocha pas
    Une fois seulement une oasis nous accueillit
    l’eau sentait le feu le pavot et la lune
    figues et dattes étaient desséchées



    Rose Ausländer, Pour qu’aucune lumière ne nous aime in Fario 12, Printemps 2013, pp. 266-267. Poèmes traduits de l’allemand et présentés par François Mathieu.






    ROSE AUSLÄNDER


    Rose Ausländer
    Source



    ■ Rose Ausländer
    sur Terres de femmes

    Augenblickslicht
    L’île dérive
    Janvier (extrait de Pays maternel)
    Während ich Atem hole



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    cinq autres poèmes inédits de Rose Ausländer, issus du même n° 12 de la revue Fario
    → (sur Esprits Nomades)
    la page consacrée à Rose Ausländer
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits (en allemand) par Rose Ausländer






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  • Corse_3 Stefanu Cesari | [Nivi, nò?]







    NIVI, NÒ?
    Ph., G.AdC








    [NIVI, NÒ]



    Nivi, nò? daret’à no. a falda di u vosciu manteddu vi scappa
    u bracciu circa, in vanu, è parichji volti. ùn si sà micca bè
    chì strada ’ddu sigueta u sangu ’n a pitturiccia nè chì gestu pà appacià u timpurali,
    ch’iddu ùn nascissi, ch’iddu ùn vinissi à batta i narba contr’à i vitrati tosti.
    l’ochji nudu à u mari
    si ghjaccia.
    u tigliolu si ni sfaci.

    ùn era po’ quì chè no erami? erami
    ’n a luci. abbaraculati. ci sintiami guasgi
    nascia l’arba sutt’à i peda,
    in u calacciu.

    nò. ci sbagliaia a friscura. ci sbagliaia tuttu ciò chì merza.
    ma era propriu quì.


    à mumenti v’hà da purtà calchissia chè vo ùn cunnisciti micca.
    v’aghjustarà a villetta. dumandarà com’hè
    u vosciu nomu, soca nivarà più forti







    IL NEIGE, NON ?
    Ph., G.AdC








    [IL NEIGE, NON ?]



    Il neige, non ? dans notre dos. un pan de votre manteau vous échappe.
    le bras cherche en vain un moment, on ne sait pas bien
    quelle course suit le sang dans la poitrine ni quel geste adresser à la tempête,
    l’empêchant de naître, de venir battre les nerfs aux baies vitrées froides.
    l’œil nu sur la mer
    se glace.
    le tilleul se défait.

    n’était-ce pas ici ? nous étions
    dans la lumière, attentifs
    à l’herbe naissante parmi les fruits morts.

    non, la fraîcheur nous trompait, le pourrissement.
    mais c’était ici même.


    quelqu’un vous emmènera bientôt, que vous ne connaissez pas
    vous aidera à passer un châle, il demandera
    votre nom. neige. encore



    Stefanu Cesari & Badia, U Mìnimu Gestu | Le Moindre Geste, Colonna édition, octobre 2012, pp. 50-51.





    Le-moindre-geste-u-minimu-gestu




    _________________________________
    NOTE d’AP : Stefanu Cesari a reçu en 2013 le prix du livre corse et le prix Don Joseph Morellini (prix littéraire du conseil général de Haute-Corse) pour son ouvrage U Mìnimu Gestu.








    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    [In un libru à a cuprendula russa] (un autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Bartolomeo in cristu (lecture d’AP)
    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (dans Quaderni di traduzioni, X, ottobre 2011)
    des extraits d’U Mìnimu Gestu, traduits en italien par Francesco Marotta [PDF]
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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  • Edith Azam, Décembre m’a ciguë

    par Isabelle Lévesque

    Edith Azam, Décembre m’a ciguë,
    P.O.L, 2013.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    TAC, PAF, TIC-TAC, TUUUUT, heurk, TIC, PAFF, SCHH.
    Ph., G.AdC







    QUE L’ISSUE SOIT BIFFÉE


    Il est l’heure où l’aiguille casse mon crâne en deux.



    S’il tue à petits feux la mort, le langage sature. L’espace. La vacance. Mort s’en suit enrayée si les mots cavalent et griffent le vide.

    « Vivre n’aura jamais : été assez. »

    Alors la langue court après la mort. Parler devient réflexe contre. Le titre dit tout qui fuse en verbe un nom (un poison). La ciguë. « Décembre » oblige, dans sa force active, agissante, de sujet. Narratrice coincée, objet, d’un verbe qui l’empoisonne. Décès annoncé. Forcée de boire. Jusqu’à la dernière goutte.

    Comme le sage : Socrate au pied du mur. Destin accompli.

    Ou « Omar m’a tuer » qui résonne. Actualité. La langue usuelle rabâchée. Plus soif. Edith Azam la prend. La met. La destitue. Tout-venant calqué, claqué : langue vivante. La parole des enfants revient, joue la boucle et retour des sons, « veux pas, peux pas ». Les pronoms, pas la peine. La peine, elle est dans ce qui est écrit. N’arrivera pas, alors lutte. Armes de tous les jours, ses « dits » de pleine voix pour « pas me faire carnage au corps ». Pas d’images, le suranné balayé. Ça vient, ça va.

    Edith Azam écrit – parle. Enchaîne. Refuse.

    « Plus tard, je ne sais pas le temps : il casse. »

    Les interrogations, les exclamations déménagent le texte. Pas d’acceptation, la mort au bout du fusil, non. Prévue pour décembre, à viser, pour supprimer le mois – n’arrivera pas. Ce scandale.

    Dans l’instant fou, écrire la cigarette, fumée avalée, le cendrier dans la gorge. Ne passe pas. Le lecteur suit pas à pas. Le monologue intérieur, la petite voix têtue qui refuse et se bat – c’est la langue. Le corps, les yeux, la mâchoire, les clavicules, les côtes, les orteils, répondent présents. Ils luttent, cœur en abyme. Comme les termes «  carnage », « dévorer », le corps est un champ de bataille. Il est le cœur. Tout ce qui sonne ou mesure (le réveil, l’horloge) par contiguïté va vers le téléphone. L’annonce. C’est l’aiguille, personnifiée, monstre qui réveille d’une percée. Au moindre sommeil.

    On se débat : le corps n’est pas qu’un champ de bataille. Chaque membre est dissocié, envisagé seul. La souffrance le détache (l’arrache).

    Corps, métonymie, désastre par contiguïté gagnant toutes les régions, les humeurs. Et, seule, la narratrice déborde, sa langue fourche en diversions, digressions, explosant en lettres et mots qui gangrènent la page. Pas de blanc, feuille couverte de signes. Un seul jet, paragraphes serrés. Deux points, deux.

    Mots qui sonnent, onomatopées aussi, sons de la vie : dring, bien sûr, mais aussi TAC, PAF, TIC-TAC, TUUUUT, heurk, TIC, PAFF, SCHH. Et puis ploc, maintes fois répété, gouttes qui battent le temps, qui usent, jusqu’à : « La douleur d’un effort pour relever la tête, la sortir hors de l’eau, mais rien à faire, rien, c’est un coup de massue, « PLOC », qui me brise la nuque. »

    Entre l’onomatopée brisant la ligne élaborée et les phrases longues, au rythme haletant sujet – verbe, les mots sont diffractés, cassés en morceaux réduits parfois au noyau du cri (non !). Interrompre le discours serait couper la ligne de vie. On résiste, avec un vocabulaire apparemment simple. L’enfant parle en la narratrice, petite fille éprouvée, prise dans un conte à dormir debout. Lutte inégale –  désespérée :

    « Quelque chose m’a disparue », l’innommé avale la force conceptuelle du sujet réduit à un objet, coincé comme dans le titre.

    La chute est redoutée : enfiler le costume pour ne pas tomber, des bretelles car tenir debout relève du miracle. Récurrence des deux points placés là pour laisser place à des conséquences, un geste, une issue :

    « Je dépose mon cœur dans ma paume, l’approche de ma bouche et, avec les dents, arrache une à une les pattes de la faucheuse, en la fixant : droit dans les yeux. »

    Même pas peur, des rituels inventés pour qu’un cauchemar tourne à l’exorcisme ou l’éloignement. Prolepse. À inverser.

    « Après toi, non, je ne sais plus ce qu’il se passa, et tout me vient derrière moi. »

    Que soit l’issue biffée. La langue affectée par l’annonce, la certitude. Mots rognés, os à gratter des souvenirs (récréation, école, coin du feu, cueillettes, « petits détails »)  :

    « Tes mots se nichent dans mon oubli pour nourrir plus tard : ma mémoire. »

    Dernier office d’une mémoire nourrie de rites : la lune, omniprésente, se regarde, mesure en même temps qu’elle éclaire le temps. Sa présence ne se dément pas. De la Bretagne, elle signe la force, le symbole. Transporte au temps des druides en ce calendrier où l’écoulement se mesurait à ses phases silencieuses. Elle permet de ne plus recourir à l’heure des horloges : sa présence suffit à dire que le temps a passé :

    « La seule certitude réside dans l’étrange sensation d’un déplacement, de ce qui jusqu’alors dessinait : la limite. Aimer réside dans cet effort-là : écrire, autrement dit se vivre. Et quoi ? Quoi, rien, je regarde la lune, je sais vers qui elle va, et de ta chambre aussi, cela j’en suis certaine, tu as dû lui faire signe. Je me demande combien nous sommes à faire cela, ce petit rituel nocturne, et depuis combien de siècles il perdure. » Elle relie, avant de séparer en ce rite du soir : grand-mère et narratrice, si loin, séparées, chacune pourtant proche parce qu’elle accomplit le même geste immémorial, temps décrypté au regard de la lune. La narratrice croit aux « liens cosmiques » et renoue aussi en cette foi avec le vieux fonds légendaire breton qui la relie à sa grand-mère.

    La voix qui lisait revient entre les lignes de la narratrice, en italique, (« Le chevalier »…), grand-mère conteuse. Ce qui nous est transcrit, par bribes, comme un palimpseste révélateur, c’est la gwerz (la complainte bretonne) du chevalier Bran. Cette gwerz conte comment, après un combat à Kerlouan (dans le Léon), le Chevalier Bran est emmené comme prisonnier en Angleterre. Il envoie un messager à sa mère pour qu’elle vienne le délivrer. Si, au retour, la mère est à bord, le bateau doit arborer un pavillon blanc (noir dans le cas contraire). La mère vient, mais le cruel geôlier annonce au Chevalier un pavillon noir. Bran meurt sans l’avoir retrouvée. La mère trouvant son fils mort, voit ses cheveux blanchir d’un seul coup et meurt à son tour. Depuis, à Kerlouan, à l’emplacement du combat, on peut voir un grand chêne sur lequel, au clair de lune, se rassemblent des oiseaux de mer (âmes des guerriers morts), parmi lesquels une corneille grise et un jeune corbeau, la mère et son fils.

    Or la narratrice connaît les mêmes interrogations, vit un combat, espère, désespère, attend. L’armure et les armes d’acier ne sont plus extérieures, ce sont les os et les organes :

    « Je reste assise sur le parquet, balance d’une planche à l’autre, en écoutant mes os qui rouillent à l’intérieur, qui méticuleusement : se déglinguent. Le corps : de la tôle froissée, des morceaux de ferraille qui volent en éclats. »

    Et l’espoir, devenir oiseaux, se retrouver oiseaux : « Je voudrais écrire un poème. J’y songe depuis plusieurs jours multipliés par un désir qui fait tourner les jours encore. Un poème, une forme simple, le bon lieu où : disparaître. Il serait en octosyllabes. Nul n’aurait à le lire, il serait là, c’est tout. Il serait un poème que l’on suivrait des yeux comme on suit les oiseaux. Je voudrais écrire un poème, non, je voudrais devenir un oiseau. »

    Voix dans la voix, celle de la conteuse pour l’enfant ancrée dans la culture bretonne, avec les temps d’attente (silence) mentionnés : « (trois secondes) ». Ritualisant dans la trame du texte la présence de celle qui meurt. Impose son rythme (sa vie).

    Le « froid de loup », temps présent de la narratrice, et celui du conte, égrené par la grand-mère, se mélangent. Temps joints et les deux voix. En un « nous » menacé car deux instances le constituent, il ne saurait survivre à la perte d’une de ses moitiés, ce pronom de l’union, à la dissociation du « tu » et du «  je ». Si l’un meurt, le « nous » disparaît, amputé du « tu » :

    « Le plus mort de nous sera JE : ça fait du bien de disparaître. »

    Cette dissociation (comme celle des membres du corps) condamne une entité. La langue, le flux témoignent de cette lutte sans merci. Comment sauvegarder l’identité : tension vive brûlant la conscience et le corps amoindri ?

    « Qu’il me serve à cela, au moins, le langage. » Jamais n’a cessé entre les deux femmes l’échange des lettres, les deux voix, c’est encore ce papier que la narratrice tourne dans sa poche. Et ses mâchoires serrées, qui rappellent les séquences et le temps compté :

    « Mes mâchoires se vissent, m’enferment à l’intérieur de ce que tu : couronnes. »

    Rois et Bretagne, bataille et sceptre, lutte :

    « Tes mots se nichent dans mon oubli pour nourrir plus tard&nbsp: ma mémoire. »

    Vaillance où seule : ce qui tient, c’est le nom qui meurt et abreuve. Source, malgré tout.

    Deux points ( : ) résistent, silence au milieu des signes. Dressés pour que le livre soit.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ÉDITH AZAM


    Edith Azam
    Source




    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes


    [Tout s’ouvre et c’est dedans](extrait de Bestiole-moi Pupille)
    « Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m’a ciguë par AP)
    [Je dis le mot : mourir] (extrait de Décembre m’a ciguë)
    Il n’y a cette perte de moi (extrait du Mot il est sorti)
    [Je regarde mes mains] (extrait d’Oiseau-moi)
    Suis-moi
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël | Retours de langue (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    IL RESTERA MON SIGNE



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    Bruits de bouche : Édith Azam, Bouche cousue (Performance du 14 novembre 2009 pour Le nouveau festival [46:02])
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    Édith Azam : la poésie comme défibrillateur (Préface de Letika Klinik d’Édith Azam, éd. Dernier Télégramme, 2006)



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Laurence Werner David, À la surface de l’été

    Laurence Werner David, À la surface de l’été,
    Buchet-Chastel, collection “Qui Vive”, 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli


    La  - dureté blanche - de la montagne
    Ph., G.AdC






    SUR LE TRANCHANT DES LIMITES




    D’énigmatiques questions persistent, qui taraudent le lecteur bien au-delà de la traversée d’À la surface de l’été, dernier ouvrage de Laurence Werner David. Que s’est-il donc passé au cours de ces journées, qui continue d’agiter, par ondes secrètes, la mémoire sensible et meuble du lecteur ? Si À la surface de l’été ne laisse ni indifférent ni indemne, c’est que l’écriture agit ici, subreptice, en profondeur, suscitant curiosité et interrogation. Silencieuse admiration.

    Les trois récits qui composent ce triptyque romanesque ― « Derrière la montagne » / « Éclats de fuite » / « À la surface de l’été » ― prennent appui, chacun à leur manière, sur la montagne. Qu’il s’agisse des Alpes ou des Pyrénées, la montagne ― ce pilier solide et ferme, inébranlable, qui offre aux hommes fragiles et fluctuants qui la hantent, ses parois et ses pierriers ― suscite en eux effrois et défis. Les récits de cet ouvrage trouvent leur ancrage contre les flancs vertigineux de la montagne, comme si, à la vie flottante et instable des personnages, la montagne était seule à risquer de leur offrir issues ou révélations. Personnage essentiel de ces trois récits, elle est cet abrupt auquel s’affronter quand la vie se délite et se dissout.

    Autour de la montagne gravitent trois figures de « Père », et avec elles, femmes, enfants, amis et randonneurs. Figures qui tanguent et vacillent au gré des crises qui secouent les êtres jusqu’à les confondre et à les anéantir. Passé et présent se croisent, se superposent, s’aimantent et se repoussent, qui livrent leur part de suppositions et de doutes, de questionnements qui persistent, de mystères non résolus.




    « DERRIÈRE LA MONTAGNE »


    « Lorsqu’une personne part, la Montagne revient », confie la voix narrative du premier récit. Propos qui renvoient à Antoine, jeune et brillant érudit, dont le séjour récent dans le chalet familial de la Vanoise ramène à la surface de sa vie les épisodes douloureux d’un passé toujours vivace en lui. Pour Antoine, liée au paradis de l’enfance dont ses parents étaient alors les maîtres, la Vanoise l’est aussi à la figure du père, à sa présence solide et rassurante puis à sa « chute », à son effacement et à sa brutale disparition. Au lendemain des amours ostentatoires du père avec la jeune et séduisante Gina, le couple parental se défait, le socle s’effondre et, avec lui, le monde qui semblait devoir durer éternellement s’évanouit. Le passé resurgit, qui envahit la réalité présente. Dans le salon que vient de quitter L., jeune traductrice à qui Antoine a confié son texte parodique des Hauts de Hurlevent et de la passion dévorante des deux amants, Antoine

    « se souvient du bruit du moteur perdu dans l’espace nocturne, de la porte du chalet entrebâillée qu’il ouvre sur le rougeoiement des phares tout là-haut dans le lointain. Peut-être que la Simca de son père ne s’était pas éloignée à l’intérieur des collines mais plutôt dans les lacets d’une grande montagne. »


    Plus tard, dans le récit, au profit d’une rétrospective qui renvoie au Dernier hiver, 1983, Antoine comprend que le rire esquissé par le père au cours du repas du soir est une « esquisse de rire d’homme traqué ». Le récit se clôt sur le retour des images de la Simca s’éloignant vers la montagne, sensiblement modifiées par la mémoire et de manière beaucoup plus affirmative :

    « La voiture est remontée à vive allure vers d’autres massifs. Le raidillon qu’elle emprunte est aussi vigoureux que doit l’être le pied sur l’accélérateur. Elle file vers d’étroites lanières qui, de loin, semblent se fracturer dans la roche… L’auto avance maintenant à une allure maîtrisée vers la ligne où la montagne crénelée ne forme qu’un bloc de granit horizontal.
        Elle disparaît derrière la barre rocheuse, avalée en moins d’une seconde ».


    Le dialogue d’Antoine avec la Montagne est un trait d’union entre son passé et son présent. Celle-ci s’éloigne et revient, rapprochant par glissements et superpositions les histoires qui constituent les strates de sa vie, présente et passée. Ainsi la Montagne, envahissante menace, empiète-t-elle sur son environnement et gagne-t-elle les êtres qui l’entourent.

    Après la visite de L., ex-compagne de Martin, son meilleur ami,

    « Antoine range dans l’armoire ceux [les objets] qui peuvent être déplacés aisément, repousse l’image de la montagne brutale et vide qui vient de le ressaisir, s’étonne de sa résistance, de sa terrible exposition nocturne, de sa fermeté aussi exigeante que la droiture du port de L., tente de corriger cette image qu’il espère sans lendemain. »


    De même, toujours dans ce salon où il a reçu L. la veille, Antoine observe-t-il, par une sorte de fondu enchaîné qui passe par son regard, que le « dernier rayon de soleil zèbre le pantalon de Martin, du même gris bleuâtre que la fourrure d’une renarde polaire que le père d’Antoine avait chassée lors d’un séjour en Amérique du Nord… ». Et de s’étonner devant son ami de l’évocation d’une « telle anecdote vieille de plus de vingt ans ».

    Quant à Martin, qui ne se remet pas d’avoir été « expulsé hors de son histoire » par sa rupture avec L., il rêve d’effacement. À force de volonté et de torpeur, il « avait réussi à ralentir à l’extrême le frémissement du dehors : une expérience du temps faite d’actes répétitifs et de silences somnambules… ».

    Lorsqu’Antoine comprend qu’il ne recevra pas la carte promise par son ami parti à l’étranger, c’est vers la montagne que son esprit se tourne :

    « Pour la première fois, il espéra que la montagne soit tout entière à lui afin qu’il puisse se dresser devant elle et en bouleverser la grandeur nocturne.
        Se dresser face à elle.
        Surtout ne pas la voir un jour couchée par terre. »





    « À LA SURFACE DE L’ÉTÉ »


    À la volonté de disparition de Martin dans « Derrière la montagne » répond celle de Paul Hordé dans « À la surface de l’été » (troisième récit). Les motifs en sont identiques. Une rupture amoureuse que rien ne laissait soupçonner. Paul, tout comme Martin, est abandonné par sa lumineuse compagne. L’absence crée un grand vide. Un même désir d’effacement étreint l’un et l’autre personnage. Avec la désertion inexpliquée de Marie s’amorce la chute de Paul. Le père sombre dans l’oubli progressif de Sylvère, leur fils. Devenu mutique et impossible à atteindre depuis la disparition de sa mère, Sylvère quitte son père à l’âge de dix-huit ans, le laissant seul avec ses fantômes. Celui de Marie et celui de Pierrick C., meurtrier, ami et confident, à qui il rend visite dans le parloir de la prison de Pau. La stratégie que Paul met en place pour lutter contre le désarroi est identique à celle de Martin :

    « Au pire, je répétais un mode de fonctionnement journalier qui, au moins, me donnait la preuve anesthésiante qu’il pouvait être le mien et que partout où j’irais il pourrait m’être un guide sûr, un barrage contre l’égarement et la solitude. Je dis au pire. Et pourtant c’est quand les choses se répétaient que tout paraissait en moi se ranimer. »


    C’est en effet au moment où Paul se rend dans la « vallée lunaire » pour rejoindre le refuge où il cache d’ordinaire sa solitude et ses méditations, qu’un trio inconnu jusqu’alors fait irruption dans la vie de Paul, bouleversant ses habitudes, son chagrin et bientôt sa vie. Dès lors, le récit bascule dans un autre univers, qui met en présence et aux prises les uns avec les autres, deux adolescents (des jumeaux) et deux hommes adultes. Ben et Ariel d’une part, orphelins de père et de mère. Leur grand-père, Joseph Rire, et Paul, de l’autre. Dans ce récit étonnant, le fil relationnel qui lie entre eux les personnages se noue et se joue au cours d’excursions successives dans le massif de la Maladeta. Au troisième jour, le Pic d’Aneto est le lieu de la lutte mortelle que le grand-père des jumeaux livre à Paul (mystérieuse métaphore du combat de Jacob avec l’ange ?) ; lutte qui pourrait se terminer par la chute du grand-père dans des « champs d’éboulis ». Et par sa disparition.

    « Seulement, ses doigts bardés d’une ossature de fer forent durement ma poitrine et son poing cogne contre mon cœur. Mes jambes enchâssent les siennes et les siennes mon sexe. Nos souffles se métamorphosent en larmes, en cris de butors terrassés… », notera Paul dans son carnet.


    À l’issue de ce combat qui le laisse épuisé sur « la sente étroite », Joseph Rire « se met à parler : ‘Vous nous avez tous beaucoup éprouvés, monsieur Hordé’ ». À quelle épreuve le trio a-t-il été réellement confronté ?

    « Que nous est-il arrivé ? » interroge le guide de montagne (Paul) s’incluant ainsi dans une dérive qui soudain le concerne tout comme elle concerne Ben et Ariel, et, derrière eux, Emy, la mère des jumeaux, décédée d’une overdose, Sylvère et son petit garçon, dont Paul découvre l’existence à travers la scène filmée que lui montre Ben.

    D’étranges liens, dont on ne sait vraiment s’ils sont fictifs ou réels, se tissent en quelques jours autour de l’homme solitaire, jusqu’à l’effacement, un matin, du grand-père Rire. Ainsi la figure du grand-père se retire-t-elle afin que celle de Paul puisse s’imposer auprès des jumeaux. D’observations en résonances, le récit livre sa part de réponses et d’éclaircissements provisoires. Les histoires finissent toujours par se recouper. D’autres réalités imprévues prennent place dans la vie, avec leurs formes nouvelles. Le présent est investi par d’autres passés qui tressent leurs linéaments et leurs imbrications. Au cœur de ce maillage complexe naît le point crucial de la rencontre.

    « Votre histoire entière appartient à ma vie », déclare Ben au guide de montagne.
        « Tu penses que l’histoire de tes retrouvailles avec ton fils, s’il souhaite qu’elles aient lieu, recouvrira un jour ta rencontre avec les jumeaux », se dit Paul à la suite de son échange avec Ben.

    Comme par d’insensibles glissements tectoniques, les histoires se superposent. Elles ébranlent les certitudes, laissant place libre pour constituer d’autres bases, pour inventer d’autres géométries possibles.




    « ÉCLATS DE FUITE »


    « Éclats de fuite » est sans doute le récit le plus insaisissable de la trilogie. Un récit-enquête au cours duquel la narratrice ― une ancienne élève de Saint-Cyr ― tente de reconstituer les pans d’une histoire qui se construit autour d’une disparition. La disparition du sergent May H, elle aussi ancienne élève du retraité de Saint-Cyr. La remontée à la surface d’un passé énigmatique brouille la chronologie des événements d’autant que s’entrecroisent des récits dans le récit. Le seul indice sur lequel prendre appui est apporté par celle qui vient rendre visite, dans son usine désaffectée, au retraité de Saint-Cyr, voix écrite qui ponctue et double la belle voix de l’ancien militaire avec qui elle s’entretient. Le récit d’« Éclats de fuite » se clôt sur un retour à l’ancienne usine désaffectée où l’on retrouve la visiteuse, l’ancien militaire et sa femme. Mais loin d’apporter une réponse claire et définitive, cette clôture ouvre une nouvelle voie à l’énigme.

    On trouve pourtant dans « Éclats de fuite » des cairns familiers, propres à l’univers de Laurence Werner David. La montagne de la Vanoise, « quelque part entre la Grande Casse et le Grand Paradis » ; un homme aux pensées instables, « en proie à des idées répétitives et sombres » qui ignore toujours « combien de temps l’amour rend heureux » et qui ne se le demande plus. Un homme pour qui le « retrait » est une « ruse » dont il fait un usage fréquent. Un homme conscient que dans les montagnes son « statut de supérieur hiérarchique » n’a plus sa raison d’être et ne lui est d’aucun secours. Mais aussi un homme sensible aux « veines » qui courent sous la montagne et « communiquent jusque sous les pieds son âpre flux singulier. »

    Sous la forme d’un récit à la deuxième personne du pluriel, la narratrice restitue les hantises et les passions de l’ancien militaire. Par la voix de cette femme, nous entrons dans l’intimité de l’homme dont le caractère, non dépourvu de cruauté ni de talent, a été formé par l’univers qui a longtemps été le sien.

    « Vous n’avez pas peur des os, vous n’avez pas peur de la chair, ni de ce qui tue. Vous avez peur de ce qui enferme, de la dalle qui scelle, des scellés, de mourir vivant ; de la pierre aussi, lisse, froide ; vous avez peur des femmes attirées par l’uniforme. Vous avez peur de l’impénétrable vide. »


    Une première rétrospective fait remonter le récit dix-huit mois en arrière. Et renvoie cet étrange personnage à un séjour en montagne, dans un petit village de la Vanoise (son village, s’interroge le lecteur ?). Les vacances du retraité de Saint-Cyr auraient pu se dérouler dans des randonnées sans histoire ou dans le ressassement de souvenirs militaires auxquels il est resté très attaché, s’il n’avait croisé, dès le quatrième jour, l’une de ses anciennes élèves, le sergent May H. Une femme qu’il a eue sous ses ordres et qu’il a du mal à reconnaître dans sa « jupe en pilou ». Rencontre rendue soudain obsédante par la présence insistante, dans les parages de la jeune femme, de « l’homme mauvais », un malade mental tout juste sorti de l’hôpital psychiatrique de Digne et qui vient de rentrer dans son village natal.

    Dès lors se met en place un trio infernal. Qui est cet « homme-revenu-au hameau » ? Quels liens unissent May à « l’homme mauvais » ? Que sont-ils l’un pour l’autre ? « Deux amis d’enfance qui se sont retrouvés » ou peut-être « deux bêtes fragiles », pense le retraité. Tous deux rient en courant sur le sentier avant de disparaître sur les pentes dans la nuit. May n’est-elle pour le militaire qu’une ancienne élève ? On pense par moments qu’elle est peut-être sa fille, tant le regard qu’il pose sur elle est tendre, protecteur, énamouré. Mais l’indifférence de May à son égard détourne de cette interprétation. Peu importe à vrai dire le passé de chacun, et la force invisible qui met, un jour d’été, ces êtres en présence. Ce qui attire dans ce récit et qui saisit à la gorge et au ventre, c’est, au-delà de la perte des repères ― relationnels et fictionnels ―, la tension qui s’installe progressivement dans le trio. Une sourde hostilité circule de « l’homme mauvais » au militaire ; à peine contenue, la violence qui les oppose, se teinte, par glissement métaphorique, de mimétisme :

    « Une fois l’homme vous voit : l’affrontement est compact, semblable à la calotte glaciaire où vous l’avez suivi ».


    Un sombre sentiment pousse le militaire à la poursuite du couple qui dévale les pentes en direction du village. Un drame se tisse à l’insu de chacun. Qui, pour May, semble puiser ses origines dans le château en ruine qu’elle voit de la fenêtre de sa chambre. Le château du Glas, dont elle rêvait, petite fille, qu’il deviendrait propriété de son père. Pour le militaire, le château est un piège qui va se refermer sur May. L’étau se resserre, la traque s’intensifie, se charge d’odeurs animales. Dans la nuit, le peuple des êtres invisibles se change en bêtes sauvages, tandis que dans sa course haletante, le corps du vieil homme s’assimile et se fond à la nature qui l’entoure. Tout à la fois animale et minérale :

    « À mesure que vous vrillez et perdez de la vitesse, votre paroi osseuse à peine sensible, juste bonne à être humée par le museau d’un carnassier, se couvre de froid et de chaud, ardoise friable. Vous vous efforcez de régler et d’appliquer, point par point, votre colonne vertébrale à l’argile terreuse ».


    Gagné par des hordes de fox-hounds, le récit devient halluciné ; la course-poursuite à travers boue et boyaux de conifères labyrinthiques, indéchiffrable. Au terme de cet épisode de « fantasy » cauchemardesque, le sergent May ne reparaît pas. Elle disparaît sans laisser de traces. Disparaît aussi « l’homme mauvais ».

    Huit mois plus tard, taraudé par sa souffrance, le retraité revient hanter les alentours du château. « Stylisés » par le talent de l’officier, ces lieux portent toujours les stigmates de sa fragilité. Ils guident l’homme dans l’accomplissement d’une gestuelle mystérieuse qui le conduit, au cœur de la forêt et de la nuit, vers le corps de May. Le mystère se referme qui tient en germe la « réversibilité des choses. »




    Captivant triptyque romanesque, À la surface de l’été engage le lecteur sur le « tranchant des limites ». Limites des liens sur lesquels se construisent ou se déconstruisent les univers affectifs. Limites que la tension poétique du langage prend en compte et tend sans cesse à repousser par une écriture tout à la fois puissante et riche. Il se dégage de chacun des trois récits, proches et pourtant distincts – chacun est ponctué par une broderie qui le singularise –, un climat de fascination qui trace son sillon en profondeur, longtemps après que les histoires se sont délitées, absorbées par la « dureté blanche » de la montagne.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte Angèle Paoli






    Werner David





    LAURENCE WERNER DAVID


    Laurence Werner David
    Ph. © Luc Pâris
    Source




    ■ Laurence Werner David
    sur Terres de femmes

    Aléas (extrait d’Éperdu par les figures du vent)
    [Combien de fois…] (poème extrait de Est-ce si loin ?)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans le N° 2 de la revue de littérature Secousse, Éditions Obsidiane, novembre 2010)
    Laurence Werner David | Cavaliers de la nuit [fichier PDF]
    → (dans le N° 2 de la revue de littérature Secousse, Éditions Obsidiane, novembre 2010)
    Laurence Werner David | Cavaliers de la nuit [lu par Anne Segal]
    → (sur le site de France Culture)
    Le Carnet d’or (Page 15 – Paysages)(Pascal Quignard, Anne Bihan et Laurence Werner David, invités d’Augustin Trapenard)[10 décembre 2011]
    → (sur remue.net)
    un entretien avec Laurence Werner David
    → (sur remue.net)
    Le langage de l’attachement, par John Taylor (extraits de Paths to Contemporary French Literature, volume 3, de John Taylor, Transaction Publishers, 2011. Traduit de l’anglais par René Leroux.)
    → (sur remue.net)
    Laurence Werner David | La couturière de Dieppe, lu par Dominique Reymond
    → (sur remue.net)
    L’œil diffracté de Laurence Werner David, par Patrick Chatelier





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  • Dominique Sampiero | Nos lèvres et leurs baisers









    Nuit ne ressemble à rien mais regrette le mystère
    Ph., G.AdC








    NOS LÈVRES ET LEURS BAISERS (extrait)



         Mourir donc attend un regard qui s’ouvre et un regard qui se ferme. L’un est le bourgeon de l’autre. Sans ces yeux pour la mort, il n’y a rien. La mort n’existe pas. Sans ce regard du mourant sur le guetteur, le deuil est impossible. Fermer les yeux du mort ne tourne pas la page. Au contraire. Le livre reste grand ouvert. Il est tous les livres à lui seul. L’encombrer de paroles bibliques est juste un frisson à la surface du ciel. Il faut laisser dans son cœur le livre ouvert. S’inquiéter lorsque l’on trouve des réponses. Rester nu pour s’attacher un jour des eaux de vivre, ébloui par l’autre corps. Que notre dernier cri ne soit qu’un souffle pour remercier sur l’autre berge tout ce qui nous fut précieux.


    Nuit alors n’en revient pas
    de se souvenir


    Nuit ne ressemble
    à rien
    mais regrette
    le mystère


    Dos au mur
    nuit se lasse
    d’être en haut


    Les ombres raccommodent
    la nuit à l’ourlet
    des robes et du monde


    Nuit ne doit pas durer
    sans crier
    un jour de plus


    Si tu ne veux pas la nuit
    tu ne pourras plus
    sortir de toi


    Nuit est mouvement
    qu’on fixe dans l’élan
    de la récolte

    […]



    Dominique Sampiero, La vie est chaude, Éditions Bruno Doucey, Collection Embrasures, 2013, pp. 38-39-40.







    DOMINIQUE SAMPIERO


    Dominique Sampiero
    Source



    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes

    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    Chante-perce (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Où vont les robes la nuit (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Ici et Là, le blog de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines)
    une note de lecture de Jacques Fournier sur La vie est chaude de Dominique Sampiero
    → (sur le site de l’Université de Nantes)
    un entretien entre Bruno Doucey et Dominique Sampiero (22 janvier 2013)
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de le littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Dominique Sampiero
    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Dominique Sampiero
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    « La fièvre lyrique de Dominique Sampiero », par Jean-Michel Maulpoix





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  • 3 février 1924 | Naissance de Pierre-Albert Jourdan

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 3 février 1924 naît à Paris Pierre-Albert Jourdan. Élevé par sa mère dans la passion des livres, de la musique et de la peinture (il est âgé de quinze ans lorsque meurt son père), Pierre-Albert Jourdan fait des débuts tardifs dans l’écriture (vers 1956). Poète discret peu soucieux de reconnaissance littéraire, proche de René Char et de Henri Michaux, Pierre-Albert Jourdan fut l’ami des plus grandes voix de sa génération : Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Claude Vigée, Gustave Roud, Lorand Gaspar, Anne Perrier, Paul de Roux, Roger Munier…

    Au lendemain de la mort de Pierre-Albert Jourdan, la plupart de ses textes ― fragments, poèmes, proses ― ont été rassemblés par Yves Leclair dans deux volumes publiés aux éditions du Mercure de France, sur l’initiative d’Yves Bonnefoy et de Suzanne Jourdan (l’épouse de Pierre-Albert Jourdan). Les Sandales de paille, publié en 1987 (ouvrage aujourd’hui épuisé, mais dont une grande partie des poèmes et fragments a été rééditée en édition bilingue par un éditeur new-yorkais : The Straw Sandals : selected Prose and Poetry, Chelsea editions, New York, 2011. Traduction, introduction et notes par John Taylor) ; Le Bonjour et l’Adieu, publié en 1991. Le projet de publication d’un troisième volume (qui devait rassembler les essais et les romans et contes de l’écrivain, avec une préface de Roger Munier) n’a pu être finalisé.

    A par ailleurs été publié en 1996 un Cahier Pierre-Albert Jourdan (n° 10, sous la direction d’Yves Leclair, éditions Le Temps qu’il fait), qui comprend notamment, outre de nombreux témoignages d’écrivains, plus d’une centaine de pages inédites. Il comporte également une iconographie qui rassemble une grande part de l’œuvre picturale de Pierre-Albert Jourdan. Ce Cahier est complété d’une bibliographie. (N.B. : ce Cahier est toujours disponible).

    Un petit nombre de fidèles lecteurs, de chercheurs et d’éditeurs s’emploie aujourd’hui à faire redécouvrir cet auteur « rare », dont les éditions Voix d’encre (Pierre-Albert Jourdan, Exercices d’assouplissement, 2012) et Élodie Meunier, qui anime un site consacré à cet écrivain et qui, en 2006, a soutenu une thèse de doctorat intitulée Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme ascèse spirituelle, puis coordonné pour la revue Europe un « Cahier Pierre-Albert Jourdan » (n°935, mars 2007). Les travaux d’Élodie Meunier ont été tout récemment repris et publiés par les éditions du Cygne sous le titre : Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme voie spirituelle (2013).







    Mais comment faire exploser cette beauté, comment la retenir
    Ph., G.AdC








    LE BONJOUR ET L’ADIEU, IX (Extrait)


    La terre s’éveille chaque jour à sa tâche immense, parfois elle gonfle dans la nuit pour nous surprendre d’une branche. Je pense à ces caresses fleuries dans l’air léger, à ces bleus lointains qui ne pèsent pas, à ce mélange de terre et d’air. Le corps se déchire, s’ouvre. J’entre en rêve dans le bois de pins. Le sentier parfois se resserre et comme des murs de chaleur le bordent ; violence charnelle qui porterait au délire. Que les mots montent alors à la gorge c’est qu’il ne faut pas perdre cette trace, brûlante encore, c’est qu’il ne faut pas rester les mains vides.
    Mais comment faire exploser cette beauté, comment la retenir ? Les mots sont des pièges à force d’usure, ils se refusent, ils désertent. Il n’y a pas d’idée de devoir enfermée dans les mots. La parole est ainsi cette tâche impossible : être juste et véritable.

    Chaque jour cette tâche immense…Et pourtant il arrive que les mots gonflent dans la nuit pour nous surprendre d’un souffle frais à l’aube. Ces bleus lointains, cette légèreté impensable, voilà soudain ton capital. Tu marches et chaque mot qui se détache de toi est, à la fois, comme une pierre sur le chemin et comme une poussière d’aile. Ainsi tu énonces une vérité. Laisse venir le vent et les orages ; ta vérité est dans ce tremblement d’ombre et de lumière, cette palpitation du cœur de l’univers qui est semblable au voile d’un visage lorsque la tendresse le recouvre. Tendresse inquiète et inapaisée, battement même de la mer à ton oreille remplie de sable ; paroles de terre et d’eau, assourdies de soleil et de vent ; langage évident, immédiat…



    Pierre-Albert Jourdan, Le Bonjour et l’Adieu, Lettres à Fabienne, 1963-1965 in Le Bonjour et l’Adieu, Mercure de France, 1991, pp. 213-214. Edition établie et annotée par Yves Leclair. Préface de Philippe Jaccottet.





    Pierre-Albert Jourdan  Le Bonjour et l'Adieu






    Second tome poétique des œuvres de Pierre-Albert Jourdan, Le Bonjour et l’Adieu « réunit, suivant un ordre chronologique », poèmes et proses poétiques composées de 1956 à 1978. Le titre générique Lettres à Fabienne retenu dans cette édition est le titre donné par l’auteur des Sandales de paille à l’une de ses proses poétiques rédigée sous forme de correspondance ― une cinquantaine de lettres ― et destinée à sa fille Fabienne, alors âgée de dix à douze ans : Lettres à Fabienne.

    « S’il souhaitait dans ces lettres lui faire comprendre, et peut-être partager, son approche de l’existence, il paraît tout autant avoir tenté d’y éclaircir, à ses propres yeux, certaines questions d’importance pratique, vitale. Il y définit ainsi pour la première fois véritablement les conditions de ces moments suspendus, pleins, où l’on accède parfois lorsqu’on a, dit-il, pour un temps au moins assumé la solitude, renoncé au désespoir et à la révolte, et accepté de se perdre dans un mouvement de tout l’être vers la terre où le corps est profondément engagé et l’esprit cesse de lutter et de nier. Surtout, le constat qu’il lui est impossible d’atteindre le monde directement, dans un mouvement de désir, lui fait alors reconnaître la nécessité, pour mieux l’approcher, d’un “demi-tour” vers soi-même, d’un travail sur ce qui, en soi, sépare de lui, afin de s’en dépouiller, de s’en laver. Travail incessant, difficile, qui apparaît dans ces lettres viser d’abord à instaurer en soi une telle orientation vers le monde, une ouverture à la puissance qui l’habite, et un engagement véritable dans le “jeu” de la vie, malgré les liens tissés, les urgences ou besoins, les peurs et les crispations. »



    Élodie Meunier, Pierre-Albert Jourdan, L’écriture poétique comme voie spirituelle, Éditions du Cygne, 2013, page 19.





    Meunier




    PIERRE-ALBERT JOURDAN


    Jourdan portrait
    Ph. Gilles Jourdan
    Source





    ■ Pierre-Albert Jourdan
    sur Terres de femmes


    [L’inquiétude devant la mort] (extrait de L’Angle mort)
    La source (extrait du Bonjour et l’Adieu)
    [Ceci est ma forêt]
    Chute (extrait de L’Espace de la perte)
    Le Fil du courant
    L’Entrée dans le jardin
    Les nuages parfois s’enlisent




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Élodie Meunier consacré à Pierre-Albert Jourdan





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  • Prix européen de la critique poétique francophone
    Aristote 2013




    Les mats dans l 'eau du vieux port de Bastia ...
    Ph., G.AdC






        Je viens d’apprendre par courrier que le Cénacle européen francophone de Poésie, Art et Littérature m’a attribué le



    Prix européen de la critique poétique francophone Aristote 2013



    Je suis heureuse de partager cette nouvelle avec tous les lecteurs de

    Terres de femmes



    La remise officielle de ce prix s’effectuera le samedi 8 juin 2013 (à 14h00) au Quartier latin à Paris (Espace culturel Mompezat, 16, rue Monsieur-le-Prince, 75006).



    Autres Prix européens francophones annuels attribués par le Cénacle européen : Prix Senghor de poésie, Prix Senghor des Arts, Prix Virgile, Prix Michel-Ange, Prix Botticelli, Prix Horace, Prix Pétrarque et Prix Dante.



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  • Corse_3 Stefanu Cesari | [In un libru à a cuprendula russa]




    Le moindre geste 2






    [IN UN LIBRU À A CUPRENDULA RUSSA]



    In un libru à a cuprendula russa, ci hè un pocu di tarra chì lucichighja
    s’e no vuddemu i pàgini.


    una stodia tutti ’ssi parlachjimi, davant’à no, i ziteddi chì sò com’è l’aceddi.
    i so noma in sta lingua chè vo impiigheti sò scunnisciuti.
    piumi grisgi è verdi.
    passioni pà a furmicula russa, assuciata à a sciappitera d’un focu


    richjudimu u libru senza d’avè sisitu a lèttera nè sappiutu.
    u ghjornu batti sempri largu. ci dumandemu.
    s’e pà ugni chjama ci sarà una risposta, pà ugni filu di boci
    una tissatura






    [DANS UN LIVRE À LA COUVERTURE ROUGE]



    Dans un livre à la couverture rouge, ce peu de terre,
    brille quand on tourne les pages.


    une histoire de petites voix, les enfants comme des oiseaux.
    leurs noms sont méconnaissables.
    leur plumage, bleu et vert.
    cette passion pour la fourmi rouge c’est aussi le crépitement d’un feu
    dans une histoire


    on referme le livre sans avoir saisi la lettre, sans avoir su.
    encore le battement du jour. On se demande.
    quelle parole sera entendue, quel fil de voix
    sera tissé



    Stefanu Cesari & Sylvie Badia, U Mìnimu Gestu | Le Moindre Geste, Éditions Jean-Jacques Colonna, octobre 2012, pp. 26-27.




    _________________________________
    NOTE d’AP : Stefanu Cesari a reçu le prix du livre corse 2013 pour son ouvrage U Minimu Gestu.





    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes


    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    Bartolomeo in cristu (lecture d’AP)
    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    [Nivi, nò?] (autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)




    ■ Voir aussi ▼


    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (dans Quaderni di traduzioni, X, ottobre 2011)
    des extraits d’U Mìnimu Gestu, traduits en italien par Francesco Marotta [PDF]
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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