Étiquette : 2013


  • Nuno Judìce | Un thé dans la véranda





    Nuno Judice devant le stand des éditions de Corlevour (Marché de la Poésie  Paris  samedi 10 juin 2017)

    Nuno Judice devant le stand des éditions de Corlevour
    (Marché de la Poésie, Paris, samedi 10 juin 2017)
    Ph. D.R.








    UM CHÁ NA VARANDA




    E enquanto as ondas rebentavam na linha da praia,
    e o vento soprava nas frestas das portas e das janelas
    da varanda, a senhora de vestido de flores
    mexia devagar o chá que arrefecia, e nem
    se dava conta de que a mão que fazia o gesto
    de mexer o chá seguia o erguer dessa onda que
    se fez mais lenta para que ela não parasse o movimento
    do braço, e os dedos segurassem com
    mais força a colher. Talvez um piano, escondido
    na sua cabeça, seguisse o ritmo desses dedos
    que eu via, do meu canto, encostado à porta
    que o vento insistia em abrir para chegar
    até à mesa onde a senhora se sentava,
    e agitar o vestido até que as flores se desfizessem,
    deixando cair as pétalas na chávena
    de chá de onde ela tirou a colher, para
    beber o seu chá de flores olhando
    para as ondas que rebentam na linha da praia.



    Nuno Judìce, Navegação de Acaso, Dom Quixote, Lisboa, 2013.






    Nuno Navegaçao







    UN THÉ DANS LA VÉRANDA




    Pendant que les vagues éclataient sur le bord de la plage,
    et que le vent soufflait dans les rainures des portes et fenêtres
    de la véranda, la femme vêtue de fleurs
    remuait lentement le thé qui rafraîchissait, et ne
    se rendait pas compte que la main qui faisait ce geste
    suivait le lever de cette vague se faisant
    plus lente afin de ne pas arrêter le mouvement
    du bras, et que les doigts puissent suivre avec plus
    de force la petite cuiller. Peut-être qu’un piano, caché
    dans sa tête, suivait le rythme de ses doigts
    aperçus, dans mon coin, appuyé à la porte que
    le vent persistait à ouvrir, pour aller jusqu’à
    la table où la femme s’était assise, et à agiter
    le vêtement jusqu’à ce que les fleurs se défassent,
    laissant tomber les pétales dans la tasse
    de thé d’où elle avait tiré la cuiller, pour
    boire son thé de fleurs en regardant
    les vagues déferler sur le bord de la plage.



    Nuno Judìce, Naviguer à vue, poèmes, Revue Nunc | Éditions de Corlevour, 2017, page 33. Traduit du portugais par Béatrice Bonneville-Humann et Yves Humann.






    Nuno Judice  Naviguer à vue





    NUNO JÚDICE


    Nuno_judice1
    Source




    ■ Nuno Júdice
    sur Terres de femmes

    Désir (poème extrait de Geometria Variável)
    Deus (poème extrait de Meditação sobre Ruínas)
    Lisboaxaca (poème extrait de Guia de Conceitos Básicos)
    Semiología (poème extrait de o movimento do mundo)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions de Corlevour)
    la page de l’éditeur sur Naviguer à vue
    → (sur BiblioMonde)
    une notice bio-bibliographique sur Nuno Júdice
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une page sur Nuno Júdice
    → (sur lepetitjournal.com)
    un portrait de Nuno Júdice
    → (sur le site de la Fondation Calouste Gulbenkian)
    une bio-bibliographie (en portugais) de Nuno Júdice
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Nuno Júdice dits par l’auteur
    → (sur Recours au Poème)
    cinq poèmes de Nuno Júdice traduits du portugais par Béatrice Bonneville et Yves Humann





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  • Goliarda Sapienza | Notte siciliana



    NOTTE SICILIANA



    La luna mente
    La lingua fra le labbra
    Sanguina
    Sul silenzio convulso degli uccelli
    Dietro c’è un sole






    Sapienza A
    Ph., G.AdC






    [NON SAPEVO CHE IL BUIO NON È NERO]



    Non sapevo che il buio
    non è nero
    che il giorno
    non è bianco
    che la luce
    acceca
    e il fermarsi è correre
    ancora
    di più



    Goliarda Sapienza, Ancestrale, La Vita Felice, collana Labirinti, 2013, pagine 126 e 45. Prefazione e cura di Angelo Pellegrino. Postfazione di Anna Toscano.






    Ancestrale-2 (1)








    NUIT SICILIENNE




    La lune ment
    La langue entre les lèvres
    Saigne
    Sur le silence convulsé des oiseaux
    Derrière il y a un soleil






    Sapienza B
    Ph., G.AdC






    [JE NE SAVAIS PAS QUE LE FOND N’EST PAS NOIR]



    Je ne savais pas que le fond
    n’est pas noir
    que le jour
    n’est pas blanc
    que la lumière
    aveugle
    et que s’arrêter c’est courir
    encore
    plus



    Goliarda Sapienza, in Revue Les Carnets d’Eucharis, 2017, pages 139 et 141. Traduit de l’italien par Silvia Guzzi.




    GOLIARDA SAPIENZA


    Goliarda_sapienza
    Ph. © Angelo Maria Pellegrino
    Source




    ■ Goliarda Sapienza
    sur Terres de femmes

    C’est prévu (autre poème extrait d’Ancestrale)
    L’Art de la joie (Chronique de Marie Fabre)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Goliarda Sapienza (+ incipit de L’Art de la joie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poetarum Silva)
    sept autres poèmes de Goliarda Sapienza, extraits d’Ancestrale [PDF]





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  • Claude Vigée | Rien n’est jamais perdu



    Opticien de l’amour, géomètre des larmes,
    Image, G.AdC







    RIEN N’EST JAMAIS PERDU



    Rien n’est jamais perdu tout entier dans ma vie,
    aucun été ne sombre à jamais dans la nuit :
    mon cœur sait rappeler tant d’oiseaux par leur nom —
    mes vergers ne sont pas livrés à l’abandon.

    Dans le bois automnal où brûle un mur de feuilles
    je suis bu par l’œil noir et rond de l’écureuil.
    Opticien de l’amour, géomètre des larmes,
    quel monde naît de moi dans son berceau de cils ?

    La pierre est l’œil fermé de la terre immobile.
    Dans la prison nocturne où son cristal s’accroît
    l’éclair de mon regard la revêt de ses armes.

    À chaque essor du jour mes paupières s’envolent,
    les grives font leur nid dans mes moindres paroles,
    une étoile palpite au bout de mes dix doigts.



    Claude Vigée, Poèmes de l’Été indien [Gallimard, 1957], in L’Homme naît grâce au cri, poèmes choisis (1950-2012), édition établie, présentée et annotée par Anne Mounic, Points Poésie, 2013, page 101.






    Claude Vigée, L'homme naît grâce au cri,






    CLAUDE VIGÉE (1921-2020)


    Claude Vigée 2
    Source




    ■ Claude Vigée
    sur Terres de femmes


    L’amandier sous la lune (extrait d’Apprendre la nuit)
    Soufflenheim (extrait de Pâque de la parole)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Claude Vigée
    un site sur Claude Vigée





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  • Alain Freixe | [on serait à couvert sous les arbres]



    [ON SERAIT À COUVERT SOUS LES ARBRES]




    on serait
    à couvert sous les arbres
    dans un sous-bois
    où souriraient
    de sombres violettes



    soudain
    rompant le silence
    monterait le chant
    d’un oiseau inconnu
    passereau de l’âme
    un instant renouée



    ainsi passe le nom
    dans le vent implacable
    d’un regard d’encre
    parfum et musique
    voix silencieuse du poème




    Alain Freixe, « Vers les jours noirs » in Vers les riveraines, Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013, page 107.








    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • [14 novembre 2016 – campagne de lecture] Asli Erdoğan | Est-ce moi




    Terres de femmes répond à l’appel lancé ce jour par Tieri Briet et Ricardo Montserrat Galindo : diffuser le plus possible, le plus largement possible, le plus fort possible, la parole d’une écrivaine emprisonnée qu’un régime autocratique veut étouffer.

    Tous ensemble, relayons la liberté.







    EST-CE MOI



    Qu’est-ce que je cherchais là ? Il ne restait rien qui fût moi. Rien de ce qui était en moi n’était digne de s’appeler ainsi, capable de se concrétiser face à quelqu’un d’autre, de persister tout au long d’un destin, jusqu’à la fin d’une histoire. Quand j’ouvris les yeux, je me retrouvai dans un univers pétrifié. Couleur cendre, couleur fumée, couleur cœur… Je fermai les yeux, je les rouvris, j’étais toujours au même endroit, dans la même réalité hors du monde. Je roulais vers les profondeurs d’un cauchemar ; j’essayais de me raccrocher à quelque chose pour m’arrêter, parfois je réussissais à grand-peine à me redresser, mais c’était en vain, je tombais. Tout ce qui jusqu’à ce jour m’avait maintenue debout, à la surface de la terre, à l’intérieur de mon corps, échappait instantanément à mes bras. Dans ce gouffre désert, tout à fait étranger, je ne trouvais pas un seul mot auquel me cramponner, auquel grimper en m’aidant des ongles et des dents. D’ailleurs, si même j’en avais trouvé un, comment aurais-je pu m’y accrocher, avec ces mains blafardes et ces dents brisées ? Le sang qui coulait sans arrêt, tiède, amène, bienveillant, de mes dents du haut, se répandait sur mon palais, suintait au coin de mes lèvres et emplissait mes fosses nasales. Ne pouvant plus rester dans mon corps tremblant et éperdu, il cherchait à jaillir hors de mes veines, mais au dernier moment, il ne pouvait se décider à me quitter. Mais qu’il était long à sécher… Je n’avais pas mal, le goût du sang est moins salé qu’on le dit, mais je ne pouvais empêcher mes mâchoires de s’entrechoquer. Ceux qui connaissaient mal la nature humaine et se figuraient que la souffrance a un début et une fin prétendaient que rien n’est aussi terrible qu’on le craint… Mais ils n’ont surplombé que des gouffres familiers, ils n’ont jamais été aspirés dans la spirale sans fin de la peur… « Après tout, ce sera fini à l’aube », disaient-ils. Mais l’aube ne peut sortir que de la nuit. Avant le lever du jour tu me livreras trois fois. J’étais confinée dans un Maintenant infini, tout d’une pièce, qui a perdu sa petite aiguille et dont la grande aiguille parcourt sans cesse le même cercle. […]



    Asli Erdoğan, Le Bâtiment de pierre, récit traduit du turc par Jean Descat, Actes Sud, 2013, pp. 55-56.






    Asli Erdogan, Le Bâtiment de pierre




    ASLI ERDOĞAN


    Asli Erdogan




    ■ Voir aussi ▼

    La tribune de Tieri Briet
    L’appel lancé par Tieri Briet et Ricardo Montserrat Galindo
    Une pétition demandant la libération immédiate d’Asli Erdoğan circule, vous pouvez la signer en cliquant ici






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  • Sophie Braganti | [On dit souvent]




    [ON DIT SOUVENT]




    On dit souvent d’un homme qui tient ses promesses que c’est un homme de parole on dit aussi quand il ne change pas de chemise qu’il n’a qu’une parole mais des femmes on dit qu’elles parlent davantage que les hommes qu’elles sont des moulins à paroles si pour les femmes la parole se veut facilement plurielle intime plaisir la parole est alors féminine le silence masculin monolithe dans le Carré blanc sur fond blanc moi souvent je trouve que quand le silence rencontre la parole ça sonne comme le vent qui se faufile entre les branches grincent craquent murmures de feuilles le vent que de loin on voit on entend venir les sommités un peu secouées froissées disent le vent et que le vent parle à l’oreille d’un orage puis après la rage il se décourage on se bataille dans l’herbe plus pour l’herbe que pour la bataille on entend la parole dans le silence et vice versa.



    Sophie Braganti, Crac, éditions Gros Textes, 2013, page 47.






    Crac







    SOPHIE BRAGANTI


    Sophie Braganti
    Ph. Eric Caligaris
    Source





    ■ Sophie Braganti
    sur Terres de femmes

    [Des fois je regarde la vie avec ses absences] (extrait d’Avant le lac)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le blog gros textes)
    une notice bio-bibliographique sur Sophie Braganti
    → (sur le site du cipM, centre international de poésie Marseille)
    une fiche bio-bibliographique sur Sophie Braganti
    → (sur le site de Sophie Braganti)
    une bio-bibliographie de Sophie Braganti





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Goliarda Sapienza | C’est prévu

    « Poésie d’un jour

    choisie par Silvia Guzzi



    È PREDISPOSTO




    È predisposto.
    La tua vita
    in riva al mare
    la mia morte
    in fondo al pozzo.
    È predisposto,
    la tavola apparecchiata
    con vetri e con coltelli.
    È predisposto
    da tempo
    il tuo tornare al mio
    pozzo d’acqua piovana.



    Goliarda Sapienza, Ancestrale, La Vita Felice, collana Labirinti, 2013, pagina 24. Prefazione e cura di Angelo Pellegrino. Postfazione di Anna Toscano.






    Ancestrale-2 (1)







    C’EST PRÉVU





    C’est prévu.
    Ta vie
    au bord de mer
    ma mort
    au fond du puits.
    C’est prévu,
    la table dressée
    avec les verres et les couteaux.
    C’est prévu
    depuis longtemps,
    ton retour à mon
    puits d’eaux pluviales.



    Traduit de l’italien par Silvia Guzzi




    GOLIARDA SAPIENZA


    Goliarda_sapienza
    Ph. © Angelo Maria Pellegrino
    Source





    ■ Goliarda Sapienza
    sur Terres de femmes

    Notte siciliana (autres poèmes extraits d’Ancestrale)
    L’Art de la joie (Chronique de Marie Fabre)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Goliarda Sapienza (+ incipit de L’Art de la joie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poetarum Silva)
    sept autres poèmes de Goliarda Sapienza, extraits d’Ancestrale [PDF]





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Maël Guesdon | [de temps en temps il y avait]




    [DE TEMPS EN TEMPS IL Y AVAIT]




    de temps en temps il y avait .

    lentement de sa voix ralentie il y avait
    dans son questionnaire une partie facultative

    elle écrivait — il ne sait plus pourquoi —

    confrontation de forces .

    je me souviens

    il y avait au fond de la classe à droite
    une porte cassée dans un coin enfoncé du mur




    jeudi souvenirs vagues et confus
    vendredi je n’ai pas dormi chez moi




    elle parle une langue étrangère .
    elle dit rouge à la place de .




    ses lèvres blanches immobiles  cherchent  à  comprendre

    les mouvements de sa bouche à lui qui tangue et répète à

    mesure que la bande se retourne

    . les notes amenées

    dans la longueur du plan . lorsque de retour —

    fait-on impression ? — les temps viennent par leurs rires

    dire que cela se voit . à  franchir  nous  vous  invitons .  à

    côté de plans miniatures atteints

    d’une partie de notre avenir




    il frappe le mur
    s’effondre

    fissuré

    fumée sur toit
    ouvre la combe



    devine qu’elle

    enceinte

    et suis leur ombre à deux




    Maël Guesdon, sorgue, Éditions de La Crypte, 2013, s.f. Prix de la Crypte – Jean Lalaude 2013.






    Sorgue







    MAËL  GUESDON


    Mael Guesdon
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Maël Guesdon







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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Albertine Benedetto | Glottes



    Manège de la liste des souvenirs des courses des idées des bouts de phrases glanées
    Ph., G.AdC






    GLOTTES
    (extrait)




    ….me Virginia par la bouche de Mrs Dalloway qui dit qu’elle achètera elle-même les fleurs pour le soir ça n’est pas neuf mais c’est dans moi aussi cette coulée verbale une bouillie le plus souvent les mille riens qui font une existence quelque chose de pitoyable si on y pense trop tellement de matière comme une boue et le verbe nous tient la tête hors sinon ces choses de la vie si petites nous prendraient entièrement alors les mots braves fourmis en colonnes serrées qui vont à leur affaire sans se poser de questions classent rangent trient nomment nettoient jusqu’à la cendre l’insignifiance du vivre on voudrait bien parfois que ça s’arrête parce que ça tourne à l’obsession ce manège de la liste des souvenirs des courses des idées des bouts de phrases glanées ce matin au café entrées elles aussi dans la sarabande ce gaspillage des mots cette merveille tout ça parce qu’on se croit vivant à passer repasser la bande des étiquettes des fois qu’on se perdrait qu’on ne saurait plus où ça se trouve la vie à vivre alors la zique en fond sonore meuble le temps ainsi le verbe jusqu’à la fin l’éternité je crois n’est pas autre chose que le silence la bande son coupée net pfuitt effacée en une fraction de seconde mais tant que alors ça parle rien à faire tous ces mots qui ne servent à rien sinon à défier la mort défilement scories de l’espace et du temps si on les enlevait on resterait stupide si on ne se disait que les mots vrais de ceux qu’on ne prononce pas à la légère même tout bas même pour soi les mots qui font peur et battre le cœur et rire on serait comme des blocs vides privés de la circulation incessante de ces mots ridicules qui ne veulent rien dire mais qui sont là juste pour leur alignement comme sur les monuments aux morts des villages de France ou ceux du Mémorial du World Trade Center tous les mêmes à force d’insignifiance même quand les nouvelles du monde t’arrivent en caravanes radioscopiques te traversent comme si tu étais un jardin rafraîchissant te traversent la guerre la bourse les sans-logis les noyés de la nuit entre deux continents comme toi dans ta vie un radeau entre nuit et jour qui sait si tu y arriveras mais soudain tu as honte des derniers mots pourtant ils se sont élancés à la suite des autres tu n’y peux plus rien comme pour le reste ça avance tout seul dans ta tête et ailleurs c’est pareil à croire que personne n’est maître qu’on fait semblant d’hésiter de choisir quand les mots se bousculent et font toute l’histoire même celle que tu aurais préférée tenir secrète tes blessures intimes pas toujours belles à voir même celle dont tu te fiches tu n’es qu’une éponge à mots il arrive que ce soit toujours le même qui s’obstine tu refais le geste inlassablement d’une qui tord le même linge jusqu’à le presser de toute l’eau et le mettre à sécher au vent et au soleil sauf que pour toi il n’y a ni vent ni soleil juste l’eau à presser tellement que tu dois en avoir la cervelle toute rouge ou verte à force tu vas devenir mousse mais tu sais que jamais les mots ne prennent racine ils finissent par s’arracher même quand ça patine ça finit par avancer avec une secousse un hoquet ça reprend la ligne et ça file droit les mots laissent la place aux mots dans l’interstice du sommeil il y les mots du rêve morts nés mais au réveil tu continues avec juste un peu plus d’ombre des mots en creux des mots imprononcés qui alourdissent le train tu voudrais bien fermer l’accès t’asseoir au milieu d’eux ne pas toujours marcher au milieu des avalanches des éboulis déblayer un peu le chemin goûter la transparence te tenir prête pour accueillir le mot celui qui te ferait danser au lieu d’avoir le nez sur les choses pas moyen de prendre un peu de hauteur c’est toujours rasibus les mots ne t’aident pas ils t’enfoncent même si tu fermes les oreilles que tu éteins radio ordinateur que tu te fais sourde à la jacasserie du monde parce que tu ne veux plus de ce désert où des hommes crient tu sais qu’il faudrait aller plus loin dans la clôture t’amputer peu à peu des nouvelles des aimés et puis ne plus bouger parce que la moindre oscillation tu le sais provoque le tangage des mots et que l’inquiétude de vivre passe par ce roulis tu le sais alors tu vas continuer sans savoir jusqu’où tu pourras le supporter si à force de bavardage tu n’en auras pas assez de ces parasites com…



    Albertine Benedetto, « Glottes » in Glossolalies, éditions de l’Amandier | Poésie, Collection Accents graves Accents aigus, 2013, pp. 22-23-24.






    Albertine Benedetto, Glossolalies
    ALBERTINE BENEDETTO


    Albertine Benedetto.
    Source




    ■ Albertine Benedetto
    sur Terres de femmes


    [Ordinaire] (extrait du Présent des bêtes)
    [Si calme le piano] (extrait de Sous le signe des oiseaux)
    Vider les lieux (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Baltique



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Albertine Benedetto
    (sur le site des éditions de l’Amandier)
    la fiche de l’éditeur sur Glossolalies





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo

    par Marie-Hélène Prouteau

    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo,
    éditions Panafrika | Silex-Nouvelles du Sud, 2013 ;
    seconde édition mai 2014.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Ce livre, Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo, se présente comme une sorte d’anthologie poétique autour de ce « contemporain capital » qu’est Nelson Mandela.

    Les éditions Panafrika | Silex-Nouvelles du Sud qui le publient se situent dans la continuité des publications des éditions Silex. Cette maison a été fondée à Paris en 1980 par le poète Paul Dakeyo. Celui-ci est un des premiers parmi les écrivains de langue française, à avoir livré, en 1977, une « parole en colère », dans le recueil Soleils fusillés consacré aux enfants massacrés de Soweto. Cette veine engagée se retrouve ici dans cet hommage où il réunit cinquante poètes de diverses générations et de divers pays d’Afrique noire, du Maghreb, des Antilles, comme de Belgique, de France et de Suisse.

    Cette somme poétique de 368 pages s’ouvre sur une introduction pleine de ferveur de Jean-Damien Roumieu. Viennent ensuite les « Regards croisés » de Marie-José Hoyet et de Pius Ngandu Nkashama, qui inscrivent ce livre dans son arrière-plan culturel et historique (tableaux de sang brûlants de Sharpeville, enfants martyrisés de Soweto, arrestations diverses, supplice de Steve Biko, le leader de Black Consciousness Movement). Le livre est ensuite construit autour des « Poèmes », chaque auteur étant présenté par une brève biographie.

    Le mérite de cette anthologie est de faire entendre des voix plurielles, généreuses, de poètes connus et d’autres peu connus ou ayant peu publié.

    Il en ressort une série de différents visages de Nelson Mandela qui s’emboîtent comme des poupées russes. Ainsi l’enfant du pays xhosa, l’étudiant formé à la culture européenne, l’avocat qui apprend le droit à Johannesburg, le dirigeant de la nation arc-en-ciel, l’acteur de la réconciliation, le sage imprégné de l’ubuntu, cet idéal xhosa qu’évoque Christophe Forgeot : « Je suis parce que nous sommes ».

    Sur le prisonnier de Robben Island, on lit, ému, le poème « Le Cap de Désespérance » du Mauricien Edouard Maunick. Et puis le superbe « J’appartiens au grand jour », où Paul Dakeyo fait revenir ce vers : « Envoyez-moi des nouvelles », refrain qui résonne dans le silence de la prison.

    Mais le fil directeur du livre tient à la grandeur de l’icône, porte-parole de tous les hommes de couleur bafoués, et finalement de tous les hommes. Bruno Grégoire rappelle le propos fondateur de Mandela : « Je me suis battu contre la domination blanche. Et je me suis battu contre la domination noire ». À travers des textes, pour certains datés, « Paris 1996 », « Dakar 1982 », « Lomé 2010 », il est touchant de voir mise en mots, au cœur du poème, la longue mise en souffrance et en épreuve de Mandela.

    Nelson Mandela est fait pour les puissantes images épiques, Gandhi, Luther King (Barnabé Laye), Malcom X (Edouard Maunick), Toussaint Louverture (Jean Métellus, Josué Guébo), Lumumba (Jean-Claude Awono), Victor Hugo (Philippe Cantraine), figure christique (Joachim Paulin). Une contribution d’un autre genre nous vient d’André Benedetto, pilier du off d’Avignon, qui nous livre ici une scène entre le président Botha et le chef Buthélézi. Texte de théâtre qui fait vivre l’invincible résistance de Mandela qui a toujours refusé de marchander sa libération.

    Tous les réseaux possibles d’images traversent les langues, les époques, les tragédies — la traite négrière des ports de Nantes et Bordeaux et les forfaits de la colonisation des Boers se font écho — et prennent les dimensions amplifiées de la planète entière. Mandela se voit assimilé dans l’imaginaire à un arbre puissant, « cèdre tutélaire » pour Jean-Damien Roumieu. Le poète Francis Combes le voit ainsi :

    « Un baobab est en prison

    interdit de lumière

    Mais dans l’ombre il grandit

    il prend de plus en plus de place… »

    C’est la réserve de symboles et d’images de l’histoire des peuples noirs qui se trouve ainsi mise en avant.

    Yasmina Kadra élargit même la vision dans le poème « Afrique » aux maux de ce continent, « l’imposture… l’éloge des tyrans » qui ronge certains régimes du continent noir. Élargissement aussi à « la saison blanche et sèche » de l’écrivain André Brink, que convoque le poète Joachim Paulin.

    Pour faire pendant à l’horreur de l’apartheid et au combat de Mandela, il fallait ce flux pressant, puissant de l’oralité. Apostrophe, invocation, incantation pour dire la colère et la joie.

    Nombreux sont les poèmes qui prennent une forme parlée ou chantée, hymne à l’otage de Robben island (Aminata Barry), ode (Suzanne Dracius), « danse makossa », « chant haïtien », « chant en wolof », « ballade des shantis ».

    C’est la lutte infatigable de Nelson Mandela pour la liberté qui le rend fraternel à tous. L’aventure intérieure hors norme d’une figure à la fois héroïque et profondément humaine est ici restituée. Chercher l’homme sous l’icône, c’est ce que font les poètes Adamante et Aminata Barry. La première évoque cette vie qui manque à la vie, dans l’infini du temps geôlier :

    « loin des caresses

    loin des émois

    avec seule

    la mémoire

    brûlante »

    La poète guinéenne saisit, elle, la métamorphose qui se joue dans l’expérience immense de l’enfermement :

    « Robben Island, le châtiment ?

    Non ! la discipline

    Un lieu de transformation

    D’élévation spirituelle […]

    Tu n’as jamais été aussi libre que sur ce lieu hostile ».

    Une autre dimension est aussi présente dans plusieurs poèmes : une certaine musique triste. Le lyrisme des poètes qui ont quitté l’Afrique et leur propre pays, comme le poète togolais Jean-Jacques Dabla :

    « Tu aurais pu

    Comme nous autres partir

    Fuyards mutiques »

    Il faut alors entendre la mauvaise conscience, la blessure et le regret qui imprègnent ces poèmes.

    Habité d’un vrai souffle, Monsieur Mandela est un beau livre de témoignages et d’hommages dans la voix du poème. Il palpite de la force toujours vivante de celui qui fut la sentinelle de l’humanité.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes








    Mandela





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