Étiquette : 2013


  • Jacques Estager, Douceur

    par Muriel Stuckel

    Jacques Estager, Douceur,
    éditions Lanskine, 2013.
    Photographies de Jean-Luc Meyssonnier.



    Lecture de Muriel Stuckel



    Jean-Luc Meyssonnier 2
    Ph. Jean-Luc Meyssonnier
    Douceur, pp. 11 et 49.








    « LA DOUCEUR QUI FASCINE » DANS LA POÉSIE DE JACQUES ESTAGER : UNE ÉCHAPPÉE DU DÉSIR




    « Vois sa douceur, et ton exaltation. »

    Hölderlin





    Pas une page sans Douceur. Le charme est immédiat, saisissant, profondément valéryen.

    Féminisation incantatoire, la douceur devenue Douceur caresse les yeux du lecteur. Émergence, convergence, résurgence, la figure se lance dans un pas-de-deux littéral, esquissant une chorégraphie verbale, s’affranchissant des limites de la syntaxe et de la ponctuation pour dérouler une danse de mots, de phrases, de strophes, de blancs, autant de visions à la fois fluides et voluptueuses où s’abolissent le temps et l’espace pour devenir célébration de la création absolue.

    La plume extrêmement délicate de Jacques Estager ne manque pas de revivifier les réflexions de Hölderlin à propos de la sensibilité : « à condition qu’elle soit juste, et fervente, et lucide et vigoureuse, la sensibilité constitue sans doute la meilleure sobriété, la meilleure réflexion du poète. »

    Justesse et ferveur nous touchent particulièrement, échappant à tout risque de candeur mièvre ou de complaisance béate, naïve, facile. Les clichés s’évaporent, les lieux communs se volatilisent, tout se révèle profond et léger. Essentiel, ce paradoxe de la profondeur légère fonde la virtuosité douce de cette voix lyrique si personnelle, inouïe.

    La fluidité de l’écriture repose sur un effet de scansion subtil instauré par la graphie italique qui peu à peu nous fait glisser de l’expression inaugurale une nuit (p. 9) à celle terminale (p. 67) dans la pénombre, en passant soit par d’autres notations temporelles comme dans la soirée (p. 18), la nuit (p. 50), autant de variations sur le même motif de l’ombre, soit par des notations énigmatiques, en bas de page comme un mot des fleurs (p. 26) ou, en haut de la page suivante, avec un effet de suspension dû à l’ouverture seule de la parenthèse : (main de Pierre. Deux autres bribes en italiques se distinguent pour rythmer ce long poème. L’une cite la figure éponyme pour en accentuer l’évanescence baudelairienne, précisément avant le verbe « passer » :

    «passage de Douceur, les feuilles si elles passent sous les pas de Douceur,

    dans ses pas des feuilles Douceur dise cela, »

    (p. 41)

    L’autre énonce une atténuation fallacieuse pour mieux dire le désir exacerbé par « la même solitaire Douceur, l’éloignée de moi » (p. 56) : ne s’éloigner ouvre en haut de page suivante une évocation entrelaçant volupté cosmique et frôlement sensuel :

    « ne s’éloigner

    […]

    arbres et feuilles, au ciel, nous sommes et

    que nous toutes frôlées, ciel, respirant, tout le monde dehors ;

    si j’avais eu le temps, dehors, toujours reculerai dans la transparence

    me reculerais de moi dans la transparence de moi (là un blanc),

    rêveur au-delà de rêveur de Douceur

    de Douceur à presque rien de la dire

    à tout presque de, robe, la frôler »

    (p. 58)






    Meyssonnier

    Ph. Jean-Luc Meyssonnier

    Douceur, page 71.






    Poésie du désir, cette Douceur faite femme se lit comme une litanie spontanée, impromptue, jaillissant d’une recherche de transparence qui renonce à tout ce qui pourrait lui faire obstacle. L’immédiateté s’avoue comme sortilège volubile émanant d’une parole renouvelant le topos du désir amoureux dès l’incipit :

    « une nuit,

    je suis sorti du chemin creux, du travers des ornières

    et de l’image et de la lumière et dans le jour et d’avant l’image

    je suis resté là, un temps noir

    et, là, ma pierre, dans le jour d’avant la lumière,

    […]

    la nuit, toujours avec Douceur la blancheur est tellement profonde

    l’image nue et image de Douceur, j’y suis minces défilés de moi noir

    pour l’image nue noire de moi

    Douceur est à Douceur qui s’allonge derrière le ciel

    comme s’allonge le ciel blanc, dans des jours, »

    (p. 9)

    Noirceur, blancheur, douceur tissent des liens subreptices entre la voix énonciative du je désirant et « cet obscur objet du désir » qui, pure quintessence du féminin, s’offre en déclinaisons charmeuses :

    « les jours et les jours le jour à la nuit le jour au soir

    de Douceur, Douceur à Douceur

    Douceur le même mot des fleurs les premiers mots Douceur de Douceur

    et dits de Douceur à Douceur

    puis seconds les silences de Douceur puis suite de Douceur et de la clarté-même,

    et de vent et, sans le vent, le vent »

    (p. 38)

    L’anaphore profuse de « Douceur » se fait signe d’ébriété verbale, onomastique. L’ivresse de dire le nom de l’aimée-désirée submerge le poète quand il profère à deux reprises « je veux dire » (p. 30) ou quand il l’énonce plus simplement sans semi-auxiliaire pour cultiver l’art précieux de la fluidité où chaque mot se prononce avec l’imminence de son écho grisant :

    « dans le ciel Douceur s’appuie sur le ciel qu’il n’y aura plus que d’immémorial, mais dire le ciel, de rêverie,
    je le dis le pareil de la pareille les doigts dans nos doigts,
    la parole de la silencieuse blanche rêveuse rêverie,
    ciel, de Douceur »
    (p. 50)







    Jean-Luc Meyssonnier 3

    Ph. : Jean-Luc Meyssonnier






    Le redoublement lexical délibéré résulte d’une véritable délectation poétique, de la profonde jouissance à dire et redire les mots en dépassant les codes syntaxiques usuels ou les expressions lexicalisées. La neutralité de « du pareil au même » par exemple devient « le pareil de la pareille », scellant l’ivresse de la similitude sonore et de la distinction générique à même de susciter le désir. Tout s’invente, tout se renouvelle, à partir des mots les plus éthérés avant qu’ils ne chutent sur une comparaison prosaïque avec un effet de discordance assuré :

    « longer l’étoile de Douceur, les étoiles la nuit, la pensée de Douceur,

    les bruits et froissements, vents, et eux-mêmes on ne les entend pas

    et feuilles elles-mêmes se couchent à peine sur l’image

    Douceur elle-même, Douceur nue corps, la nuit, toute la nuit, de nous,

    Douceur, comme à la maison »

    (p. 54)

    Symbole de fluidité lyrique, la conjonction « et » s’élance souvent pour relancer la magie du verbe poétique et retisser l’émerveillement du désir impétueux, de l’approche sensuelle, de la fusion exaltée, comme dans ce long vers monostiche placé en bas de page qui offre une représentation paroxystique de la volupté tactile induite par « touchée » ou « rejoints » :

    « dans l’étoile et le ventre et la voix et l’alcôve de Douceur touchée des doigts rejoints »

    (p. 64)

    La valeur itérative du préfixe « re » ne manque pas d’accentuer le mouvement de rapprochement et d’effleurement entre les deux amants, sans compromettre la douce musicalité qui se dégage du vers. Celle-ci se fonde en effet sur l’alliance délicatement rythmée des dentales (t/d) et des fricatives sourdes (v) comme sur la fluidité des sonorités liquides et vibrantes (l/r) pour mimer le charme de Douceur, son chant secret, son « carmen » intime.

    La rareté ou l’absence de signe de ponctuation forte mettent en valeur l’usage prédominant de la virgule, signe d’union douce entre les mots, entre les lieux intimes ou oniriques, entre les éléments naturels ou cosmiques, comme dans ces vers où se relève un jeu de variation sur le motif chorégraphique de la « ronde » :

    « de tout, monde, je m’élèverai à travers les terres blanches et,

    dans Douceur, ses jambes, et elle et l’étoile,

    du jour tout de même la ronde derrière nous, et

    nous nous arrêtons à la ronde, derrière la maison, ne pèserons pas, aux fleurs »

    (p. 66)

    « Ronde » de mots et de motifs, la poésie de Jacques Estager refuse toute forme de pesanteur. L’ivresse spatiale s’allie aux vertiges d’une temporalité indécise, fluctuante, oscillatoire, esquissant une « arche de lumière » où tout s’effleure et se suspend, clarté, blancheur, douceur, pour célébrer l’intensité précaire du désir :

    « tel je suis couché debout dans l’arche de lumière qui me frôle

    caresse claire et blanche au jour de désormais et de clair et de blanc »

    (p. 17)

    Légèreté profonde, présence fulgurante et évanescente, Douceur est à la fois saisie et échappée, un peu comme dans le film de Resnais L’Année dernière à Marienbad où la splendeur du décor baroque sublime l’ardeur érotique de ce qui se dérobe sans cesse, voile, ombre, figure éthérée mais charnelle : une danse du désir infiniment palpable, le temps d’une vision vibrante, comme dans l’unique vers qui sépare en deux la page ultime du livre :

    « rien avant tout, de Douceur ou moi, si seulement, midi moi au milieu de la nuit, j’ai le temps de voir »

    « Sous la courbe » des yeux du poète mais aussi du lecteur, cette « Douceur qui fascine » ne manque pas d’incarner une poésie de la résurgence plurielle. Entre « Un rond de danse et de douceur » et « Douceur d’être et de n’être pas », entre Baudelaire, Valéry et Éluard, se dessine une pure chorégraphie du désir, à la fois immémoriale et renouvelée : au bord de l’échappée, au cœur de l’exaltation.



    Muriel Stuckel
    D.R. Texte Muriel Stuckel
    pour Terres de femmes








    Jacques Estager, Douceur






    JACQUES ESTAGER


    Estager (1)
    © Jacques Estager
    Source :
    Les Carnets d’Eucharis
    de Nathalie Riera




    ■ Jacques Estager
    sur Terres de femmes

    c’est re-moi (poème extrait de Je ne suis plus l’absente)
    [il y a des ombres…] (poème extrait de Deux silhouettes, Cité des Fleurs)



    ■ Autres notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings

    par Sabine Huynh

    Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings,
    Corrupt Press, 2013 (en anglais).



    Lecture de Sabine Huynh




    The Sun Brings est le premier recueil en anglais de Christophe Lamiot Enos. Il a été publié en 2013 par The Corrupt Press, une maison qui s’intéresse à la poésie d’anglophones résidant dans des pays non anglophones. Les œuvres en français du poète sont notamment éditées chez Flammarion, Passage d’encres, les éditions de l’Amandier, et les Presses Universitaires de Rouen et du Havre. Dès les premiers vers de The Sun Brings, nous prenons conscience de la puissance de la poésie offerte par le poète, dans une langue étonnamment fraîche, fluide et musicale :

    « Using a freshness in words / with bungalows on campus / provides some hope, the feeling / of notebooks throughout Europe / converging toward change » ― « Employer des mots débordant de vie / avec des pavillons sur le campus / donne un peu d’espoir, comme si / à travers l’Europe tous les carnets / convergeaient vers le changement ».

    Quand on l’entend lue à voix haute par son auteur, cette poésie coule, elle est flots, elle est chant, avec ses séquences et ses refrains, et l’on ne peut s’empêcher de penser à Pessoa, qui parlait d’écriture « qui danse, qui chante, qui se déclame d’elle-même. Il y a des rythmes qui sont de véritables danses, où la pensée se dénude en ondoyant, avec une sensualité translucide et parfaite » (Le Livre de l’intranquillité). Quand on la lit de près sur la page, on constate la force de son aspect formel, et son allure quelque peu claudicante aussi, puisqu’elle semble vouloir nous empêcher de la lire trop vite, nous retenant dans les rets de ses répétitions, de ses ellipses et de ses retournements, nous bousculant avec une langue qui est elle-même bousculée çà et là, syntaxiquement (pas dans ses sonorités), mais pas systématiquement, donnant parfois l’impression que l’anglais (désor)donné à lire n’est pas grammatical et ne fait pas sens. Et pourtant…

    Malgré l’apparente aberration occasionnelle qui interpelle le lecteur, sens et symbolisme sont bien là, avec cette impression que la vie (se) démembre, (se) disloque, et surtout que le chant orphique continuera à résonner, même la tête en bas, car le corps, au centre de ce recueil, s’est enveloppé de mots, sa nouvelle peau, constituée de morceaux de puzzle que le poète déplace inlassablement, créant des variantes, tentant de produire plus de sens, pour épaissir cette membrane protectrice ― le bouleversement syntaxique contribue à cette impression de confusion évoquée plus haut, tout en élargissant les possibilités sémantiques et interprétatives, un peu à la manière du poète américain E. E. Cummings :

    « Around the body, the words / like bungalows on campus / gathering, give a feeling / of freshness » ― « autour du corps, les mots / tels des pavillons sur le campus / se rassemblant, procurent une sensation / de fraîcheur ».

    Aussi, ces poèmes, dont chaque strophe reprend un ou plusieurs mots, « moment » par exemple ― « Give me a moment […] / grounded, the moment […] /stretches this moment […] / pleasant, such moment […] / extends a moment » (« un moment, donne-moi […] / un moment, ne bouge pas […] / un moment, étiré […] / de tels moments, si agréables ») ― distendent le temps, les instants.

    Le poète y loge l’été, le jardin, l’ombre et la lumière, « the big house » et ses silences, le goût du thé, les proches et le soleil, dont la lumière charrie les souvenirs ensauvagés que sa chaleur aide à apprivoiser. The Sun Brings, c’est « le soleil apporte »… les souvenirs perdus, mais aussi le soleil qui ramène par la main, rétablit, fait revenir… à la vie. Ce même soleil qui a probablement accompagné les premiers pas de Christophe Lamiot Enos durant sa convalescence est celui qu’il engage pour veiller sur sa mère, celui qui éclairait les moments heureux depuis les étés de l’enfance jusqu’à cet été de la renaissance trois années après l’accident.

    Ces poèmes sont autobiographiques. Christophe Lamiot Enos a été victime d’un très grave accident de la route en 1981, et l’on devine que la poésie lui a été bouée et hygiène de vie, de par ses contraintes formelles, tout comme elle l’a été pour d’autres rescapés, dont des survivants de la Shoah, comme l’écrivain israélien Uri Orlev, par exemple, alors qu’il était enfermé dans le camp de concentration de Bergen-Belsen à l’âge de treize ans (il y a composé, sur les planches de son châlit puis recopié dans un carnet de poche, des poèmes très matures et rimés. Cf. Poèmes écrits à Bergen-Belsen en 1944 en sa treizième année, éditions de l’éclat, 2011), ou comme l’ethnologue française Germaine Tillion, qui a composé à Ravensbrück, cachée au fond d’une caisse, son opérette Le Verfügbar aux Enfers, inspirée de l’Orphée aux Enfers d’Offenbach.

    Orphée est par ailleurs une figure centrale dans The Sun Brings, notamment à travers ce retour que Christophe Lamiot Enos entreprend vers l’accident qui a failli lui coûter la vie, alors que l’état de santé de sa mère se dégrade. Sa mère serait-elle une autre Eurydice, qu’il perd en retrouvant le monde des vivants ? Il y a aussi cette évocation réitérée des baies et des fruits pour lesquels le Bulbul Orphée, oiseau de l’ordre des Passériformes (les chanteurs et les migrateurs), a un faible. Ces baies sont déposées çà et là dans le texte, comme les cailloux dont se défait le Petit Poucet :

    « I REMEMBER PICKING BLACKCURRANTS » ― « je me souviens avoir cueilli du cassis » (en lettres majuscules dans le texte).

    Cette cueillette de cassis précède un orage qui a marqué le poète. En contrepoint aux poèmes à la langue à la fois souple et retenue ― composée de sonorités qui se font écho au sein de séquences, une langue tout en spirales, langue rênée d’une renaissance, comme étonnée par sa présence au monde, langue aussi belle qu’un cheval sauvage harnaché ― se déploient des notes brèves ressemblant à des entrées de journal intime (« entries in a diary ») et qui forment des bribes de souvenirs introduites par « I REMEMBER » ― « je me souviens », en lettres majuscules pour ne pas se méprendre sur leur importance capitale : elles annexent aux poèmes un autre présent que celui auquel il se réfère, leur rajoutant un cœur battant, et les soutenant comme le feraient des repères ou des légendes, « slowly, like crutches feeling / the ground » ― « lentement, comme des béquilles tâtant / le sol ». Ainsi Christophe Lamiot Enos semble-t-il rejoindre Georges Perec dans sa recherche autobiographique d’images ou de souvenirs fiables. Les plus fiables, ceux qui reviennent sans cesse, sont consignés dans la marge et sont capitaux, car ce sont les plus vifs, ceux qui peut-être gardent en vie ou maintiennent la conscience en éveil, les lignes de force de son histoire et de son existence. À la façon de Perec, le poète de The Sun Brings accueille les souvenirs qui refont surface et les transcrit. Mais, contrairement à Perec, ceux-ci s’inscrivent dans la marge et ne concernent pas forcément des objets, des lieux, des faits, des personnes et des paroles plutôt banals pour lesquels le poète ressent de la nostalgie et qu’il souhaite documenter, accumuler, mais plutôt des événements saillants de son existence (« I REMEMBER MY MOTHER TELLING ME WHAT TO DO WITH HER REMAINS AFTER SHE DIES » ― « je me souviens de ma mère me disant comment disposer de ses restes après sa mort »), des moments-clefs, de résurgence et de récurrence ― ce dernier mot désignant à la fois le fait de se répéter et de revenir… en arrière… chercher sa mère, comme Orphée voulait récupérer Eurydice ? Des souvenirs qui semblent tourner en rond et se mordre la queue.

    Cette poésie exigeante à la syntaxe non conventionnelle est aussi une poésie puissamment incantatoire. Le mouvement ondulatoire qui anime la voix qui la porte suscite une envie irrésistible de se lever, de bouger, de danser même, en s’abandonnant innocemment à l’oubli. Nul ne peut rester immobile en l’entendant car elle est poésie hypnotique du mouvement, du plaisir et du souffle vital (restitués à son auteur trois ans après l’accident ?). Mouvement dans la mémoire aussi, allers-retours infatigables dans les souvenirs et dans leurs interstices, à la recherche d’indices, de signes, et de stratégies pour figer le temps et défier la pesanteur, le crash. En effet, en écho au va-et-vient rythmique et sensuel, porté par la répétition alternée de vers et de sons, qui ralentissent, qui pétrissent le temps, le lecteur est constamment ramené aux mêmes événements, aux mêmes années, dont 1981, 1984, 2011 et 2012. Les répétitions de mots donnent une impression de flux de conscience, de fontaine intarissable, et nous poussent à nous arrêter sur les multiples sens des termes employés. C’est un procédé que Gertrude Stein affectionnait pour élargir l’étendue significative des mots, comme dans une tentative d’épuisement de leur sens (Christophe Lamiot Enos est un familier de la poésie de Stein, pour l’avoir traduite).

    The Sun Brings se déploie comme un récit tissé de vers qui glissent et font des ricochets sur l’étang de la mémoire, pour faire état de corps qui ont eux-mêmes perdu le contrôle (celui du poète et celui de sa mère) et se raccrochent aux mots pour garder leur contenance, pour que leur contenu ne leur échappe pas dans le délitement. En anglais, on parle de garder sa « composure », un mot qui vient de composition et qui, comme le mot « contenance », parle de ce qui est à l’intérieur, ce que nous contenons et dont nous sommes composés. Perdre son calme ou sa « composure » se dit aussi « to fall apart » : se décomposer, se démembrer, se morceler. À cette éventualité répond le côté extrêmement structuré du recueil.

    1981 est l’année du grave accident de la route en Normandie, qui plonge Christophe Lamiot Enos dans un coma dont il ressort avec des troubles de la mémoire, et dans un gouffre duquel il ne refait surface que trois ans plus tard, en 1984, année dont le souvenir le plus fort semble être celui de vacances de Pâques passées à Londres, et d’une balade magique à Hampstead, qui donne l’impression qu’il s’agit des premiers pas du rescapé :

    « I keep running the pavements / Sunny the pavements upward / to Hampstead Heath all the way » ― « je ne me lasse pas de courir sur les trottoirs / Ensoleillés les trottoirs qui montent / directement jusqu’à Hampstead Heath ».

    Dans le recueil, la première évocation de l’accident et du combat contre l’amnésie est immédiatement suivie d’un poème rempli de blancs, de nuages, parmi lesquels les mots semblent flotter comme des essaims d’insectes à la dérive, cherchant origine et sens. 1981 est également l’année de moments heureux passés dans une maison en Angleterre avec la mère du poète et des amis, instants étirés au maximum dans les textes de The Sun Brings, comme nous l’avons vu plus haut, notamment grâce à des procédés tels que l’accumulation, la juxtaposition, l’inversion et la répétition. Le poète se recueille sur des moments d’émerveillement et sur une douceur de vivre révolue.

    2011 est l’année de la menace, où le poète et sa mère prennent conscience que la vie de celle-ci est en danger, année aussi durant laquelle des souvenirs d’enfance du poète ressurgissent, souvenirs d’hiver, de tombes, de serpent. « I REMEMBER “LE PETIT BOIS” » ― « je me souviens du Petit Bois », mais aussi d’un bois plus grand, le « WOOD OF THE TOMBS » ― « le bois des tombes » ; « I REMEMBER THE LANGLOIS-BERTHELOT FAMILY TOMBS, IN A BIGGER WOOD » ― « je me souviens des tombes de la famille Langlois-Berthelot, dans un bois plus grand ». Revenir aux bois de la dryade Eurydice…

    2012 est l’année de l’opération du cœur de la mère, à qui The Sun Brings est dédié (son portrait en noir et blanc orne la couverture du recueil). Et le poète répète « my mother my mother », comme un mantra qui aurait le pouvoir de prolonger sa présence ici-bas. L’un des poèmes les plus touchants qui lui sont dédiés est probablement celui-ci :

    I send you this, my mother      Ceci je t’envoie, ma mère
    this a few words, this a card      ceci ces quelques mots, ceci cette carte
    for you to see, my mother      pour tes yeux à toi, ma mère
    that with some joy, I send you     qu’en joie je t’envoie
    with joy walking, with this card     qu’en joie je marche, avec cette carte
    walking, my walk, this, to you     qui marche, comme je marche, ainsi, vers toi
    it walks to you, my mother     marche vers toi, ma mère
    a walk special to a card     d’une démarche de carte
    as I do walk, my mother      comme je marche moi, ma mère
    through galleries, I send you     à travers les galeries, je t’envoie
    of galleries, this a card     des galeries, ceci une carte
    to put through the mail to you     à poster vers toi
    I send you heart, my mother     je t’envoie du coeur, ma mère
    this from my heart, this a card     ceci de mon coeur, ceci une carte
    my heart from you, my mother.      mon coeur de toi, ma mère.

    « I REMEMBER A SMALL SNAKE I SAW WHEN A CHILD IN THE “PETIT BOIS” » ― « je me souviens d’un petit serpent que j’ai vu dans le Petit Bois quand j’étais enfant », nous dit le poète : la vipère qui mordit Eurydice. « I REMEMBER OF THE STORY YOU TOLD OF HAVING BEEN ONCE UNDER THE THREAT OF A SEXUAL AGGRESSION » ― « je me souviens de l’histoire que tu m’avais racontée concernant une agression sexuelle dont tu avais été menacée » : une nouvelle fois, Eurydice, fuyant Aristée, est victime de la vipère, ce serpent qui « [s]’acharne sur la beauté », comme l’avait définie Apollinaire dans son Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1911). « I REMEMBER SOME OF MY CONVERSATIONS WITH ANIMALS WHILE A CHILD AT MY PARENTS’ » ― « je me souviens de conversations que j’avais avec des animaux quand j’étais enfant, chez mes parents » : ainsi le poète parvenait-il à charmer les bêtes tout comme Orphée se faisait écouter des animaux de la forêt grâce à sa lyre et à son chant. Vous l’aurez compris, la langue orphique de The Sun Brings est une fascinante langue à rebours, à la Cummings donc, celle d’une poésie qui retrousse la langue en arrivant à l’écriture, soit à l’inscription de souvenirs-clefs majeurs (souvenirs auxquels le poète semble avoir attaché tous les fils de sa vie) dans une mémoire aussi trouble qu’un étang, à partir de l’effacement. « To wake up / to a pond / like a past » ― « se réveiller / face à un étang / tel un passé », un passé tellement vaseux que l’on ne distinguerait plus ce qu’il contient ? Christophe Lamiot Enos est parti du néant pour arriver à une composition musicale intense et réussie. Son « poème-journal », ou récit en vers impulsifs, à la langue qui décolle, relève du tour de force et de l’acrobatie linguistique.



    Sabine Huynh
    D.R. Texte Sabine Huynh
    pour Terres de femmes






    __________________________
    NOTE : toutes les traductions en français des extraits de The Sun Brings sont de Sabine Huynh.






    Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings





    CHRISTOPHE LAMIOT ENOS


    Lamiot-enos-christophe
    Ph. © Olivier Roller
    Source




    ■ Christophe Lamiot Enos
    sur Terres de femmes

    19 mai 2007 | Christophe Lamiot Enos, « Passage le livre »



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Christophe Lamiot Enos
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    un entretien de Christophe Lamiot Enos avec Emmanuel Laugier





    Retour au répertoire du numéro de juin 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Maria Pia Quintavalla | Caro Padre




    Correggio_deposition
    Correggio, Compianto sul Cristo morto
    Huile sur toile, 159 x 184 cm
    Galleria Nazionale di Parma, Parma







    CARO PADRE



    Caro padre
    dal cappello e cappotto infagottato,
    come un uomo dell’ultima guerra
    che fu soldato, maestro povero,
    poi deportato; infine fu salvato
    e ritornato, qui generò la sua secondagenita
    uscita da un getto d’amore imprevisto,
    un interruptus che mia madre non pensava,
    facendola pregna —

    Caro padre,
    senza nessun foulard o corona,
    si mantenne agli studi mentre lavorava,
    che sgobbando ricordava
    cosa è fame

    Che la fame provò
    il tormento della tentazione a morire
    scappando a piedi
    dal campo di lavoro, con i russi alla calcagna,
    i tedeschi col fucile spianato;
    che incontrò China e visse
    più di un sogno, una pittura come beltà
    paesaggio che attendeva,
    che della miseria fece modestia e vanto
    tacitando la paura,
    che rivoltò cappotti e tasche
    per dare il pane a China, creatura
    di regale aspetto mentre lui rude,
    dal profilo adunco, che allattava

    per non essere affamatore
    diventò affamato.



    Maria Pia Quintavalla, “I Congedi (preparative, saluti), Parte III” in I Compianti, Passeggiata con Correggio, Effigie edizioni, 2013, pp. 84-85.







    CHER PÈRE



    Cher père
    enfagoté dans ton chapeau et ta capote,
    comme un homme de la dernière guerre
    qui fut soldat, instituteur sans le sou,
    puis déporté ; qui au final fut sain et sauf
    et de retour, engendra sa fille cadette
    des suites d’un jet d’amour accidentel,
    un interruptus auquel ma mère ne s’attendait pas,
    qui l’engrossa —

    Cher père,
    sans aucun foulard ni couronne,
    qui poursuivit ses études tout en travaillant,
    et qui tout en trimant n’oubliait jamais
    ce qu’est la faim

    Qui souffrit de la faim
    des affres de l’envie d’en finir
    s’échappant à pied
    du camp de travail, les russes aux trousses,
    les allemands et leur fusil à baïonnette ;
    qui rencontra China et vécut
    bien plus qu’un rêve, un tableau de toute beauté
    un paysage en suspens,
    qui fit de la misère humilité et fierté
    passant la peur sous silence,
    qui retourna capotes et poches
    pour donner du pain à China, une créature
    au port royal alors que lui était rude,
    le profil taillé au couteau, qui offrait le manger

    pour ne pas être un affameur
    il devint affamé.



    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Maria Pia Quintavalle, I compianti







    MARIA PIA QUINTAVALLA


    Quintavalla
    Source



    Maria Pia Quintavalla est née à Parme. Elle vit aujourd’hui à Milan où elle anime des ateliers d’écriture en partenariat avec l’Université d’État de Milan, l’Université des femmes et la Société Humanitaire. Elle est l’auteure de nombreux recueils poétiques et anthologies et a remporté un grand nombre de prix (Tropea, Cittadella, Alghero Donna, Nosside, Gold winners Nosside, Marazza Borgomanero, Montano, Città S.Vito, Contini Bonacossi, Alto Ionio, …) et a été plusieurs fois finaliste du prix Viareggio. Parmi ses œuvres les plus récentes figurent : Corpus solum (Archivi del Novecento, 2002), Album feriale (Archinto, 2005), Selected poems (Gradiva ed., NYC, 2008), China (Effigie, 2010).

    L’ouvrage ci-dessus, I Compianti, est inspiré par deux œuvres artistiques de tout premier plan : Compianti sul Cristo morto (1524), une peinture d’Antonio Allegri, plus connu sous le nom du Corrège, et Compianto di terracotta (1477), une sculpture de Guido Mazzoni. La première œuvre est conservée à la Pinacothèque nationale de Parme ; la seconde en l’église Santa Maria degli Angeli de Busseto.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Lucaniart Magazine)
    un entretien (en italien) avec Maria Pia Quintavalla



    Retour au répertoire du numéro de mai 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Chambre d’enfant gris tristesse

    par Marie-Hélène Prouteau

    Chroniques de femmes – EDITO/SOMMAIRE



    Chronique de Marie-Hélène Prouteau



    Olga Boldyreff
    Olga Boldyreff, Les Jouets à Moscou, 2013.






    CHAMBRE D’ENFANT GRIS TRISTESSE



    Cette nuit, je repense à un tableau d’Olga Boldyreff, Les Jouets à Moscou (2013), que j’ai vu aujourd’hui dans l’exposition de l’artiste à Nantes, « Promenade dans le monde étrange de Dostoïevski ». Il représente les jouets personnels de l’écrivain. Ce tableau, quel choc ! La mélancolie à l’affût chez l’enfant Dostoïevski m’a sauté au visage. Comme si la main du peintre l’avait saisie par les ongles sur sa palette pour la coller sur ce mur.

    Le mystère de cette chambre d’enfant vide m’a frappée. Il y a seulement trois jouets, posés bien droits, dans la même direction, presque perdus dans l’espace nu de la pièce. Un petit soldat de bois, une minuscule statuette, un cheval à roulettes vers lequel converge le regard. Peints en aplats et hiératiques comme chez les peintres primitifs ou dans l’art de l’icône. Les jouets semblent vainement attendre. En voyant la chaise tronquée dans l’angle, je n’ai pu m’empêcher de chercher un visage, un signe, maternel ou amical de compagnon de jeux. Mais non, c’est une chambre avec figures absentes : Olga Boldyreff a peint un abîme de solitude. La luminosité est douce, pourtant, couleur de ciel d’hiver. Au premier plan, une tache claire m’a intriguée, des pages manuscrites, peu ordinaires en un tel lieu.

    J’ai tout de suite été saisie par ce gris qui domine tout le tableau. Un gris majuscule, à couper le souffle. Comme si les couleurs avaient fui, celles d’une pivoine, pourquoi pas, d’un citron ou d’une écharpe de soleil. Une tonalité grise unique, claire ou foncée, avec des dégradés gris beige, gris bleu, gris violet, qui sont autant de tremblements presque irréels. Gris de brouillards, de nuages, de neige entassée le long des trottoirs de Moscou où naît Dostoïevski. Gris poussière des vêtements élimés des pauvres. Les humiliés, les offensés, de l’hôpital Marinskaïa où réside la famille et que le jeune Fiodor, en cachette de son père, aime observer à travers les grilles du parc.

    C’est une chambre sans fouillis d’enfant. Sans jolies billes d’agate, crayons à coloriage, bout de bois ou belle pierre, ces petits riens qu’on entasse à cet âge, pour sa fabrique de rêves. Ici toute distraction, tout contact avec le monde extérieur est sévèrement interdit par le père. J’ai eu l’impression d’une éclipse de vie. Les fous rires, le chant qui montent de l’enfance manquent affreusement. Très tôt, celui qui vit là, en vase clos, privé d’amis, s’est muré dans le silence et la solitude. L’enfance a été la part manquante.

    L’habitant délicat de cette chambre a plus affaire avec l’invisible qu’avec les jeux de son âge. On devine que cette petite âme est captive de tourments et d’élans inquiets qui ne laissent place pour rien d’autre. Je l’imagine, yeux gris de brumes. Celles de Saint-Pétersbourg où il arrive à quinze ans. J’ai l’impression que ce gris vaporeux, Olga Boldyreff l’a capté et déposé sur les choses de cette chambre. Comme si, grâce à ce halo, elle voulait mettre à distance ce trop-plein d’émotions de l’enfant. Chez elle, le gris n’est plus matière, il est silence ouaté, voile de songe.

    Ces jouets solitaires, elle parvient à en rendre la disgrâce désolée. Ces objets disent autre chose qu’eux-mêmes, c’est l’enfance et la joie confisquées qu’ils jettent à nos yeux écarquillés. Le père, médecin, sujet à de brusques accès d’abattement, tyrannique, ne supporte ni les jeux d’enfants ni même le bruit d’une mouche pendant sa sieste. Défendu de bouger, de le déranger sous peine de cris et de réprimandes. La mère très aimée, la toute douce, est épuisée par les grossesses et la tuberculose. Ce matériau étonnant, l’enfance empêchée, Olga Boldyreff l’a fixé sur la toile. Ça prend à la gorge, comme le cri d’Ivan Karamazov : « Mais les enfants ? Les enfants ? Comment justifier leur souffrance ? […] ce garçon de huit ans n’a pas eu le temps de grandir ». Je pense soudain à d’autres enfants. En Syrie aujourd’hui, dans les villes bombardées.

    Comment traverser un tel désert ? Je n’ai pas entendu l’enfant chantonner. Il doit regarder la neige tomber sans bruit. Des heures entières. Ou bien il lit. Tant d’émotivité chez lui, et, par moments, ces absences. Certaines nuits, il chavire dans les terreurs. Oh ! Cette impression de mourir qui revient à chaque crise d’angoisse.

    Quelque chose sera-t-il sauvé de cette douleur première ? Il faut bien grandir. Quels chemins ? Dieu ? La statuette, une petite madone dirait-on, le suggère. Mais, toujours cette fatigue du doute chez lui, Dieu est autant une question qu’une réponse. Il y a la révolte qui peut mener au bagne en Sibérie. Il y a l’écriture où Dostoïevski tentera d’exorciser le noir qui brûle son cerveau. Ou bien les deux.

    L’enfance n’est plus depuis longtemps. C’est une autre enfance qui est en jeu ici, celle de la création du grand romancier. En voyant ces feuillets épars, au premier plan, je songe à un manuscrit de roman. Une forêt de papier où la vie vivante, malgré tout, résiste et verrouille la douleur. Par magie s’éveille sous mes yeux ce qui dort dans ces pages. La chambre s’emplit soudain de présences de la nuit. Je crois apercevoir des personnages en vêtements de brume. À côté de Sonia, la petite prostituée, Raskolnikov, hagard, gémit dans sa marche de somnambule. Non loin, passe le ténébreux Stavroguine, en proie à ses démons, et qui traîne son ennui de vivre.

    C’est dans la solitude glacée de la chambre que ce monde a commencé à naître, plein de mille déchirements fébriles qui hanteront les pauvres fous sortis plus tard de l’imagination de l’écrivain. Raconter des histoires à la hauteur des catastrophes qu’il aura vécues. Maria Fiodorovna, sa mère, meurt très tôt dans sa vie, son père aussi, probablement assassiné par des serfs en colère. Lui, subira un simulacre d’exécution, puis le bagne et la « maison des morts ». Écrire pour confier cette douleur à ses doubles infernaux.

    En débusquant l’âme de cette chambre, le peintre fait planer en creux l’ombre de Dostoïevski et de ses personnages. On reste saisi par l’effet d’un tel concentré de souffrance, comme si l’on assistait à un drame dans la rue sans rien pouvoir y faire. La force du tableau d’Olga Boldyreff est là : il nous met aux prises avec l’envers secret d’une blessure, ces pages où des mots verront le jour.



    Marie-Hélène Prouteau
    Texte inédit
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes








    OLGA BOLDYREFF


    Olga Boldyreff, avril 2004
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le blog personnel d’Olga Boldyreff
    En voyage/entre-deux : Formes d’expression de la pensée nomade dans l’œuvre de Boldireva/Olga/Boldyreff, par Edith Doove [PDF]






    MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU


    Marie-helene-prouteau
    Source




    ■ Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Le cœur est une place forte (lecture d’AP)
    L’Enfant des vagues (lecture d’AP)
    Nostalgie blanche. Livre d’artiste avec Michel Remaud
    [Monde des limbes pris dans les houles] (extrait de La Vibration du monde)
    La Ville aux maisons qui penchent (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Marie-Hélène Prouteau




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres

    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





    Retour au répertoire du numéro de mai 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | Dans la césure de tes poèmes



    Pure dessaisie de l’éphémère
    Ph., G.AdC







    DANS LA CÉSURE DE TES POÈMES
    (extrait)


    à Béatrice Douvre              



    Toujours veille derrière toi une ample mélodie tissée
    de mille voix.

    Rilke



    Pure saisie de l’absolu

    Ta parole précaire
    Ton âme incandescente

    Dans ce peu de nuit
    Pour capturer tes nuages

    L’effroi de l’enfance

    De ses couleurs insensées
    De son écume sauvage
    De sa rumeur douloureuse

    L’effroi de l’enfance
    Se griffe
    Dans la chair nacrée

    De ta poésie constellée
    De si hautes larmes

    S’ouvrant à tous vents

    Allégés assoiffés illuminés
    De terre de mer de ciel

    Pure dessaisie de l’éphémère

    Si intense si instante
    Ta musique d’éternité


    […]



    Muriel Stuckel, Dans la césure de tes poèmes in L’Insoupçonnée ou presque, Voix d’encre, 2013, page 59. Peintures de Laurent Reynès. Préface de Bernard Noël.





    Muriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.




    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque
    → (sur Terres de femmes)
    Béatrice Douvre | l’Outrepassante



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions



    Retour au répertoire du numéro d’avril 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alessandro Brusa | [Ti ho visto cercare per ore]

    « Poésie d’un jour

    choisie par Silvia Guzzi



    [TI HO VISTO CERCARE PER ORE]




    Ti ho visto cercare per ore la

    parola perfetta,
    chiudere le stanze del tempo
    e spalancare la terra con dita nude
    alla ricerca del suono giusto

    è un lavoro chirurgico il tuo
    non ci sono scogliere a picco

    sull’oceano
    e non c’è vento a scompigliarti

    i capelli

    così ti ho visto scartare la vita
    sfiorarne il respiro migliore

    ed allontanarlo
    solo perché non adatto al tuo verso



    la mia vita invece non suona così
    i miei pensieri steccano spesso
    e le stanze del mio tempo

    le ho spalancate urlando

    parole sgradevoli
    le prime trovate sotto mano
    (non sono un chirurgo
    dio solo sa quanto ci abbia provato)

    e vomitando, ruttando, gridando ed

    insultando
    io le mie scogliere le ho trovate

    nei boschi di Big Sur
    e più a oriente, nelle Ebridi interne,
    le ho trovate in mezzo alla

    piana di Sigiriya
    ed infisse come denti bianchissimi

    sulle bocche di Bonifacio
    e non smetterò di cercarle
    ovunque le mie gambe mi porteranno
    finché mi reggerà il fiato



    il vento nei capelli invece

    manca ad entrambi
    e non ho neppure mani da passarci
    se tutto quello che mi è stato dato
    è un alfabeto diligente.



    Alessandro Brusa, La raccolta del sale, Giulio Perrone editore, collana Poiesis, Roma, 2013, pp. 102-103.







    Alessandro Brusa, La raccolta dela sale







    [JE T’AI VU CHERCHER PENDANT DES HEURES]



    Je t’ai vu chercher pendant des heures le

    mot parfait,
    verrouiller les chambres du temps
    et fouiller la terre à doigts nus
    à la recherche du juste son

    un travail de chirurgien le tien
    il n’y a ni falaises à pic

    sur l’océan
    ni vent pour t’ébouriffer

    les cheveux

    ainsi je t’ai vu écarter la vie
    en effleurer le souffle le meilleur

    et l’éloigner
    uniquement parce que non adapté à ton vers



    ma vie, elle, ne sonne pas pareil
    mes pensées jouent souvent faux
    et les chambres de mon temps

    je les ai grand ouvertes en hurlant

    des mots déplaisants
    les premiers trouvés sous la main
    (je ne suis pas chirurgien
    dieu seul sait combien j’ai essayé)

    et vomissant, rotant, criant et

    insultant
    moi mes falaises je les ai trouvées

    dans les forêts de Big Sur
    et plus à l’orient, dans les Hébrides intérieures,
    je les ai trouvées au milieu de la

    plaine de Sigiriya
    et plantées comme des dents à la blancheur parfaite

    sur les bouches de Bonifacio
    et je n’aurai de cesse de les chercher
    partout où mes jambes me mèneront
    tant que le souffle me portera



    le vent dans les cheveux en revanche

    nous manque à tous les deux
    et je n’ai pas même de mains à y passer
    si tout ce qui m’a été donné
    est un alphabet diligent.



    Traduit de l’italien par Silvia Guzzi.






    Recension de La raccolta del sale, par Fabio Michieli *
    (traduite de l’italien par Silvia Guzzi)



    Le sel pour panser le temps : le temps passé, et le temps proche; parce que le sel cicatrise, le sel condamne, mais il conserve aussi ce qu’il est bon d’emporter avec soi dans l’avenir, ou du moins dans le présent quotidien. Ainsi c’est l’expérience de vie qui est mise sous sel et projetée vers demain. Et récolter le sel est un art, comme l’est la poésie (sans rhétorique).

    La poésie d’Alessandro Brusa va droit au centre, parce que son centre c’est la vie. Sa poésie, ses mots (qui, comme il le dit, « l’habitent »), est directe mais elle demande, à juste titre, en conséquence, obligatoirement, un certain effort, une certaine attention de la part du lecteur : parce que c’est l’éthique même de son écriture qui le veut.

    Bannies les formes closes, banni le vers canonique : le discours est haché, fragmentaire et reconstruit par étapes. Le vers est en chute et plus d’une fois il prend certaines choses pour acquises et se permet de commencer par deux points. Un usage de la ponctuation qui n’a que faire des formules avant-gardistes rabâchées (celles qui donnent çà et là des coups de pied dans le vide) mais qui participe de la construction du discours et indique des pauses qui ne sont pas seulement syntaxiques : ce sont des pauses de la pensée ; elles rendent fidèlement l’idée que tout ce qui est écrit et qui se lit à l’instant est la conséquence d’une expérience qui n’entend pas voiler la rage, la douleur, la joie, l’amour, le désir, la peur. L’intention d’Alessandro Brusa n’est pas de dissimuler le corps derrière les mots mais plutôt de construire le corps avec les mots (ceux qui « l’habitent »).

    La présence de nombreuses synesthésies doit donc être appréciée du double point de vue linguistique et psychologique : les audacieuses associations de mots habituellement étrangers l’un à l’autre – du moins dans le langage courant – sont l’expression d’une perception très personnelle de son vécu et de sa façon à lui de l’analyser.

    C’est ainsi que se manifeste un moi poétique que l’on retrouve dans presque tous les poèmes de La raccolta del sale mais que l’on se gardera bien de qualifier d’omnipotent dans la narration : car le moi ne domine pas la scène, pas plus qu’il ne la contrôle. Le moi est acteur d’une évolution, d’un parcours rythmé en cinq parties qui dialoguent entre elles, à deux doigts du roman de formation (Alessandro Brusa, rappelons-le, a débuté avec un roman) sans toutefois se prendre au piège d’une narration indésirable. Rien de tout cela.

    La manière dont il se dévoile nous renvoie davantage au passé, voire aux poètes romantiques anglais, à un Percy Bisshe Shelley qui, tel un involontaire Virgile, illustre le premier volet du recueil Nel silenzio del suo sangue. Et le voilà, le sang, la première humeur du corps que l’on croise dans ces poèmes. Un corps à la fois observé du dehors et ausculté du dedans. Encore une fois, c’est ce déchiquètement net et précis qui le distingue d’une grande partie de la poésie de ces dernières années qui a placé le corps au centre de son propos.

    Un corps démembré et reconstruit sur lequel se lisent clairement toutes les cicatrices que le sel de la vie a séchées et soignées. Exposées et non pas cachées. Aucune opération de reconstruction plastique et, dès lors, faut-il encore le répéter, aucun recours à des formes closes ni à aucun mètre rassurant et reconnaissable.

    La raccolta del sale est le premier chapitre d’une poétique du corps qui commence à s’écrire vraiment aujourd’hui.


    Fabio Michieli
    D.R. Fabio Michieli
    pour Terres de femmes




    ___________________________

    Fabio Michieli est né à Venise en 1971. Licencié es-lettres (lettres modernes), il a soutenu une thèse sur Niccolò Tommaseo et son récit historique Il duca d’Atene, dont il a publié en 2003 une édition critique et commentée (éd. Antenore, Padoue). Il est l’auteur de nombreux textes critiques sur Niccolò Tommaseo, notamment parus dans les Quaderni Veneti et dans le Giornale storico della letteratura italiana. Son recueil poesieDire a été publié en 2008 par “L’arcolaio”, maison d’édition dont il dirige la collection « Fuori collana ». Les recensions de ce grand lecteur de poésie et de romans sont reproduites sur le site www.alleo.it et dans divers ouvrages et revues (“l’immaginazione”, Italian Poetry Review). Il assure aussi, aux côtés de Gianni Montieri et d’Anna Maria Curci, la rédaction en chef du blog littéraire Poetarum Silva.







    ALESSANDRO BRUSA


    Alessandro Brusa
    Source




    Alessandro Brusa est né à Imola en 1972 et vit à Bologne depuis 1976. Il a fait son entrée en littérature avec le roman Il Cobra e la Farfalla (Pendragon, 2004 ; Prix Incizine). Son premier recueil de poèmes La raccolta del sale a paru en 2013 (Perrone Editore) et a reçu en 2013 le Prix Orlando. Ses travaux ont été publiés dans des revues telles que Sagarana, Poetarum Silva, Illustrati, Versante Ripido et Words Social Forum, et dans plusieurs anthologies de poésie (notamment 100mila poeti per il cambiamento – Bologna primo movimento, QuDu Libri, 2013) et de prose.

    Il fait partie, depuis la toute première édition, du comité organisateur du festival de poésie « Bologna in Lettere ». Dans le domaine de la poésie toujours, il collabore avec le Words Social Forum et d’autres sites de poésie, d’information et de culture comme Malacopia, Gaiaitalia et Just Humanity.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Traductions.it, le site de Silvia Guzzi) six autres poèmes extraits de La raccolta del sale d’Alessandro Brusa, traduits en français par Silvia Guzzi
    (1) (2) (3) (5) (6) (7)
    → (sur Poesia, le blog de Luigia Sorrentino)
    un autre extrait (en italien) de La raccolta del sale
    le site personnel d’Alessandro Brusa
    → (sur le site Poetarum Silva)
    un article de Cristiano Poletti sur La raccolta del sale
    → (sur le site La Raccolta del Sale)
    un article de Guido Selvatici sur La raccolta del sale
    → (sur le site Poetarum Silva)
    quelques poèmes (en italien) extraits de La raccolta del sale





    Retour au répertoire du numéro de mars 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Laurine Rousselet | [la débâcle vient du réel]


    Seize heures dix-huit
    Ph., G.AdC







    [LA DÉBACLE VIENT DU RÉEL]



    la débâcle vient du réel
    aujourd’hui prouve la limite
    les volets fermés avouent toucher le drame
    l’enjeu ne vient ni du ciel ni de la terre
    à peine le hasard de la naissance ose coucher

    clairement vivre appelle à flamber
    l’impraticable cherche la clé dans l’argile
    obligeant les mains à échanger
    les forces vives avec des mots

    l’agitation vient du futur que le temps ne verra pas

    être une autorité dit quoi ?
    qu’écrire disparaît à mesure de présence arrachée
    qu’écrire dévore la borne même le fait
    seize heures dix-huit
    les cellules suffoquent devant la fenêtre ouverte




    Laurine Rousselet, Journal de l’attente, Éditions Isabelle Sauvage, Collection « Présent (Im)parfait » dirigée par Alain Rebours, 2013, page 113.







    LAURINE ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Michel Durigneux , 2013
    Ph. © Michel Durigneux
    Source




    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes

    [le concret s’avance au creux de la main] (extrait de Nuit témoin)
    Nuit témoin (note de lecture d’AP)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    [franchir la porte] (extrait de Ruine balance)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet : l’effractionnaire (L’Atelier de la création | 14-15, 18 juin 2013)
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau pour Journal de l’attente (17 novembre 2013)






    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Antonio Moresco, La Petite Lumière

    par Angèle Paoli

    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman,
    Éditions Verdier,
    Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014.
    Traduit de l’italien par Laurent Lombard.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Moresco







    DE LA SURVIVANCE DES LUCIOLES



    Que s’est-il donc passé dans la vie de cet homme pour qu’il décide de disparaître ? Aucun lecteur de La Petite Lumière n’en saura rien. Même si Antonio Moresco, l’auteur de ce mystérieux récit, sème au fil des pages quelques indices. Sans doute la cruauté inextinguible du monde — celle-là même qui se voit, se vit au cœur de la nature et qui livre combats sous les yeux du narrateur — a-t-elle poussé cet homme à se retirer loin de tous.

    « Où je peux bien aller pour ne plus voir ce carnage, cette irréparable et aveugle torsion qu’on a appelée vie ? »

    Ainsi s’interroge cet étrange personnage qui ne livrera rien de sa vie, dont le lecteur ne saura ni le nom ni l’âge ni la fonction, qui ignorera tout de son passé. Tout ce que chacun saura, c’est ce qu’il confie dès l’incipit :

    « Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant. »

    L’homme a trouvé refuge — depuis quand ? — dans une petite maison perdue au milieu des bois. Là, dans cet environnement d’arbres et de pierres sèches, le solitaire a tout loisir, dès qu’il s’est acquitté des tâches quotidiennes, d’observer le monde qu’il habite désormais. Autour de lui, des ruelles des ruines un petit cimetière avec ses lumignons. Des morts sans noms, oubliés depuis longtemps, dont la présence est aussi singulière que l’est l’absence de vivants. Au-dessus de lui, le ciel et les étoiles, les hautes futaies qui livrent bataille avec l’infini. Présences permanentes à ses côtés, les deux infinis se côtoient : l’infiniment grand, avec ses frondaisons inhospitalières qui s’étendent à perte de vue, ses vallonnements et ses ravins, ses pentes qui découpent le paysage ; l’infiniment petit, avec ses bruissements d’insectes ses pépiements d’oiseaux invisibles dans la feuillée, avec les luttes minuscules que se livrent les bêtes qui gîtent dans les sous-bois. Mais ce qui frappe d’emblée dans le regard que l’homme solitaire porte sur les choses, c’est, parallèlement à la complexité des enchevêtrements de la nature, face à l’immensité cosmique, la miniaturisation des choses. Une miniaturisation qui est donnée dès le titre du roman : La Petite Lumière [La lucina]. L’on retrouve cette miniaturisation sous la plume de l’auteur dans sa Lettre à l’éditeur. Parlant de cette histoire, il la présente comme « une petite boite noire » ; « une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos » ; « une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion » de son prochain roman. « Une petite créature siamoise » qui s’est détachée « de l’autre corps plus grand » pour laisser à ce « court récit » son indépendance et sa liberté de vivre. Ainsi cette façon de parler de son œuvre s’inscrit-elle au cœur de la langue d’Antonio Moresco.

    Tout au long du récit, mais en particulier dans les premières pages, l’adjectif « petit(e) » sert de dénominateur commun à toute une série d’objets :

    « petit [escalier / cimetière / lit / bruits / troncs / potagers / hameau / papillons…] »

    « petite [maison / chambre / route / place /église / clairière… ] »

    Et bien sûr, « lumière ». « La petite lumière ». Elle est là, dès l’incipit, qui revient soir après soir, toujours à la même heure. Obsédante, têtue, elle interpelle l’homme qui scrute l’obscurité :

    « “Qu’est-ce que ça peut bien être, cette petite lumière ? Qui peut bien l’allumer ?”, je me demande tout en marchant dans les rues empierrées de ce petit hameau où personne n’est resté. »

    Sans doute cette miniaturisation — qui favorise la disparition et, par contraste, rend plus inquiétante la nature — prépare-t-elle le narrateur à la rencontre qui va se produire quelques pages plus loin. En effet, intrigué par la présence — en ce lieu qu’aucune vie humaine ne hante —, de cette « petite lumière », le « je » va entreprendre une série d’approches. Identifier le lieu où la lucina apparaît, soir après soir ; interroger villageois et farfelu égaré hors du monde pour tenter de mettre un nom sur ces apparitions régulières ; partir en reconnaissance. Or, ce que le narrateur découvre, c’est, exactement sur l’autre versant, sur la crête opposée à la sienne, l’existence d’un « petit garçon ». Un petit bonhomme en culottes courtes, qui vit seul dans sa « petite maison ». Et qui, comme lui, accomplit les tâches quotidiennes, les mêmes rituels familiers. Lessives repas vaisselles astiquage repassage. Le tout sans se plaindre sans rechigner. Avec une méticulosité et un savoir-faire d’un autre temps. Qui est-il ? D’où vient-il ? Où sont ses parents ? Pourquoi est-il tout seul ? Autant d’interrogations qui taraudent l’homme. En même temps que le lecteur. Au fil des rencontres, le « je » hasarde des questions. Peu bavard, tout occupé à ses activités, le petit garçon — avec « sa petite dent cassée », « sa petite tête rasée », « ses petites mains », ses « petits vêtements » —, ne répond que parcimonieusement. Et succinctement. Désarçonné, le narrateur en vient à douter de la nature de l’enfant :

    « “Est-ce que c’est vraiment une créature de ce monde-ci ?”, je me disais. »

    Un enfant hors temps qui dit des autres enfants — ceux qui fréquentent l’école de jour — « ce sont les vivants ».

    Tandis que le dialogue se noue petit à petit entre le lilliputien et le géant, que chacun apprivoise l’autre par sa présence affectueuse et discrète, le mystère grandit de cet enfant en culottes courtes, sortant de l’école du soir, portant cartable sur le dos et faisant ses devoirs sous la lampe. Et le lecteur de s’interroger : l’enfant est-il le double de l’homme ? Son écho fidèle ? Un extraterrestre comme lui puisque tous deux vivent exilés à l’écart de leurs semblables. Tout, dans la narration, le laisse à penser. Peut-être même cet enfant est-il celui que le narrateur fut jadis et qu’il retrouve dans le dédoublement insolite qui naît au cœur de sa solitude. Tous deux, en marge de la vie, évoluent aux confins de la mort. Lequel de l’enfant ou de l’homme sera pour l’autre la luciole qui le sauvera ?

    Tout au long du cheminement qui le conduit vers l’enfant, le narrateur ne cesse d’invectiver le monde qui l’entoure. Depuis les crapauds et les « guêpes hargneuses » jusqu’aux étoiles, en passant par toutes les formes de la matière, minérale, végétale, organique, cosmique. Il ne cesse d’interroger la nature. Sans espoir de réponse.

    « Mais elles ne répondent pas » / « Mais ils ne répondent pas ».

    Seules les hirondelles répondent :

    « Oui, oui, on est folles ! elles me répondent, ces bestioles survoltées, sans arrêter de frôler le sol de la ruelle et le fil de l’eau, comme des flèches, en trissant… »

    Parfois l’interrogation se poursuit au-delà du dialogue avec les présences immédiates, dans la volonté de percer le secret de la complexité-gigogne de l’univers.

    « Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? »

    « Comment savoir si la lumière n’est pas elle aussi à l’intérieur d’une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c’est une lumière qu’on ne peut pas voir ? »…

    Autant de questions qui s’emboîtent les unes dans les autres comme autant de maillons, avec leur lot de mystères, closes chacune sur une absence de réponse. Ainsi le narrateur poursuit-il son dialogue inépuisable. Sans doute pour tenter de comprendre le pourquoi de son existence et celui de sa place dans un univers dont le sens lui échappe.

    « Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre soleil, se trouve à une distance de quatre années-lumière. Le Grand Nuage de Magellan, la galaxie la plus proche de notre galaxie, se trouve à cent soixante-cinq mille années-lumière de notre système solaire. Et moi, là, assis sur cette chaise en fer qui s’enfonce de plus en plus dans le sol, dans cet endroit hors du monde, à la même distance de tout et de l’espace et du temps et de ma vie et de ma mort… »

    À défaut de trouver une réponse dans les astres et le cosmos, peut-être le narrateur trouvera-t-il un peu de clarté dans les « milliers de lucioles »… « qui pullulent au milieu du feuillage épais et noir, avec leurs myriades de petites lumières qui s’allument et qui s’éteignent par intermittence » pour faire naître avec elles un « monde enchanté ». Elles qui ont résisté de toute la force contenue dans leur « petit corps » et que la grêle n’a pas anéanties. Leur survivance au cœur même des cataclysmes qui secouent leur monde peut-elle être considérée comme un signe d’espoir ? Celui, par exemple, d’une amitié aux formes inattendues, contours auxquels seules les « âmes errantes » que sont ces insectes luminescents sont susceptibles de donner naissance.

    Profondément onirique, ce court récit n’en est pas moins un très grand roman. Un texte magnifique, poétique et prenant, le premier de cet auteur italien à être traduit en français. Une belle découverte. À partager à l’infini.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Antonio Moresco, La Petite Lumière







    LETTERA ALL’EDITORE



    Caro Antonio,


    Ti mando questo breve romanzo, che ho scritto alcuni mesi fa su un quaderno. Non mi va di anticipartene qui, in poche righe, la storia, perchè non mi è facile parlarne, perchè preferisco che tu la scopra da solo pagina dopo pagina, e per non toglierti la sorpresa.

    E’ una storia scaturita da una zona molto profonda della mia vita, è come una piccola scatola nera. Parlandoti di questa cosa che mi urgeva dentro e che stavo per cominciare a scrivere, una sera ti ho detto che sarebbe stata per me, in un certo senso, testamentaria, che se fossi crepato il giorno dopo averla scritta sarebbe stata il mio testamento. Non perchè la consideri più significativa e importante di libri come Gli esordi o Canti del caos, ma proprio per la sua particolare natura intima e segreta.

    Anche questa, come Gli incendiati, è stata un’irruzione incalcolata e improvvisa. Come il primo è un piccolo meteorite che si è staccato da Canti del caos, così questa è una piccola luna che si è staccata dalla massa ancore in fusione del mio nuovo romanzo, che si intitolerà Gli Increati.

    La lucina è nata da uno spunto di poche righe, solo una piccola scena annotata negli appunti che ho buttato giù per anni in vista degli Increati. Credevo che questa scena avrebbe trovato posto là dentro, che vi avrebbe occupato al massimo mezza paginetta. Invece ha evidentemente lavorato in segreto dentro di me. Così, a un certo punto, ha preteso una sua vita autonoma. E allora è cresciuta come una piccola creatura siamese, fino al momento in cui ho dovuto staccarla dall’altro corpo più grande su cui si era inizialmente annidata.

    Ecco, questa è la storia del piccolo libro che adesso hai tra le mani.
    Antonio Moresco



    Antonio Moresco, La lucina, Arnoldo Mondadori Editore, Collana Libellule, 2013, pp. 5-6.





    Antonio Moresco, La lucina







    LETTRE À L’ÉDITEUR



    Cher Antonio,


    Je t’envoie ce court roman, que j’ai écrit il y a quelques mois sur un cahier. Je n’ai pas envie d’en éventer ici l’histoire, en quelques lignes, parce qu’il n’est pas facile pour moi d’en parler, parce que je préfère que tu la découvres tout seul, page après page, et ne pas te gâcher la surprise.

    C’est une histoire qui surgit d’une zone profonde de ma vie, c’est comme une petite boite noire. En te parlant de cette chose qui urgeait en moi et que j’étais sur le point de commencer à écrire, un soir je t’ai dit qu’elle serait pour moi, d’une certaine façon, testamentaire, que si je crevais au lendemain de l’avoir écrite, elle serait mon testament. Non pas que je considère qu’elle soit plus significative et plus importante que mes autres livres, tels que Les Débuts ou Chants du chaos, mais justement à cause de sa nature intime, particulière et secrète.

    Cette histoire aussi, tout comme Les Incendiés, a été une irruption spontanée et soudaine. Tout comme ce livre est une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos, cette histoire est une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion de mon prochain roman, qui aura pour titre Les Incréés.

    L’idée de départ de La Petite Lumière tient en quelques lignes, juste une petite scène au milieu de notes griffonnées pendant des années en vue des Incréés. Je croyais que cette scène trouverait sa place dans ce projet, qu’elle y occuperait tout au plus une demi-page. Or, de toute évidence, elle a travaillé secrètement en moi. Et, à un certain moment, elle a voulu vivre sa propre vie. Alors elle a grandi comme une petite créature siamoise, jusqu’au moment où j’ai dû la détacher de l’autre corps plus grand dans lequel elle s’était initialement lovée.

    Voilà donc l’histoire de ce petit livre que tu as entre les mains.
    Antonio Moresco      



    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014, pp. 7-8. Traduit de l’italien par Laurent Lombard.



    Retour au répertoire du numéro de décembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Helga M. Novak | en automne



    Chevaux de przewalski
    Source






    IM HERBST



    Wehmut treibt mich
    den verlausten Mähnen
    der Pferde zu folgen
    über gemähtes Tun
    über versengte Heide
    über mooskahlen Stein
    die Fohlensprünge
    das tolle Scharren
    der Hufe verklungen
    in Geisternebeln
    harren sie stumm
    lauschend dem Wind
    die Köpfe gesenkt
    die kurze Brücke
    der Sonnenkugel
    verlockt sie nicht
    zu wilden Spielen
    Wehmut treibt mich
    den verlausten Mähnen
    der Pferde zu folgen
    im Herbst







    EN AUTOMNE



    une langueur me pousse
    à suivre les pouilleuses crinières
    des chevaux
    dans l’œuvre des faux
    dans les landes calcinées
    dans la roche chauve de mousse
    les cabrioles des poulains
    le piétinement fougueux
    des sabots évanoui
    dans les brumes spectrales
    ils attendent muets
    à l’affût du vent
    têtes baissées
    la courte passerelle
    de la balle solaire
    ne les incite pas
    aux jeux sauvages
    une langueur me pousse
    à suivre les pouilleuses crinières
    des chevaux
    en automne




    Helga M. Novak, Chaque pierre orpheline, Éditions Hochroth, Paris, 2013, pp. 22-23. Anthologie bilingue conçue par Dagmara Kraus. Traduction de l’allemand par Élisabeth Willenz avec une illustration de Ladislaja de Layre. Ouvrage publié avec le concours du Goethe-Institut Paris.






    Chaque pierre orpheline





    ___________________________
    NOTE d’AP : à la fin de sa vie, Helga M. Novak a résidé alternativement entre Legbąd (Pologne), Francfort-sur-le-Main et Berlin (Rüdersdorf) où elle est décédée le 24 décembre 2013 (elle est donc décédée dans le pays brandebourgeois de son enfance). Le fonds d’archives de Helga M. Novak a été légué en mars 2013 aux Archives littéraires allemandes (Deutschen Literaturarchiv) de Marbach am Neckar (district de Ludwigsburg). Ce fonds comprend ses textes et manuscrits, mais aussi sa correspondance (notamment sa correspondance avec Günter Grass et Wolf Biermann). Le troisième volume de son autobiographie (Im Schwanenhals, « Dans le col de cygne ») a été publié chez Schöffling & Co. (Francfort-sur-le-Main) en septembre 2013.




    HELGA M. NOVAK


    Helga M. Novak en 1971
    © PICTURE-ALLIANCE / DPA
    Source




    ■ Helga M. Novak
    sur Terres de femmes

    Lettre à Médée (poème extrait du recueil C’est là que je suis)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    une autre poème extrait du même recueil (+ une notice biographique)
    → (sur le site des éditions Hochroth)
    la page de l’éditeur sur Chaque pierre orpheline
    → (sur Recours au poème)
    Helga M. Novak par Pascale Trück
    → (sur Terre à ciel)
    Helga M. Novak : c’est là qu’elle est, par Sophie g. Lucas
    → (sur le site de Blandine Longre)
    un autre poème extrait de Chaque pierre orpheline






    Retour au répertoire du numéro de novembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 14 novembre 2012 | Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison

    Éphéméride culturelle à rebours




    L’AUTRE SAISON, D’APRÈS UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD
    (extrait)



    14 novembre



    Rimbaud s’est éprouvé enclin à la tentation. Un de ses poèmes s’intitule « Le Mal », mais il n’y parle que de la guerre franco-prussienne de 1870. La guerre est une occurrence du mal partout dispersé sur le monde et concentré à des heures sur de certains points où brûlent ses bubons. Il en fut pour lui cependant d’une tentation tout autre, que l’on ne perçoit pas toujours. À celle-là, je l’assujettis corps et âme. Il est possible que je me trompe. Je le vois assez tôt se haussant jusqu’aux ambitions de Prométhée, « voleur de feu », comme il le dira lui-même, séduit, puis persuadé à l’idée qu’à ce monde pourrait être substitué un autre et qu’il avait, pour ce faire, tous les pouvoirs. Les « Délires » de la Saison l’affirment assez fort, non sans en scruter les apories, les courbes, les embûches, les défilés. Réinventer l’amour, créer un nouveau langage. Programme de dépassement intégral et — comme auraient dit les Grecs — expression de l’ubris portée à son plus dangereux degré d’incandescence.

    Quelles injonctions, quelle malignité engagent certains êtres à s’élever à ces hauteurs qui longent des précipices ! D’ici même, d’ici-bas, on pressent le vertige éprouvé. Et qui rendre de tout cela responsable, outre soi, sinon Satan, lequel erre par des traverses inconnues et nous saisit là où nous ne l’attendions pas ? De l’orgueil et de la volonté de puissance qu’il avait Rimbaud aurait pu se contenter, fier de l’expérience tentée. La Saison le voit revenir sur son outrecuidance, victime, qui plus est, de maléfices, damné en ce monde avant l’autre, supplicié au gril de son impertinence. Attribuer en dernière analyse ses désirs fous à l’Aversier relevait de la démarche la plus logique et concédait à la légende. Et qui mieux que Rimbaud s’éprouva légendaire ? « N’eus-je pas une fois une enfance à écrire sur des feuilles d’or. » Quelle illusion rétrospective ! Et comme l’on sait bien, depuis, à moins de retrouver en elle le mythe de toutes les enfances, que la sienne fut moins heureuse que les autres, davantage vouée aux médiocrités de la basse existence, aux pauvretés communes. Il faut croire qu’en marge se développa son génie, embarrassant et frémissant engendrement auquel, bien entendu, il pensa, par la suite, que Satan avait procédé. De là, avec un peu de retard, son adresse au Père nourricier, à l’Alchimiste de service, comme à qui de droit et sans véritablement secouer le joug, avec — au contraire — le souci de s’enfoncer dans des abîmes et, franchissant l’Achéron, d’entrer tout vivant dans la ville de Dité environnée de brumes et couronnée de feux délétères.



    Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison, d’après Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, Collection « le livre la vie » dirigée par Isabelle Grell, Nantes, 2013, pp. 35-36.




    Retour au répertoire du numéro de novembre 2014
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes