Étiquette : 2013


  • Marie Huot | [Le cerf a retourné sa couleur]




    Diane de Bournazel
    Un des quatre dessins de Diane de Bournazel
    illustrant le tirage courant de Douceur du cerf








    [LE CERF A RETOURNÉ SA COULEUR]



    Le cerf a retourné sa couleur à l’intérieur de lui.
    Il sait qu’on ne le mangera pas
    il vient au monde très lentement
    les paupières baissées sur un fil d’horizon.
    Il garde un mystère premier
    être est fragile
    être tremble sous la peau des biches
    être s’amenuise
    mais sur être on peut construire une joie.



    Marie Huot, Douceur du cerf, 14, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013, s.f. Dessins de Diane de Bournazel.







    Marie Huot, Douceur du cerf





    MARIE HUOT


    Marie Huot




    ■ Marie Huot
    sur Terres de femmes

    [Dans ma maison de Geronimo] (extrait de Ma Maison de Geronimo)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Découvreurs)
    une lecture de Douceur du cerf par Georges Guillain
    → (sur le site des éditions Al Manar | Alain Gorius)
    une page sur Douceur du cerf





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  • Cécile Oumhani | [S’abandonner au sommeil]



    Comme au début d'un très long voyage
    Odyssée, Mosaique
    Musée du Bardo, Tunis
    Photo Christian Lubrano
    Source








    [S’ABANDONNER AU SOMMEIL]



    S’abandonner au sommeil comme au début d’un très long voyage. Portée par ce que l’aube garde d’inconnu dans les retrouvailles.

    Ai-je entendu l’appel à la prière ?
    Essalât khaïr min ennawm
    Mieux vaut prier que dormir

    Ou son vertige a-t-il passé le seuil de mes rêves ?
    Effacé leurs contours.
    Une voix plongée dans l’immensité de la nuit.
    Exaltée par sa profondeur.

    Bien plus qu’une traversée de la ville, la remontée du passé. Enfilade de séjours tout au long d’années où l’appel me ramenait à la certitude d’un lieu.

    Pas celui où je suis née. Mais pourtant indissociable de ce que je suis. Même dans l’absence, dans cet écoulement lisse de nuits et de jours, ailleurs, alors qu’ici continue d’exister. Sans que j’y sois.



    Cécile Oumhani, Tunisie, Carnets d’incertitude, éditions elyzad, 2013, pp. 42-43.







    Cécile Oumhani, Tunisie, Carnets d'incertitude, éditions elyzad, 2013






    CÉCILE OUMHANI


    Cecile_oumhani



    ■ Cécile Oumhani
    sur Terres de femmes

    Interview de Cécile Oumhani par Rodica Draghincescu
    (+ Bio-bibliographie)

    Aux prémices du sable (poème extrait de Chant d’herbe vive)
    Le Café d’Yllka (note de lecture d’AP)
    [Dès l’aube ils s’interpellent] (poème extrait de Cités d’oiseaux)
    Éclats de rêves (poème extrait d’Au miroir de nos pas)
    Rêves de draps (extrait de Mémoires inconnues)
    [j’ai marché dans l’ignorance] (poème extrait de La Nudité des pierres)
    Ne craignons pas la nuit (poème extrait de Chant d’herbe vive)
    La Nudité des pierres (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Temps solaire, III (poème extrait de Temps solaire)
    Touching land (poème extrait de Passeurs de rives)
    Avant-propos de Lalla ou le chant des sables d’Angèle Paoli
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Manhattan redux
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Cécile Oumhani, « Seuils possibles », Revue Confluences Méditerranée n° 22, été 1997



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions elyzad)
    la fiche de l’éditeur sur Tunisie, Carnets d’incertitude
    → (dans la Poéthèque du Printemps des poètes) une
    fiche bio-bibliographique sur Cécile Oumhani
    → (sur Levure Littéraire n° 7)
    Sous le « bleuté des plis de la nappe », d’admirables ciselures (note de lecture d’AP sur L’Atelier des Strésor de Cécile Oumhani)





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  • Chantal Ravel | Épreuve 3




    Ils apprivoiseront les chimères
    Ph., G.AdC







    ÉPREUVE 3



    De cette histoire portée à la lumière, l’enfant sur tes épaules s’allège.

    Il sèche les larmes aux carreaux des fenêtres et pique sa monture
    dans l’impatience du jour qui l’appelle.

    Tu te laisses guider un peu plus loin encore
    pour voir jusqu’où iront les mots,
    pour voir s’ils apprivoiseront


    les chimères.




    Chantal Ravel, Est-ce que cela a existé ?, Jacques André éditeur, Collection ArtSquare, 2013, pp. 33-45. Photographies d’Évelyne Rogniat.







    Rogniat
    CHANTAL RAVEL | ÉVELYNE ROGNIAT





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Est-ce que cela a existé ?
    le site d’Évelyne Rogniat





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  • Andrea Inglese | [In questa poesia sono senza sguardo]



    DANS CE POÈME JE SUIS SANS REGARD]
    Ph., G.AdC







    [IN QUESTA POESIA SONO SENZA SGUARDO]




    In questa poesia
    sono senza sguardo
    eppure completo il foglio e lo firmo
    riesco a rispondere al telefono
    sono senza cervello ma corro all’uscita
    sono perfettamente in orario
    anche dentro il garage faccio spazio
    uso tutto il mio corpo
    i passanti mi guardano con approvazione
    completamente privo dello sguardo
    prendo l’ascensore e seguo una donna
    mi lascio presentare al responsabile
    gli stringo la mano senza cervello
    lui mi guarda contento




    Andrea Inglese, La grande anitra, Edizioni Oedipus, Collana Megamicri, Napoli, 2013.








    [DANS CE POÈME JE SUIS SANS REGARD]




    Dans ce poème
    je suis sans regard
    pourtant je complète la feuille et signe
    réussis à répondre au téléphone
    je suis sans cerveau mais je cours vers la sortie
    parfaitement ponctuel
    même dans le garage je fais de l’espace
    utilisant tout mon corps
    les passants me regardent avec approbation
    complètement privé de regard
    je prends l’ascenseur et poursuis une femme
    me laisse présenter au responsable
    je lui serre la main sans cerveau
    il me regarde content




    Andrea Inglese, Mes cahiers de poèmes in Lettres à la Réinsertion Culturelle du Chômeur, Éditions Nous, Collection disparate, 2013, page 76. Traduit de l’italien par Stéphane Bouquet.






    Andrea Inglese, Lettres à la Réinsertion Culturelle du Chômeur
    ANDREA INGLESE


    Andrea Inglese

    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous) la fiche de l’éditeur sur Andrea Inglese
    → (sur remue.net)
    Andrea Inglese | Colonne d’aveugles





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  • Jonathan Williams, Portraits d’Amérique

    Jonathan Williams, Portraits d’Amérique,
    Éditions Nous, Collection Now, 2013.
    Traduits et édités par Jacques Demarcq.
    Introduction de Rachel Stella.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « UN PETIT LIVRE POUR ÉCLABOUSSER L’AUTRE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE »



    « Un petit livre pour éclabousser l’autre côté de l’Atlantique ». Tel est le souhait exprimé par Rachel Stella dans son introduction aux Portraits d’Amérique du photographe, poète et éditeur Jonathan Williams.

    J’ignore encore si le but est atteint, le « petit livre » venant tout juste de voir le jour aux éditions Nous. Une chose est sûre, c’est que ce livre est jubilatoire. Aucun des portraits (trente-et-un en tout) réalisés par Jonathan Williams, photographies et textes, n’échappe à l’humour de leur auteur. Peut-être y a-t-il aussi, sous-jacent aux mots de l’Américain, l’humour propre à Jacques Demarcq, le traducteur de ces portraits miniatures. Tandem réussi, car chaque page apporte son lot de surprises et, à chaque page, le rire est au rendez-vous.

    Condensés sur une seule page, le plus souvent répartis sur deux paragraphes, les portraits n’occupent pas plus d’une vingtaine de lignes (entre dix-huit et vingt le plus souvent). Sur la page en regard (page de droite ou page de gauche) se trouve la photo en corrélation avec le texte.

    Album à double entrée, Portraits d’Amérique présente des poètes et des écrivains mais aussi des artistes ou des créateurs farfelus qui couvrent la totalité du XXe siècle. Les dates de naissance s’échelonnent de 1873 à 1947. La disparition la plus ancienne remonte à 1953. Quant au benjamin de la galerie, Thomas Meyer, né en 1947, il est toujours de ce monde et incarne selon l’écrivain-photographe le type du Puer Eternus décrit par le professeur Karl Jung.

    Le lecteur croise inéluctablement, au cours de sa lecture, les grands noms de la poésie américaine : Mina Loy, Lorine Niedecker, William Carlos Williams, Louis Zukofsky, Ezra Pound, Allen Ginsberg, Charles Olson, Robert Duncan… et bien d’autres encore. À côté des plus connus, figurent d’autres noms dont la notoriété n’est sans doute pas tout à fait parvenue jusqu’aux confins des terres européennes. Eddie Martin, sorte de Facteur Cheval de Géorgie ; Vollis Simpson de Caroline du Nord (né en 1919 et toujours vivant), grand inventeur de machines éoliennes, combinant Miró et Dubuffet et qui se demande où diantre ses géniteurs sont allés dénicher un prénom pareil ; le coiffeur-pasteur-franc-maçon Elijah Pierce, l’« un des meilleurs sculpteurs afro-américains » qui « prie au-dessus [du bois] avant de l’entailler » ; James Harrold Jennings, un « visionnaire » qui vit dans sa campagne « sans eau courante ni électricité ni automobile ni téléphone »… et dont les inventions lui tiennent compagnie. « Des constructions brillamment colorées avec des bouts de bois récupérés ». Il y a aussi Thornton Dial, noir d’Alabama, peintre en bâtiment qui ne sait ni lire ni écrire mais qui sait ce qu’il a à faire et écrit tout de même dans son Thornton Dial : Image of the Tiger :

    « y’a là
    tous les visages de l’Amérique

    tous les blancs tous les noirs
    tous les bruns tous les rouges

    tous les jaunes… »

    Il y a là tous les visages de l’Amérique, en effet, toute sa folie qui fait sourire et qui surprend ; tout le côté « foldingue » de ses originaux qui laisse abasourdis nos esprits cartésiens.

    Seule la première photo du « petit livre » impressionne. Il ne s’agit nullement d’un portrait de la sculptrice Laura Pope Forrester, la doyenne de la suite, mais de l’une de ses réalisations. Visage et main de morte engoncés dans la matière, regard incisif qui tente de déjouer le mystère. « Sérénité d’expression qu’on ne trouve que dans certains temples bouddhistes ou hindous », écrit Williams. Voire. Cette photo a spontanément exhumé pour moi l’une des « momies de Palerme » de la crypte des Capucins.

    Chaque portrait surprend, cerné par une remarque incisive ou une expression du visage qui caractérise la personne. Ainsi de Mina Loy, dont la poésie érotique, définie comme « élégiaque et satirique », n’est pas appréciée. Parce que « les gens n’aiment pas ce genre de poésie », commente Williams. Son œuvre, inconnue de tous, constitue pourtant une exception absolue. Quant à Ezra Pound, qui suit immédiatement Mina Loy, son portrait se conclut sur cette remarque lucide mais probablement juste : « Tout ce que j’ai fait, c’est un peu de bruit pour quelques gus que personne n’écoutait. » Le docteur William Carlos Williams étonne par ailleurs par « sa féminité ». « Exaspéré par la fréquentation d’un monde insensible », il tient « sa force de sa vulnérabilité ». L’œuvre de l’écrivain Edward Dahlberg (1900-1977) est définie comme « un sommet impossible dans la Cordillère »… et les titres de ses ouvrages sont à eux seuls promesse de joyeusetés érotiques : Que ces os revivent, Les Puces de Sodome, Parce que j’étais de chair, Les Larmes de Priape, La Porte arrière de Cythère, L’Américain sans feuille de vigne. De Zukofsky, « Zuk », mort en 1978, Williams dit « qu’on se mettra à (le) comprendre dans une centaine d’années. » Robert Creeley apparaît en « portrait de l’artiste en assassin espagnol ». Gabardine noire et borsalino jouant de l’ombre sur le visage. Œil sombre et petite moustache, noire elle aussi. Denise Levertov, « de mère galloise, de père rabbin hassidique devenu prêtre anglican », bras croisés sur sa robe rapportée d’Oaxaca (Mexique), semble une petite fille sage. Allen Ginsberg, « Ginzy », à la barbe chenue et en salopette de travail, est un original qui chante   William Blake en s’accompagnant sur un harmonium de l’Armée du Salut ». Il y a aussi James Laughlin, en ombre chinoise avec pipe, à qui Pound avait dit : « Non, Jaz, c’est sans espoir. Tu ne feras jamais un écrivain, même avec de la volonté » ; Jaz dont on découvre, à sa mort, « qu’il avait écrit davantage de bons poèmes classiques que Catulle, Martial, Properce et Horace réunis ». Seul le gros Charles Olson, « le Big O », père de l’énorme somme poétique Les Poèmes de Maximus, a droit à quatre pages. Deux pages de portrait et deux photos. Du maître du Black Mountain College, Williams, venu étudier la photographie, apprend que « TOUT HOMME EST SON PROPRE INSTRUMENT » et qu’un écrivain a tout à gagner à éditer ses propres ouvrages. Sans compter la leçon d’énergie contenue dans les formules intempestives : « MAKE IT NEW ! DO IT YOURSELF ! BE ROMANTIC… AND NEVER BE RUSHED! »

    Chaque page de cet opus est une découverte qui invite à d’autres découvertes. Et chaque découverte réserve son moment de plaisir.

    Si certains poètes présents dans ce petit opus sont issus du Black Mountain College, la plupart ont été soutenus par la Jargon Society et publiés par la Jargon Press, maison d’édition créée par Williams. Dont la ligne éditoriale est de s’intéresser aux auteurs d’un « modernisme » sans concession ainsi qu’à des créateurs marginaux. Les poètes bon ton bon genre, « les traditionalistes de Nouvelle Angleterre, les esthètes de l’École de New York » ainsi que « les Beat de la Côte Ouest » sont exclus du programme éditorial de Williams. Mais l’on apprend aussi que Williams s’est un jour détaché du Black Mountain, de son environnement et de son réseau d’influences. Parce qu’il faut bien couper le cordon, que le Black Mountain était devenu un club et que les chemins, inévitablement, se séparent.

    Chemin faisant, on découvre que « le « milieu » de la poésie américaine est susceptible ». Qu’après la boutade de « la prose ventilée » de Richard Buckminster Fuller, survient une définition du poète : « le poète est celui qui rassemble les choses. » Que Louis Zukofsky résume sa conception de la poésie dans cette note : « Moins la poésie tient compte de la vie quotidienne et du sens rythmique d’un individu, moins elle a de chance d’être lisible. » Et que, derrière les formules d’Aaron Siskind (tout comme Harry Callahan, Siskind enseigna la photographie à Williams) : « quand je photographie un mur, je prends autre chose »/« quand je visite un nouveau pays, je trouve des vieux Siskind », c’est toujours de Siskind qu’il s’agit ; c’est toujours Siskind que l’on retrouve. Et l’on trouve aussi, formulée par la plume de Williams, toute son admiration pour Lorine Niedecker « la poétesse la plus absolue depuis Emily Dickinson… ». On est en présence, écrit-il encore, d’« un poète dont les pairs sont la Dame Ono Komachi et Sappho. Peu d’autres noms viennent à l’esprit. »

    Les Portraits d’Amérique de Jonathan Williams, sont aussi, de manière indirecte, le portrait de Jonathan Williams. Un grand éditeur et un grand photographe. « Artilleur d’un autre canon ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Williams







    JONATHAN WILLIAMS


    Portrait Jonathan  Williams
    Ph.: Arnold Gassan
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous)
    la fiche de l’éditeur sur Portraits d’Amérique





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  • Alain Freixe, Vers les riveraines

    par Sylvie Fabre G.

    Alain Freixe, Vers les riveraines,
    Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013.



    Lecture de Sylvie Fabre G.



    Sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit
    Ph., G.AdC







    CE QUELQUE CHOSE QUI APPELLE



    Si le langage échoue toujours à nommer ce quelque chose qui appelle par-dessus « les murs » du monde, il nous aide pourtant à mieux approcher ce que le regard nous en accorde et à toucher sa part d’inconnu. Car ce quelque chose, qui vient du monde et y retourne, parfois un bref instant nous en écarte. Et pour le dire, nulle voix autre que la nôtre qui reste une promesse à tenir. Vers les riveraines, le dernier livre d’Alain Freixe, paru aux Éditions L’Amourier cet automne 2013, le tente en frayant, en quatre étapes successives, un véritable parcours initiatique pour habiter le monde en ce « cœur d’absence » et dans les « merveilles » qu’il nous offre de la présence. Comme Rimbaud, le poète avance sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit et, comme Perceval, il s’immobilise sur « l’autre versant » où s’oublier est « ne pas dire adieu ».

    Mais avant d’y parvenir, le chemin pour sortir du labyrinthe reste à accomplir. Dans le texte en prose liminaire, la personne employée par l’auteur est le « nous » réunissant significativement celui qui écrit et celui qui lit dans une même quête. « Quand le monde fait la roue entre torpeur et hypnose dans la nuit du sens », « que peuvent les mots ? », se (et nous) demande Alain Freixe, au seuil de son entreprise. La réponse est déjà une manière d’orientation. Les mots, assure-t-il, nous accordent une avancée « en enjambées risquées, courses poudreuses, écarts et pas » et « des échappées réfractaires ». Malgré leurs limites et nos incertitudes, ils peuvent donc nous aider à condition que nous soyons prêts à accomplir une traversée et à habiter l’intervalle. Pour aller avec eux « vers ces riveraines » que nous annonce le titre, deux nouvelles questions restent à se poser. Elles ferment l’invitation et ouvrent la voie à suivre. Elles sont cette fois-ci adressées au lecteur sur le ton de l’interpellation comme si le poète voulait l’entraîner à prendre conscience individuellement de son rapport au temps, et plus largement à celui de la vie et de la mort : « Comment portez-vous le temps qui vous porte ?// Comment parlez-vous des morts ? ».

    Ce « vous » nous convie donc au dialogue silencieux, impulsé par la parole poétique qui va suivre dans son alternance de proses ou de vers. Le retour sur soi rejette tout divertissement et abruptement nous confronte à la vérité de notre condition humaine. Le poète va s’employer lui-même dans les deux premières parties du livre à se placer face à l’énigme de l’homme en ce monde, en n’accordant aucune concession à la transcendance. Si ses mots « cherchent la brèche » et « traversent parfois », s’ils font passer « dans le vent implacable/d’un regard d’encre/parfum et musique/ », ils nous ramènent toujours à une expérience ancrée ici et ne nous promettent nulle autre demeure que le chant du poème, tel celui de l’oiseau « passereau de l’âme ». Ce chant, source d’un appel, est le fruit d’une habitation.

    Dans Parler des morts, première partie autobiographique, Alain Freixe effectue une remontée dans son propre passé à partir d’un pays natal, le pays catalan où il a vécu son enfance, où vit encore en partie sa famille et où leurs morts sont enterrés. Cette visite sur leurs traces se fait dans le souffle des vents, les « veines du noir », le bruit de la mer et sur fond de paysage à « l’olivier de Bohême » et de maisons éboulées. Lui-même est, comme tous les autres, « l’homme qui passe » « au nom envolé ». Il marche « parmi des os » et « des paroles lointaines » et écrit la « fiction d’oubli » dont il vient. De l’enfance, il ne reste à l’âge mûr déjà « envoûté d’hiver » que l’ombre et la solitude, que des cendres et « des paroles-gravats ». Le poète refuse la nostalgie pour penser les cœurs pétrifiés, la misère, le malheur ou décrire les figures tutélaires comme « Marie la noire /aux émois », toutes les femmes qui saignent, sorcières ou mères. Le long poème lyrique, Qui appeler, construit sur une série d’images et d’anaphores, se termine sur le constat du vide, et l’ensemble de la seconde partie sur celui de « personne n’est là ». Il faut bien alors seul « porter le temps » et espérer comme Apollinaire « que tombe la neige » et la misère, et que vienne, « perdue derrière ses cheveux noirs, une femme » ou « quelque chose » pour que s’arrête la chute. Retrouver un visage, marcher pour rencontrer l’inconnu devant soi, même si nous sommes sûrs de la perte. Il n’y a « pas de paradis », nous dit le poète, mais il y a peut-être une « passerelle de lumière au-dessus du vide » et sûrement « un homme qui-cherche-à-voir » et écrire.

    De cet espoir et de sa soif, mais aussi de la blessure et de la fente, de l’espace désencombré de l’enfance et des morts, du voyage entrepris dans la vie « disjointe », la troisième et la quatrième partie du recueil nous montrent ce qui naît : un pari pour « la dorveille ». Après Le baiser du noir, c’est contempler et accueillir, donner une place à ce qui surgit de la présence et dans la présence. C’est entrer dans la couleur « ni rouge ni blanche » mais « rose, couleur nouvelle » et, à la manière de Perceval, ouvrir un instant la clôture du temps pour pénétrer le perdu. Les deux grands poèmes qui constituent la troisième partie, en vers libres, au présent, au futur et au conditionnel, unissent, dans cette expérience, le passé au devenir, mêlent le vécu et le rêvé dans un même élan lyrique.

    L’hymne à la nuit de la dernière partie, Vers les jours noirs, est le point d’orgue où la voix du « on » résonne avec le « nous » du texte liminaire. Élargissant le singulier à l’universel, reliant le silence à la parole, elle va rejoindre le chant. Ce chant, qui a pour nom Poésie, redonne un nom à « l’homme au nom envolé ». Et, avec lui, à tous ceux qui l’accompagnent dans l’écriture du passage.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.







    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes


    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Pierre Péju, L’État du ciel
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





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  • Jacques Roman | [La rature, accouplée à la jouissance d’écrire]




    épreuves raturées
    Source







    [LA RATURE,
    ACCOUPLÉE À LA JOUISSANCE D’ÉCRIRE]




    La rature, accouplée à la jouissance d’écrire, témoigne, érectile en sa poigne, de l’infernale demeure où qui s’écrit, déjà mort, n’est pas encore de ce monde. Peut-être est-elle toujours hantée de ce désir double de qui ne cesse d’aimer ce qu’il écarte, ne cesse d’écarter ce qu’il aime, parce que lui-même écart, lui-même en proie à la rature. Joyce raturant et raturant les épreuves d’imprimerie, réécrivant, ne cessant d’écrire, ajournant le livre, son poids de plomb, sa mise au marbre.


    La rature dit que ça tâtonne, que ça erre, que ça hésite, que ça cherche, que ça tombe, se relève, s’impatiente, dit qu’il y a du jeu et de la marge là où ça s’engage. La rature montre ce que ne montre pas le mot écrit, la rature montre la solitude de ça.


    […]


    La rature, dans la pratique que nous en avons, apparaît toujours suivant l’écriture, coup après coup, alors qu’elle en est l’énergie de la naissance. C’est de la première rature que pouvait émerger l’écriture. C’est dans son geste qu’a lieu la gestation de l’écriture, dans son geste que l’écriture continue d’advenir au monde de la nuit.

    Rature est l’un des petits noms du chaos.




    Jacques Roman, le dit du raturé/////le dit du lézardé, Éditions Isabelle Sauvage, 2013, pp. 24-25-26-27.






    JACQUES  ROMAN


    Jacques Roman 2




    ■ Jacques Roman ▼
    sur Terres de femmes

    Le là embrase son corps (extrait de D’entente avec oui)
    Proférations (lecture d’Isabelle Lévesque)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le Cultur@ctif Suisse)
    plusieurs pages sur Jacques Roman dont une notice bio-bibliographique
    → (sur Terre à ciel)
    un dossier Jacques Roman
    → (sur letemps.ch)
    un entretien avec Jacques Roman





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  • Emmanuelle Pagano, Nouons-nous

    par Isabelle Lévesque

    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous,
    éditions P.O.L, 2013.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    L'objet existe peu sans sa capacité à relier à l'autre
    Ph., G.AdC







    « NOTRE JOIE SALIT TOUT LE MIROIR »



    Je lui demande ce qu’il a, il me répond : toi.



    Tout débute. Nœud des pronoms attachés (trait d’union), verbe au diapason d’homophoniques étreintes nues : Nouons-nous (nous-on-nous ?).

    D’emblée. Geste.

    Pas une question, une suggestion : réalisation dans la langue de l’attraction je/tu, communément deux-en-un. Alors petits récits juxtaposés entrecoupés de pauses réflexives. Deux unités vers seule contraction. Narrateur/narratrice, les instances multiples alternent pour que chacune tende vers la fusion. Acte dirigé, faire corps ou souffle commun.

    Au commencement, le deux posé ne demande qu’à se confondre :

    « Entre lui et moi, juste la place d’un tissu tendu comme du papier. »

    Au milieu, l’attrait d’un verger d’enfance, classement des arbres fruitiers comme un écolier rangerait ses craies, s’il en avait encore, avant de lire sur l’ardoise les noms qui composeront son souvenir : « Cerisiers, pommiers, abricotiers ». Ce jardin qui n’est plus, enceinte des parents sévères perdus, revient entre deux textes avant l’évocation tendre de l’amoureux « accordéoniste » rencontré lors d’une noce qu’il fait danser :

    « Ils étaient tous si serrés, engoncés. Un seul ouvrait les bras, et c’était lui. Pour faire de la musique il embrassait l’air, il accueillait le vide, il respirait à grands gestes. »

    Ouverture des bras où prendre place : écho dans le texte d’Emmanuelle Pagano. Il échappe à un genre précis, ce livre égrenant les notations poétiques et brèves, prenant parfois la forme de vérités nues désarmantes, naïves, revenant de bords éculés de la réflexion dans leur immédiate candeur :

    « Je pourrais l’accompagner n’importe où, même ici. »

    D’autres, à la portée particulière et concrète, placent des sensations inattendues facilitant la représentation d’un état psychologique, son enracinement :

    « L’aimer c’est m’inquiéter. L’air devient solide dans ma gorge. »

    Les sensations, perpétuellement présentes, se substituent au logos, à une pensée logique et raisonnante qui permettrait d’analyser notre rapport au monde. Nouons-nous ne dissèque pas, il approche, par frottement, à tâtons, ou d’une oreille, le corps de l’autre (de même sexe parfois) désiré. La lecture est celle du corps : odeur de l’autre perçue comme étant sa substance même, son être, à l’égal de la salive, du sperme, des larmes de l’aimé une à une répandue dans le sexe de celle qu’il aime – elle voudrait le consoler mais goûte la douceur salée en elle qui se verse.

    Nous suivons la petite musique de la narratrice éprise (…ou du narrateur…), nous charmant. Voix douce, l’air de rien, elle recompose dans un joyeux désordre la trame d’une rencontre pour revenir au quotidien, liant tout, comme sont noués les amoureux qui dansent. Après l’accordéon dans les bras ouverts du musicien, une amoureuse (autre je ou variante du premier) porte à ses lèvres l’embouchure du saxophone. Langage du corps, l’objet existe peu sans sa capacité à relier à l’autre, les êtres inventent une communication sensuelle où s’imprégner (ou imprégner) des humeurs du corps, lèvres laissant saliver le désir sur la bouche de l’instrument qui rejoindra celle de l’aimé. « [O]utils coupants, des ciseaux fins, des coupe-ongles, des rasoirs, des pincettes », autant d’instruments pour les mains qui fabriqueront « des personnages et des décors de théâtres d’ombre » ; ce que la narratrice transformera avec « ses mains augmentées ».

    « [A]musement », mot maître de l’amoureuse qui s’attendrit d’un geste (écarter la peau des fruits, du boudin pour ne savourer que la chair) : dresser ainsi un glossaire d’habitudes infimes et signifiantes. Dans la géographie amoureuse, l’autre devient diversions souriantes.

    La contagion s’opère du geste amoureux au rire qui est une autre forme de déclaration :

    « Tout le monde nous regarde. Gêné, il essaie d’étouffer mon rire avec sa main, qui moule ma bouche. Je continue de rire dans ses doigts, il rit à son tour car ça le chatouille. »

    Force enfantine, laisser aller le geste jusqu’à son terme dans sa délivrance joyeuse. Ou résister lorsque l’on refuse la rupture, éviter le face à face s’il se réduit à une parole d’adieu :

    « Elle ne trouvera pas de temps pour me parler seule à seul. »

    Stratégie en forme de jeu, refus de cesser.

    Parfois, oui, des séparations dénouent le fil du texte, les fragments dispersent les émotions d’un « nous » qui se scinde comme cette femme élagueuse qui continue à couper les branches « sanglée, la tronçonneuse dans le dos » comme du temps où son homme la trouvait ainsi désirable. Les récits correspondent à des phases différentes. Fin de parcours, cela arrive, mais l’enchaînement sur l’union de deux bouches se donnant à boire « de rire en rire » désamorce les scènes de rupture.

    À plusieurs reprises, le rire partagé (son éclat) fixe la reconnaissance amoureuse. Capacité à connaître le diapason : la musique, bien présente, accorde les cœurs et l’instant où les amoureux rient ensemble dans la salle de bain « en postillonnant » :

    « Notre joie salit tout le miroir. »

    La salive n’est pas seulement échangée dans les baisers, la bouche peut faire boire l’autre comme un même rire éclate en laissant des traces enfantines semblables à la buée d’un baiser sur la vitre.

    Écrire à même. Un seul auteur pour nouer des narrateurs au livre, dans le même espace. Les gestes entre les êtres multipliés dans les récits morcelés se fixent sur une image. Le deux en tous : facettes du miroir sur une route bordée de lèvres et mains, de sexes et ventres.

    Au cœur de ces allers retours, le livre est compagnon. Mis en abyme, il ne s’interpose pas, il devient allié de fusion. Inscrit dans l’attente de l’autre et de l’union :

    « Je m’inquiète pendant je ne sais combien de pages. »

    Unité de mesure du temps, il évite la désertion ou l’angoisse, il occupe l’espace qui sépare les deux corps, les deux êtres fatalement unis au terme de ce laps – ou séparés, définitivement dénoués.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous, P.O. L, 2013.






    EMMANUELLE PAGANO




    ■ Emmanuelle Pagano
    sur Terres de femmes

    L’Absence d’oiseaux d’eau (lecture d’AP)
    Emmanuelle Pagano | Claude Rouyer, Le Travail de mourir (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    quelques pages de Nouons-nous
    → (sur vimeo)
    une lecture à deux voix (Emmanuelle Pagano et Laurent Mauvignier) de larges extraits de Nouons-nous (Écrivains en bord de mer, La Baule, juillet 2014)
    le site d’Emmanuelle Pagano



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Colette Klein | [Nous fleurirons nos tombes avec des plumes d’oiseaux]



    J'aurai réappris le vide
    Ph., G.AdC






    [NOUS FLEURIRONS NOS TOMBES AVEC DES PLUMES D’OISEAU]



    Nous fleurirons nos tombes avec des plumes d’oiseaux.
    La nuit regardera la pluie mouiller les pierres
    sous ses lèvres humectées de salive et de vent.


    J’aurai cessé de parler aux morts.
    J’aurai réappris le vide.


    L’oubli capture
    jusqu’aux reflets demeurés trop longtemps derrière les
    miroirs
    eux-mêmes peints à la gouache
    depuis la naissance de la lumière.



    Colette Klein, Mémoire tuméfiée, suivi de Lettres de Narcisse à l’ange, Éditions Éditinter, 2013, page 19.






    _______________________________________________

    NOTE : « Après derrière la lumière paru en 2010, Colette Klein publie Mémoire tuméfiée suivi de Lettres de Narcisse à l’Ange aux toujours efficaces éditions Editinter, avec une postface du poète Gérard Cléry, donnant du texte une lecture forte et émouvante. Cléry y parle de « pessimisme ». Je dirai aussi prise de conscience d’une certitude qui « ne sert à rien », formule souvent reprise dans le recueil. Cette obligation de rester vivant dans le rythme du temps qui passe parmi les tuméfactions de la mémoire et du corps. Colette Klein sait, d’une langue efficace, en traduire l’écho contradictoire. Est-ce à vivre au jour le jour dans les débats permanents d’une réalité implacable ? Les mots du poète savent, par transfigurations poétiques, dominer cette douleur, non par réponses apaisantes, mais par l’inquiétude des mystères :

    « Pas même le reflet d’un portrait, dernier témoin d’une identité perdue,

    pas même le ruban dénoué d’une vie en forme de rêve.

    Que restera-t-il derrière le silence ? »

    [… ] »

    Extrait de Claude Albarède, « Bonnes feuilles », in Diérèse, n° 61, été-automne 2013, page 292.







    Colette Klein, Mémoire tuméfiée





    COLETTE KLEIN


    Colette Klein




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Colette Klein





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  • Alejandra Pizarnik | Fiesta



    Verres vides
    Ph., G.AdC







    FIESTA



    He desplegado mi orfandad
    sobre la mesa, como un mapa.
    Dibujé el itinerario
    hacia mi lugar al viento.
    Los que llegan no me encuentran.
    Los que espero no existen.


    Y he bebido licores furiosos
    para transmutar los rostros
    en un ángel, en vasos vacíos.




    Alejandra Pizarnik, Los trabajos y las noches, Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1965, pág. 106.







    FÊTE



    J’ai déployé mon état d’orpheline
    sur la table, comme une carte.
    J’ai dessiné l’itinéraire
    vers mon pays au vent.
    Ceux qui arrivent ne me trouvent pas.
    Ceux que j’attends n’existent pas.


    Et j’ai bu des liqueurs furieuses
    pour transmuer les visages
    en un ange, en verres vides.




    Alejandra Pizarnik, Les Travaux et les Nuits, Ypsilon Éditeur, 2013, page 46. Postface d’Olga Orozco. Traduction de Jacques Ancet.







    Pizarnik, Les travaux et les nuirs





    ALEJANDRA PIZARNIK

    Alejandra_pizarnik_1
    Image, G.AdC



    ■ Alejandra Pizarnik
    sur Terres de femmes

    Œuvre poétique (note de lecture d’AP)
    Cahier jaune et L’Enfer musical (note de lecture d’AP)
    El olvido (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
    Invocations (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
    La lumière tombée de la nuit (poème extrait des Aventures perdues)
    Les Aventures perdues (extraits + notice bio-bibliographique)
    La parole du désir (extrait de L’Enfer musical)
    Presencia de sombra (extrait de L’Autre Rive)
    Quelqu’un tombe dans sa première tombée (extraits de Textes d’Ombre)
    22 mai 1966 | Journal d’Alejandra Pizarnik
    25 septembre 1972 | Mort d’Alejandra Pizarnik
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    « L’Obscurité des eaux » (poème extrait de L’Enfer musical)





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