Étiquette : 2014


  • Marie Ginet | Une scie contre les barreaux



    MARIE-MADELEINE




    UNE SCIE CONTRE LES BARREAUX



    Quelque fois un ange squelettique
    me volubile heurté
    sa traversée de l’enfer
    ensemble
    rires et guérilla
    nous parvenons presque à lobotomiser la laideur
    une scie contre les barreaux du monde




    Des passants quelquefois
    venus de pays lointains
    montagnes aux noms imprononçables
    leurs manteaux de laine sentent la sueur et la neige
    ils ont des graines au fond des poches
    et la pensée tenace d’une terre à venir




    Quelquefois je m’assois près d’un vieil homme
    qui regarde les hirondelles dans le ciel virginal
    il pose sa main tachée sur la mienne
    et la lumière coule entre nous comme une larme

    Nous n’avons connu
    ni berceau
    ni cachot jaloux
    ni alliance
    que le goût de la liberté
    qui grandissait dans nos murmures

    Je sais que tremblera
    intacte et juvénile
    jusqu’au dernier instant
    son étrange révolte qui ressemble à la soif
    et jusqu’à son dernier battement
    mon cœur lui restera fidèle

    Quelque fois il n’y a personne que la solitude
    dont l’aile immaculée tournoie
    le bourdonnement de l’été
    l’ombre des figuiers dans le vent
    les ramures qui dansent
    l’écorce friable

    Une adolescente se baigne à mes pieds
    elle connaît les sources et le goût du silence

    Tout ce qui respire
    transpire et rayonne
    tout ce qui s’agite
    qui parle et qui danse
    tout s’effacera

    Il n’est pas de prière au-delà des eaux
    et rien ne m’exauce que la création
    fébrile présence pénétrant l’instant
    comète aux dents de lumière
    charge de plaisir au rebours des nuits



    Marie Ginet, Pulsation, Éditions L’agitée, 2014, pp. 56-57-58. Préface de Dominique Sampiero.





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source



    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    [Être de quelque part. Ou juste en venir] (extrait de Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes)
    Invasion de nuages (+ notice bio-bibliographique)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Plus vaste que nous






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  • Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur

    par Angèle Paoli


    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, récit
    Éditions Champ Vallon, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli


    23 avenue Jean-Jaurès








    L’ENFANCE S’ÉLOIGNE, VOYAGES À SAINT-MAUR DEMEURE




    La photo de l’« enfant sur une barque », un garçonnet en culottes courtes et en chandail tricoté main, est datée de juin 1958. Elle a été prise quai de Bonneuil, dont les berges sont jalonnées de « bâtiments industriels ». On trouve la description de ce paysage de bord de Marne un peu plus loin, dans le « Deuxième voyage » de Voyages à Saint-Maur. La photo sépia, illustration de la première de couverture, y est décrite.

    « Des frênes ombragent la scène. La prise de vue est sous-exposée. Des noirs charbonneux enserrent les corps, les tirent.

    Des poissons viennent aux nouvelles.

    — Ne bouge pas ! Ne les regarde pas ! Tu vas tomber ! »

    Ces précisions et compléments d’information, qui miment un instant le contexte de la photo, la ramènent au présent du moment où elle a été prise. Mais Jean-Louis Giovannoni, auteur de ces lignes, ajoute un peu plus loin, parlant des chevaines qui tournent autour de la barque : « la photo n’en a rien retenu. »

    Pareils aux poissons qui ont échappé à l’objectif, les souvenirs « échoués dans le présent », se dérobent, et leurs traces échappent à toute tentative de réhydratation. Ainsi en sera-t-il du passé que Jean-Louis Giovannoni ramène à la surface de sa mémoire dans Voyages à Saint-Maur.

    Il faut à l’auteur tout son talent d’écrivain pour se glisser dans les zones de flous, pour déplier les gestes, pour rendre aux voix leurs intonations d’origine. Et permettre ainsi aux visages qui surgissent de temps à autre de venir regarder le petit garçon des années 1950 en équilibre sur sa barque. Peut-être l’adulte qu’il est devenu parviendra-t-il à lui restituer son bien ? Cette « multitude d’histoires fixée sur papier sensible. »

    La barque est à l’arrêt, arrimée au piquet qui la tient rivée à la berge. L’eau du fleuve, un friselis, à peine. Debout à l’avant de la barque, l’enfant se tient droit et immobile. Rien ne bouge. Le récit de Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, tenu tout entier dans cette photo sépia, s’inscrit apparemment dans un paradoxe. Les voyages annoncés seront-ils immobiles ? Pas vraiment. Dans le temps, ils sont pluriels, inscrits dans une multiplicité. Ainsi le suggère le titre. Dans l’espace, ils se répèteront à l’identique, selon le trajet imposé par le bus 111. Depuis Paris jusqu’à Saint-Maur-des-Fossés, « une bonne heure environ ». Le voyageur déambule ensuite dans les rues du quartier, à la recherche du numéro 23 de l’avenue Jean-Jaurès. L’itinéraire se reproduit en sens inverse, à la fois semblable et différent, dans le retour vers Paris.

    Les « voyages » sont au nombre de douze. L’écriture des trois premiers renvoie à l’année 1981. Printemps 1981 / Été 1981 / Automne 1981. Vient ensuite un Hiver 1981/1982. Suit une ellipse temporelle de plusieurs mois qui prend fin avec le « Cinquième voyage », daté de septembre 1982. À partir du « Sixième voyage », le temps prend ses distances et l’on entre dans une tout autre coloration/connotation. Hors temps / De mon lit, un soir. /…Par temps couvert / Essais en plein jour / Le 21 décembre 2012. Deux voyages, le huitième et le neuvième, ne portent aucune indication. Quant au « Douzième voyage », suivi depuis l’appartement parisien sur Google Maps, l’écrivain y passe en revue les différents points névralgiques de sa banlieue, en faisant glisser le curseur, ne retenant au passage que quelques observations qui confirment le « désastre » :

    « Le 21 bis n’existe plus.

    Le 23.

    Je monte le curseur.

    Impossible d’entrer. L’image se brouille. »

    Ainsi prennent fin Voyages à Saint-Maur :

    « Fermeture de session

    En cours… »

    Le temps est élastique dans Voyages à Saint-Maur. Époques et âges se croisent. Les analepses fréquentes ramènent le passé sur le devant de la scène. L’enfant de jadis reprend ses droits sur la page. On y trouve ses rêveries et ses passions, ses aventures et ses jeux guerriers, sa cabane au fond d’un jardin, ses expériences d’entomologiste en herbe. On y croise ses camarades et les gens du quartier ; son chat Pompon et ses poissons rouges ; mais aussi les hantises maternelles, ses craintes obsessionnelles de la propreté et de la maladie. Passé et présent se cherchent, se superposent, fusionnent. Le gamin en culotte courte de la photo sépia livre les secrets de l’écrivain d’aujourd’hui. L’un et l’autre cohabitent avec tendresse.

    Dans cet incessant chassé-croisé entre hier et aujourd’hui (un aujourd’hui qui appartient désormais au passé de l’écriture), l’écrivain revient sur la période de Saint-Maur. Point fixe de la photo. C’est là qu’il a vécu avec sa mère, dans le modeste pavillon du 23, avenue Jean-Jaurès. Parfois, surgis des pages d’un album, d’autres lieux s’immiscent, qui appartiennent à la même époque. Quelques dates, inscrites au dos d’une photo ou marquées par un événement particulier, permettent de circonscrire une part de ce passé. Mai-juin 1960, « l’invasion des hannetons » à Saint-Maur. « Été 56. » La photo est « prise avec ma cousine Pierrette près de la maison familiale en Corse ». Été 63. La photo d’« un groupe de communiants sur la place du village U Carognu (Caroneo) ». Cette photo ramène avec elle l’incompréhension liée à la disparition de la fillette, et les vers que Jean-Louis Giovannoni lui a consacrés dans Le Corps immobile (éditions Unes, 1982) :

    « Comment a-t-on pu la convaincre

    de quitter notre photo

    où elle avait tout pour être heureuse ? »*

    L’une de ces photos porte la date de septembre 1958. Elle est prise à Saint-Maur. L’enfant a huit ans : « On m’offrit à huit ans une casquette avec protège-oreilles. » La casquette à oreillettes, signe vestimentaire distinctif de l’enfant de cette époque-là — « on me voit avec cette casquette sur presque toutes les photos ».

    Plus loin, dans le « Huitième voyage », une photo presque identique montre le « petit garçon perché sur un vélo d’homme, de fabrication ancienne. La photo a été prise dans les années 50. »

    On retrouve le chandail tricoté main et le short. Ailleurs les chaussettes en tire-bouchon, les sandales ou les brodequins, selon la saison. D’autres attributs viendront compléter l’attirail de l’enfant, petits soldats de plomb, albums illustrés, Tout l’Univers, marrons, et boîtes ; et un « petit vélo beige », trop grand pour lui.

    Revenons à l’année qui ancre le récit dans le temps : 1981. Sans doute l’auteur a-t-il envisagé, dès cette époque, de revisiter son passé, d’en noter quelques bribes sur des feuillets. Après avoir été abandonné, le projet d’écriture de ces voyages à travers le temps semble avoir retrouvé une nouvelle impulsion avec l’approche — en 2012 — de la date anniversaire de la mort de la mère. 1974. La publication de Voyages à Saint-Maur en 2014, aux éditions Champ Vallon, marque le quarantième anniversaire de sa disparition.

    De fait, le récit s’ouvre avec la mort de la mère. « Ma mère est morte ». Ainsi commence le « Premier voyage ». Passée cette première phrase — dont l’écriture blanche rappelle celle de Camus dans L’Étranger : « Aujourd’hui, maman est morte » —, le présent de la mort s’installe dans une durée qui rejoint celui de la vie : « Elle habite au 23, avenue Jean-Jaurès, rez-de-chaussée droite où elle dort. » Les deux présents coexistent, cohabitent conjointement, indissociables l’un de l’autre. « Les deux situations se côtoient. Aucune n’a la force. Impossible. », note l’écrivain dans cet incipit. Ainsi la mémoire reste-t-elle inopérante dans l’effort que fait l’écrivain pour séparer ce temps de la mort qui s’agrippe au temps de la vie. Et l’incompréhension demeure pour celui qui tente de saisir le mystère de la disparition :

    « Par où les choses disparaissent-elles ? Absorbées de l’intérieur ? En elles-mêmes  ?

    Désastre muet. Sans preuves. »

    L’écriture peut-elle apporter une réponse ? Comment s’y prendre ? Que noter ? Quelle méthode adopter ? Autant de questions qui se posent à l’écrivain qui revient sur le lieu de l’enfance. Autant de questions nécessaires pour tenter de cerner le passé, de l’enclore dans une page, de reconstruire, même illusoirement, même imparfaitement, un univers fragmenté, disparu ; le colorer d’une apparence de réel.

    « Installer un paysage ?

    Par épuisement. Usure. Jusqu’à voir à travers. Dans l’évidence. Où tout reste et ne sait tomber. »

    Installer un paysage. Cela donne un cadre pour vaincre la peur. Peur de constater que le décor a changé. Peur du doute qui taraude. Peur de se trouver confronté à l’impossible. Ou pire, à l’inutile, à la vanité de l’entreprise. « Pourquoi noter ? »

    « Je relis mes notes. Aucun passage sur eux (les hommes). Impossible de reconstituer ces lieux. Manque toujours quelque chose. Pas certain que ces arbres… peut-être trop au bord ? »

    S’attacher à noter les noms des rues et des places, les plaques commémoratives, les noms des usines ou des cafés, le cimetière, la topographie des boucles de la Marne, ses lieux-dits et ses îles… Telle est la méthode. Retrouver sur le territoire, tout ce qui y est inscrit une fois pour toutes, tout ce qui n’a pas changé, qui a résisté au temps qui passe. Tout ce qui restitue son dû à la mémoire. Retrouver la passerelle. La passerelle de la Pie.

    « La passerelle.

    Fantôme au-dessus de l’eau. La Marne lente. Lente et décidée. Elle chante dans les graves. Court par le métal et le béton. Jusqu’à mes pieds. Ma main. Collée à la rambarde.

    Corps traversé par les remous. Passerelle solide jambes dans l’eau. Enfant pris dans la nuit. Ne l’ont pas retrouvé. »

    Passé présent se frôlent ici, rêve et réalité se mêlent. Qu’est-ce qui revient à l’adulte dans ces lignes, qu’est-ce qui revient à l’enfant ? L’un et l’autre fusionnent laissant la question, devenue inutile, sur le bord.

    L’écrivain a beau vouloir contenir son récit dans une écriture objective, neutre, elliptique jusqu’à la sècheresse parfois, il ne peut empêcher les métaphores de se glisser dans les interstices. Jusqu’à faire surgir et à exprimer, inattendue au sein de la cruauté, l’émotion, progressive et lente. Et la beauté :

    « Sur la carte, Saint-Maur-des-Fossés ressemble à une poche. À une poche pleine. Un utérus gravide. D’où rien ne sortirait.

    Que la Marne est lente à serrer son tour.

    Nul ne se débat dans un nœud coulant. Pris au col, on ne bouge plus trop. On laisse passer le temps. »

    Retrouver les personnes que l’on a connues est une entreprise vouée à l’échec. Faire remonter les souvenirs qui se rattachent à elles est tout aussi improbable. Écrire sur ces personnes échappe :

    « Quand je parle de personnes, je devrais détailler un peu plus. La plupart du temps, je ne reconstitue qu’un bras, une main isolée ; un manteau, une casquette. Guère mieux. Mon taux de réussite est plus important pour les parfums et pour les voix. Je me concentre, et ils remontent. »

    Pour les odeurs, en effet, l’écrivain n’a pas son pareil. Odeurs de transpiration, de sueur, d’haleines… mélangées aux relents de cuisine incrustés dans les vêtements. Rien ne nous est épargné de ces détails peu ragoutants. Ils parlent de la modestie du quartier. Et l’auteur nourrit pour elle une grande affection. L’odeur de Saint-Maur est reconnaissable, elle aussi, dès les abords de la ville :

    « Mes poumons reconnaissent à la première goulée l’air de Saint-Maur, de ce quartier. Avec son arrière-fond de jardins mouillés, de terre entourée d’eau. De murs humides. D’arbres saisis par le centre. Condensation qu’exhale le moindre rayon de soleil. »

    L’émotion n’est pas loin. Elle est là, sous-jacente, qui guette. Retourner au 23 n’est pas une aventure inoffensive et indolore. Paralysé, l’écrivain esquive le moment de retrouver la maison. Il fait des détours, tergiverse, passe sur l’autre trottoir. Bat en retraite. Se terre dans son appartement, prêt à renoncer. Les souvenirs pourtant affluent, fragments épars qui fermentent sous le crâne, semblables aux germes qu’il collectionnait gamin :

    « Veulent surgir. Gagner surface. Et ça trépigne. Gronde. Tourne en sachet. Par vingt. Par mille. Si toutes ces enveloppes s’ouvraient d’un coup.

    Elles dorment […]

    Des formes en devenir. »

    Les formes ont germé. Se sont épanouies. L’écrivain les a contenues, classées, organisées dans la précision. Le Guide des nuisibles a donné naissance aux Moches. Et les vieilles photos ont accepté de livrer une part de leur histoire. Une histoire tendre et douloureuse, animée par le regard bienveillant du poète sur le petit monde de Saint-Maur qui a été un jour le sien. Une histoire d’enfance qui s’éloigne, émouvante et belle. Et qui revit par l’écriture. Tout redevient possible :

    « Le soleil ne s’est pas encore retiré. Mes bras bougent. Pompon s’agite. Nous sommes déjà haut. Les pavillons nous rejoignent. Vols d’une pièce à l’autre. »

    Voyages à Saint-Maur demeure, qui rejoint dans la lenteur d’autres voyages imaginaires.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    __________________________________
    * Jean-Louis Giovannoni, « Les choses naissent et se referment aussitôt » in Le Corps immobile, Éditions Unes, 1985, page 122.






    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, Champ Vallon, 2014.







    JEAN-LOUIS  GIOVANNONI


    Giovannoni 3
    Ph. © Phil Journé
    Source




    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    Envisager (lecture de Tristan Hordé)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose] (extrait de Variations à partir d’une phrase de Friedrich Hölderlin)
    Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    Sous le seuil (lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    Mère (+ notice bio-bibliographique)
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    [toujours cette envie de t’ouvrir] (extrait de Derrière la vitre)
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (lecture d’AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de France Culture)
    Jean-Louis Giovannoni reçu par Alain Veinstein autour de Voyages à Saint-Maur [émission du 8 mai 2014]
    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G., La demande profonde (poème dédié à Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la page de l’éditeur consacrée à Voyages à Saint-Maur
    → (sur Eden Livres)
    un autre extrait de Voyages à Saint-Maur
    → (sur Terres de femmes)
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    → (dans les numéros 19-20, « Utopie » [Espace Corse] de la revue numérique québécoise Mouvances)
    deux poèmes inédits de Jean-Louis Giovannoni, traduits en corse par Jacques Fusina
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)
    → (sur le site grande menuiserie de Nolwenn Eulzen)
    « Que peut (encore) l’écriture ? », enregistrement d’un entretien entre Jean-Louis Giovannoni et Gisèle Berkman (19 avril 2013)





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  • Raphaële George, Suaires (extrait)



    SUAIRES (extrait)



    Le vrai dans la fenêtre, ce n’était pas le côté où j’étais assise, mais bien cette autre face où les couleurs s’assombrissaient à peine. La pesanteur y reprenait, là, toute sa force — fascination de la mort en suspens revenue se figer à jamais dans la vitre — et par ce retour, il nous était donné de nous voir de loin. Je bougeais, eux ne bougeaient pas. J’y perdais mon ombre. Toute frontière s’anéantissait.

    (…)

    J’avais décidé, du jour où mes draps furent repliés provisoirement par manque de place, que je ne ferais plus, pour seul rite à mon existence, que construire mes symboles et mes signes sur la figure noire d’un carbone fripé où tout serait su en son envers.

    J’avais entendu parler depuis longtemps de ce carbone où corps et esprit, tous deux s’étaient fait combustion. Là sans doute je grifferais notre combustion à tous deux.

    Je le pris dans mes mains — le carbone était d’argent. En lui, je pressentais le lieu de la conservation.

    Plus je le gardais en mes mains, plus il se faisait miroir, et montait jusqu’à moi…

    Mais les reflets sur lui jamais ne se fixaient en une image simple. Au contraire, ces déformations infinies faisaient que nous ne pouvions nous penser, autres, qu’abandonnés. Je m’étais perdue.

    À l’aide d’un crayon, je traçais quelques lignes, sorte d’exercice par lequel je me guettais une face possible. Dès qu’un œil surgissait, je le saisissais pour le figer, mais à peine l’avais-je marqué qu’il roulait dans la vague d’argent.

    (…)

    Dans un long filament noir, il y avait eu un jour un visage, mais désormais nous hibernions dans le monde des anamorphoses où toute l’histoire redevenait possible.

    Comment était-ce possible de voyager, lorsque je donnais des rendez-vous que sans cesse je manquais ? Je ne pouvais pas parler au téléphone quand mon corps n’était pas là. Comment résoudre ces absences ?

    Je faisais des signes, je les faisais voguer loin, ils rebondissaient probablement dans une oreille qui m’avait été choisie et que ponctuellement je remplissais par mes voix. Mais au moment de rencontrer l’autre, déjà elles avaient disparu.

    J’aurais pu dire… violet, turquoise… turquoise violacé, violet turquoise… bleu par volonté de profondeur avec pour espace l’inégalité proportionnée de l’harmonie… Rien n’aurait changé. Et pourtant, entre mes mains, n’importe quel compositeur aurait entendu une musique — Moi qui n’ai jamais su lire la musique. D’où vient cette musique où ne vibrent que déchirure, écartèlement ? Alors que ce qui compte est cette façon de résumer l’espace sonore au toucher, à l’effleurement de l’invisible. Nos traces viennent nourrir l’enfer de la platitude tandis qu’erre en elles, l’ombre d’un noyé.



    Raphaële George, Double intérieur, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie dirigée par Claire Tiévant, 2014, pp. 66-67-68.







    Raphaële George





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George



    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni






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  • Issa Makhlouf | L’écriture sourit à la mort



    L’ÉCRITURE SOURIT À LA MORT



    Y a-t-il dans l’écriture un point de départ et un point d’arrivée ? Le premier mot, c’est la rose que nous nous refusons à cueillir pour ne pas bousculer le rythme du jardin et ne pas détruire la fragrance du parfum. Le premier mot, nous le gardons pour nous et écrivons quelque chose qui lui ressemble.

    Chaque goutte d’eau que prodigue la terre ou le ciel est toujours la première. Quant au dernier mot, il vient tout seul avec l’absence.

    Le voyageur, parfois, se souvient-il qu’il est en voyage. Il ausculte son cœur et essaie d’écrire. Mais l’écrivain, lui, que peut-il bien écrire ? L’écriture a-t-elle besoin de lui pour exister ? L’écriture véritable vient de plus loin que ce babil qui papillonne sur les lèvres. C’est la force qui nous pousse à écrire, pas l’écriture.

    Nous écrivons pour mieux écouter, pour mieux pénétrer le silence qui croît sur les franges du rêve. L’écriture nous conduit vers ce que nous ne pouvons saisir qu’à l’instant où nous écrivons. Nous écrivons pour éloigner la peur, un peu comme ces voyageurs nocturnes qui éloignaient les bêtes féroces avec le feu. Nous écrivons dans l’attente de ce qui va advenir, pour nous embellir aux yeux de ceux pour qui nous écrivons, pour nous approcher de l’insondable et rendre proche ce qui est lointain.

    L’écriture, c’est le réveil des voix profondes qui sommeillent, cloches lointaines qui n’ont pas besoin qu’on les sonne pour vibrer.

    Le rayon du mot traverse le métal et ralentit le temps.

    L’écriture a un visage dont nous recherchons l’empreinte en nous-mêmes. Un seul visage qui est la clé de tous les autres.



    Issa Makhlouf, « Le Printemps » in Une ville dans le ciel, Éditions Corti, 2014, pp. 158-159. Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux.






    Issa Makhlouf, Une ville dans le ciel, Editions Corti, 2014.






    ISSA MAKHLOUF


    Mahklouf
    Ph. © Thierry Rambaud/
    IMA



    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Corti)
    la page de l’éditeur sur Une ville dans le ciel
    le site officiel d’Issa Makhlouf






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  • Ludovic Degroote | [j’aimerais faire quelque chose de tout ça]



    [J’AIMERAIS FAIRE QUELQUE CHOSE DE TOUT ÇA]



    j’aimerais faire quelque chose de tout ça, atteindre ne serait-ce que le mouvement presque fixe du premier pas, qui ouvre au second,  alors qu’ici j’ai l’impression de ne rien fixer,  je bouge tout le temps, comme la prose fait facilement,  à cause de la faiblesse qu’un mot seul porterait si on ne préparait pas sa solitude, qui serait une forme d’isolement ou de marginalité ; je ne sais comment je pourrais donner à chaque mot un tel poids isolé en dégageant son isolement de l’instant de sa sortie afin de le lier à un autre mot auquel il faudrait donner son poids à son tour isolé


    ce n’est pas que je veuille appliquer la tauromachie à la poésie, ce serait une théorie, qu’un procédé d’ailleurs permettrait peut-être de mener à bien ; je me méfie des théories comme des procédés ; je ne m’en plains pas : nous n’écrivons qu’avec ce que nous sommes


    pour ça aussi que josé tomás me fascine : il n’est pas dans une théorie — ce qui ne l’empêche pas d’avoir des principes


    et de les appliquer


    la stature immobile n’est pas une théorie, c’est un principe


    si j’écris de la poésie, c’est un principe, pas une théorie


    josé tomás ralentit le mouvement


    il ne peut rien pour moi


    ni pour ce que j’écris


    moi aussi je suis seul


    face à moi-même




    Ludovic Degroote, josé tomás, Éditions Unes, 2014, pp. 24-25-26. Vignette de couverture de Claude Viallat.







    Degroote José tomas 2








    LUDOVIC DEGROOTE


    Vignette ludovic degroote
    Source



    ■ Ludovic Degroote
    sur Terres de femmes

    josé tomás (lecture d’AP)
    [chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures] (extrait de Monologue)
    Monologue (Sotto voce de Jean-Louis Giovannoni)
    Retisser la trame déchirée (note de lecture de Sylvie Fabre G.)
    un peu plus au bord
    3 ciels d’ici







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  • José-Flore Tappy | [Qui se penche]



    Désert de vent
    Ph., G.AdC







    [QUI SE PENCHE]



    Qui se penche
    sur le ciel
    ne verra que houle
    et désert de vent

    mais là-haut
    tout vertige s’oublie

    de vague en vague
    le vide nous porte
    sur son dos

    jusqu’aux premières
    lueurs

    quand les distances
    se calment
    près d’un lit de rivière








    Wind deserts
    Ph., G.AdC







    [WHOEVER BENDS OVER]



    Whoever bends over
    the sky
    sees only heavy swells
    and wind deserts

    but up there
    all dizziness is forgotten

    from wave to wave
    emptiness carries us
    on its back

    to the first
    gleams

    when the distances
    calm down
    near a riverbed



    José-Flore Tappy, “Gravier” I, in Sheds/Hangars, Collected Poems, 1983-2013, The Bitter Oleander Press, Fayetteville, New York, 2014, pp. 178-179-180-181. Translated from the French by John Taylor.







    Sheds





    JOSÉ-FLORE TAPPY


    Tappy
    Ph. © Yvonne Böhler
    Source





    ■ José-Flore Tappy
    sur Terres de femmes

    [elle transpire l’humide la verte terre] (poème extrait de Lunaires)
    [Même par poignées les allumettes] (poème extrait de Tombeau)
    [Tandis qu’un nom dans ma tête chantonne] (poème extrait de L’île in Terre battue)
    Tombeau (lecture de Bernadette Engel-Roux)
    Les pylônes (poème extrait de Trás-os-montes)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur culturactif.ch)
    une fiche bio-bibliographique sur José-Flore Tappy (+ de nombreux poèmes)
    → (sur asymptote)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) de John Taylor sur José-Flore Tappy (+ plusieurs poèmes)
    le site des éditions The Bitter Oleander Press






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  • Marie-Hélène Prouteau, L’Enfant des vagues

    par Angèle Paoli


    Marie-Hélène Prouteau, L’Enfant des vagues,
    Éditions Apogée, Collection Piqué d’étoiles,
    créée par François Rannou,
    dirigée par Jacques Josse,
    Rennes, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli



    Leur impuissance et leur rébellion.
    Photocollage source Google images







    AU-DELÀ, SOUS LA RUMEUR BRUISSANTE DE LA PAGE…




    « Peut-être que ça existe un rêve d’odeurs ? » se demande l’enfant, au 7e jour de la catastrophe. « 172 oiseaux morts en tout », a-t-il pris soin de noter dans son petit carnet bleu. « Jour huit de la catastrophe : 214 oiseaux morts. »

    L’enfant, c’est celui de L’Enfant des vagues. Un jeune garçon rêveur, amoureux des « champs d’algues » et des menhirs, amoureux de la mer et de son langage, au point de vouloir devenir, plus tard, « artiste de la mer ». Marie-Hélène Prouteau, auteur de ce récit, met cet enfant sensible et tendre aux prises avec la catastrophe d’une nouvelle marée noire. La quatrième, survenue sur les côtes bretonnes à la suite du naufrage d’un pétrolier.

    Un matin, rien n’est plus pareil. L’enfant ne perçoit plus l’odeur du varech. Il semble qu’elle a disparu. Elle a fait place à une odeur lourde, nauséabonde, qui appesantit l’air. Engluée dans une épaisseur noire, la mer est immobilisée. Prisonnière d’une masse luisante. Privée du bruit régulier de son ressac. Qu’est-ce qu’une mer privée d’odeur et réduite au silence ? Est-ce encore la mer ? Les oiseaux, englués eux aussi, gisent, asphyxiés et inertes, dans le goémon mazouté. C’est cela que l’enfant découvre un matin d’hiver, alors qu’il se rend sur la grève pour jouer dans les creux des roches. Spectacle de désolation et de deuil. Une terreur indicible s’empare de « l’enfant des vagues » ; un désespoir immense l’étreint ; une colère sourde, inconnue jusqu’alors, monte en lui, qui le travaille au corps. Il voudrait comprendre. Il voudrait parler. Mais il n’a pas les mots pour dire le désarroi qui est le sien. Traversé de mille questions, le jeune garçon rejoint le groupe des adultes, hommes de la terre et hommes de la mer, rassemblés là, sur la grève. Marins et villageois commentent la nouvelle marée noire ; s’insurgent , se révoltent, organisent leur lutte. Contre qui au juste ? Jour après jour, l’enfant observe le va-et-vient des hommes, s’approche, récolte auprès d’eux leurs mots et leurs angoisses. Leur impuissance et leur rébellion. Dans le même temps, il sent confusément qu’un autre drame se trame, tout aussi intime et tout aussi meurtrier. Les idées se bousculent dans sa tête. Le désespoir le ronge. Quelque chose de noir le frôle, le secoue, l’envahit.


    « Quelque chose avait eu lieu, disait une voix en lui. Il ne savait pas quoi. Il savait seulement qu’il n’était pas possible de lui donner un nom. Non, il ne pouvait pas. Il ne fallait pas… ».


    Les drames s’emmêlent, brouillent sa compréhension des choses. Les souvenirs liés à son père, les interrogations liées à sa disparition se superposent à son désespoir :


    « Le pétrolier était toujours là. Les routes de la mer étaient bloquées. Son père n’était pas revenu. »


    L’enfant se débat. Se résoudre à l’évidence exige un chemin difficile :


    « Quel bouillonnement au fond de lui ! Où était son père ? Il n’était pas facile d’échapper à ça. Dans un recoin de sa tête, il y avait cette chose sans nom, tantôt proche, tantôt repoussée, mais toujours là. Il savait que ça avait eu lieu… »


    La séparation de ses parents — ce ça impossible à nommer — l’atteint au plus profond de lui-même. Pourtant, dans cette épreuve, son amour pour l’un et pour l’autre reste intact. Heureusement, il y a les livres. C’est là, « dans l’archipel blanc où vivent les mots de la page », au cœur des Morceaux choisis de l’Odyssée que l’enfant « apprivoise l’absence du père ».

    Comprendre les adultes, parler avec eux, leur confier son désarroi n’est pas chose aisée pour cet enfant qui « boite aussi dans sa tête ». Parmi tous ceux qu’il croise sur la grève, il est un homme étrange, qui ne ressemble à aucun autre. Avec lui a lieu la rencontre. Avec lui se noue le dialogue dont l’enfant est en attente ; un dialogue réparateur et bienfaisant. Le vieil homme est un savant. Un personnage important, « directeur de l’Institut de la mer ». Ensemble le vieil homme et l’enfant devisent de la mer, se confient leurs secrets, leurs inventions et leurs attentes, leurs espoirs. L’enfant découvre d’autres merveilles, insoupçonnées jusqu’alors. « Cette vie sous la mer… ». « Les forêts d’algues, les corps luminescents, les efflorescences, les abysses… ». Tout un monde mystérieux prend forme sous le récit du vieux monsieur. Les mots eux-mêmes, tirés d’une « langue inconnue », s’animent et volent « comme des oiseaux aux plumes vif-argent. » De sa descente dans les fonds marins, le vieux monsieur ramène les cœlacanthes et les nautiles. « Des espèces qui remontaient aux temps lointains de la Préhistoire ». Ces nouveaux espaces nourrissent l’imagination de l’enfant et se joignent à son goût des rêves et des histoires. Ponctués de silences et de sourires complices, les dialogues entre l’enfant et le vieil homme soudent leur amitié. Et permettent à l’enfant d’entrevoir et d’accepter l’inéluctable. « Ulysse ne reviendrait pas au pays des champs d’algues ». Désormais, l’enfant devra grandir avec ses blessures.

    Porté par une écriture poétique exigeante et belle, le récit de Marie-Hélène Prouteau est une leçon de vie où se décrypte —  derrière la tragédie humaine — l’amour de l’écrivain pour « le pays des champs d’algues et des menhirs ». Et au-delà, sous la rumeur bruissante de la page, la tendresse lumineuse du regard.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Marie-Hélène Prouteau, L'Enfant des vagues








    MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU


    Marie-helene-prouteau
    Source




    ■ Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Le cœur est une place forte (lecture d’AP)
    La Petite Plage (lecture d’AP)
    Nostalgie blanche. Livre d’artiste avec Michel Remaud
    Voir Pont-Aven (extrait de Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible)
    [Monde des limbes pris dans les houles] (extrait de La Vibration du monde)
    La Ville aux maisons qui penchent (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Marie-Hélène Prouteau




    ■ Chroniques et lectures (26) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Armand Dupuy | [On cherche avec les yeux]



    Ce bleu ce noir
    « Il faudrait lâcher ce bleu, ce noir
    en tête et laisser faire la lumière un peu sale
    jusqu’à la têtue détresse. »
    Aaron Clarke, 12 x 12cm / bleu
    et Aaron Clarke, 12 x 12cm / noir
    Source








    [ON CHERCHE AVEC LES YEUX]



    On cherche avec les yeux ce que veulent
    dire passage et lenteur, ligne et retrait — fil
    de bave encore. On s’accroche, on refuse de
    s’accrocher. Il faudrait lâcher ce bleu, ce noir
    en tête et laisser faire la lumière un peu sale
    jusqu’à la têtue détresse. Monter quand même,
    rassembler les papiers, regarder. On pèse à
    moitié sur les raisons d’exister, dans un léger
    bruit de plumes — son sourire n’y peut rien. On
    pèse à moitié, sans décoller, sans lever. Juste
    écrire dans l’obstacle, noté ça chez Watteau* :
    s’y loger. Pousser la question, toujours, et
    déplacer la ligne, sa flottaison. Deux oiseaux
    versent en croix sur le mur, versent en fenêtre.
    On descend plus calme, on tire une chaise, le
    linge sur le fil — il pourrait n’y avoir rien du tout.



    Armand Dupuy, Par mottes froides, Le Taillis Pré, 2014, page 52. Frontispice de Jean-Claude Terrier.




    _____________________________
    * Patrick Watteau, Docimasie, José Corti, 2001.






    Armand Dupuy, Par mottes froide




    ARMAND DUPUY


    Armand Dupuy Denim
    Source




    ■ Armand Dupuy
    sur Terres de femmes


    [l’eau fermée] (extrait de Ce doigt qui manque à ma vue)
    Mieux taire (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Présent faible (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Une première fin des questions
    8-12 février [2017] | Armand Dupuy | [je m’entends parler du temps qu’on serre] (extrait de Selfie lent)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Ta résonance)
    une lecture de Par mottes froides par Martin Ritman
    → (sur Recours au poème)
    une page sur Armand Dupuy






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  • Amelia Rosselli | [Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté]



    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse |  la rencontre et reviens à la lumière.
    Ph., G.AdC







    [FLUISCE TRA ME E TE NEL SUBACQUEO UN CHIARORE]



    Fluisce tra me e te nel subacqueo un chiarore
    che deforma, un chiarore che deforma ogni passata
    esperienza e la distorce in un fraseggiare mobile,
    distorto, inesperto, espertissimo linguaggio
    dell’ adolescenza! Difficilissima lingua del povero!
    rovente muro del solitario! strappanti intenti
    cannibaleschi, oh la serie delle divisioni fuori
    del tempo. Dissipa tu se tu vuoi questa debole
    vita che non si lagna. Che ci resta. Dissipa
    tu il pudore della mia verginità; dissipa tu
    la resa del corpo al nemico. Dissipa la mia effige,
    dissipa il remo che batte sul ramo in disparte.
    Dissipa tu se tu vuoi questa dissipata vita dissipa
    tu le mie cangianti ragioni, dissipa il numero
    troppo elevato di richieste che m’agonizzano:
    dissipa l’orrore, sposta l’orrore al bene. Dissipa
    tu se tu vuoi questa debole vita che si lagna,
    ma io non ti trovo e non so dissiparmi. Dissipa
    tu, se tu puoi, se tu sai, se ne hai il tempo
    e la voglia, se è il caso, se è possibile, se
    non debolmente ti lagni, questa mia vita che
    non si lagna. Dissipa tu la montagna che m’impedisce
    di vederti o di avanzare; nulla si può dissipare
    che già non sia sfiaccato. Dissipa tu se tu
    vuoi questa mia debole vita che s’incanta ad
    ogni passaggio di debole bellezza; dissipa tu
    se tu vuoi questo mio incantarsi, — dissipa tu
    se tu vuoi la mia eterna ricerca del bello e
    del buono e dei parassiti. Dissipa tu se tu puoi
    la mia fanciullaggine; dissipa tu se tu vuoi,
    o puoi, il mio incanto di te, che non è finito:
    il mio sogno di te che tu devi per forza assecondare,
    per diminuire . Dissipa se tu puoi la forza che
    mi congiunge a te: dissipa l’orrore che mi ritorna
    a te. Lascia che l’ardore si faccia misericordia,
    lascia che il coraggio si smonti in minuscole
    parti, lascia l’inverno stirarsi importante nelle
    sue celle, lascia la primavera portare via il
    seme dell’indolenza, lascia l’estate bruciare
    violenta e incauta; lascia l’inverno tornare
    disfatto e squillante, lascia tutto — ritorna
    a me; lascia l’inverno riposare sul suo letto
    di fiume secco; lascia tutto, e ritorna alla
    notte delicata delle mie mani. Lascia il sapore
    della gloria ad altri, lascia l’uragano sfogarsi.
    Lascia l’innocenza e ritorna al buio, lascia
    l’incontro e ritorna alla luce. Lascia le maniglie
    che coprono il sacramento, lascia il ritardo
    che rovina il pomeriggio. Lascia, ritorna, paga,
    disfa la luce, disfa la notte e l’incontro, lascia
    nidi di speranze, e ritorna al buio, lascia credere
    che la luce sia un eterno paragone.






    [FILTRE ENTRE TOI ET MOI DANS LA SOUS-MARINE UNE CLARTÉ]



    Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté
    qui déforme, une clarté qui déforme chaque expérience
    du passé et la distord en un phrasé mobile,
    distordu, inexpérimenté, expertissime langage
    de l’adolescence ! si difficile langue du pauvre !
    mur brûlant du solitaire ! arrachantes intentions
    cannibalesques, oh la série des divisions hors
    du temps. Toi dissipe si tu veux cette faible
    vie qui ne se plaint pas. Qui nous reste. Toi
    dissipe la pudeur de ma virginité ; toi dissipe
    la capitulation du corps à l’ennemi. Dissipe mon effigie,
    dissipe la rame qui bat sur le rameau en contrebas.
    Toi dissipe si tu veux cette vie dissipée dissipe
    toi mes changeantes raisons, dissipe le nombre
    trop élevé de requêtes qui m’agonisent :
    dissipe l’horreur, déplace l’horreur au bien. Toi
    dissipe si tu veux cette faible vie qui se plaint,
    car je ne te trouve pas, et je n’ose me dissiper. Toi
    dissipe, si tu peux, si tu sais, si tu en as le temps
    et l’envie, si c’est le moment, si c’est possible, si
    sans faiblir tu te plains, cette vie mienne qui ne
    se plaint pas. Toi dissipe la montagne qui m’empêche
    de te voir ou bien d’avancer ; rien ne se peut dissiper
    qui déjà ne se soit raffaissé. Toi dissipe si tu
    veux cette faible vie mienne enchantée à
    chaque passage de faible beauté ; toi dissipe
    si tu veux cet enchantement mien, — toi dissipe
    si tu veux mon éternelle recherche du beau et
    du bon et des parasites. Toi dissipe si tu peux
    mon enfantinage ; toi dissipe si tu veux,
    ou peux, mon enchantement de toi, qui n’est pas fini :
    mon rêve de toi que tu dois forcément seconder,
    pour diminuer. Dissipe si tu peux la force qui
    me conjoint à toi : dissipe l’horreur qui me revient
    vers toi. Laisse que l’ardeur se fasse miséricorde,
    laisse que le courage se délite en tout petits
    bouts, laisse l’hiver s’étirer important dans
    ses cellules, laisse le printemps emporter la
    graine de l’indolence, laisse l’été brûler
    violent et sans prudence ; laisse l’hiver revenir
    défait et carillonnant, laisse tout — reviens
    à moi ; laisse l’hiver reposer dans son lit
    de fleuve à sec ; laisse tout, et reviens à la
    nuit délicate de mes mains. Laisse la saveur
    de la gloire à d’autres, laisse l’ouragan se déchaîner.
    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse
    la rencontre et reviens à la lumière. Laisse les poignées
    qui recouvrent le sacrement, laisse le retard
    qui ruine l’après-midi. Laisse, reviens, paie,
    défais la lumière, défais la nuit et la rencontre, laisse
    des nids d’espoirs, et reviens à l’obscurité, laisse croire
    que la lumière est une éternelle comparaison.



    Amelia Rosselli, La Libellule [La libellula, Sellerio Editore, Milano, 1985 ; Garzanti Editore, Milano, 1997], Ypsilon Éditeur, 2014, pp. 38-39-40-41-42. Traduction et postface de Marie Fabre.




    ______________________________________
    NOTE d’AP : l’ouvrage dont est issu l’extrait ci-dessus (La Libellule d’Amelia Rosselli) est disponible en librairie depuis le 12 avril 2014.





    AMELIA ROSSELLI


    Amelia_rosselli
    Ph. © Dino Ignani – Tous droits réservés
    Source



    ■ Amelia Rosselli
    sur Terres de femmes

    Amelia Rosselli | Adolescenza (+ notice bio-bibliographique)
    [La tua debolezza è la mia vittoria] (poème extrait de Variazioni Belliche + traduction française par Marie Fabre)
    T’aimer et ne rien pouvoir faire d’autre que t’aimer (poème extrait de “Dialogo con i Poeti”, Serie Ospedaliera 1963-1965)
    11 février 1996 | Mort d’Amelia Rosselli (article de Marie Fabre + extraits de Variazioni Belliche, dans une traduction de Marie Fabre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    la page de l’éditeur sur La Libellule (+ un autre extrait)
    → (sur t-pas-net.com)
    une chronique de Jean-Nicolas Clamanges sur La Libellule d’Amelia Rosselli
    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    un extrait du Dossier Amelia Rosselli de la Revue Europe (n° 996, avril 2012, pp. 197-201)[PDF]
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant en français trois des neuf poèmes d’Adolescence
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant un court extrait de La libellula
    → (sur Rai-TV Radioscrigno)
    d’exceptionnelles archives sonores, dont l’étonnante lecture d’un extrait de Sleep par Amelia Rosselli
    → (dans l’anthologie permanente de Poezibao)
    un extrait de Documento 1966-1973 d’Amelia Rosselli (traduction inédite d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de l’Unità)
    « Amelia Rosselli, rivoluzionaria della poesia » par Lello Voce
    → (sur trickster)
    « La traduction chez Amelia Rosselli | Entre désappropriation et appropriation linguistique », par Sarah Ventimiglia





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  • Brigitte Gyr | [quand tu as décidé d’en finir]



    Un afflux de coïncidences une loi tacite du signe
    Ph., G.AdC







    [QUAND TU AS DÉCIDÉ D’EN FINIR]



    quand tu as décidé d’en finir

    que ça s’est décidé en toi
    notre centre de gravité

    a perdu son axe
    avec toutefois

    l’incertitude

    de la note juste
    jusqu’au souffle final

    il y avait ce matin-là
    un flou dans l’air

    qu’on percevait

    par la fenêtre
    le jour promettait
    d’être compliqué
    dehors            dans les cafés
    dans les rues
    les gens se comportaient

    comme des loups

    sans éducation
    une ville immaîtrisable
    un afflux de coïncidences
    une loi tacite du signe
    épuisait les plus sensibles

    les renvoyait à

    d’obscurs savoirs ancestraux

    plus tard on dirait : c’était la pleine lune ce n’est pas étonnant.



    Brigitte Gyr, Incertitude de la note juste, Éditions Lanskine, 2014, page 24.






    Brigitte Gyr, Incertitude de la note juste






    BRIGITTE GYR


    VIGNETTE BRIGITTE GYR




    ■ Brigitte Gyr
    sur Terres de femmes


    Incertitude de la note juste (lecture de Mireille Fargier-Caruso)
    Parler nu (lecture de Cécile Oumhani)
    [Pleinement écloses enfin] (extrait d’Avant je vous voyais en noir et blanc)
    [une frontière se tisse de non-dits](extrait de Parler nu)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    au plus gris du corps






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